Influence de l`Alchimie sur la FM

Transcription

Influence de l`Alchimie sur la FM
1
L’influence de l’alchimie sur le symbolisme maçonnique
I - Avant d’aller plus loin dans une présentation des influences de la voie alchimique sur le
symbolisme que nous vivons dans les loges pratiquant le rite écossais ancien et accepté, il paraît
utile de bien définir ce qu’est l’alchimie. Le mot alchimie, al-kimiya, la Terre noire (l’égyptienne),
a été donné par des savants arabes, lors de la découverte qu’ils firent, à l’époque de la grande
expansion de l’islam dans les territoires du Moyen Orient et en Perse, à la science secrète que
pratiquaient les adeptes de confréries initiatiques installées dans ces territoires. Les érudits,
principalement perses qui les introduisirent dans leurs sociétés, savaient seulement que cette
science secrète était venue d’Egypte et les savants arabes la baptisèrent ainsi, al-kimiya,
l’égyptienne, mot que nous avons traduit par alchimie.
L’alchimie, telle que la découvrirent les savants arabes et telle qu’ils la pratiquèrent et la
développèrent, est l’union d’une technique et d’un art qui rétroagissent l’un sur l’autre. La
technique concerne les métaux et les végétaux. Les deux procédés qui la caractérisent sont la
purification et la distillation.
La purification concerne les minerais et les métaux afin de les rendre purs, aussi purs que peut
être l’or, le rare métal existant naturellement à l’état de pureté parfaite et de ce fait faisant
référence comme idéal de pureté. Si certains alchimistes se sont investis dans une quête alliant
technique et réflexion métaphysique pour opérer la transmutation des métaux vils en or, le plus
grand nombre n’ont toujours eu comme objectif que de poursuivre la technique ancienne des
artisans travaillant les métaux. Ceux-ci sont les maîtres du feu que toutes les anciennes
civilisations n’ont pas manqué de sacraliser, leur attribuant une représentation symbolique et
créant autour de leur image le mythe du premier forgeron. Ce premier forgeron mythique est
dans la légende biblique Tubalcaïn, le maître du feu qui travaille et transforme les métaux et crée
des formes, Tubalcaïn qui est le nom que le compagnon doit connaître pour accéder au grade de
maître maçon. La tradition védique le nomme Brahmanaspati, celui qui sonde l’être et le non-être
et il est dans le taoïsme le Grand Yu, héros sacré, quasi divin, qui reçut des neuf pasteurs leur
métal et grava sur les chaudrons qu’il forgea les neuf emblèmes qui qualifient les neufs ciels de
l’Univers, auxquels correspondent allégoriquement les neuf marches que doit franchir le maître
maçon pour parvenir à la sagesse. Ce premier forgeron est dans la mythologie grecque,
Héphaïstos, dieu du feu et des forges, père d’Eros, dieu de l’Amour. C’est aussi Gobban Saer, le
Janus des Celtes, qui figure l’union entre technique et art, Gobban le forgeron, et Saer, le
constructeur, habile dans tous les Arts, que l’on peut identifier avec la figure d’ Hiram que les
francs-maçons du 18ème siècle ont établi comme étant celle de l’architecte le plus célèbre et de
l’ouvrier le plus habile dans tous les ouvrages de l’Art de construire. Le feu de tous ces forgerons
légendaires est un feu créateur, il éclaire et ne brûle pas. Il n’est pas dissociable de la Lumière
sans laquelle rien ne serait, car elle établit les formes du monde apparent.
La distillation concerne les végétaux et d’autres objets et substances inanimés. Les savants et les
médecins arabes et perses l’ont beaucoup développée, créant des remèdes, des élixirs, des alcools
et des acides, fondant une pharmacopée chimique distincte de la pharmacopée galénique qui
demeura d’usage courant jusqu’à l’orée du 19ème siècle.
2
L’autre face de l’alchimie telle que les arabes l’ont découverte puis développée est la philosophie
gnostique héritée de Pythagore, Platon et de l’Ecole néo-platonicienne d’Alexandrie dont
certains manuscrits, notamment la Table d’Emeraude, étaient soigneusement conservés dans
ces communautés d’Orient qui continuaient, par ailleurs, à pratiquer certains rites initiatiques des
anciennes sociétés grecques et égyptiennes. Ce sont ces textes qui, traduits et enrichis par les
érudits arabes, tel Djâbir que nous nommons Geber, dont nous ignorons s’il fut une seule
personne ou un collectif, ont établi le corps de la pensée alchimique, laquelle n’et en fait qu’une
forme de la pensée gnostique que l’on nomme couramment l’hermétisme dont Pythagore peut
être considéré comme le fondateur. Depuis le 8ème siècle, tous les alchimistes considèrent Hermès,
que les grecs ont apparentés au divin Thot des Egyptiens et que les latins nomment Mercure,
comme le référent symbolique et fabuleux de leur Art, l’Art royal par excellence, et la philosophie
initiatique gnostique ou hermétisme comme la source unique de leur inspiration et de leurs
travaux d’élévation spirituelle.
Le gnosticisme, au fil du temps, s’est manifesté sous divers régimes de pensée et l’hermétisme
aussi bien que l’alchimie qui a pris naissance sur celui-ci, n’en constituent que des expressions
dont les corps de doctrine ont eux-mêmes évolués au cours des siècles. Il reste cependant que les
idées qui émergèrent, sous l’égide de Pythagore, du mariage des mythes égyptiens et grecs,
donnant sens à une quête initiatique fondée sur les principes d’une tradition universelle, unissant
toutes les cultures passées, présentes et futures, sont demeurées la base de la transmission
spirituelle de toutes les écoles ou cercles gnostiques. Ces principes qui fécondent les voies
hermétiques et alchimiques proclament que le Monde est un Ordre, qu’il existe une unité de
l’Univers, que cette unité découle d’une unité primordiale, l’Un qui est amour et harmonie. Ils
établissent aussi que le microcosme est constitué comme le macrocosme, ce qui est en bas est
comme ce qui est en haut, et que le travail de l’initié (l’adepte) est de séparer le pur de l’impur,
d’aller vers la perfection et ce travail est le même s’agissant les 3 règnes de l’ordre extérieur ou
matériel, minéral, végétal et animal que du règne de l’ordre intérieur, celui de l’esprit qui anime
l’homme. Comme Platon l’exprime dans son Timée et son Parménide : « L’Univers est vivant, il
est unique, il est indissoluble. Il est constitué de 4 éléments : terre, eau, air et feu. » Il paraît difficile de ne pas
voir que ces principes gnostiques éclairent la voie initiatique qui est proposé au maître maçon
pour se perfectionner et devenir un chevalier de l’esprit, un sage.
L’introduction de la pensée gnostique en Europe occidentale s’est effectuée en plusieurs étapes
et par plusieurs voies. Dès le 8ème siècle les bénédictins ont traduit des textes de Platon et
d’Aristote, puis des traités émanant de l’école de Geber, tels Les Livres des Balances et La
Somme de Perfection qui présentent la singularité d’aborder dans un discours unique l’alchimie
sous ses deux aspects , la technique de transformation des métaux et des minerais ainsi que celle
des distillations, et celui de l’enseignement d’une philosophie initiatique. Certains d’entre eux
s’impliquèrent ensuite dans cette double démarche exotérique et ésotérique et de nombreux
auteurs de textes alchimiques écrits jusqu’au 18 ème siècle appartenaient à l’Ordre de Saint-Benoît.
Parmi le grand nombre de moines alchimistes, Ramon Lulle, auteur du Traité de la
Quintessence des secrets de la nature et Basile Valentin qui écrivit Le Char triomphal de
l’antimoine, sont les plus connus. Une autre voie d’introduction de l’alchimie en Occident
chrétien fut celle de la conquête par les arabes du Maghreb et d’une partie de la péninsule
ibérique. Les savants et les médecins qui accompagnèrent cette conquête développèrent l’art
3
d’Hermès dans des écoles et des sociétés qui eurent une influence jusqu’en France et en
Allemagne par le biais du grand pèlerinage de Compostelle, la cité de l’étoile rayonnante qui brille
à l’orient de nos temples. Il n’est que de se rendre à la bibliothèque de Fès, grande cité
symbolique, pour comprendre l’importance de la connaissance que diffusèrent les alchimistes
venus d’orient. Une troisième voie de la venue de l’Art Royal en France est liée au grand
mouvement des Croisades. Dès la première Croisade, les moines
bénédictins qui
accompagnaient les Croisés et qui encadraient les gens de métiers, organisèrent la fraternité de
Saint Blaise, une société dans laquelle ceux-ci furent initiés aux Arts libéraux, notamment à la
géométrie. Enfin, la réouverture des échanges commerciaux et culturels entre l’Empire latin
d’Orient et les royaumes d’Occident permirent de découvrir de nombreux textes hermétiques
conservées dans les cercles savants de Byzance, notamment les Livres d’Hermès, œuvre des
écoles néo-platoniciennes d’Alexandrie écrite au 1er siècle avant notre ère. Ces livres alimentèrent
au 15ème siècle les travaux de l’Académie néo-platonicienne de Florence, dont les membres les
plus éminents Marsile Ficin et Jean Pic de la Mirandole vont être la source de l’inspiration de
toux ceux qui voulurent s’affranchir de l’enseignement scholastique et vont marquer leur époque,
tels Rabelais, Paracelse et Newton.
II – Il est très généralement proclamé dans les obédiences maçonniques que nous sommes les
héritiers des sociétés de francs-maçons du Moyen Âge, les constructeurs des cathédrales, dont
nous avons conservé et enrichi les connaissances symboliques. Cette affirmation est née en
Angleterre, lors de l’apparition publique à Londres de loges maçonniques sans liens avec les
métiers de constructeurs et la publication d’une histoire de la franc-maçonnerie, placée en tête des
Constitutions et Règles pour la nouvelle maçonnerie. Pour donner plus d’éclat à cette maçonnerie
dite spéculative, certains lui attribuèrent aussi une filiation templière et aujourd’hui encore, des
francs-maçons considèrent qu’ils ont reçu une part d’héritage de la chevalerie du Moyen Âge.
Certes, le passage du symbolisme qui anime les rites maçonniques s’est effectué par
l’intermédiaire des loges de constructeurs. Mais, il paraît nécessaire de bien analyser comment ce
symbolisme a pu naître et se développer dans ces loges. Il convient, en premier, de poser son
attention sur le terme « franc-maçon » que nous avons adopté pour désigner les membres des
loges opératives puis ceux de nos loges modernes que nous qualifions de spéculatives. Dans le
Royaume de France et dans les cités du continent européen, les membres des loges qui se
constituaient autour des grandes entreprises de construction étaient des compagnons de métiers
dirigés par un Maître d’œuvre, le Maître de la Loge, c’étaient des maçons libres, ainsi qu’il est
rapporté dans le Livre des Métiers que le Prévôt de Paris, Etienne Boileau rédigea à la demande
de Saint-Louis. Qu’est-ce qu’un maçon libre, un free-mason sur les chantiers anglais ? La seule
réponse qu’il semble possible de donner à cette question est que c’est parce qu’ils ont reçu
l’enseignement des Arts libéraux que ces compagnons sont devenus libres. En effet, dans les
sociétés traditionnelles, il est fait une distinction entre les arts mécaniques, les techniques ou les
métiers, dont ceux de la construction, qui sont assurés par des hommes serviles et les arts
libéraux, ainsi qualifiés car leur enseignement est réservé aux jeunes gens de bonne naissance, aux
hommes libres. Dès la Première Croisade, les maîtres d’œuvre qui accompagnaient les chevaliers
croisés et étaient à leur service, et dont certains étaient des moines bénédictins ayant déjà une
connaissance des œuvres de Platon et de l’hermétisme ainsi qu’une pratique des opérations
4
alchimiques, fréquentèrent les membres des sociétés au sein desquelles un enseignement du
corps philosophique de l’alchimie était donné à des gens des métiers. On peut penser que ce fut
là l’origine des Fraternités de Saint-Blaise qui s’installèrent ensuite en Occident et firent office
d’école de symbolisme dans les loges des constructeurs.
Il existe peu de documents donnant des informations sur les anciennes loges. Les seuls
manuscrits qui ont été retrouvés et que nous connaissons, notamment le Régius et le Cook qui
datent de la fin du 14ème siècle ou du début du 15ème narrent une histoire légendaire de la
maçonnerie que l’on peut qualifier à la fois de fantastique et de fantaisiste. Toutefois, cette
histoire, haute en couleurs, qui a été reprise dans la présentation des Règlements, Usages de la
très respectable confrérie des maçons acceptés qui constitue l’Introduction du Livre des
Constitutions d’Anderson parue officiellement en 1723, ne manque pas de présenter un intérêt.
Dans les fables racontées, nous pouvons trouver, si on a le bon œil, des indications légitimant la
thèse de l’influence gnostique dans l’enseignement des arts et des sciences effectué dans les loges
des constructeurs. Largement inspirée de livres écrits par des bénédictins, notamment Bède le
Vénérable et Ranulf Higden, auteur du Polychronicon, ouvrage cité dans le Régius et dans le
Cook, cette histoire établit une chronologie de la maçonnerie réunissant les mythes égyptiens,
hébraïques et grecs, dont le moins que l’on puisse dire est qu’elle est empreinte d’une volonté
d’établir l’unité d’une tradition spirituelle. C’est ainsi que les auteurs du Cook désignent Euclide
comme ayant été l’élève d’Abraham : « Après cela, Abraham, avec Sarah, sa femme, s’en vint en Egypte et
il y enseigna les sept sciences aux Egyptiens. Et, il eut là, en Egypte, un élève excellent, qui se révéla la gloire de ce
temps-là, du nom d’Euclide ». Nous retiendrons de cette phrase la référence aux sept sciences, les
sept arts libéraux, dont nous savons qu’elles étaient enseignées dans les communautés ou écoles
pythagoriciennes plus d’un siècle avant la naissance d’Euclide. Les anciens manuscrits attribuent
à Euclide un rôle qui ne correspond pas à son image historique et le place hors du temps. Le
Régius débute par ces mots « Ici commencent les statuts de l’art de la géométrie selon Euclide » et désigne
ensuite Euclide comme ayant introduit cet art en Egypte, ce qui n’est pas crédible, les Egyptiens
connaissaient des éléments de géométrie au temps des premières grandes pyramides et avant
Euclide, le grec Thalès posa quelques principes de géométrie. Toutefois, ce qui nous paraît
essentiel dans cette phrase, c’est le lien affirmé par les auteurs du Régius entre l’un des arts
libéraux et la maçonnerie. Outre la référence qu’ils font au sept arts et à l’enseignement de la
géométrie aux enfants des seigneurs d’Egypte afin que ceux-ci puissent « œuvrer à toutes sortes
d’excellents ouvrages de pierre, temples, église, cloîtres, cités, châteaux, pyramides, tours et toutes sortes de bâtiments
de pierre », les auteurs du Cook nous révèlent qu’Euclide nomma compagnons les ouvriers ainsi
formés, leur interdisant toute autre appellation, puis les invita à « se comporter comme des hommes de
l’art et non des rustres incultes » et enfin qu’il les organisa en un ordre. Si nous quittons le temps fictif
des Old Charges pour revenir dans le temps réel, cet ordre attribué à Euclide n’est autre que les
Fraternités de Saint-Blaise constituées vers l’an mil. Tels sont les fondements que les anciens
manuscrits qui en rapportent les règles, donnent à la maçonnerie des constructeurs, celle des
maçons libres. Si nous voulons élever notre pensée au-dessus des légendes et mythes, nous
pouvons trouver dans ces trop rares textes qui nous sont connus l’indication des sources
gnostiques ou alchimiques du symbolisme maçonnique.
Parmi les propagateurs du symbolisme d’essence gnostique qui s’est développée chez les Maîtres
d’œuvre et leurs compagnons puis ensuite dans les loges des maçons acceptés, nous ne devons
5
pas omettre de citer les Frères de la Rose-Croix, non pas seulement ceux de la Fama Fraternatatis
Rosae-Crucis, qui se sont manifestés au sein de la société civile au 17ème siècle, mais les véritables
Rose-Croix, philosophes inconnus, maîtres alchimistes invisibles, détenteurs des secrets des arts
et sciences traditionnels qu’ils enseignaient dans les loges des compagnons constructeurs et qu’ils
n’avaient aucune raison de ne pas conserver quand les gens de métiers disparurent des loges et
que celles-ci devinrent, selon l’expression d’Anderson, le centre de l’union où se retrouvaient des
représentants des élites politiques, sociales et culturelles de la société. Ces Frères de la RoseCroix, maîtres de l’alchimie, constituaient, selon Paul Naudon, une communauté informelle qu’il
nomme la communauté des Mages, sans apporter aucune précision, dans son ouvrage « Les
origines religieuses et corporatives de la franc-maçonnerie » Fulcannelli, qui a moins de
retenue, évoque dans ses « Demeures philosophales » la figure de Louis d’Estissac qui était,
nous dit-il, l’un des adeptes les mieux instruits des arcanes hermétiques et qui portait, ajoute-t-il,
le titre élevé de Rose-Croix, marque d’initiation supérieure. Rabelais fut quelque temps à son
service et acquit auprès de lui un enseignement qui lui permit par la suite de devenir lui-même un
Frère de la Rose-Croix. Le rapport entre les Rose-Croix et les Maçons est clairement exprimé
dans un poème composé en 1638 par Henry Adamson de Perth :
Et mon bon génie le sait bien
Ce dont nous faisons présage n’est pas vain
Car nous sommes les Frères de la Rose-Croix.
Nous avons le mot de Maçon et la double vue.
Nous devons ajouter que ce poème narre l’effondrement d’un pont sur la Tay, dont le
déroulement est pour le moins surprenant : 9 ans après l’éboulement de 3 arches qui sont
reconstruites, 5 sont alors détruites. Il faut bien avoir la double vue pour comprendre les textes
alchimiques et bien sur les symboles des grades maçonniques. Cette double vue à laquelle
Adamson fait allusion évoque la nécessité qu’eurent toujours les Frères de la Rose-Croix, les
Alchimistes les Maîtres d’œuvre et les Compagnons des métiers d’art et de construction de
donner un double sens à leurs œuvres, un sens apparent, exotérique, et un sens caché, ésotérique,
qui exprime les arcanes de la quête initiatique et que seuls peuvent saisir ceux pourvus de la
double vue, à savoir les initiés.
III – Le rite écossais ancien et accepté, ainsi que les autres rites maçonniques, ont aussi, à notre
sens, fait l’objet d’une double écriture ouvrant la voie à une double lecture. Sous l’inspiration des
légendes tirées des livres des lois hébraïque et chrétienne, l’ancienne et la nouvelle loi, ainsi que
cela est écrit dans des rituels et instructions de degrés maçonniques, une voie d’élévation morale
est offerte aux maîtres maçons afin qu’il puissent devenir des chevaliers de l’esprit, des hommes
sages dont les actions sont entièrement guidées par les trois vertus théologales, la foi, l’espérance
et la charité ainsi que par les quatre vertus cardinales, le courage, la justice, la prudence et la
tolérance. Mais le rite développe aussi un symbolisme inspiré par la graduation de la quête
alchimique conduisant l’adepte de l’état d’homme ordinaire à celui d’homme transcendant. Ces
deux voies ne s’excluent nullement. Elles agissent conjointement dans le processus d’initiation,
car elles sont l’une et l’autre des chemins d’élévation spirituelle, l’une morale et l’autre initiatique,
et il appartient à chaque maître maçon de trouver en chacune une part de sa propre nourriture
spirituelle, en toute liberté de conscience.
Dans le premier cycle du Grand Œuvre alchimique, l’élévation spirituelle, comme le travail de
laboratoire, comporte trois grandes étapes, l’Œuvre au noir, l’Œuvre au blanc et l’Œuvre au
6
rouge. Les degrés du rite écossais ancien et accepté se développent en concordance avec cette
graduation à partir du 3ème degré, le grade de maître.
Avant de devenir un initié, l’homme ordinaire, le profane, doit sortir des ténèbres et recevoir la
lumière de la franc-maçonnerie. Il reçoit cette lumière au premier degré du rite, dans une
cérémonie qui met en scène les quatre éléments, terre, air, eau et feu, qui sont les principes actifs
sans lesquels, selon les gnostiques, l’univers n’existerait ni comme unité ni comme diversité. Au
commencement, l’Univers était chaos ; au commencement aussi la terre était chaos. Le chaos,
c’est la materia prima, la matière des ténèbres, au sein de laquelle les quatre éléments ou principes
sont mélangés, unis et forment une lumière, la Lumière primaire, celle qui symbolise l’Esprit
souverain et créateur. Le chaos se nomme aussi la pierre, la première pierre qui est une pierre
brute, selon le médecin alchimiste Pierre-Jean Fabre (17ème siècles). Le profane qui frappe à la
porte du temple maçonnique et qui va être admis apprenti est aussi une pierre brute. Le profane
est lui-même chaos, et la première épreuve qu’il doit subir lors de son admission est celle de la
terre. La terre, selon les maîtres alchimistes, est la mère de tous les éléments. C’est la materia
prima à l’intérieur de laquelle est la lumière de laquelle va naître l’Univers. La materia prima des
alchimistes correspond aux ténèbres dont émerge la lumière dans le corpus symbolique du rite
écossais.
Dans le cabinet de réflexion, qui n’est autre que la terre-chaos, le futur apprenti maçon est mis en
présence d’outils symboliques qui doivent éclairer sa conscience et son intelligence, qu’il ne saura
comprendre dans l’instant mais qu’il retrouvera sur son futur chemin initiatique et qui seront
alors les agents de son élévation spirituelle. Ces outils qu’il ne sait ni lire ni épeler appartiennent
au symbolisme alchimique : le sablier et la faux qui annoncent l’œuvre au noir, le coq qui
annonce l’œuvre au blanc et l’énigme V.I.T.R.I.O.L. qui annonce l’œuvre au rouge. Puis au cours
de la cérémonie d’admission , enfin en partie libéré de son chaos, le postulant est soumis à
l’épreuve de l’air qui figure un autre aspect de son chaos, un chaos organisé, puis aux épreuves de
l’eau et du feu qui libèrent l’étincelle ou lumière primaire brillant en lui et le font, ainsi que nos
rituels le proclament, accéder à la lumière.
Que celui « qui a des oreilles pour entendre qu’il entende » nous enseigne Thomas, le disciple
gnostique du Christ. L’admission au grade d’apprenti ne nous confère aucune initiation, elle nous
construit dans le but de nous faire devenir un initié.
Et notre initiation véritable va commencer au 3ème degré et comporter plusieurs étapes. La
première étape est celle qui se développe dans les Ateliers de Perfection jusqu’au 11 ème degré.
Cette étape correspond au temps de l’œuvre au noir des alchimistes qui a pour but de faire murir
le métal, de le perfectionner c'est-à-dire de le purifier, d’en exalter la pureté qui est en lui. Le
franc-maçon est une pierre brute qu’il doit tailler c’est-à-dire perfectionner, purifier. Reprenons
la légende d’Hiram : le maître est mort au 3ème degré, il est pleuré au 4ème degré, il est enseveli au
5ème, vengé aux 9ème et 10ème degrés. La mort de soi est au cœur de la légende, la renaissance ou
plus exactement la naissance à l’Esprit n’est pas réalisée. Elle est en devenir. Les alchimistes
placent la mort, symbolisée par la couleur noire, au seuil du Grand Œuvre, mais affirment aussi
que la vie naît de la mort comme la lumière nait des ténèbres. Cette thématique alchimique est
celle de notre rite jusqu’au 11ème degré. Dans le symbolisme de ce degré la dualité de l’homme,
terre et ciel, est exaltée. Le nombre 12 exprime cette dualité dans l’unité. 12 est le nombre du
grade, la loge est constituée de 12 élus, et la batterie du grade est de 12 coups égaux.
Le deuxième temps de perfectionnement qui commence au 12ème degré correspond à l’œuvre au
blanc qui est celui de la deuxième purification ou sublimation. Il s’agit de sublimer la matière ou
l’esprit, c’est-à-dire de les rendre encore plus purs, plus précieux, plus subtils, de les blanchir. Au
7
12ème degré le Président de l’Atelier est sublime grand maître. Il est désigné ce faisant comme
maître alchimiste, celui qui conduit l’œuvre de sublimation. Les membres de l’Atelier, qui
représentent le métal ou la pierre soumis à l’œuvre de sublimation, ont l’âge de la plénitude, celui
de l’homme véritable, Emerek, l’homme vrai, selon le rituel du degré précédent. Le tablier du
Grand Maître Architecte est blanc bordé de bleu, ce qui figure que le temps de l’œuvre au noir
est terminé, (le bleu est la couleur du ciel). Les degrés suivants développent le travail de
sublimation, lequel est tout aussi difficile que celui de l’œuvre au noir. Au 14 ème degré, le Maître
maçon est invité à chercher l’ultime perfection et il reçoit le titre de grand élu parfait et sublime
maçon, parfait certes mais en devenir mais toujours sublime, homme véritable. Au 17 ème degré, le
temps de l’œuvre au rouge est annoncé. A ce degré, la devise « Ordo ab chao » qui apparaît dans
le temple suggère que le chaos est devenu ordre et que désormais la lumière va recouvrir les
ténèbres, que l’Esprit va dominer la matière. A l’orient, l’arc en ciel qui se déploie entre le soleil et
la lune, symbolise l’épanouissement de l’œuvre au blanc, car la couleur blanche contient toutes les
couleurs et l’arc-en-ciel manifeste ainsi l’achèvement du travail de sublimation. L’arc-en-ciel
marque aussi dans ce degré le passage des ténèbres déjà éclairés de l’œuvre au blanc, représentés
par la lune, à la pleine lumière symbolisé par le soleil et annonce le début de l’œuvre au rouge.
L’œuvre au rouge commence au 18ème degré et se poursuit dans les degrés suivants. Selon les
maîtres alchimistes, les vrais Rose-Croix, les opérations qu’elle comporte sont la fixation,
l’exaltation, la projection et la réunion. L’homme véritable accède dans ce temps initiatique à la
perfection et à la sagesse, il devient l’homme transcendant, chevalier de l’esprit, lequel est
représenté par le Pélican. L’œuvre au rouge met en action l’union de la reine (l’argent, la lune)
avec le roi (l’or, le soleil), l’union du mercure et du soufre, afin de réaliser les Noces chimiques, la
Rose sur la Croix et procréer le Rebis, symbole de l’unité primordiale, qui est harmonie et amour.
L’objet final de la chimie nous dit le Chevalier inconnu est l’amour.
Tout le symbolisme du 18ème degré du rite écossais est imprégné de la pensée alchimique, le
président de l’Atelier est très sage, les membres sont des chevaliers de l’esprit, le Pélican figure à
l’orient du Temple, la pierre cubique s’est changée en Rose Mystique et le temple est un lieu au
sein duquel règnent la Paix, la sagesse et l’Amour.
« J’ai vu et j’ai souffert » mais chevalier Rose-croix, il me faut encore travailler et souffrir dans le
silence et le secret, dans mon désert intérieur, pour connaître, être et ne pas paraître.
Je recommande, à ceux qui veulent en connaître davantage sur les correspondances entre le
symbolisme alchimique et celui du 18ème degré de notre rite, la lecture de mon ouvrage « L’œuvre
au rouge dans le symbolisme de la tradition maçonnique ».
Février-avril 2015