modeuses auboulot - Vestiaire Collective
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modeuses auboulot - Vestiaire Collective
Date : 01/10/2013 Pays : FRANCE Page(s) : 147-148 Périodicité : Mensuel Surface : 183 % EST-CE BIEN SÉRIEUX ? MODEUSES AUBOULOT PEUT-ON ÊTRE FASHION ADDICT (ET Y LAISSER PARFOIS SA TIRELIRE) DE SERVICE, LA FILLE QUI SE LA PÈTE OU LA SANS PASSER POUR ÉCEREÉE DES ALLUMEUSES? FRANCHEMENT, C'EST LOIN D'ÊTRE NÉ Pi as facile de ressembler à une gravure de mode dans la vraie vie. De faire d'un rendez-vous professionnel, de courses au supermarché ou d'un déjeuner dominical dans la famille de son nouveau mec, un hommage aux collections automne-hiver 2013-2014. Le quotidien ne ressemble pas vraiment à un grand street style et la fashion police n'existe que dans les magazines. Le jugement qui tombe la plupart du temps sur votre look référencé est sans appel : "C'est n'importe quoi." Souvent incomprise et taxée de superficialité, la modeuse (même le nom qu'on lui donne ne transpire pas l'admiration) apprend à faire de son goût poul ies créateurs et les tendances, sinon le secret le plus mal gardé de son existence, du moins un non-sujet de conversation. Alors qu'elle meurt d'envie de s'offrir un manteau Carven rose bubble gum, elle doit la plupart du temps la jouer low profile. Parce qu'on risque de ne voir que lui, ce bel ovni oversize ultra fashion, et pas son CV divinement tourné, ni son talent managérial, ni son hongrois courant... La reine Anna Wintour herself, rédactrice en chef de "Vogue" US, avouait dans le documentaire "The September Issue" (R.J. Cutler, 2009), que son père et son frère, eux-mêmes journalistes i i i i i i --' (mais au "Guardian", ça change tout), ne comprenaient pas ce qu'elle faisait: "Ils pensent que je m'amuse..." "Je termine un cursus dans la finance. J'en suis donc à mon quatrième stage dans la banque, mais je ne suis ni au guichet ni en contact direct avec la clientèle. Je suis dans les bureaux, raconte Livia. Les premiers jours, j'adopte une tenue neutre :pantalon noir et ballerines. Je cache mon goût pour la mode. Je veux d'abord faire mes preuves et surtout que personne n'ait d'à priori sur moi. Au bout de quelques semaines, je me lâche un peu. Je m'accorde des talons, un beau sac, je réfléchis davantage à mon look le matin. Mais j'évite les shorts. Une fois, j'en ai mis un. Tout le monde en a parlé dans la boîte. En réunion, l'après-midi, un salarié a dit: «Aujourd'hui, la petite stagiaire est venue en culotte. » Ce qui me gêne c'est que, même sans parler de cet épisode atroce, dès que je porte quelque chose que j'ai adoré m'acheter, j'ai des réflexions : « Ce sac, c'est le tien ou celui de ta mère ? Tu l'as eu dans un dépôt- vente ? C'est un vrai ? » Ce n'est pas toujours malveillant mais le fait d'être regardée de cette façon-là, donc jugée, me met mal à l'aise." Le problème, c'est que Livia se sent "déguisée" quand elle met "des vêtements sérieux", et qu'elle craint les réflexions des autres quand elle s'accorde un peu plus de plaisir... "Et là, en plus, je ne suis que stagiaire ! 147 BE OCTOBRE DERNIÈRE Je pense me tourner vers l'audit ou l'expertise comptable. Ce sera pire quand je serai intégrée !En fait, je suis très frustrée. Alors, le soir, je me lâche. Pour la moindre sortie dans un café ou au resto, je mets le paquet." Comme le feraient d'autres pour un mariage. Mais pourquoi tant de gêne ? La France, pourtant si fière de sa haute couture, de ses savoir-faire, de sa tradition d'élégance, est un modèle de chic. Les Françaises sont perçues hors de nos frontières comme les championnes du style toutes catégories. Un magazine féminin titrait encore en une mi-août que nous étions "les nouvelles idoles des Américaines". Mais, aussi fascinantes soient-elles, les belles Frenchies ont encore du mal à porter au jour le jour la mode qu'elles sont censées incarner. Car, ici, il faut bien reconnaître qu'il est toujours mieux vu de dépenser son argent dans un canapé, une tablette, une obscure sculpture (ben oui, c'est de l'art), que dans une veste Rick Owens, un pantalon Balmain ou une jupe Balenciaga. "La mode reste un tabou dans notre société. Pour la plupart des gens, il est honteux de dépenser de l'argent dans une chose aussi dérisoire, changeante, périssable. Les filles qui le font sont perçues comme futiles ou dérangées, déconnectées des vrais problèmes, explique Fanny Moizant, cofondatrice et country manager UK du site de ^ e-commerce vestiairecollective.com. 2013 Vestiaire Collective Tous droits de reproduction réservés Date : 01/10/2013 Pays : FRANCE Page(s) : 147-148 Périodicité : Mensuel Surface : 183 % Je ne dirais pas que j'ai souffert de "belle gueule", plus répandu qu'on de mon amour pour la mode. ne le pense. Ben oui, ils n'ont pour Ou que j'ai dû revoir ma copie seule utilité que leur chic indémodable et leurs semelles rouges, ultime vestimentaire pour me faire ma place De toute façon, professionnellement. provocation. "On peut se chausser je ne suis pas une excentrique. en la ramenant moins ? !" penseront Mon dressing se compose tous les grincheux... essentiellement de jeans Gap ou Zara (slim ou boyfriend) que j'assortis à Ai près avoir écouté i une responsable des des T-shirts, des blouses en soie ou de belles chemises. En vieillissant, j ressources humaines, je suis devenue très sensible à la qualité j j une négociatrice des matières et des coupes, ce qui fait j en immobilier et de moi quelqu'un de raisonnable, j une directrice d'école mais... je me lâche sur les chaussures. ; maternelle, le constat se J'ai toujours su m'amuser en i révèle catastrophique: i toutes pensent m'habillant, me mettre en valeur. Je •-•' n'ai jamais considéré la mode comme qu'elles mettent moins un déguisement. Et même si, dans cette de chance de leur côté, voire qu'elles industrie pour laquelle je travaille, il y a se décrédibilisent, si elles sont trop moins de barrières que dans d'autres "sapées". Un boyfriend délavé et des secteurs d'activité, l'important est low boots à talons ? "Oui, pour ouvrir de pouvoir toujours assumer son look la grille de l'école le vendredi, mais pas et de rester soi-même. Chaque matin, pour un rendez-vous avec les parents échauffés d'une élève qui s'est fait je regarde mon agenda : si je vois mes couper les cheveux par un camarade investisseurs, j'opte forcément pour de classe, explique Violaine. J'ai une veste ou une chemise que je casse avec un gros collier... pas avec une l'impression de perdre en autorité si je porte la preuve que je me suis toute petite jupe! Il faut respecter qu'on peut laissé amadouer par la vitrine d'un comprendre le l'autre, heurter. Évidemment, la veste que magasin. C'est comme l'expression je choisis pourvoir des financiers sera d'une faiblesse. Une faille dans pourrait une Stella McCartney un peu oversize laquelle mon interlocuteur s'engouffrer pour me déstabiliser, dans un coloris qui sera tout sauf noir. Ils ne vont pas comprendre cette pièce, réduisant mon parcours professionnel, ils ne vont pas l'identifier comme le temps que je consacre à mon métier, un vêtement pointu, pertinent dans mon dévouement envers mes élèves une saison donnée, ils ne sauront pas et mes profs à un sweat-shirt léopard." véritablement quelle valeur mode Et chez les garçons, ça se passe elle a, mais elle reste un élément chic comment? Dingue de mode, qui ne les déstabilise pas. Je la choisis Laurent travaille à la télé, mais cela ne le dispense pas du regard des autres car elle me ressemble, et aussi parce sur ses choix vestimentaires. "J'ai qu'elle me permet de respecter les codes et qu'elle ne laisse à personne une collection invraisemblable de pulls le loisir de penser que j'ai dépassé en Lurex. J'adore ça depuis des années. les bornes, ce qui me mettrait dans une Quand j'en mets un le matin, je sais bien que la journée n'est pas gagnée position inconfortable. Et, pour être tout à lait honnête, j'ai aussi appris à ne d'avance. Ça va être difficile. Certains plus jamais dire, pas même à mon mari, vont ricaner, et d'autres vont me dire combien j'ai payé mes chaussures." sans penser à mal : « Oh, t'as un joli Même si les escarpins Louboutin pull ! » Ce qui veut dire que ça ne va valent le même prix qu'une paire pas. L'élégance, c'est de passer de chaussures de ski high-tech, même inaperçu. Ma récompense après tout ce si on porte les premiers tous les trois temps, c'est que, finalement, les autres moi." jours et la seconde une fois par an, s'y sont habitués. Ça fait partie de Participer à un séminaire en total look ils pâtiront toujours du fameux délit BE ' OCTOBRE Balmain n'est pas encore passé dans les mœurs, mais OK, il y a de l'espoir. Tout au long du XXe siècle, les femmes ont choqué parce que, suivant la mode, elles se sont mises à porter les cheveux courts, une minijupe, un pantalon, un smoking sans rien dessous, etc. Tout en évitant d'être caricaturale, (ce qui ne servirait pas la cause), il faut surtout se faire confiance. "Je compare souvent la mode à la musique. On s'approprie un vêtement comme on le fait avec une chanson, raconte Jean- Jacques Picart, consultant mode et luxe. Quand on fredonne sous la douche, c'est un peu faux, mais ce n'est pas grave : ça reste joyeux - ça, ce sont les adeptes des basiques Uniqlo. À l'inverse, certaines personnes entonnent un grand air, dans un silence absolu, avec beaucoup de pompe et de drama, en se prenant pour un chanteur lyrique -je pense aux gothiques et à certaines excentriques. D'autres encore aiment le karaoké, imitent, prennent les tics. Elles en font des tonnes, mais s'oublient pour se fondre dans le physique et la gestuelle du chanteur. En mode, ça donne des filles habillées des pieds à la tête comme une top-modèle en couverture de «Vogue » !Difficile de les prendre au sérieux. Et puis, il y a les chansons qui te suivent toute ta vie. Tu les chantes à ta façon. Tu as trouvé ton style. Parvenir à cela, c'est réussir à faire de son amour pour la mode un atout. Quelque chose qui donne de l'aplomb, de la personnalité, de la profondeur." Bien, chef, on va essayer de travailler ça. - Caroline Rousseau CAROLINE ROUSSEAU Rédactrice en chef adjointe "Un jour où je culpabilisais devant la vitrine de Christophe Lemaire, une amie intello m'a dit: « Certains s'offrent des toiles qui, pour moi, sont des croûtes. Je préfère punaiser une affiche dans mon salon et porter un gilet Margiela. Ce sont des choix. Si les autres n'approuvent pas, c'est leur problème, non ? »" 2013 Vestiaire Collective Tous droits de reproduction réservés