Rue89 – L`Obs – 2014

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Rue89 – L`Obs – 2014
DOC. 7
Depuis quelques jours, circule sur Facebook le message qui suit : « En raison du fait que
Facebook a choisi d’impliquer un logiciel qui permet l’usage de mes renseignements
personnels, je déclare ce qui suit : en réponse aux nouvelles lignes directrices de
Facebook et en vertu des articles L.111, 112 et 113 du code de la propriété intellectuelle, je
déclare que mes droits sont attachés à toutes mes données personnelles, dessins,
peintures, photos, textes écrits, vidéos, musiques, etc. publiées sur mon profil. Pour une
utilisation commerciale ou autre de ce qui précède, mon consentement écrit est nécessaire
en tout temps. »
QUELLE VALIDITE JURIDIQUE ?
Message qui est suivi d’une invitation au partage, qui précise aussi :
« Ceux qui lisent ce texte peuvent faire un copier/coller sur leur mur Facebook. Cela leur permettra de se placer
sous la protection du droit d’auteur. Par ce communiqué, je dis à Facebook qu’il est strictement interdit de
divulguer, copier, distribuer, diffuser, ou de prendre toute autre action contre moi sur la base de ce profil et/ou de
son contenu. Les actions mentionnées ci-dessus s’appliquent également aux employés, étudiants, agents et ou
tout autre personnel sous la direction de Facebook.
Le contenu de mon profil comporte des informations privées et intimes. La violation de ma vie privée est punie par
la loi (UCC 1-308 1 - 308 1 -103 et le Statut de Rome). Facebook est désormais une entité de capital ouvert. Tous
les membres sont invités à publier un avis de ce genre, ou si vous préférez, vous pouvez copier et coller cette
version. Si vous n’avez pas publié cette déclaration au moins une fois, vous allez tacitement permettre l’utilisation
d’éléments tels que vos photos ainsi que les informations postées. »
Ce message pose au moins deux questions : d’où vient-il ? Quelle est sa validité juridique ?
LE RETOUR D’UN « FAKE »
Premier point, il ne date pas d’hier. Apparu en 2012, suite à l’entrée de Facebook au Nasdaq, il prétextait alors les
modifications au capital de l’entreprise pour que les usagers de la plateforme revendiquent un changement de
statut des données personnelles. Avec quelques formules un peu différentes, il ressurgissait en novembre 2012, à
l’occasion d’une annonce par l’entreprise de changements dans sa politique concernant la vie privée.
A l’époque, cette revendication avait été identifiée comme un hoax (une fausse rumeur) lancée par on ne sait qui.
On ne voit pas bien ce qui motive aujourd’hui la retour de ce « fake », sa première phrase « En raison du fait que
Facebook a choisi d’impliquer un logiciel qui permet l’usage de mes renseignements personnels », ne faisant, à
notre connaissance, référence à rien de précis.
Quant à sa validité juridique, Facebook, contacté par nos soins, nous affirme qu’elle est nulle et ajoute que
« l’entreprise informe en continu ses utilisateurs » de l’évolution de sa politique en matière de protection de la vie
privée, qui est une « priorité ».
« CE SONT LES CGU QUI S’APPLIQUENT »
Nous avons posé les mêmes questions à Lionel Maurel, qui tient sous le pseudonyme de Calimaq un blog de
référence sur les problèmes de propriété intellectuelle. Au sujet de la validité, il donne raison à Facebook :
« En s’incrivant sur Facebook, on accepte les conditions générales d’utilisation (CGU), qui comptent des clauses à
la fois sur les données personnelles et sur les objets protégés par des droits d’auteur.
Vis-à-vis de Facebook, ce sont ces CGU qui s’appliquent, parce qu’elles ont une valeur de contrat conclu entre
deux parties, alors que le message n’est qu’une déclaration unilatérale sans valeur. Or, les CGU comportent par
exemple une clause attributive d’une licence d’utilisation pour Facebook très large, qui permet l’usage commercial,
la transmission à des tiers, la revente, etc. »
Par ailleurs, et c’est une preuve supplémentaire de l’invalidité juridique :
« Ce texte fait un amalgame entre les données personnelles et les œuvres protégées par le droit d’auteur, comme
si les données personnelles étaient couvertes par le droit d’auteur. Or, ce n’est pas le cas et là aussi, ça pose un
problème de validité. »
Par conséquent, Lionel Maurel ne lui trouve « aucune valeur juridique » au message qui circule. Autrement dit,
afficher cette déclaration sur sa page n’aurait pas valeur de contrainte pour Facebook.
POUR DES PRIVACY COMMONS
En revanche, Lionel Maurel lui trouve un intérêt dans son intention politique.
« [Ce texte] ressemble un peu à une licence Creative Commons “informelle”. Ça montre que les individus
aimeraient pouvoir fixer les conditions de réutilisation de leurs données personnelles comme ils le font de leurs
œuvres avec des licences “déclaratives” de type Creative Commons.
Or, il y a un certain nombre de personnes qui cherchent en ce moment à créer un “privacyleft”, inspiré par le
“copyleft” du logiciel libre [l’inverse du copyright, le fait de céder volontairement ses droits, ndlr], ou des “privacy
commons” inspirés des Creative Commons.
La question est de savoir s’il est possible de créer un tel système à partir du droit des données personnelles, ce qui
est à mon sens plus compliqué à faire qu’à partir du droit d’auteur. »