THÉMATISATION Le pétrole de plus en plus fou

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THÉMATISATION Le pétrole de plus en plus fou
THÉMATISATION
I. LA DISTINCTION THEME-RHEME
dans la titraille de presse écrite (titres, chapeaux, surtitres, etc.)
Saint-Céré, pays de cocagne lyrique
(Le Monde, 13/8/2004)
Philippine de Rothschild, du théâtre à la comédie sociale
(Le Monde, 13/8/2004)
Chirac et Schröder chez leur ami Poutine
Le couple franco-allemand rivalise de marques de soutien envers le président russe.
(Libération, 30/8/2004)
L'Etat français mobilisé
Chirac a annoncé le départ pour Bagdad du ministre des Affaires étrangères. Les musulmans de France
condamnent les rapts.
(Libération, 30/8/2004)
DEUX OTAGES ET LA LOI SUR LE VOILE POUR RANÇON
Les ravisseurs ont donné à l'Etat français un ultimatum qui prend fin ce soir.
(Libération, 30/8/2004)
HOLLANDE-FABIUS : LE BINOME BAT DE L'AILE
(Libération, 30/8/2004)
Les écrans de Sarajevo traversés par la guerre
Le festival, qui fête ses dix ans, reste imprégné du conflit.
(Libération, 30/8/2004)
Un espion pro-israélien au Pentagone
Il aurait transmis des renseignements sur l'Iran et l'Irak.
(Libération, 30/8/2004)
VOTRE ECONOMIE
Le pétrole de plus en plus fou
ENERGIE. L'Arabie saoudite est intervenue hier pour calmer le vent de folie qui souffle sur le marché
du pétrole. Mais les cours restent très élevés, soutenus par les incertitudes internationales. Pendant ce
temps-là, les automobilistes paient le prix fort à la pompe.
(Aujourd'hui en France, 12/8/2004)
Racisme
Les collégiens accusés d'antisémitisme réintégrés
(Aujourd'hui en France, 12/8/2004)
Vacances terminées pour Chirac
(Aujourd'hui en France, 12/8/2004)
1
Athlétisme
Coup dur pour Raquil
titre accompagné (au-dessous), d'une photo couleur légendée ainsi : STADE DE FRANCE
(SAINT-DENIS), LE 27 AOÛT 2003. Le forfait de Marc Raquil est un coup dur pour les Bleus. Depuis sa troisième
place en finale du 400 m au meeting de Saint-Denis (photo), il figurait parmi les principaux espoirs de médailles pour les JO
d'Athènes. (LP/FREDERIC DUGIT)
(Aujourd'hui en France, 12/8/2004)
Science
Feu vert des Anglais au clonage d'embryons
(Aujourd'hui en France, 12/8/2004)
Rage : à la recherche d'un joggeur mordu
(Libération, 30/8/2004)
Colombie : balles au cyanure
(Libération, 30/8/2004)
Enfants maltraités de Drancy : des signalements aux services sociaux n'avaient pas
permis d'intervenir
La famille semble avoir tout fait pour échapper aux visites de la protection maternelle et infantile. Une enquête
administrative doit déterminer si des dysfonctionnements ont eu lieu
(Le Monde 13/8/2004)
Les parents, deux trentenaires "propres sur eux"
(Le Monde 13/8/2004)
LYON CHAHUTÉ À METZ
(L'équipe, 23/8/2004)
GATLIN, LE CENT NEUF
L'Américain Justin Gatlin, 22 ans, est devenu champion olympique du 100 m, hier soir à
Athènes, en 9"85. Il a devancé le Portugais Francis Obikwelu (9"86) et le tenant du titre, son
compatriote Maurice Greene (9"87). (Pages 2 à 4)
(L'équipe, 23/8/2004)
Justin coup de tonnerre
Gatlin, pressenti pour succéder dans le futur à Greene, a brûlé les étapes en remportant le tire
olympique à vingt-deux ans.
(L'équipe, 23/8/2004)
Les producteurs du cinéma d'auteur : la jeune diplômée d'HEC, fondatrice d'Aurora Films, choisit des
réalisateurs exigeants, comme Nicolas Klotz ou Valérie Mréjen
Du clip au long-métrage, les débuts prometteurs de Charlotte Vincent
(Le Monde, 13/8/2004)
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II. PROGRESSIONS THEMATIQUES ET PREDICATIONS SECONDES
dans des articles de presse écrite
Vingt heures : trois hommes portant cagoules surgissent d’une Fiat Tipo blanche dans
l’enceinte de l’aéropostale, située sur l’aéroport, et se dirigent vers un Fokker s’apprêtant à
décoller pour Nice. Très vite, ils menacent avec armes de poing de gros calibre et
Kalachnikov, la dizaine d’employés de la société Security Poste (filiale des PTT, chargée du
transport de fonds) et ceux des PTT.
Quelques minutes plus tard, les braqueurs chargent plusieurs sacs postaux dans la voiture et
prennent la fuite sans être inquiétés. (...)
Libération, 31 07 1989
QUINZE MOIS FERMES POUR ESCROQUERIE AUX ASSEDIC
Un Haïtien de 24 ans a été condamné, jeudi, à 15 mois de prison ferme par le tribunal
correctionnel de Pontoise pour avoir, sous au moins trois identités différentes, obtenu des
indemnisations des ASSEDIC. Il a également écopé d’une interdiction du territoire français
de trois ans à l’issue de sa peine et devra rembourser aux ASSEDIC un préjudice évalué à
environ 50 000 F en trois ans. Pierre Alex dont on ignore si c’est sa véritable identité, avait
déposé sous plusieurs noms des demandes d’obtention du statut de réfugié politique à
l’OFPRA, qui les a toujours rejetées. Il avait été interpellé grâce à la vigilance d’un employé
de l’état civil de la mairie de Cergy où il avait tenté, sous le nom de Pierre Marie-Rose,
d’obtenir un enième acte de naissance afin de monter un nouveau faux dossier.
SE DÉBARRASSER D’UN AVOCAT, CE N’EST PAS SI FACILE...
Entre Paul-Louis Auméras, procureur général près de la cour d’appel de Montpellier, et
l’avocat Alain Scheuer, la guerre rebondit.
Le 11 mai à Béziers, le haut magistrat était venu en personne, discrètement, orchestrer
l’offensive destinée à évincer Scheuer de la défense de Roger Authié, le patron de la clinique
Causse, accusé d’abus de biens sociaux.
Depuis la fin 1998, en effet, Auméras a cet avocat dans le collimateur. Il trouve qu’il manque
de... « délicatesse ». Au sujet de ses méthodes, il avait déjà saisi le conseil de l’Ordre. Ayant
appris que l’un des enquêteurs de l’affaire de la clinique avait mené des investigations sur les
émoluments substantiels versés à son cabinet –5 millions de francs– par le groupe Symbiose,
Scheuer avait contre-attaqué, s’autorisant à enquêter sur... l’enquêteur ! (...)
La Gazette de Montpellier 663, 9-15 juin 2000)
3
Port-Camargue
« CASSE » AU CASINO :
30 000 F de butin
A 5h15 samedi, l’alarme du casino de Port-Camargue s’est déclenchée à la suite de l’intrusion
par effraction d’un ou de plusieurs individus.
Les cambrioleurs se sont immédiatement attaqués aux socles des machines à sous qu’ils ont
fracturés pour rafler 30 000 F en pièces de 5, 10 et 20 F.
Ce butin représentait en poids l’équivalent de deux sacs de ciment.
Marseille Benoît Paraire « Je vais boire un café, tu prends ma place, je reviens dans cinq
minutes. » Il est 7h30, Paul L..., le manutentionnaire au centre de tri de la gare Saint-Charles à
Marseille, vient de demander à son copain Noël de le remplacer. Cinq minutes plus tard, Noël
Guérini, quarante-deux ans, est déchiqueté par l’explosion d’un colis piégé. La déflagration a
eu lieu au sixième étage du centre de tri à la section étranger. Un local où sont stockés et triés
des colis en provenance du monde entier.
Le Parisien libéré, 28 07 1989
VIOLENT FEU DE MAISON
Un incendie s’est déclaré, jeudi soir peu avant minuit, dans une maison située allée du PicVert à Écully.
À l’arrivée des pompiers d’Écully, de Tassin et de la quatrième compagnie, la toiture de la
maison était en flammes. Les secours ont aussitôt mis en batterie quatre petites lances afin de
combattre le sinistre. Les pompiers ont effectué des relèves jusqu’à 11h, hier matin, afin de
s’assurer qu’il n’existait pas de risque de reprise.
Le bâtiment a été totalement détruit. Aucun blessé n’est à déplorer.
Trois blessés en réanimation, 4 disparus dans le Drac, près de Grenoble
LA CLASSE DE DÉCOUVERTE FINIT EN DRAME SOUS LES EAUX DU BARRAGE
Les enseignants ont emmené leurs élèves dans une zone souvent fréquentée, certes, mais
strictement interdite par EDF. Un lâché des eaux aura été fatal.
Trois personnes, dont deux enfants, ont dû être placés en réanimation hier tandis que quatre
autres enfants étaient portés disparus à la suite d’une brusque montée des eaux du Drac, près
de Grenoble, qui ont emporté une classe en promenade.
Pour ces trois personnes placées en réanimation, le diagnostic demeurait cette nuit « très
incertain », selon des sources hospitalières.
L’accident s’est produit vers 17h00 sur la commune ouvrière de Saint-Georges-de-Commiers,
au sud de l’agglomération au débouché de l’étroite vallée du Drac.
4
Vingt-deux enfants d’une classe de CE1 de l’école privée Externat Notre-Dame à Grenoble, et
trois accompagnateurs, s’étaient rendus en classe de découverte pour observer des castors, qui
nichent dans ces endroits demeurés sauvages malgré la proximité des installations
industrielles de Jarry et Champs-sur-Drac.
À cet endroit, le lit de la rivière, qui sort de la montagne pour atteindre la plaine, est parsemé
de larges bancs de pierres, très facilement accessibles, et les habitants ont l’habitude de s’y
baigner en été ou de s’y promener, et ce malgré les interdictions d’EDF.
La brutale montée du Drac serait consécutive à une libération d’une masse d’eau au barrage
du Monteynard, situé à une dizaine de kilomètres en amont. Cette libération a provoqué une
énorme vague en aval.
D’importants moyens de secours ont été dépêchés sur place. Un hélicoptère de la sécurité
civile, à bord duquel ont pris place des plongeurs et des sapeurs pompiers, a été dépêché sur
les lieux. Un véhicule du poste de commandement des pompiers de Grenoble est aussi sur
place.
Denis Fougea, directeur de l’Équipement, s’est étonné que les accompagnateurs se soient
aventurés dans un endroit « connu pour être dangereux ».
Le lac de Monteynard « était à la cote maximale, et il fallait donc ouvrir les vannes », a dit le
secrétaire général d’EDF pour la région Rhône-Alpes, Marc Gentes. Il s’agit là d’une
« procédure d’exploitation normale ».
Dans le cadre d’une consigne, il y a un coup de semonce, c’est-à-dire qu’on lâche un peu
d’eau pour prévenir les gens, avec un débit de 25 m3 par seconde pendant une heure et demie.
« L’opération a commencé vers 14h30 avec un débit de 25 m3/seconde et nous avons été
prévenus que des enfants se trouvaient dans le lit de la rivière vers 16h30 », a-t-il expliqué.
Le responsable EDF s’est demandé comment l’accident avait pu survenir, car, a-t-il dit, « le
long de la rivière se trouvent des panneaux jaunes pour mettre en garde le public sur de
possibles montées des eaux ».
Midi libre 5 décembre 1995 (p. 20)
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ANAPHORE / CATAPHORE
Contrefaçon
PREMIER FAUX BILLET DE 100 € DÉCOUVERT EN FRANCE
Saint-Denis (Seine-Saint-Denis)
Il est apparu douze jours après l’entrée en circulation de la nouvelle monnaie. C’est le premier
faux billet de 100 E écoulé en France. Ce dernier a été découvert avant-hier soir en SeineSaint-Denis. A l’origine, un client se présente au guichet de la gare de Saint-Denis pour
acheter des tickets. Il veut payer avec une coupure de 100 E. Mais l’agent de la SNCF se
montre soupçonneux. Le billet, qui a été passé au détecteur, s’est révélé être un faux…
parfaitement bien imité selon les enquêteurs de la police judiciaire de la Seine-Saint-Denis,
alertés de l’incident. La PJ de Bobigny a longuement interrogé l’homme qui a tenté de régler
son titre de transport au moyen de cette fausse coupure. L’intéressé, un jeune Ivoirien de 21
ans domicilié à Saint-Denis, a déclaré qu’il l’avait reçu lors d’un achat effectué dans la ville le
jour même. Cette coupure serait la monnaie rendue lors d’une transaction payée avec un billet
de 200 E.
Une exception
Une explication qui n’a pas totalement convaincu les policiers, mais le jeune homme a été
remis en liberté sur ordre du parquet de Bobigny. La suite des investigations va être confiée
aux policiers spécialistes de la fausse monnaie qui vont se pencher sur le procédé de
fabrication utilisé par les faux monnayeurs.
Depuis le 1er janvier et la mise en circulation des nouvelles pièces et billets, la Banque de
France n’a, avec soulagement, pas constaté l’introduction de faux spécimens dans le circuit
monétaire. A une exception. La semaine dernière, deux fausses coupures de 20 E ont été
découvertes à la Réunion. Le _ janvier, un commerçant a détecté le premier billet à SainteMarie. Le second a été remis à la police par une habitante de Saint-Denis quarante-huit heures
plus tard. Cette femme l’avait récupéré lors d’un achat et s’était vu refuser ladite coupure
auprès d’un autre commerçant de l’île. Confiés pour analyse à l’Institut d’émissions des
départements d’outre-mer, les billets se sont révélés être des faux plutôt grossiers, portant des
numéros parfaitement identiques et conçus avec un ordinateur et un scanner.
Faut-il désormais craindre un déferlement de fausse monnaie ? Fin novembre, des
responsables d’Interpol avaient estimé que les services de police européens n’étaient pas prêts
à affronter les faux euros, parce que les spécimens des nouveaux billets avaient été adressés
tardivement aux policiers. L’afflux de contrefaçons redouté par Interpol n’a pour l’heure pas
eu lieu. L’enquête sur le faux billet de Saint-Denis le confirmera ou pas.
Alain Martin et Geoffroy Tomasovitch
Aujourd’hui en France, 14 janvier 2002 (p. 13 Les faits divers)
EN BOUCLE
Le viticulteur veut vendre son vin au conducteur, qui veut en boire moins, à cause du député
qui a approuvé une loi, lequel député essuie la colère du viticulteur-électeur, qui souhaite que
l’automobiliste se remette vite à boire, malgré le déficit abyssal de la Sécurité sociale, qui est
elle-même partiellement financée par les nombreuses taxes sur un alcool générateur
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d’emplois, donc d’impôts, prélevés par l’agent du fisc, qui, lui, ne sait plus trop s’il doit boire
un peu plus pour sauver son emploi ou arrêter totalement l’alcool surtaxé pour tenter de venir
au secours d’un système de santé publique encore vaguement mutualiste, mais en mettant en
péril l’équilibre des finances publiques, votées par le député, qui hésite encore, lui aussi, à se
remettre à boire à l’idée que le viticulteur ne le remplace par un extrême démagogue, qui
prétend réduire les impôts en renvoyant chez eux des électeurs immigrés, qui seront autant de
non-buveurs-automobilistes potentiels ne participant plus à l’équilibre chancelant d’une
société dite moderne, qui a cependant une odeur tenace et assez inquiétante de fin de
civilisation ; à moins que la raison et le bon sens ne dissipent rapidement les vapeurs non
alcoolisées, mais suffocantes, d’un libéralisme échevelé. Que celle ou celui qui n’a jamais vu
un chat se mordre la queue me jette la première pierre...
Frédéric Piloquet Amiens
Télérama n° 2826 (Ça va mieux en le disant)
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PHRASES NOMINALES ET NOMINALISATIONS
I. PHRASES NOMINALES
VACANCES
Les vacances ! Voilà un sujet neuf ! Nous allons tâcher de nous y distinguer. Et d'autant plus
que nous sommes désintéressé dans la question. Nous n'en prenons pas, nous restons
tranquille dans notre maison, avec nos chiens, nos chats, auxquels s'est adjointe, depuis
quelques mois, une charmante guenon. Nous disons : « Vive les vacances ! » – pour les
autres.
C'est devenu une folie, du haut en bas de l'échelle sociale, tout le monde part. Le savetier,
adjoint à la boutique du charbonnier, au bas de la rue de Condé, a mis ses volets. Réouverture
le 1er septembre. Parti à la mer sans doute ? Des gens que je connais, qui ne bougent pas de
Paris, sont pour un mois sans leur femme de ménage. Cure de montagne, leur a dit cette
créature. Vous avez quelques fournisseurs attitrés chez lesquels vous allez chaque jour. Vous
arrivez avec votre sac à provisions. Fermé. Eux aussi, en villégiature. Ressemelez vos
souliers, faites votre ménage, nourrissez-vous comme vous pourrez. C'est inouï. Vous me
direz que tout le monde a bien le droit de changer d'air. Moi je vous répéterai : c'est inouï. En
ce sens que c'est nous maintenant qui sommes sous le bon vouloir de ces gens-là.
Évidemment, c'est amusant de partir en vacances. Décider du lieu où on va, consulter
l'indicateur (je n'ai jamais su m'y reconnaître), suer sang et eau à préparer ses colis, s'efforcer
de ne rien oublier, se chicaner sur tout cela avec son épouse si on a le bonheur d'en posséder
une – un bonheur assez répand – chacun voulant emporter toute la maison en reprochant à
l'autre tout ce qu'il emporte, se transporter dans des magasins pour l'achat de toilettes à l'usage
de madame qui veut là-bas éblouir les populations et pour soi-même de quelque complet
balnéaire, avec deux ou trois de ces chemises à col Danton qui sont de si bon goût et une
casquette non moins seyante qui vous permettra d'inspecter l'horizon maritime avec une
silhouette de connaisseur. Le jour du départ, quérir une voiture, s'y entasser avec sa famille et
ses paquets, se faire porter à une gare, chercher ses places dans un train, s'enfourner dans un
compartiment déjà à moitié plein d'autres gens, s'insérer entre eux au petit bonheur, en pestant
déjà, subir le charmant babil d'enfants qu'on jetterait avec plaisir par la portière, être réjoui par
les agréables odeurs que dégagent les voyageurs qui se mettent à leur aise, qui mangent et
boivent à chaque instant, qui dorment en ronflant et en se laissant tomber sur vous, avoir un
besoin à satisfaire sans pouvoir bouger, tirer sa montre toutes les demi-heures pour savoir où
on en est du parcours, arriver, avoir à descendre du wagon tout ce qu'on y a entassé : soimême, sa femme et ses paquets, réclamer un porteur qui file aussitôt à votre vue, chercher une
voiture qui est immédiatement prise par d'autres voyageurs, découvrir après bien des
recherches l'hôtel ou la pension de famille où on a retenu par lettre une ou deux chambres,
s'apercevoir que le bois de sapins pompeusement annoncé sur le prospectus de l'établissement
se réduit à trois arbustes rabougris au milieu d'une cour surchauffée par le soleil et parfumée
des odeurs de la cuisine, constater qu'il faut faire une demi-heure de chemin pour avoir un
journal, que le poisson vient de Paris où il est d'abord expédié pour revenir ensuite sur la table
de l'hôtel, acquérir cette opinion que la mer, à la plage, n'est pas très engageante, avec tous ces
gens qui se trempent dedans, jouir de la vue de tous ces baigneurs et baigneuses qui se
promènent à moitié nus, enchantés de se montrer comme s'ils étaient autant d'Adonis et de
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Vénus, subir toutes les questions de votre épouse qui vous demande chaque jour si on n'a pas
oublié de fermer le compteur, de mettre de la naphtaline dans les vêtements, de fermer le
secrétaire, de dire à la concierge de prier M. Untel de ne pas manquer de faire savoir à telle
autre personne qu'on est ici à Saint-Pol-de-Vic-sur-Ardèche, en Bresse, Vendée inférieure,
pour qu'elle donne de ses nouvelles, se disputer sur le choix des cartes postales illustrées que
madame veut envoyer à des amis qui s'en moquent pas mal, tout en ne manquant pas à votre
retour de vous dire à ce propos : « Comme c'est gentil de votre part ! », se trouver nez à nez
avec quelqu'un à qui on a dit à Paris qu'on partait pour Nice, « les plages trop fréquentées
n'étant plus supportables », lequel quelqu'un n'est pas non plus ravi de la rencontre, vous ayant
de son côté annoncé son départ pour les Baléares, se résigner, traîner, compter en secret les
jours, songer à l'appartement de Paris où tout – pour ainsi dire – a pris la forme de vos goûts
et de vos habitudes, se dire que le bonheur dans lequel on est n'aura qu'un temps, que c'est une
question de patience, enfin voir le jour du départ arriver, le train à reprendre le lendemain
matin, passer la journée à tout réempaqueter avec les mêmes paroles d'accord qu'au départ
avec son épouse, ne pas dormir de la nuit à l'idée du train à prendre au petit jour, s'entasser à
nouveau dans un compartiment avec tous les agréments déjà décrits, débarquer à Paris avec la
figure de bois, recherche d'un taxi, retour à la maison, trouver chez soi une poussière du
diable parce qu'on avait fermé une fenêtre seulement à l'espagnolette pour donner de l'air et
qu'il a été procédé en votre absence au ravalement de l'immeuble, entendre, à ce propos, de
plus belle, les compliments satisfaits de votre compagne, se laisser tomber sur une chaise,
regarder tous les colis posés çà et là, songer à toutes ces affaires qu'il faudra remettre en place.
Évidemment, c'est amusant d'aller en vacances.
Paul Léautaud
Voilà 15 août 1935
RECONNAISSANCE VOCALE : QUELS USAGES ?
D’abord, comment ne pas se laisser prendre au jeu ? Parler, observer les phrases s’inscrire
toutes seules à l’écran, piloter son logiciel à la voix, oublier, presque, clavier et souris. De la
technologie dernier cri, à portée de micro. Forcément spectaculaire.
Premier essai, donc. Dictée avec Via Voice d’IBM, dans Word, à vitesse de croisière. Sans
retenir ses mots, comme on le ferait avec un magnétophone. « Monsieur, suite à notre
conversation téléphonique du 8 mai 1999, veuillez noter que je n’ai toujours pas reçu votre
règlement de 350 F. Merci de bien vouloir rapidement faire le nécessaire. Toutefois, en cas de
difficulté, je reste à votre disposition pour... » Un sans-faute. Et encore, sans entraînement, cet
apprentissage progressif qui permet au logiciel de s’habituer et comprendre de mieux en
mieux la voix de son maître. Notez au passage cette délicate attention : le logiciel a
transformé de son propre chef la date et le prix. Ce n’est pas fini, reprenons la parole :
« système, mettre la deuxième phrase en gras ». Aussitôt dit, aussitôt fait. Étonnant.
On pourrait ainsi s’extasier longuement face aux mille et une possibilités des logiciels de
reconnaissance vocale. Et, de fait, ils sont devenus des outils très appréciés dans certaines
professions, radiologues et avocats essentiellement. Les deux principaux éditeurs de logiciels
de ce genre, IBM et Dragon Systems, proposent d’ailleurs des versions ou des dictionnaires
de vocabulaires spécialisés pour ces deux corps de métier qui représentent le gros des troupes
d’utilisateurs de la reconnaissance vocale. Des périphériques high-tech ont également vu le
jour pour étendre l’usage de ces applications : ainsi, de petits dictaphones, une fois connectés
à l’ordinateur, retranscrivent automatiquement à l’écran les paroles enregistrées. On devine
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encore les irremplaçables services que ces outils rendent par exemple aux handicapés ne
pouvant utiliser un clavier. Reste qu’à la maison, passé les premiers moments d’étonnement,
les démonstrations aux voisins et amis, il faut bien admettre que l’on ne sait plus trop quoi en
faire... Dicter trois ou quatre lettres à 390 F (59 E) le logiciel, cela fait quand même cher la
missive.
D’autant que, si ces applications font illusion pour le courrier administratif, elles se révéleront
moins inspirées pour celui du coeur. La poésie, en effet, n’est pas leur fort. Et Jacques Prévert
ne reconnaîtrait sans doute pas sa Complainte de Vincent revue et corrigée par une dictée
high-tech : « À Arles, où roule le Rhône, dans l’atroce lumière de midi, un homme de
phosphore et de sang pousse une obsédante plainte », qui devient : « Un ras le hall romain
dans la trace lainière de midi un homme de phosphore et de son profit la possédante
plainte ».
Olivier Zilbertin
Le Monde interactif, 19 mai 1999
II. NOMINALISATIONS
A New York, George Bush a capitalisé
les effets de la campagne de dénigrement de John Kerry
Selon un sondage publié par "Time", 52% des électeurs voteraient pour le président sortant,
contre 41% en faveur du candidat démocrate, si l'élection avait lieu aujourd'hui
La taille des classes peut être décisive pour la réussite des élèves
Dans un travail inédit, l'économiste Thomas Piketty montre qu'une baisse plus nette des
effectifs dans les établissements défavorisés pourrait permettre de réduire les inégalités.
Contre la plupart des études sur le sujet, il estime que cette politique peut être menée sans
dérive budgétaire
LA RENTRÉE scolaire est le cadre rituel des plaintes convergentes des parents sur les
classes surchargées et des enseignants sur l'insuffisance des moyens qui leur sont consacrés.
Dans ce contexte, le travail que vient d'achever l'économiste Thomas Piketty sur "l'impact de
la taille des classes et de la ségrégation scolaire sur la réussite scolaire dans les écoles
françaises" devrait relancer le débat sur les politiques à mettre en œuvre pour réduire les
inégalités scolaires. (...)
La réduction de la taille des classes a bel et bien un impact sur les résultats scolaires, quelle
qu'en soit l'ampleur, et ce d'autant plus que les élèves concernés sont issus de milieux
défavorisés. (...) Telles sont les conclusions de l'étude de Thomas Piketty, (...)
Dans son premier avis, le Haut Conseil de l'évaluation de l'école (HEEC), alors présidé par
Claude Thélot, faisait le tour des "recherches sur la réduction de la taille des classes" en
France et à l'étranger. (...) Pour être efficace, affirmait M. Thélot, la réduction de la taille des
classes doit être "brusque", puisque "la politique de réduction de la taille des classes,
conduite depuis trente ans, au fil de l'eau, n'est pas efficace" pour la réussite des élèves. (...)
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EMPHASE ET NÉGATION
Télérama n° 2645 - 20 septembre 2000 (p. 40-41)
Les sites médicaux prolifèrent sur le web
DITES @@@@@@ !
La rate qui se dilate, l'estomac qui va pas... Vrai malade ou simple hypocondriaque, vous
pouvez consulter le web. Qui facture parfois cher ses cyberconseils médicaux...
Maux de tête à répétition, barre sur le front, grosse fatigue, bref, ça ne va pas fort. Alors
cette fois-ci, vous allez changer de méthode : un clic de souris et vous voilà chez
notredocteur.com, un deuxième pour aller vers santeweb et un dernier sur Medisite, histoire
de confirmer le diagnostic. En quelques heures, celui-ci est établi, à domicile et gratuitement.
« Sinusite ou névralgie faciale », établissent les uns, « allez voir votre médecin », disent les
autres, et « impossible de trouver votre inscription », disent les derniers. À croire que,
finalement, rien ne vaut son bon vieux médecin de famille...
C'est que le web ne prétend pas être là pour soigner mais pour « faire du conseil ». Et
celui-ci ne manque pas. L'homéopathie au banc d'essai, « le risque trombo-embolique chez le
sujet âgé » à la loupe, l'avortement en « feuilleton à épisodes », la turista dans tous ses états, la
santé en Europe au quotidien ou encore l'alcool en bilan et perspectives. A chaque
traumatisme son web : Dental Espace pour les dents, Sparadrap pour les enfants hospitalisés,
Gyneweb pour les femmes, genou.com pour les genoux, pilado.com pour les ados... Au risque
de voir surgir de véritables cybercondriaques. Car l'appétit médical vient en surfant. De quoi
affoler les comptables de la Sécurité sociale.
Les praticiens du Net, eux, se veulent plus rassurants : « Si on augmente la prévention, on
comble le trou ! » Car Internet aide aussi à comprendre les analyses médicales, permet de
retrouver le contenu d'une notice de médicament égarée ou les coordonnées du Pr X,
spécialiste de la dégénérescence maculaire vitelliforme à l'hôpital Y. Derrière les écrans, des
équipes de journalistes spécialisés et de médecins, rémunérés au cyberacte, réalisent des
dossiers, compulsent l'actualité, répondent aux questions posées en direct, animent des forums
ou des émissions (travhealth.fr). « On délivre un avis, pas un diagnostic, et on refuse de
prendre en charge quelqu'un », précise-t-on à Medisite. Aucune prescription médicale n'est
donc livrée via ces sites médicaux.
Encore peu usitée des Français, la médecine virtuelle, qui fait un tabac aux Etats-Unis (70
millions de consommateurs estimés), est un véritable concentré d'expertises pour le malade
virtuel ou réel. Florence se souvient, à la naissance de son fils Théophile il y a deux ans, avoir
passé des heures et des heures à surfer à la recherche d'informations sur l'hyperinsulinisme,
une maladie génétique orpheline extrêmement rare. Et avoir trouvé pléthore d'articles
scientifiques, contacts de spécialistes, cas identiques, propositions de traitement. « Orphanet
notamment a été une véritable mine d'or », se réjouit-elle encore. Base de données vouée aux
maladies rares et aux médicaments orphelins, le site « a pour objectif d’aider les
professionnels de la santé, les chercheurs, les malades et leur famille à trouver les
informations dont ils ont besoin ».
Le rôle du Net est « stratégique pour l'aide à la connaissance », affirme Stefan Darmoni,
webmaster au site du CHU de Rouen, la référence française de l'« e-santé » (7 000
connections par jour), dont l'objectif est la vulgarisation des données scientifiques pour le
grand public, via notamment sa base de données Doc'CISMeF. L'idée est de « donner aux
gens une vraie culture de la santé », ajoute Etienne Patricot, rédacteur en chef à Medisite (8
11
000 connexions par jour). Une ambition affichée par l'ensemble du corps médical virtuel, on
s'en aperçoit sur les sites en vert chirurgien et blanc blouse d'infirmière : même s'ils sentent
l'éther à peine leur page d'accueil ouverte, y a qu'à cliquer pour se sentir déjà mieux. « Les
patients veulent de plus en plus d'informations sur ce qui se passe, se fait ou doit être fait »,
note le Dr Dewulf, directeur médical de Planet Medica (environ 50000 connections par jour).
L'épidémie de sida a été le déclencheur. « Tout d'un coup, le médecin s'est retrouvé face à des
patients aux connaissances béton sur la question », explique Etienne Patricot. Comme ils
allaient hier voir leur pharmacien ou compulsaient des magazines spécialisés, les
consommateurs de santé consultent désormais Internet. « C'est une prise de pouvoir du grand
public qui est en train de se jouer », confirme Etienne Patricot. De moins en moins patient, de
plus en plus acteur, le malade devient « partenaire », posant les bonnes questions et changeant
le niveau de discussion avec le thérapeute. Or, « la qualité de traitement est directement liée à
l'éducation », assène Stefan Darmoni. « Un voyageur informé est quelqu'un qui ne reviendra
pas malade », remarque Jean-Philippe Leroy, chargé de la rubrique santé voyages sur churouen.fr.
Toutes les blouses blanches n'éprouvent pourtant pas le même engouement pour
l'information du malade. « C'est souvent dans la transgression, à l'insu du médecin, que le
patient s'informe », note Jean Gautier, médecin généraliste. « Le partage de l'information
médecins-grand public n'est pas encore dans les moeurs », poursuit Etienne Patricot. Et
d'aucuns s'affolent d'avoir affaire à « des gens qui en savent trop », glisse le Dr Dewulf. « La
profession est remarquablement en retard », ose-t-on même.
Rares sont ceux, en effet, qui ont résolument opté pour l'informatique comme le Dr
Gautier, dont le cabinet est équipé en ordinateurs depuis 1987, dont l'adresse e-mail figure sur
les ordonnances et qui irait presque jusqu'à prescrire une bonne dose de www à chaque client :
aujourd'hui, seulement 5 % des médecins, pourtant informatisés à 50 %, utilisent le web dans
une optique professionnelle. Mais les partisans d'Internet veulent croire au bien-fondé d'une
émulation réciproque entre le médecin et le malade. « Si vous ne le faites pas, vos patients le
feront pour vous », s'évertue à répéter Stefan Darmoni à ses collègues. « Et puis la vie n'est
pas faite que de 0 et de 1, rétorque Etienne Patricot aux plus réfractaires. La toux du patient
qui se fait plus rauque qu'à la dernière consultation, la présence physique du malade, son
discours, tout ce qui est impalpable en médecine, Internet ne pourra jamais le remplacer. »
Pas plus qu'il ne pourra remplacer les « huit ans d'études ».
Reste un détail : les enjeux financiers. Si certains, comme le CHU de Rouen ou le
ministère de la Santé, mettent un point d'honneur à offrir gratuitement de l'information de
qualité, d'autres n'hésitent pas à faire du conseil payant. Fiches « conseils personnalisés » à
6,55 F sur Traveling-Doctor, ou 27 dollars par an pour un pack santé voyages sur
travhealth.fr... En France, « la médecine n'est pas encore un commerce », affirme Christophe
Duvaux, directeur exécutif de l'Ordre des médecins. « Mais il faut bien payer l'éditorial et le
médical par du commercial, dit le directeur de Planet Médica, c'est aussi clair que ça. »
La transparence n'est pourtant pas le fort des sites web médicaux. Trouver qui se cache
derrière ces sites, c'est encore pire qu'un parcours en hôpital. Comme souvent, c'est après des
pages et des pages que l'on finit par comprendre pourquoi notredocteur.com, bébé de Netlab
SA, vendeur de produits cosmétiques, n'oriente son information que vers les questions
esthétiques... Planet Medica affirme pour sa part qu'un tiers des sommes utilisées pour créer le
site provient de l'industrie pharmaceutique. Medisite se défend d'avoir puisé dans la manne
« de l'argent professionnel » pour financer son investissement de 100 millions de francs.
Le Conseil national de l'Ordre des médecins s'interroge évidemment sur « l'exercice de la
médecine et Internet ». Pour l'instant, il ne va pas plus loin que la mise en ligne de la liste de
tous les médecins en activité, mais il réfléchit à la possibilité de certification de sites. Lors du
congrès sur l'e-santé organisé en mars dernier par l'atelier de veille technologique de BNP12
Paribas, Christophe Duvaux, directeur exécutif de l'Ordre, déclarait : « Il est hypocrite de
déclarer que nous ne pratiquerons jamais la médecine en ligne: elle existe déjà dans les faits.
Il s'agit, maintenant, de l'encadrer correctement. »
Cécile Cau
Paris-Soir, 18 mai 1934
LE LANGAGE EN CONSERVE
Rien n'empêche (on n'a pas tellement d'occasions de se distraire par les temps qui courent),
rien n'empêche, dis-je, de se représenter dès maintenant en quoi consisteront plus tard les
caractéristiques de notre époque.
Tout permet de supposer que notre époque ne brillera pas dans l'Histoire :
ni par la douceur de ses moeurs,
ni par la rapidité de ses enquêtes judiciaires,
ni par la tolérance des partis politiques les uns envers les autres,
ni par la sécurité de la circulation,
ni par l'amour de la poésie en général, ni par l'amour des pièces en vers en particulier.
En revanche, elle resplendit pour ses trouvailles scientifiques, puisqu'en un demi-siècle elle a
réalisé cent fois plus de merveilleuses découvertes que l'humanité n'en avait élaboré depuis
l'invention du feu, à l'âge de la pierre et de l'amadou conjugués, du levier à soulever le monde,
de la brouette et du fil à couper le beurre.
Les trouvailles modernes qui, aux yeux de l'avenir, nous poseront tous en bloc comme des
gens fameusement intelligents – les crétins bénéficiant, avec le recul du temps, du voisinage
des hommes de génie – seront succinctement énumérées : l'automobile, à la fois locomotion
délicieuse et doublure de l'ancien choléra dans les statistiques de la mortalité ; le téléphone,
qui amplifie les relations mais complique les maladies nerveuses ; le phonographe et la TSF,
qui, dans les immeubles, à côté de l'eau et du gaz, mettent le bruit articulé ou musiqué à tous
les étages.
Une des découvertes les plus étonnantes de ce temps, c'est vraiment la mise en conserve de la
parole...
On fait couramment, aujourd'hui, de la conserve de langage, et il suffit d'ouvrir la boîte pour
en consommer la quantité que l'on désire. C'est de cette conserve, portant la bonne marque de
fabrique du président Doumergue, que l'on vient d'offrir à tous les citoyens aux écoutes. La
recette est simple, un monsieur s'assoit entre quatre murs, n'importe où, devant un petit
appareil dont une infime minorité de gens savent en quoi il consiste, et il parle... Quand le
monsieur a dit ce qu'il avait à dire, on prend la galette ronde, mince, noire, luisante et striée
circulairement, et on la met dans un autre appareil aussi mystérieux pour le commun des
mortels. On déclenche on ne sait quoi, et voici que l'expression du bon sens, du désir du bien
public et de la bonne volonté civique, renversant virtuellement les quatre murs, s'en va à
travers le monde narguant les obstacles matériels, y compris les courants d'air, et pénétrant
aussi bien, en style romantique, dans les palais que dans les chaumières.
La livraison de la conserve de langage se fait invisiblement à domicile, sans camion, sans
livreurs attardés chez le bistro. Et le curieux, c'est que, grâce à l'enregistrement diffusé,
l'orateur, au moment même qu’il parle, peut être en train de faire un bon somme, de se
promener la canne à la main ou de soigner une extinction de voix radicale. Toute invention,
fût-elle géniale, ressemble à une médaille : elle a son revers... Ce n'est pas, hélas, uniquement
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à diffuser des appels à l'union sacrée que sert la collaboration du micro, du disque, de la TSF
et de l'amplificateur, mais à diffuser n’importe quoi... Et dans le tas, que de déchet ! La
mécanique, c’est la mécanique, c’est-à-dire un simple esclave de l’esprit vivant qui l’anime et
l’inspire. Elle diffuse avec autant d’application le bavardage oiseux et la communication d’un
intérêt vital, l’éloquence et le bafouillage, le pour et le contre, l’utile et le nuisible, le chaud et
le froid ; et là encore le dernier mot reste à celui qui sait s’adjuger les leviers, ou plutôt les
boutons de commande.
Malgré tout, déplorons que la mise en conserve du langage n’ait pas été inventée il y a
quelques siècles. De quel intérêt prodigieux serait à présent pour nous l’enregistrement
pratiqué au cours des âges des grands mots de l’Histoire ! Imaginez-vous le son des mots
historiques parvenant à nos oreilles avec la voix d’origine ? Le « Pends-toi, brave Crillon ! »...
d’Henri IV ? Le « Il n’y a plus de Pyrénées » de Louis XIV ?... Oh ! entendre la voix
authentique de Napoléon Ier en Égypte estimant à quarante le nombre des siècles assis sur les
pyramides, ou souhaitant le bonjour au soleil d’Austerlitz !... Que dis-je ? dans
l’enregistrement diffusé du brouhaha de Waterloo, se rendre compte, en écoutant bien, si
Cambronne l’a dit ou ne l’a pas dit !
Miguel Zamacois (1866-1940)
Le Figaro Magazine, 31 janvier 1998
C’ÉTAIT LE PARADIS ET NOUS NE LE SAVIONS PAS
Je suis né assez tard dans le siècle pour n'avoir pas connu la Belle Époque, et assez tôt
néanmoins pour me souvenir d'un temps où presque tout allait encore bien. À la maison, on
parlait à mi-voix de l'alcoolique du quartier et j'ai attendu trois décennies avant de rencontrer
un drogué. L’opium était une substance à la fois vénéneuse et mythique dont on savait
seulement qu'Henri de Monfreid et André Malraux en faisaient qui le commerce, qui ses
délices, étant admis que l'enfer des paradis artificiels n'accueillait que les créateurs de génie et
que le vulgum pecus, lui, devait se contenter, dans le plus mauvais cas, de boire pour oublier
qu'il n'avait pas de talent.
Les graves maladies étaient moins inquiétantes puisqu'on ne les diagnostiquait que très tard et
qu'on les évoquait par de pudiques périphrases. Ainsi mourait-on plus vite après des
traitements moins longs qui ne grevaient pas le budget des assurances sociales. Le verbe
« chômer » s'employait surtout dans sa forme négative : de mon grand-père qui, à soixantequinze ans, se rendait encore matin et après-midi au bureau, on disait qu'il ne chômait pas.
Ceux qui, par extraordinaire, n'avaient pas d'emploi ne passaient pas pour des foudres de
courage et n'essayaient pas de se complaire dans l'oisiveté et de prier le bon Dieu de ne pas les
soustraire à cet état. Les rares patrons qui faisaient faillite péchaient par impéritie et
n’accusaient pas la conjoncture. Le fisc avait la main légère, se désintéressait des petites gens
et ne prétendait pas être le principal héritier des pauvres morts. On pouvait nourrir une famille
et épargner suffisamment pour acheter à la Bourse des valeurs auxquelles s'ajoutaient chaque
année des actions distribuées par des firmes qui n'annonçaient pas, à quinze jours d'intervalle,
un record de bénéfices et une vague de licenciements. Les politiciens, majoritairement
recrutés parmi les notables aisés, émergeaient du corridor de la tentation les poches moins
lourdes qu'aujourd'hui. Le président de la République chassait plus souvent le faisan à
Rambouillet que le président du Conseil de Matignon. Les ministres, qui ne sortaient pas
encore de l'ENA, n'en étaient pas moins polyvalents, qui pouvaient, avec une égale
compétence, passer de la Guerre aux Finances, ou des Anciens Combattants aux Beaux-Arts.
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Le bidasse le plus demeuré n'ignorait pas que l'ennemi tutélaire se situait par-delà la ligne
noire du Rhin et remplissait plutôt gaiement ses obligations. On reconnaissait les
ecclésiastiques à leur tenue de travail et les anarchistes à leur col ouvert. Les forces de l'ordre
discutaient davantage avec les manifestants qu'avec leurs ministres. Les magistrats se
drapaient à la fois dans l'hermine et dans la réserve. Les médecins ne publiaient pas en
librairie les bulletins de santé de leurs clients illustres.
Les escrocs s'intéressaient déjà à la politique mais sans tâter personnellement du suffrage
universel. Pas encore inventé, l’abus de biens sociaux épargnait des patrons plus ardents à
créer des emplois qu'à les supprimer. Le soir, avant de quitter leurs bureaux, les comptables
ne mettaient pas en marche les ordinateurs destinés à les remplacer complètement le jour. Les
écoliers apprenaient très tôt à lire des romanciers qui avaient des histoires à raconter. On
enseignait prioritairement l’histoire et la géographie de la France. Les sciences ne faisaient
aucune ombre aux lettres. Le dimanche, à l'heure du dîner, on écoutait à la radio le concert
classique annoncé par un speaker qui jouait de sa voix comme d’un violoncelle. C’était le
paradis et nous ne le savions pas.
Un bon demi-siècle s’est écoulé durant lequel de plus en plus de technocrates dévoués et de
penseurs altruistes se sont penchés sur notre sort. Les règlements et les lois se sont succédé à
un rythme épuisant. Jamais les hommes politiques n’ont passé autant de temps à se
préoccuper du bonheur des citoyens et jamais les citoyens n’ont été aussi malheureux, qui, en
quelques décennies, ont perdu leurs repères, leurs économies et leur emploi. Rien ne va plus
nulle part. Du haut en bas de l’échelle sociale, les gens clament leur déconvenue, manifestent
quand ils n’ont pas de travail, font la grève quand ils en ont, votent à tort et à travers ou
s’expatrient. Certes, on vit plus vieux et la misère n’est plus la grande muette, mais, en
doublant le nombre de ses habitants, la France a décuplé celui de ses sujets de
mécontentement.
Philippe Bouvard
La Gazette n° 959 – 3 novembre 2006
Rumeurs et chuchotements
TRAM : UNE GRATUITÉ QUI FÂCHE
C’est la grande idée de Jacques Domergue : « Si je suis élu à la mairie de Montpellier, le tram
sera gratuit » avait-il lancé au printemps dernier. Le député UMP récidivera ce mercredi 8
novembre lors d’une rencontre publique (à 18h30 au Mercure Antigone). Or, cette proposition
fait dresser les cheveux sur la tête à un autre député UMP : Jean-Pierre Grand, maire de
Castelnau. Les deux hommes – le premier est pro-Sarkozy, le second pro-Villepin – ne
s’apprécient guère, mais là, les divergences dépassent les querelles de personnes. « Cette
proposition, dit Grand, me fait dresser les cheveux sur la tête tellement elle est démagogique
et irresponsable : le tram gratuit, c’est pure folie ! » Le député-maire de Castelnau avance
deux arguments :
1. « La gratuité, ça n’existe pas, il y a toujours quelqu’un qui paie : il faut savoir que la
gratuité du tram n’est pas possible sans la gratuité des bus, or les recettes représentent
aujourd’hui, chaque année, 25 millions d’euros (164 millions de francs), soit près de la moitié
du coût du service, et plus demain avec la deuxième ligne de tram. Qui paierait ? Ceux qui
paient la taxe professionnelle, seule fiscalité que perçoit l’Agglo ! Donc les commerçants, les
artisans, les professions libérales et toutes les entreprises. C’est anti-économique. D’autant
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que les économies induites (les vendeurs de ticket, les contrôleurs) n’excéderaient pas 3
millions. Et seraient largement contrebalancées par la nécessité d’acheter d’autres rames,
d’embaucher d’autres conducteurs... pour faire face à la hausse du trafic aux heures de
pointe. »
2. « Cela créerait une logique infernale. Nous les maires, nous nous efforçons de sensibiliser
les usagers au coût des services publics. Et Nicolas Sarkozy a proposé récemment, à
Périgueux, la notion de « droit opposable », permettant aux citoyens de faire valoir leurs
droits devant les tribunaux, face aux collectivités qui ne leur offriraient pas les services qu’ils
seraient en droit d’attendre. Cela veut dire que pour les logements, les crèches, les transports,
chacun pourrait exiger une place en crèche, un logement, un bus. Et voilà que Jacques
Domergue, qui est un fan de Sarkozy, demande en plus que les transports publics soient
gratuits ! Il n’y a aucune raison que cette logique infernale ne conduise les usagers à
demander la gratuité des crèches et autres services publics. C’est pure folie. Car il y a toujours
quelqu’un qui paie ! »
Réponse musclée de Jacques Domergue attendue pour mercredi au Mercure, et vendredi
prochain dans ces colonnes.
La Gazette n° 960 – 10 novembre 2006
Rumeurs et chuchotements
TRAM GRATUIT
Jacques Domergue, candidat UMP aux municipales de 2008 à Montpellier, persiste et signe :
« La gratuité du tram que je ferai voter si je suis élu maire, c’est un acte de foi dans les
transports en commun. Cela coûtera environ 8 millions d’euros par an, soit moins de 1 % du
budget de l’Agglo. Et ce ne sont pas les entreprises qui paieront : nous n’augmenterons pas la
taxe professionnelle, nous financerons cette mesure en supprimant certains investissements
moins essentiels. La gratuité, c’est un choix budgétaire, c’est un choix politique, comme pour
la gratuité des livres scolaires à la Région. » Des chiffres contestés par l’Agglo : « Le manque
à gagner ne serait pas de 8 millions d’euros, mais, chaque année, d’au moins 26 millions
d’euros ! En comparaison, les livres scolaires, c’est 6 millions d’euros, cela concerne tous les
lycéens, pas seulement les usagers, c’est pour toute la région, et ce n’est pas chaque année ! »
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DISCOURS RAPPORTÉ
Aujourd’hui en France (30 octobre 2000, p. 16)
Bavure
UN TUNISIEN ENRÔLÉ DE FORCE DANS L’ARMÉE FRANÇAISE
Alors que le service militaire obligatoire est en passe de disparaître, la mésaventure vécue ces
dernières semaines par un jeune Tunisien venu passer une semaine de vacances en France
paraît incroyable. Medhi Bader, 25 ans, a été enrôlé de force et par erreur dans l’armée
française. Il a fallu deux mois pour que cet étranger parvienne enfin à se faire entendre et
retrouve sa liberté et son pays.
Le parcours du combattant de Medhi a débuté le 4 juillet dernier, à l’aéroport de Strasbourg.
« Je venais pour retrouver quelques jours ma cousine qui habite avec sa famille en Allemagne,
à 30 kilomètres de Strasbourg, raconte le garçon. Les douaniers ont bizarrement regardé mes
papiers et m’ont dit d’attendre. Deux minutes plus tard, deux gendarmes sont venus m’arrêter
en m’expliquant que j’étais insoumis. Je ne connaissais même pas ce terme. Alors ils m’ont
dit que j’étais recherché depuis décembre 1996 pour ne pas avoir fait mon service militaire. »
Interpellé sous les yeux de sa famille, Medhi tente d’expliquer aux gendarmes qu’il est
effectivement né en France en juin 1975, à Paris, mais qu’il habite en Tunisie depuis l’âge de
3 ans, et qu’il est donc de nationalité tunisienne comme son visa et son passeport l’attestent.
Rien n’y fait. « C’était un vrai cauchemar, se souvient le touriste. Devant moi, ils ont sorti un
dossier où apparaissaient le nom de mes parents, mon lieu et ma date de naissance et où il
était noté que j’étais bien Français. Je commençais à me dire que je devenais à moitié fou et
qu’ils avaient raison. »
Deux jours plus tard, Medhi était incorporé au 1er régiment du génie de l’armée de terre, à
Illkirch (Bas-Rhin). « J’étais coincé là-bas alors que je devais poursuivre mes études de
mathématiques et m’inscrire en maîtrise, enrage encore le « deuxième classe Bader ».
En plus, depuis que mon père est décédé il y a trois ans, je suis l’aîné de ma famille et j’aide
ma mère à gérer une auto-école. » Le 24 août, Medhi reçoit un ordre de mission pour se
rendre à Villejuif (Val-de-Marne) afin de se faire délivrer un certificat de nationalité française
pour régulariser sa situation. Mais, une fois sur place, le greffier en chef du tribunal d’instance
lui explique qu’il n’est effectivement pas Français et n’a donc rien à faire dans notre armée.
Medhi décide de prendre conseil auprès d’un avocat.
« Le pire, c’est qu’il ne peut plus revenir en France »
« En fait, cette situation ubuesque est liée à une grossière erreur administrative et, d’après
l’ambassade de Tunisie à Paris, ce n’est pas la première du genre, commente Me Daniel
Richard. M. Bader est bien né en France, mais comme il n’y a pas résidé entre 13 et 18 ans, il
n’a pas acquis la nationalité française et n’avait donc pas à effectuer son service ici. Le pire,
c’est qu’aujourd’hui il ne peut plus revenir en France comme il le veut. Il avait un visa de
court séjour qu’il a largement dépassé malgré lui et il est aujourd’hui interdit de l’espace
Schengen. » Medhi entend bien obtenir réparation de son préjudice. « J’ai vraiment vécu ça
comme si on me mettait en prison pour une faute que je n’ai pas commise », conclut-il. Medhi
Bader a regagné hier la Tunisie.
Stéphane Albouy
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Télérama n° 2839 – 9 juin 2004
Télévision
Euro 2004 : le subtil métier de commentateur
Le coup du sombrero, c’est quoi ? Qu’en pense le consultant ? Et qui m’a fichu un arbitre
pareil ? Toutes les finesses d’un art oratoire magnifié par le tandem Roland-Larqué.
« Oulalalala, attention !!! »
C’est parti pour trois semaines de football bien tassées. « Un petit coin de ciel bleu pour
oublier les guerres », comme dirait Thierry Roland. Trente-et-un matchs en direct sur TD1 et
Francetélévisions – qui se partagent les droits de l’Euro 2004, compétition qui oppose tous les
quatre ans les meilleures équipes nationales du continent. Au-delà des performances des
footballeurs, la qualité des retransmissions repose entre les mains des commentateurs sportifs,
qui exercent une forme de journalisme bien particulière, pour son jargon, ses figures imposées
et son chauvinisme de bon aloi.
Une lourde responsabilité. Qu’on y songe : pas un animateur dans l’Hexagone ne peut se
vanter d’avoir parlé à autant de téléspectateurs que l’indéboulonnable tandem Thierry Roland
et Jean-Michel Larqué, qui officie depuis maintenant un quart de siècle. Ils sont devenus,
faute de mieux et à force d’exposition, la voix officielle d’un sport qui n’a jamais été aussi
ppopulaire. Thierry Roland pratique, il est vrai, un art à nul autre pareil. Il sublime la
goujaterie ordinaire dans un langage aisément compréhensible et pourtant bien à lui. Face à ce
duo, la concurrence s’est résignée. Pas un commentateur n’ose la critique frontale : « Ils ont
inventé un style, des expressions que la France entière connaît. Ils ont leurs marionnettes aux
Guignols. Personne ne peut lutter », lâche un commentateur d’Eruosport. En réalité, résume
un autre, « il y a deux styles de commentaires : celui de Canal, destiné à des spécialistes, et
celui de TF1, qui s’adresse habilement à monsieur Tout-le-monde. Les autres chaînes
naviguent entre les deux, sans rien inventer ».
Et avant, c’était comment ? Coupe du monde 1970, Mexique. Pour la première fois, la
compétition est retransmise en couleurs et en direct. Michel Drucker et Michel Drhey sont au
micro. Le ton est neutre. Le grand public, peu exigeant. Les deux journalistes, pas vraiment
spécialistes, se passent la parole au rythme mou de la réalisation. « À cette époque, il y avait à
peine deux ou trois caméras sur les matchs, rappelle un technicien. C’était visuellement
soporifique, et les commentateurs ne se lâchaient pas. Ils décrivaient simplement ce qui se
passait sous leur nez. La technique posait des problèmes permanents, et les gars
commentaient dans des conditions déstabilisantes. » Quinze ans plus tard, les jalons du
commentaire moderne sont posés pour de bon. Canal+ a dynamisé les retransmissions en
multipliant caméras et micros d’ambiance. La tchatche acrobatique d’un Didier Roustan (« tir
croisé de... Playtex »), les statistiques de Charles Biétry et les infos « coulisses » de Michel
Denisot tentent de faire partager aux téléspectateurs l’ambiance du stade. Il s’agit désormais
de raconter une histoire à l’antenne, avec ses à-côtés, ses potins.
Mais le changement principal s’est produit quelques années plus tôt, quand TF1 a l’idée de
substituer au traditionnel duo de journalistes présentateurs un tandem « journalisteconsultant ». Thierry Roland et Jean-Mimi (ex-meneur de jeu de Saint-Étienne) sont les héros
de cette avancée révolutionnaire du commentaire sportif. Après eux, tout le monde suivra et
accolera au journaliste un « consultant ». Le profil du poste ? Avoir pratiqué ou entraîné à
haut niveau. Savoir conjuguer les principaux verbes et disposer d’un important vocabulaire
« technico-tactique ». Avant l’avènement du consultant, le téléspectateur devait se contenter
d’approximations : un joueur « dribblait son adversaire ». Il réussit maintenant « le coup du
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sombrero suivi d’un double contact et d’un petit pont ». Un nouveau langage se popularise.
Les footballeurs de salon parlent enfin une langue étrangère.
Toutes les chaînes ayant adopté le principe du binôme, la différence se fait désormais sur la
qualité du consultant. Dénicher l’oiseau rare (pour l’Euro, France2 disposera de Laurent
Blanc, TF1 de l’entraîneur d’Arsenal, Arsène Wenger) est devenu un véritable enjeu, surtout
avec l’inflation du nombre de matchs retransmis. « La notoriété d’un candidat peut, faute de
mieux, contrebalancer une diction difficile – Aimé Jacquet – ou une totale absence de
dispositions – Jean-Pierre Papin », note de façon assez pragmatique l’excellent magazine Les
Cahiers du foot. Depuis la tentative d’Éric Cantona, qui, pendant la Coupe du monde 1994,
déclara d’un ton badin sur France2 : « Au Brésil, il n’y a que des travelos, des putes et des
joueurs de football », la méfiance est de mise. Mieux vaut un Olivier Rouyer (Canal+), à la
syntaxe souvent approximative, qu’un incontrôlable fût-il populaire.
L’un des rôles principaux du consultant est de savoir ce qui se passe dans les vestiaires. Grâce
à son réseau dans le monde secret du foot pro, il doit combler les temps morts en informant le
téléspectateur des rumeurs de transferts (généralement lues dans le journal L’Équipe),
mentionner des brouilles entre joueurs sur le ton de la confidence, ou encore faire des
supputations sur la « causerie » de l’entraîneur à ses troupes : « Jacques Santini a dû remonter
les bretelles de ses défenseurs », entendra-t-on, de préférence à « Je ne sais vraiment rien de
ce qui a pu se dire dans le secret des vestiaires », pourtant plus proche de la réalité.
Une bonne couverture de match ne saurait se dérouler sans l’intervention d’un troisième
homme : le « consultant de terrain ». Inventé par Charles Biétry dans les années 80, il a la
charge des interviews expresses... sur le terrain. Tout un art. La question ne doit être ni trop
longue ni trop compliquée et, si possible, contenir la réponse : « Didier, vous avez dominé la
première mi-temps. Quel sera votre objectif dans cette seconde période, marquer un but
rapidement ? » Satisfait, le joueur peut alors briller. « Au contraire, je dirais qu’il faut
marquer très vite et continuer comme ça... » Tape amicale sur l’épaule du joueur, pour
montrer à la France son intimité avec la star : « Bon match, Didier ! » Mise en confiance, la
star n’hésitera pas à s’arrêter la prochaine fois. Pour le reste, la mission du consultant de
terrain se limite à parler de la météo (« il pleut », « La pelouse est grasse ») et à annoncer des
infos sans intérêt, comme les changements de joueurs ou le temps additionnel, dont personne
ne semble lui avoir jamais dit qu’elles s’affichent à l’écran. Bref, un job ingrat, dont certains
se tirent avec humour, comme l’hirsute et décalé Laurent Paganelli, de Canal+.
Au fil du temps, les commentateurs se sont vu imposer de nouvelles figures de style. Un
match de foot ne saurait plus être complet sans quelques plans des tribunes. Outre une
sélection de supporters pinturlurés, d’animateurs de la chaîne ou d’un people quelconque
(« Francis Lalanne, grand amateur de football devant l’Éternel »), on peut également
compter sur le réalisateur pour insérer une image du chef du service des sports, voire du PDG
de la chaîne. Charge au commentateur de saluer avec révérence la présence du patron
(généralement inconnu du téléspectateur). Les arrêts de jeu sont également propices au
copinage et autres renvois d’ascenseur. Thierry Roland n’a pas son pareil pour « souhaiter un
prompt rétablissement » à une personnalité à l’hosto, assurer la promo du livre « vraiment
épatant » d’un collègue, et l’on peut compter sur Jean-Mimi pour mentionner « un tournoi de
sixte » (football à six) organisé par un copain dans son Sud-Ouest natal... Entre ces morceaux
de bravoure journalistique, le commentateur fait son boulot. Logorrhée descriptive pour le
journaliste : « Zidane... dans l’axe vers Vieira... Vieira qui écarte sur Pires. » Interventions
pittoresques du consultant, au choix : « Après ce deuxième but français, ils en ont pris un
coup derrière la lunette, les Anglais », « ils courent dans le vide... » Ou, mieux : « Attention,
rien de plus dangereux qu’un Anglais touché dans son orgueil ! Méfiance ! Méfiance ! »
C’est dans les confrontations internationales comme l’Euro que le binôme peut donner libre
cours à son chauvinisme. Et étaler sa culture : « L’arbitre parle admirablement la langue de
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Goethe » (ou, au choix, de Shakespeare, de Cervantès...). À force de voyager, le binôme en
connaît un vrai rayon sur les peuples du monde. Notons que, dans toutes les bouches, l’Italien
est « truqueur ». Il « simule » des fautes. L’Allemand pallie son manque de finesse technique
par des « qualités physiques au-dessus de la moyenne ». L’Anglais aime la bière et les matchs
d’hommes, « le fameux “ fighting spirit ” ». Les équipes africaines se composent de « beaux
bébés » et compensent leur « manque de rigueur tactique » (en clair, ils font n’importe quoi)
par une « joie de jouer enfantine » (sous-entendu « les simplets », avec une pointe de
paternalisme postcolonial). Quant aux inadaptés joueurs nordiques, rouges et suants dans la
chaleur estivale des grandes compétitions, ils ont « physiologiquement du mal à répondre
présent dans les duels ».
On note également depuis quelques saisons que le défaitisme congénital de Jean-Michel
Larqué a fait des émules. Désormais, tout consultant qui se respecte doit donner des ulcères
aux pauvres téléspectateurs. Un tic comprtemental, particulièrement agaçant, qui consiste à
hurler « OULALALALA ! ATTENTION !!! » au moindre corner (« “ coup de pied de coin ”,
comme disent nos amis belges »). Les hurlements frôlant la démence dès que la star adverse
touche le ballon, même à 50 mètres de nos buts : « AÏE ! AÏE ! AÏE ! IL FAUT LE
SURVEILLER COMME LE LAIT SUR LE FEU ! OULALALALA ! »
« Le journaliste sportif se double toujours d’un partisan. Il existe entre lui et le milieu du
sport une bienveillance de principe, une connivence », écrivait Bernard Poiseuil dans son
essai Football et télévision. Sous peine de ne plus avoir accès aux principaux joueurs, le
journaliste doit mesurer ses propos. La règle du donnant-donnant a atomisé l’esprit critique.
Le commentateur peut se permettre de stigmatiser un remplaçant bulgare « qui n’a pas le
niveau » ou un entraîneur croate « pas très sympa ». Mais jamais un titulaire de l’équipe de
France. Les effets secondaires seraient trop pénalisants pour la chaîne. Mais, signe des temps,
l’exportation de nos meilleurs joueurs met parfois le pauvre commentateur dans une situation
complexe. Ainsi, lors du récent match de champions league entre Chelsea (où évoluent les
Bleus Marcel Desailly et Claude makelele) et Monaco, l’embarras de Jean-Mimi et Thierry
était palpable. Partagés entre leur soutien naturel à Monaco, équipe « tricolore », et l’envie de
souligner la belle performance « du grand Marcel au sein de la défense anglaise », le binôme
s’en tirait sans problème, quand le pire arriva : bourre-pif impardonnable de Desailly sur un
Monégasque, puis simulation grotesque et indigne de Makelele qui entraîne l’expulsion d’un
adversaire. Applaudissements de Desailly vers l’arbitre (qui vient de se tromper)... Gros
malaise à l’antenne. Flottement. On entend quelque chose comme « l’arbitre était loin de
l’action ». Un sommet...
La bande son de l’Euro 2004 sera donc un festival de radotages pardonnables, de
pleurnicheries – justifiées ! – contre l’arbitre, de hurlements chaleureux et de considérations
« sur la glorieuse incertitude du sport ». L’essentiel sera « de participer, comme disait le
baron de Coubertin ». Avec ou sans le son, c’est vous qui voyez.
David Angevin
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Aujourd’hui en France 7 décembre 2005 (p. 14)
LES FAITS DIVERS
Violences urbaines
Le rapport explosif des renseignements généraux
Après les émeutes urbaines qui ont embrasé la France, la Direction centrale des
renseignements généraux (DCRG) s’est efforcée d’analyser ce phénomène inédit. Une
« photographie » des violences urbaines, résumée dans un document confidentiel daté du 23
novembre, tord le cou à quelques idées reçues : le mouvement n’était ni organisé ni manipulé,
mais s’apparente à une « révolte populaire des cités ». Pour les RG, la France a basculé de la
« guérilla urbaine » à l’« insurrection urbaine ». Le principal ressort des émeutiers n’est pas
l’origine ethnique ou géographique, mais leur « condition sociale d’exclus de la société
française ». En clair, « restreindre les derniers événements à de simples violences urbaines
serait une erreur d’analyse ».
Ces propos relativisent les déclarations de nombreux acteurs policiers et judiciaires, qui ont
dénoncé à chaud des groupes organisés, mafieux ou islamistes. Ils mettent à mal l’idée d’une
réponse restant dans le registre du « tout-sécuritaire ». Nicolas Sarkozy, ministre de
l’Intérieur, en déplacement le 7 novembre à Evreux, où un policier avait été blessé lors de
graves incidents, évoquait des « agressions multiples et organisées qui n’avaient rien de
spontané ». Dans une tribune publiée dans « le Monde » du 6 et 7 novembre, il brandissait en
creux cette menace : « La police est la police de la République. Elle assure l’ordre de la
République. Si elle ne le faisait pas, quel ordre lui succéderait ? Celui des mafias ou des
intégristes. » Le procureur général de la cour d’appel de Paris, Yves Bot, a également accusé
des « bandes organisées ». Même tonalité chez les maires des banlieues. Eric Raoult, députémaire du Raincy (Seine-Saint-Denis), a dénoncé la manipulation des émeutiers et des
« groupes organisés pour déstabiliser ».
Une perte de confiance totale envers les institutions de la République
La réalité, décrite par les RG, est plus complexe. Pas de Caïd à la tête de bandes déchaînées.
Pas de « fous de Dieu » qui attisent les flammes. Juste une énorme désespérance sociale et
une perte de confiance totale envers les institutions de la République. Face à ce constat, la
réponse policière et judiciaire ne suffit pas. Le ministre de l’Intérieur, conscient de la
profondeur de la crise, a décidé de lancer des pistes de réflexion inédites. Selon nos
informations, il a ainsi demandé à la DATAR (Délégation à l’aménagement du territoire et à
l’action régionale) de réfléchir à ce qui pourrait être fait en matière d’aménagement du
territoire dans les villes et dans les banlieues : « Nous nous sommes rendu compte que cet
organisme avait beaucoup travaillé sur le littoral et les zones rurales, mais jamais sur les
cités », explique-t-on dans l’entourage de Nicolas Sarkozy. A tel point que la DATAR va se
tourner vers des laboratoires universitaires pour mener cette réflexion, qui devrait permettre
de dégager des « axes de réflexion ».
« Le bras du policier est indispensable, mais il ne suffit pas », reconnaît un conseiller du
ministre de l’Intérieur. La politique du « jusqu’ici tout va bien » n’est plus de mise. Dans la
nuit de lundi à mardi, sept véhicules ont brûlé dans les banlieues de la région parisienne. « Le
résultat des nombreuses interpellations menées ces dernières semaines », souligne un
responsable policier. Un calme qui pourrait n’être qu’apparent.
Christophe Dubois
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