le vilain petit canard

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le vilain petit canard
LE VILAIN PETIT CANARD ?
Ainsi donc, la grippe aviaire a fait brutalement interruption sur le territoire français,
suite à la découverte de la dépouille d’un fuligule milouin (canard migrateur), sur une
commune de l’Ain, dans la région d’étangs de la Dombes.
Après la Turquie, l’Italie, l’Allemagne, l’Autriche, le virus H5N1 conforte sa présence
sur le territoire européen. Et c’est l’ensemble de l’Ancien Monde, Afrique incluse, qui
se trouve confronté à ce qui n’est, pour l’heure, qu’une épizootie, au plus une
zoonose (maladie transmissible, dans des cas extrêmes, d’oiseau à humain).
Il serait tentant - et les médias ont abondamment commenté cette question au cours
des dernières semaines - de faire porter le chapeau aux seuls oiseaux migrateurs.
C’est oublier un peu vite que le virus H5N1 a pour épicentre les élevages industriels
de volailles du continent asiatique qui pourvoient, dans des conditions sanitaires
discutables, à un apport protéiniques répondant à la demande de plusieurs milliards
d’individus.
On ne saura sans doute jamais si le virus dont il est question a gagné les anciennes
républiques soviétiques et la Russie via les oiseaux migrateurs (sur une voie estouest fortement décalée du flux migratoire orienté nord-sud) ou plus probablement
par le commerce des volailles, le long de l’axe de communication que constitue
l’Orient-Express.
Toutefois, l’arrivée récente du virus en Afrique paraît s’inscrire dans le cadre d’une
importation considérable de volailles asiatiques. Le ministre de l’agriculture du
Nigeria a d’ailleurs reconnu publiquement que son pays servait de réceptacle
quotidien à un flux de poussins chinois introduits illicitement, sans contrôle sanitaire.
Le canard fuligule retrouvé infecté en France avait probablement fréquenté
préalablement un foyer de l’épizootie non détecté en Europe centrale.
Le mois de janvier ayant été particulièrement rigoureux chez nos voisins, des flots
importants de canards sauvages ont été chassés de ces contrées par le gel des
étangs et des lacs. Les latitudes méridionales ont donc servi de reposoir à ces
mouvements d’exode climatique de l’avifaune aquatique.
S’agissant des cygnes trouvés contaminés dans plusieurs pays d’Europe, il est
permis d’imaginer qu’ils aient pu fréquenter, avant les fortes chutes de neige de
janvier, des labours sur lesquels des résidus de litière animale (paille et fientes des
élevages industriels de volailles) ont été éparpillés pour servir de fertilisant. Car
H5N1 résiste très bien au froid, y compris à la surface du sol (également dans l’eau).
A l’heure qu’il est, des centaines de milliers d’oiseaux aquatiques s’apprêtent à
remonter d’Afrique tropicale pour nicher entre le Maghreb et la zone arctique.
On peut craindre que la contamination des élevages de volaille du Nigeria et peutêtre des pays limitrophes nous apporte son lot de canards et de petits échassiers
porteurs du virus de la grippe aviaire.
Car la France, de sa par sa position géographique, sert de véritable plaque tournante
à la migration des oiseaux.
Les ornithologues français du réseau associatif s’inquiètent à juste titre que leur
action pour la protection des oiseaux sauvages (qui commençait à porter ses fruits,
avec un engouement récent du public pour « le peuple migrateur » (*)) soit balayée
par l’intrusion en France de H5N1 par le biais d’un canard sauvage.
Alors, il serait important que les médias rétablissent cette vérité : à savoir qu’il n’y a
pas de « vilain petit canards » ; que les oiseaux de notre ciel sont avant tout les
victimes d’un système économique humain mondialisé, prêt à prendre tous les
risques pour nourrir plus de 6 milliards de personnes.
Yves THONNERIEUX,
de l’association des Journalistes-écrivains pour la Nature et l’Ecologie (auteur du
livre « Canards », Sud-Ouest Editions, septembre 2005)
(*) titre d’un documentaire animalier qui a connu son heure de gloire sur grand écran et en DVD.

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