Le transporteur routier devenu armateur
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Le transporteur routier devenu armateur
STRATÉGIE STRATÉGIE ROCCA TRANSPORTS vesti massivement dans les nouvelles technologies ». Ainsi, étiquettes et code-barres fleurissent progressivement sur les colis acheminés de part et d’autre de la Méditerranée. 20 Le transporteur routier devenu armateur Patrick Rocca, sous le feu des projecteurs en 2016 pour avoir été candidat à la reprise de la SNCM, dirige la plus grosse société de transport de marchandises de Corse. Portrait d’un homme (autodidacte) et d’une entreprise, qui ont su faire de l’insularité un atout. Vincent Barrau, Dg de Rocca Transports depuis 2005, est un ancien cadre de chez Geodis et dirigeant du Sernam à Marseille. E n 1989, Patrick Rocca se lance dans le transport routier, son attestation de capacité en poche. Il n’a que 24 ans lorsqu’il s’offre son premier camion. Ainsi, démarre l’aventure professionnelle de ce fils de commerçants en primeurs corses. Vingt-sept ans plus tard, il est devenu leader du transport routier en Corse. Il serait même l’un des tout premiers employeurs privés de l’île. À la force du poignet, le transporteur corse a construit un empire. À la tête de 27 entreprises présentes dans le transport routier de marchandises, le BTP, la gestion des déchets, la promotion immobilière, il emploie 634 salariés et réa- L’Officiel des Transporteurs − N° 2837 du 17 juin 2016 lise 81 M€ de chiffre d’affaires. En septembre 2015, il a repris le Décathlon d’Ajaccio et fait construire deux autres magasins à Bastia et Porto-Vecchio. APPORTEUR DE FRET POUR LA SNCM Certes, son casier judiciaire n’est plus vraiment vierge mais son parcours et sa détermination forcent le respect, au point de susciter la confiance du tribunal de commerce de Marseille sur l’épineux dossier de la reprise de la SNCM. Les juges consulaires voient en lui un entrepreneur capable, notamment, d’apporter du fret à la future entreprise. « Nous transportons par voie maritime l’équivalent de 450 000 mètres linéaires de fret par an », affirmait Patrick Rocca pendant la longue période qui a précédé la décision du tribunal de commerce. Avec désormais 700 cartes grises en magasin, le transport routier de marchandises représente 42 % du chiffre d’affaires du groupe éponyme. « Visionnaire, Patrick Rocca a toujours souhaité donner une dimension industrielle au métier. Afin de maîtriser la chaîne de transport en amont depuis le continent, il a racheté deux sociétés de transit dans les années 90 », raconte Vincent Barrau, directeur général de Rocca Transports. Ancien dirigeant du Sernam à Vitrolles, ce Rochelais a rejoint l’entreprise en 2005. Il livre quelques clés de la réussite du groupe. « Dès l’origine, Patrick Rocca a in- MAILLAGE CORSE À Vitrolles, le groupe insulaire est propriétaire de deux entrepôts sur la zone industrielle de l’Anjoly. Le premier site de 4 500 m2 est dédié aux opérations de transport. À proximité, le groupe exploite une plateforme logistique de 6 000 m2. En Corse, l’entreprise est présente à Bastia (Borgo), Ajaccio et Porto-Vecchio, pour plus de 16 000 m2 d’entrepôts. « La stratégie de l’entreprise consiste à privilégier les partenariats pour lesquels notre réseau intégré d’agences, unique en Corse, présente une réelle valeur ajoutée. Ces implantations permettent de conserver la qualité de service (délai, remontée d’informations en temps réel…) », détaille Vincent Barrau. Chaque matin, le dirigeant a les yeux rivés sur ses écrans. « J’examine en temps réel les statistiques de chaque agence. Chaque chauffeur renseigne en temps réel les étapes des livraisons. 100 % de nos conducteurs sont dotés d’une solution mobile. 85 % du fret entrant dans le réseau est déjà étiqueté par le client. Nous équipons le reste des colis d’étiquettes code-barres. Le logiciel Traplus nous permet de suivre les expéditions », ajoute le responsable. Membre des réseaux Astre et Volupal, l’entreprise est ainsi présente dans tous les segments du TRM : express, BtoC, lots complets/partiels, groupage, retail, distribution spécialisée, transport sous température dirigée. Les camions blancs transportent absolument tout pour le compte des enseignes de bricolage, de déco, d’ameublement. Vin et tabac mais aussi bitume en citerne, gaz médical, produits alimentaires pour les chaînes de restauration…. Rocca Transports intervient également en Corse, comme sous-traitant pour le compte des grands noms du TRM sur le continent. Interrogé sur la nature déséquilibrée des échanges avec la Corse et sur l’équilibre financier à trouver, Vincent Barrau explique. « Nous effectuons 90 tournées par jour en Corse, soit 1 400 livraisons. Nos camions partent des centrales d’achat du continent ➜ REPÈRES ■ Siège social : Ajaccio ■ CA 2015 : 37 M€ ■ Effectifs : 260 salariés dont 210 chauf- feurs (60 sur le continent et 150 en Corse) ■ Parc : 100 tracteurs, 60 VUL, 372 remorques ■ Activités : Express, BtoC, lots complets/partiels, groupage, distribution spécialisée, frigo. DR 20 pour livrer la grande distribution. Notre couverture du territoire et la densité des tournées constituent un atout. Il s’agit d’offrir de la valeur ajoutée à nos prestations transport. Par exemple, nos livreurs installent les ramettes de papier dans les administrations. Nous positionnons également les bouteilles d’oxygène dans la salle des machines des hôpitaux. Chez les particuliers, ils livrent et installent l’électroménager. Ils récupèrent les anciens appareils et les emballages. Nous faisons jouer les synergies entre les sociétés du groupe. C’est notamment le cas entre le BTP, le transport et l’environnement ». LE POIDS DU MARITIME Les Transports Rocca se targuent de desservir 340 des 420 communes de l’île. En revanche, l’entreprise est absente du continent, se contentant uniquement de charger le fret destiné au marché corse afin d’éviter toute rupture de charge et de réduire au maximum le handicap de l’insularité. Elle se contente, en fait, d’un rayonnement local en Provence-Alpes-Côte d’Azur pour le compte de la Poste et de quelques opérations spot telles que l’implantation d’une enseigne d’habillement à Salon-deProvence. Forte de son expérience de transporteur de colis vers Bastia et Ajaccio pour La Poste, l’entreprise de Patrick Rocca s’est vue confier un nouveau contrat et livre, depuis la plateforme colis de La Poste à Cavaillon, les centres de tri postaux des Alpes-Maritimes, de l’Hérault, du Gard et du Vaucluse. Pour cette activité spécifique, Rocca emploie une quarantaine de chauffeurs et exploite 25 ensembles routiers et fourgons. Rocca a joué sur la diversité de son plan de transport maritime. Chaque jour, entre 35 et 70 remorques embarquent sur un bateau. « Notre objectif consiste à acheminer ces remorques à bon port. Les compagnies maritimes proposent une capacité d’emport quotidienne et nous décidons de la manière Patrick Rocca, président fondateur de Rocca Transports, est à présent actionnaire de Corsica Linea. la plus efficiente d’acheminer le fret. Nous sommes extrêmement sensibles à l’heure d’arrivée des navires et à l’heure de débarquement des remorques. Chaque minute de retard a un impact. C’est la raison pour laquelle nous choisissons de répartir le risque et de parer aux aléas », souligne Vincent Barrau. Les remorques transitent indifféremment via les ports de Marseille, Toulon, Nice voire même Savone (Italie) au gré des aléas climatiques et des mouvements sociaux. Le maritime représente entre 30 et 85 % des coûts de revient de l’entreprise, selon la nature du transport (lot complet ou groupage). Interrogé sur les marges de négociation des taux de fret avec les compagnies maritimes, et notamment Corsica Linea, dont Patrick Rocca est désormais l’un des actionnaires, Vincent Barrau indique : « Les tarifs sont encadrés par la délégation de service public, il n’y a aucune négociation possible (avec la Méridionale et Corsica Linea, Ndlr). En revanche, nous bénéficions de la grille de remises de Corsica Ferries ». Néanmoins, depuis que le groupe de transport routier est actionnaire de MCM (Corsica Linea), il contribue à la croissance du fret de Corsica Linea. L’Office des Transports de la Corse projette de diminuer de 18 % le prix du mètre linéaire de fret dans la prochaine convention de service public. Vincent Barrau ne semble pas convaincu par la mesure. « Je n’en comprends pas la finalité. Par le passé, il y a déjà eu des variations de prix à la hausse et à la baisse et nous n’avons jamais pu en mesurer les effets », tempère-t-il, tout en restant attentif aux évolutions de la desserte maritime. u Textes et photos : NAThALiE BUREAU DU COLOMBiER L’Officiel des Transporteurs − N° 2837 du 17 juin 2016 21