Juin 2009
Transcription
Juin 2009
Illustration Studio Legrain Photo by Bruno Brokken Photo Marc de Tienda Affiche du film “Une Belle journée” - Photo MK2 www.echo62.com N°2 - Juin 2009 Ils ont retroussé la Manche 2 L’Écho du Pas-de-Calais n o 101 – juin 2009 Textes Benjamin Zehnder L’origine géologique du détroit « Photo Philippe Vincent-Chaissac En termes de géologie pure, il faut, pour comprendre la naissance du détroit du Pasde-Calais, remonter au Quaternaire, période géologique qui a débuté il y a 2,5 millions d’années et dans lequel nous vivons toujours. Le climat du globe est marqué par un très net refroidissement. Aux périodes froides succèdent de petites périodes de réchauffement. C’est à ce moment que se forme le détroit du Pas-de-Calais, il y a 900 000 à 800 000 ans par formation d’un graben (un effondrement situé entre deux failles). À la base, on a donc un anticlinal (un pli présentant une convexité vers le haut) ou pour parler plus simplement une boutonnière. Cette surface composée de substrat calcaire et sédimentaire relie alors le continent européen à la GrandeBretagne. Photo Nasa LE détroit est un bras de mer naturel resserré entre deux côtes, un terraqué, un lien entre la terre et la mer » nous explique en introduction Vincent Herbert. Le détroit du Pas-de-Calais est de formation très récente. Il y a seulement 10 000 ans qu'il a définitivement séparé le continent des îles britanniques. Transgression flandrienne par la mer lors de la transgression flandrienne » explique Petit bond en avant. On se Vincent Herbert. Cet épisode est retrouve entre 18000 et 10000 dû à l’enchaînement d’une ans avant notre ère. « Le détroit période de glaciation (celle dite du Pas-de-Calais est recouvert de Würm, période du Pléistocène) et d’une période de réchauffement (période de l’Holocène). Les glaciers qui entourent le détroit du Pas-deCalais fondent « et le niveau de la mer remonte de 120 mètres ». Le détroit est recouvert par la mer. La partie méridionale non englacée de la mer du Nord occupée par un lac périglaciaire - perce la voûte de l’anticlinal. C’est la théorie de l’érosion « avec l’idée d’une rupture d’un pont de craie qui reliait le continent européen à la Grande-Bretagne. Les deux grands glaciers et le lac interglaciaire font « sauter » ce bouchon de craie… Il y a une autre théorie, dont on parle beaucoup moins, celle de la tectonique avec un décrochement des plaques. Un chercheur a noté la présence à Calais, entre 1382 et 1580, de très nombreux tremblements de terre. En 1580, il a noté un tremblement de terre de magnitude 6 sur l’échelle de Richter. Assis sur un banc de la place de Wissant, il est aisé d’observer le trait de côte Des tremblements de terre qui des falaises blanches du Kent... par temps clair. auraient peut-être permis sur le très long terme une ouverture progressive via des fractures… À Gibraltar par exemple, on avait, à la base, des montagnes. C’est le décrochement de la plaque africaine qui a provoqué l’effondrement de la boutonnière… Deux choses en tout cas sont sûres. Le détroit du Pas-de-Calais est de formation très récente. Il y a seulement 10000 ans qu'il a définitivement séparé le continent des îles britanniques. Et la falaise du cap Blanc-Nez est la cicatrice toujours fraîche de son effondrement récent! Destruction d’une barrière rocheuse Enfin, la revue scientifique Nature en 2007 se fait l'écho du travail de scientifiques britanniques. Des témoignages géologiques leur ont appris qu’il y a des centaines de milliers d’années, une barrière rocheuse, connue sous le nom de Weal-Artois, s'étendait entre Douvres et Calais. Cette bande de terre entre l'Angleterre et la France, d'environ 45 km de large permettait notamment aux premiers hommes et mammifères de migrer. L’étude confirme ce que nous écrivions plus haut : c’est la fonte d’un lac glaciaire - qui correspond à l’actuel emplacement de la mer du Nord – qui a complètement détruit la barrière rocheuse qui devint alors le détroit du Pas-de-Calais que nous connaissons… Vincent Herbert est maître de conférences en géographie à l’Université du Littoral Côte d’Opale (Ulco), rattaché au laboratoire de l’Institut des Mers du Nord (IMN). C’est un spécialiste des détroits. Il a fait sa thèse sur celui de Malaga. Avec Sabine Dumahel, géographe à l’Ulco, Patrick Picouet, géographe à Lille I (Territoires villes environnement société, TVES), Jean-Pierre Renard, géographe et vice-président de l’université d’Artois (Dynamique des réseaux et des territoires, DYST), ils forment une fédération de chercheurs alliant trois laboratoires universitaires du Nord - Pas-de-Calais. Cette association s’est imposée comme la référence nationale en matière de connaissance sur les détroits. Ils ont retroussé la Manche L’Écho du Pas-de-Calais n o 101 – juin 2009 Un Finisterre difficile à franchir l’historien Yves Le Maner: « le Pas-deCalais est en situation de Finisterre. Il vient buter sur un espace maritime difficile à franchir ». P OUR César, Napoléon ou Hitler l’ont vérifié mais le détroit du Pas-de-Calais et la Manche en général n’ont jamais été infranchissables. César avait réussi et bien avant lui, des flux commerciaux existaient entre le continent et l’Angleterre, à l’âge du bronze notamment. Et en 1066, Guillaume le Conquérant parti de SaintValéry-sur-Somme n’a pas eu trop de difficultés à prendre pied sur le sol anglais avant de livrer bataille à Hastings. C’est l’époque où les grands États nations ont créé leur identité sur l’opposition à l’autre. D’un côté la France, de l’autre l’Angleterre qui voulait avoir une tête de pont sur le continent. Enjeu stratégique qui permettait de contrôler l’Europe et de s’opposer à toute tentative d’invasion. à Boulogne ou la métallurgie de Marquise se développent à partir de cela. Pareil en agriculture: le Pas-de-Calais s’inspire de l’Angleterre en matière d’élevage. À partir de 1850, le tourisme anglais fait son apparition sur nos côtes avec les bains de mer à Boulogne, Wimereux ou Le Touquet. Tête de pont anglaise Le Tommy allié fidèle Siège de Calais en 1346-47… la cité des Six-Bourgeois devient la porte d’entrée de l’Angleterre. 1415, bataille d’Azincourt, date clé qui scelle l’acte de naissance de la nation anglaise. Au milieu du XVIe siècle, Henri II décide de reprendre possession du littoral; il rachète Boulogne et reprend Calais. Après la tentative napoléonnienne, la défaite de Waterloo est un tournant historique fondamental: « à partir de ce moment-là, le détroit du Pas-de-Calais n’est plus une zone d’affrontement », dit Yves Le Maner, il devient davantage une zone d’échanges qui révèle l’avance technologique et industrielle de l’Angleterre… Les gens du Pas-de-Calais vont en Angleterre pour ramener de la technique en contrebande : la dentelle de Calais, les plumes métalliques de Baignol & Fargeon Il faudra les deux guerres mondiales pour rapprocher vraiment les deux peuples. La Grande Guerre fixe le front dans le Pas-de-Calais, et nos populations voient passer des milliers de soldats, professionnels puis volontaires… Soldats qui ont débarqué à Boulogne. Des liens très profonds sont noués à cette époque. La vision que les Français ont de leurs voisins anglais change; le tommy devient l’allié fidèle. En 1940, c’est le même phénomène. Les Allemands envahissent la Belgique et le nord de la France. Les troupes anglaises livrent des combats acharnés pour retarder l’avance ennemie dans les régions d’Arras, Béthune, Calais ou Boulogne pour faciliter le rembarquement. Hitler veut débarquer en Angleterre mais bute sur ce détroit du Pas-de-Calais; il n’arrive pas à avoir la maî- Aujourd’hui complètement disparus, les vestiges de la tour Caligula étaient en fait les restes d’un phare construit par les Romains qui préparaient leur invasion de l’Angleterre. trise maritime et aérienne, et construit le mur de l’Atlantique qui n’est nulle part aussi imposant que sur le littoral du Pas-de-Calais où il s’attend à un débarquement allié. Pour atteindre moralement l’Angleterre et obtenir une paix séparée, il met en œuvre ses armes secrètes: V1, V2, V3. En vain. L’Angleterre restera le fidèle allié et ce sont en majorité des Anglais (avec des Canadiens et des Polonais) qui libèreront nos villes et villages. L’anxiété de la langue Les années d’après-guerre voient la multiplication des échanges, avec des flux de marchandises et de voyageurs énormes. Avec le tourisme des milliers de gens sont concernés et, cerise sur le gâteau, le tunnel sous la Manche peut enfin voir le jour : l’Angleterre n’a plus peur d’être reliée au continent. Mais durant toute la deuxième moitié du XXe siècle, l’on s’occupe finalement assez peu des Anglais qui ne constituent plus, depuis longtemps, une menace, pour se tourner vers les Allemands avec qui nous multiplions les contacts pour établir des liens normaux et une paix durable. Les comités d’échanges franco- allemands sont bien plus nombreux que les francoanglais. Et alors que le monde entier veut apprendre l’anglais, le Pas-de-Calais nourrit une anxiété par rapport à la langue… La peur de ne pas être compris. Pays resté intact Pourtant, il y a tant à découvrir de l’autre côté du détroit, un pays resté intact, avec des paysages structurés, des lieux terriblement dépaysants. Pour autant, ce n’est pas ce qui attire les milliers de migrants qui butent sur notre finisterre. Lorsque la boutonnière est fermée, le pas de Calais est toujours aussi difficile à franchir. L’histoire montre pourtant que cette tentative de migration n’est pas la première. Les Anglo-Saxons étaient des Germains. Mais pour Yves Le Maner, il n’y a rien de comparable. Aujourd’hui, le mythe de l’Angleterre est le fruit d’une supposée tolérance économique: « un espoir organisé et manipulé par des considérations matérielles ». Les Romains ont construit des routes pour aller en Angleterre. Aujourd’hui, c’est parce qu’il y a des routes et des voies de communications faciles à utiliser qu’il y a autant de candidats à la traversée de la Manche. 3 L Manche… ou le pas de Calais, le détroit. Traversées à pied sec par nos très lointains ancêtres, avaient-ils seulement des noms ? Depuis deux siècles, on connaît les amateurs d'exploits et ce nouveau « Traces 62 » (le n° 1 était consacré à la Grande Guerre), fruit d'un excellent travail de nos journalistes vous les révèle. Dans cette panoplie, le domaine des idées n'est jamais clos. Blériot choisit en 1909 la voie des airs, qu'il soit mis en exergue c'est bien normal d'autant plus qu'il est un vrai « Ch’ti » né à Cambrai. Nous éviterons un qualificatif, terme trop facile lié à cette ville, puisque ce fut une réussite. D'autres pensèrent à un lien fixe, pont, tunnel, ponts et tunnels… Finalement tunnel ferroviaire. La préparation fut parfois le théâtre de scènes cocasses comme franchir une pluie d'œufs plus ou moins frais s'abattant sur nous entrant en réunion à Maidstone. Sans encombre pour le président du conseil régional et moi-même, président du conseil général à l'époque, bien protégés sous les manteaux des « Bobbies ». Manifestation des opposants anglais au projet de Tunnel. Sans rancune notre conseil général du Pas-de-Calais leur offre le Centre culturel de l’Entente Cordiale au Château d'Hardelot splendidement rénové et très prochainement ouvert au public. Du haut de la tour, vous franchirez la Manche… par la vue. C'est beau, peu risqué, et ne soyez pas modestes : après tout même Napoléon n'en a pas fait plus. A Roland Huguet, président de l’association Les Échos du Pas-de-Calais Les Échos du Pas-de-Calais BP 139 – 5, place Jean-Jaurès 62194 Lillers Cedex Tél. 03 21 54 35 75 – Fax 03 21 54 34 89 http://www.echo62.com courriel [email protected] ISSN 1254-5171 Directeur de publication : Roland Huguet Directeur de la rédaction : Jean-Yves Vincent Rédacteurs en chef : Philippe Vincent-Chaissac et Christian Defrance Chef de rubrique : Marie-Pierre Griffon Journaliste stagiaire : A. Top Rédacteur détaché : Benjamin Zehnder Rédactrice-graphiste : Magali Crombez Secrétaire de rédaction : Claude Henneton Outre les personnes citées par ailleurs, ont particulièrement contribué à la réalisation de ce cahier : Michel Lopez, Yvon Lequien. Impression LÉONCE DEPREZ, RUITZ 4 L’Écho du Pas-de-Calais n o 101 – juin 2009 Textes A. Top Blanchard et Jeffries Aller (pas) simple pour la forêt de Guînes pleine conquête des airs, deux ans après le premier vol des frères Montgolfier et le premier « voyage » de Pilâtre de Rozier, Jean-Pierre Blanchard frappe un grand coup. Le 7 janvier 1785, il traverse la Manche en compagnie de son fidèle mécène et médecin américain John Jeffries, dans un aérostat gonflé à l’hydrogène. E tu d io L egra llu str ati on S Rozier avec le p r e m i e r voyage en montgolfière… La même année, les frères Robert et le physicien Charles mettent au point un ballon gonflé à l’hydrogène… l’exploit est en marche. Blanchard, qui travaille depuis 1781 à la construction d’un vaisseau volant, s’attache à cette volonté de réussir un vol dirigeable et non captif, d’où cette idée d’équiper la nacelle d’ailes et Photo Ph. Vincent-Chaissac Physicien, aéronaute, mais avant tout inventeur, JeanPierre Blanchard se passionne pour les machines plus lourdes que l’air. Le jeune loup réalise un saut… en parasol, construit une voiture à pédales et des machines hydrauliques. Henry Cavendish vient de découvrir l’hydrogène et c’est ce gaz qui fera le succès du fou volant français. L’idée de voler le fait fantasmer et il n’est pas le seul. 1783, les frères Montgolfier réussissent le premier vol dans un ballon gonflé à l’air chaud. Quelques mois plus tard s’illustre le tristement célèbre Pilâtre de in N I de gouvernails. Le 2 mars 1784, deux petites années après sa démonstration ratée à Paris qui le ridiculise, Blanchard persiste et signe. Il réussit un tour de force, sur le Champ-de-Mars, il décolle et traverse la Seine pour se poser sans s’écraser rue de Sèvres. Partir et franchir Septembre 1784, il rallie l’Angleterre avec le fol espoir de revenir en ballon. Quatre mois plus tard, le rêve devient réalité. Le 7 janvier 1785 au petit matin, le ciel est dégagé, la température très fraîche. En dépit de l’avis contraire des marins, Jean-Pierre Blanchard et le docteur Jeffries décident de prendre de la hauteur pour rallier les côtes françaises. Il est 13 h 05, le ballon à l’imperméabilité incertaine s’élève en rotation sur lui-même au-dessus du château de Douvres avec à son bord quarante-trois petits kilos d’objets et de lest. Le ballon, muni d’ailes, d’un gouvernail et d’une hélice avance lentement et perd de l’altitude de temps à autre, obligeant les deux hommes à se séparer des provisions, des ailes, du gouvernail, du moulinet, des ornements de la nacelle puis de la bouteille à ouvrir en cas de couronnement… L’aérostat qui perd encore de la hauteur, pousse le duo à un improbable striptease au-dessus de la Manche. Ne leur reste plus que leur gilet de liège. Rien n’y fait. Et c’est au moment où Jeffries se propose de se sacrifier que le ballon prend de nouveau de l’altitude. Il est quinze heures lorsque dans un dernier bond, le plus élevé du périple, le ballon franchit la côte entre les caps Gris-Nez et Blanc-Nez. Dans un dernier coup de vent, les deux aéronautes se posent tant bien que mal, sans s’écraser, dans la forêt de Guînes. Jean-Pierre Blanchard et John Jeffries viennent de réaliser la première traversée de la Manche par voie aérienne. Fort de cet exploit, le Français sera à maintes reprises sollicité pour des démonstrations à l’étranger, en Belgique, en Allemagne. Frappé d’apoplexie en vol, Blanchard décède à l’aube de sa soixantedixième ascension. Première catastrophe aérienne dans l’histoire de l’aéronautique La colonne érigée en forêt de Guînes en l’honneur des deux aéronautes, Blanchard et Jeffries. Le Pas-de-Calais, terre de gloire pour Blanchard, fut mortelle pour Pilâtre de Rozier. Fort de son premier voyage en montgolfière le 21 novembre 1783, et lui aussi animé par cette folle idée de traverser la Manche, il pose ses valises à Boulogne-sur-Mer où il apprend le succès de Blanchard. Le 15 juin 1785, Pilâtre de Rozier, prend lui le départ pour l’Angleterre. Alors qu’il n’est qu’à cinq kilomètres des côtes, moins d’une demi-heure après le départ, une flamme apparaît au sommet du ballon qui se dégonfle avant de se replier puis de s’écraser dans la Garenne de Wimereux. Un accident qui coûta la vie à Pilâtre et à son compagnon d’infortune Romain, un accident qui demeurera dans l’histoire, comme la première catastrophe aérienne. Ils ont retroussé la Manche L’Écho du Pas-de-Calais n o 101 – juin 2009 5 Textes Christian Defrance Paul Boyton Photos collection Michel Lopez Flotter et avoir chaud e récit d’une apparition insolite s’est baladé de génération en génération du côté d’Audresselles. Le jeudi 27 mai 1875, les habitants du village de pêcheurs voyaient surgir des flots « eul’ guernoulle inglaisse ». La grenouille anglaise. Pétris de malice, ils avaient ainsi surnommé un drôle de nageur revêtu d’un vêtement insubmersible en caoutchouc noir, sorti de l’eau vers six heures du soir. Cette guernoulle, irlandaise en fait, s’appelait Paul Boyton. L’incroyable « Capt’ » Boyton. Un aventurier immortalisé par Jules Verne dans Les tribulations d’un Chinois en Chine. Avec sa combinaison, un mât, une voile et une pagaie double, « Capt’ » Boyton a traversé la Manche. Sur le dos. En flottant… L Ce 27 mai 1875, le capitaine débarque donc à Audresselles après avoir passé près de quatre heures en mer. Parti du pont Marguet à Boulogne-sur-Mer, il espérait voguer illico vers l’Angleterre. Le temps orageux a incité son escorte à le persuader de faire une pause à l’auberge de Framezelle! Un bon souper et quelques heures de sommeil, Paul Boyton enfile à nouveau sa tenue de guernoulle inglaisse pour rejoindre la plage de la Sirène au-delà du Gris-Nez. Un grand feu est allumé, il est trois heures du matin le vendredi 28 mai 1875, « Capt’ » est parti. À sept heures et demie, il fume un cigare en pleine mer. À midi et demi, il croise le paquebot Victoria: ovationné par les passagers et une fanfare, il brandit son drapeau américain. La nuit tombe, un canot ne le perd pas de vue. À minuit, Boyton boit du cherry brandy, juste avant de Cinq chambres à air Six semaines avant son exploit, le 10 avril 1875, Paul Boyton avait entrepris une première tentative de traversée, expérience « contrôlée » par la Société Humaine et des Naufrages de Boulognesur-Mer. La société, fondée en 1825, avait été séduite par cet Américain – né en Irlande en 1848 – à la vie déjà bien remplie. Pêcheur de perles dans le golfe du Mexique, engagé volontaire dans l’armée française en 1870, chercheur de diamants en Afrique du Sud, sauveteur dans une station balnéaire américaine! En 1873, il a rencontré C. S. Merriman, inventeur d’une combinaison de survie, inspirée des peaux de cuir gonflées d’air utilisées par les Romains. Flotter et garder la chaleur humaine. Le capitaine a testé l’invention durant deux ans. La combinaison Merriman deviendra l’appareil Boyton. Vêtement en caoutchouc en deux parties, rendu flottant au moyen de cinq chambres à air (dont une derrière la nuque). Le 20 octobre 1874, « Capt’ » voyage sur le paquebot « Queen » entre New York et Liverpool. Au large des côtes irlandaises, il saute par-dessus bord! Il porte son appareil. La tempête fait rage. Boyton arrive indemne sur le plancher des vaches. La célèbrité du jour au lendemain. La Reine Victoria en personne souhaite voir cet étonnant appareil. Boyton n’a plus qu’une seule idée en tête: traverser la Manche. Parti de Douvres le 10 avril 1875, il sortit de l’eau quinze heures plus tard… hissé contre son gré à bord du paquebot Rambler. La terre ferme n’était pas loin. Six mille personnes s’étaient massées sur les quais boulonnais pour assister à un événement « unique dans les fastes de la Marine ». Le 12 avril, lors d’une assemblée extraordinaire de la Société Humaine et des Naufrages, Paul Boyton raconte son voyage, traduit par Merridew son plus fidèle supporter. Il recommence le soir même à l’Établissement des Bains. Le lendemain, dans le port, il fait apprécier la maniabilité de son appareil, à la voile et à la pagaie. Eul’ guernoulle inglaisse avait fort bien préparé sa « revanche » du mois de mai. Quand Paul Boyton quitte l’Angleterre le 23 août 1875, un autre capitaine, Matthew Webb, s’apprête à son tour à vaincre la Manche. Sans combinaison ni chambres à air. connaître une grosse frayeur en se retrouvant nez à nez avec un marsouin. Eul’ guernoulle inglaisse aperçoit enfin la blanche Albion. Le samedi 29 mai 1875, à deux heures trente-huit du matin, le capitaine « touche terre » à Fan Bay, à proximité du phare qui domine les falaises de Douvres. Henry Melville Merridew, le libraire anglais de Boulogne-sur-Mer, a sauté du canot pour rejoindre le héros. Pas une goutte d’eau de mer n’a pénétré dans la combinaison. Le courrier emporté par le pagayeur est sec. Comme le moral de Boyton : « Il n’y a pas assez d’argent en Angleterre pour me tenter de recommencer », déclare-t-il. Vite remis de ses émotions, le capitaine entame une tournée triomphale à travers le monde. Avec sa combinaison, Paul Boyton descendra la Loire, le Pô, le Rhin, le Danube, etc. « Le capitaine aura passé plus de temps dans l’eau que sur terre », écrit Michel Lopez, 59 ans, responsable technico-pédagogique à l’université du Maine (Le Mans) et cheville ouvrière d’un pôle d’études sur Paul Boyton. Pôle né il y a plus de trente ans. « Chez un bouquiniste nantais, mon regard avait été attiré par des lettres écrites en anglais dans un vieux carton. Un rapide coup d'œil m'avait fait découvrir une correspondance amoureuse et une narration d'aventures très intéressantes. Tout d'abord je me suis aperçu que Paul Boyton était très connu. Dans la seconde moitié du XIXe siècle il était un des hommes les plus célèbres de la planète, faisant la une de tous les grands journaux. J'ai ensuite essayé de reconstituer sa généalogie. Une vraie enquête policière car Boyton affirmait être né à Pittsburgh aux USA, d'autres sources parlaient de Dublin. Tout était faux. J'ai fini, grâce à la puissance d'internet, par retrouver sa trace dans le comté de Kildare (Irlande). J’ai ensuite retrouvé une descendante de Boyton, une Américaine que j'ai eu la joie d'accueillir chez moi. » Avec la devise de Paul Boyton en exergue, « While I swim, I live », on trouve dans ce pôle - sur Internet - outre l’histoire du capitaine, l’arbre généalogique de sa famille, les lettres envoyées à Élisabeth Sauteyron… On y apprend que Boyton a fondé un parc d’attractions à Chicago (Water Chutes), puis un autre à New York en 1895 dans Coney Island. Mais aussi un saloon à Broadway ! Ce héros de roman s’est éteint le 18 avril 1924 à New York : une mauvaise grippe dégénérant en pneumonie. http://www.paulboyton.com 6 L’Écho du Pas-de-Calais n o 101 – juin 2009 Textes Christian Defrance Matthew Webb Mi-homme, mi-poisson banal accident de la circulation dans une petite ville du Shropshire en Angleterre. Le 16 février 2009, un camion heurte un monument de pierre dans la rue principale de Dawley. L’événement n’est pourtant pas passé inaperçu car le poids lourd s’est frotté à une « légende » ! Ce monument n’est autre que le mémorial érigé en l’honneur du capitaine Matthew Webb, « enfant » de Dawley et surtout le premier homme à avoir traversé la Manche à la nage, sans aucune aide extérieure. Le monument a immédiatement été « emporté » par des spécialistes afin de subir un bon lifting. Avec un retour espéré dans la grande rue avant le mois d’octobre 2009 et le début des célébrations du centenaire de son érection. U plus tard entre Douvres et Ramsgate en 8 heures et 40 minutes. Il est taillé comme un Hercule : 1,73 mètre, 89 kilos, un tour de poitrine de 109 centimètres ! La fin dans les chutes Le 12 août 1875, Matthew Webb est bien décidé à traverser : pourtant, après sept heures de brasse, une soudaine et violente tempête l’oblige à renoncer. Il remet ça le mardi 24 août. Nu comme un ver, enduit d’huile de marsouin, il profite de la marée descendante pour s’enfoncer dans la Manche au bout de la jetée de Douvres (Admiralty Pier). Il est exactement 12 heures 56. Trois petits bateaux le suivent, dont le Annie chargé du ravitaillement. Son courage est immense. Le brandy lui fait oublier de méchantes piqûres de méduse. La bière et le café lui permettent de lutter contre les courants et vents contraires. Le bouillon de bœuf redonne de l’amplitude à ses mouvements de brasse. Un seul produit dopant: l’huile de foie de morue. Efforts surhumains et à 10 heures 41 du matin le mercredi 25 août, Matthew Webb atteint enfin les dunes entre Calais et Les Baraques. Il est acclamé par une foule des grands jours. Enveloppé dans une couverture et hissé dans une charrette. Sa traversée a duré 21 heures et 45 minutes; il a parcouru, sans doute à cause de ses zigzags bien involontaires, quelque soixante-quatre kilomètres. Le phénomène Webb est en marche. Son exploit « booste » la natation. Le capitaine - « l’homme le plus populaire dans le monde » selon les journaux de l’époque - monnaie son talent. Il gagne des milliers de livres en participant à des exhibitions de natation, nageant durant 60 heures dans un aquarium ! Webb, nu comme un ver et hissé dans une charrette. L’argent file entre les doigts du héros « mi-homme, mi-poisson ». Money is not easy? Notre capitaine espère enfin décrocher la fortune en traversant les eaux tumultueuses des chutes du Niagara, le 24 juillet 1883. Un pari jugé suicidaire Yvon Lequien Photo collection Le 23 octobre 1909 en effet, Dawley assistait à l’inauguration en grande pompe du mémorial Matthew Webb, dévoilé par Thomas, le frère aîné. Une courte inscription gravée dans la pierre : « Nothing great is easy ». Rien de ce qui est grand n’est facile. Et certainement pas une traversée de la Manche à la nage. Depuis la nuit des temps, passer d’une côte à l’autre sans avoir recours même à un frêle esquif était considéré comme mission impossible. Peut-être qu’un légionnaire romain, un courageux Morin avaient osé ? Peut-être que Jean-Marie Salati, soldat de Napoléon, fait prisonnier à Waterloo, a effectivement filé entre les doigts de ses geôliers à Douvres un soir de tempête en 1817 ou 1818 et regagné la France en nageant ? Une chose est sûre : Matthew Webb devint le numéro un sur la liste officielle. Né le 19 janvier 1848 à Dawley, il apprend à nager dans la « mouvementée » rivière Severn, la plus longue de Grande-Bretagne. À douze ans, il rejoint un navire école de la marine marchande à Liverpool, sillonnant toutes les mers du monde. En 1873, le voilà capitaine du vapeur Emerald, amené à lire le récit de tentative de traversée de la Manche par J. B. Johnson (il a abandonné au bout de soixante-trois minutes le 24 août 1872). Ce récit change sa vie. Radicalement. Matthew Webb n’a plus qu’une idée en tête : réussir cette satanée traversée. Adieu la marine et bonjour l’entraînement. Le 3 juillet 1875, Webb parcourt les vingt miles entre Blackwell et Gravesend en 4 heures et 52 minutes ; il nage deux semaines Photo collection Michel Lopez N par ses pairs. À quatre heures et demie de l’après-midi, le capitaine Matthew Webb est emporté dans un tourbillon, son corps retrouvé quatre jours plus tard. L’homme de la Manche a eu les yeux plus gros que les bras. Si le nom de Matthew Webb, « l’homme de la Manche », s’accroche à la mémoire collective, celui de Thomas William Burgess est resté dans les couloirs de l’anonymat. Burgess, « l’oublié du Channel », est en fait le numéro 2 sur la liste officielle des vainqueurs du détroit. Il fallut attendre 36 ans pour assister à cette deuxième prouesse ; 36 ans et quelque 70 échecs. On se bousculait dans l’eau salée au début du vingtième siècle, les plus insistants s’appelant Montague Holbein (neuf tentatives avortées, même avec le soutien d’un gramophone) ou Jabez Wolffe sans doute le plus malchanceux des aventuriers de la Manche. Wolffe entreprit 22 essais de traversée entre 1906 et 1911 ! Il connut 22 échecs… abandonnant à un mile du but à trois reprises. Il appréciait lui aussi la compagnie d’un gramophone (embarqué dans un bateau) voire d’un joueur de cornemuse. Le 6 septembre 1911, Thomas William Burgess (39 ans) en est à sa 13e tentative. Il entre dans l’eau à 11 h 15 dans la baie de Saint-Margaret près du phare de South Foreland. 22 heures et 30 minutes plus tard, après avoir lutté vaillamment contre les courants contraires, ce bel athlète (1,83 m, 95 kilos) barbu aborde la plage du Châtelet à l’est du cap Gris-Nez. Originaire du Yorkshire, Burgess avait travaillé dans une usine de pneumatiques à Paris, tenu un garage avec son épouse française. Il portait toujours en nageant des lunettes de motocycliste. Le 8 septembre 1911, il reçut moult télégrammes de félicitations, de la part du roi d’Angleterre par exemple mais aussi d’un certain Matthew Webb, le fils du « mi-homme, mi-poisson ». Thomas William Burgess devint par la suite le coach de Gertrude Ederle, d’Edward Temme. Le succès de 1911 lui avait permis d’acheter une grande maison en bois au Gris-Nez, « The Villa of Cross-Channel Swimming ». « L’oublié du Channel » est décédé en France en juillet 1957. Ils ont retroussé la Manche L’Écho du Pas-de-Calais n o 101 – juin 2009 7 Textes Christian Defrance Samuel Franklin Cody ous sommes en novembre 1903 et les lecteurs de « La Vie au Grand Air » se précipitent sur l’article consacré à la performance du « fameux capitaine Cody, l’ex-roi des cow-boys ». « On a traversé la Manche de bien des façons, en canot, à la nage, en ballon. Voici une nouvelle manière qui consiste à s’attacher à la queue d’un cerf-volant » explique l’hebdomadaire sportif. Les cerfs-volants sont une « passion dévorante » pour Samuel Franklin Cody. La petite histoire - vraie ou fausse ? - raconte qu’il aurait été initié à cet art par un cuisinier chinois, quelque part entre le Texas et le Montana. À l’époque où Cody acheminait des troupeaux de bovins du sud vers le nord des États-Unis. Une autre paire de manches. Photo D.R. Le cow-boy et le cerf-volant N Ça commence vraiment comme dans un western. Franklin Cowdery - son véritable nom voit le jour en 1867 dans l’Iowa. Durant son enfance, la ferme familiale est attaquée par les Sioux ! Sain et sauf, Franklin monte sur son grand cheval et devient cow-boy à quatorze ans. Poor and lonesome ? Il dresse et vend des chevaux, conduit des troupeaux. Fuyant la crise du bétail à la fin des années 1880, Franklin se transforme en cow-boy de foire : Samuel Franklin Cody, se faisant passer pour le fils de Buffalo Bill et s’attribuant le grade de colonel ! Ni mytho ni mégalo, plutôt la bosse du show. Le public adore ce tireur d’élite, cavalier émérite qui en 1893 gagne un match cheval-vélo contre le champion Charles Meyer, sur la piste de Levallois-Perret. S’il manie à merveille les rênes et le lasso, Cody est aussi habile avec le cerf-volant. Vivant en Angleterre depuis 1896, il Ciré jaune et chapeau de cow-boy à large bord, Samuel Franklin Cody aborde le ponton de l’amirauté à Douvres en face de l’hôtel Lord Warden. Discrètement. À huit heures et demie du matin, ce samedi 7 novembre 1903, il n’y a pas foule sur le port; seuls quelques pêcheurs et dockers saluent l’homme fatigué et frigorifié qui vient de traverser la Manche à bord d’un canot de quatre mètres de long et un bon mètre de large, tiré par un « vieux fidèle » cerf-volant. Au sommet de deux mâts en bambou flottent les drapeaux anglais et français. Le colonel, ou capitaine on ne sait plus, a enfin réussi après avoir tenté le coup à plusieurs reprises en partant de l’Angleterre, sans jamais trouver un vent porteur et la bonne direction. Le vendredi 6 novembre, il a quitté Calais à huit heures du soir, accompagné durant un bon mile par un bateau et six rameurs… vite largués. Une nuit froide, éclairée par la lune. Un vent favorable. Le cerf-volant permet à Lela de filer à vitesse respectable, S. F. Cody maintenant la barre, éclairé par un lanterne et pêchant de temps en temps dans ses provisions (chocolat, biscuits, mortadelle, pommes, bière, eau, alcool de menthe). Le danger est permament : le canot a ainsi été frôlé par un navire à vapeur ayant pris le cerf-volant pour un signal de détresse. Le cow-boy a eu et signe quelques éclatantes exhibitions. Tel ce train de sept cerfsvolants dans le ciel de Blackpool. Lela et Old Faithful Le cow-boy est têtu et se tourne vers la Royal Navy. Les vols en mer des « War Kites » décollant du pont d’un vaisseau à ! ll Bi l’ancre puis d’un lo ffa Bu renté avec Aucun lien de pa vaisseau qui navigue - séduisent l’amirauté. Samuel dessine et fait breveter en Franklin Cody a moins de décembre 1901 son « War chance avec ses essais d’ascenKite », appelé aussi sion humaine, une nacelle « Aeroplane » : un cerf-volant étant fixée au train de cerfsmilitaire conçu pour « prendre volants. Pas bon pour le bizde haut » l’ennemi. Le minis- ness. Cody vend quatre « War tère de la Guerre n’est pas convaincu mais Cody persiste, chaud. Au milieu du Channel, vers quatre heures du matin, le vent tombe et tourne… Cody n’a pas d’autre alternative que de descendre son cerf-volant (bien plus grand que le berthon), de l’attacher à un mât comme une voile. Et dériver. Un changement de marée redonne la parole au « vieux fidèle »… muet une seconde fois au large de Douvres. Il faut louvoyer pour atteindre enfin la convoitée Admiralty Pier. Le quotidien « Le Phare de Calais » rapporte la déclaration de Samuel Franklin Cody: « Ce succès établit la possibilité de l’application des cerfs-volants à la navigation et démontre qu’ils pourront être utilement employés dans la marine marchande et la marine de guerre. » Un visionnaire? Kites » à la Royal Navy mais se plante sur la revente de son brevet. Trop cher. Nous voici en 1903, le « faux fils » de Buffalo Bill a besoin d’un gros coup de pub. Tout comme le capitaine Boyton l’a fait pour vanter les mérites de sa combinaison insubmersible, Cody veut traverser la Manche pour que le vent tourne en faveur de ses cerfs-volants. Une traversée à bord d’un berthon canot de sauvetage pliable inventé en 1849 par le révérend anglais Edward Berthon - traîné par un cerf-volant, évidemment. Le canot s’appelle « Lela » (prénom de sa seconde femme), le cerf-volant « Old Faithful » (le « vieux fidèle » que Cody fait voler depuis deux ans). Hiver 1903 : le roi des cow-boys dégaine plus vite que son ombre. dio Stu Le cow-boy au cerf-volant est un personnage brillant, un « esprit universel » toujours prêt à tirer les ficelles du progrès. Séduit par le premier vol en avion un mois après sa traversée du Channel (Orville Wright le 17 décembre 1903), Cody devient un pionnier de l’aviation. Entre 1907 et 1908, il construit son premier avion, « Army Aeroplane n° 1 » et parcourt cinq cents mètres en 27 secondes le 16 octobre 1908. in gra Le Premier vol officiel. Naturalisé anglais en 1909, Cody présente au mois d’août son nouveau modèle « The Flying Cathedral », effectuant le 14 le premier vol avec passager de l'histoire (le colonel Capper puis sa femme Lela). Le 7 août 1913, Cody meurt à bord de son nouvel appareil, un hydravion qui s’est écrasé au sol. Le cow-boy est enterré au cimetière d'Aldershot avec les honneurs militaires. The show must go on. 8 L’Écho du Pas-de-Calais n o 101 – juin 2009 Textes Marie-Pierre Griffon Louis Blériot Collection privée Hugues Chevalier Quand 1 000 livres donnent des ailes LAGE de Sangatte, dimanche 25 juillet 1909. Il est 4 h 40 du matin et le soleil vient de se lever. Louis Blériot a mal à la jambe et aurait préféré rester couché. Mais Anzani, le constructeur du moteur qu’il n’a pas encore payé, l’a menacé. Sa panade financière ne lui permet pas de froisser le bouillant italien. Elle ne lui permet pas non plus d’ignorer les 1 000 livres promises par le Daily Mail à celui qui franchirait la Manche. Il ne savait pas qu’une demi-heure plus tard, il n’aurait plus aucun souci d’argent, et que cette matinée serait désormais inscrite dans les livres d’histoire. P En 1909, chez les Blériot, le train de vie a diminué. Louis, à bout de ressources, a vendu à une entreprise anglaise ses brevets de phares et de dynamos PHI. Il a même vendu une de ses voitures, une Panhard. Il a tant cassé de machines volantes, qu’on l’appelle « Le briseur de bois ». Certains affirment qu’il est tombé cinquante-deux fois (et qu’il comptait trente-deux blessures ou fractures !). Fils d’un fabricant de tissus à Cambrai, ingénieur, diplômé de l’École centrale, marié à la fortunée Alice Vedène, il était pourtant promis à une belle - et riche - carrière dans l’industrie automobile. C’était sans compter sur son goût pour l’aviation balbutiante… Tirer des leçons des échecs Blériot était passionné de techniques nouvelles et surtout de toutes les théories des « plus lourds que l’air ». Il ne cessait d’émettre des hypothèses, passait à la réalisation puis expérimentait lui-même… Il a ainsi investi dans ses projets, les bénéfices de sa société et presque toute la dot de sa femme. Il multipliait autant les modèles que les échecs mais en tirait à chaque fois des leçons. Blériot I, II, III (qui ne décollera jamais), IV, V (qui volera 4 à 5 m), VI, VII (500 m à 90 km/h)… et puis le Blériot XI qu’il a créé avec l’aide de l’ingénieur Raymond Saulnier. Son point fort : le moteur de 25 chevaux, conçu par l’Italien Alessandro Anzani. Un moteur très robuste… mais très sommaire. Le pilote doit supporter des projections d’huile chaude quand il fonctionne ! Le Daily Mail de Lord Northcliffe er Le 1 janvier 1909, le Daily Mail - un des quotidiens anglais les plus en vue de l’époque - a annoncé la remise d’un prix de 1 000 £ (25 000 F) au premier qui traversera la Manche en avion. L’idée de ce prix — un des nombreux que commanditait le journal — venait du propriétaire du Daily Mail, Lord Northcliffe, le magnat de la presse le plus excentrique de Grande-Bretagne. Très vite, trois concurrents se sont déclarés prêts à tenter la traversée : Henry Farman (35 ans), un pilote d’origine britannique qui habite en France ; le comte Charles de Lambert (44 ans), un aristocrate russe ; et le très « homme du monde » Hubert Latham (26 ans), Français d’ascendance britannique. Avec son Blériot XI, Louis se dit qu’il avait toutes ses chances et 1 000 £ pouvaient rétablir sa situation financière. De quoi donner des ailes… « Bravo Blériot » Le 25 juillet 1909, contrairement aux jours précédents, le temps était calme. Idéal pour une promenade dans les nuages ! Louis Blériot, profondément brûlé à la cheville, à la suite d’un trop long contact avec le tuyau d’échappement de son appareil, au meeting de Douai, n’avait pourtant pas envie de voler. Devant la foule, le constructeur italien, son équipe et les journalistes, il a pourtant décollé. Charles Fontaine, rédacteur au Matin (alors le 4e journal le plus important de France) lui avait proposé de repérer un terrain de l’autre côté du Channel. Il allait l’attendre avec un drapeau tricolore. Une demi-heure après son départ, le pilote était à ses côtés, l’hélice brisée et le châssis endommagé mais qu’importe. « Le Français Blériot vient de traverser la Manche en aéroplane » a titré sur toute sa une, l’édition spéciale du Matin datée du dimanche de l’exploit. « Le 25 juillet a été une des plus grandes fêtes de la science et de l’histoire » écrit encore le quotidien qui réserve à l’aviateur toute sa première page de l’édition du lendemain avec ce titre : « Un grand Français, Blériot, franchit la Manche en aéroplane ». À Londres l’Observer et le Daily Express ont publié des éditions spéciales, qui expliquent qu’« avec l’exploit de Blériot, l’Angleterre a cessé d’être une île ». Le Daily Graphic de Londres, titre lui, très sobrement « Bravo Blériot ! ». Le Daily Mail, à l‘origine du projet, devait à l’évidence récolter les lau- Sans doute le plus grand exploit du 20e siècle… avant le premier pas de l’homme sur la lune ? riers. Mais… le journal britannique s’est fait sensiblement voler la vedette par Le Matin. Le lendemain de l’exploit, Louis Blériot s’est rendu à Londres où le propriétaire du Daily Mail, Lord Northcliffe, lui a remis une coupe et le montant du prix. L’avion a été exposé dans la capitale mais… n’est pas resté. Il a été acheté par Le Matin. Le Blériot XI a été présenté au public au siège du journal, puis au salon de l’Aéronautique avant d’être remis au Conservatoire national des arts et métiers. La cérémonie de translation s’est déroulée le 13 octobre. Le maire de Douvres, qui était invité à la cérémonie, se tenait aux côtés du ministre français des Travaux publics. Les hommes marquaient ainsi « L’Entente cordiale » entre les deux pays. Pour en savoir plus : Blériot, l’envol du XXe siècle, par son petit-fils Louis Blériot et Martina Blériot. Éditions Maeght. ISBN 2869410514 Comment Blériot a traversé la Manche. Charles Fontaine. ASIN: B00183P04Y Parmi les précurseurs du ciel, Ferdinand Collin, 1948. ASIN: B0018G6IME Les douze premiers aéroplanes de Louis Blériot, article paru dans la revue Pégase n° 54 de mai 1989, par Jean Devaux et Michel Marani. Dossier Blériot, au Service de documentation du musée de l’Air et de l’Espace, au Bourget. Il y a 100 ans : Louis Blériot, par Henri Charpentier. ISBN 9782758802150 Ils ont retroussé la Manche L’Écho du Pas-de-Calais n o 101 – juin 2009 9 Textes Marie-Pierre Griffon Harriet Quimby Dessin : Jean Capelain The bird girl, la fille oiseau N dit d’elle qu’« elle était une femme moderne dans une période qui ne l’était pas ! ». On dit aussi qu’« elle était brave autant qu’elle était belle ». Harriet Quimby, née en 1875, comédienne, journaliste, pilote, est la première femme à avoir traversé la Manche en machine volante. C’était deux jours après le naufrage du Titanic ! Hardie, intrépide, audacieuse cette « bird girl » qui préférait les combinaisons de velours - certes élégantes aux corsets et jupons, n’a jamais été casse-cou. C’est même à elle que le monde de l’aviation doit la vérification d’une check-list, avant le décollage. Malgré sa prudence, un jour la fille oiseau est restée définitivement au ciel… O Harriet Quimby a vu le jour en 1875, quelque part dans le Michigan. Si une statue s’élève effectivement au bord du lac, personne ne connaît exactement son lieu de naissance. Il n’y a pas de certificat et chacun essaie de s’approprier l’héroïne ! Elle est restée là cinq ans, avant que ses parents, William et Ursula, ne l’emmènent en Californie. Est-ce l’atmosphère détendue de San Francisco qui a influencé la jeune fille ? Toujours est-il qu’elle est partie étudier à l’université, que là, elle a découvert le théâtre et a flirté un moment avec une carrière d’actrice. Un vrai talent d’écriture lui a ouvert les portes de la revue dramatique de San Francisco, elle s’y est rapidement fait un nom et s’est retrouvée à NewYork, critique de théâtre pour l’hebdomadaire Leslie's Illustrated. Harriet Quimby aimait le journalisme. La liberté et les revenus qu’offrait alors le métier lui permettaient d’explorer d’autres modes de vie… La jeune femme multipliait les voyages et les aventures. La vitesse À l’occasion d’un reportage sur une voiture de course qui roulait à 100 miles/heure (160 km/h), elle s’est découvert un amour de la vitesse. Son expérience a donné lieu à un article époustouflant et à l’envie de nouvelles odyssées. C’est en rencontrant un aéronaute japonais, pour les besoins du journal, que le destin d’Harriet Quimby trouva son chemin. Elle venait de remarquer des similitudes criantes entre les caractéristiques du monde de l’aviation et les siennes… Peu à peu elle devint une habituée des terrains d’aviation autour de New-York et quand il a fallu couvrir le premier meeting aérien des USA (Belmont Park), en octobre 1910, elle s’est précipitée. Elle y a rencontré John Moisant qui s’était posé sur la ligne d’arrivée juste avant le comte Jacques de Lesseps, venu de France, et la jeune femme s’est laissée conquérir… par la passion de l’aviation. « Je crois que je peux le faire moi-même, avait-elle soufflé, et je le ferai ! » D’aucuns affirment qu’Harriet Quimby a été la pilote la plus influente de son temps. C’était en tout cas une personne qui a changé le regard des hommes, et des femmes, sur le monde féminin. réussi à le convaincre de lui apprendre à piloter. Quand, en 1911, John a trouvé la mort dans un crash, sa passion ne s’est pas apaisée. Elle a alors persuadé le directeur du journal de lui payer des heures d’apprentissage en contrepartie de chroniques régulières. Il n’a pas fait de difficulté, dans la mesure où une femme qui passait sa licence de pilote bouleversait l’opinion. C’était tellement incroyable qu’une gentille et charmante dame de la société s’intéresse aux affaires d’homme, surtout quand elles étaient dangereuses et dispendieuses ! Dans son film Ces merveilleux fous volants dans leurs drôles de machines, Henri Verneuil s’est amusé à mettre en scène une sorte de clone d’Harriet, la jeune Patricia, ravissante et délurée. Le personnage rêve de piloter mais a bien du Pilote licenciée mal à vaincre les réticences Harriet, s’étant liée d’amitié de son père et de la société. avec John Moisant, proprié- Clin d’œil ! taire d’une école de vol, a Dans sa première chronique, Harriet Quimby, élève pilote appliquée, décrivait les règles de base pour s’habiller convenablement lors d’une excursion en avion… mais détaillait aussi la mécanique et le fonctionnement de l’appareil pour ne pas être dépaysé, au cas où. Elle vivait intensément ses progrès et ceux des autres ; de Glenn Curtiss et Lincoln Beachey en l’occurrence. Les pilotes américains étaient exactement là où elle brûlait d’être : au sommet. Elle ne tarda pas à être surnommée « La fille oiseau », et cultivait le personnage étonnant qu’elle était devenue : une femme dont l’élégance disputait l’intelligence. Après avoir rédigé et photographié les exploits des autres, Harriet Quimby passait de l’autre côté de l’appareil photo. En gracieuse combinaison de satin violet, bien sûr ! En toute sécurité Un an après avoir obtenu sa licence de pilote, alors qu’elle était l’amie de l’également vaillante et valeureuse Matilde, sœur de John Moisant, Harriet a remporté sa première course et 600 $. Elle s’était fait une réputation solide de pilote responsable. Elle mettait en effet un point d’honneur à voler en toute sécurité. Précurseur, elle avait même imaginé une check-list à vérifier avant chaque vol ! Sa renommée a atteint le zénith quand, le 16 avril 1912, elle quittait les falaises blanches de Douvres, à bord d’un Blériot pour atterrir sans encombre en France. Sur le moment, Harriet n’a pas vraiment obtenu le succès mérité ; son exploit a été réalisé deux jours après le naufrage du Titanic… En 1912, alors qu’elle venait de terminer un article qui présentait les valeurs de l’aviation pour les femmes, alors qu’elle venait d’écrire qu’il n’y avait pas de sport plus excitant, plus facile et qu’il n’y avait aucune raison d’avoir peur… elle a pris la direction du meeting d’aviation de Harvard-Boston. C’est là, devant 5 000 spectateurs pétrifiés et devant le petit monde de l’aviation de l’époque qui n’a jamais compris ce qui s’était passé, c’est là qu’elle s’est écrasée. Le 16 avril 1912, Harriet Quimby a décollé de Douvres. Elle pilotait un Blériot, de 50 chevaux (37 kW). Volant à des altitudes variant entre 1000 et 2000 pieds (305 et 610 mètres), Harriet a suivi son chemin à travers le brouillard et a fait le vol en 59 minutes, après avoir dérivé un peu de l'atterrissage, prévu à Calais. Elle est arrivée à 40 kilomètres de là, sur une plage d'Hardelot. 10 L’Écho du Pas-de-Calais n o 101 – juin 2009 Textes Christian Defrance Gertrude Ederle Photo Collection Robert Blondiau Et l’exploit devint féminin femme « la plus connue du monde ». Durant au moins deux décennies. Lorsqu’elle atteint la grève de Kingsdown, à proximité des blanches falaises de Douvres, le vendredi 6 août 1926 à 21 heures 33, « la sirène Gertrude Ederle devient une icône », énonce Claude Fouret, professeur d’histoire, nageur et grand admirateur de la première femme à avoir réussi la traversée de la Manche à la nage. Exploit féminin. Exploit américain. « Un véritable tournant dans la conquête de l’Everest de la natation. » Exploit contesté aussi, parce qu’une femme a dominé des hommes… de la tête et des bras. L A En 1926, Gertrude Ederle n’est pas une inconnue dans le petit monde de la nage en eau libre. La championne américaine, plusieurs fois médaillée au Jeux Olympiques de 1924 à Paris, a déjà tenté une traversée de la Manche, le 18 août 1925, abandonnant au bout de neuf heures. Pour que le rêve devienne réalité, une véritable expédition est montée, illustration parfaite d’une Amérique très conquérante dans cet immédiat après-guerre. Autour de « Trudy », née le 23 octobre 1906 à New York dans une famille immigrée d’Allemagne, se pressent des experts comme Joe Costa, « magnat de la nage », Thomas William Burgess, l’entraîneur. Burgess est le deuxième homme a avoir dompté la Manche. Son savoir est énorme. Cerise sur la vague, Gertrude a également tous les médias des États-Unis à ses côtés: la radio, la presse, le cinéma! Une photo dédicacée de « Trudy » pour Mme Blondiau, la patronne de l’hôtel du Phare. 6 août 1926, 5 heures du matin, une brume enveloppe le cap Gris-Nez et laisse présager qu’il fera beau… Dans le garage de l’hôtel de la Sirène, « Trudy » est enduite d’une couche d’huile d’olive, de trois couches de graisse puis elle enfile son maillot. Burgess lui donne un baiser sur le front, la sirène s’élance à 7 heures. Elle nage le crawl. Tout va pour le mieux dans le meilleur des milieux marins jusqu’à 18 heures. Pluie, vent fort et des vagues Entretenir le mythe Ah s’il avait pu l’interroger ! Agrégé d’histoire, docteur en histoire, professeur au lycée Baggio à Lille et responsable du service éducatif des archives départementales du Nord, Claude Fouret aurait tant aimé rencontrer Gertrude Ederle. « Elle est décédée à New York le 30 novembre 2003, à 97 ans. Elle a eu une vie difficile. Une surdité précoce que sa traversée a aggravée. Une fracture de la colonne vertébrale en 1933. » S’il avait pu, il l’aurait interrogée sur son implication dans l’enseignement de la natation pour les sourds, sur les bouleversements que son exploit a provoqués. « En 1926, il y a un tournant ! » Un sentiment de libération pour les femmes d’abord. Puis d’un point de vue strictement technique, le crawl s’impose comme nage de fond, nageurs et organisateurs approfondissent leur connaissance des courants du détroit. « L’aventure de Gertrude Ederle en 1926 présente déjà toutes les caractéristiques du sport moderne. » S’il avait pu, il l’aurait interrogée sur cet incroyable été 1926. La bataille de la Manche. Dans la foulée de Miss Ederle, l’Allemand Ernst Vierkötter traverse le 31 août en 12 h 35 ; le Français Georges Michel le 10 septembre en 10 h 50 : record absolu qui tiendra jusqu’en 1950. L’ouvrier boulanger de Levallois-Perret a utilisé l’over arm stroke (proche du crawl) et la brasse. Une bataille avec son premier mort : Rodriguez de Lara se noie le 28 septembre. « Outre-Manche, la polémique Ederle et la bataille de la Manche ont amené la constitution en 1927 de la Channel Swimming de plus d’un mètre. La 12e heure est critique, Gertrude revient en arrière. La nageuse puise dans ses réserves d’énergie et peut enfin crier terre à 21 h 33. Elle a conquis la Manche en 14 heures et 32 minutes, battant le record détenu par l’Argentin Tiraboschi. « Avec des conditions difficiles, c’est probablement le plus grand défi de natation jamais réalisé », affirme dès le lendemain le New York Times. Association », pose Cl. Fouret. Une association officielle qui organise (« ça coûte cher, il faut un bateau d’escorte ») et enregistre les traversées. Aujourd’hui encore. Rien de tel en France : « la traversée de la Manche à partir du littoral français est carrément interdite », précise l’historien, convaincu que « les autorités françaises ont eu tort de ne pas entretenir le mythe. » Si Claude Fouret s’est immiscé dans ce mythe, c’est grâce à ce professeur avec qui il a appris à nager durant des vacances aux Sablesd’Olonne. Un professeur pas tout à fait comme les autres : Raphaël Morand avait traversé deux fois la Manche, en 1951 et 1958. Source : « 1926 : la bataille de la Manche à la nage » par Claude Fouret - Staps, revue internationale des sciences du sport et de l'éducation physique (n° 66, 2004). Un exploit contesté Le record de Gertrude Ederle suscite très vite la polémique. L’encre coule. Dans les journaux anglais et français, on reproche à Miss Ederle, « la germano-américaine », d’avoir été protégée par un bateau de son escorte, d’avoir été tirée par une corde durant une partie de la traversée ! « Les arguments de la critique succombent à la solidarité des nageurs eux-mêmes, explique Claude Fouret. Concurrents et adversaires témoignent en faveur de Gertrude ». Quid de cette polémique ? « Elle est révélatrice de l’état d’esprit qui règne en France dans les années vingt. L’exploit est difficile à accepter, parce que d’une part Gertrude Ederle est une femme, et d’autre part parce qu’elle est étrangère. » Logistique américaine, maillot deux pièces, crawl : tout est révolutionnaire ! « Gertrude Ederle a cumulé les défis qui étaient interdits aux femmes au début du siècle. » La polémique pousse aussi des hommes à se mettre à l’eau : le 10 septembre 1926, Georges Michel traverse la Manche en 10 heures et 50 minutes. Le premier Français ! Ils ont retroussé la Manche L’Écho du Pas-de-Calais n o 101 – juin 2009 11 Textes Christian Defrance Le monde entier au Gris-Nez Crocodiles du Nil et sirène danoise urant trente-trois ans, Yvon Lequien « a fait l’école » à Audinghen ; durant dix-huit ans il a été le secrétaire de mairie, « irremplaçable confident du Gris-Nez ». Confidences dont il s’est servi pour rédiger, à l’heure de la retraite, une monographie sur Audinghen et son emblématique cap. Publié en 2004, son livre est une encyclopédie du Gris-Nez : on y apprend tout sur les crans, les naufrages, les villas, les traversées de la Manche aussi… Avec d’étonnants témoignages. Yvon Lequien a par exemple écouté avec grande attention les petites histoires de Robert Blondiau, le fils des patrons de l’hôtel du Phare, établissement où descendait toujours l’Égyptien Ishaq Helmi. « La chambre numéro 1 lui était réservée où un lit spécial avait été aménagé. Ce colosse mesurait 1,93 mètre, pesait 112 kg 1,43 mètre de tour de poitrine… » Colosse et premier « Oriental » à réussir la traversée de la Manche à la nage le 31 août 1928. Après cinq essais non concluants. Fils d’un général, Ishaq Helmi, surnommé Helmi-Pacha, était entraîné par le fameux Burgess ; il avait accompagné Gertrude Ederle pendant son exploit en 1926. Parti du GrisNez le 31 août donc, il arriva le lendemain à Folkestone après avoir passé 23 heures et 51 minutes dans l’eau. Il n’avait pas choisi la route habituelle et fut « repoussé » par le courant et le vent à la fin de son périple. L’exploit d’Helmi-Pacha faillit passer à la trappe, car en tant que musulman il avait refusé de prêter serment devant la Channel Swimming Association. Rebaptisé le « crocodile du Nil », Ishaq Helmi lança dans son pays la mode de la traversée de la Manche ! Marathon de la Manche En août 1950 et 1951, le Daily Mail, journal anglais, parraine l’International Cross Channel Swimming Race. L’Égypte s’octroie les deux premières éditions (9 des 24 partants sont allés au bout en 1950) grâce à Hassan Abdel Rehim et Mahri Hassan Hamad qui devance d’une minute Roger Le Morvan en 1951. Billy Butlin, un homme d’affaires, prend le relais du journal pour assurer le marathon de la Manche de 1953 à 1959. Aucun nageur ne termine la course en 1954 ; le Portugais Joaquim Baptista Pereira gagne en 1954 ; l’Égyptien Abdel Latif Abdu Heif le 15 août 1955 ; tout le monde abandonne en 1956 ; la Danoise Greta Andersen est l’héroïne des marathons 1957 et 1958. Une grande nageuse elle aussi ; championne olympique du 100 mètres nage libre en 1948, elle passa 23 heures dans l’eau en 1964 ! Enfin le dernier marathon de la Manche à la mode Butlin est remporté par l’Argentin Alfredo Camarero. Un marathon dont on a beaucoup reparlé en Angleterre récemment. Le « Great Channel Swim » devait avoir lieu entre le 19 et 24 août 2009… mais n’a pas reçu l’aval des autorités françaises. Photos collection Robert Blondiau D On reconnaît sur cette photo Burgess, Ishaq Helmi… Une folie. La natation de longue distance était aussi populaire que le foot dans les années quarante et cinquante en Égypte. Hassan Abdel Rehim, lieutenant, réussit quatre traversées de 1948 à 1951, remportant le Marathon de la Manche en 1950. Quatre traversées également au compteur pour Mahri Hassan Hamad, officier lui aussi. Les « crocodiles du Nil » avaient conquis la Manche. Tant pis pour les marsouins… Et le très populaire Helmi-Pacha n’ou- Dans les années vingt et aussitôt après la Seconde Guerre mondiale, toutes les nationalités plongent dans la Manche. Américains, Canadiens, Allemands, Grecs, Danois, Égyptiens, Argentins, Péruviens, Pakistanais, Anglais of course, etc. On parle toutes les langues au cap Gris-Nez, et en septembre 1949 le conseil muncipal d’Audinghen augmente l’indemnité de fonction du gérant de la cabine téléphonique « qui, par suite des traversées du Détroit, est dérangé des nuits entières ». En 2009, faire la Manche est toujours d’actualité. Une magnifique galerie de portraits. Difficile d’avancer des chiffres avec certitude mais depuis Matthew Webb en 1875, plus de deux mille traversées de la Manche ont été couronnées de succès. Selon les statistiques (impressionnantes) présentées sur le site internet www.dover.uk.com : 1 015 nageurs totalisent 1 422 traversées en solitaire. Et quelque quatre mille nageurs ont pris part à plus de six cents relais ! - Le 12 août 1923, l’Italo-Argentin Sebastian Tiraboschi fut le premier à réussir une traversée dans le sens France-Angleterre. Il avait passé des heures à étudier les courants avec un spécialiste. - Le 7 octobre 1927, Mercedes Gleitze fut la « première anglaise » à inscrire son nom sur bliait jamais avant de quitter le Gris-Nez « de distribuer aux enfants pièces de monnaie et petites coupures ». Source : « Audinghen Cap GrisNez. Un passé recomposé », Yvon Lequien. Éditions A.M.A. les tablettes. Elle portait une des premières montres Rolex « waterproof » ! - Le 23 août 1958, Brojen Das, né au Bangladesh, est le premier Asiatique à vaincre l’Everest de la nage en eau libre. - En 1951, Florence Chadwick devient la première femme à avoir traversé le Channel dans les deux sens. - Le 20 septembre 1961, l’Argentin Antonio Albertondo est le premier à effectuer un aller et retour France-Angleterre « sans escale » en 43 heures et 10 minutes. - Alison Streeter porte le titre très convoité de « Queen of the Channel » grâce à ses 43 traversées entre 1982 et 2006. Kevin Murphy est le « King » avec 34 traversées (entre 1968 et 2006). - En 2004, George Brunstad, 70 ans, a pulvérisé le record du vainqueur de la Manche le plus âgé… Thomas Gregory avait 12 ans quand il a accompli cette performance le 6 septembre 1988. - Le record de vitesse est toujours détenu par le Bulgare Petar Stoychev en six heures, 57 minutes et 50 secondes le 24 août 2007. - La Channel Swimming Association a recensé 151 traversées effectives en juillet, août et septembre 2008 (87 en solo) ; ces trois mois étant les plus propices avec une température de l’eau acceptable. http://www.dover.uk.com/channelswimming 12 L’Écho du Pas-de-Calais n o 101 – juin 2009 Texte Philippe Vincent-Chaissac Ferry-boats et car-ferries Saga sur fond de concurrence économique L Complémentarité ou rivalité, les deux grandes villes portuaires de notre littoral ont toujours courtisé nos voisins britanniques. Et l’histoire des ferries sur le transmanche s’inscrit dans un contexte de perpétuelle concurrence: entre Boulognesur-Mer et Calais, entre la France et l’Angleterre, entre les compagnies maritimes. Avec à la clef des enjeux financiers colossaux. Tout le monde a en tête les terminaux qui permettent aux voitures et camions d’embarquer directement dans les ferries. Mais ce n’est là que le fruit d’une adaptation à l’explosion de l’industrie automobile. Cela au détriment du chemin de fer par lequel arrivaient les voyageurs. Ce n’est pas un hasard si encore aujourd’hui, la compagnie SeaFrance est une filiale à 100 % de la SNCF. Au gré des vents et des courants voitures-lits entre Paris et Calais, en juin 1873. Et Londres via Boulogne, n’était plus qu’à sept heures de Paris où existaient des correspondances rapides vers la Côte d’Azur, l’Italie, l’Espagne et la Suisse. Le trafic transmanche bondit alors de moins de 130000 passagers en 1900 à près de 400000 en 1913. À la veille de la Première Guerre mondiale, Boulogne était devenu le premier port de voyageurs entre la GrandeBretagne et la France, devant Calais (370000) et Dieppe (210000) et se positionnait même comme port d’escale transatlantique. Les premiers ferry-boats Train + bateau L’arrivée des bateaux à vapeur révolutionna le trafic. Dans un contexte de concurrence, le confort des passagers et la rapidité des traversées étaient l’objet de toutes les attentions de la part des compagnies. En 1840, le premier paquebot en fer, le Dover, faisait son apparition dans le détroit, entre Calais et Douvres. Le Queen et l’Empress qui naviguaient sous pavillon français, possédaient des salons spacieux et confortables et faisaient déjà la traversée en 1h30. Fin XIXe, environ 85000 excursionnistes par an, attirés par notre potentiel touristique, venaient pour une ou deux journées, mais c’est la création de services ferroviaires qui fit exploser le trafic. La Compagnie internationale de wagons-lits mit en service l’une de ses premières Collection Philippe Vincent-Chaissac Que des voyageurs de tout poil aient de tous temps franchi le détroit, ne surprendra personne: les pèlerins de la Via Francigena qui allaient de Canterbury à Rome, partaient de Douvres et atterrissaient du côté de Wissant à quelques encablures du cap Blanc-Nez où les courants et les vents dominants les emmenaient le plus souvent. Mais pour qu’un véritable trafic, dense et régulier, soit organisé, il fallut attendre le XVIIIe siècle, surtout à l’initiative des Anglais qui voulaient l’exclusivité du passage entre Calais et Douvres, et ont « couvert la mer de leurs paquebots ». Début XIXe, Français et Britanniques prenaient en charge les voyageurs de leur pays respectif selon une convention dénoncée par un certain Mascot qui amena la concurrence entre les navires, des cotres emmenant trente ou quarante voyageurs. Le développement du trafic des voyageurs avait nécessité de lourds investissements, pour permettre aux bateaux d’accoster à marée basse par exemple, et des projets d’extension étaient encore dans les cartons lorsque la Première Guerre mondiale éclatait, stoppant net tous les projets de développement commercial, la troupe remplaçant le flot des voyageurs. C’est à cette époque qu’apparurent les premiers ferry-boats construits par les Britanniques pour transporter les trains dans lesquels étaient chargés, blindés, canons et autres matériels lourds destinés aux troupes situées sur le sol français. Une innovation qui a survécu pour rapatrier les troupes après guerre, puis les wagons de voyageurs et de marchandises. Reste qu’au lendemain de la Grande Guerre, les quais étaient quasiment déserts, la South Eastern Railways n’assurant plus qu’un service quotidien entre Boulogne et Folkestone; deux en 1921. Progressivement les bateaux reprenaient toutefois leur rotation avec à leur bord de nombreux excursionnistes venant de Londres, Brighton, Ramsgate ou Hastings. Apparition du car-ferry Àprès la Première Guerre mondiale, les paquebots ont repris leurs rotations Boulogne et Folkestone, la cité des Margats misant autant sur le trafic des voyageurs que sur l’activité de pêche. Photo Philippe Vincent-Chaissac E détroit du Pas-de-Calais est le point où la France et l’Angleterre sont les plus proches. Il attire donc normalement le plus gros du trafic transmanche, avec deux villes en tête de pont: Boulogne-sur-Mer et Calais. Aujourd’hui, la cité des SixBourgeois concentre l’essentiel des passages alors que celle des Margats essaie de maintenir, d’entretenir, le lien qu’elle a avec le Kent. Dans l’entre-deux-guerres, le concept du transport des voitures fit alors son apparition Du cap Blanc-Nez, l’on observe le ballet incessant des car-ferries de SeaFrance et P&O qui entrent et sortent du port de Calais. mais à un coût exorbitant qui scandalisait le capitaine Townsend. Il créa sa propre compagnie en 1929, en affrétant de vieux bateaux puis en lançant sur la ligne CalaisDouvres, le premier véritable car-ferry, le Ford, qui transportait 168 voyageurs et 30 voitures. Vidées de leur essence, celles-ci étaient chargées et déchargées à la grue, et ce n’est qu’en 1936, en raison d’une grève des grutiers, que l’on vit apparaître la première rampe d’accès réservée aux véhicules. Le système était ingénieux, mais provisoire et il fallut attendre une quinzaine d’années pour que les automobilistes puissent embarquer ou débarquer au volant de leur voiture. Il est vrai que la Seconde Guerre mondiale vint à nouveau ruiner tous les espoirs de développement. Ports reconstruits En 1945, les ports de Calais et de Boulogne étaient inutilisables. Ils devaient être reconstruits, mais il fallait donner des priorités. Or le 12 août 1945, le général de Gaulle déclarait: « Boulogne est le premier port de pêche de France »… Une phrase qui justifia tous les efforts réalisés pour lui redonner son lustre d’avant guerre et qui profita sans doute à Calais misant davantage sur le transport de passagers, tout en restant aiguillonnée par sa grande rivale de la Côte d’Opale qui n’avait pas pour autant renoncé à cette activité. Première passerelle à Calais Calais reprit alors cette vieille idée de passerelle qui supprimait le chargement des voitures à la grue. C’était là le début d’une nouvelle ère qui allait nous conduire à la situation que nous connaissons aujourd’hui, Calais renforçant sans cesse sa position de premier port de voyageurs et Boulogne celle de premier port de pêche, tout en refusant de disparaître totalement du marché des voyageurs dont le passage ne fut-ce que pour quelques heures, peut être bénéfique au commerce local. Deux compagnies se partagent le marché au départ de Calais (P&O et SeaFrance), une au départ de Boulogne (LD Lines). Ils ont retroussé la Manche L’Écho du Pas-de-Calais n o 101 – juin 2009 13 Textes A. Top Hovercrafts Photo Philippe Vincent-Chaissac Un petit tour et puis s’en vont E 25 juillet 1959, le Srn1, l’aéroglisseur de Christopher Cockerell traverse la Manche pour la première fois. Le début d’un amour difficile entre le détroit et l’hovercraft qui prendra fin à l’aube de ce XXIe siècle. L Il restera peut-être l’engin le plus impressionnant que la Manche ait connu, peut-être aussi le plus énigmatique. Capable de se déplacer en mer comme sur terre, il n’est ni un avion, ni un bateau mais « un véhicule de transport dont la sustentation est assurée par un coussin d’air de faible hauteur injecté sous lui » dixit Le Petit Larousse. L’hovercraft, aéroglisseur en français, aura connu une histoire à l’image de son statut juridique : un peu troublée, pour ne pas dire mouvementée. Avec son fameux Srn1, l’ingénieur britannique Christopher Cockerell est considéré comme le véritable inventeur, mais il ne l’est pas officiellement, la faute à un brevet américain. Entre les travaux de John ScottRussell, les essais de Clément Ader fin XIXe et le premier « vol » commercial en Angleterre au début des années soixante, les inventeurs se sont livrés à une course au dépôt de brevet et à l’invention la plus crédible aux yeux des investisseurs, ce qui complique la recherche de la paternité de l’aéroglisseur. On évoque des travaux sur terre, en mer, en Finlande, en Autriche, en Australie, sans oublier les États-Unis, la Grande-Bretagne et la France… Mais l’Histoire ne retiendra qu’un heureux événement, et ce sera le premier essai officiel, sur la Manche, le 25 juillet 1959, soit cinquante ans jour pour jour après l’exploit rocambolesque de Louis Blériot. Un événement made in Great-Britain. Jour de revanche pour Sir Cockerell La veille de l’exploit, le vendredi 24 juillet 1959, de nombreux curieux assistent à la petite démonstration du Srn1 dans l’avant-port de Calais, mais le jour J, pour la « première » de la « soucoupe volante » britannique, seulement quelques badauds et très peu de journalistes. Il s’agit Le Portel, 1975, l’âge d’or des hovercrafts dans le détroit pourtant d’un événement pas si anodin que cela. Outre le fait que l’aéroglisseur vole au-dessus de l’eau grâce à son énorme jupe d’air située entre la coque et la mer, la particularité du véhicule amphibie réside également dans le fait que l’invention malgré la fascination qu’elle pouvait susciter, ne bénéficiait pas de tout le soutien qu’elle aurait pu escompter. Boudée par les investisseurs du fait de l’incertitude qui plane autour du statut de l’engin, placée sur une liste secrète par des autorités militaires angoissées à l’idée que l’aéroglisseur ne tombe aux mains de puissances malveillantes… ce 25 juillet sonne alors comme une revanche pour Christopher Cockerell, à condition de réussir la première traversée du détroit sur un coussin d’air. 4 h 45, l’objet volant pas encore tout à fait identifié prend le départ. À son bord, un dénommé Peter Lamb, pilote d’essai chez le constructeur aéronautique Saunder’s Roe. À ses côtés, Sir Christopher Cockerell et sa casquette de marin, accompagné de son adjoint et ingénieur J. Chaplin. Deux heures et trois minutes plus tard (officiellement), les trois compères ont franchi le pas de Calais. Une relative lenteur qui s’explique par la nécessité de faire le plein de carburant en cours de route. De l’autre côté de la Manche, et selon une dépêche AFP, 400 personnes les attendent. Un comité d’accueil digne de l’exploit. Reste à gagner le terrain commercial, transporter à grande échelle véhicules et « Sans crier gare, la soucoupe traverse la Manche ! », Nord passagers. Littoral est l’un des seuls médias présents côté français Le 1er août 1968, la compagnie Seaspeed mettra en service le Princess Margaret sur la Manche, malgré de récurrents problèmes de jupe. Le désormais Srn4 se taille une jolie part du trafic transmanche. En 1972, ils seront cinq, puis sept en 1979. Mais dès 1980, l’hovercraft va entamer sa phase de déclin. Arrivée des transbordeurs de nouvelle génération, entretien trop coûteux, fusion en 1981 des deux sociétés exploitantes Seaspeed et Hoverlloyd. Il va résister à l’arrivée du tunnel sous la Manche en 1995… mais pas à la fin du duty free en 2000. Good bye le détroit en octobre. L’expérience de Cockerell Christopher Cockerell, à l’époque employé chez la Marconi company, concentre tous ses efforts sur la réalisation d’une embarcation dont la coque serait en sustentation… le problème : réduire au maximum les frottements. En 1952, c’est dans sa péniche aménagée que Sir Cockerell va démontrer ce que lui et d’autres inventeurs pensaient : qu’il était possible de faire planer un bateau audessus de l’eau. C’est au moyen d’un aspirateur et deux boîtes de conserve (une de café et l’autre de viande pour chien) que l’ingénieur a pu imaginer le principe même de l’aéroglisseur. 14 L’Écho du Pas-de-Calais n o 101 – juin 2009 Textes Christian Defrance Les drôles de cocos du Channel n° 1 Photo extraite du livre « Cross Channel », de Richard Garrett Prendre un bain ou plonger ? I la traversée de la Manche - par tous les moyens possibles et imaginables - est quasiment une institution anglo-saxonne, elle ne suscite pas le même enthousiasme chez les Français. Frilosité liée à la « délicatesse » de ce passage ? Le pas de Calais est au sommet du hit-parade des détroits les plus fréquentés du monde. 700 à 800 bateaux par jour ! Du petit bateau de pêche au supertanker de 300 000 tonnes. Une autoroute de la mer sans bretelles pour les aventuriers. Entre flux longitudinaux et flux transversaux, le Cross (Centre régional opérationnel de surveillance et de sauvetage) Gris-Nez et le Dover Coastguard veillent au grain. Pas forcément ravis de voir apparaître un bateau à pédales entre deux pétroliers. S Il y avait moins de circulation en 1953, quand un citoyen du Sussex amena son bateau à pédales de Ramsgate à Audinghen, en vingt heures. Un peu plus pour Yvan Desingly et son bateau à voile et à pédales en 1983. Le 21 mai 2002, Paul Tucker pédala carrément sur « l’autoroute », de Folkestone à Calais, en 14 h et 20 minutes ! Étroit, 30 km de large au minimum, peu profond avec des fonds allant de 20 à 54 mètres, le détroit du Pas-deCalais regorge également d’épaves qui peuvent émerger lors de grosses marées basses… Parmi ces épaves figurent quelques objets hétéroclites naguère employés par les véritables farfelus de la traversée de la Manche. Les Anglais appellent d’ailleurs les mois durant lesquels ces tentatives se multipliaient « the silly season », la f o l l e tio tra us Ill tu nS di oL eg ra i n saison. Bref, au fond de la Manche, repose la garderobe avec laquelle, en 1971, un citoyen de Penge (au sud de Londres) a tenté la tra- Des plongeurs traversent sous la Manche. Du jamais vu ! versée ! Au bout de trois miles, le vent et le courant l’avaient poussé à aban- Aux États-Unis, son nom est la D’autant qu’il avait la tête de donner. Repose aussi la bai- réponse à une question du l’emploi; il fut en effet à la fin gnoire dans laquelle voulut Trivial Pursuit! Il figure dans des années quarante acteur et voguer un excentrique bri- un paquet de livres de records. mannequin. tannique en 1961… Mais nos Attention, mains sur le buzzer, Né dans l’Ohio en 1924, Fred voisins ont de la suite dans les top c’est parti : « que s’est-il Baldasare s’initie à la nage sousidées, et en juin 2005, un passé le 11 juillet 1962? » Les marine durant son service milicomédien, Tim FitzHigham a champions du Channel ont taire. Il vit à Los Angeles, la cité traversé en ramant jusqu’au déjà trouvé. Ce jour-là Fred du rêve sur grand et petit Gris-Nez, assis dans une bai- Baldasare devient la première écrans puis à New York où il se gnoire en cuivre montée sur personne à traverser la marie avec Jane Lisle. Deux des flotteurs ! Un bon bain Manche sous l’eau sans faire mordus de plongée; Jane participant à des concours d’enduqui dura neuf heures et surface. Étonnant, non? demie… Tout propre, Tim Les journaux du monde entier rance sous l’eau. Son époux la FitzHigham remonta deux ont publié la photo du plongeur sent tout à fait capable de tramois plus tard la Tamise amoureusement félicité par sa verser la Manche… Mais le fiancée, une baronne alle- couple divorce; Fred part en jusqu’à Londres. mande. Cet exploit sous-marin Floride et fait sien ce projet p r o p u l s a d’épopée sous-marine. Une Baldasare au équipe est mise sur pied avec rang de plusieurs plongeurs français et s t a r … un plongeur anglais qui seront chargés de lui amener les réserves d’air frais, de lui communiquer des informations. Le plongeur américain échoue lors d’une première tentative; il vomit et sa première réserve d’air est remplie d’eau… Plus tard, Baldasare affirmera que le plongeur anglais était un espion, voulant saboter l’opération! Fred maudit les Anglais mais ses amis français le convainquent de renouveler l’essai. L’entraînement se poursuit en Italie. Fin prêt et excité, accompagné par le Club des chasseurs et explorateurs sousmarins de France, créé en 1946, Fred Baldasare entre dans l’eau au cap Gris-Nez le 10 juillet. La mer est très agitée, les courants sont défavorables mais le plongeur lutte avec détermination. Toutes les heures sa bouteille d’air comprimé est renouvelée. Le bateau d’escorte est piloté par Val Noakes, un vétéran du Channel; bateau équipé d’un circuit fermé de télé relayant les images d’une caméra sousmarine. 19 heures et une minute après son départ, Fred refait surface à Sandwich. Il a « couvert » l’incroyable distance de 67 kilomètres ! Une forte marée l’a longtemps détourné de son but. Après le détroit du Pasde-Calais, l’Américain traverse sous l’eau, en scaphandre autonome, les détroits du Bosphore, de Gibraltar, d’Oresund. Il entame une brève vie de star à Acapulco, côtoie Cousteau à Monaco. Fred refait la une des médias en 2008, annonçant, après avoir survécu à une attaque cardiaque, que « le sous-marin humain veut battre le record de traversée sous-marine en nageant de Cuba à Miami… » Par contre, le Trivial Pursuit n’a pas retenu le nom de Simon Patterson ! Le 28 juillet 1962, ce jeune anglais a effectué la traversée de la Manche en nageant sous l'eau durant 14h50 avec un tuyau d'air fixé à son bateau pilote. Ils ont retroussé la Manche 15 L’Écho du Pas-de-Calais n o 101 – juin 2009 Textes Christian Defrance Véhicules amphibies Les fous du volant et des hélices faire pâlir d’envie James Bond, l’inspecteur Clouseau, OSS 117 ! Rouler sur l’eau. L’histoire des voitures amphibies est plutôt curieuse. Décalée. Elles sont passées du statut d’engin insolite à celui d’objet-culte. Dans le monde entier, des passionnés entretiennent avec amour leur Amphicar. Seul véhicule amphibie, imaginé pour le grand public, l’Amphicar est née en Allemagne, conçue par Hans Trippel, équipée d’un moteur Triumph. Près de quatre mille furent construites de 1961 à 1965. Beaucoup roulent et flottent encore aujourd’hui. Le contraire eût été étonnant : l’Amphicar a traversé la Manche. Archimède est passé par là. Une Amphicar flotte si elle contient un volume porteur suffisant par rapport à son poids. Ce volume est obtenu en rendant le véhicule totalement imperméable avec une soudure continue. Les éléments mécaniques sont étanches grâce à une tôle constituant le fond. La stabilité est assurée si le moteur est placé à l’arrière. Le tableau de bord possède deux leviers de vitesses : un terrestre et un nautique qui commande les hélices. Dans son livre Cross Channel, publié en 1972, Richard Garret affirme qu’un véhicule amphibie expérimental a traversé la Manche dès 1935. Peut-être Hans Trippel ? Mais la période dorée de l’Amphicar eut lieu trente ans plus tard. Le 9 août 1962, Jean Bruel et Tony Andal, conducteurs au pied marin et pas forcément tentés d’appuyer sur le champignon, traversent la Manche en 5 heures et 50 minutes. En 1965, deux officiers anglais, les capitaines Peter Tappenden et Michael Bailey, décident à leur tour de rouler sur le Channel. Un projet qui parvient aux oreilles de Timothy Dill-Russell, prestidigitateur, croupier dans un casino londonien et surtout propriétaire d’une Amphicar. Les deux capitaines acceptent sa compagnie et lui adjoignent un mécanicien, le sergent Joe Minto. Le départ est donné le 16 septembre à 5 heures et demie du matin au pied de Marble Arch. Les quatre protagonistes ont revêtu une belle combinaison bleue. Deux heures plus tard, les deux voitures atteignent Douvres. Et se mettent à l’eau à 8 h 50. Vitesse moyenne : six à sept nœuds. L’affaire devient périlleuse quand le vent se met à monter en début d’après-midi. Les deux voitures amphibies parviennent à « passer » les grosses vagues grâce à une conduite habile. Manque de pot, l’Amphicar de DillRussell tombe en panne. Les capitaines décident sur le champ de la remorquer. Ils s’y reprennent à deux fois pour tendre une corde de nylon entre les voitures. Avec beaucoup de flegme. Il en faut quelques livres, car les officiers constatent ensuite que le réservoir déborde... Les plans sont contrariés et les voitures n’arriveront pas à marée haute comme prévu mais sur du sable fort mou ! Amphibie mais pas tout terrain. Les quatre hommes ne perdent jamais les pédales, encouragés par une foule énorme (des centaines de personnes séduites par ces fous du volant qui ont traversé le détroit le jour d’une grève des car-ferries). À 16 h 30, les Amphicar retrouvent allure terrestre au nord du port de Calais. À 17 h 43, la voiture de Dill-Russell est réparée. Un bon lavage et direction Francfort, en Allemagne, où se tient le grand salon automobile. Le séjour se poursuit à Berlin avec un détour par le siège de la firme Amphicar... Peter Tappenden et Joe Minto sont malheureusement refoulés au check-point berlinois : les passeports n’ont pas supporté la traversée de la Manche ! ai n À s Illu tra t r eg oL di u t sS ion Pour redonner du tonus à l’épopée des voitures amphibies, le professeur Hans Georg Näder a lancé sa Tonic sur la Manche le mardi 1er juillet 2008. Bateau muni de roues, la Tonic peut accueillir quatre personnes ; les roues arrière ou plus exactement l’hélice en poupe est entraînée par un moteur diesel de 170 chevaux avec deux litres de cylindrée. Sa vitesse sur l’eau est de 50 km/h. Le professeur Näder et Henry Hawkins, son passager, ont quitté Douvres à 5 heures du matin, faisant demi-tour au bout de sept miles pour « raisons techniques ». Réparations exécutées à toute vitesse et la Tonic est repartie à 8 h 15 arrivant à Sangatte 74 minutes et 30 secondes plus tard. Un nouveau record de la traversée en voiture amphibie. Le précédent record appartenait au milliardaire Richard Branson. Le Sir Richard Branson de l’empire Virgin, de la traversée de l’Atlantique en montgolfière. Le 14 juin 2004, il avait mis 100 minutes et 6 secondes au volant d’une Gibbs Aquada avec sa carrosserie aérodynamique et hydrodynamique. En 2004, la firme suisse Rinspeed a lancé la Splash, un prototype non commercialisé. Engin bizarre, compromis entre la voiture de sport, le bateau et l’hydroptère. Il peut atteindre 80 km/h sur les flots. En juillet 2006, la Splash a couvert les 36 kilomètres séparant Douvres de Sangatte en 3 heures et 13 minutes. Les mouettes ont bien rigolé le 21 juillet 2006 : « encore une qui se prend pour la Panda ! » Une Fiat Panda amphibie a elle aussi traversé la Manche. Partie de Folkestone à 10 h 15, elle est arrivée sur la plage du Gris-Nez au milieu des vacanciers six heures plus tard. Au volant un ingénieur milanais, Maurizio Zanisi qui grâce à une ceinture gonflable a permis à sa voiture de flotter... Une Panda et pourquoi pas un tracteur ? Ça, c’est fait depuis belle lurette. Le 30 juillet 1963, le bien nommé Sea Horse a labouré la Manche entre le cap Gris-Nez et North Foreland sur la côte est du Kent. Un tracteur de la marque County - spécialisée dans les engins pour terrains marécageux- avec deux énormes roues arrière et conduit par David Tapp. Et une mention spéciale pour Patricia De Wispelaere qui a traversé la Manche sur un jet-ski en 1994. 16 L’Écho du Pas-de-Calais n o 101 – juin 2009 Textes Marie-Pierre Griffon Bryan Allen Le ciel est une voie cyclable ’EST une sorte de créature fantastique. Pas tout à fait une bicyclette, pas vraiment un planeur… Le vélo-avion piloté par Bryan Allen est un animal fabuleux, entré en 1979 dans la mythologie des records. Nommée judicieusement Gossamer Albatross - l’oiseau de tulle - la bête a été conçue par le technicien Paul MacCready et a permis de franchir la Manche sur la plus grande voie cyclable du monde. Un trajet éprouvant si on en croit le cyclo-pilote qui, endolori de crampes à la fin du parcours, a failli transformer son chimérique véhicule en vulgaire pédalo. Bryan, qui a vu le jour en 1952, est la quatrième génération d’Allen nés en Californie. Après l’université, il a trouvé un job d’horticulteur dans une grande ferme, partageant son temps libre entre le deltaplane et les courses de vélo. Quand on aime le sport aérien et le cyclisme, on rencontre forcément des hommes qui inventent des machines volantes à énergie humaine. Selon Bryan, « il suffit d’être au bon endroit, au bon moment. » Il venait d’entrer dans l’équipe Gossamer. Une selle de vélo et une hélice À 19 ans, le jeune homme est devenu le principal pilote du groupe. C’est lui qui était au pédalier quand, en août 1977, le vélo volant Gossamer Condor, remporta le prix Kremer. C’est encore lui qui, en 1979, traversa la Manche en 2 h49 à bord du Gossamer Albatross. Pour manœuvrer le prototype, l’homme était assis sur une selle de vélo, animait l'hélice avec un pédalier, et dirigeait son appareil au moyen d'un guidon. De Folkestone au cap Gris-Nez, Bryan a dû fournir une puissance d'un quart de cheval pour laquelle avait été calculée la machine. Dans la mesure où un cyclotouriste moyen, en régime continu, ne fournit guère plus d'un dixième de cheval, on imagine l’état d’épuisement de l’homme quand il est arrivé au pied de la falaise française. Les crampes ont failli abréger le voyage… Le succès de l’opération a valu au pilote et son avion à pédales un tour des États-Unis et de l’Europe, et mille conférences à donner. Photo Wikipédia C En juin 1979, Bryan Allen a franchi le détroit du Pas-de-Calais avec son « Gossamer-Albatross », un avion à énergie humaine. La machine, construite par Paul B. MacCready, un ingénieur américain, a permis de traverser les 23 miles (37 km) qui séparent Folkestone du cap Gris-Nez en 2 heures 49 minutes. La carrière Passionné de vol, Bryan Allen a ensuite travaillé pendant quatre années à la tête d’une entreprise d’avions ultralégers, au Nouveau-Mexique. Il y a développé des prototypes, a réalisé des vols d’essai, a écrit des manuels et a acquis une licence de pilote. Puis il a rejoint un des ingénieurs qui avait travaillé avec Paul MacCready sur Gossamer Albatross et a monté avec lui une petite entreprise en Californie. Bryan a poursuivi sa carrière dans un laboratoire consacré aux fusées, Jet propulsion laboratory; il a été également éditeur de software, développeur de système de données, et depuis 1995, il est ingénieur en logiciel dans l’exploration… de la planète Mars. L’oiseau de tulle En 1485, Léonard de Vinci dessinait un croquis d’une curieuse machine Ill volante, actionnée par un us tra tio nS pédalier. Combinant ses tud io L egr a in connaissances de physique et de mathématiques, avec ses observations des vols d’oiseau, il venait d’inventer une étonnante variété d'ornithoptères mus par la force musculaire… Ses machines fantastiques ont attisé un temps la curiosité mais sont restées couchées sur le papier… jusqu’à ce qu’un groupe de Frankfort en 1933 puis l'industriel britannique Henry Kremer en 1959 développent un intérêt similaire pour les volatiles mécaniques. Kremer a même proposé d’offrir un prix à la première équipe capable de faire voler un avion à énergie musculaire… sur un parcours de 1,6 km en forme de huit. Les premières tentatives ont toutes connu des échecs. Les engins mis au point étaient trop lourds. Il a fallu attendre 18 ans… et l’ingéniosité de Paul MacCready (1925-2007), au sein de l’équipe Gossamer, pour réussir cet exploit, avec le Gossamer Condor. Deux ans plus tard, en 1979, est né le Gossamer Albatross. La machine était d'une incroyable légèreté : 25 kg pour une envergure de près de 30 mètres. Il était constitué d'une armature de fibre de carbone, tendue d'une pellicule de polystyrène transparente. L’aspect paraissait si fin, si aérien, qu’il a été baptisé « Gossamer Albatross » un raccourci typiquement anglais qui lie le vol plané de l'albatros et la légèreté poétique du tulle. Le cockpit de l’appareil, lui, était en milar, un film de très grande solidité, très stable et transparent. Le gouvernail polyvalent, situé à l'avant était le seul moyen de contrôle. Le Gossamer Albatross avançait sous l'effet d'une grosse hélice bipale mue par la seule force musculaire du pilote… qui pesait, dit-on, deux fois plus lourd que son vélo-avion. Pour en savoir plus • Gossamer Odyssey de Morton Grosser. Éditions M. Joseph (20 juillet 1981). En Anglais. ISBN-13 : 978-0718120337 • Gossamer Odyssey : The Triumph of Human-Powered Flight de Morton Grosser. Dover Publications Inc. ; en Anglais. ISBN-13 : 978-0486266459 Ils ont retroussé la Manche 17 L’Écho du Pas-de-Calais n o 101 – juin 2009 Textes Christian Defrance Les drôles de cocos du Channel n° 2 Pédaleurs et autres hydrocyclistes les conditions étaient réunies. Une excellente condition physique. De bonnes conditions météorologiques. Pierre Desbas se souvient d’une traversée presque tranquille. « Ça tanguait un peu quand les tankers passaient à proximité de mon embarcation… » Et quelle embarcation ! Le 7 juillet 1989, Pierre a franchi le détroit du Pas-de-Calais dans un « Waterbuggy ». Un engin à pédales, en forme de coquille, avec une hélice et deux poignées pour manœuvrer. T OUTES re ier ba Des s Arques Plaisance, base nautique Tél. 03 21 98 35 97 P ée ri v Le 7 juillet, à six heures et demie du matin, la mer est belle, la brume légère, Pierre Desbas quitte Folkestone et pédale vers Calais. Il a pris des bouteilles d’eau vitaminée, du « manger sec ». Les courants np tio ec Surfbike à Arques rre De sba sa um ilieu de la M ilm e du f anche… su ivi par la musiqu Fous à lier ? Fous du pédalier. Quelle idée de vouloir transformer le détroit du Pasde-Calais en piste cyclable ! En ParisRoubaix aquatique. Se mettre en danseuse plutôt que de se mettre au crawl. Dès 1883, le journal Science affirmait qu’un certain Mister Ferry avait traversé le Channel le 28 juillet de la même année sur un « water tricycle ». Douvres-Calais en moins de huit heures. Le 23 juillet 1894, George Pinkert et son vélocipède aquatique muni de roues aussi grosses que des ballons s’élançaient du Gris-Nez. Neuf milles plus tard, le « coureur » abandonnait. À la fin des années trente, René Savard fut le champion toutes catégories de l’hydrocycle. Mlle Mistinguett avait d’ailleurs tenu à le saluer. Né le 11 août 1898, Savard avait inventé à Puteaux la « Nautilette Austral », un vélo sur flotteurs que les journalistes appelaient «L er am l e ts d n e es d »! aussi « hydrocyclette ». Le 17 novembre 1927, l’hydrocycliste (accompagné par un bateau de pêche) réussissait la traversée de la Manche, de Calais à Douvres, en six heures et six minutes. Un autre hydrocycliste faisait un peu mieux le mercredi 17 avril 1929 : Roger Vincent pédalant de Calais à Douvres en 5 h 57 ! Apparemment René Savard aurait récupéré son record le 5 novembre 1930, sprintant cette traversée en 4 h 37… mais sans bateau convoyeur. Il est décédé en 1975. L’ h y d r o c y c l e était très à la mode. Le journal Le Télégramme du 18 avril 1929 présentait ainsi la charmante Aimée Pfanner : « elle va disputer la traversée de la Manche sur un hydrocyle Savard. Elle a pris soin de contracter une assurance de 50 000 dollars pour la garantie de ses jambes fort athlétiques. » Le 9 mai 1929, Mlle Pfanner effectuait la traversée, sans doute grâce à ses beaux mollets. Yvon Lequien Pie Photo collection sont favorables et le « Waterbuggy » file à trois nœuds. Pierre ne se pose pas de question… Se réjouissant d’avoir eu la bonne idée de mettre ses chaussures de triathlète qui collent aux pédales. En pleine Manche, la coquille à pédales croise le car-ferry Champs-Élysées dont les passagers encouragent l’étonnant cycliste. « Ça fait quand même drôle de se retrouver seul en pleine mer » avoue aujourd’hui Pierre. D’autant qu’à bord du bateau suiveur (obligatoire pour que la traversée soit homologuée), les accompagnateurs s’amusent à passer en boucle la musique des « Dents de la mer » ! À 13 h 30, le pédaleur est devant le port de Calais. Sacrée performance. Il faut trois quarts d’heure pour « débarquer » et Pierre Desbas savoure enfin sa traversée. Deux mois plus tard il gagne le « Raid des canaux ». Épreuve qu’il remporte encore l’année suivante. En 1991, Pierre Desbas crée la base nautique d’Arques ; l’aventurier est aussi un bon entrepreneur. Une base où il importe une invention québécoise baptisée surfbike. Une planche de surf équipée de pédales et d’un guidon avec laquelle Pierre effectue le trajet Arques-Paris via les canaux en 1999. Intenable. Là encore toutes les conditions étaient réunies pour que le surfbike traverse la Manche : « Hélas, deux fois mon dossier a été refusé ! » Et Mme Desbas mit le holà à l’envie de son incroyable époux de se lancer dans une traversée de… l’Atlantique. ll Co Une traversée presque tranquille, à condition d’avoir « un brin de folie ». Pierre Desbas sourit, il a toujours eu la fibre aventurière… qui s’est constamment entendue à merveille avec les effets du hasard. En juillet 1989, Pierre ne pensait pas du tout à la Manche. Il voulait en fait s’inscrire au départ du premier « Raid des canaux » entre Bruges et Paris. Attendant son tour chez les organisateurs, il surprend une conversation téléphonique : « Gérard Starck apprenait le forfait du pilote du « Waterbuggy » qui devait traverser la Manche deux jours plus tard. » Devant un évident désappointement, Pierre déclare tout de go : « je suis votre homme. J’ai les jambes. » Gérard Starck - fils d’André, ingénieur aéronautique et frère de Philippe, le célèbre designer - réalise très vite qu’il a en face de lui un garçon décidé. En deux heures de temps, tout est réglé. Pierre Desbas a alors 38 ans, il dirige un centre de culture physique à Hazebrouck. Il a touché à tous les sports : judo, boxe américaine, athlétisme avec une prédilection pour le saut en longueur, rugby, triathlon, football américain. Il fait le tour du « Waterbuggy » la veille de la traversée, se familiarisant avec l’engin révolutionnaire durant deux heures dans le port de Folkestone. Un moral à toute épreuve. Ph ot o 18 L’Écho du Pas-de-Calais n o 101 – juin 2009 Texte Philippe Vincent-Chaissac Karine Baillet Photo D.R. Le détroit comme défi sportif de raid, Karine Baillet est une femme de défi. Après avoir réussi une première traversée de la Manche en wakeboard, elle a renouvelé l’expérience sur une planche à voile, devenant la première femme véliplanchiste à réaliser l’aller-retour. C HAMPIONNE Une ligne de plus au palmarès Karine Baillet est la première à avoir effectué une traversée en wakeboard. Plus de deux heures sur le wakeboard qualités d’endurance, elle a su rester concentrée pour déjouer les pièges, les vagues qui arrivaient de côté et de dos, la houle accentuée par les gros bateaux croisés… et tenir bon, jusqu’au bout. Tenir sur un wakeboard pendant cinq ou dix minutes est déjà quelque chose d’énorme. Or il aura fallu 2 h 08 pour couvrir la distance des 41 milles nautiques qui séparent Douvres du Touquet. Sans tomber. Là est l’exploit. Authentifié par l’huissier. Partie derrière un ferry, elle a pu s’abriter un moment du vent qui a ensuite un peu baissé. Sensation énorme lorsque l’on est au milieu du détroit, au milieu de nulle part : « c’est super beau ». La côte se devine ensuite. L’exploit est là, au bout des bras. Mettant alors à profit ses Des vents force 8 Pari tenté. Pari gagné. Karine Baillet est joueuse et très vite elle s’est lancé un nouveau défi : la traversée aller-retour, sur une planche à voile et par gros temps « je voulais la faire dans des conditions difficiles ». Un an après la traversée en wakeboard, tout était prêt. Le matériel et l’équipe d’assistance qui, elle aussi, devait être au top. Karine Baillet a attendu un avis de coup de vent, force 8, et de grosses vagues pour quitter Wissant. Dans des vagues énormes, plus hautes que le mât, cela devient grisant. On ne voit plus rien et c’est un premier soulagement de voir apparaître les côtes anglaises qu’elle touchait à Folkestone après un premier effort d’une heure et quart. Le temps de boire et d’avaler une barre énergétique, Karine remontait sur sa planche pour un retour aussi dantesque que l’aller, obligée de tirer des bords pour éviter la collision avec les tankers. Deuxième soulagement lorsque la falaise du Blanc-Nez est apparue. Une première féminine Profitant des vents et des courants, elle touchait terre à Saint-Pô, après une heure et demie passée en mer… Karine devenait alors la première femme à avoir réussi cette double traversée sur une planche à voile, ce qui n’est toujours pas le plus important pour elle. Deux ans après, ce qui l’émeut encore ce sont les couleurs de l’eau, les éclaircies dans le ciel, les oiseaux et l’immensité du détroit. Et quelque part, cela doit lui manquer, car elle parle d’une nouvelle tentative : en kayak. Photo DD Wissant Pour elle, la traversée de la Manche ne pouvait être que sportive… « J’ai envie, j’y vais, je fais… » Une courte ligne ajoutée à une longue liste d’exploits. Un détroit qui, une fois traversé, s’est pour elle érigé au même rang que la Patagonie, l’Arabie, l’Écosse, le Viet Nam, les États-Unis, terres de quelques-uns de ses exploits. À l’été 2006, elle répond à l’invitation d’un de ses amis, pour une première tentative de traversée en wakeboard, planche de surf équipée de cale-pieds, tractée par un bateau à moteur. Ça relève de la pratique du ski nautique. Touquettoise dans l’âme, Karine Baillet voulait arriver en baie de Canche, chez elle, sur sa plage. Tout était réuni pour le jour J, le 4 août… Le bateau, l’huissier à bord, les autorisations. Tout était en ordre. Sauf la météo. Vent et forte houle pour une vraie tempête qui n’était toutefois pas la condition suffisante pour renoncer. Arriver à Douvres avec le bateau n’était déjà pas une chose facile, se souvient Karine Baillet et le défi ne faisait que commencer. Photo D.R. Tellement loin. Tellement proche. L’Angleterre… Et la Manche, le pas de Calais. La courte immensité de la mer. Lieu de défi à portée de main. Lieu de perdition au bout de la plage, de la falaise. Karine Baillet qui a couru, nagé, pédalé, navigué, escaladé, partout sur la planète n’a pas résisté à la tentation de s’inscrire dans la grande tradition des traversées de la Manche. Pas pour inscrire son nom sur un quelconque livre de records… simplement pour se faire plaisir, parce qu’elle aime le concept « du plus loin, plus fort ». Karine Baillet a volontairement réalisé sa double traversée sur une planche à voile dans des conditions difficiles. Le wakeboard s’apparente au ski nautique. Partie de Douvres, Karine Baillet est arrivée au Touquet. Ils ont retroussé la Manche L’Écho du Pas-de-Calais n o 101 – juin 2009 19 Textes Christian Defrance Les drôles de cocos du Channel n° 3 Photo Laurence Latour De l’utopie à l’extrême E n’est que partie remise ! À deux reprises, Stéphane Rousson a prononcé ces mots. De la partie, il le sera à nouveau un jour, pour enfin traverser la Manche avec ce dirigeable à pédales que le « pédaleur d’élite » souhaite faire entrer dans l’histoire. Par la grande porte. C chée), huit heures durant. Il vole à une vitesse moyenne de trois à quatre nœuds, passant sans cesse de six à vingt mètres d’altitude. Question de gestion du gaz. Il effectue les deux tiers du chemin, 34 kilomètres, validant déjà le principe de la traversée… Mais Éole se plait à contrarier les plans des aventuriers. À 18 kilomètres de Wissant et de la « ligne d’arrivée », un vent de face énergique oblige le pédaleur à renoncer. Le ballon atterrit sur un des deux bateaux de l’escorte puis il est dégonflé. On imagine la déception du Niçois, persuadé depuis 2003 que son dirigeable à pédales va rejoindre le Blériot. Grosse déception aussi pour le sponsor, Arexa. Ces cinq années, le pédaleur les a retracées dans un livre, écrit avec la complicité de Laurence Latour, Voyage à la lisière de l’utopie. Ouvrage présenté en Photo Marc de Tienda Une grande porte météo ! Car c’est bien la météo qui joue le rôle de juge de paix dans cette aventure. Ainsi, le 10 juin 2008, le ballon était prêt sur la plage de Dungeness dans le Kent attendant patiemment que le vent souffle à bonne vitesse. Au cours de nombreux essais (30 heures de vol), Stéphane Rousson avait constaté que son dirigeable de seize mètres de long et 160 mètres cubes, « à propulsion musculaire par pédalage », ne volait pas « en toute sécurité » avec une brise supérieure à quatre nœuds. Or ce 10 juin, le vent resta à cinq nœuds. Retour dans le Kent le dimanche 28 septembre 2008, à Hythe près de Folkestone. La météo est favorable, le dirigeable a fait le plein d’hélium et décolle. Les vents sont même très faibles. Trop faibles. Stéphane Rousson, un Niçois de 39 ans, pédale avec ardeur (en position cou- Des vagues d’Hawaï à celles de la Manche avec le grand Laird. Stéphane Rousson a toujours admiré Blériot, Bryan Allen, les inventeurs téméraires. avril 2009 au Salon de l’écrit de Wissant. Stéphane raconte son « histoire », partagée avec d’autres « doux dingues » comme Yves Rossy par exemple. Le fameux Fusion Man qui a traversé la Manche avec une aile à réaction le 26 septembre 2008. Deux jours avant la deuxième tentative du pédaleur d’élite. Stéphane n’a plus qu’une idée en tête : « retenter le vol ! » Il faut trouver un sponsor et 40 000 euros pour couvrir tous les frais de logistique. Ni chercheur, ni universitaire, Stéphane se heurte à la frilosité des investisseurs ! Il est pourtant « le seul au monde à faire du dirigeable à pédales et c’est extrêmement compliqué, très dangereux ». Ce vol pourrait se faire en septembre quand la météo est plus agréable sur cette Manche « où ça n’a aucun sens de faire du dirigeable à pédales ». « Un personnage à part. Une légende vivante ! » Le photographe Marc de Tienda ne tarit pas d’éloges sur l’Hawaïen Laird Hamilton, le surfeur de l’extrême, amateur de grosses, très grosses vagues (les tubes). Il l’a suivi le 29 mai 2006 dans sa traversée de la Manche… sur une grande planche. « Une paddle-board inspirée de celle qu’utilisaient les Hawaïens, idéale pour surfer sur les petites vagues. » Équipé d’une pagaie, Laird Hamilton - 42 ans - alternait entre le surf et la rame au cours de sa traversée, faisant fi des vents contraires et des orages, se méfiant toutefois des tankers qui passaient dans tous les sens. Parfaitement préparé sur le plan physique, Laird a couvert la quarantaine de kilomètres entre Douvres et le cap Blanc-Nez en six heures. Il faut ajouter que le surfeur était arrivé à Douvres… à vélo, parti cinq heures plus tôt de Londres ! Vélo qu’il a enfourché à nouveau après une petite nuit de sommeil en France, effectuant un Le Touquet-Paris (235 kilomètres) en huit heures et demie. Et Marc de Tienda regrette que l’exploit du géant américain (1,90 mètre pour 100 kilos) soit pratiquement passé inaperçu chez nous… Laird Hamilton avait souhaité que cette traversée de Londres à Paris permît la réalisation (par son ami Don King) d’un film sur la connaissance des enfants autistes. Une légende vivante assurément. 20 L’Écho du Pas-de-Calais n o 101 – juin 2009 Texte Marie-Pierre Griffon Fusion Man à 200 à l’heure personnes, pressées, vont en Angleterre en Shuttle. D’autres préfèrent l’avion. Le Suisse Yves Rossy, qui n’aime pas traîner non plus, a son propre moyen de locomotion. Il se pose des ailes sur le dos et s’accroche quatre réacteurs! C’est rapide, preste, agile. En septembre dernier, il a traversé la Manche à 200 à l’heure! « J’en garde un très beau souvenir, beaucoup de plaisir, ce fut une expérience incroyable, dit-il. Ce vol dans un paysage magnifique a été un grand moment! » « Fusion Man » a volé treize minutes, c’était la première fois. Pour cette expérience, il a voulu rallier Calais à Douvres. « J’ai survolé avec mon aile un trajet mythique dans l’histoire de l’aviation. J’ai énormément de respect pour Louis Blériot, il jouait sa vie! Je suis très admiratif de ces pionniers de l’aviation. Lors de ma tentative, l’infrastructure était lourde, mon vol restait assez pointu même 99 ans après Blériot; je me suis rendu compte que cela rendait l’exploit de l’aviateur d’autant plus grand! » C Photo by Bruno Brokken L’homme qui a plus d’un tour dans la Manche Tout a commencé, semble-t-il, du haut d’une branche d’arbre. Le jeune Yves, fâché de ne pouvoir en descendre s’était juré : « Quand je serai grand, je serai pilote-s ! » Il raconte que dans sa tête il avait mis un « s » au mot pilote, histoire sans doute de ne pas se limiter. Déjà ! Pas de limite non plus dans son goût du sport, de l’enfance à l’adolescence. Surf, ski nautique, wakeboard, voltige aérienne, moto, rafting, deltaplane… Il compte plus de 1 100 sauts en parachute et autre skysurf. Yves Rossy a toujours aimé tout ce qui file, glisse, vole… avec, l’un après l’autre, une vingtaine de moyens de locomotion : moto, snowboard, ski, alpinisme, parapente, VTT, puis saut à l’élastique, hélicoptère, chute libre, rafting et hydrospeed, pour terminer avec kayak, voiture de sport, deltaplane, équitation, barefoot, ski nautique, wakeboard et speed boat. Yves Roissy, créatif et astucieux, s’amuse à mêler, mélanger, inventer, tout ce qui vole et voltige, et multiplie les essais avec des engins qui évoluent au fil de ses expérimentations. Il crée notamment une aile gonflable avec laquelle il franchira le lac Léman puis, après moult autres expériences, il décide de la motoriser avec des réacteurs de modèles réduits. En 2003, une tentative sur le glacier d’Allalin à Saas Fee (Suisse) révèle un problème de rigidité. En 2004, il vole sur une aile plus raide et déployable au meeting aérien d’Al-Aïn (Émirats arabes unis) et part en vrille. En 2005, il améliore le système de déploiement de l’aile et l’aérodynamique de ses extrémités mais les oscillations sont incontrôlables. Il faudra at- Le rêve d’Icare est toujours bien présent ! Pilote militaire et pilote de ligne L’homme a d’abord été pilote militaire professionnel. Il a tenu les commandes d’avions historiques comme le Hunter ou le Venom et compte plus de mille heures sur le supersonique Mirage III. Il a été copilote sur DC-9 et Boeing 747, il est aujourd’hui commandant de bord sur Airbus chez Swiss Airlines. Un métier qui lui permet de poursuivre ses exploits sportifs. Le 3 juillet 1991, il a eu l’idée d’un tour de Suisse en une journée National Geographic Channel, Michel Setboun ERTAINES Yves Rossy a parcouru les 35 km en 13 minutes et à une vitesse moyenne de 200 km/h Sur les traces de Blériot avons dû reporter du mercredi au vendredi ma tentative… » Le 26 septembre, toutes les conditions sont réunies. Il décolle d’un avion, allume ses quatre réacteurs, se positionne à une altitude de 2 500 mètres, et saute audessus de Calais. Il est 13 h 06. Une fois son aile stabilisée, Fusion Man active la puissance de ses réacteurs et met le cap sur l’Angleterre. Un léger vent de dos lui permet d’atteindre son objectif en 13 minutes, après 35 kilomètres de vol en ligne droite à une vitesse moyenne de plus de 200 km/h. Audessus des falaises de Douvres Yves déploie son parachute et atterrit au phare « South Foreland ». Il est 13 h 19. Le record a été retransmis en direct dans plus de 164 pays. Septembre 2008. Fusion Man a choisi de s’élancer sur les traces mythiques de Louis Blériot, 99 ans après sa prouesse, et de relier à son tour la côte française à l’Angleterre. « Je me souviens de l’accueil très chaleureux des Ch’tis ! souritil. Nous avons été super bien reçus à Calais ! » Il n’a pas oublié non plus les surprises de la météo. « J’ai appris qu’elle pouvait changer très rapidement chez vous, nous Aujourd’hui, Yves Rossy, découvre avec plaisir que le Pas-deCalais célèbre l’Année Blériot. « Je suis heureux d’apprendre que les gens ont tendre 2006 et deux réacteurs supplémentaires pour « vivre un rêve éveillé de 5’40 » à Bex (Suisse). Depuis lors, Yves Rossy s’entraîne sans relâche et même si, en 2007, lors d’un vol test, le prototype s’écrase pour la énième fois, l’inventeur continue à optimiser son aile, pour la rendre plus fiable, plus performante, pour lui permettre de traverser la Manche, par exemple… « Un peu comme un oiseau ». Ce sont ses mots. Co py rig ht Sté ph an ie T ho me t toujours de la considération pour les pionniers de l’aviation, notamment pour Blériot. Le rêve d’Icare est toujours bien présent ! ». C’est un rêve qui continue à l’agiter, à le bouleverser. « Je suis en train de construire un nouveau prototype, confie-til. Plus petit mais plus puissant. Celui-ci, sans extrémité déployable, sera davantage maniable, il devrait me permettre de faire de l’acrobatie, pour toujours plus de liberté en vol ! » Pour en savoir plus : http://www.fusionman.ch/ Yves Rossy - Homme volant de Thierry Peitrequin. Éditions Favre 30 x 21 cm, 160 pages, 34 €. ISBN : 978-2-8289-1049-5 Ils ont retroussé la Manche L’Écho du Pas-de-Calais n o 101 – juin 2009 21 Texte Christian Defrance Les drôles de cocos du Channel n° 4 De la paille à la fibre de carbone Illustr ation s St u dio Leg rai n OURQUOI faire compliqué quand on peut faire simple et réciproquement ! C’est l’effet Manche. De doux dingues, d’impénitents rêveurs, des utopistes, des sportifs très musclés, des insatiables, des surdoués, des débrouillards, des visionnaires se sont lancés à l’assaut de la traversée. Ils ont réussi ou se sont plantés. On les compte par milliers. Nous avons pêché, repêché les plus emblématiques. P • Le 9 septembre 1845, six officiers anglais mettent six heures entre Douvres et Boulogne dans une embarcation à six avirons. • Le 20 décembre 1862, un marin, sujet de sa très Gracieuse Majesté, William Hoskins, flotte de Douvres à Calais sur des bottes de paille ! Le scepticisme est de rigueur. • En 1878, J. A. Fowler, Américain vivant à Bordeaux, met 11 heures 20 minutes entre Boulogne et Sandsgate en pagayant sur son podoscaphe : deux fuseaux longs de six mètres reliés par une planche. • Le 25 juillet 1885, le « huit » de l’université d’Oxford effectue un Douvres-Calais en quatre heures et vingt minutes. • En 1888, Samuel Osborne rame de Douvres à Wimereux en 13 heures. Le 12 septembre 1911, le révérend Sydney Swann dans un skiff, bateau de sport très effilé et très long pour un seul rameur, réussit Douvres-Cap Gris-Nez. • Skiff encore avec le Français Georges Adam : BoulogneFolkestone en 7 h 45 en 1905… et 6 h 24 en 1950 à 70 ans ! • En juillet 1927, Christian Marique entreprend la traversée avec sa périssoire, une embarcation longue et étroite. • Le 18 septembre 1928, l’Espagnol Juan de la Cierva « vole » au-dessus de la Manche aux commandes d’un autogire, ancêtre de l’hélicoptère. • Les traversées en canoë furent légion : Wright et Hampton le 4 juillet 1933, Jones et Dodd le 26 août 1953, Stéphane Guermonprez le 3 septembre 1957… • Le 27 septembre 1934, Charles Flourens un ingénieur de Béziers vivant à Paris et qui ne sait pas nager, manipule comme un chef son hydrosphère : « ballon de trente centimètres de diamètre avec une enveloppe de caoutchouc et deux pagaies se terminant par une embase dont le but est de se coincer entre la vessie et la toile lorsqu’on gonfle le ballon. Ces deux embases coincées assurent la rigidité de l’appareil et donnent l’impression que le ballon est traversé par une seule et même pagaie ». Il met 10 h 22 entre le Gris-Nez et Douvres. • Le 1er septembre 1936 : Clarence W. Mason traverse sur un matelas pneumatique. Six heures de « repos » ! • Le jeudi 9 octobre 1952 à 8 heures, Georges Monneret quitte Calais sur sa « Vespa amphibie » : un scooter avec châssis flottant et hélice propulsive. Escorté par le bateau de pêche S a i n t Joseph, il pétarade à Douvres au bout de cinq heures et demie. Le champion motocycliste était parti de Paris, et aussitôt arrivé en Angleterre, prit la direction de Londres afin de remettre au lord maire un message du conseil municipal de Paris ! • En août 1955, Alan Crompton un Anglais de Manchester met le ski nautique à l’honneur : DouvresCalais-Douvres en trois heures. Ski nautique encore avec Gerard Kuiters le 1er août 1957 : Calais-Douvres et retour à Wimereux à cause de la brume. Avant le ski nautique, il y eut le surfboard au début des années trente avec Lily Copplestone et Katherine Manley. Toutes deux traversèrent le détroit « debout sur des embarcations très primitives remorquées par deux vedettes… » selon les journaux de l’époque. • En 1964, Bernard Danis réussit à concilier cerf-volant et ski nautique pour traverser la Manche en moins de deux heures. Ancien champion d’Europe de saut de tremplin, il a découvert le cerf-volant tracté par canot à moteur à l’orée des années soixante. • En mars 1966, des étudiants du Hatfield College of Technology en Angleterre ne sombrent pas… dans les bras de Morphée installés dans leur incroyable lit : une structure métallique très solide soudée dans leur établissement, équipée de gros bidons et deux moteurs hors-bord. Leur tra- versée dura huit heures. • Au cours de l’été 1978, le Britannique David Cook réalise une première traversée de la Manche en deltaplane équipé d’un moteur de tondeuse à gazon. • En juillet 1982, Arnaud de Rosnay traverse sur une planche à voile. • Le 9 février 2005, l'hydroptère, un trimaran qui s’élève audessus de la surface de la mer, améliore de plus de deux minutes le temps établi en 1909 par Louis Blériot. L’hydroptère d'Alain Thébault a mis moins de 35 minutes pour franchir les 35,2 kilomètres, à près de 62 km/h de vitesse moyenne, soit plus de 33 nœuds. • Le 8 novembre 1999, la première traversée en dérive sous un parachute biplace (en 25 minutes) est à mettre à l’actif de Thierry de Montfort et Bertrand de Gaullier des Bordes. • Le jeudi 31 juillet 2003, l’Autrichien Felix Baumgartner, 34 ans, traverse la Manche… en chute libre ! Aile en fibre de carbone, saut à la verticale de Douvres à 9 000 mètres d’altitude à 6 h 09, dix minutes de chute à plus de 200 à l’heure, parachute à environ mille mètres au-dessus des côtes françaises, pour se poser à 6 h 23 à proximité de la Dover Patrol au Blanc-Nez. • Le 25 septembre 2006, Stephen Treston grimpe dans un bateau pneumatique, tiré par une vedette dont le pilote est malvoyant. Trois heures entre la France et l’Angleterre. • Au mois d’août 2007, Claude Allan, adjoint au maire de Boulogne-sur-Mer et deux conseillers municipaux allemands embarquent à bord d’un « bateau » fait de bric et de broc : quelques gros bidons d’essence soutenant des planches en bois, un mât avec une voile. Neuf heures de Boulogne à Folkestone, avec de grosses frayeurs pendant et après la traversée. Des fous, des rêveurs, des sportifs et des désespérés : en mars 2008, un migrant tente de gagner l’Angleterre depuis Calais dans un bateau pneumatique gonflable. Repéré par le Cross Gris-Nez, il est « récupéré » au milieu de la Manche par une vedette de la gendarmerie maritime. 22 L’Écho du Pas-de-Calais n o 101 – juin 2009 Texte Marie-Pierre Griffon Cinéma et Manche La traversée du désert ? a production cinématographique qui s’est attardée sur les traversées de la Manche est curieusement inversement proportionnelle à la fréquentation du pas de Calais. Apparemment, seuls une douzaine de films traitent du sujet, parmi lesquels un bon nombre de films de guerre. On se souvient des projections en avantpremière dans le Pas-de-Calais, du film Welcome de Lioret. Émotion sur l’écran, émotion dans les salles qui découvraient qu’en France, offrir l'hospitalité à un étranger de passage n’est pas une règle de courtoisie, comme dans la plupart des pays du monde, mais un délit. Comme nombre de salles dans le département, à Calais, Bruay, Saint-Omer, Saint-Polsur-Ternoise… le Cinémovida d’Arras a reçu le réalisateur lors de la projection du film. Une initiative de Plan Séquence, organisatrice du festival international du film “L’Autre cinéma” et d’Éric Miot, responsable de l’association. Pour fêter l’année Blériot, le festival arrageois a choisi de s’inscrire dans la deuxième étape des célébrations. Il programmera une sélection d’inédits et d’avant-premières sur le thème « L’Angleterre d’aujourd’hui et de demain »… et initie dès aujourd’hui un ciné-concert avec le conservatoire d’Arras. Une quarantaine de jeunes travailleront sur Le Bonhomme de neige, un classique du cinéma d’animation britannique. Photos D.R. L Welcome (France, Philippe Lioret, 2009) Simon (Vincent Lindon), maître nageur à la piscine de Calais, prend le risque d'aider un jeune réfugié kurde (Firat Ayverdi) qui veut traverser la Manche à la nage (Réf. DVD : ASIN. B001XCWOJE). Photo D.R. 1964), adapté d'un roman de Robert Pigeon de combat! (2005) le premier long-métrage de Gary Chapman s’attarde Merle avec le fringant Belmondo. (Réf. DVD: ASIN. B000QGEW84) lui aussi sur la Deuxième Guerre mondiale. Cette production anglaise, distriL’Opération Dynamo est encore en fili- buée par Disney raconte l’histoire d’un grane dans le film très fleur bleue pigeon anglais « petit par la taille mais Reviens-moi (2007), du réalisateur bri- grand par le courage », qui s’engage en tannique d’Orgueil et Préjugés, Joe 1944 pour porter des messages à la Wright, avec la belle Keira Knightley, Résistance française… Vaillant a vraiJames McAvoy et Saoirse Ronan. ment existé! Choisi par l’armée britanGuerre encore mais côté ciel avec la nique, il a transporté des codes secrets Bataille d’Angleterre. En juillet 1940, pour préparer le Débarquement en l'Allemagne nazie contrôle l'essentiel du Normandie. Entre 39 et 45, environ continent européen. Elle s'apprête à 200000 pigeons ont ainsi transporté des Les films de guerre envahir l'Angleterre et la Luftwaffe bom- messages. Certains ont été décorés de la Éric Miot est Dunkerquois et quand on barde Londres sans relâche. Commence « Dickin Metal », la Croix de guerre des lui parle de traversée de la Manche et alors la bataille aérienne la plus specta- animaux. (Réf. DVD: ASIN. B000AANBQ0) cinéma, il répond: « Opération culaire de la Seconde Guerre Dynamo », le nom mondiale, à un contre de code de la quatre. Celle qui va changer À la nage Bataille de Dunà jamais le cours de l'his- Si les traversées à la nage du Channel ont kerque en 1940. toire… L’histoire est enflammé bon nombre d’extravagants L'armée britannique racontée dans le film La réels, ils n’ont par contre que peu inspiré et quelques unités de bataille d’Angleterre (Guy la fiction cinématographique. Elles font l'armée française Hamilton, UK, 1969), et un peu figure de traversée du désert dans avaient été acculées servie par une distribution le paysage cinématographique. Le predans la ville du Nord exceptionnelle: Michael mier long-métrage sur le sujet est amériet encerclées par les Caine, Laurence Olivier, cain et date de 1953. Traversons la troupes allemandes. Ralph Richardson, Curd Manche (Charles Walters) est une comédie musicale qui met en scène Esther Elles ont dû se Jürgens… (Réf. DVD: ASIN. B00004WEFT) Williams, nageuse de compétition. La résoudre à évacuer par jeune femme, entraînée par sa famille la mer. En 9 jours, plus film on de combat, n ke On peut encore citer pour traverser la Manche, y exécute un de 300000 combattants Vaillant, pige ic u à la Ch animation un pe d’ Madame Miniver (USA, ballet aquatique… avec Tom et Jerry! ont été récupérés par les run. 1942) par William Wyler, le réaliBritanniques, venus en ferries, chalutiers, péniches, yachts et sateur de Ben-Hur ou Une question de An 2005, un cinéaste anglais reprend autres célèbres little ships. On les vie ou de mort (Michael Powell, Emeric l’idée de la traversée à la nage et tourne retrouve dans le film anglais en noir et Pressburger, UK, 1946) avec David Une belle journée. Il raconte l’histoire de Frank (Peter Mullan), qui perd brutaleblanc, Dunkirk (Leslie Norman, 1958) Niven. (Réf. DVD: ASIN. B000I2JLAK) ment son emploi au chantier naval de avec John Mills et Richard Glasgow. Pour la premiere fois de sa vie, Attenborough. Idem pour Week-end à Zuydcoote (Henri Verneuil, France, Le film d’animation en 3-D, Vaillant, l’homme se sent perdu. Un jour, son ami Danny (Billy Boyd) suggère en plaisantant qu'il devrait traverser la Manche à la nage par une belle journée. L'idée fait son chemin. Il en parle à ses copains… Un peu dans la veine de The Full Monty, le film est drôle et les comédiens, excellents. À noter que Peter Mullan s’est entraîné six mois pour être au top des scènes de natation et que Sean McGinley, comédien vu dans Braveheart et Le Général, a carrément dû apprendre à nager pour le film… (Réf. DVD: ASIN. B000GW8NPQ) Traversée encore: La Pirate (Jacques Doillon, France, 1985), film tourné sur un ferry-boat avec des personnages incarnés par Jane Birkin, Maruschka Detmers, Jean-Hugues Anglade, Philippe Léotard… qui se démènent dans une haute tension psychologique et passionnelle. (Réf. DVD: ASIN. B000798830) Enfin, on ne peut pas célébrer la traversée de la Manche par Louis Blériot sans évoquer Ces merveilleux fous volants dans leurs drôle de machines*. (Those Magnificent Men in their Flying Machines, or How I Flew from London to Paris in 25 Hours and 11 Minutes) réalisé par le britannique Ken Annakin et sorti en 1965. Divertissement de l’époque, écrin de caricatures, ce film parle d’une course aérienne de Londres à Paris, qui se passe un an après l’exploit de Blériot, et qui là aussi est impulsée par un quotidien anglais. À voir si on a gardé une âme d’enfant ou si on est amateur de trucages en incrustation! (Réf. DVD: ASIN. B000A3EP1M) * à voir au Palace de Cambrai durant la semaine du cinéma aéronautique du 8 au 13 juin 2009 Ils ont retroussé la Manche expos • Juin : « La construction du Tunnel sous la Manche » par l’Amicale des Bâtisseurs du Tunnel Médiathèque, Coquelles • De juin 2009 à juin 2010 : « France-Angleterre, de la guerre à la paix, cinq siècles d’histoire commune en Pas-de-Calais » Exposition commune aux 2 centres d’histoire: - La Coupole à Helfaut, près de Wizernes : 0321122727 - Le Centre Historique Médiéval à Azincourt : 0321472753 • Jusqu’au 24 août : « Pat Andrea et Alice » Exposition de 48 dessins marouflés, sur le thème d’Alice au Pays des Merveilles, de Lewis Carroll Musée des Beaux Arts, 25 rue Richelieu, Calais - 0321464840 • Jusqu’en septembre: « Du Camp du Drap d’Or à nos jours, Guînes, une histoire franco-anglaise » Tour de l’Horloge, Guînes 0321105900 • Jusqu’au 15 septembre : « Hardelot, création anglaise » Office de Tourisme, Hardelot 0321830517 • Jusqu’au 15 novembre: « Montreuil-sur-Mer au cœur de la Grande Guerre. Le GHQ à Montreuil-sur-Mer, 1916-1919 » Comment le GHQ va bouleverser la vie courante à Montreuil-sur-Mer… L’Écho du Pas-de-Calais n o 101 – juin 2009 Musée de France Rodière, Hôtel Saint Walloy, Montreuil-sur-Mer 0321869083 spectacles • 21 et 28 juin, 25 juillet: « Molière Shakespeare on board » Spectacles à bord d’un ferry, par la Compagnie les Anonymes • 3 et 4 juillet à 21h30: « Le retour d’Arthur au Camp du Drap d’Or » Son et lumière. Clairière d’accueil de la forêt domaniale de Guînes, 0321357373 divers • 13 et 14 juin : ouverture fes- tive du Centre culturel de l’Entente Cordiale Centre culturel de l’Entente Cordiale, Château d’Hardelot, Condette, 03 21 21 73 65 • 14 juin : lectures d’archives Au Centre culturel de l’Entente Cordiale, Château d’Hardelot à Condette (Aux Boves, à Arras, date à confirmer). • 16 et 18 juin : rassemblement des Clubs EDEN dans le Kent 03 21 32 13 74 • 26 juillet toute la journée : journée médiévale d’Azincourt une journée au XVe siècle Le Centre Historique Médiéval, Azincourt 03 21 47 27 53 23 24 L’Écho du Pas-de-Calais n o 101 – juin 2009 Textes Jean-Yves Vincent Thomé de Gamond Photo Jérôme Pouille Il a rêvé la traversée… dans un tunnel les grands qui ont rêvé la traversée de la Manche : Thomé de Gamond, ingénieur, plongeur, bâtisseur… Un génial précurseur, mort dans une totale indifférence et dans la misère. P ARMI Photo Jérôme Pouille 1876. Une rue de poignet gauche et Paris, la maison une spatule de fer des De Gamond. dans la main Adèle, la fille, droite. ouvre. « Montez, « En remontant il se repose dans de ma troisième son bureau ». plongée, je fus Dans la pièce, des attaqué par des cailloux, des congres carnascartes. Un lit a siers. L'un d’eux été amené près de me mordit au la fenêtre. « Mon menton, et m'eut, cher Ferdinand… du même coup, Ils ont formé la entamé la gorge, liste des associés Thomé de Gamond au si elle n'eût été sans même me musée du Transmanche préservée par une convoquer ! Vous épaisse mentonleur déposerez ma requête nière ». Cinq blessures comme n'est-ce-pas ? ». La voix est des stigmates faits avec des usée. « fourchettes » enfoncées dans Au siège de l'Association du la chair, mais en récompense, tunnel. Face aux membres de la arrachée au fond, l’argile commission, Ferdinand trouve wealdienne identique à celle peu à peu les mots… « Après de reconnue en Angleterre qui brillantes études à l'université complète le diagramme géolode Louvain et au Génie des gique ! eaux de Hollande, Aimé Thomé Salon de Napoléon III – le de Gamond obtint les grades de 26 avril 1856, Thomé présente docteur en droit, de docteur en le projet de tunnel à médecine, d'officier du génie l'Empereur. La formation militaire, et d'ingénieur hydro- d'une commission internatiographe et des mines ». nale est décidée. Pour récompenser la paternité du projet, Flash-back Thomé de Gamond aurait dû 1838-1839 percevoir 500000 francs. Thomé ouvre son cahier de L’empereur lui propose la prérelevés. « J'ai fait plus de 1500 fecture de l'Indre, puis celle de relevés… Nous avons une incli- la Vienne, un titre de comte et naison vers le détroit de 7,5 la décoration. Il refuse pour se millimètres par mètre du côté consacrer à ses utopies. de la France; de 3 millimètres côté anglais. D'évidence, les Les ladies n'auront lignes anticlinales se rencon- plus le mal de mer trent sous le pas ». Y-a-t'il rup- Londres 1856. Autant le prince ture, prolongement harmo- consort, mari de Victoria, est nieux? Il faudrait pouvoir lire chaleureux. Autant Palmerson sous l'eau… L’homme est fou, est reservé: « Quoi, vous prétendriez nous faire contribuer c’est ce qu’il va faire! Boulogne 1855. L'appareil de à une opération dont le but plongée de M. Siebe n’est guère serait de raccourcir une disau point et Thomé est sauvé in tance que nous trouvons trop extremis! Renoncer? Jamais. courte »! Janvier 1858, une Mente, corde et manu. Esprit, bombe éclate sous le vestibule cœur et main. Thomé se leste de de l'Opéra qui remet tout en sacs de galets, s’entoure d'une question: Orsini aurait préparé ceinture de vessies et saute du l’attentat outre-Manche. Mais tillac du bateau, un bonnet voilà que l'Exposition univerentourant la tête, les oreilles selle de 1867 est annoncée. Le bouchées avec de la charpie projet présenté est celui du huilée, un couteau attaché au tunnel avec à mi-chemin, L’Écho du Pas-de-Calais est entré dans le tunnel lors des derniers travaux. légende vivante » dit-il à ceux qui le mettent en garde contre une récupération du projet côté anglais. La guerre de 1870 ruine tous les projets. Déni de justice Au retour de la paix, la concession est octroyée à Thomé qui fait nommer Michel Chevalier, son compère des conciliabules st-simoniens au poste de « président du comité d'étude préparatoire ». Un ami de vingt ans: une association est créée et Thomé ne figure ni au titre d'ingénieur Thomé de Gamond proposa tour à tour un tunnel, façon télescope; une voûte sous-marine en béton; un bac entre deux jetées; un isthme artificiel; un pont mobile ; un pont viaduc et enfin un tunnel formé de cubes soudés posés au fond de la mer. On rêva ensuite d'une jetée de 32 kilomètres, d'une voie de chemin de fer sous-marine. L'idée du tunnel ne sera reprise qu'en 1913… En 1964, les gouvernements disent « oui »; les travaux commencés en 1973 s'arrêtent en 1974. En 1981, François Mitterrand et Margaret Thatcher relancent le projet. En 1986, la société Eurotunnel est créée; le 1er décembre 1990, Philippe Cozette et Graham Fagg se serrent la main sous la Manche. Le 6 mai 1994, le tunnel sous la Manche est inauguré par le président Mitterrand et la reine d’Angleterre. Conseil, ni de fondateur! « Vous pouvez faire un procés! Vous êtes libre, vous le gagnerez peutêtre, mais ce sera la société qui le perdra. Si nous avons exclu Monsieur de Gamond, c'est qu'il a des créanciers »! Des dettes certes mais faites pour avancer le projet. Trente-cinq ans de recherches, 175000 francs pour voyages, études et travaux divers… Ferdinand sera bon avocat mais la rente viagère promise arrive trop tard. Aimé Thomé de Gamond décède le 4 février 1876. Photo Jean-Yves Vincent l'Étoile de Varne voulue comme un port international. Et sa Majesté de s’enthousiasmer: « vous pouvez dire à l'ingénieur français que s'il parvient à faire cela, je lui donne ma bénédiction en mon nom personnel et de toutes les ladies qui n'auront plus le mal de mer ». 1868, Sir Hawkshaw adresse une demande de concession au gouvernement français. Thomé est désigné comme l'un des trois ingénieurs avec Hawkshaw et Brunlees. « Qu'ai-je à craindre, ne suis-je pas une