La mondialisation chinoise sur les rails

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La mondialisation chinoise sur les rails
La mondialisation chinoise sur les rails
PAR PAUL CLERC-RENAUD, CCE HONG-KONG
La nouvelle conquête de l’Ouest
En 1862, Abraham Lincoln promulguait la “Pacific Railroad Law” qui lançait le chemin de fer
à l’assaut du Far West américain. Deux ans plus tard, alors que les coolies chinois construisaient
la première ligne transcontinentale américaine, les Anglais inauguraient un premier tronçon de
600 mètres de chemin de fer à Pékin. La conquête de l’Ouest allait faire la fortune des
sidérurgistes de Chicago, Denver et Seattle comme Carnegie, lui-même s’inspirant du procédé
anglais mis au point par Bessemer, ainsi que des Français Eiffel et Bartholdi dont les viaducs
et ponts métalliques allaient permettre la traversée des Montagnes Rocheuses. Autour des
nœuds ferroviaires allaient se développer les grands centres commerciaux et industriels urbains.
150 ans plus tard, le président Xi Jinping a lancé en 2013 l’initiative ‘YDYL’ (Yi Dai Yi Lu)
ou l’acronyme anglais équivalent : OBOR (One Belt One Road) qui vise à relier les deux rives
du continent eurasiatique avec des voies de communication modernes et en particulier
ferroviaires à grande vitesse et à permettre à l’industrie chinoise en surcapacité d’écouler ses
excédents d’acier et de maintenir l’activité de ses ateliers de matériels ferroviaires tournant
jusqu’alors à plein régime pour équiper la Chine du réseau le plus long du monde après avoir
acquis expérience et technologies occidentales.
En Chine même : un train d’enfer
Pour qui a connu les voyages interminables dans les trains chinois des ères Mao et Deng, la
croissance fulgurante de l’industrie ferroviaire chinoise depuis le début du XXIe siècle tient du
miracle.
Fin 2015, le réseau ferré chinois était de 120,000 km dont 19,210 km de LGV1 et 40,000 km de
lignes ‘express’2 représentant 60% du réseau mondial à grande vitesse.
En 2015, 6 284 trains de passagers roulent chaque jour en Chine dont 60% sont des TGV. En
2016, 571 trains supplémentaires seront ajoutés dont 563 TGV reliant entre elles les villes de
plus de 500,000h (une centaine). Chaque jour, 250 TGV relient Pékin à Shanghai à une vitesse
maximale de 300km/h et le doublement de la ligne est déjà prévu.
Le trafic-passagers augmente chaque année en Chine de 10%. De 2016 à 2030, il est prévu de
porter le réseau TGV à 80,000 km. L’état chinois qui a jusqu’alors financé cette expansion a
mis en place un “Railway Development Fund” ouvert au privé et autorisé les introductions en
bourses. Pour le seul 13e plan (2016/20) il est prévu un investissement de 3 800md CNY dont
3 000 pour les nouvelles lignes : 30,000 km reliant toutes les villes de plus de 200,000h
(environs 300) dont 11,000 km de (44) nouvelles LGV portant le total à 30,000 km en
2020. 800md CNY seront consacrés à la recherche et à l’amélioration des trains existants. En
2015, le budget prévu à l’origine était de 630md CNY mais a été porté à 820md CNY dans le
cadre de la politique de relance ce qui correspond à 9531 km de lignes supplémentaires dont
3306 km de LGV. Malgré la baisse de recettes du réseau, le budget 2016 devrait être
sensiblement équivalent.
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2
Lignes à Grande Vitesse (en chinois GAOTIE désigne les trains dont la vitesse est de 250 à 350 km/h)
(en chinois Deng Chē dont la vitesse est de 160 à 250 km/h)
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CRRC et CRG : L’émergence de champions mondiaux
C.R.R.C : Le 1er juin 2015, la fusion des deux compagnies étatiques de construction de
matériels roulants ferroviaires CNR et CSR a donné naissance à CRRC, un leader mondial qui
avec 52 filiales et 184 000 employés (dont 6 000 à l’étranger) affiche un C.A. de 36md USD
(soit 15% du marché mondial), un taux de marge brute de 20% et un profit net de 2.2md USD.
La nouvelle entité a été introduite sur les bourses de
Shanghai et de Hong Kong mais l’intégration n’est pas
terminée et les deux ex-concurrents continuent de
s’affronter sur le marché.
Déjà en 2014, les exportations chinoises de matériel
ferroviaires vers plus de 100 pays représentaient 4.36md USD. En 2015 ce chiffre d’export était
de 5.8md USD. L’objectif annoncé est de porter ce chiffre à 16md USD en 2020. CRRC s’est
engagé dans une politique volontariste d’internationalisation en implantant 9 centres de R&D à
l’étranger et en se dotant de facilités de production et de maintenance aux USA, en Malaisie,
en Turquie et au Brésil.
Le matériel ferroviaire avancé fait partie des 10 secteurs clés du plan ‘Made in China 2025’.
Avec un budget de R&D de 1.6md USD en 2015, CRRC vise une augmentation de 30% de ce
budget d’ici 2020. L’accent est mis sur les trains intelligents : contrôle automatique de la
vitesse, détermination des conditions et détection d’anomalies et sur la modernisation de ses
trois unités de production de TGV de Tangshan, Qingdao et Changchun.
CRRC est également à la recherche de croissance externe. Suite à l’échec de la tentative
d’acquisition de la filiale ferroviaire du concurrent canadien Bombardier en août 2015, CRRC
a mis l’accent sur les cibles européennes avec l’acquisition pour 120m GBP de la société
britannique SMD (Specialist Machine Development) et celle de la société allemande BOGE
spécialisée dans l’usinage de précision des pièces en caoutchouc et en métal. Des tentatives
d’acquisition n’ont pas abouti vis à vis de Ansaldo Breda (Italie) racheté par Hitachi en
novembre 2015 et du Suisse Stadler. La rumeur persiste que CRRC est décidé à acquérir un
constructeur européen de matériel roulant.
Les fonds mis à sa disposition pour ce faire par les banques et institutions étatiques chinoises
semblent inépuisables.
C.R.G : China Railway Group est la compagnie de construction de
chemins de fer. Avec ses 280 000 employés et des filiales dans 60
pays, le groupe coté à la bourse de Shanghai mais contrôlé par l’état
chinois (SASAC) se situe au 71e rang des Fortune 500 avec un C.A.
export de 4md USD sur un revenu total de 92md USD, une marge
brute de 7.5md USD et un profit brut de 1.9md USD.
Le groupe offre des services d’étude, de design et de construction
ainsi que de gestion et de maintenance des réseaux.
L’émergence de ces deux poids lourds sur le marché mondial a semé l’inquiétude au sein du
club des fabricants jusqu’alors limité à Alstom, Siemens, Bombardier, Hitachi, Hyundai et
Talgo. Le constructeur chinois CRRC dispose d’un avantage de cout estimé à 30% sur le
segment ‘express’ (250 km/h) et 43% sur le segment GV (300 km/h et plus). En 2015, CNR a
emporté le contrat du métro de Boston avec un prix de 567m USD inférieur de 50% à celui de
Bombardier.
De même le coût du kilomètre de voie (représentant entre 50 et 70% du total selon la
topographie) par CRG est estimé selon la Banque Mondiale à 17.21m USD contre 25 à 39m
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pour ses concurrents. L’offre chinoise s’accompagne également de financements très généreux
de la part de l’Eximbank, de la China Development Bank, de l’Etat chinois ou des divers fonds
mis en place dans le cadre de l’initiative OBOR. Dans certains cas, les compagnies chinoises
acceptent des conditions de garanties d’exécution atteignant le tiers du montant des projets.
Mais le prix et le financement ne sont plus les seuls arguments des négociateurs chinois. Grâce
à l’expérience et aux transferts de technologies (Siemens, Alstom, Kawasaki, Hitachi,
Bombardier) acquises au cours des dernières années d’équipement frénétique de la Chine en
TGV (parfois dans des conditions climatiques extrêmes) la technologie chinoise (qui suit les
standards européens3) a fait des progrès spectaculaires et fait preuve d’une grande capacité
d’adaptation à la demande. Ainsi, suite à la chute des revenus des chemins de fer chinois sur le
fret de vrac (charbon, minéraux, acier) CRRC a développé un TGV de marchandises
conteneurisées dont la demande explose (+13% /an) du fait du commerce en ligne. Les trains
de marchandises actuels ont une vitesse maximale de 160 km/h alors que le premier TGV cargo
qui sortira de l’usine de Tangshan au 2e trimestre 2016 circulera sur les voies rapides à 250
km/h. CRRC a également développé dans son institut de Zhuzhou un moteur de traction de 690
KW utilisant un système synchrone magnétique permanent (par opposition aux moteurs
alternatifs classiques) permettant des essais de vitesse à 500 km/h en 2015. Il devrait être
opérationnel en 2018.
Des essais d’un ligne pilote de MAGLEV de moyenne vitesse et d’un premier train à propulsion
hybride ont également lieu.
Ces nouvelles technologies font l’objets de nombreux dépôts de brevets de la part de CRRC.
L’avenir dira si CRG et CRRC sauront transformer ces premiers succès dans le long terme.
Leur faiblesse par rapport à leurs concurrents occidentaux semble se situer au niveau de la
gestion des projets (manque de réactivité, difficultés de communication, manque de fiabilité
des certifications, etc.).
La santé financière du donneur d’ordre lui-même : China Railway Corporation (l’opérateur
chinois équivalent de la SNCF et de RFF) pourrait également poser quelques problèmes. En
effet elle annonce pour le premier trimestre de 2016 une perte de 8.73md CNY en raison de la
baisse de plus de 10% en volume du fret de vrac (788MT pour un revenu de 52md CNY en
baisse de 15%) et une dette de 4 140md CNY en augmentation de 10.4% par rapport à la même
période de 2015.
Cependant grâce à des actifs de 6 35Omd CNY (+12.9%) son taux d’endettement reste à 65%
et des mesures sont prises pour stimuler les rentrées : publicité sur les billets de train, services
de nuit des TGV et introduction des TGV de marchandises. Le budget d’investissements 2016
restera donc bien supérieur à 800md CNY.
La route de la soie ferroviaire
Longtemps un rêve des ingénieurs des deux bords, la liaison cargo ferroviaire entre la Chine et
l’Europe est devenue aujourd’hui une réalité. Lancée pour la première fois en 2008 par le
président de la Deutsche Bahn, l’idée d’une liaison régulière a été abandonnée en 2009 à la
suite de la crise financière. Ce n’est qu’en avril 2011 que la liaison effective Chongqing –
Duisburg (10 300 km en 16 jours) ouvre littéralement la voie au trafic. Cette ligne historique
fonctionne aujourd’hui régulièrement 3 fois par semaine, mais elle est doublée par bien d’autres
liaisons tissant un véritable réseau trans-asiatique. Le succès des liaisons les plus actives
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25KV monophasé, signalisation ERTMS, écartement 1.435m
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(Chengdu – Lodz, Shenyang – Leipzig ou Zhengzhou – Hambourg) ont entrainé l’essai de
nouvelles routes, plus longues et inattendues (Yiwu – Madrid, 13 000 km couverts en 19 jours
pour la première fois en décembre 2014).
En moyenne deux fois plus courte que la route maritime même si elle reste plus onéreuse, la
voie ferroviaire a un grand avenir devant elle dès lors que les points d’éventuels engorgements
auront fait l’objet d’aménagements idoines. Situé sur la passe stratégique de l’Alashan, le grand
centre logistique de Khorgos, à la frontière sino-kazhake, a pris toute son importance à partir
de 2009 lorsque la liaison en voie standard Urumqi - Almaty a été terminée, et aménagé
totalement en centre de triage du trafic en décembre 2012. Aujourd’hui dimensionné pour traiter
15m de tommes de fret, le « Khorgos Gateway » doit pouvoir accueillir le double de ce volume
d’ici quelques années.
Cette infrastructure est critique pour la Chine, qui veut progresser dans ses projets d’axe cargo
lourd trans-asiatique lui permettant d’exporter non seulement ses propres produits à haute
valeur ajoutée mais également de jouer le rôle de prestataire de services pour les produits
identiques coréens et japonais, comme cela est déjà le cas pour les liaisons démarrant de
Shenyang et de Yiwu, près de la côte du Pacifique.
En France, l’Europort ferroviaire de Thionville accueillera les trains chinois venus de Lodz en
Pologne. Symbole de la coopération franco-chinoise, le 21 avril 2016 est entré en gare de Lyon
Vénissieux le premier train cargo venu de Wuhan après avoir parcouru 11 300 km en 15 jours.
La nouvelle gare iconique de Wuhan a d’ailleurs été dessinée par AREP. Elle est le centre d’un
développement immobilier spectaculaire comme le sont celles des autres nœuds ferroviaires de
L.G.V. comme Zhengzhou, Chongqing, Chengdu et Kunming.
La gare de Wuhan – Source : AREP
La bataille mondiale du rail
Le Président Xi Jinping et le Premier Ministre Li Keqiang n’hésitent pas à s’engager
personnellement dans une grande offensive de diplomatie ferroviaire. Lors de chaque visite
officielle, le dossier est sur le haut de la pile et les dirigeants de CRRC et de CRG sont aux
premiers rangs. Ainsi lors de la réunion des 16 chefs d’états d’Europe de l’Est organisée à
Suzhou en novembre 2015, M Li a invité ses hôtes à goûter au confort du TGV chinois. La
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bataille des standards s’est également engagée, les premières normes des TGV chinois publiées
en 2014 couvrent 20 aspects du design et de la construction. La Chine entend bien les imposer
dans tous les pays de l’initiative OBOR.
Ces dernières années ont vu la Chine récolter ses premiers grands succès ferroviaires sur la
scène mondiale, y compris dans les pays occidentaux, mais aussi quelques échecs
L’Afrique a été l’un des premiers objectifs de l’industrie ferroviaire chinoise. Dès les
années 70, la Chine avait réalisé le projet clés en mains de 1 860 km d’une valeur de 500m USD
reliant Dar Es Salam en Tanzanie à Kapiri en Zambie (TAZARA Railway). En septembre 2015,
5675 km de lignes avaient été construits en Afrique grâce à l’aide et au financement chinois.
En 2006 la Chine signe avec le Nigeria le projet de modernisation de la ligne de 1 124 km
reliant Lagos à Kano d’une valeur de 8,3md USD. La première tranche (Abuja-Kaduna) de 186
km a été livrée en 2014 pour un budget de 850m USD. Toujours en 2014 au Nigéria, la ligne
côtière de Lagos à Calabar (1 402 km) a fait l’objet d’un accord de financement de 12md USD
de la part de l’Eximbank mais est toujours en négociation entre le parlement et le gouvernement.
En Afrique de l’Est, la ligne de 762 km reliant Khartoum à Port Soudan, également financée
par l’Eximbank pour 1,38md USD a été livrée en 2012 ; Au Kenya, la ligne Nairobi Mombasa
dont le coût est estimé à 3.8Mds USD devrait être livrée en 2017. Elle est financée à 90% par
l’Eximbank et les travaux sont confiés à China Road & Bridge corporation.
En janvier 2015, la Chine a signé un accord avec l’Union Africaine prévoyant une ligne de
financement de 10md USD dont une partie pourra avoir une utilisation ferroviaire.
-
La Russie :
En octobre 2014, la Chine et la Russie ont signé un MOU concernant une liaison à grande
vitesse entre Pékin et Moscou (7 000 km) pour un coût estimé de 230md USD, réduisant le
temps de transit de 5 jours à 30 heures. La durée du chantier a été estimée de 8 à 10 ans par le
vice-président des chemins de fers russes. Plus concrètement, un premier contrat a été signé en
2015 confiant à la Chine l’étude, le design et le planning du tronçon reliant Moscou à Kazan
(770 km traversant 7 provinces russes d’une population de 25m d’habitants). Cette étude devrait
permettre fin 2016 le lancement d’un appel d’offres pour la construction dont le cout est estimé
à 15md USD (La Chine a offert d’investir 5md USD) pour une inauguration en 2020. Une
extension est prévue vers Yekaterinburg et au-delà à travers la Sibérie vers Pékin.
Asie Centrale et Moyen Orient
C’est certainement l’axe le plus stratégique pour la Chine, reliant le Xinjiang au Moyen Orient
et au Golfe Persique et au-delà à l’Europe.
Pakistan: La ligne reliant Kashgar au Xinjiang au port pakistanais de Gwadar sur le
golfe persique fait partie du corridor économique sino pakistanais qui a fait l’objet en 2014 d’un
accord portant sur 40md USD de financements chinois. Cette ligne de 350 km présente de
véritables défis géographiques (franchissement du col de Khunjerab à 4 730 m) et ethniques
(traversée de régions instables).
Iran : Un accord signé en 2014 entre la Chine, l’Iran, l’Afghanistan et le Tadjikistan
prévoit une ligne reliant Kashgar à Téhéran. Les travaux préliminaires ont commencé au
Xinjiang dans le cadre du 13e plan chinois. Le Xinjiang est le centre névralgique chinois du
projet OBOR. Une autre route proposée en avril 2016 par CRC relierait Urumqi à Almaty,
Bishkek, Tashkent, Samarkand et Téhéran. Cette ligne serait aux standards chinois et
permettrait d’éviter le goulot d’étranglement du centre de transfert de Khorgos dont la capacité
maximale est aujourd’hui de 15m de tonnes alors que la capacité de la ligne est de 100m de
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tonnes. Les trains de marchandises et de passagers rouleraient sur la même voie, respectivement
à 120 km/h et 300 km/h.
Source : China Daily
Irak : Selon le président Abadi fin 2015, l’Irak compte sur la Chine pour porter son
réseau ferré de 2 000 à 5 000 km. (La Chine a importé 28m de tonnes de pétrole irakien et
compte doubler ce volume).
Inde : Entre 1990 et 2015, le réseau ferré indien a stagné autour de 65,000 km. Dans le
même temps, le réseau chinois est passé de 58,000 km à 120,000 km. L’Inde a décidé de
rattraper son retard et de consacrer 10% du PIB aux infrastructures en particulier ferroviaires
(650md USD prévus pour les transports entre 2011 et 2020).
La Chine a activement courtisé le client indien en concurrence aigüe avec le Japon, la Corée et
les européens.
Le “Third Railway Survey & Design Institute” chinois a été choisi pour réaliser l’étude de
faisabilité de la LGV Dehli-Mumbai dont le coût est estimé à 30md USD. Le Japon a par contre
obtenu en décembre 2015 celle de la ligne Mumbai-Ahmedabad (505 km) pour laquelle une
offre de financement de 15md USD à 1% couvrant 80% du budget a été déposée à condition
que 30% des matériels soient commandés au Japon.
ASEAN :
Les besoins d’équipements en ASEAN sont énormes. Nouvelles lignes assurant la connectivité
entre Kunming et Singapour, modernisation des équipements existants (1 100 nouvelles
voitures dans les 5 prochaines années et 800 autres à reconditionner). Cependant la politique et
la concurrence acharnée rendent les projets difficiles :
Malaisie : La Chine en a fait son cheval de Troie ferroviaire en ASEAN. En juillet 2015,
CRRC Zhuzhou a ouvert une usine de 131m USD dans l’état de Perak dirigée par la filiale
malaise de CRRC. Cette unité de production a une capacité de 100 trains électriques par an :
production, assemblage, essais, maintenance, et un C.A en 2015 de 93m USD. CRG de son côté
a investi 2md USD dans un site de 2m de m² sur le rivage d’Iskandar pour son siège en Malaisie
et un projet immobilier. La Chine contrôle 85% du marché ferroviaire malais, CRRC a fourni
les locomotives de la ligne rapide (200 km/h) reliant Kuala Lumpur à Ipoh au Nord et également
de la ligne rapide reliant Johore Baruh à Padong Besar sur la frontière thaï. La Malaisie milite
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en faveur de la Chine pour la ligne de TGV Kuala Lumpur-Singapour dont le coût est estimé à
10.8md USD. Singapour semble par contre préférer les Japonais.
Indonésie : La bataille sino-japonaise pour l’obtention du contrat de la ligne JakartaBandung a été épique.
Cette ligne TGV mettra Bandung à 40 mm de Jakarta après 160km parcourus à des vitesses
approchant 350 km/h. Ce serait le premier tronçon d’une ligne de 750 km traversant Java
jusqu’à Surabaya.
Un consortium de 4 sociétés Indonésiennes et de 40% d’intérêts chinois a obtenu une
concession de 50 ans à partir de 2019.
Le projet est financé à 75% par China Development Bank sans garantie du gouvernement
Indonésien. La Chine est chargée du tracé, des spécifications techniques, de la construction, de
la fourniture des matériels, de la gestion opérationnelle, de la formation et des développements
immobiliers le long de la ligne. Les travaux ont débuté en Janvier 2016 et devraient se terminer
en 2018 pour mise en service en 2019.
Deux conditions ont été posées lors de l’attribution de la licence : un écartement de 5m entre
les voies (au lieu de 4.6m) et une étude sismique détaillée (l’étude environnementale avait été
bâclée en 7 jours).
Thaïlande : Le dossier ferroviaire sino-thaï est compliqué mais stratégique car la
Thaïlande est un élément essentiel du projet de LGV qui relierait à terme Kunming à Singapour
à travers le Laos au Nord et la Malaisie au Sud.
Un accord a été signé en 2014 avec la Chine pour une ligne de 845 km (coût estimé à 907md
USD) reliant Bangkok à la frontière du Laos et se raccordant à la ligne Laos-Chine. Elle
permettrait d’acheminer le riz thaï en Chine en 18h et au tiers du prix du fret maritime. Les
travaux ont débuté en décembre 2015 mais en mars 2016, le premier ministre thaï a annoncé
que la Thaïlande financerait seule la première phase, la Chine insistant pour un taux de 2.5%
au lieu du taux amical de 2% réclamé par la Thaïlande et pour une exclusivité foncière sur la
bande jouxtant les voies.
Il n’y a pas pour l’instant de consensus ASEAN pour le développement de la ligne Kunming
Singapour et la Chine en est réduite à des négociations bilatérales. La ligne ne sera
probablement pas à grande vitesse car elle devra être mixte (fret/passagers). Les travaux de la
ligne Kunming-Vientiane ont commencé fin 2015.
-
Amérique Latine :
L’Amérique latine a pour l’instant apporté plus de déboires que de succès au ferroviaire chinois:
un contrat signé en 2014 par CRRC avec le Mexique pour une LGV de 3.75md USD a été
annulé quelques jours plus tard pour des raisons de transparence.
De même un contrat signé en 2013 en Bolivie pour construire 150 km de Balo-Balo à
Cochabamba a été annulé en 2016.
Le grand projet (estimé à 10md USD) de LGV transcontinentale (Twin Ocean HSR line) de 5
300km reliant la côte atlantique brésilienne à la côte pacifique péruvienne est en cours d’étude
(budget prévu : 30md USD) mais devra surmonter de nombreuses oppositions en particulier
écologistes
-
Etats-Unis :
CRRC a eu plus de succès sur le marché américain qui fait l’objet de sa part d’investissements
importants du fait du “Buy American Act”.
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En 2015, une usine de 60m USD a été inaugurée à Springfield Mas où seront fabriquées les 284
voitures du contrat obtenu du Boston Transit System à un prix 50% moins cher que Bombardier.
En sept 2015, la LGV de 370 km reliant Los Angeles à Las Vegas a été attribuée à une JV de
CRRC et Xpress West. Le chantier de 12.7md USD devrait commencer en septembre 2016.
En mars 2016, CSR Sifang America a signé un contrat de 1.3md USD (126m de moins que
Bombardier) avec Chicago Transit Authority pour la livraison de 846 voitures de métro (400
livrables en 2024 et 446 en option). D’une vitesse maximale de 112 km/h, elles seront équipées
des dernières technologies LED, climatisation etc.
Des appels d’offres sont en cours pour le métro de Los Angeles et pour des trains à deux étages
pour Philadelphie.
L’Europe de l’Est est l’extrémité occidentale de la ceinture OBOR. Avec la prise de
contrôle du port du Pirée par COSCO (pour 35 ans) la Chine dispose d’un point d’arrivée de la
route maritime qu’il convient de relier au cœur de l’Europe. C’est l’objet de la ligne de 370 km
reliant Belgrade à Budapest, qui réduira la durée du voyage de 8h à 3h à partir de 2017 attribuée
pour 1.57 MM USD à un consortium dont la part chinoise (CRG) représente 85%. La
Macédoine et la Grèce souhaitent se joindre au projet et prolonger la ligne vers Skopje et
Athènes. Une première livraison de trains modernes à la Macédoine est intervenue en octobre
2015 par la filiale de Zhuzhou de CRRC.
Royaume-Uni : La filiale anglaise de CRRC est en bonne position pour emporter le
contrat de la LGV. HS2 qui reliera Londres à Manchester et Leeds pour un coût de 50md GBP
La première phase reliant Londres à Birmingham devrait ouvrir en 2026 (début des travaux en
2017) et coûter 22md GBP. La concurrence reste ouverte pour la deuxième phase (Alstom,
Siemens, Hitachi). CRRC a promis de mettre en place une chaine logistique impliquant
l’industrie locale.
L’Ecosse a de son côté signé un protocole avec un groupe d’investisseurs chinois incluant China
Rail pour un budget de 10md GBP d’investissement d’infrastructure.
Turquie : En association avec deux partenaires turcs et grâce à un prêt de 750m USD,
la Chine a construit depuis 2005 un tronçon de 158 km de la LGV Istanbul-Ankara. CRRC a
également formé une JV locale pour produire 300 voitures pour le métro d’Ankara ainsi que
pour celui d’Izmir. CRRC se prépare à répondre à l’appel d’offre de 3md EUR pour 80 TGV et
s’efforce de résoudre les problèmes de certification TSI, de partenariat local (53% minimum)
et de fabrication locale exigés par l’appel d’offres.
Hé oh La France !
La France a une expertise longue et reconnue dans le secteur ferroviaire, en matière d’étude
(SYSTRA) de construction (Bouygues, Vinci, etc.), et d’équipement (Vossloh, Cogifer,
Delachaux) de voies et d’ouvrages d’art, de matériels roulants (Alstom) et d’équipements
embarqués (SAFT, Faiveley) ou de signalisation (Thales, Ansaldo STS France). La SNCF et
Réseau Ferré de France ont également une réputation d’excellence en tant qu’opérateurs et en
matière de maintenance, et de conception et construction de gares modernes (AREP).
Nos constructeurs ont joué un rôle non négligeable dans la modernisation du secteur ferroviaire
chinois, souvent au prix de transferts de technologies ayant permis aux constructeurs chinois de
devenir de redoutables concurrents. Ne leur ont-ils pas ainsi vendu la corde pour les pendre ?
Mais avaient-ils le choix ?
Quel rôle la France peut-elle encore espérer jouer sur le nouvel échiquier mondial bousculé par
l’arrivée tonitruante de ces nouveaux acteurs chinois ?
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En Chine même, les constructeurs de matériels roulant étrangers ne peuvent posséder plus de
40% de sociétés chinoises du secteur. Il leur est donc pratiquement impossible de concurrencer
CRRC sur son marché intérieur.
Les sous-traitants ont plus de latitude mais se heurtent à la concurrence parfois déloyale de
sociétés chinoises lourdement subventionnées et dont le respect des normes est souvent
élastique et peu contrôlé. Il en va souvent de même sur les marchés proches asiatiques (ASEAN,
Asie Centrale, Pakistan…) où la Chine utilise tous ses moyens diplomatiques et financiers pour
imposer ses entreprises.
Il existe cependant des exceptions, comme Singapour, où les exigences de fiabilité et de sérieux
dans l’exécution des contrats favorisent les firmes japonaises ou européennes. De même les
projets assortis de financements Asian Development Bank ou Banque Mondiale offrent
également de meilleures chances de faire jeu égal pour nos entreprises. Les fonds créés dans le
cadre de l’initiative OBOR (AIIB et Silk Road Fund) ont également proclamé leur credo “lean,
clean and green”. Les premiers projets financés par l’AIIB au Pakistan sont même des cofinancements avec l’ADB. Reste à voir dans la pratique si les règles de concurrence loyale
seront appliquées.
La situation est plus favorable sur les marches européens et nord-américains où les problèmes
de normes, de fiabilité et de gouvernance prennent une part déterminante dans les décisions
contractuelles. La plupart du temps, les constructeurs chinois doivent alors faire appel aux soustraitants et partenaires locaux s’ils veulent avoir une chance d’emporter des affaires. La
réputation des constructeurs chinois se jouera également sur leurs performances dans
l’exécution des contrats qu’ils ont emportés à Boston, à Chicago et sur la ligne TGV Los
Angeles / Las Vegas.
L’ensemble de la filière sera en tout cas soumis à une pression croissante au niveau des coûts
et c’est au prix d’énormes efforts de productivité et d’innovations que le ferroviaire français
aura des chances de garder des parts substantielles du marché mondial en expansion.
Les surcapacités massives de l’industrie chinoise et la fin (en décembre 2016) du régime de
transition de 15 ans imposé par l’Europe à la Chine lors de son accession à l’OMC laissent
planer le risque d’une Europe désarmée face à des actions de dumping croissantes des
entreprises chinoises (trois enquêtes en cours depuis février 2016 sur l’acier chinois). Le
problème du statut d’économie de marché que réclame la Chine et des obstacles à la libre
concurrence (subventions, manipulations monétaires) risquent de peser sur les relations
commerciales sino-européennes tout au long de 2016 et au-delà.
CHM 11 - La mondialisation chinoise sur les rails, par Paul Clerc-Renaud
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