Télécharger l`article - Institut de l`entreprise
Transcription
Télécharger l`article - Institut de l`entreprise
Dossier : entreprise 2020 entretIen avec Jean-chrIstoPhe secrétaire confédéral de la CGT le duIGou « L’État doit être un acteur, mais pas le seul » propos recueillis par Charlotte Cabaton et eudoxe Denis Où en sera le syndicalisme en 2020 ? Jean-Christophe Le Duigou - La gauche, comme la droite, considèrent que le social est en dessous du politique. Le syndicalisme est donc naturellement vu comme une démarche subordonnée. Or il s’agit de deux approches bien différentes et tout aussi légitimes pour exprimer l’intérêt général. En 2020, les contraintes seront toujours les mêmes. Il faudra travailler pour produire des richesses. Les contradictions demeureront. Syndicats et syndicalisme continueront donc d’exister. Cependant, leur rôle devrait évoluer, la contestation se combinant à la proposition et à la réflexion. La loi sur la représentativité syndicale enclenche un processus qui, en 2020, aura produit une partie de ses effets avec le développement d’un nouveau type de négociation, la modification des struc- 68 • Sociétal n°63 tures et un nombre d’organisations revu à la baisse. D’ici là également, le problème du pic démographique devra avoir été résolu et une force syndicale européenne, voire mondiale, aura dû être constituée. Le syndicalisme doit se donner les moyens de rattraper son retard. Peut-on aujourd’hui parler de désyndicalisation ? Jean-Christophe Le Duigou - La France n’a jamais connu de syndicalisme de masse. La CGT est un syndicat très décentralisé, fédéraliste. Il bénéficie d’une organisation souple, ce qui constitue un atout. Le défi est le maintien de la cohérence. On vient à la CGT d’abord pour défendre ses intérêts. On n’y adhère pas principalement pour des motifs idéologiques ou politiques. Entretien avec Jean-Christophe Le Duigou Quel est le rapport des jeunes aux syndicats ? Jean-Christophe Le Duigou - Ils leur font confiance mais ont du mal à trouver leur place dans l’organisation. Ils revendiquent plus leur individualité. Or c’est une attente difficile à prendre en compte pour un syndicat. La tendance historique est à parler de ce qui rassemble, dans une certaine uniformité. Le syndicalisme délégataire n’est pas un mode de fonctionnement adapté à cette nouvelle donne. Il faut désormais être présent partout avec des structures qui permettent d’appréhender la diversité, le salariat dans son ensemble. Il s’agit à ce titre d’une rupture historique. Comment négociera-t-on en 2020 ? Jean-Christophe Le Duigou - Il est illusoire de penser que les problèmes sociaux pourront être traités en entreprise ou de façon totalement centralisée. Les négociations continueront d’être menées à des niveaux différents mais l’articulation entre ces différents niveaux devra être pertinente. Par ailleurs, on devrait assister à très long terme à une certaine convergence des modes de négociation au niveau international. Tout pousse à ce que le cadre de nombreuses négociations soit dans un premier temps européen. La question reste de savoir si nous, syndicats, politiques, mais aussi entreprises sommes capables d’en faire un espace pertinent de production d’une base sociale. Dans quelle direction le leadership va-t-il évoluer ? Jean-Christophe Le Duigou - La crise va marquer un retour au réel, à l’économie réelle, à ce que l’on produit et à la manière de produire. Les emplois du temps des dirigeants d’entreprise vont devoir s’adapter. Ils seront également choisis différemment. Leur légitimité devra être renforcée en interne. On ne passera plus de l’école à un poste de direction. Il faudra avoir une connaissance du réel. Je sens par ailleurs une évolution de l’attitude des dirigeants vis-à-vis de la question sociale. Ils reconnaissent qu’il y a des problèmes. L’Afep s’est par exemple emparée de la question de la rémunération des dirigeants. Trop timidement, sans doute, mais c’est un signe. Ils réfléchissent également à la place des salariés dans l’entreprise. Ces derniers sont-ils, comme le suggère l’approche allemande, un élément constitutif de l’entreprise ? Répondre à cette question apportera un début de solution à la crise de la gouvernance. Il convient d’ailleurs d’y réfléchir au niveau européen et mondial. Et l’implication des salariés ? Jean-Christophe Le Duigou Aujourd’hui, une majorité de sala- 1 er trimestre 2009 • 69 Dossier : entreprise 2020 riés estiment que l’entreprise n’a pas de considération pour eux. Il faut une autre organisation du travail qui prenne pleinement en compte leur besoin d’accomplissement. Les mutations technologiques vont à cet égard jouer un rôle parce qu’elles renforcent le besoin d’initiative. Il faut par ailleurs engager une réflexion sur le statut global du salarié. Le mode hiérarchique de gestion à trois niveaux « exécution, maîtrise, cadres » ne pourra pas perdurer. Quels effets aura la crise sur la mondialisation ? Jean-Christophe Le Duigou - Le processus d’internationalisation ne sera pas stoppé. En revanche, les équilibres géopolitiques vont être bouleversés. Il faut désormais concevoir un système économique et financier qui repose sur un dollar affaibli et prenne en compte l’Europe et la Chine. Un véritable monde multipolaire va émerger. La nationalité de l’entreprise aura-t-elle encore un sens ? Jean-Christophe Le Duigou - Sans hésitation, oui. C’est faire preuve de beaucoup de superficialité que de ne pas le reconnaître. Penser que la mondialisation va affaiblir les réalités nationales ou régionales est au mieux une spéculation et au pire une erreur. La vision de Carlos Ghosn d’une ges- 70 • Sociétal n°63 tion mondiale a été mise en échec. Aucun mode de gouvernance ne peut faire l’économie du respect des formes de représentations culturelles. Parce que les entreprises sont avant tout des ensembles humains. De même, les processus de production sont largement marqués par des éléments culturels ; la consommation également. La spécialisation internationale du travail va-t-elle être remise en cause ? Jean-Christophe Le Duigou - La crise met probablement fin à la spécialisation dans la sphère financière et nous oblige à revoir un certain nombre de nos schémas. Il faut probablement commencer par changer notre rapport à l’industrie, reconnaître la place qui est la sienne. Parce qu’elle est le socle de production des biens et parce que ces biens concernent 75 % des échanges. Mais aussi parce que la Chine n’a pas vocation à visser des boulons pour toujours. Il nous faut ensuite mener une réflexion sur les nouvelles activités industrielles et leur valorisation. Être capable de produire de nouveau des pneus intelligents, voilà le type de défi que nous devons relever. Il en découlera une autre politique de l’emploi. On investit aujourd’hui beaucoup dans l’emploi peu qualifié et on a encore trop de gens sans qualification reconnue sur les chaînes de production. En 2020, on continuera de payer Entretien avec Jean-Christophe Le Duigou certaines des « erreurs de gestion » actuelles. C’est dès maintenant qu’il faut revoir notre stratégie de formation. Nous pouvons en tirer un avantage comparatif. Si on ne développe pas dès aujourd’hui la qualification à tous les niveaux d’emploi, nos capacités de croissance en seront affectées. Il faut que l’entreprise s’implique davantage mais il faut aussi que les salariés soient davantage mobiles. La réflexion sur la réforme de la formation professionnelle doit être engagée collectivement et avec à l’esprit l’intérêt collectif. Quel sera le rôle de l’État à l’horizon 2020 ? Jean-Christophe Le Duigou - Je ne crois pas au débat « plus ou moins d’État », mais je considère qu’il est urgent de répondre à la question « quel État ? ». Y répondre relève de choix collectifs, non du dogme économique. La crise démontre le besoin d’une gestion du long terme par la puissance publique. Elle démontre aussi la responsabilité qui est la sienne. Il va nous falloir faire des choix d’investissement privilégiant certaines pistes technologiques et ce choix ne devra pas être fait par les entreprises seules. L’État a besoin d’être acteur dans toute une série de domaines, y compris dans le domaine financier. Cependant, il ne doit pas déterminer seul quelle est la bonne réglementation. De même, il doit se donner des leviers d’intervention. La Chine par exemple reconnaît la place du marché mais conserve ses propres instruments d’intervention. L’État doit être un acteur sans pour autant tomber dans l’économie administrée. ParCours jeaN-christophe le duiGou Ancien élève de l’École nationale des impôts, Jean-Christophe le Duigou débute en 970 sa carrière au ministère de l’Économie et des Finances et adhère à la Confédération générale du travail. En 982, il devient secrétaire national de la Fédération des Finances CGT et membre du Conseil économique et social. En 995, il devient responsable des questions économiques de la CGT et entre, en 999, au bureau confédéral. Vice-président du conseil de surveillance du Fonds de réserve pour les retraites depuis 200, il est le principal négociateur de la CGT sur la réforme des retraites. Il est aujourd’hui considéré comme le numéro 2 de la confédération, dont il prône l’ouverture et la modernisation, et l’auteur notamment de Réinventer l’impôt (995), L’Avenir des retraites (999), et Demain le changement (2005). 1 er trimestre 2009 • 71