Ericlesbonstuyaux - Blue Networks Technologies
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Ericlesbonstuyaux - Blue Networks Technologies
16 0123 Mardi 12 août 2014 Espèces d’idiomes 1/5 Les ouvriers d’Internet 1/5 Pour Colt, Eric Pierreet son équipeplongent Capotes anglaises et grippe espagnole dans les égouts pourréparer les câbles qui alimentent,entre autres, nos téléviseurs Eric les bons tuyaux I l est toujours fort commode de disposer de bonnes têtes de Turc à qui faire porter le chapeau de ses propres maux, ce qui fait de l’« étranger » une fertile inspiration des expressions idiomatiques. C’est ainsi que la grippe meurtrière du début du XXe siècle a été qualifiée d’arabe en Grèce, d’allemande en Belgique, de grecque en Turquie, d’espagnole en France et au Royaume-Uni – où, pour faire bonne mesure, on a décidé que la rubéole était d’origine germanique (German measles). Lorsque chez nous les malotrus filent à l’anglaise, outre-Manche ils le font « à la française » (to take French leave) – et il semble que, malheureusement, nous devions accepter la paternité de cette indélicate habitude, l’allemand, le portugais et le grec optant eux aussi pour le « filer à la française ». Même penchant à attribuer au voisin les objets tabous : si nos capotes sont anglaises, de l’autre côté du Channel on recourt à des « French letters » qui n’ont pas grand-chose de littéraire… Les égoïstes français boivent en SileFrançais s’avoueparfois soûlcommeunPolonais, l’Espagnolle sera «commeunCosaque»et leSerbe«commeunRusse» Suisses, tandis que les Américains « vont Néerlandais » (go Dutch) et que les Turcs « paient à l’allemande » quand ils partagent l’addition. L’étranger qui baragouine notre langue sera qualifié de vache espagnole, tandis que, pour le même motif, en Argentine on dira que vous parlez « l’espagnol de la Chine». Du chinois, ou alors de l’hébreu, chez nous, c’est un discours inintelligible, tandis que, au Royaume-Uni, « c’est du grec » – chinois, hébreu, grec, trois langues à l’alphabet obscur pour les habitués de l’ABC. La soûlographie est un vice que les Européens rejettent vers l’est avec un bel ensemble : si le Français s’avoue parfois soûl comme un Polonais, l’Espagnol le sera « comme un Cosaque » et le Serbe « comme un Russe ». En revanche, les Français semblent être les seuls à souffrir de portugaises ensablées. On peut tout de même devenir sourd « comme un bâton » en Allemagne, « un poteau » en Angleterre, « une cloche » en Italie ou « un mur » en Espagne – quand, étrangement, nos murs à nous ont des oreilles. Ah, minute prévention : attention, si la masturbation rend sourd en France, elle rend aveugle en Italie. Côté positif, c’est en Espagne que nous construisons nos châteaux – les indigènes bâtissant les leurs « dans les airs » (hacer castillos en el aire). Et les Anglo-Saxons, nos rosbifs, nous rendent un hommage particulier, à nous, leurs « petites grenouilles » (froggies), en nous attribuant l’invention des frites (French fries) qu’ils aiment tant. Un coup de grisou diplomatique au moment de la guerre en Irak avait d’ailleurs conduit certains restaurateurs américains à rebaptiser rageusement leurs frites « freedom fries ». Enfin, c’est à se demander si le célèbre « French kiss » n’est pas réellement une invention hexagonale, puisque, de l’Espagne au Danemark en passant par l’Italie, cette chaude façon de s’embrasser est dite « à la française ». p Muriel Gilbert Prochain article : Chat dans la gorge et poule mouillée NINI LA CAILLE S i Eric Pierre fait une erreur, des milliers de personnes en subissentsur-le-champlesconséquences. Elles peuvent même se mettre à hurler devant leur ordinateur ou leur téléviseur. Tenez, il se souvient d’une mésaventure, à ses débuts. « J’ai par mégarde coupé brièvement l’accès à des chaînes de télévision aux abonnés. » Eric Pierre est responsable fibre au sein de Colt, l’une des entreprises en région parisienne, comme Neo Telecoms, Orange ou Telecity, qui tirent et exploitent les tuyaux de l’Internet. En Europe, Colt doit bichonner 47 000 km de câbles, dont 5 000 en France, qui relient des bureaux entre eux, voire des bâtiments à des nœuds de réseaux. L’ennemi est imprévisible. Il y a la pelleteuse, qui frappe sans prévenir. Et puis il y a les rats, qui grignotent tout Tous ces câbles passent par des égouts, parfois à 2 mètres sous terre, le plus souvent 80 cm sous le bitume. Ils sont enterrés sous les trottoirs, suivent parfois des tranchées le long des autoroutes. Autant le cadre est rebutant, autant ce qui circule dans ces fins tuyaux est précieux : informations boursières, données bancaires, preuves de paiement, documents sensibles… Mieux vaut éviter la panne. Mais aussi – cela peut arriver – qu’un voleur de métaux se faufile dans l’égout et prennecesfibresoptiquespourde vulgairesfils decuivre.Eric Pierre estdonc aux petits soins pour ses tuyaux. Et il a du travail quotidien pour les trois ou quatreéquipesdedeuxpersonnesprêtes à intervenir sur le champ. « Nous avons au moins un incident par semaine sur notre réseau, et nous devons intervenir chaque jour pour du contrôle et de la maintenance. » Calmons les fantasmes. L’ennemi principal du réseau n’est pas vraiment le voleur, voire l’espion qui voudrait « écouter » à cette porte. Ce n’est pas non plus l’usure : une fibre peut se casser naturellement, mais certaines, datantdes années 1970,tiennentencore. Non, l’ennemi est imprévisible. Il y a la pelleteuse, qui frappe sans prévenir. D’autant que la chaussée a pu être abaissée, les fibres se retrouvant à 20 cm ou 30 cm à peine sous nos pas. Alors quand la pelleteuse passe… « Le pire est que des indélicats, voyant leur erreur, remettent du bitume dessus l’air de rien, s’indigne Eric Pierre. Les gens ne se rendent pas compte de l’importance de ce qui passe dans ces tuyaux… Quand je le leur explique, ils courent nous dégager le terrain pour réparer! » Et puis il y a les rats, qui grignotent toutcequiobstrueleurpassage,ycompris les fameux câbles. Le mieux est donc d’installer ces derniers dans des cavités suffisamment grandes pour que les rongeurs passent autour sans y faire attention. « J’ai justement un client qui ne veut pas agrandir le trou dans lequel passent les fibres, et donc il nous appelle tous les trois ans pour réparer les dégâts causés par les rats », s’amuse Eric Pierre, qui rit moins à l’évocationde rencontres souterraines avec des cafards, éliminés à la bombe aérosol froide, ou des chats sauvages, évités en fuyant… Ce matin de juin, pour comprendre un peu mieux à quoi ressemble un câble gavé à la fibre optique, Eric Pierre nous donne rendez-vous sur un trottoir parisien. Les ouvriers de Colt s’escriment avec délicatesse sur ce qui ressemble à un banal tuyau noir d’un peu plusd’uncentimètred’épaisseur.Quelles entreprises relie-t-il ? Top secret. Ce câble, il n’a fallu que quelques minutes pour le trouver, après avoir plongé dans une bouche d’égout, 2 mètres sous le trottoir. Son effeuillage, en revanche, jusqu’à son cœur critiqueoùbattentlesprécieuxbits d’information, prend plus d’une heure. Les deux ouvriers saisissent une pince et fendent sur plus de 3 mètres le revêtement plastique. A l’intérieur, on ne voit pas encore les fibres attendues, mais trois fils d’acier d’un millimètre de diamètre. « Contre les rats», dit Eric Pierre. Aprèscestrois fils antimorsure, une enveloppe métallique fine assure une certaine rigidité au câble pour éviter les trop fortes torsions. Une pince spéciale en a raison assez vite. Ce n’est pas fini. Une membrane de tissu blanc évite à l’humidité de pénétrer. Il y a encore cette tresse jaune en Kevlar, qui, tel lefild’unemballagedeCDoudefromage Babybel, permet de déchirer 3 mètres de plastique noir entourant les fibres. Sauf que, ce jour-là, ça coince. Les deux ouvriers bataillent avec d’autres pinces. « La haute technologie, c’est aussi du bricolage », sourit Eric Pierre. Après plusieurs minutes d’effort, la pince libère une touffe de fils de couleur. Les fibres? Toujours pas. Ces douze fils, bleu, rouge, vert, marron, violet, blanc contiennent chacun douze plus petits cheveux colorés : ce sont eux, les tuyaux dans lesquels passe l’information ! Ce bricolage permet d’intervenir sans couper le précieux flux d’infor- mation. Les techniciens veillent aussi à ce que les fibres restent le plus droites possible. Car, à l’intérieur des 10micronsdeverretrèscassantconstituant le cœur de la fibre, la lumière joueà laboulede billard, tapant contre les parois de lagaine, sans pouvoirsortir. A moins de la courber fortement, sans la briser, pour en faire jaillir un peu de lumière. Qui contient bien sûr des paquets d’information précieuse… C’est exactement de cette façon, par la torsion de la fibre, que des espions peuvent faire « parler » les câbles et détourner une partie du flux de données. Reste l’essentiel: une bonne réparation est une réparation rapide. Et, pour cela, il faut localiser précisément le point de la panne sur des kilomètres de câbles. Pour ça, Eric Pierre a un secret : une base de données complète de « ses » câbles, qui répertorie tous les brins dans les fibres, la position des nœuds, les distances entre eux. EricPierreestassezfier desonsystème. Et de ses équipes de choc. Une fois, l’intervention a été si rapide que les employés de l’entreprise concernée, dont le secteur d’activité est si sensible qu’il ne peut en dire le nom, « n’ontpas eu le temps de terminer de s’installer dans des bureaux de secours que tout était rentré dans l’ordre». Eric Pierre se souvient aussi d’une pelleteuse qui avait coupé pas moins de six câbles, touchant des chaînes de télévision. Il débarque sur le chantier avec trente personnes. «Le lendemain, c’était réparé. Nous avons reçu une lettre de remerciement. C’est un de mes meilleurs souvenirs.» p David Larousserie Prochain article : Philippe Bourcier, la fibre au bureau 20 0123 Mercredi 13 août 2014 Espèces d’idiomes 2/5 Les ouvriers d’Internet 2/5 Inventer, bricoler, s’adapter… C’est le travail Chat dans la gorge et poule mouillée de cet ingénieur, qui vient de réaliser une véritable prouesse technique chez Criteo Philippe Bourcier, la fibre au bureau D u joyeux troupeau des expressions animalières, il semble bien que le chat soit le chef. Il est vrai que les francophones semblent être les seuls à souffrir de chats dans la gorge, quand d’autres (Anglo-Saxons, Allemands, Brésiliens…) y hébergent un batracien. Il arrive pourtant que les Allemands et les Slovènes « aient un chat » à leur tour, mais alors ils ont la gueule de bois. Lorsque dans notre nuit tous les chats sont gris, en Slovénie, ce sont les vaches qui sont noires, mais quand surParisilpleutdescordes,oucomme vache qui pisse, à Londres, c’est bien connu, « il pleut des chiens et des chats », tandis que les marins d’Amsterdam regardent « tomber des tuyaux de pipe », « des briques» ou « des vieilles commères », et que sur l’Acropole d’Athènes « il tombe des prêtres ». Les Espagnols voient « un chat enfermé»(gatoencerrado)etlesItaliens « une chatte qui couve » (gatta ci cova) quand nous imaginons une anguille sous roche et que les Anglo-Saxons « sentent un rat » (smell a rat). Les Allemands, dans le même cas, jugent qu’il y a quelque chose dans le buisson (da ist etwas imBusch),cemême buissonautour duquel « tapent » les Britanniques, tandis que les Italiens mènent le chien dans la cour de la ferme (menare il can per l’aia), que les Français tournent autour du pot et les Allemands « autour de la bouillie chaude ». Quand sur Paris il pleut des cordes, Amsterdam regarde «tomber des tuyaux de pipe» Lorsqu’un mufle néerlandais « envoie son chat» (zijn kat sturen), l’indélicat de nos contrées pose un lapin et le goujat chinois « envoie un pigeon », le malotru allemand se contentant de « donner un panier » (jemandem einen Korb geben). Si en plus il a des oursins dans les poches, on y diagnostiquera « un hérisson » (einen Igel in der Tasche), en Argentine « un crocodile » (un cocodrillo en el bolsillo), en Turquie « un scorpion », tandis qu’en Angleterre, tous les animaux à piquants étant occupés, on en concluraqu’ila« lespoches profondesetlesbrascourts » (deeppockets and short arms). A noter qu’une poule mouillée française est un « poulet» britannique (chicken) ou une « patte de lapin » allemande (ein Hasenfuß), que notre rat de bibliothèque correspond aux « vers de livres » allemand et anglo-saxon (Bücherurirm et bookworm), alors que qui s’ennuie chez nous comme un rat mort, sur l’autre versant des Pyrénéess’ennuiera commeune huître. C’est aussi en Espagne que l’on « paie le canard » (pagar el pato) quand on porte le chapeau, et que l’on a « la mouche à l’oreille », juste là où nous avons la puce. Lorsque la France a d’autres chats à fouetter, l’Italie, plus cruelle encore, a « d’autres chattes à écorcher » (altre gatte da pelare), tandis que le Royaume-Uni a « d’autres poissons à frire » (other fish to fry). Enfin si en Franceouaux Pays-Bas on s’entend comme chien et chat, en Tunisie, c’est « comme la souris et le chat ». Et,tandisqu’outre-Mancheon« jette la serviette » (throw in the towel) et qu’au Maroc on « vend son âne », quand nous ne savons plus quoi dire, nous donnons notre langue au soyeux petit félin. p Muriel Gilbert Prochain article : Grosse légume et cerise sur le gâteau. NINI LA CAILLE S es mille collègues de travail lui disent merci. Grâce à Philippe Bourcier, leur ordinateur de bureau est relié à Internet. Pas vraiment une prouesse… Sauf que la jonction se fait avec de la fibre optique. « Et ça, personne ne l’avait encore fait en France, je crois ! », explique cet ingénieur spécialisé dans l’infrastructure informatique. Il a réalisé cette petite performance dans une pépite du Web et de la publicité, Criteo, implantée à Paris. « J’aurais dû déposer un brevet ! » L’exploitpeut laisserindifférent. Ce qui compte pour les millions de gens, en effet, c’est que l’ordinateur marche. Peu importe la nature de tous ces Sous les pieds des employés du monde entier circulent des centaines de fils électriques. Un vrai plat de spaghettis! câbles cachés dans le faux plafond ou sous la moquette… Du reste, qu’ils soient en cuivre, pour faire passer des électrons, comme c’est la norme partout, ou en fibre optique, pour faire passer de la lumière, ça change quoi ? Pas mal de choses. Et d’abord pour le budget. Car la fibre optique fait faire de belles économies à l’entreprise qui l’adopte. C’est 180 000 euros d’économies par rapport à la solution « électrique». «Parce que le sable, matière première des fibres optiques en silicium, est moins cher que le cuivre », explique Philippe Bourcier. Et puis trois jours ont suffi pour l’installer chez Criteo et relier 1 000 postes de travail quand le cuivre aurait demandé trois semaines. Lafibre offreaussi duconfort àl’utilisateur de l’ordinateur. Le débit est plus rapide. Mais, là, Philippe Bourcier a préféré être prudent. Il a volontairement bridé les flux. Si une machine se trouve infectée et se met à lancer des attaques un peu partout sur le réseau, autant que ce soit lentement… Et pas à 1 milliard de bits par seconde, ce qui permet de détruire le contenu d’un DVD en quarante secondes à peine ! Les employés de Criteo se contentent donc de dix fois moins, soit pas vraiment plus que le bon fil en cuivre. Autre avantage de la fibre: la sécurité. Dans chaque câble se trouvent non pasune,maisdeuxfibres,danslesquelles l’information peut circuler dans les deux sens. Du coup, le débit peut être doublépourl’utilisateuren casdegrosse demande. Mais en cas de défaillance d’un brin, le second prend le relais. «C’est déjàarrivé, et l’utilisateurne s’en rend pas compte», dit l’ingénieur. Certains objecteront que l’on peut aussi « doubler » les câbles en cuivre, c’est même souvent le cas, mais ces derniers prennent une place énorme. Au contraire, la fibre se fait discrète, tantelleestfine.C’estcetatoutquePhilippe Bourcier a joué en priorité. En fait,iln’avaitpaslechoix.S’il adûinnover, c’est à cause des contraintes de l’immeuble de Criteo. Habituellement, sous les pieds des employés du monde entier circulent des kilomètres de fils électriques épais comme un doigt – ça, c’est le cuivre. Un vrai plat de spaghettis ! Mieux vaut être du métier pour s’y retrouver. Mais, dans cet immeuble, le plat aurait été trop épais – plus de 10 centimètres à certains endroits – alors que le faux plancher n’en accepte que 6. Largement de quoi y loger de la fibre… Si on enlevait les faux sols et les faux plafonds dans un immeuble de bureau, la vue serait épouvantable. Mais elle aiderait à comprendre l’am- pleur des contraintes. On verrait qu’un réseau informatique, dans une entreprise, ressemble à une carte hydrologique : un ruisseau se jette dans une rivière qui se jette dans un fleuve. Les petits cours d’eau sont les fils reliés aux ordinateurs. Ils se rejoignent dans des collecteurs – on appellecelades salles de brassage– quioccupent pas mal de place, puis l’information est canalisée dans un seul câble vers le cœur de réseau, situé souvent au rez-de-chaussée. Là, des équipements vont servir à faire sortir de l’immeubleles grosdébitsd’informations. Ou les faire entrer. Les plateaux de bureaux sont très grandschezCriteo, aupointquePhilippeBourcierauraitdû installertroissalles de brassage par étage. Les câbles normaux ne peuvent en effet mesurer plusde 100 mètres sous peine de fragiliser le signal. «La fibre optique n’a pas ce problème », explique l’ingénieur. Sauf si la distance atteint… 80 kilomètres.Uneseulesalle debrassageparétage a donc suffi. Pour réussir ce pari de la fibre optique, Philippe Bourcier a eu un peu de chance. L’entreprise Cisco, leader des équipements réseau, venait de sortir un appareil, dont l’ingénieur a immédiatement perçu l’intérêt alors qu’il n’a pas été forcément conçu pour cela. Il s’agit d’un commutateur optique, sorte d’aiguilleur pouvant desservir jusqu’à huit ordinateurs, à la manière d’une multiprise électrique. Tous les utilisateurs ont le même service et non un service divisé par huit. Pratique. « Depuis, Cisco m’a dit que d’autres entreprises avaient suivi mon modèle», confie Philippe Bourcier. Inventer, bricoler, s’adapter… C’est le travail, en évolution permanente, de ces ingénieurs qui ont pour mis- sion d’améliorer notre vie de bureau, d’accélérer le débit pour le salarié et de faire baisser les coûts pour le patron. Evidemment, les ingénieurs les plus performants sont très recherchés dans un monde où l’ordinateur est omniprésent. Et, pour être performant, rien de mieux que d’échanger des informations. En 2002, Philippe Bourcieracréé uneassociationdesspécialistes du métier, FRnOG, pour French Network Operators Group – l’anglais permettant d’évoquer la grenouillequi leur sertde logo… –, équivalent d’un organisme qui existait déjà pour l’Amérique du Nord. Deux fois par an, ses 4 200 membres se retrouvent à Paris pour échanger sur les derniers matériels. Se dit-on vraiment tout ? « Contrairement à d’autres métiers, même les concurrents doivent pouvoir se parler en cas d’attaques ou de problèmes techniques. On ne peut ignorer les autres opérateurs du réseau, lorsqu’on est soi-même un opérateur. La plus grande réussite est d’avoir fait émerger une communauté grâce à cette association », répond-il. Mais l’ingénieur, qui passe d’une idée à l’autre à la vitesse du réseau, a déjà un autre projet : révolutionner la vidéosurveillance. Il vient de lancer avec des associés une entreprise qui développe des caméras à 360 degrés dont les images seront accessibles par plusieurs canaux, écrans, ou tablettes, par exemple. Quel rapport avec les réseaux ? « Nous aurons huit fois plus de flux de données qu’une caméra classique et plus d’une centaine de caméras à relier entre elles par des systèmes distribués. C’est un vrai défi !» p David Larousserie Prochain article : Pascal Rullier, du réseau au village. 18 0123 Jeudi 14 août 2014 Espèces d’idiomes 3/5 Les ouvriers d’Internet 3/5 Leszones blanchessontlesterres de combat Grosse légume et cerise sur le gâteau duprésidentde Blue Networks Technologies.Son credo? Le hautdébit pourtous Pascal Rullier, du réseau au village L es expressions idiomatiques ne manquent pas d’appétit. Quand les Français et les Italiens ont une faim de loup, les Allemands en ont une « d’ours » et les Britanniques « de cheval », certains pourraient même « manger un cheval ». Lorsque, pour agrémenter nos tartines, nous voulons le beurre et l’argent du beurre, les sujets de Sa Gracieuse Majesté veulent « avoir leur gâteau et le manger aussi » (to have one’s cake and eat it too) et les Grecs « la tarte intacte et le chien rassasié ». Quand poétiquement nous lui faisons une fleur, notre cousin Germain, grand amateur de charcuterie, nous fait « griller une saucisse de plus ». Si notre repas ne vaut pas tripette, en Allemagne il ne vaudra « pas une girolle », en Italie « pas une figue sèche », en Espagne « pas une pincée de cumin », en Angleterre « pas un haricot ». Du coup, nos invités risquent de nous casser du sucre sur le dos, ou, s’ils sont allemands, de nous « traîner dans le chocolat » – tandis que les Italiens se contenteront de nous « couper les chaussettes ». Nous n’hésiterons pas à les envoyer se faire cuire un œuf, ou « frire des asperges » à l’espagnole, ou même faire voler leur cerf-volant (go fly a kite) ou sauter dans le lac (go jump in the lake) à la mode british. Quand en France les carottes sont cuites, au Liban «la casserole est brûlée» et en Espagne «tout le poisson est vendu» Quand pour nous les carottes sont cuites, aux Pays-Bas « les navets sont trop cuits », au Royaume-Uni « notre oie est cuite », au Liban « la casserole est brûlée », et en Espagne « tout le poisson est vendu ». Au Québec, c’est plus dramatique : « Notre chien est mort. » Et alors, on est « comme la viande sur la planche à hacher », comme on dit en Chine. L’important, dans ces cas-là, c’est de garder son sangfroid, bref de rester, à la britannique, « frais comme un concombre » (cool as a cucumber), même quand on est « dans un cornichon » (in a pickle), c’est-à-dire dans de beaux draps. Pourtant, ce n’est pas de la tarte, bref « ce n’est pas comme sucer du sucre », comme disent les Allemands, ni « de la morve de dindon » comme renchérissent les Espagnols, qui veulent dire que ce n’est pas de la roupie de sansonnet. Justement, « parlons dinde » (let’s talk turkey), suggérera notre hôte britannique pour nous faire comprendre qu’il est temps de discuter sérieusement : l’important, c’est de n’inviter ni « gros jambon » (l’arrogantdu Québec) ni « gros fromage » (la grosse légume britannique), surtout s’il a « un cornichon dans le derrière » (a pickle up one’s backside), juste là où les Français y ont un balai. En revanche, les « beaux trognons » du Québec, ces belles plantes, sont les bienvenus. Nos invités grecs, compréhensifs, ajouteront que « deux pastèques ne peuvent pas tenir sous la même aisselle », bref, qu’on ne peut pas êtreau fouret aumoulin,ou «assister à la messe et sonner les cloches », comme on dit en Espagne. Quant au dessert, si nous partageons la cerise sur le gâteau avec les citoyens de la Botte, les Espagnols l’aiment plus précisément « griotte sur la tarte » et les AngloSaxons, rois du cupcake, « glaçage sur le gâteau ». p Muriel Gilbert Prochain article : Estomac dans les talons et yeux plus gros que le ventre. NINI LA CAILLE C ertainsles appellent lescommunistes de l’Internet. A cause de leur côté militant, leur croisade quivise à combattreles inégalités d’accès à la Toile. Voire à y mettre fin. Car, en France, des centaines de villages, et même des zones d’activités de grandes villes, n’ont pas encore Internet. Ou, quand ils l’ont, l’utilisateur en est réduit à surfer à la vitesse de l’escargot. Désespérant… Ces zones blanches sont les terres de combat d’entreprises aux noms méconnus : Blue Networks Technologies à Montpellier, Quantic Télécom à Rouen, Tetaneutral à Toulouse, «Nous faisons ce que les autres opérateurs ne font pas. Nous nous occupons des “petits clients”» Pascal Rullier PC Light dans l’Yonne… En tout, une dizaine de microfournisseurs à Internet (parmi quelque 1 500 opérateurs reconnus par l’Arcep, le gendarme du secteur) qui rendent un service précieux dans la France des clochers et qui n’ont pas grand-chose à voir avec Bouygues Telecom, SFR ou Orange. Tout en faisant le même métier. « Nous faisons ce que les autres ne font pas. Nous nous occupons des “petits clients” », corrige Pascal Rullier, le présidentde Blue Networks Technologies, qui compte quatre salariés. La société a apporté du réseau à deux villages du Gard : Saint-Bresson (50 habitants environ) et Saint-Laurent-leMinier (360 habitants). « Nous sommes contents de voir le sourire des gens dont on décuple le débit Internet ! », raconte l’un de ses collègues. D’autant que cet équipement « aug- mente les prix de l’immobilier dans les villages », complète Pascal Rullier. Plus surprenant, Blue Networks Technologies est intervenue loin de sa base, dans une zone d’activités de Grenoble où de nombreuses entreprises se trouvaient pénalisées par l’absence de haut débit. « Les grands acteurs d’Internet leur refusaient la fibre optique qui passait pourtant devant chez eux. C’est agaçant ! », dénonce Pascal Rullier. Depuis janvier, grâce à Blue Networks Technologies, ces entreprises ont des débits de 100 mégabits (Mb) contre moins de 5 par la voie classique de l’ADSL. « C’est le jour et la nuit. Et, en plus, c’est moins cher qu’avant », vante Pascal Rullier. Pour apporter l’Internet au village, ces petites structures indépendantes, dans des cas précis, tirent des câbles, en cuivre ou en fibre de verre. Mais c’est rare. Trop lourd, trop cher, trop compliqué. Elles utilisent plutôt des antennes radio et une fréquence gratuite, sur le modèle du Wi-Fi, qui apporte le réseau dans les espaces clos. Ces antennes ont un autre avantage : les informations dites descendantes (d’Internet vers l’utilisateur) et montantes (l’inverse) ont des débits identiques, ce qui est plus adapté aux entreprises. Au contraire, l’ADSL, avec ses câbles en cuivre, est par définition asymétrique. Mais la connexion par relais radio a des inconvénients. D’abord, plus on est éloigné de l’antenne, plus le débit chute : environ 150 Mb/s à 5 kilomètres, mais seulement 10 Mb/s à 15kilomètres. Et puis il faut installer l’antenne sur un site élevé, qui se « voit », c’est-à-dire sans obstacle avec la zone à alimenter en réseau. Un château d’eau, un clocher ou un pylône font généralement l’affaire. « L’un des plai- sirs de ce métier est de travailler au grand air et de découvrir de belles vues», confie Pascal Rullier, qui raconte avec gourmandise comment il a apportéInternet,souslaneige,au village de Chamrousse, près de Grenoble. Plus « urbain », Josselin Lecocq, de Quantic Télécom, évoque, lui, le plaisir d’une pose d’antenne à 35 mètres de haut sur un immeuble de Rouen. Mais il tempère : « Poser une antenne prend trois heures, alors qu’il faut deux mois pour négocier l’autorisation de l’installer. » Sans compter qu’on doit, en amont, rassurer et convaincre les personnes inquiètes pour leur santé. Car si les ondes émises par une antenne sont plus faibles que celles d’un téléphone portable, peu y croient… En tout cas, il est difficile d’accuser ces entreprises d’être guidées par le profit. C’est même plutôt une mission de service public qu’elles remplissent. Blue Networks Technologies est issue du monde des radioamateurs et a voulu professionnaliser son installation d’antennes. Josselin Lecocq, lui, était « agacé » par la médiocre qualité d’Internet qu’il captait dans sa chambre de la résidence universitaire de l’INSA, une école d’ingénieurs à Rouen. Lui et quelques camarades se sont lancé le défi de faire mieux et de convaincre l’école d’adopter leur projet. Aujourd’hui, Quantic Télécom a équipé 1 000 chambres pour plus de 650 abonnés, au prix défiant toute concurrence de 8 euros par mois. Il est vrai que le relais radio est moins difficile et coûteux à entretenir qu’un câble – qu’il soit en cuivre ou en fibre. En outre, contrairement aux fournisseurs classiques, il n’y a pas de box mais une prise murale. Ultime astuce : les apprentis ingé- nieurs, qui forment une grosse partie de ces trublions du Net, ont découvert que l’installation téléphonique des immeubles laisse en jachère une paire de fils de cuivre qui leur sert de vecteur d’irrigation des différentes pièces d’un appartement. PascalRullier et JosselinLecocqvantent également leur « service clients ». «Noussommes humains,nous nesommes pas des commerciaux. Nos abonnés sont nos meilleurs représentants », insiste ainsi le premier. « Les abonnés nous appellent pour des choses non liées au réseau, comme une coupure électrique due au renversement d’une cruche d’eau sur les plaques de cuisson », dit le second. Qui ajoute : « Nous tenons à rester local. Le succès vient de la proximité. » Mais à condition de trouver de nouveaux marchés pour rester viable, comme les résidences universitaires privées, la couverture de microzones blanches, ou la gestion d’infrastructures communales. « Mais nous grossissons lentement », reconnaît Pascal Rullier. Faire le métier autrement peut faire grincer des dents. « Nous cassons les mythes sur l’accès à Internet et cela ne nous vaut pas que des amitiés. Par exemple, l’accès à la fibre optique est deux à quatre fois trop cher et nous le disons !, s’insurge Pascal Rullier. Nous ouvrons un peu les yeux aux gens sur les pratiques du secteur. » Prochain enjeu : la commercialisation annoncée de l’antenne airFiber sur la fréquence gratuite. Elle promet un débit de 1 gigabit par seconde sur 100 kilomètres. De quoi réduire un peu plus les zones blanches… p David Larousserie Prochain article : Franck Simon, aiguilleur du Net. 18 0123 Vendredi 15 août 2014 Espèces d’idiomes 4/5 Les ouvriers d’Internet 4/5 La société France-IX facilite le trafic sur la Toile Estomac dans les talons et yeux plus gros que le ventre en regroupant les réseaux, entre autres, d’opérateurs et d’hébergeurs de contenus Franck Simon, l’aiguilleur du Net L es idiotismes à caractère anatomique feraient passer la vieille chanson d’Ouvrard, rate qui s’dilate et foie qu’est pas droit compris, pour de la petite bière. On a la gueule de bois, ou on en parle la langue, et il nous arrive d’avoir les yeux plus gros que le ventre, tout comme les Britanniques, les Brésiliens ou les Argentins. En Italie, on se contente de les avoir « plus gros que la bouche », ce qui est plus raisonnable. Les Français ont même parfois l’estomac dans les talons, tandis que les Espagnols l’ont « dans les pieds », les Allemands, moins affamés sans doute,« dans lesjarrets »,et lespauvres Portugais « dans le dos ». Les étrangers qui apprennent le français n’en finissent pas de s’étonner que nous soyons capables de courir plus vite en prenant nos jambes à notre cou. On leur fera remarquer que les Allemands les prennent « sous les bras » (die Beine unter die Arme nehmen) et les Italiens « aux épaules » (mettersi le gambe in spalla). En revanche, si un Britannique suggère qu’on cesse de lui « tirer la jambe » (stop pulling my leg !), il ne demande pas qu’on la lui lâche mais qu’on cesse dele faire marcher, ouencore, comme diraient nos cousins ibériques, de lui « prendre les cheveux » (tomarle el pelo). Eux, les Ibères, « dorment à jambe relâchée » quand nous le faisons à poings fermés, mais quand ils « tirent la patte » (estirar la pata), c’est qu’ils partent les pieds devant. Nos cousins ibériques «dorment à jambe relâchée» quand nous le faisons à poings fermés S’il est inconfortable d’avoir deux mains gauches, que dire des malheureux sujets de Sa Gracieuse Majesté qui « ne sont que des pouces » ? Il nous arrive aussi d’avoir les chevilles qui enflent ou la grosse tête – nos cousins québécois gonflant plutôt de l’estomac et « se pétant les bretelles » –, et de nous vanter d’accomplir des exploits les doigts dans le nez, exploits que les Allemands accomplissent « avec la main gauche » et les Britanniques « les mains attachées dans le dos », les Italiens « les mains dans les poches », les Portugais « un pied dans le dos » et les Espagnols « sans se décoiffer ». « Mon pied ! » (my foot !), ricaneront les Anglais, qui entendront par là « Mon œil ! ». Et en effet bien souvent nous nous mettons le doigt dedans (l’œil), comme les anglophones « prennent la mauvaise truie par l’oreille », ou comme les Russes « s’asseyent dans une flaque » et les Brésiliens, grands fans de foot devant l’Eternel, « mangent du ballon ». Quand une folie nous coûte les yeux de la tête, nos pauvres voisins d’outre-Manche doivent « payer un bras et une jambe » ou alors « payer par le nez ». En Espagne, on est quelque peu épargné, puisqu’il n’en coûte qu’« un œil du visage », de même qu’en Grèce, où le prix ne dépasse pas « les cheveux de la tête ». Reconnaissons que, devant ces histoires sans queue ni tête, ou « sans pieds ni tête » comme en Espagne, ou encore « sans main ni pied » comme en Allemagne, les bras nous en tombent – nos cousins Germains en resteront « tout aplatis », tandis que les Néerlandais, en costume folklorique, « en casseront leur sabot ». p Muriel Gilbert Prochain article : Sucrer les fraises et passer l’arme à gauche. NINI LA CAILLE E ntre géants du numérique, c’est souvent la guerre : Facebook contre Google, Google contre Microsoft, Microsoft contre Amazon, Amazon contre… La ronde est infernale. L’Internet offre pourtant à tous les combattants l’occasion de se retrouver dans des oasis de paix. Ces lieux très réels portent le nom bien trouvé de « points d’échange ». Il en existe deux cents environ sur la planète. Et deux en France, qui ont pour nom France-IX et Equinix et sont installés en région parisienne. Pour expliquer à quoi peut servir un point d’échange, Franck Simon, le directeur général de France-IX, utilise une méta- Ces aéroports de l’Internet, telles des poupées russes, se cachent dans des boîtes encore plus grosses: les «data center» phore : « C’est comme un gros aéroport pourleslignes aériennes.En yétant présent,on peut allerpartout dans le monde. » Mais encore ? Ce sont des lieux vers où les entreprises d’Internet convergent et se connectent entre elles afin de faciliter le trafic et les échanges mondialisés. On y trouve les réseaux des opérateurs télécoms, des fournisseurs ou hébergeurs de contenus, des sites de commerce en ligne, des sites de vidéo en streaming… Plutôt que chaque fournisseur d’accès Internet (FAI) tire des fibres optiques vers ses concurrents, tous préfèrent passer par les points d’échange. Décision de bon sens et économique. Là, des équipements aiguilleurs appelés commutateurs ou routeurs gèrent cet embrouillamini de câbles et d’informations. Ces aéroports de l’Internet, telles les poupées russes, se cachent dans desboîtes encore plus grosses: les centres de données (data centers), lesquels poussent comme des champignons dans la banlieue des grandes villes pour héberger, stocker et protéger les milliards d’informations qui coulent dans les serveurs d’entreprises ou les services du Web. De l’extérieur, ces data centers ressemblent à des entrepôts, mais sans enseigne tape-à-l’œil – il faut rester discret. A l’intérieur, la sécurité est maximale. C’est même ceinture et bretelles. Caméras, badges, accès restreint selon les espaces… Pour éviter les bugs, tous les services sont doublés : alimentation électrique, groupes électrogènes de secours, circuit de refroidissement pour éviter la surchauffe des ordinateurs… Au sein du data center, au milieu des serveurs alignés comme des frigos, le point d’échange est de taille bien modeste. Une salle de quelques mètrescarrés dans laquellele commutateur n’est pas plus grand qu’une boîte en carton pour pizza. Le câble de Google est à quelques centimètres de celui de Facebook ou de celui de Microsoft… La tentation est grande de tirer sur l’une des fiches et de priver des millions d’utilisateurs des plus populaires services du Web. Sauf que ça ne marcherait pas : ces machines ont au moins une réplique dans un autre lieu. Neuf dans le cas de France-IX, sans compter une dixième à Marseille. « Pour l’utilisateur, c’est transparent. Il peut apporter son câble dans tous nos sites, il sera connecté à toutes les entreprises qui ont choisi d’être membres de France-IX », précise Franck Simon. Cela fait de ce point d’échange l’un des dix plus gros au monde: il relie 250 membres, avec des pointes de trafic à 280 gigabits par seconde (Gb/s), soit le contenu d’un DVDtransféréenundixièmedeseconde. « Nous doublons le trafic presque tous les neuf mois. Notre ambition est d’être dans le Top 5 des points d’échange dans les trois ans », prévient Franck Simon. France-IX reste néanmoins loin de DE-CIX en Allemagne, qui affiche plus de 550 membres et des pics à plus de 3 terabits. Soit dix fois plus ! Les lieux d’échange montent en puissance de façon spectaculaire parce qu’ils ont changé de nature. A l’origine, dans les années 1990, ils servent aux seuls opérateurs du téléphone. C’est un moyen pour France Télécom, par exemple, de connecter ses abonnés au reste du monde sans payer une connexion directe et coûteuse, notamment vers les Etats-Unis. Mais l’entreprise tricolore doit alors aller à Francfort, Amsterdam ou Londres – trois villes qui dominent toujours le marché européen –, car il n’y a pas de point d’échange en France. « Après avoir dialogué avec les différents acteurs du réseau français, nous avons décidé en 2010 de redonner sa place à Paris en matière d’Internet. Cela s’est fait en fédérant les acteurs existants », résume Franck Simon. Désormais, les FAI ne sont plus les seuls clients. On y trouve des hébergeurs de contenus (comme EdgeCast, choisi par Le Monde) et même des entreprises. Les lieux sont neutres, mais pas gratuits. Le tarif varie en fonction du débit demandé. Il donne ensuite le droit de « toquer » à la porte de tous les membres du lieu d’échange, mais il n’est pas dit que la porte s’ouvre. Il faut que l’échange soit accepté bien sûr. Les machines de France-IX sont de bons thermomètres de l’activité d’Internet. L’arrivée des mises à jour du système d’exploitation des iPhone crée des pics de débit sur les machines. De même que les grands événements sportifs, à cause des consultations des sites d’actualité ou des vidéos de compétitions en direct. « Récemment, le service très populaire de vidéo de jeu en streaming, Twitch, s’est raccordé à France-IX. Le premier jour, les 10 Gb/s n’ont pas suffi. Le deuxième, dix de plus non plus. Ils sont maintenant à 40 Gb/s », raconte Franck Simon. Gérerun point d’échange, c’est bouger en permanence. Plusieurs incidents en 2013 ainsi que la nécessité de grossir la « taille » des tuyaux ont conduit France-IX à investir. Les ingénieurs ont cherché les chemins les plus courts pour mailler l’ensemble des clients. Pour gagner du temps (dix kilomètres de fibres en moins accélèrent le débit de quelques dixièmes de milliseconde) et de l’argent. Les équipements qui permettent de propulser la lumière dix fois plus vite sont moins coûteux lorsque la distance à couvrir ne dépasse pas les dix kilomètres. Et puis un lien plus court diminue la probabilité qu’une pelleteuse casse la précieuse liaison… Dans quelques semaines, les centres de France-IX seront équipés afin de mieux répondre à l’augmentation infernale de la demande en débits rapides. Et deviendront très compétitifs en Europe, notamment pour un enjeu central : les fournisseurs de contenus vidéo. p David Larousserie Prochain article : Christian De Balorre, le cyber-surveillant. 19 0123 Samedi 16 - Dimanche 17 - Lundi 18 août 2014 Espèces d’idiomes 5/5 Les ouvriers d’Internet 5/5 Chaque jour, l’ingénieur de Zayo France Sucrer les fraises ou donner sa pipe à Martin protège les serveurs de 600entreprises de quelque 3000attaques informatiques Christian de Balorre, le cybersurveillant S ’il nous arrive d’avoir la frite, la pêche ou la patate, bref, d’être frais comme un gardon, « plus sain qu’une pomme », comme on dit en Espagne, ou « plein de haricots », en Angleterre, ce sont surtout les tracas de santé, et de santé mentale en particulier, qui inspirent l’idiotisme. On peut simplement n’avoir pas inventé l’eauchaude,ou tiède,oule fil à couper le beurre, bref, « l’assiettecreuse» pourlesNéerlandais, « la roue» pour les Américains, « la cire espagnole » pour les Hongrois, « ne pas avoir mis le spring (le ressort) aux sauterelles » pour les Québécois, bref, n’être pas « l’outil le plus affûtédela boîte »(thesharpesttool in the box) pour les Britanniques. On peut aussi, de manière encore bénigne, « prendre des navets pour des citrons » aux Pays-Bas ou « la lune pour du fromage vert » en Angleterre, bref, des vessies pour des lanternes. Et perdre occasionnellement les pédales, ou « les étriers», comme en Espagne. Les choses se gâtent un brin quand nous perdons la boule et les Britanniques « leurs billes ». Les mêmes Anglais deviennent parfois « fous comme des chapeliers », « vont bananes » (go bananas) ou souffrent de « chauves-souris dans le clocher », quand nous nous contentons d’une araignée au plafond, les Allemands, bucoliques, de « grillons dans la tête» et les Danois de « rats au grenier ». Quand nous Au bout du compte et du rouleau, nous finirons tous par «ôter nos sabots» à la danoise ou «secouer les fers à cheval» à la grecque sommes fous de joie, les Québécois sont « fous comme des balais». Les Hollandais, lucides, en concluront quenousavons tous « reçuun coup de moulin ». Quand il nous manque une case, il « manque une vis » aux Espagnols (faltar un tornillo), « un jeudi» ou « un vendredi » aux Italiens et les Britanniques « manquent un peudecuisson»(tobe alittleundercooked) ou « de sandwichs pour faire un pique-nique », tandis que les Allemandsn’ont«pastouteslestasses dans le placard ». Enfin, les sujets de Sa Majesté, décidément créatifs dans le domaine de l’agitation du bocal, ont parfois « autant de noix qu’un cake aux fruits ». En vieillissant, les esprits les plus vifs finissent parfois par sucrer les fraises, tandis que, outre-Quiévrain, fidélitéà la légende gastronomique oblige, ils préfèrent « saler les frites» avec option tremblote. Au bout du compte et du rouleau, nous finirons tous par « donner un coup de pied dans le seau » à l’anglo-saxonne (kick the bucket), ou « dans la cloche » à la bulgare, par « ôter nos sabots » à la danoise, « secouerlesfersà cheval »à la grecque, « boutonner la veste » à la portugaise, bref, passer l’arme à gauche. D’aucuns préféreront peutêtre « donner leur pipe à Martin », comme le font les Néerlandais, la casser, comme les Français, ou « avaler leurs chaussures » comme les Tunisiens. Libre aux tempéraments verts de choisir de manger les pissenlits par la racine, ou « la pelouse » comme au Portugal, de « faire pousser des mauves » comme en Espagne, ou de « pousser les pâquerettes vers le haut » (push up daisies) à l’américaine… p Muriel Gilbert n Sur Lemonde.fr Un épisode bonus : Vertes années et colère noire NINI LA CAILLE D es scénarios catastrophe, il y en a des dizaines. Comme dans Skyfall, le dernier film de James Bond, où la patronne des services secrets britanniques voit son ordinateur piraté par un psychopathe. Pas étonnant, dès lors, que pour une entreprise ou une administration, la cyberattaque ou le piratage suscitent peurs et fantasmes. Mais pour les « ouvriers » d’Internet spécialisés dans la question, un autre climat, plus serein, domine. Ecoutons Christian de Balorre, responsable de l’ingénierie chez Zayo France (ex-Neo Telecoms), un des spécialistes français de l’hébergement de Une cyberattaque ne se fait pas au bazooka mais par étouffement. Pour rendre un site indisponible, on le sature de données données et de services. Ses premiers mots ont de quoi inquiéter : « Nous subissons environ 3 000 attaques par jour sur les serveurs de nos 600 clients. » Du reste, nombre d’indicateurs qui clignotent sur l’écranquiluifaitfaceontl’airplusrouges que verts. Et pourtant l’ingénieur n’est pas «spécialement stressé ». Tout simplementparce que la grande majorité des millions d’attaques informatiques, dans le monde entier, sont indolores. Elles sont parées par des systèmes automatiques. Une attaque informatique ne se fait pas au bazooka mais par étouffement. Pour rendre un service ou un site Web indisponible, on le sature de données qu’on lui envoie par « paquets » entiers. L’agression est bien plus efficace quand elle provient non pas d’un poste mais d’une « nuée » d’ordinateurs. Dans quel but ? Pénaliser économiquement une entreprise, exercer un chantage, accomplir un acte politique en s’en prenant à des serveurs d’institutions. Selon la société Arbor, leader du marché de la protection contre ces attaques, entre 2011 et 2012, leur débit a augmenté de 20 %. Pas de quoi affoler Christian de Balorre, car dans l’immense majorité des cas les parades sont connues. Notamment quand elles viennent de gamins dont l’objectif n’est pas vraiment de faire exploser l’économie mondiale. « Nous observons un pic d’attaques à la sortie des classes ou pendant les vacances, raconte l’ingénieur. Ce sont des jeunes acharnés aux jeuxvidéo qui, pour embêter des adversaires sur les jeux en ligne, utilisent des services gratuits d’attaque sur des sites pirates. » Mais ces « armes » ne sont gratuites que pendant un quart d’heure et elles « sont peu efficaces ». Reste que tout volume d’envoi anormalement important et venant d’une même source est jugé suspect. Et traité. Justement, une attaque survient devant nous, en direct, sur les écrans de Zayo France : 33 800 paquets par seconde au lieu du seuil de 1 500. Aussitôt, les logiciels réagissent. Soit les paquets adressés à la cible sont « effacés », mais alors le site est coupé d’Internet. Soit, moins brutal, un système de filtrage est mis en place de manière à trier les paquets légitimes et les malveillants. Soit, encore, des boîtiers inspectent le contenu des paquets pour séparer encore mieux le bon grain de l’ivraie. Voilà pour la routine. Et en dehors ? « Disons que, une fois par mois environ, c’est du sérieux. Ça peut partir en vrille n’importe quand », confesse Christian de Balorre, qui évoque, sans citer l’entreprise-cible, des attaques qui changeaient de nature toutes les deux heures et qui ont fait tourner en bourrique les fameuxfiltres. En revanche, jamais le réseau lui-même de Zayo France n’a été victime d’une attaque. Les tuyaux sont sans doute trop gros pour pouvoir être bouchés. Ily apourtant unepersonne quitravaille sur le scénario catastrophe, pour mieux en prévenir les dégâts. Il s’appelle Guillaume Valadon. Au sein de l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (Anssi), il pilote une cellule d’experts chargée en quelque sorte de dire si la France pourraitêtre coupée d’Internet… Comme ont pu l’être à des degrés divers la Turquie ou la Syrie récemment. La crainte n’est pas que des plongeurs coupent les câbles au fond des mers alimentant notre pays en flux de données car ces tuyaux sont trop nombreux. Il est une menace moins « cinématographique », mais plus crédible. Pour fonctionner, Internet a besoin de machines jouant le rôle d’annuaire, convertissant des noms familiers, les adresses de sites Web par exemple, en séries de chiffres compréhensibles par les équipements d’aiguillage qui, de nœud en nœud, acheminent les paquets de données sur les bonnes voies. Que ces annuaires soient inaccessibles, et fini le surf ! « Nos analyses montrent qu’il y a assez de ces annuaires en France », assure Guillaume Valadon. Il ajoute : « Mais… » Mais quoi ? 80 % de ces annuaires sont gérés par un seul opérateur, dont l’expert tait le nom par sécurité. Autre risque : celui d’une dépendance de l’étranger. L’équipe de Guillaume Valadon a cartographié les 1 270 opérateurs de l’Internet en France et les relations qui existent entre eux. Ainsi 81 opérateurs seraient « pivots », donc stratégiques, pour la France, dont 34 étrangers. Si huit parmi ces derniers devenaient indisponibles, l’impact serait « lourd » sur notre pays, pointe un rapport de ces experts, en juillet 2013. Mais les mêmes experts restent prudents sur l’interprétation de ces cartes qui ne sont qu’une photographie à un instant donné. Les anges gardiens de l’Internet français notent d’autres faiblesses. Les annuaires, tout comme les aiguilleurs, peuvent être attaqués non pour les rendre indisponibles mais pour les rendre « fous». Un internaute taperait Lemonde.fr et se retrouverait sur un site infesté de virus. Ou bien, un mauvais aiguillage ferait que l’ensemble du trafic partirait vers des ordinateurs d’un pays louche. C’est déjà arrivé en Australie en 2012 – probablement du fait d’une erreur humaine… Des parades informatiques existent pour certifier les chemins et les annuaires mais, selon Guillaume Valadon, elles sont trop peu utilisées en France : « Nous aidons à faire réfléchir les responsables et nous pointons les manques. D’autres pays s’interrogent sur la solidité de leur Internet et nous confrontons nos analyses. » Sans tomber dans la paranoïa, cet ingénieur semble avoir plus conscience des risques que d’autres. Il a récemment changé le système d’exploitation de son ordinateur Apple pour un autre jugé « plus sûr ». Inquiétant ? p David Larousserie FIN