Du catéchisme à la catéchèse - Faculté de Théologie Catholique de

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Du catéchisme à la catéchèse - Faculté de Théologie Catholique de
Catéchése 06-07
1
Université Marc Bloch - Strasbourg II
Faculté de Théologie catholique
Du catéchisme à la catéchèse
Education à la foi, pastorale : enjeux d'une histoire
Alain-Louis Roy
Mars 2007
Ces pages sont la trame du cours de « Catéchétique »
s’adressant aux étudiantes et étudiantes de licence (L6).
Plus largement, elles s’adressent à toutes celles et tous ceux qui
voudraient mener une première réflexion sur les enjeux de l'un
des pôles de la pastorale dans l’Eglise catholique de France, à savoir la catéchèse, cette pratique par laquelle l'Ecclesia à travers
ses ministres (pasteurs et/ou laïcs) et au sein de ses communautés, dans un temps et un espace donnés, permet à la Parole de
Dieu de faire écho (katekein) à la parole des enfants, des jeunes
et des adultes et vice-versa, afin de favoriser l'advenir à la foi vive
et le discernement d'un sens à la quotidienneté.
1. -
Le « Catéchisme » ................................................................................................................ 2
La création d’une trame..................................................................................................................................... 2
Le Catéchisme du Concile de Trente .................................................................................................................. 5
2. -
Au temps des « portes-plumes »............................................................................................ 8
Les « catéchismes tripartites » du 19 e siècle..................................................................................................... 9
La « Saison des instructions » ......................................................................................................................... 11
Un « résumé de la foi catholique » .................................................................................................................. 16
3. -
Du catéchisme à la catéchèse ...............................................................................................18
Le Mouvement catéchétique............................................................................................................................ 18
« Fidélité à Dieu, fidélité à l’homme » ............................................................................................................. 20
Une mission d’un caractère tout pastoral ........................................................................................................ 28
4. -
Une expérience humaine et croyante ....................................................................................31
1966, la « Pédagogie des signes » .................................................................................................................. 31
1979, « de la profession de foi à la profession de foi ».................................................................................... 36
1980, un coffret de « Pierres vivantes ».......................................................................................................... 39
5. -
Vers une démarche catéchuménale.......................................................................................40
Constats et questions, mutations et expériences............................................................................................. 40
Vers un nouveau paradigme ? ......................................................................................................................... 45
« Aller au cœur de la foi » ............................................................................................................................... 46
Un « Texte national pour l’orientation de la catéchèse »................................................................................. 48
Le catéchuménat, modèle de toute catéchèse ................................................................................................. 50
Catéchése 06-07
2
1. - Le « Catéchisme »
Ressources bibliographiques
AUDISIO Gabriel, Les français d’hier, T.2, Des croyants. XVe-XVIe siècle, Paris, Armand Colin, 1996.
BECCHI Egle et JULIA Dominique (s/dir.), Histoire de l’enfance en Occident du XVIIIe siècle à nos jours, T. 2, Paris, Editions du Seuil.
BRODEUR Raymond et CAULIER Brigitte, (s/dir.), Enseigner le catéchisme : autorités et institutions XVIe –XXe siècles, Québec-Paris, Les presses de l’université Laval - Editions du Cerf, 1997.
CHARTIER Roger, COMPERE Marie-Madeleine et JULIA Dominique, L’éducation en France du XVIe au XVIIIe siècle,
Paris, Sedes, 1976.
COLIN Pierre, GERMAIN Elisabeth, JONCHERAY Jean et VENARD Marc (s/dir.), Aux origines du catéchisme en
France, Paris, Desclée, 1989, Relais-Etudes 6.
DHOTEL Jean-Claude, Les origines du catéchisme moderne d’après les premiers manuels imprimés en France, Paris, Aubier - Montaigne, 1967, Coll. Théologie 71.
GERMAIN Elisabeth, Jésus-Christ dans les catéchismes, Etude historique, Paris, Desclée, 1986, Coll. « Jésus et
Jésus Christ 27.
GERMAIN Elisabeth, Langages de la foi à travers l’histoire. Approche d’une étude des mentalités, Paris, FayardMame, 1972, Coll. ISPC.
GERMAIN Elisabeth, Parler du salut ? Aux origines d’une mentalité religieuse, Paris, Beauchesne et ses fils, 1967,
Coll. Théologie historique 8.
Il est difficile de comprendre les débats et les enjeux catéchétiques contemporains sans porter un regard analytique sur la création et l’évolution du catéchisme centré sur l’objet de la foi qui s’est mis en place au XVIe siècle et
qui a servi de modèle durant quatre siècles.
Vous trouverez dans l’ouvrage de Jean-Claude Dhotel (1967) le dossier des origines du catéchisme avec toute la
précision nécessaire. Le cahier de l'ISPC, Les origines du catéchisme moderne d’après les premiers manuels imprimés en France (1967) vous apportent des éclairages complémentaires. Enfin, notons que les travaux d’Elisabeth
Germain nous montrent comment la notion de « Salut », axe central du message des catéchismes, se noue dans le
contexte social et culturel d’une époque et se déploie à travers les siècles pour façonner les mentalités et les représentations religieuses des chrétiens.
La création d’une trame
Un processus qui a commencé vers la fin du XVe siècle.
A cette époque, chaque curé possédait deux manuels.
§ Les Statuts synodaux présentaient les éléments essentiels pour
assurer la gestion d’une paroisse, «véritable catéchisme pour les
curés, sorte de résumés de tout ce qu’ils doivent savoir pour
l’administration d’une paroisse, pour leur conduite et celle des fidèles confiés à leur soin.».
§
Le Rituel diocésain était «un garde-fou de l’action du curé,
destiné à sauvegarder l’exactitude des gestes et des paroles utilisées dans la liturgie, à les uniformiser aussi».
Voir
Marc VENARD, « La fonction catéchétique dans les statuts synodaux »
Nicole LEMAIRE, « Le catéchisme
avant les catéchismes dans les rituels »
dans
Pierre COLIN, Elisabeth GERMAIN,
Jean JONCHERAY et Marc VENARD
(s/dir.),
Aux origines du catéchisme en France,
Paris, Desclée, 1989, Relais-Etudes 6.
3
Catéchése 06-07
Convenant qu’il fallait «éduquer le clergé pour éduquer le simple peuple » (N. Lemaire, 1989, p.31), les responsables diocésains y adjoignirent des aide-mémoire devant permettre aux pasteurs d’acquérir le minimum de
bagage théologique pour préparer le prône dominical. Ces aide-mémoire comportaient les éléments théologiques
jugés indispensables, en général organisés en cinq chapitres : les articles du Credo, les sept sacrements, les péchés, les prières usuelles (l’oraison dominicale, le Pater et l’Ave), les commandements de Dieu et de l’Eglise.
« Espèce de sermon qu’on fait tous les dimanches dans les églises paroissiales, pour advertir les paroissiens des
festes et jeûnes de la semaine, … et aussi pour les instruire de leur religion et de leur devoir»1, le prône était le
lieu et le temps par excellence de l’instruction des fidèles.
Ainsi en 1451, l’ordonnance de l’évêque de Bourges ordonne que « les recteurs et les vicaires, dans leurs églises
paroissiales, enseignent tous les dimanches et fêtes solennelles au peuple à eux confiés les articles de la foi, les
sept sacrements et les œuvres de miséricorde » (M. Venard, 1989, p. 46)2. Institué par la réforme carolingienne, le
prône s’est développé au XIIe siècle. Il n’était pas construit sur un commentaire du texte d’Evangile du jour comme
le sermon contemporain, mais il comportait une explication d’un point de la doctrine du Salut, la publication des
nouvelles locales ainsi que des ordonnances royales et ecclésiastiques, la prière pour divers besoins, pour les récoltes, pour la bonne santé… (Oratio communis).
L’Opus tripartitum
Dès le 16e siècle, certains évêques, notamment ceux de Senlis, Meaux, Bourges, Sens et Paris, complètent les Statuts par l’Instruction des curéz pour
instruire le simple peuple, plus connue sous le nom de Manuel des curés.
Ce manuel a été élaboré à partir de l’Opus tripartitum de paeceptis
decalogi, de confessione et de arte moriendi de Jean Gerson (13631429).
Paris, Aubier - Montaigne, 1967,
Coll. Théologie 71, pp. 29 à 31.
La première partie de cette instruction, De la Foi et du Décalogue, est structurée en trois chapitres : du Décalogue, du Credo et des sept sacrements.
Avec ce manuel, les évêques entendaient faciliter la tâche des curés :
soit pouvoir préparer leurs prônes à partir des éléments du premier traité, soit « s’ils n’en sont pas capables, de lire
un chapitre de l’Opus tripartitum au moment du prône » (Concile de Sens (1528)
Voir
Jean-Claude DHOTEL,
Les origines du catéchisme moderne d’après les premiers manuels
imprimés en France,
Le Livre de Jésus, recueil de prières (le Pater, l’Ave Maria) et version simplifiée de la première partie de l’Opus tripartitum (les commandements de Dieu et de l’Eglise et les articles du Credo), présente les principaux éléments de
la foi « plus entendiblement déclarés pour mieux les faire goûter aux enfants et aux simples gens et y exerciter
leur mémoire et leur entendement pour avoir paradis finalement ».
De cette création de manuels diocésains, nous percevons les premiers éléments fondateurs de ce qui
progressivement deviendra le modèle des catéchismes.
Opus tripartitum
Le livre de Jésus
Eduquer « pour avoir paradis finalement»
Eduquer le clergé
Le Credo / les 7 sacrements/
les péchés / Ave et Pater
Eduquer les enfants et les simples
Prières / les commandements / le Credo
Préparer le prône
Exerciter la mémoire
1 Antoine Furetière, Dictionnaire universel de 1690, cité par Gabriel Ausidio, Les français d’hier, T.2, Des croyants, XVe-XIXe
siècle, Paris, Armand Colin, 1966, p. 180.
2
Voir également Pierre Riché, Ecole et enseignement dans le Haut Moyen Age, Paris, Aubier, 1979, pp. 320-325.
4
Catéchése 06-07
Des manuels de catéchisme pour gagner les populations aux thèses réformées.
Les plus connus sont le Grand Catéchisme de Martin Luther en 1529, le Sommaire de Guillaume Farel publié en
1534, premier catéchisme de langue française, l’Institution chrétienne de Jean Calvin en 1537, le Catéchisme de
Léo Jud à Zurich en 1553. Trois nous paraissent révélateurs des préoccupations de cette époque.
§
Le Petit Catéchisme à l’usage des pasteurs et des prédicateurs peu instruits, destiné aux enfants de Martin
Luther (1529) vise l’instruction en vue de remédier à l’ignorance des chrétiens.
§
Le catéchisme du pasteur Gaspard Mégander, paru en 1536, destiné aux enfants, est construit sur la méthode
questions-réponses en vue d’un dialogue entre le maître et l’élève à partir d’un plan en quatre parties : le Décalogue et la loi, le Credo, le Pater et l’oraison.
§
Le Formulaire d’instruire les enfans en la chrétienté de Jean Calvin3 édité vers 1541-1542, est structuré en
quatre parties : Des articles de la foi, La Loi, De l’oraison et Des Sacrements. Chaque partie est divisée en dimanches, équivalent d’une leçon, construits sur le mode « question du ministre – réponse de l’enfant » (55
dimanches et 373 questions-réponses).
Ainsi nous repérons des points de convergence dans la construction des catéchismes.
Eduquer l’enfant pour lutter contre l’ignorance
Quatre parties : le credo, la loi, les prières et l’oraison
Une instruction au temple par un dialogue par questions du pasteur –
réponses de l’enfant en vue de la mémorisation
Au sein de l’Eglise catholique, afin de combattre à armes égales « les erreurs de ce temps » et à faire face à « la
prodigieuse ignorance » sont édités des catéchismes, notamment celui de Pierre Doré, paru en 1540 en français,
destiné aux adultes et ayant pour objet de réfuter le catéchisme du pasteur Mégander. Le catéchisme de Edmond Auger, publié en 1563, a pour but « l’instruction de la jeunesse contre les erreurs de ce
temps », en réfutant point par point le Formulaire de Calvin.
Edité en 1554, le catéchisme de Pierre Canisius, la Somme, comporte cinq parties : la foi et le symbole de la
foi, l’espérance et l’oraison dominicale, la charité et le Décalogue, les sacrements et la justice chrétienne. Sa version en réduction parue en 1566, le Catechismus minimus, illustrée par des gravures en taille douce4, est un abrégé
de théologie simplifiée destiné à l’usage de la jeunesse, spécialement pour les élèves des collèges ; il est conçu sur
le mode « questions-réponses », voulant ainsi favoriser un dialogue entre le maître et les élèves, où se mêle
l’intellectuel et le sensible. Edité en 1557, le Catéchismus parvus destiné aux enfants, est une réduction du précédent ; il est conçu pour la mémorisation : aux questions du maître, les enfants répondent par une formule brève
qui se veut rationnelle. Comme le souligne Jean Claude Dhotel, plutôt que de répondre point par point aux thèses
réformées, les enfants étant réputés non-capables d’hérésie, ce catéchisme propose positivement la doctrine chrétienne.
Catéchisme d’Auger
Catéchisme de Canisius
Combattre les erreurs de ce temps et lutter contre l’ignorance
Réfuter les thèses réformées
Pour la jeunesse
Eduquer avec un abrégé de théologie
Pour les enfants
Le Credo / les commandements /
La foi-Credo / L’espérance – prières /
les sacrements / les prières
Les sacrements / la charité-décalogue
Par « questions – réponses »
3
Confessions et catéchismes de la foi réformée, Genève, Labor et Fides, 1986, pp. 25-105.
4
L’image la plus connue est « Les Mages auprès de l’Enfant-Jésus ».
5
Catéchése 06-07
Le Catéchisme du Concile de Trente
Réuni pour proposer une théologie et une ecclésiologie en réponse aux thèses réformées, le Concile de Trente
(1545-1563) promulgue en 1566 un manuel sous le titre « Catéchismus, ex decreto Concilii Romani… », couramment appelé Catéchisme du Concile de Trente.
Ce catéchisme est né dans le contexte d’une déchirure, l’éclatement de la chrétienté en Occident, et d’une mutation culturelle. En effet, durant la première partie du 16e siècle, la Réforme protestante a été vécue par les populations qui en étaient les témoins comme une véritable déchirure de la chrétienté : déchirure politique, déchirure
morale, déchirure sociale et déchirure religieuse5, ces quatre axes caractérisant l’éclatement de la chrétienté de
cette époque.. Aujourd’hui, nous avons très certainement du mal à nous représenter cette déchirure qui se combine avec une mutation culturelle qui va
§
toucher les manières de se repérer dans l’univers (Copernic meurt deux ans avant l’ouverture du Concile de
Trente…) et de le comprendre,
§
toucher les manières de penser l’homme dans la société avec l’avènement de l’humanisme de la Renaissance
avec une importance donnée à la conscience individuelle, importance donnée à l’homme, au sujet, et aux valeurs de l’homme avec la redécouverte de la littérature et de l’art antiques, grecs et latins.
Face à l’éclatement de la chrétienté et face aux idées de la Réforme et à l’humanisme, il fallait pour assurer la cohésion du croire
du peuple chrétien et pour ce faire les Pères du Concile de Trente
ont publié un livre où « fussent renfermées toutes les vérités de la
religion que les pasteurs doivent enseigner aux fidèles ».
Catéchisme
du Concile de Trente,
Paris, A. Jouby librairie-éditeur,
1865
Voir la préface de l’Abbé Dassance
Ce manuel s’inscrit dans une intention pastorale bien précise : endiguer la Réforme. Les Pères du Concile
entendaient faire face à « ceux qui avaient entrepris de corrompre l’esprit des fidèles…, ont produit un nombre
infini de petits livres qui, sous les dehors de la piété, ont séduit quantité de simples qui ne se défiaient de rien. ».
Au fil des siècles qui ont suivi, ce catéchisme sera considéré comme la référence permanente ; il a peut-être été
perdu de vue qu’il répondait à une situation ecclésiale bien précise et que toute démarche pastorale n’est que la
réponse de l’Ecclésia (Communauté) à une situation ecclésiale.
Ce « livre de la doctrine du salut » (salutaris doctrinae)
s’adresse aux responsables ecclésiaux en vue de leur formation :
« Instruire les curés et les prêtres ayant charge d’âmes des choses
qui appartiennent spécialement au ministère pastoral et qui sont à la
portée des fidèles, et pour cela on traite dans le catéchisme que des
matières propres à seconder le zèle pieux des prêtres dont l’esprit ne
serait pas suffisamment éclairé sur des points plus difficiles de la religion ». Ainsi, les Pères du Concile de Trente entendaient diffuser les
connaissances indispensables au Salut des fidèles, entendant ainsi
endiguer cette « prodigieuse ignorance ».
Il défend une vision de la « catholicité » de l’Eglise romaine qui, au nom de l’héritage et l’universalité de la parole
de Jésus-Christ, se traduit dans l’élaboration d’un document universel qui ne prend pas en compte des situations
particulières.
Ce que le chrétien doit connaître est structuré en quatre parties à l’image des catéchismes qui l’ont précédé :
§
5
Du symbole des Apôtres, à savoir « ce que la foi de Dieu nous enseigne de Dieu, de la création et du gouvernement du monde, de la Rédemption du genre humain, de la récompense des bons et de la punition des
méchants »,
Cf. Jean Delumeau, Le christianisme va-t-il mourir ?, Paris, Hachette, 1978.
Catéchése 06-07
6
§
Des sacrements, ou « les signes de la grâce et les moyens par lesquels nous pouvons l’obtenir »,
§
Du décalogue, c’est-à-dire « tout ce qui se rapporte aux lois, dont la fin est la charité »,
§
De la prière, et plus précisément « l’oraison dominicale qui contient tout ce que l’homme peut désirer, espérer et demander dans l’ordre du salut ».
Cette structuration en quatre parties est révélatrice de l’organisation du bagage doctrinal minimum à
acquérir par le fidèle : « Il y a un si grand nombre et une si grande diversité de choses divinement révélées qu’il
est difficile de les comprendre toutes, et même de les retenir après les avoir comprises… C’est pour cela que nos
pères ont très sagement réduit toute la doctrine du salut à quatre chefs, à savoir, au symbole des Apôtres, aux
sacrements, au décalogue, et à l’oraison dominicale ».
Ce compendium de théologie développe une problématique qui, tout en étant propre à son époque, induit un
mode d’approche de la foi qui se prolongera dans les catéchismes ultérieurs. En répondant à la « foi-fiducia » (sola
fide) des Réformateurs, il définit la foi dans un double mouvement : une réponse rationnelle du fidèle qui trouve sa
source en Dieu même (la justification par la foi donne la grâce) car « l’homme raisonnable (humana ratio) acquiesce à tout ce qu’il faut croire … » et une coopération du fidèle à son salut par la pratique de la justice (la charité), image de la charité divine (la justification par les œuvres augmente la grâce). Réponse rationnelle et coopération sont tournées vers le Salut présenté dans la dynamique de la Rédemption : le chrétien doit entrer dans
la connaissance de Dieu de son envoyé Jésus-Christ, sauveur qui a racheté les humains par la Rédemption. Ainsi ce
double mouvement du croire - appropriation rationnelle du Symbole et double volonté, celle d’observer les commandements de Dieu, et celle de recevoir les sacrements, moyens du salut – va être déterminant dans
l’élaboration des catéchismes ultérieurs : « devenir fidèle se manifeste dans la connaissance et la compréhension
des éléments doctrinaux dégagés du Credo » et « vivre en fidèle sur terre en vue de gagner son Salut nécessite
l’acquisition de la connaissance préalable des commandements et des sacrements ».
Instruire le peuple chrétien
pour combattre les erreurs de ce temps et lutter contre l’ignorance
A l’intention des « pasteurs et ceux ayant charge d’âmes »
Le « livre de la doctrine du salut » : le Symbole des Apôtres, les sacrements, le Décalogue, les prières.
Un enseignement pour les fidèles, le dimanche durant ou après la messe dominicale
Connaître ⇒ vivre
La foi = une connaissance à acquérir en vue de son salut.
Le salut = un acte de réparation
La révélation = savoir à connaître en vue de posséder des biens éternels (Art. Eglise).
Le chrétien = celui qui doit devenir « fidèle ».
Ne s’étant pas mis d’accord sur le contenu d’un catéchisme universel pour les enfants, les Pères du Concile ont
demandé aux évêques de veiller à « ce que les pasteurs assurent le catéchisme aux enfants au moins tous les dimanches et jours de fête, et à les y contraindre »6, ils reprennent implicitement à leur compte un double principe
qui avait déjà motivé les éditions de catéchismes antérieures :
§ en instruisant les enfants et les « rudes »7, il y a une forte probabilité, par effet induit, que l’ensemble du peuple chrétien soit éduqué et donc capable de réfuter les thèses réformées ;
§
en instruisant les enfants par le catéchisme, on s’assure qu’à l’âge adulte, ils conservent un minimum de
connaissances des choses de la foi et vivent selon la morale chrétienne.
6 Catéchisme du Concile de Trente, Paris, A. Jouby Editeur, Préface de M. l’Abbé Dassance p. VI.
7 « Rudibus » : les débutants. Cf. le sens donné à ce terme par G. Combers et J. Fargues dans la traduction de Saint-Augustin,
De catechizandis rudibus de doctrina christiana, in Œuvres de Saint-Augustin, 11, 1e série, Opuscules, XI, Paris, Desclée de
Brouwer, 1949, p. 18.
Catéchése 06-07
7
En 1596 à Anvers paru le Catechismus Romanus… quaestionnibus distinsctus, brevibusque exhortatiunculis studio
Andreae Fabricii Leodiensis, autrement dit la mise en forme par questions-réponses du Catéchisme tridentin.
Aux 17e-18e siècles, les éditions de catéchismes diocésains se développent. Deux grands courants se
dégagent. La majorité des éditions, notamment en France et dans les diocèses allemands et autrichiens, était
structurée selon le plan de Pierre Canisius : « Credo, Pater/Ave, Commandements et Sacrements » calqué sur les
trois vertus, « foi, espérance, charité ». D’autres reproduisaient le plan de Edmond Auger : « Credo, Commandements, Prières, Sacrements », développant une vision plus moraliste autour de « ce qu’il faut croire », « ce qu’il
faut faire » et « des moyens pour obtenir la grâce ».
Les destinataires de ces catéchismes sont peu souvent précisés et dans leur grande majorité, ces catéchismes évoquent d’une manière générale les fidèles et les enfants ; les mandements ou avertissements qui les introduisent,
font état de la lutte contre l’ignorance religieuse des chrétiens et du souci du retour des infidèles.
Au terme de cette période de gestation des catéchismes, il nous apparaît que six axes majeurs nouent les fils de la
trame qui modélisera la création des catéchismes ultérieurs.
§
La création de catéchismes correspond à un besoin pastoral : celui de consigner dans un manuel
d’enseignement « les choses qui appartiennent spécialement au ministère pastoral et qui sont à la portée des
fidèles »8. Ils témoignent de problématiques pastorales et ecclésiales propres à son époque.
§
Le catéchisme est conçu le manuel de « la science du chrétien », témoignant d’une approche du croire
essentiellement perçu comme un acte rationnel.
§
Cette science se développe dans une démarche déductive, « connaître ⇒ appliquer », qui se déploie dans
un mouvement de la pensée qui va de l’abstrait au concret.
§
La division de la doctrine du salut en quatre parties (Credo, sacrements, commandements et prières) devient la norme de la structuration du manuel, en fonction de la représentation du bagage minimal à
acquérir pour devenir et rester fidèle. Cette trame qui s’élabore progressivement depuis l’apparition des premiers catéchistes, sera celle qui guide l’élaboration des catéchismes ultérieurs.
§
La technique par « questions-réponses » s’impose lentement comme le mode opératoire de l’activité
catéchétique ; cette technique a pour but de favoriser le dialogue entre les pasteurs et les fidèles.
§
L’investissement dans l’éducation à la foi des enfants par le catéchisme est jugé comme l’une des
réponses pertinentes à la prodigieuse ignorance des chrétiens à l’égard des choses de la foi ; cet investissement érigera progressivement en règle pastorale l’intuition de Jean Gerson : « rendre chrétienne la génération
qui commence, c’est couper le mal à sa racine et assurer le salut des peuples »9.
8 Catéchisme du Concile de Trente, Introduction, p. 6.
9 Jean Gerson, cité dans le Manuel du Catéchiste des Frères des Ecoles Chrétiennes, Tours, Mame, 1907, p. 6.
8
Catéchése 06-07
2. - Au temps des « portes-plumes »
Ressources bibliographiques
ADLER Gilbert et VOGELEISEN Gérard, Un siècle de catéchèse en France, 1893-1980, Paris, Beauchesne, 1981,
Collection Théologie historique 60.
BAUBEROT Jean, GAUTHIER Guy, LEGRAND Louis et OGNIER Pierre, Histoire de la laïcité, Besançon, CRDP de
Franche-Comté, 1994.
BRODEUR Raymond et CAULIER Brigitte, (s/dir.), Enseigner le catéchisme : autorités et institutions XVIe –XXe siècles, Québec-Paris, Les presses de l’université Laval - Editions du Cerf, 1997.
COKE Mary, Le mouvement catéchétique de Jules Ferry à Vatican II, Paris, Le Centurion, 1988, Coll. Chrétiens dans
l’histoire.
DELUMEAU Jean, (s/dir.), La première communion. Quatre siècles d’histoire, Paris, Desclée de Brouwer, 1987.
GERMAIN Elisabeth, Jésus-Christ dans les catéchismes, Etude historique, Paris, Desclée, 1986, Coll. « Jésus et
Jésus Christ 27.
GERMAIN Elisabeth, Langages de la foi à travers l’histoire. Approche d’une étude des mentalités, Paris, FayardMame, 1972, Coll. ISPC.
GERMAIN Elisabeth, Parler du salut ? Aux origines d’une mentalité religieuse, Paris, Beauchesne et ses fils, 1967,
Coll. Théologie historique 8.
PROST Antoine, Histoire de l’enseignement en France 1800-1967, Paris, Armand Colin, 1968.
ROY Alain-Louis «De l’image du catéchisme à l’image dans les catéchisme, l’image dans les catéchismes au début
du XXe siècle », in Claude COULOT et Réné HEYER, (sous la direction de), De la bible à l’image, Pastorale et iconographie, Strasbourg, Presse Universitaire de Strasbourg, 2000, Coll. Travaux du CERIT, 4, pp. 125-153.
ZIND Pierre, L’enseignement religieux dans l’instruction primaire publique en France de 1850 à 1873, Lyon, Centre
d’histoire du catholicisme, 1971.
Durant la Restauration (1814-1830), sont dans un premier temps réédités les catéchismes en vigueur avant la Révolution10. Mais, à partir
de 1822, des évêques, notamment ceux de Grenoble, Montpellier,
Valence, Viviers, Aix, Carcassonne, Bayonne, La Rochelle, Meaux,
Coutances… commencent à faire élaborer et éditer sous leur responsabilité de nouveaux catéchismes diocésains structurés en trois parties : les vérités du salut, les œuvres du salut et les sacrements ou
moyens du salut. Ainsi que nous l’expose Elisabeth Germain (1967),
l’édition de ces « catéchismes tripartites » va se généraliser dans l’ère
francophone catholique durant la deuxième partie du 19e siècle et,
selon Gilbert Adler et Gérard Vogeleisen (1981), perdurer durant toute
la première moitié du 20e siècle.
Les Catéchismes diocésains des
années 1850-1945…
Le Catéchisme à l’usage des diocèses de France,
Deux versions : celle de 1937, puis
celle de 1947
Et tous ces catéchismes que l’on
trouve encore dans les greniers de
ses grands-parents… Voire dans des
brocantes…
Qui rappellent aux uns et aux autres
le temps des porte-plumes de leur
enfance…
10 Tel Les principes de l’Instruction Chrétienne ou Catéchisme du diocèse d’Aoste, Ivrée, 1820, Benvenuti Imprimeur, 228 p.
Catéchése 06-07
9
Les « catéchismes tripartites » du 19e siècle
reflète une représentation de la manifestation du croire centrée sur des devoirs ou obligations - savoir et faire permettant d’obtenir le salut .
Catéchisme du diocèse de Belley,
Bourg, Bottier librairie, 1837, p. 28.
D.- Qu’est ce que le catéchisme ?
R.- Le catéchisme est une instruction familière faite par demandes et par réponses.
D.- Qu’est ce qu’on apprend dans le catéchisme ?
R.- On apprend dans le catéchisme ce qu’il faut savoir, ce
qu’il faut faire et ce qu’il faut éviter pour aller au ciel .
Le mandement de Charles-François Turinaz, évêque d’Albertville propose un approche similaire dans le Catéchisme
du Diocèse de Tarentaise de 1877 : « Après avoir, dans quelques leçons préliminaires, traité de la religion et de sa
nécessité, nous avons divisé le catéchisme en trois parties : la première traite des Règles de croyance ; la seconde
des Règles de conduite ou des préceptes et la troisième, des Moyens pour croire en ces vérités et mettre en pratique ces préceptes »11. Le Catéchisme du diocèse de Bayonne de 189012 confirme cette perspective que nous retrouvons également dans les trois parties du Catéchisme du diocèse de Besançon13 de 1918 :
§ 1e partie : « Ce que nous devons croire pour être sauvé » en vingt leçons découpées selon les articles du Symbole des Apôtres,
§
2e partie : « Ce que nous devons faire ou éviter pour être sauvé » en dix-sept leçons découpées selon les Dix
Commandements et les Commandements de l’Église, à quoi s’ajoutent trois leçons sur la notion de péché et de
vertu,
§
3e partie : « Des moyens de sanctification » en vingt leçons basées sur les sacrements et la prière ;
§
Chapitre supplémentaire : « Les prières diverses» présente les prières quotidiennes courantes ainsi que celles
de la messe et de la confession.
Cette structuration révèle la participation du catéchisme aux mutations des enjeux ecclésiaux du 19e
siècle. A présent, l’enjeu ecclésial du catéchisme se situe dans l’éducation de l’enfant par l’instruction en vue de
fabriquer « l’homme de l’avenir » capable de professer sa foi dans une société de plus en plus déchristianisée, une
société dont « la génération s’en va et dont le plus grand nombre périt »14.
En effet la déchristianisation va, durant la deuxième partie du XIXe siècle, période du développement de la société
industrielle, comme une lame de fond, laminer le substrat chrétien des bourgs industriels et des cités urbaines.
Dans ce contexte de déchristianisation grandissante des villes, la quête du salut du monde imposait de s’occuper
d’abord du salut des enfants, étant admis que ces enfants, que l’on prépare à leur première Communion, seront les
adultes de demain. Ainsi, en écho à la pensée de Gerson, plus de 400 ans plus tard en 1865, Mgr Dupanloup ne
justifie-t-il pas le catéchisme, L’Œuvre par excellence en ces termes : « Les hommes nous échappent… Mais alors,
occupons-nous donc des enfants qui sont encore là sous notre main… Faisons de ces enfants des chrétiens, de
bons chrétiens, et nous aurons profondément amélioré le présent et sauvé l’avenir ! Car ces enfants bientôt deviendront des hommes, et seront le peuple chrétien tout entier »15. Pour lui, le catéchisme était l’un des volets de
11 Catéchisme du Diocèse de Tarentaise, Moutiers-Albertville, Vve Henri Blanc, libraire, 1877, p. V.
12 Catéchisme du Diocèse de Bayonne, Bayonne, Imprimerie Lasserre, 1890.
13 Catéchisme du diocèse de Besançon, Besançon, Imprimerie Jacques et Demontrond, 1918.
14 Félix Dupanloup, L’Oeuvre par excellence ou Entretien sur le catéchisme, Paris, Charles Douniol, 1869, p.44-48.
15 Félix Dupanloup, op. cit., p. 47 .
Catéchése 06-07
10
cette œuvre plus large que devait assumer l’Eglise, à savoir l’éducation : « Qui a sauvé autrefois la France au sortir
de nos guerres civiles et préparé la grandeur du siècle de Louis XIV ? C’est la prodigieuse force de l’Education qui
fut donnée à la jeunesse française… »16. Eduquer l’enfant à devenir homme de bon sens, homme de foi, homme
de bien, c’est à dire homme de Dieu17, telle est la réponse de Mgr Dupanloup aux idées sociales naissantes, telles
que le socialisme, la laïcité, la liberté de la presse…
Catéchisme du diocèse
de Besançon
Prière après la leçon de catéchisme : « Mon Dieu, je vous remercie
des lumières et des grâces que vous
m’avez données, d’avoir été instruit des
vérités de mon salut : je vous en supplie
de me faire la grâce que ce ne soit pas
pour ma condamnation, mais pour
mieux vous connaître, vous aimer, vous
servir, et par ce moyen acquérir la vie
éternelle ».
« La religion nous enseigne donc tout ce
qu’il faut savoir : la fin de notre création, la magnificience de notre destinée
et les moyens d’arriver à la gloire immense qui nous attend. »
Mandement de Paul d’Astros, Catéchisme du Diocèse de Bayonne, p. IV
Le Catéchisme du Concile de Trente visait la transformation du
« chrétien ignorant des chose de la foi » en « fidèle ». Cette transformation se nouait dans l’appropriation d’un savoir global qui devait permettre d’unifier l’agir humain en vue du Salut, mobilisé par Dieu, la
transcendance vers laquelle et pour laquelle la vie se construit. Dans
les catéchismes tripartites, ce souci de l’unité de l’agir humain à
travers la connaissance n’est apparemment plus la priorité ; l’enjeu
prioritaire est d’éduquer les enfants à vivre en bon chrétien,
c’est à dire professant leur foi18 et d’en témoigner à travers l’application
des devoirs qu’elle impose19, en vue du salut perçu dans la perspective
de l’au-delà « l’affaire, la grande affaire, l’unique affaire » selon le mot
d’Élisabeth Germain (1967). Le catéchisme est dès lors perçu et
mis en œuvre comme une instruction des enfants en fonction
du chrétien adulte à préparer. Le Manuel du Catéchiste des Frères
des Ecoles Chrétiennes atteste de manière significative de cette option :
« Le dogme, la morale, le culte, seront donc exposés successivement,
afin que l’enfant qui se prépare à la première communion soit parfaitement instruit de tout ce qu’il aura à croire et à pratiquer » 20.
Cette « exposition » du dogme, de la morale et du culte en vue d’un
« parfaitement instruit » induit une notion restrictive de l’instruction. Dans
son article La République éduquera-t-elle encore ?, Daniel Hameline nous invite à ne pas opposer trop rapidement « éducation et instruction » dans la
mesure où l’histoire de la pensée éducative nous montre que l’opposition
des deux termes de ce couple n’est pas le fait de tous ceux qui se sont penchés sur son fonctionnement, à l’instar d’Emmanuel Kant qui, dans ses Réflexions sur l’Education voit en l’instruction l’une des facettes essentielle de
l’art d’éduquer : « Par éducation, on entend les soins, la discipline et
l’instruction la formation » 21. Nous retrouvons cette complémentarité dans la
définition de « Instruction publique » donnée par le Dictionnaire de la
conversation et de la lecture paru à la même période que ces catéchismes :
« De l’instruction se distingue l’éducation. Celle-ci a pour but de développer
les facultés morales ; celle-là pour objet principal de former et d’enrichir les
facultés intellectuelles. Cependant, l’éducation et l’instruction se rencontrent
et se confondent souvent, comme l’instruction publique et l’instruction domestique se confondent et se rencontrent »22.
« Afin de leur [enfants] faciliter
cette étude que, pour tous les
faits qui doivent entrer aussi
dans le développement de la
croyance et des pratiques religieuses, on est assujetti à suivre
mot à mot les demandes et les
réponses formées pour les chapitres doctrinaux... »
Jean Baptiste Aubriot de la
Palme,
Les principes de l’instruction
chrétienne
ou catéchisme, Aoste, Benvenuti, 1820, p. 4
16 Félix Dupanloup, De l’éducation, Paris, Téqui éd., 6e édition, 1923, p. 7.
17 Ibid., pp. 8-16.
18 Est chrétien « celui qui, étant baptisé, croit et professe la doctrine de Jésus-Christ », Catéchisme du Diocèse de Bayonne
(1890), p. 17. Cf. également Catéchisme du Diocèse de Tarentaise, (1877), p. 35.
19 « Pour être bon chrétien, il faut de plus croire la doctrine chrétienne et pratiquer les devoirs qu’elle impose… » Catéchisme
du diocèse de Besançon, (1918), p. 24.
20 Frères des Ecoles Chrétiennes, Manuel du catéchiste, Tours, Mame, 1909, p. 43.
21 Daniel Hameline, « La République éduquera-t-elle encore ? », Education permanente, 121 (1994), pp. 89.
22 Dictionnaire de la conversation et de la lecture, Paris, Librairie de Firmin Didot Frères, 1868, art. « Instruction publique ».
11
Catéchése 06-07
Mais, force est de constater que, malgré le plaidoyer des Frères des Ecoles Chrétiennes en faveur d’une forme catéchétique qui « consiste en un dialogue entre le maître et ses disciples »23, en privilégiant le souci de l’intégrité du
contenu et la rectitude de la transmission de la doctrine enseignée par l’Eglise, l’instruction mise en œuvre avec le
catéchisme se satellise par rapport à l’éducation. Ainsi en 1837, l’évêque de Belley invite fermement ses catéchistes
à s’en tenir à l’ordonnancement proposé par le manuel sans rien y changer : « Les demandes qui sont dans le Catéchisme du Diocèse, seront toujours précédées simplement par un D ; le Catéchiste les fera aux enfants littéralement, sans rien y changer »24.
Ce souci de la rectitude va enfermer le catéchiste de la deuxième partie du 19e siècle dans le programme à suivre à
la lettre sans tenir compte de l’âge des enfants : il dispose d’un seul et même manuel diocésain pour toute
la saison des instructions. Ainsi sont assurées la stabilité de la doctrine enseignée et la continuité didactique, à
travers laquelle la répétition des questions – réponses, importe plus que la progression de l’enfant.
Former des témoins en vue de la rechristianisation en instruisant les enfants des vérités
et obligations de la religion, enseignée par l’Eglise, en vue de leur salut
Destiné aux enfants,
le manuel diocésain = un programme d’enseignement en trois parties : le Credo ou les vérités qu’il faut
croire pour être sauvé, la morale ou ce qu’il faut faire pour être sauvé,
les sacrements ou moyens qui nous sont donnés pour faire notre Salut.
Supplément : les prières
Une instruction par questions - réponses
mémoriser des connaissances (des vérités et des devoirs)
interroger / réciter / gratifier
abstrait ⇒ la vie / mémoriser ⇒ appliquer
La « Saison des instructions »
En révisant de fond en comble la théologie des sacrements, les Pères du Concile de Trente avaient été obligés de
préciser leur position par rapport aux enfants. Ils vont prendre deux décisions qui vont avoir une conséquence capitale pour fixer l’âge du catéchisme des enfants.
§
En 1551, le canon IX de la Session 1325 rappelle les
décisions du Concile de Latran de 1215 qui demande
à tout fidèle parvenu à l’âge de raison (de discrétion)
de se confesser au moins une fois par an et de communier au moins à Pâques.
§
Il faut excepter (de l’obligation de communion) les enfants
qui n’ont pas atteint l’âge de raison (qui nondum rationis
usum propter aetatis imbecillitatem habent…). Pour ce qui
est de l’âge auquel il convient de donner la communion aux
enfants, personne ne peut mieux le déterminer que leurs
parents et le prêtre à qui ils confessent leurs péchés. C’est à
eux d’examiner et à interroger les enfants pour voir s’ils ont
quelques connaissances de cet admirable sacrement, et s’ils
sont capables d’en goûter les fruits.
En 1562, le canon IV de la Session 21 stipule qu’un
enfant qui n’a pas atteint l’âge de raison ne peut
communier26.
Si le Catéchisme du Concile de Trente rappelle ces dispositions au chapitre Du sacrement de l’Eucharistie, VI. Des
dispositions nécessaires pour communier, il offre néanmoins une certaine souplesse dans l’appréciation de l’âge de
raison, lequel est ici moins considéré en fonction d’un âge physique, mais plus apprécié en fonction de l’acquisition
des connaissances des choses de la foi par l’enfant.
23 Frères des Ecoles Chrétiennes, op. cit., p. 141.
24 Méthode-Pratique pour faire le Catéchisme, Catéchisme du diocèse de Belley, p. 31.
25 Henricus Denzinger, Enchiridion Symbolorum, Freiburg, Herder, 1937, édition 21-23, p. 310 (891).
26 Henricus Denzinger, op. cit. Canon 4 de session 21, p. 330 (937).
Catéchése 06-07
Il semble que les Pères du
Concile admettent des critères
différents entre l’âge de raison
qui donne la capacité de communier et l’âge de discrétion
donnant la capacité de se
confesser.
« Remarquons ici que tous ceux qui ont
reçu le baptême peuvent à la vérité être
confirmés, qu’il ne convient pas cependant d’administrer ce sacrement à ceux
qui n’ont pas atteint l’âge de raison. Et
si l’on ne croit pas devoir attendre l’âge
de douze ans, bien certainement il est
convenable d’attendre jusqu’à sept. La
confirmation n’est pas instituée comme
nécessaire au salut ; mais la force dont
elle nous revêt nous dispose et nous
prépare au combat que nous aurons à
soutenir pour la foi de Jésus-Christ. Or
comment les enfants qui n’ont pas encore atteint l’âge de raison seront-ils
propres à ce genre de combat ? »
Catéchisme du Concile de Trente,
Du sacrement de Confirmation, p. 298.
12
« Il est clair que personne n’est tenu de se confesser avant l’âge de discrétion (ante eam
aetatem qua rationis usum habere potest) ; mais cet âge ne pouvant être absolument fixé, il
faut établir en règle générale que la confession est obligatoire pour les enfants dès le moment où ils distinguent le bien du mal, et qu’ils commencent à être capables de quelques
malices ».
Catéchisme du Concile de Trente, Du sacrement de pénitence, VI, De la contrition, p.
421.
Pour la communion, c’est l’acquisition de connaissances des choses de la
foi qui prime alors que pour la confession, la capacité du jugement moral
tient lieu de critère. Nous pouvons admettre en fonction des directives
données pour la Confirmation, que les Pères du Concile de Trente situaient l’âge de raison dans la douzième année. Ils ne faisaient que
confirmer les critères déjà couramment admis à l’époque ; en effet, dès
1415, dans les conseils qu’il donnait aux évêques, Jean Gerson indique
que « les enfants peuvent recevoir l’Eucharistie et y sont obligés une fois
par an, lorsqu’ils sont aptes au mariage selon les lois »27 ; hors la législation de cette époque autorisait le mariage des garçons à 14 ans et celui
des filles à 12 ans, considéré comme âge nubile.Au fil des siècles qui ont
suivi le Concile de Trente, l’appréciation de l’âge de discrétion se situera
vers la septième année et l’âge de raison à 12 ans. Cette option se figea
au 19e siècle : 12 ans deviendra l’âge préconisé pour la 1e Communion,
laquelle, a été instituée fête solennelle dans les paroisses au 18e siècle.
Ainsi, le Catéchisme du diocèse de Besançon28 édité en 1918, se référant aux statuts synodaux de 1899, souligne dans ses Prescriptions
relatives à la Première Communion et à la Confirmation, la triple obligation pour être admis à la 1e Communion : avoir atteint l’âge de 11
ans,avoir suivi pendant deux ans les catéchismes préparatoires, faire
sa 1e communion dans sa paroisse ; une dispense est accordée pour
ceux et celles qui ont séjourné quatre mois, le jour et la nuit dans une
autre paroisse, ainsi que pour ceux et celles qui séjournent dans des
maisons d’éducation.
« Enfants au-dessus de dix à douze ans
qui ont quelque ouverture d’esprit et qu’on
doit bientôt préparer à la première communion, c’est à ceux-là particulièrement
qu’il faut enseigner la première partie de
ce catéchisme qu’on doit regarder comme
principale. »
Ordonnance de Gabriel de Roquette,
évêque d’Autun, 1703
Si cette institution de la 1e Communion donnera un but louable au catéchisme29, elle figera le temps du catéchisme
à une saison de la vie allant de 8 à 12 ans : dans la représentation populaire, le catéchisme, temps de l’instruction
qui prépare à la vie chrétienne et au salut, devient progressivement, dans la vie de l’enfant, le temps de
l’apprentissage des réponses du manuel en vue d’être admis à la 1e Communion. En 1910, le décret de Pie X (Quad
Singulari) stipulant que les enfants peuvent communier dès l’âge de discrétion, c’est à dire vers 7 ans, ne change
rien à cette représentation ; en effet si une fête de Première Communion est instituée dans les paroisses pour les
enfants de 7 ans, c’est vers la fête du Renouvellement des Promesses baptismales, (en langage populaire, la
Communion Solennelle), pour laquelle on garde l’âge de 12 ans, que se tournent désormais le but et la fin du catéchisme.
27 Jean Gerson, « Regulae mandatorum », in Œuvres complètes , Paris, Ed. Glorieux, 1968, tome 9, p. 689.
28 Catéchisme du Diocèse de Besançon, Besançon, Imprimerie Jacques et Demontrond, 1918, 160 p.
29 Odile Robert, « La première Communion, Fonctionnement et enjeux d’une institution chrétienne au XVIIIe siècle », in Jean
Delumeau (S/dir.), La première Communion, Paris, Desclée de Brouwer, 1987, p. 100 et ss.
Catéchése 06-07
13
Ainsi, le Règlement diocésain du diocèse de Limoges de 193630 stipule :
§ Article 9 : Le catéchisme a pour but de préparer les enfants au
Renouvellement des promesses baptismales.
§
Article 16 : Aucun enfant ne peut y être admis s’il ne remplit
pas les conditions suivantes : avoir onze ans accomplis… avoir
suivi avec exactitude le catéchisme pendant deux ans… avoir
obtenu une note suffisante à l’examen.
§
Article 13 : A la fin de la deuxième année de catéchisme, il y a
un examen solennel de clôture. Cet examen est passé devant
une commission d’au moins trois membres : M. le Doyen, M. le
Curé et un prêtre choisi par ce dernier.
« La Communion solennelle est définitivement fixée à la douzième année et
qu’aucune dispense ne sera accordée, tous
les enfants du diocèse doivent suivre le
catéchisme deux années consécutives avant
leur communion, au plus tard dans leur
neuvième année, les enfants sont admis au
catéchisme ».
L’ordonnance de 1942 de Mgr Louis
Chiron, évêque de Langres.
Catéchisme du diocèse de Langres, Tours,
Mame, 1942, p. 6*-7*.
Derrière cette pratique catéchétique au 19e siècle et durant la première partie du 20e siècle, la représentation dominante du catéchisme chez la plupart des parents chrétiens comme chez de nombreux pasteurs, est exclusivement centrée sur la préparation à la Communion solennelle, perçue comme la fête terminale de l’éducation chrétienne, de la même manière que le Certificat d’Étude, qui « se passait » à 12 ans, était perçu comme l’examen final
de l’éducation scolaire. Aujourd’hui encore dans de nombreuses communautés paroissiales, la représentation dominante du « caté » consiste à le réserver à la période entre 8 et 12 ans…
Une instruction et une règle de vie à « imprimer dans l’esprit des enfants »31
Mgr Ch. François Turinaz,
évêque de Tarentaise, 1877
« Avant tout, il est indispensable que les enfants
sachent de mémoire et parfaitement le texte des
réponses du catéchisme. Si ce texte n’est pas gravé
dans leur mémoire, les explications n’ont pas de
sens… Tous les évêques, tous les auteurs qui ont
traité de l’enseignement du catéchisme ont affirmé
la nécessité de cette règle dont l’évidence ne saurait
être discutée ».
Catéchisme du diocèse de Tarentaise, 1877.
Mgr Alfred Flocard, évêque de Limoges, 1936
« Toutes les leçons du catéchisme doivent, après une brève, mais suffisante explication de la lettre, être apprises intégralement par tous les
enfants. Il faut tenir énergiquement à ce premier et indispensable effort
de la mémoire, d’abord parce qu’il est nécessaire, pour que les enfants
comprennent et retiennent les explications plus approfondies qui leur
seront données ; ensuite parce le texte précis du catéchisme, lorsqu’il
aura été bien appris par l’enfant, lui facilitera, pour toute la vie,
l’intelligence et le souvenir de l’enseignement religieux ».
Catéchisme du diocèse de Limoges, Limoges, Imprimerie F. Plagnes,
1936.
Selon ces mandements, la finalité de la séance de catéchisme ne se porte pas sur la compréhension en vue du
croire, en vue de l’adhésion au message chrétien, mais sur la mémorisation par l’enfant de connaissances transmises par un maître en vue d’en vivre et témoigner à l’âge adulte. La logique déductive, de l’abstrait à la vie, est devenue la règle didactique et durant la première partie du 20e siècle, beaucoup de catéchistes les conserveront
comme base de leur « manière de faire le caté ». Ainsi que le souligne Franz Arnold, la catéchèse a insisté
« beaucoup moins sur l’essence même de l’acte de foi et sur sa portée dans l’économie du Salut que sur son témoignage extérieur et sur l’intégrité de son contenu »32. Ce faisant, le catéchisme est devenu une discipline
au sens couramment accepté à cette époque : « instruction qui se transmet, règle de vie qui
s’applique »33. « Transmettre et appliquer » se noue dans le jeu des questions-réponses : le catéchiste, le curé,
interroge et l’enfant doit faire preuve qu’il a mémorisé les réponses ; la mémoire fonctionne comme le garde fou
du passé, la sentinelle du présent et le garant de l’avenir.
30 Catéchisme du Diocèse de Limoges, Limoges, Imprimerie Planes, 1936, p. 12-13.
31 Catéchisme du diocèse de Besançon, p. 20.
32 Franz Arnold, « L’acte de foi dans l’engagement personnel », Lumen Vitae, vol. 5, n°1, (1950), p. 267.
33 Dictionnaire de la conversation et de la lecture, Paris, Firmin Didot Frères, 1868, article « discipline ».
Catéchése 06-07
14
« Le silence doit être absolu. Non seulement il doit consister à ne
pas dire un mot, mais il faut que les enfants soient immobiles à
leur place, évitant tout bruit, tout mouvement qui ne pourrait
causer quelques troubles et qu’ils veillent, ponctuellement, pendant les prières, les instructions, les homélies, à ne pas se moucher, ni tousser avec bruit, ni remuer les pieds. […] Il faut en
outre une défense absolue de tourner la tête, un soin attentif à
ce que les bras soient croisés ou les mains jointes, les yeux fixés
sur le livre ou le catéchiste ; car on écoute avec les yeux, dit-on
aux enfants, aussi bien qu’avec les oreilles. A ces moyens et
d’autres semblables, doit se joindre la succession rapide et ininterrompue des exercices, il ne faut pas même une seconde
d’intervalle entre un exercice et un autre, autrement la dissipation se glisse ».
Félix Dupanloup, L’Oeuvre par excellence, p. 241-242.
En 1824, l’abbé Couturier invite les catéchistes à
rechercher l’intérêt de l’enfant : la méthode « consiste
à expliquer chaque demande de ce catéchisme, en
développant le dogme et la morale qu’elle contient ; à
y joindre les réflexions, les avis, les exhortations, les
sentimens, les mouvemens, les histoires propres à
rendre l’instruction intéressante et efficace »34.
Néanmoins, la mise en œuvre du catéchisme comme
discipline est centrée sur la soumission de l’enfant par
la discipline du corps. Si peu d’indications sur la manière de conduire une séance de catéchisme figurent
dans les manuels, les conseils de Mgr Dupanloup
sont connus.
Paru vers la même époque, le Manuel de Saint-Sulpice, s’il considère la séance de catéchisme comme un dialogue,
met également en valeur, de manière plus nuancée, le recours à une obéissance façonnée d’immobilisme : « Les
enfants sentent bientôt quelle est la trempe de caractère des personnes qui les commandent : ils obéissent sans
résistance à un homme qui sait leur témoigner de l’intérêt et leur montrer à propos la douceur et la fermeté
convenables. On voit par expérience qu’un des meilleurs moyens pour empêcher que les enfants ne causent principalement dans les petits catéchismes, est de faire tenir les bras croisés aux garçons et les mains jointes aux filles…
Un autre moyen, c’est de les empêcher de tourner la tête »35.
Remarquons que cette approche disciplinaire n’est pas très éloignée
« Pendant tout le temps du catéchisme, les
de celle préconisée au XVIIe siècle par Jean-Baptiste de la Salle. Nous
écoliers seront assis, le corps droit, le visage
tourné du coté du maître et les yeux sur lui, les
voyons bien ici la pointe « pédagogique » : l’immobilisme facilite le
bras croisés et les pieds rangés. Ils ne se regarjeu des questions-réponses et la relation didactique induit une tenue
deront pas les uns les autres, et le maître prendes catéchisés qui combine l’obsession de la pureté et le souci de la
dra garde qu’ils soient dans une très grande
mémorisation.
retenue. Tous les écoliers pendant le catéchisme
seront interrogés et répondront par tour, les uns
après les autres, selon l’ordre des bancs. […]
L’écolier qui répondra pendant le catéchisme
aura les yeux modestement baissés, et ne regardera pas fixement. Le maître prendra garde
qu’ils ne croisent pas leurs jambes l’une sur
l’autre, et qu’ils ne mettent pas leurs mains dans
leurs poches, ni autre part sous leurs habits, ni
leur chapeau, afin qu’ils ne puissent rien faire
qui soit tant soit peu contre la pureté ».
Jean-Baptiste de la Salle, Conduite des écoles chrétiennes, Edition du manuscrit français
11.759 de la Bibliothèque Nationale de Paris,
Paris, Procure générale, 1951, pp. 103-105.
La séance de catéchisme étant ainsi conçue comme une leçon, menée le plus souvent dans l’église paroissiale, le
recours au bon point par des images pieuses sert très souvent de système de « motivation - gratification ». Cette
pratique du bon point remonte aux petites écoles de François de Sales, de Monsieur Olier et de Vincent de Paul qui
recommandaient que les enfants ayant bien appris leur leçon de catéchisme reçoivent en récompense des médaillons ou des « images dévotes ». Au 19e siècle, elle est largement approuvées par les évêques tel Mgr Dupanloup
qui considère ces « bons points de sagesse »36 comme « de pieuses industries du zèle »37 ; en 1856, la Méthode
de Saint-Sulpice préconise de « ne distribuer aux enfants que des récompenses qui puissent les instruire ou les
34 Jean Couturier, Catéchisme dogmatique et moral, Tome 1, p. 10.
35 Frères des Ecoles Chrétiennes, op. cit., p. 217.
36 Félix Dupanloup, L’Oeuvre par excellence ou Entretien sur le catéchisme, p. 220.
37 Félix Dupanloup, cité par C. Rosenbaum, « Images-souvenirs de première Communion », in Jean Delumeau (s/dir.), La
première Communion, quatre siècles d’histoire, Paris, Desclée de Brouwer, 1987, pp. 133-169.
Catéchése 06-07
15
édifier, les plus ordinaires sont des estampes de piété »38. Au 20e siècle, cette pratique se perpétue : ainsi, dans un
entretien avec Jean Vimort, Françoise Derkenne relate son rôle de distributrice de bons points durant les séances
de catéchisme durant les années 193039.
Cette pratique catéchétique s’inscrit dans le contexte des pratiques éducatives qui ont cours dans la
grande majorité des écoles primaires durant la deuxième partie du 19e siècle et au début du 20e siècle.
Si le but du catéchisme était d’éduquer l’enfant par l’instruction des connaissances minimales qui lui permettront,
sa vie durant, croire et témoigner dans la société qui se déchristianise, ainsi que le souligne Antoine Prost, le but
« des écoles primaires des Gréard et des Buisson… se propose d’enseigner tout le savoir pratique dont l’homme a
besoin sa vie durant. D’où un aspect encyclopédique… » (A. Prost, 1968, p. 278).
Au niveau de la démarche pédagogique, la didactique, centrée sur le programme et la mémorisation, était également de mise dans la plupart des écoles primaires
§
répéter durant les trois niveaux le même programme tout en proposant une progression dans la difficulté en
grammaire et calcul, assigne à l’école primaire l’objectif d’enseigner le savoir minimum, c’est à dire « ce qu’il
n’est permis d’ignorer » (A. Prost, 1968, p. 278),
§
réduire l’étude du manuel et du résumé d’histoire et de géographie ou de la leçon de choses transforme la leçon en un seul exercice d’attention et de mémoire, centré sur l’apprentissage par cœur, la mémorisation des
règles d’exception en grammaire, des tables de multiplications en calcul et de la liste des départements en
géographie (A. Prost, 1968, p. 279).
L’un des exemples les plus éclairant de cette connivence des conceptions et pratiques pédagogiques nous paraît
être le rapprochement entre la leçon de catéchisme et celle de l’instruction morale : ne constate-t-on pas
d’étranges similitudes se déployer entre l’instruction morale et civique donnée par l’instituteur de « la laïque » avec
le catéchisme du curé. Sur ce point, la lecture du manuel de La première année d’instruction morale et d’instruction
civique40 de Pierre Laloi, paru en 1880 et dont la quarante-neuvième édition est éditée en 1905, est éclairante ;
elle permet une comparaison pertinente entre la didactique et la pédagogie qui y sont mises en œuvre avec celles
des catéchisme tripartites en vigueur au même moment. Ce manuel qui fut l’un des plus utilisés en France41, ne
fait pas partie de la liste de ceux qui furent condamnés par le décret du Saint-Office du 15 décembre 1882. Si d’un
coté, il fallait instruire des obligations du chrétien, si de l’autre, il fallait instruire des valeurs laïques de la République, dans les deux cas, c’est l’enseignement moral qui est sous-jacent à l’instruction.
Mgr Charles-François Turinaz, 1877
« L’ignorance ou l’oubli des vérités qu’elle (l’instruction religieuse) enseigne, sont la cause première de toutes les erreurs et de tous les vices.
L’histoire ancienne, l’histoire moderne […] nous montrent partout le désordre croissant en proportion à l’affaiblissement des croyances ; la paix des
familles et l’ordre public s’affermissent à mesure que la religion reprend
son empire. D’où il faut conclure que le premier et le plus efficace remède
à employer, soit pour prévenir, soit pour réparer les maux de la société,
c’est l’instruction religieuse. »
Jules Ferry, ministre de l’Education nationale,
1883
Aux instituteurs : « Vous n’avez d’autre arrièrepensée que de rendre leurs enfants plus instruits et
meilleurs, […] alors la cause de l’école laïque sera
gagnée »
Ainsi que le souligne Antoine Prost, il y avait, durant cette période, accord social sur les valeurs et les moyens de
l’enseignement : ordre, autorité et respect sont les valeurs qui forment les points d’accord et la discipline en est le
moyen privilégié42. « Cet accord ne devrait pas surprendre. L’enseignement en effet, reflète l’image qu’une société
se forme d’elle-même, et cette image est en grande partie commune aux républicains et aux conservateurs. Plus
38 Méthode de Saint-Sulpice dans la direction des catéchismes, Paris, J.Lecoffre Librairies, 1856.
39 Françoise Derkenne, « Des témoins nous parlent de Joseph Colomb », Catéchèse 80 (1980), p. 97.
40 Pierre Laloi, La première année d’instruction morale et d’instruction civique, Paris, Armand Colin, Edition de 1905, pp. 3-11.
41 Dans plus de 75 départements selon différentes sources. Cf. Jean Baubérot, La morale laïque contre l’ordre moral, Paris,
Editions du Seuil, 1997, p. 94.
42 Cf. Félix Dupanloup, De l’éducation, p. 127 : « La discipline a trois fonction principales : maintenir, prévenir, réprimer ».
16
Catéchése 06-07
encore, il traduit dans une pratique le statut que la société accorde aux enfants, et sur ce point, il y a unanimité.
Sauf une minorité de pédagogues, tous se méfient de la spontanéité des enfants : c’est un danger plus qu’une
promesse, et Durkheim définit l’éducation, comme Mgr Dupanloup, « une œuvre d’autorité ». […] L’indépendance
d’esprit, bonne pour l’homme fait, est néfaste pour la jeunesse : il faut que l’enseignement inculque des convictions […]. Chassés du monde des adultes, le dogmatisme règne sur celui des enfants : c’est qu’il s’agit toujours
peu ou prou de les dresser. »43
Ainsi garder le silence, écouter, répondre aux interrogations, telles sont les attitudes demandées à l’enfant-type du
catéchisme qui par ailleurs semble sans âge, sans personnalité et sans milieu sociologique. Cet être docile doit être
pacifié pour devenir bon chrétien et vrai fidèle de l'Eglise. Comme le souligne Gilbert Adler, l’enfant est « la figure
paradigmatique de celui qui ne sait pas et qui va donc se montrer docile et réceptif à l’exposé complet de la doctrine catholique »44, reprenant ainsi le constat déjà formulé par Roger Cousinet sur les deux conditions primordiales
de l’apprentissage magistral : « docilité et malléabilité de l’esprit de l’enfant »45.
Un « résumé de la foi catholique » 46
Durant la 2e partie du 19e siècle, les éditions de catéchismes tripartites ont lentement forgé une trame
d’enseignement « des choses de la foi » qui va, malgré la diversité des manuels diocésains, unifier dans la forme et
le fond la pratique du catéchisme dans le tissu ecclésial français. De pasteur, le catéchiste est devenu un enseignant dont le but est l’instruction de ce qui n’est pas permis d’ignorer pour vivre en bon chrétien. Cette trame
continuera d’être à la base de l’agir catéchétique dans le paysage ecclésial français à l’aube de la deuxième moitié
du 20e siècle.
Durant les années 50, le Catéchisme à l’usage des diocèses de France, version de 1937, est toujours le
manuel en vigueur dans la plupart des paroisses de France. Ce manuel national qui était censé unifier la pratique
catéchétique en France et lui apporter un souffle nouveau, reste, dans sa forme, conçu selon la trame des catéchismes tripartites qui l’ont précédé :
§ chapitre préliminaire : pourquoi je dois apprendre mon catéchisme ;
§
première partie : la Vérité ou les vérités à croire, scandées par le Credo, (24 chapitres, 204 questions) ;
§
deuxième partie : la Voie ou les commandements à pratiquer, introduite par un chapitre sur la morale (22 chapitres et 194 questions) ;
§
troisième partie : la Vie ou les sacrements à recevoir « pour posséder ou augmenter la vie de la grâce, rester
uni à Jésus-Christ et mériter le bonheur du ciel »47 (22 chapitres et 198 questions).
Un chapitre supplémentaire : la journée du chrétien.
Un appendice : préparation et attente de la venue de Jésus, l’année liturgique, les
prières du chrétien, la méthode de confession et la sainte messe.
En première page, l’avis pratique justifie une série de nouveautés : les gravures entête de chaque leçon doivent permettre d’intéresser les enfants et de les instruire,
les récits, empruntés à la Bible et à l’Évangile, sont destinés à en faciliter
l’intelligence et la récitation, les exercices « s’inspirant des méthodes actives » ont
pour but de faire réfléchir les enfants et de former leur conscience.
43 Antoine Prost, Histoire de l’enseignement en France, 1800-1967, p. 8-9.
44 Gilbert Adler, « Où est la catéchèse ? », Conférence donnée en 1996 au Québec, texte ronéoté, p. 8.
45 Roger Cousinet, L’éducation nouvelle, Neuchatel, Delachaux, 1968, p. 12.
46 Catéchisme à l’usage des diocèses de France, Bourges, Ed. André Tardy, 1938, leçon préliminaire, p. 10.
47 Catéchisme à l’usage des diocèses de France, leçon préliminaire, p. 10
Catéchése 06-07
17
L’invitation faite au catéchiste d’échelonner les questions - réponses en fonction du niveau de la classe de catéchisme, certaines d’entre elles étant réservées à la dernière année, nous apparaît être une reprise de la distinction
qui avait cours aux XVIII-XIXe siècles entre le petit catéchisme et le grand catéchisme, voire le catéchisme de persévérance. Ces nouveautés ne changent pas la pratique catéchétique, ni au niveau de la didactique, ni au niveau
pédagogique.
Ainsi, ce manuel, reste fort éloigné des nombreux essais de renouvellement des méthodes catéchétiques antérieures à son édition, notamment des premières approches de l’adaptation à l’enfant des abbés Louis Hénin et
Charles Quinet (1913) 48, des perspectives ouvertes par le catéchisme biblique de Eugène Charles (1930) 49, des
premiers apports de Marie Fargues sur les méthodes actives au catéchisme ainsi que de l’approche liturgique de
Françoise Derkenne (1935).
Une nouvelle mouture de ce catéchisme paraît en 1947 sous le titre Catéchisme à l’usage des diocèses de
France, nouvelle édition50. Toujours structurée selon le modèle des catéchismes tripartites, cette édition comporte trois parties, subdivisées en 73 leçons, encadrées par une leçon préliminaire, « Le chrétien catholique », et
par une leçon supplémentaire, « La journée du chrétien » :
§ les vérités que Jésus-Christ nous a enseignées, à partir du Credo,
§
les secours que Jésus-Christ nous a préparés, les sacrements,
§
les commandements que Jésus-Christ nous a donnés, à partir du Décalogue et des commandements de
l’Eglise.
En fin de manuel : les prières usuelles, la confession et la messe.
Catéchisme du diocèse de
Strasbourg,
Appellé couramment Catéchisme de Mgr Weber
Par rapport à sa version antérieure, cette nouvelle édition apporte peu de changements dans les domaines didactique et pédagogique51 : sa finalité reste toujours l’instruction, en vue de l’assimilation par l’enfant de connaissances52 doctrinales et morales présentant la vie chrétienne comme un devoir : « Vous devez croire ce que Jésus a
enseigné, faire ce qu’il a commandé, et servir de tous les moyens qu’il a mis à votre disposition pour être un bon
chrétien ». Les efforts méthodologiques, ayant pour but de rendre les enfants plus participatifs, tels que
l’orientation pour insérer la leçon sur la vie de l’enfant, la courte prière, le dessin pour synthétiser la leçon ainsi que
le devoir ou les travaux pour poursuivre l’enseignement à la maison, restent toujours centrés sur la mémorisation
et prolongent le caractère déductif de la méthode préconisée dans la version antérieure.
Ainsi au début des années 50, le modèle centré sur l’objet de la foi perdure…
48 Louis Hénin et Charles Quinet, Pédagogie du catéchisme à l’usage du clergé et des catéchistes, Paris, Tolra et Simonet,
1913, 308 p.
49 Eugène Charles, Le catéchisme par l’Évangile, Marseille, Éd. Publiroc, 1930, 224 p.
50 Catéchisme à l’usage des diocèses de France, nouvelle édition, Tours, Maison Mame, 1947, 333 p.
51 Nous trouvons un constat exhaustif des changements apportés par la nouvelle édition du catéchisme, 1947 dans Gilbert
Adler et Gérard Vogeleisen, Un siècle de catéchèse en France, p. 51-115.
52 « Chaque chapitre commence par un récit évangélique illustré qui en prépare l’assimilation. Ce récit est suivi d ‘un petit
questionnaire et de la leçon. » Catéchisme à l’usage des diocèses de France, nouvelle édition, p.1.
18
Catéchése 06-07
3. - Du catéchisme à la catéchèse
Ressources bibliographiques
ADLER Gilbert et VOGELEISEN Gérard, Un siècle de catéchèse en France, 1893-1980, Paris, Beauchesne, 1981,
Collection Théologie historique 60.
BLOCH Marc-André, Philosophie de l’éducation nouvelle, Paris, PUF, 1973.
BRODEUR Raymond et CAULIER Brigitte, (s/dir.), Enseigner le catéchisme : autorités et institutions XVIe –XXe siècles, Québec-Paris, Les presses de l’université Laval - Editions du Cerf, 1997.
COKE Mary, Le mouvement catéchétique de Jules Ferry à Vatican II, Paris, Le Centurion, 1988, Coll. Chrétiens dans
l’histoire.
COLOMB Joseph, Le Service de l’Evangile, Manuel catéchétique, Paris, Desclée, 1968, 2 tomes.
DERKENNE Françoise, La Vie et la Joie au Catéchisme, Lyon, Editions de l’abeille, 1943.
FARGUES Marie, D’hier à demain, le catéchisme, Paris, Fayard-Mame, 1964, Coll. ISPC.
GERMAIN Elisabeth, Langages de la foi à travers l’histoire. Approche d’une étude des mentalités, Paris, FayardMame, 1972, Coll. ISPC.
PROST Antoine, Histoire de l’enseignement en France 1800-1967, Paris, Armand Colin, 1968.
ROY Alain-Louis, Joseph Colomb, pédagogue, Lille, ANRT, 2002.
Le Mouvement catéchétique
Durant la première partie du XXe siècle, le « mouvement catéchétique »53 était né en France. Sa naissance et sa
vie ont été le fruit de tous ces catéchistes, hommes et femmes, clercs et laïcs qui, dans les mutations des approches éducatives de ce siècle, se sont interrogés sur leurs pratiques catéchétiques, les ont remises en cause et ont
inventés de nouveaux chemins. Sur ces chemins, marche cet enfant qui « n’est plus, comme on croyait, l’être imparfait, incomplet, qu’il s’agissait de perfectionner et de compléter d’après le modèle fourni pour l’homme adulte.
Le point de vue change complètement : l’enfant a aussi une vie à lui, il a sa vie. Cette vie, il a le droit à la vivre, à
la vivre heureux »54.
La préoccupation du sujet était au centre de mouvement dont nous retenons quelques témoins.
Hélène Lubienska de Lenval
s’est intéressée l’éducation à la foi des enfants de 3-8 ans. Son compagnonnage
avec Maria Montessori s’affirme dans L’éducation au sens religieux : partant de
la participation active des enfants à la liturgie, la messe, et introduisant la bible
dans sa démarche catéchétique elle y développe « l’éducation au silence » par
le corps très proche de « l’élévation » par le silence, silence physique et immobilité du corps qui favorisent le développement de toutes les potentialités de
cette « période sensible de la vie ».
Hélène Lubienska de Lenval
L’éducation du sens religieux
Paris, Spes, 1946.
Maria Montessori
Pédagogie scientifique, La maison
des enfants
Paris, Desclée de Brouwer, 1979.
Marie Fargues
Marie Fargues
D’hier à demain le catéchisme
Paris, Fayard,1964, Coll. de l’ISPC.
a commencé sa carrière d’enseignante à l’Ecole des Roches où elle a rencontré
Adolphe Ferrière et le Dr Simon et où elle a été inspectée plusieurs fois par Roger Cousinet.
53 Gilbert Adler : « Nous entendons par mouvement catéchétique : « un ensemble d’évènements, de personnes, de documents, de travaux qui forment un courant de pensée qui a amené l’Eglise à s’interroger sur sa politique catéchétique et à le
modifier plus ou moins profondément selon les pays et les moments ».
54 Edouard Claparède, L’éducation fonctionnelle, Neuchâtel-Paris Delachaux et Niestlé, 1973, p. 82.
Catéchése 06-07
19
Elle raconte dans son petit ouvrage, Hier et demain, le catéchisme, la manière dont elle a initié le travail en petits
groupes d’élèves et a œuvré pour une pédagogie active religieuse. Au contact de Maria Montessori, elle promeut la
spécificité enfantine au centre de l’action éducative par la mise en valeur des « périodes sensibles ».
Françoise Derkenne
fut catéchiste dans les milieux populaires à Meudon. Paru en 1935, son catéchisme intitulé La vie et la joie au catéchisme est destiné aux enfants de 8-9 ans. En 1939 un second volume est destiné aux 9-10 ans. En 1943 elle publie
son Introduction pédagogique qui présente les grands axes pédagogiques de son « catéchisme actif ». A l’école de
Kerschensteiner et de Ferrière, elle ouvre ce manuel par les « méthodes actives ». Cinq principes en assurent les
fondements :
§ respecter la personnalité de l’enfant,
§
rechercher ses intérêts innés,
§
mettre en œuvre des activités qui sont spontanées à l’enfant,
§
s’effacer au profit d’une discipline organisée par les enfants,
§
favoriser le travail collectif et coopération entre les enfants.
Françoise Derkenne
La vie et la joie au catéchisme
Paris, De Gigord, vol.1, 1935 ; vol. 2, 1939
La vie et la joie au catéchisme, Introduction
pédagogique
Lyon, Editions de l’Abeille, 1946.
Le point focal de son agir catéchétique se situe dans « le centre d’intérêt », qu’elle définit comme « le thème autour duquel viennent se grouper les activités intellectuelles et manuelles des enfants pendant une période déterminée ».
Durant les années 30-50, le Mouvement catéchétique français introduisit une véritable césure dans la pratique
catéchétique : de la préoccupation de l’objet de la foi, il fit advenir la préoccupation du sujet de la foi.
Cette césure s’inscrit dans le contexte des préoccupations de l’agir éducatif du XXe siècle tel que nous
présente Marc-André Bloch dans sa Philosophie de l’Education nouvelle.
§ Le sujet, l’enfant, est au centre des préoccupations de l’éducation.
§
L’éducation est fonctionnelle, car, selon le principe de Ferrière, tout ce
qui est apporté trop tôt ou trop tard ou hors du champ des intérêts de la
jeune intelligence naissante est un mal.
§
L’école nouvelle est l’école active, dans laquelle l’enfant apporte à
l’œuvre commune son activité innée, ses forces productrices et créatrices, quel que soit le domaine, - intellectuel, artistique, moral ou même
simplement corporel.
§
L’intérêt de l’enfant est le point de départ et matière première de
l’œuvre éducative .
§
Sur la base du « Grundaxiom » de Kerschensteiner, les programmes
scolaires, et l’école d’une manière plus générale, doivent être conçus,
non à partir de l’objet de l’éducation, mais en fonction du sujet de
l’éducation, l’enfant, et mettre en œuvre des méthodes différenciées,
voire individualisées, qui tiennent compte de la diversité des profils des
enfants.
Marc-André Bloch,
Philosophie de l’Education Nouvelle,
Paris, Presses Universitaires de
France, 1948, 3e éd. 1973.
Grundaxiom : « Pour qu’un bien
de civilisation puisse devenir pour
une individualité donnée un bien
de culture, il faut que sa structure
spirituelle soit totalement ou au
moins partiellement adéquate à la
structure spirituelle de cette individualité. »
Ainsi, en paraphrasant Edouard Claparède, nous pouvons dire que si en « faisant le catéchisme », on savait que
l’on enseignait quelque chose, avec le Mouvement catéchétique, on sait que l’on enseigne toujours quelque chose
à quelqu’un.
Catéchése 06-07
20
« Fidélité à Dieu, fidélité à l’homme »55
« Nous regrettons tout ce qui, dans notre catéchisme national,
exprime une mentalité négative et minimiste ou trop juridique,
tout ce qui n’aide pas l’enfant à écouter et à suivre les orientations de l’Esprit vers les hauteurs spirituelles […] ; nous regrettons qu’il soit éloigné des sources de l’Histoire Sainte et la
Liturgie, et qu’il rappelle trop une somme théologique. Nous regrettons encore tout ce qui serait trop polémique et critique.
Nous regrettons les tournures compliquées, les termes techniques inutiles. Nous regrettons surtout que le manuel officiel - le
catéchisme national – soit mal utilisé », tel est le diagnostic
que formule Joseph Colomb en 1948.
Jh Colomb
Pour un catéchisme efficace,
Lyon, Vitte, 1948, T.1, pp. 80-81.
« La grande pitié de l’enseignement religieux »,
Lumen Vitae, vol. 8 (1953).
Plaie ouverte au flanc de l’Eglise,
Lyon, Vitte, 1954.
Voulons-nous un catéchisme efficace, raisons de
notre échec, Rapport présenté au CNC, Lyon,
Vitte, 1954.
Le Service de l’Evangile, Paris, Desclée, 1968.
§
Le plan d’instruction religieuse qu’est le Catéchisme à l’usage des diocèses de France, nouvelle édition, apparaît de moins en moins opérationnel pour permettre à l’enfant de vivre en chrétien dans le contexte des années. Au terme de la saison du catéchisme, l’enfant est censé avoir mémoriser les 429 formules et devra être
capable de les réciter : le contenu, l’objet de la foi, et non les sujets de la foi, organise ce plan de l’instruction
chrétienne confinée à trois années dont le but est la Communion solennelle.
§
Le lien intrinsèque entre catéchisme et Communion solennelle maintient une représentation sociale de l’enfant
qui voudrait qu’à 12 ans, celui-ci passe directement du stade de l’enfance au stade adulte et sous-tend une représentation de l’adulte qui voudrait qu’après 12 ans, dans le domaine du croire, point n’est besoin de développer une formation chrétienne permanente. Ainsi, la saison du catéchisme se termine par une cérémonie qui
a pour fonction d’instituer l’enfant comme « chrétien adulte », étant entendu que cet « adulte chrétien » devrait posséder en son terme le bagage requis pour vivre chrétiennement ; en conséquence, « la foi de beaucoup de nos adultes en est restée quant au savoir, au stade de l’enfance ».
§
Le catéchisme apparaît de plus en plus comme « un enseignement scolaire qui propose des notions élaborées
et closes », un « compendium » de connaissances bien éloigné de l’enfant se mouvant dans la culture contemporaine des années 50.
§
La démarche déductive et la méthode répétitive préconisées induisent d’une part que la séance de catéchiste
ne peut que prendre la forme d’un cours magistral ordonnancé selon l’ordre des leçons du manuel, d’autre part
que la démarche du catéchiste ne peut être que celle de l’instruction, c’est à dire présenter d’abord la formule
complète de la vérité et ensuite tenter de l’expliquer, et enfin que la relation entre le/la catéchiste et l’enfant
ne peut que se nouer sur le mode « question - réponse », la primauté étant donnée au mot.
Derrière ce constat, se cachent les soucis de nombreux catéchistes devant la véhémence de leurs efforts pour
transmettre la Parole de Dieu auprès de jeunes auditeurs dans une situation de déchristianisation, notamment en
milieu urbain et dans certains diocèses ruraux, situation dont, en 1942, le cri d’alarme de Godin et Daniel, France,
pays de mission est le reflet.
En effet, d’une part, le catéchisme en vigueur reste fort éloigné des nombreux essais de renouvellement des méthodes catéchétiques antérieures à son édition, notamment des premières approches de l’adaptation à l’enfant des
abbés Louis Hénin et Charles Quinet (1913), des perspectives ouvertes par le catéchisme biblique de Mgr Eugène
Charles (1930), des premiers apports de Marie Fargues sur les méthodes actives au catéchisme (1931) ainsi que de
l’approche liturgique de Françoise Derkenne (1935).
D’autre part, ses auteurs n’ont pas mesuré qu’après la découverte des conséquences de la réduction de l’homme à
l’objet durant la Guerre de 39-45, les chrétiens attelés à la reconstruction de la société, voyaient dans la valorisation du sujet l’une des conditions d’un mieux vivre-ensemble.
Enfin de nombreux catéchistes estiment que les apports de la psychologie de l’enfance et de l’adolescence, voire
de l’Education nouvelle et des méthodes actives, permettraient de rendre plus efficace leur agir catéchétique56.
55
Devise du Père Jh Colomb.
Catéchése 06-07
21
Fort de la réflexion et de l’agir catéchétique des Marie Fargues, Hélène Lubienska de Lenval et Françoise Derkenne
ainsi que de ceux qui lui étaient proches tels Jean Vimort et Georges Duperray, Joseph Colomb, à cette époque
directeur du CNER, fait paraître son Catéchisme progressif en 1950 avec tout le « bagage anthropologique,
théologique et pédagogique » qui permet aux catéchistes de se former pour l’utiliser.
Les enjeux anthropologiques
La Parole de Dieu s’adresse à l’homme. « Dire la Parole de
Dieu » n’est pas à priori amener les enfants aux sacrements
ou à la Communion Solennelle, mais « éveiller peu à peu en
l’enfant l’acte de foi libre qui pousse à les recevoir » (Les
conditions et préoccupations permanentes d’un enseignement religieux, 1957). Si catéchiser, c’est éduquer à un
acte d’intelligence de la Parole de Dieu en vue d’une adhésion à cette Parole, qui favorise l’agir chrétien et la participation à la vie paroissiale, notamment à la liturgie, l’acte de
foi est de l’ordre de l’expérience, « une action réfléchie qui
permet à l’homme d’acquérir le sens de sa situation existentielle dans la totalité du monde, des autres et de
Dieu »57.
Cette expérience
§ mobilise tout l’être humain, le sensible, le rationnel
comme le relationnel, dans un double mouvement, moi
vers autrui et autrui vers moi, situé dans un milieu sociologique et dans une relation communautaire,
§
se réalise tout autant qu’elle s’exprime, à travers des
concepts, un langage et des rites et prend forme et ampleur dans le temps et l’espace, tout en se situant dans
une histoire.
Catéchisme progressif,
Lyon, Vitte, 1950,
− tome 1 : Parlez, Seigneur,
− tome 2 : Dieu parmi nous,
− tome 3 : Avec le Christ Jésus.
Guide du Catéchisme,
Catéchisme progressif,
Lyon, Vitte, 1950,
− tome 1 : Parlez, Seigneur,
− tome 2 : Dieu parmi nous,
− tome 3 : Avec le Christ Jésus.
Aux sources du catéchisme,
Histoire sainte et liturgie,
Paris-Tournai, Desclée et Cie, 1946-47,
1 : Au temps de l’Avent : la promesse,
2 : De Noël à Pâques : la vie de Jésus,
3 : De Pâques à l’Avent : le Christ glorieux
et l’histoire de Jésus.
La doctrine de vie au catéchisme,
Paris, Desclée et Cie, 1953,
1 : Vie nouvelle et nouveau Royaume,
2 : Combat spirituel et soucis de l’Eglise,
3 : Portrait du chrétien et loi de charité.
Le/la catéchiste
Pédagogue, il/elle respecte le développement de la pensée humaine et invite l’enfant à une adhésion à la Parole de
Dieu et à une participation à la vie ecclésiale. Fidèle à sa mission ecclésiale et animé du sens de la présence spirituelle, du sens de l’admiration, du sens de la prière et de l’amour, signe de l’amour de Dieu, du sens du progrès et
du respect, il/elle prend du temps pour se former afin d’acquérir les connaissances intellectuelles pour aborder sereinement l’acte catéchétique et comprendre les facteurs de progression chez l’enfant et l’adolescent ainsi que pour
vivre à l’aise sa tâche d’éducateur/d’éducatrice au sein de la vie d’un groupe d’enfants.
L’enfant progresse
Il/elle est un être en devenir qui vit d’abord avec son corps, autant avec les sentiments et l’imagination qu’avec la
raison, et grandit dans un milieu de vie. Après l’enfance, il devient adolescent, puis jeune adulte et il convient de
penser une catéchèse pour ces saisons de la vie.
56 Cf. dans La Documentation Catéchistique, les comptes-rendus des Congrès nationaux de l’enseignement religieux de 1955
et 1957.
57 Jh Colomb, Le Service de l’Evangile, Manuel catéchétique, Paris, Desclée, 1968, T.1, p. 16
Catéchése 06-07
22
Les enjeux théologiques
Se plaçant dans la perspective de l’histoire du Salut, Joseph Colomb souligne que la Parole de Dieu est révélée,
c’est à dire qu’elle « exprime toujours un événement, un être, et par-delà Dieu lui-même, créateur et sauveur »58.
Révélation à la fois prophétique et apostolique, elle est, avant d’être une doctrine, un message proposé à l’homme
responsable et libre. C'est pourquoi « provoquer à la réponse de la foi », c’est à dire favoriser la réponse de
l’homme à Dieu qui fait « signe » est le but de la catéchèse.
Cette réponse personnelle trouve son fondement sur des faits et des connaissances et s’exprime à travers des attitudes et des rites. Ainsi, si un message est une parole entre deux, une interpellation qui suscite une réponse personnelle, une adhésion à…, la révélation prend forme dans une doctrine, un ensemble de vérités, que le/la catéchiste est chargé/ée de transmettre. Toutefois, la Parole de Dieu, est réalisée dans la chair59 : le oui de Marie, rencontre contextualisée entre la Parole de Dieu et une parole humaine, n’implique-t-il pas que l’enfant de sa chair, ce
Jésus de Nazareth, devenu Christ ressuscité, soit celui en qui et par qui l’acte d’amour de Dieu se réalise et
s’exprime ? Or si la Parole de Dieu est le Verbe incarné, notre catéchèse ne peut être que la catéchèse du Christ.
Mais si cette dernière reste stable, la catéchèse ne peut faire abstraction des exigences nouvelles de la mentalité
moderne, des changements sociaux, des besoins et aspirations de l’homme contemporain tout comme elle ne peut
ignorer les découvertes et les acquis des sciences humaines et théologiques, notamment en exégèse. Ainsi
« l’Eglise se doit de l’annoncer [la catéchèse du Christ], de la déployer selon les exigences mêmes de sa mission et
de son « incarnation » dans une humanité qui se déploie elle-même en toutes directions »60.
En affirmant cette contextualisation de la catéchèse, Joseph Colomb se
situe en harmonie avec la perspective qu’Yves Congar développe dans Les
voies du Dieu vivant : « Nous entrons pour y prendre rang, dans cette
sorte d’incarnation que le Verbe de Dieu veut trouver dans le temps, en
chaque moment du temps, comme sur chaque point de l’espace, pour
faire porter tout son fruit à son Incarnation unique survenue en un moment précis du temps et en un point de l’espace ».
Une telle approche nécessite de ne pas confondre la mission du théologien
avec celle du catéchiste : si le théologien a pour mission de favoriser la
compréhension du donné révélé en le rendant intellectuellement intelligible, celle du catéchiste est de transmettre ce donné en tenant compte des
capacités des personnes à le recevoir et des conditions sociologiques environnantes, de telle manière que celui-ci « aide à la conversion soit un
équipement spirituel et assure une orientation d’âme ».
Les enjeux didactiques
La catéchèse des enfants puise ses sources dans la liturgie, la Bible et l’histoire du peuple chrétien.
§
Au niveau de l’acte d’enseignement : d’une part l’histoire et la liturgie sont en soi un document religieux, vivant
et d’autre part le développement de l’histoire tout au long du parcours lié au cycle liturgique - l’histoire des
personnes de l’Ancien et du Nouveau Testament et sur leurs actions -, puis de l’histoire de l’Eglise, a pour but
de favoriser la compréhension progressive de formulations plus abstraites, parce que l’histoire enseigne les
dogmes à travers les personnes et les actes vécus.
§
Au niveau de l’acte d’apprentissage : d’une part la liturgie permet à l’enfant de vivre un acte d’apprentissage
qui se noue dans le mouvement de toutes ses potentialités, physiques, intellectuelles et affectives, et d’autre
part l’histoire à travers la liturgie favorise un acte d’intelligence qui invite à une expérience personnelle de
l’enfant, inscrite dans la durée d’une relation à Dieu dans une communauté.
58 Ibid., p. 16.
59 Ibid., p. 19.
60 Ibid., pp. 19-20.
23
Catéchése 06-07
« En de telles expériences se découvre la possibilté du neuf. Un espace
s'ouvre, qui permet de percevoir le
réel autrement, qui rend possible un
nouveau regard sur le monde et sur
ce qui s'y passe, où s'offre une invitation à agir autrement, de manière
inédite et à passer à une pratique
alternative.
Il est donc possible de voir le monde
autrement que par nos habitudes,
mais cela implique que l'expérience
révélatrice conduit à une réinterprétation neuve, joyeuse, salutaire de
notre propre identité, au prix d'une
désintégration de notre identité
routinière.
Dans chaque expérience révélatrice
se produit un passage bouleversant,
une pascha, qui nous fait passer d'une
intégration acquise, routinière et acritique, à travers une désintégration, à
une réintégration avec une orientation
nouvelle. Chaque expérience implique
conversion, révision de vie, réorientation. »
Edward SCHILLEBECKX
L’histoire des hommes, récit de Dieu,
Paris, Ed. du Cerf, 1992, Cogitatio
Fidei 166, pp.55-56
Pas de compréhension sans expérience humaine et croyante (61)
« L’homme croyant […] sera celui qui aura fait une expérience personnelle
du christianisme et que la Parole de Dieu ramène sans cesse à cette expérience personnelle du christianisme pour la creuser plus profondément »62.
S’il est un pivot à partir duquel Joseph Colomb élabore sa démarche catéchétique, c’est bien celui d’expérience en effet, dès 1946, dans La grande
pitié de l’enseignement chrétien, il conçoit l’expérience comme le point de
départ de la méthode inductive de la pédagogie catéchétique63.
Il n’accorde pas au terme d’expérience le même sens que Claude Bernard
sur laquelle ce dernier a fondé sa méthode expérimentale : à partir d’une
formulation d’hypothèse, dégager une conclusion prédictive qui va être vérifiée par l’expérience, dont les résultats sont ensuite intégrés dans
l’hypothèse de départ. Cette « expérience pour démontrer » est de l’ordre
de l’expérimentation.
Dès 1952, dans la préface de La doctrine de vie au catéchisme, Joseph Colomb nous conduit dans un autre domaine : « Il m’est impossible de comprendre un livre qui me parle de montagnes ou de vallées, si je n’ai pas vu
de mes yeux et parcouru les unes et les autres dans mon pays, si je n’ai pas
l’expérience de ce qu’est une montagne (au moins une colline) et une vallée »64. L’emploi de la première personne signe l’aveu ; à partir de son
épreuve de la montagne, son lieu favori de détente, Joseph Colomb nous
conduit dans le domaine de l’expérience telle que la définit Jean Guy Nadeau : « Fruit d’une connaissance personnelle directe, (chèrement) gagnée
à travers gestes, émotions, impressions ( au sens d’être imprimé par), participation aux événements, etc. »65.
Dans son Education fonctionnelle, Edouard Claparède s’inscrit dans la même lignée, en concluant sur des soucis
éducatifs très proches de ceux de Joseph Colomb : « Chaque jour nous nous instruisons de quelque manière. […]
Toutes ses acquisitions nouvelles, ce ne sont pas des connaissances qui viennent se plaquer sur nous comme un
vêtement. Elles consistent en un progrès intime de notre être, de notre personnalité, de notre conduite, de nos
possibilités de réaction, de notre ajustement aux circonstances, de notre pouvoir sur le monde ambiant. C’est ce
processus naturel et actif d’acquisition de connaissances que j’appelle expérience, par opposition à l’acquisition
passive, par transfert externe, qui n’est qu’un emmagasinage restant superficiel, et le plus souvent inefficace »66.
Dans l’expérience de la montagne, l’épreuve se mêle à l’éprouvé : l’épreuve liée à l’effort physique et l’éprouvé
émotionnel et cognitif qu’engendre le regard vers les cimes. Or, comme le souligne Jean-Guy Nadeau, « éprouver
la réalité et s’éprouver soi-même passent par la conjonction de dynamiques sensibles et de dynamiques rationnelles »67. C’est ce qui distingue le récit d’expérience de la narration d’un vécu.
En 1968, dans Le Service de l’Evangile, Joseph Colomb précise sa notion d’expérience humaine : « le résultat d’une
activité qui nous met en relation de connaissance, d’activité, d’affectivité avec les autres et avec nous-mêmes, et
ainsi nous enrichit et nous transforme »68. Il la fonde sur cinq critères69 :
61 Jh Colomb, Le Service de l’Evangile, T.1, p. 235.
62 Ibid., p. XIII.
63 Jh Colomb, La grande pitié de l’enseignement chrétien, Petit Clamart, Document du Centre « Jeunesse de l’Eglise », p. 33.
64 Jh Colomb, La doctrine de vie au catéchisme, Paris, Desclée et Cie, 1953, T.1, p. 16.
65 Jean-Guy Nadeau, Education permanente, 100/101 (1989), p. 98
66 Edouard Claparède, L’éducation fonctionnelle, Paris, Delachaux et Niestlé, 1950, 3e édition, p. 197.
67 Jean-Guy Nadeau, « Un modèle praxéologique de formation expérientielle », Education permanente, n°100/101,
1989, p. 98.
68 Jh Colomb, Le Service de l’Evangile, T.1, p. 235.
69 Ibid., pp. 235-238.
Catéchése 06-07
24
§
l’expérience mobilise tout l’être humain, elle se noue sur « tous les plans d’être : sensible, scientifique, philosophique, religieux » ;
§
elle est le fruit d’un double mouvement, moi vers autrui et autrui vers moi, situé dans une relation à une communauté ou un milieu sociologique ;
§
elle se réalise, tout autant qu’elle s’exprime, à travers des concepts, un langage et des rites ;
§
elle prend forme et ampleur dans le temps et l’espace70 et se situe dans une histoire, à partir d’un passé qui
engendre la capacité de réagir dans le futur ;
§
non simple vécu relaté, mais action réfléchie, elle permet « à l’homme d’acquérir le sens de sa situation existentielle dans la totalité du monde, des autres et de Dieu ».
Quand il se situe dans la perspective catéchétique, Joseph Colomb spécifie l’expérience humaine en parlant
d’expérience religieuse71, d’expérience de vie religieuse ou d’expérience de la vie chrétienne, voire d’expérience de
la vie chrétienne catholique. Cette distinction n’implique pas qu’il y aurait une expérience religieuse distincte, se
situant en plus ou à côté de l’expérience profane72. L’expérience religieuse est une expérience particulière, partie
intégrante de l’expérience humaine. S’appuyant sur André Vergote73, il souligne que si l’existence est une existence
avec les autres et avec Dieu, « l’expérience religieuse est seulement la prise de conscience du sens total et définitif de l’existence ».
Avec l’expérience religieuse, Joseph Colomb nous invite à entrer dans l’ordre de « l’expérience pour interpréter »,
c’est à dire dans ce mouvement qui permet de passer « d’une expérience « donnée », d’une action « spontanée »
à une expérience et une action guidée par l’esprit, « inspirée » par le moyen de la réflexion et d’un enseignement
plus ou moins méthodique »74, à l’image du Christ qui s’adressant aux Juifs éclaire l’expérience religieuse de
l’Ancien Testament, tout en les provoquant, par ses gestes, sa parole et ses actions, à faire l’expérience d’une foi
nouvelle75. A travers cette approche de l’expérience religieuse, il nous conduit, « fidélité à Dieu, fidélité à
l’homme » obligent, sur les chemins de l’Incarnation ; en effet, aussi bien dans l’Ancien que dans le Nouveau Testament, la Parole de Dieu n’a pris forme sans que l’homme ne lui prête le terreau de son existence comme moyen
d’expression car « jamais la Révélation ne tombe du ciel pour communiquer aux hommes du dehors et d’en haut
des mystères transcendants. Dieu parle à l’homme de l’intérieur du monde et à partir de ses propres expériences
humaines »76.
Tout en reconnaissant le caractère éminemment personnel de l’expérience humaine77, il souligne que cette dernière
« dépend des milieux de vie profane, de la famille, du quartier, de la profession, etc. … »78. Ainsi l’expérience
n’est pas réductible à une équation personnelle car elle est élaborée et nommée dans un contexte
social et culturel donné. Cette reconnaissance du caractère collectif tant de l’élaboration de l’expérience que de
sa réception est très proche de l’approche de Jean-Guy Nadeau quand celui-ci relève que l’expérience « est sociale,
contextuelle, et culturelle, aussi bien que personnelle »79.
Pour Joseph Colomb, c’est la communauté paroissiale qui devrait assurer le terreau original et spécifique de
l’expérience particulière qu’est l’expérience religieuse car « l’expérience religieuse ne naît et ne s’enrichit que dans
et par une communauté de chrétiens »80. Préoccupé par l’éducation religieuse des enfants, Joseph Colomb souligne qu’il « n’y a point d’éducation possible, en effet, sans que l’expérience de l’adulte, sous la forme ordonnée qui
70 Ibid., p. 237.
71 Jh Colomb, La doctrine de vie au catéchisme, T.1, pp. 16-20.
72 Jh Colomb, Le Service de l’Evangile, T.1, p. 241.
73 André Vergote, Lumen Vitae, 2 (1964), p. 210 ; Jh Colomb, Le Service de l’Evangile, T.1, p. 236, note 2.
74 Jh Colomb, Le Service de l’Evangile, T.1, pp. 241-242.
75 Ibid., p. 243.
76 Urs von Balthasar, Parole de Dieu et liturgie, Paris, Ed. du Cerf, p. 86.
77 Jh Colomb, Aux sources du catéchisme, Histoire sainte et liturgie, Paris-Tournai-Rome, Desclée et Cie, 1946-47, T.1, p. 9.
78 Jh Colomb, La doctrine de vie au catéchisme, T.1, p. 17.
79 Jean-Guy Nadeau, art. cit., p. 98.
80 Jh Colomb, La doctrine de vie au catéchisme, T.1, p. 18.
Catéchése 06-07
25
est la sienne, ne s’en vienne au-devant de l’expérience de l’enfant pour l’informer et l’assimiler à elle-même »81. Le
propos éducatif est clair : c’est au catéchiste d’aller au devant de l’expérience de l’enfant car l’éducation se noue
dans un mouvement d’expérience à expérience, ou plus précisément dans la rencontre des expériences,
l’expérience de l’enfant et l’expérience de l’adulte, l’expérience du catéchisé et l’expérience du catéchiste. Nous ne
sommes plus ici dans le simple modèle de la transmission de connaissances et/ou de savoir-faire, mais dans un
processus d’attention à la personne qui évolue, à l’enfant qui prend sa forme dans le va-et-vient de son expérience
humaine et croyante avec celle du/de la catéchiste : « Il n’y a pas d’un côté la vie et de l’autre des connaissances
qui ne sont pas la vie ; il y a, il doit y avoir de chaque côté une expérience vivante ; chez l’enfant, une expérience
ou du moins une possibilité élémentaire qui demande à grandir, à s’organiser, à se réfléchir ; chez l’adulte, une
expérience réfléchie, organisée, dont le programme est l’expression qui veut se donner à l’enfant : la réponse enrichit la demande, celle-ci souvent n’étant pas capable de se formuler.
On ne part pas de l’enfant seul, on ne le prend pas pour guide,
ce n’est pas lui, ses exigences formulées, qui détermine la qualité et la quantité des matériaux qu’on lui présente ; on ne part
pas davantage uniquement de la connaissance, de la vie des
adultes, avec le souci de l'imposer ensuite à l'enfant, mais on
part des deux à la fois et c'est leur synthèse qui est
éducative.
En connaissant l’enfant, je perçois ses possibilités actuelles, et
je fais un choix dans le programme d’adulte ; en connaissant le
programme de la communauté d’adulte, je sais où je dois
aboutir, et je peux orienter comme il convient la croissance de
l’enfant. La vie de l’enfant sans l’enseignement des adultes,
c’est le tâtonnement et le désordre ou l’étiolement même de la
vie. L’enseignement des adultes sans la vie de l’enfant et ses
possibilités, c’est l’incompréhension, le formalisme et encore
l’étiolement de la vie »82.
« Il s’agit de nous débarrasser de l’idée funeste
qu’il y aurait opposition entre l’expérience de
l’enfant et les divers sujets qu’il rencontrera au
cours de ses études. Il faut voir que l’expérience
de l’enfant renferme déjà en elle-même des
éléments – faits et vérités – de même nature
que ceux que contiennent les études élaborées
par la raison des adultes ; et, ce qui importe
davantage encore, il faut montrer comment elle
renferme les attitudes, les mobiles, les intérêts
qui ont opéré le développement et l’organisation
des programmes agencés. Et d’autre part, il
s’agit d’interpréter ceux-ci comme le résultat
organique de forces à l’œuvre dans la vie de
l’enfant, et d’y découvrir les moyens de donner à
l’expérience insuffisante de l’enfant une maturité
plus riche. »
John Dewey, Expérience et éducation,
Paris, Armand Colin,1968, Coll. U2, pp 97-98.
C’est chez John Dewey que Joseph Colomb a puisé ses références pour proposer cette démarche catéchétique
construite sur l’expérience. Dans Plaie ouverte au flanc de l’Eglise, il fait appel à l’Ecole et l’enfant83 tandis que
dans La doctrine de vie au catéchisme, il conseille aux catéchistes de lire Expérience et éducation84. L’auteur du
fameux « Learning by doing » est l’un des pères de l’apprentissage par l’expérience. Il distingue l’expérience empirique de l’école traditionnelle, par « essais et erreurs », de l’éducation progressive qui, centrée sur l’acte de comprendre, prend appui sur « une philosophie de l’expérience, par l’expérience, pour l’expérience »85.
Envisager l’apprentissage comme une relation entre l’expérience de l’enfant et celle de l’enseignant, mobilisée par
le programme d’études, telle est la démarche d’acquisition de connaissances que propose John Dewey, démarche
progressive qui associe l’action et la pensée, où « la connaissance résulte d’une réflexion cognitive opérée sur une
expérience »86.
Par l’expérience, la réflexion se construit sur l’action qui ensuite la valide, permettant ainsi à l’enfant de développer
ses potentialités motrices et cognitives, voire émotionnelles, et d’acquérir un savoir-être social.
S’il convient ici de parler d’un « apprentissage expérientiel », selon l’expression reprise par Mathias Finger87, nous
suggérons de qualifier l’expérience de l’enfant « d’expériencé » : un savoir appréhendé dans l’épreuve du quoti81 Jh Colomb, Plaie ouverte, p. 94 ; « Nécessité de l ‘Enseignement didactique », p. 26.
82 Jh Colomb, Plaie ouverte au flanc de l’Eglise, Lyon, Vitte, 1954, p. 96-97.
83 Jh Colomb, Plaie ouverte au flanc de l’Eglise, p. 94.
84 Jh Colomb, La doctrine de vie au catéchisme, T.1, p. 18, note 2.
85 John Dewey, Expérience et éducation, Paris, Armand Colin,1968, Coll. U2, pp. 67-72.
86 Mathias Finger, « Apprentissage expérientiel ou formation par les expériences de la vie ? » in Education permanente
100/101 (1989), p. 40.
87 Matthias Finger, art. cit., p. 39.
Catéchése 06-07
26
dien, révélé dans une démarche d’apprentissage en vue de l’acquisition de savoirs nouveaux ou de la réappropriation de savoirs acquis, étant entendu que la compréhension, vérifiée dans l’action, est l’indicateur de ce mouvement d’acquisition / réappropriation.
Si pour John Dewey, « éduquer, c’est avant tout donner aux ressorts intérieurs qui sont l’apanage de chaque être
vivant et qui constituent sa personnalité même, l’occasion de jouer, de se réaliser »88, pour Joseph Colomb, c’est à
partir
§
de l’expériencié de Dieu que l’enfant, de manière induite, construit ou reconstruit cognitivement et affectivement tout autant son savoir sur Dieu que sa relation à Dieu,
§
de l’expériencié de la faute que l’enfant va acquérir la loi morale et la notion de péché,
§
de l’expériencié de la messe du dimanche que vont progressivement se développer chez l’enfant les dispositions nécessaires à la pratique dominicale.
Ainsi, Joseph Colomb se situe en étroite proximité avec John Dewey. C’est à partir des expériences que l’enfant a
réalisées et qu’il réalise au cours des séances de catéchisme qu’il acquiert les savoirs – connaissances, savoir-faire
et savoir-être – dont il a besoin pour vivre une relation à Dieu et aux autres, pour s’intégrer dans « l’Ecclesia » et
vivre en chrétien dans son environnement, pour y faire des expériences porteuses de sens, c’est à dire de direction
et de signification pour lui et les autres. Il n’est pas possible pour le catéchiste de dire à l’enfant les mots qu’il faut
au moment où il le faut et cela malgré toute sa bonne volonté. Face à cette utopie, l’expérience du catéchiste tout
comme l’expérience de l’enfant sont des espaces de médiation qui permettent aux mots, non d’engendrer des
maux, mais de susciter une parole qui « fait du sens », une parole croyante, et un agir relationnel emprunt des
valeurs évangéliques : « Que le catéchiste ait toujours présent à la pensée que son enseignement, du moins que
l’ordre de son enseignement, n’est que le moyen pour mieux éclairer l’expérience de vie chrétienne actuelle et préparer l’expérience future. Ce n’est pas le résumé à apprendre, la formule à apprendre qui est intéressante, c’est la
vie religieuse qu’elle vise à faire comprendre »89.
Reconnaissons que cette approche de l’expérience garde encore aujourd’hui une certaine actualité.
§ Quand Joseph Colomb appréhende l’expérience comme un mouvement mettant en jeu la globalité de la personne, Dietmar Mieth souligne que l’homme expérimenté « ne connaît pas seulement le monde par ouï-dire,
mais parce qu’il a été là, a vécu, souffert, agi avec les autres, a rassemblé dans son propre corps des connaissances par l’essai, l’épreuve, l’erreur et la confirmation »90.
§
Là où Joseph Colomb y perçoit, non un simple vécu relaté, mais un espace d’interprétation d’une histoire personnelle porteuse de sens et d’avenir, Jean-Guy Nadeau, dans la démarche praxéologique, « insiste sur la dimension interprétative de l’expérience qui passe par le monde particulier que nous habitons, le langage que
nous avons reçu, les histoires qui nous ont été racontées, repères fondateurs parmi d’autres qui font que les
évènements auxquels nous participons deviennent générateurs d'expérience »91.
§
Quand Joseph Colomb souligne que l’expérience prend forme et ampleur dans le temps et l’espace, Denis Pelletier nous invite, dans les processus d’orientation scolaires et/ou professionnels, à donner toute sa valeur au
« kairos » des personnes, ce temps évènementiel qui rythme le « chronos », ce temps chronologique qui permet à chacun d’écrire le roman de sa vie et d’élaborer un projet pour l’à-venir92.
Les enjeux pédagogiques
§
L’enseignement fonctionnel, qui respecte le développement de la pensée humaine, prend le besoin de
l’enfant, expression de l’intérêt, comme levier de l’activité pédagogique et de la progressivité de l’acte catéchétique.
88 Edouard Claparède, in John Dewey, Expérience et éducation, Paris, Armand Colin,1968, Coll. U2, p. 14.
89 Jh Colomb, Plaie ouverte, p. 195.
90 Dietmar Mieth, « Vers une définition du concept d’expérience », Concilium, 133 (1978), p. 58.
91 Ibid., p. 98.
92 Denis Pelletier lors d’une conférence donnée à l’Université Marc Bloch de Strasbourg le 23 avril 1999.
Catéchése 06-07
27
§
La valeur pédagogique de l’acte catéchétique ne réside pas dans sa richesse de vérités, mais dans le fait qu’il
est adapté à l’expérience religieuse des enfants et qu’il permet à ces enfants de faire une expérience religieuse.
§
Les méthodes actives, articulées sur la liturgie, se nouent dans une démarche qui part, non de définitions, mais
des faits, bibliques notamment, pour aller à la formule plus abstraite et conduire à l’agir chrétien.
§
La causerie hebdomadaire est le lieu et le moment d’une expérience humaine et croyante, l’acte catéchétique
devant conduire les enfants à l’insertion dans une communauté chrétienne.
Les enjeux ecclésiologiques
Centrée sur le ministère de la Parole, la catéchèse par la liturgie prépare au catéchisme des adultes qu’est la liturgie elle-même ; ce faisant, elle insère progressivement l’enfant dans une communauté paroissiale et l’initie à la
démarche croyante inscrite dans un double mouvement : dans l’histoire du peuple de Dieu auquel il appartient et
dans une progression qui va de la petite enfance vers l’âge adulte, selon les étapes propres à chaque saison de la
vie. Dans cette approche se dessine l’abandon du catéchisme comme instruction et comme « pédagogie du chameau »93, au profit d’une éducation à la foi pensée et réfléchie comme une action pastorale : « Le retour aux sources a fortement contribué à faire comprendre (tout comme le retour à une théologie plus existentielle) que le but
de la catéchèse n’est pas à proprement parler de transmettre des connaissances, mais d’éduquer la foi ; or la foi
ne s’arrête pas à des connaissances ; elle est réponse à Dieu qui nous parle… La catéchèse présente donc Dieu
dans sa parole, à travers les signes de sa parole, à travers le Christ et à travers l’Eglise sacrement du Christ. »94
La quête de renouer avec « l’efficacité du catéchisme » a obligé Joseph Colomb à penser la catéchèse en pédagogue. Il a refusé de réduire sa démarche à un simple aggiornamento méthodologique95. En élaborant sa pensée
catéchétique, il a essayé, tant bien que mal, contre vents et marées, de proposer une éducation à la foi vive. Si
élaborée soit-elle, cette éducation à la foi ne peut se vivre comme une activité ecclésiale pensée pour elle-même,
se déroulant à côté d’autres activités. Joseph Colomb a trop souvent dénoncé le fonctionnement du catéchismeinstitution, se mouvant pour lui-même sans autre lien avec la paroisse que de celui de préparer à la Communion
Solennelle.
En effet, dès 1948, Joseph Colomb regrettait la place infime accordée au catéchisme dans la vie paroissiale .
« Chez les prêtres eux-mêmes, la leçon de catéEn 1953, il publie Les paroissiens au catéchisme paroissial. Le titre
chisme est dévalorisée : on la sacrifie aux œuvres,
de ce petit opuscule en dévoile d’emblée l’enjeu : « paroissiens »
aux réunions, quand ce n’est pas à la direction
et « catéchisme paroissial » indiquent clairement les liens à créer
d’un cinéma ; on la sacrifie à la conduite des morts
ou revitaliser entre catéchisme et paroisse : « Il ne suffit même
au cimetière ».
pas de remarquer que le catéchisme est une institution de la comLa grande pitié de l’enseignement chrétien, pp. 8
munauté ecclésiale, qu’elle exprime un des soucis les plus aigus de
et 21- 23.
toute communauté vivante : à savoir, le souci de transmettre son
idéal à ceux qui vont prendre la relève, et qu’ainsi une paroisse
Pour un catéchisme efficace, pp. 20-22.
dont les membres ne se préoccupent pas d’instituer un catéchisme
Les paroissiens au catéchisme paroissial, Lyon,
efficace, ne saurait être une paroisse vivante, j’entends vivante
Office Catéchistique, 1953.
comme communauté religieuse. Mais ce que vous devez com« Les grandes orientations du mouvement catéprendre d’abord, c’est ceci : à travers les catéchistes, c’est vraichétique français au regard de Vatican II », Catément la communauté paroissiale qui fait le catéchisme, parce que
chèse 29 (octobre 1967), pp. 421-439.
c’est elle, sa façon de se conduire, qui exerce la plus grande influence au catéchisme même ».
93 « Celle qui consiste à accumuler les savoirs… en supposant qu’ils serviront bien un jour ou l’autre à quelque chose». Philippe
Meirieu, Frankenstein pédagogue, Paris, ESF, 1996, p. 99.
94 Jh Colomb, Catéchèse, n°29 (1967), p. 425. Voir également « Les grandes orientations du mouvement catéchétique français
au regard de Vatican II », Catéchèse, n°29, octobre 1967, p. 425.
95 Jh Colomb, « Les grandes orientations du mouvement catéchétique français au regard de Vatican II », Catéchèse 29 (1967)
p. 430.
Catéchése 06-07
28
Derrière cet enjeu d’accorder toute sa place au catéchisme / à la catéchèse dans la pastorale, la gestion de la
communauté paroissiale, nous percevons bien combien pour lui, pastorale et catéchèse sont liées et combien il y a
obligation de penser et mettre en œuvre « une catéchèse qui veut rejoindre la communauté chrétienne » :
« Il fallait retrouver la vérité de la catéchèse : celle-ci devait être reliée plus étroitement à la catéchèse de toute
l’Eglise, à toutes les formes éducatrices de la foi qui sont dans l’Eglise. Un mouvement centripète avait depuis
longtemps trop fermé le catéchisme sur lui-même et l’avait, en particulier, coupé de la communauté familiale et
paroissiale… ».
Une telle approche du catéchisme ne fait pas l’unanimité au sein des catholiques de France. Joseph Colomb
devient la cible des catholiques traditionalistes pour qui ne riment pas progrès et tradition, progressivité dans la
présentation de la Parole de Dieu et intégrité de la doctrine : à travers lui, ces catholiques visent tous ceux et toutes celles qui tentent de réformer le catéchisme tant dans sa forme que dans son fonds, notamment Jeanne-Marie
Dingeon, François Coudreau, les artisans des fiches Vérité et Vie... Leurs arguments ne laissent pas indifférents
une partie des Evêques de France et sous la pression du Saint-Office, fin 1957, Joseph Colomb est évincé de toutes
ses responsabilités dans le Mouvement catéchétique français.
Une mission d’un caractère tout pastoral
En 1960, Catéchèse naît. La transformation de La Documentation catéchistique en la revue Catéchèse marque
une césure dans l’histoire du catéchisme catholique en France : elle consacre le passage de « catéchisme » à
« catéchèse ». Le liminaire de son premier numéro dresse le bilan de ce passage sémantique qui ne se réduit pas
à un aggiornamento méthodologique.
La catéchèse est
§
une mission de l’Eglise, « d’un caractère tout pastoral qui consiste à transmettre la doctrine du salut en vue de
nourrir la foi des croyants dans des conditions particulières de personnes, de temps et de lieu ».
§
une activité pastorale centrée sur l’éducation de la foi, qui implique une réflexion et une démarche pédagogiques qui portent « une attention constante aux personnes et à leurs possibilités concrètes d’accueil du savoir
religieux ; c’est tenir les yeux ouverts sur les conditions d’âge, de milieu en fonction desquels la pédagogie va
préciser ses lois et ses méthodes ».
Ancré dans la même dynamique, André Liégé précise que
§
la catéchèse qui s’origine dans la Parole de Dieu, avant d’être un enseignement de Dieu ou sur Dieu, dont le
but est de rendre présent à l’homme cette parole,
§
la transmission de cette parole ne peut se faire en dehors d’une prise en compte de la subjectivité collective de
l’Eglise,
§
la catéchèse induit « un dialogue de consentement à la foi et d’engagement personnel de vie ».
Comment ne pas voir et comprendre que dans cet avènement du mot catéchèse se trouve l’abandon définitif du
catéchisme comme instruction au profit d’une éducation à la foi pensée et réfléchie dans un cadre pastoral ?
Dès 1960, l’Assemblée Plénière de l’Episcopat de France éprouve le besoin de donner de nouvelles orientations à la
catéchèse autour d’un directoire qui, s’il n’a pas force de loi devait impulser une unité dans les pratiques catéchétiques françaises par sa promulgation par ordonnance de chaque évêque dans son diocèse. En 1963, le Directoire de Pastorale Catéchétique, document de 203 articles, est approuvé par l’Assemblée plénière de
l’Episcopat ; il prend pour fil conducteur le message de Paul VI : c’est l’Eglise qui fait elle-même son unité et son
orientation, cette « Eglise spirituelle et visible, fraternelle et hiérarchique, aujourd’hui temporelle et demain éternelle »96.
96 Ouverture de la 2e session du Concile Vatican II.
Catéchése 06-07
29
Les enjeux anthropologiques
La dominante du sujet croyant émerge autour de cinq items : la foi est don de Dieu, connaissance, conversion,
action par la charité et lieu de l’espérance. Si chaque homme doit par la catéchèse découvrir sa vocation personnelle de chrétien dans l’Eglise, il grandit par la connaissance et l’intelligence de la Parole de Dieu tout autant que
par le cœur et l’apostolat dans l’exercice de responsabilités sociales et ecclésiales. Face à ceux qui craignent la référence à la psychologie comme trop envahissante dans l’acte catéchétique, ce document opère un savant dosage
entre ceux et celles qui insistent sur la foi comme réponse personnelle de l’homme (Art.10) et ceux et celles qui y
voient avant tout un don de Dieu (Art. 13).
Les enjeux théologiques
Si le salut a été « la grande affaire, l’unique affaire » des catéchismes tripartites, le mystère du salut, dont l’histoire
a une signification toujours actuelle, reste l’objet de la catéchèse et le « mystère du Christ » en constitue la place
centrale. Toutefois, l’objet de la catéchèse est résolument christocentrique : « en devenant homme parmi les
hommes, le Fils du Père a révélé l’amour du Père. Dans la mort et la résurrection du Christ s’est déployée la puissance du Père. Le mystère pascal contient tout le salut des hommes » (Art.19). Cette orientation reflète bien les
travaux menés à cette époque sur la condition chrétienne, dont l’ouvrage d’André Liégé Vivre en Chrétien est l’un
des témoins.
Les enjeux ecclésiologiques
Manifestant la volonté d’une unité ecclésiale dans les pratiques catéchétiques, ce document présente une quatrième partie construite en quatre chapitres qui cernent les responsabilités catéchétiques des uns et des autres :
l’évêque, maître de la catéchèse - les parents, premiers éducateurs - les coopérateurs de l’évêque : les prêtres et
les catéchistes - les structures paroissiales.
La catéchèse est une mission apostolique de l’Eglise : c’est la communauté d’Eglise qu’elle professe et qu’elle célèbre qui offre à la catéchèse son fondement (Art.8). Dans son objet et dans son développement, immergée dans
l’existence et l’actualité de l’Eglise, « elle est la fonction pastorale qui transmet la Parole de Dieu pour éveiller et
nourrir la foi » (Art. 4).
Cette approche induit trois conséquences :
§ toute catéchèse doit annoncer le mystère de Jésus-Christ tel qu’il est reconnu, célébré et vécu dans la foi de
l’Eglise,
§
la catéchèse est liée à la liturgie et au témoignage par la charité,
§
tout chrétien est responsable de l’annonce de l’Evangile.
Cette approche pastorale consacre le sous-titre des premiers numéros de Catéchèse : revue de pastorale catéchétique. Partant, le document opère une distinction entre démarche théologique et démarche catéchétique : si la
théologie est l’étude scientifique du donné révélé, la catéchèse est de l’ordre de la formation de la vie de foi des
catéchisés, « démarche avant tout pastorale » (Art. 46).
Les enjeux didactiques
« Ecriture sainte », liturgie, vie de l’Eglise et règle de la foi -symboles et définitions dogmatiques- sont les sources de la catéchèse par lesquelles l’Eglise transmet et exprime sa foi. Nous retrouvons ici ce qui est en germe dans
le Mouvement catéchétique depuis de nombreuses années. L’un des apports de ce document est un essai de distinction entre catéchèse et enseignement religieux (Art. 44). Si « tout acte de l’Eglise est porteur de catéchèse »,
en pastorale, il convient de distinguer trois fonctions : royale (la vie de charité), sacerdotale (la liturgie) et prophétique (le ministère de la Parole). De l’ordre de la fonction prophétique, la catéchèse est ministère de la Parole, médiation de parole humaine qui actualise la Parole de Dieu ; toutefois, l’enseignement religieux reste le mode privilégié de catéchèse, à savoir une institution stable qui rassemble des croyants et présente la synthèse des connaissances de foi selon des méthodes appropriées.
Catéchése 06-07
30
Les sujets de l’acte catéchétique
Le/la catéchiste est un éducateur / une éducatrice de la foi (Art. 155) associé à la mission de l’Eglise, au service de
la communauté chrétienne : sa tâche est de transmettre les mystères révélés, tâche pour laquelle il doit posséder
les connaissances doctrinales et les compétences pédagogiques indispensables et donc être formé.
La division des étapes de la catéchèse en « les tout-petits, avant l’âge de raison », « la catéchèse des enfants » et
« la catéchèse des adolescents » souligne que la progressivité dans l’acquisition des connaissances sert la croissance de la foi et invite les catéchistes à tenir compte des âges psychologiques. La notion de progressivité, terme
qui n’est pas employé, mais qui apparaît dans le non-dit, fait maintenant partie des acquis et le lecteur peut se
rendre compte que ce Directoire, en la matière, fait sienne les recherches catéchétiques entreprises depuis les années 40.
Les enjeux pédagogiques
Le Directoire est peu disert sur ce point. Le catéchiste est invité à trouver dans la vie de l’enfant des réalités, événements humains ou religieux, qui soient pour lui signes de réalités spirituelles. Cette quête de rester proche de
l’expérience de l’enfant s’inscrit dans la ligne pédagogique initiée par Joseph Colomb (l’expérience) et Françoise
Derkenne (Les centres d’intérêt). Remarquons qu’au chapitre « la catéchèse des enfants », le vocabulaire oscille
entre catéchèse, enseignement religieux et catéchisme : même si la distinction entre enseignement religieux est
établie, que penser ici de l’emploi du vocable « catéchisme » ? Résistances face à la nouveauté ? Représentations
trop prégnantes de l’acte catéchétique ? Simple manque de précision ?
31
Catéchése 06-07
4. - Une expérience humaine et croyante
Ressources bibliographiques
ADLER Gilbert, « Vers un catéchisme universel », Etudes, juillet-août 1987, pp. 95-104.
ADLER Gilbert et VOGELEISEN Gérard, Un siècle de catéchèse en France, 1893-1980, Paris, Beauchesne, 1981,
Collection Théologie historique 60.
ALBERICH Emilio, La catéchèse dans l’Eglise, Traduction de Jean-Pierre BAGOT, Paris, Les éditions du Cerf, 1986
AVANZINI Guy (s/dir.), La pédagogie au 20e siècle, Toulouse, Privat, 1975.
BRODEUR Raymond et ROUTHIER Gilles, (s/dir.), L’enseignement religieux : questions actuelles, Ottawa–Paris–
Bruxelles, Novalis–Cerf–Lumen Vitae, 1996.
COKE Mary, Le mouvement catéchétique de Jules Ferry à Vatican II, Paris, Le Centurion, 1988.
COUDREAU François, La foi s’enseigne-t-elle ? Réflexions et orientations pour une pédagogie de la foi, Paris, Le
Centurion, 1974.
DEWEY John, Expérience et éducation, Traduction et présentation par M.A. Carroi, Paris, Armand Colin,1968, Collection U2.
DUGUET Serge, « Nouveaux parcours catéchétiques », Etudes, octobre 1981, pp. 395-410.
FOSSION André, La catéchèse dans le champ de la communication. Ses enjeux pour l’inculturation de la foi, Paris,
Les éditions du Cerf, 1990, Cogitatio Fidei, 156.
LIEGE Pierre-André, Allez, enseignez, Paris, Le Cerf, 1979, Coll. Dossiers Libres.
MEIRIEU Philippe, Le choix d’éduquer, Ethique et pédagogie, Paris, ESF éditeur, 1991, 2e édition.
MOINGT Joseph, La transmission de la foi, Paris, Fayard, 1976.
WACKENHEIM Charles, La catéchèse, Paris, PUF, 1983, Que sais-je ? 2049.
.
1966, la « Pédagogie des signes »
Le projet d’un nouveau catéchisme national s’inscrit dans un programme de structuration du Mouvement catéchétique français proposé à l’Assemblée Plénière de l’Episcopat en 1960, dont la publication du Directoire de pastorale
catéchétique a été le premier acte. Aux yeux du Président de la Commission Episcopale de l’Enseignement Religieux, Mgr Ferrand, il y a urgence d’assurer une nouvelle unité dans le Mouvement catéchétique face au constat
« d’une prolifération de manuels, de fiches, de feuillets dans laquelle il est parfois difficile de discerner l’ivraie du
bon grain »97.
Approuvé en octobre 1966 par l’Assemblée Plénière de l’Episcopat et publié en 1967 dans la revue
Catéchèse n°29, ce Nouveau Catéchisme National prend assise sur deux pôles :
§ le Fonds obligatoire à l’usage des auteurs d’adaptations (F.O.), sous-titré Catéchisme français du cours moyen,
§
les manuels d’adaptation de ce Fonds aux diverses situations des enfants catholiques élaborés par sept équipes
d’auteurs, agréées par la Commission Episcopale de l’Enseignement religieux.
S’adressant avant tout aux « équipes d’adaptateurs », ce Fond est consacré aux enfants du cours moyen de l’école
élémentaire.
Pour les 6e/5e, un Document de base est approuvé et des manuels d’adaptations sont parus durant les années
1971-72. La structuration par niveaux scolaires révèle que les auteurs ne sont plus guidés par le souci de la Com-
97 Catéchèse 29, (1967), Introduction à la publication du Fond obligatoire.
Catéchése 06-07
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munion solennelle, mais par celui d’une éducation tout au long de la période scolaire ; mais par ailleurs, n’induitelle pas la volonté de mettre en avant l’enseignement religieux dans l’acte catéchétique.
Les enjeux anthropologiques
Sans rien négliger de la progression selon les âges, la finalité de l’acte catéchétique ici mise en avant est de nature
anthropologique : « Catéchiser, c’est d’abord préparer un terrain humain pour que la Parole de Dieu soit entendue » souligne André Polaert dans le n° 27 de Catéchèse précédent la publication du Fonds obligatoire.
Deux aspects qui, s’ils ne sont pas nouveaux, servent désormais de base à l’acte catéchétique.
Le recours à l’expérience humaine comme fondement du rapport
entre les activités humaines et le sens donné à la vie ; ainsi « le catéchisme, pour ne pas dissocier la foi et la vie, doit apprendre à
l’enfant à reconnaître le sens chrétien
des valeurs de la vie quotidienne et le sens chrétien de sa propre
expérience spirituelle » (F.O. partie 1, ch. II, & 4,a).
La recherche de médiations de langage opérationnel et accessible à
la mentalité des enfants contemporains, notamment en fonction de
leur milieu sociologique et ecclésial, afin de faire vivre cette foi
comme une expérience de la rencontre avec Dieu.
Il y a là un parti pris pour accorder une place primordiale au sujet de
l’acte catéchétique, à son « quant à soi » dans un « quant à nous »,
tout en envisageant hic et nunc la réception de la Parole de Dieu.
Les enjeux théologiques
Permettant d’unifier l’histoire du Salut, les « six grandes lignes de
catéchèse » ont pour but de favoriser l’enseignement des aspects
doctrinaux, sacramentels et moraux de la foi chrétienne en vue de
permettre aux enfants d’atteindre une synthèse cohérente de leur
foi.
§ Dieu nous conduit ensemble vers lui,
§
Dieu nous révèle son mystère et le mystère de l’homme,
§
Jésus se manifeste aux hommes et annonce la Bonne Nouvelle,
§
Jésus est Sauveur du monde par sa mort et sa Résurrection,
§
Jésus ressuscité est à l’œuvre dans notre monde,
§
Jésus aime l’Eglise par son Esprit.
Equipe de l’ISPC : Qui es-tu Seigneur ?
aux enfants qui ont le niveau scolaire normal.
Equipe région parisienne : Amis de Dieu,
aux enfants de milieux déchristianisés de
culture simple ou pauvre.
Equipe de la région apostolique du
Midi : En suivant Jésus-Christ et Ecoute ô
mon peuple pour les enfants des milieux
ruraux ayant déjà reçu une éducation chrétienne.
Equipe de la Région Centre-Est : Marche
en ma présence et Vous serez mon peuple
aux enfants de milieu urbain, ayant reçu une
initiation chrétienne, mais peu soutenus par
leur entourage familial.
Directeurs de l’Enseignement religieux
de diocèses ruraux et Mission de
France : aux enfants des milieux ruraux
déchristianisés, manuels, Telle est notre foi :
1- Rencontrons Jésus Christ et 2- JésusChrist, qui es-tu ?
Equipe de Paris XXe : Je fais le catéchisme, Jésus Frère de tous, Chrétiens partout pour les enfants urbains, non initiés en
milieu déchristianisé.
Equipe d’Ivry : pour les enfants de milieu
urbain, peu chrétien, pas de manuel, mais
un « matériau » assurant le lien étroit entre
le catéchisme et la famille.
Chacune des six lignes est reprise chaque année selon d’une part la progressivité des enfants et d’autre part la
distinction entre théologie et économie, c’est à dire en première année la perspective trinitaire à partir du symbole
baptismal et en seconde année la perspective du Salut comme don de Dieu.
Les enjeux ecclésiologiques
L’Eglise est la quatrième orientation de ce catéchisme. Elle n’y est pas présentée sous son aspect institutionnel,
mais comme l’épiphanie du Christ Ressuscité et lieu d’action de l’Esprit. Nous reconnaissons ici l’apport de la constitution Lumen Gentium et retrouvons les trois caractéristiques de la théologie de Vatican II :
§ l’Eglise est présence au monde, un peuple de Dieu,
§
l ’Eglise est un peuple animé par l’Esprit du Christ,
§
l’Eglise est pour le monde le témoin et l’instrument du salut apporté par Jésus-Christ.
A partir de cette option, le document insiste sur la place et le rôle de l’Eglise comme réponse aux besoins et aux
problèmes du monde moderne ; s’inscrivant dans cette perspective d’assurer une présence au monde, en allant
Catéchése 06-07
33
vers le monde, la catéchèse apporte sa contribution à la construction de l’Eglise et à sa présence dans la société
sécularisée des années 60-70.
Les enjeux didactiques
Trois grandes orientations se dégagent de chaque ligne directrice :
§ une orientation liturgique, source permanente de l’enseignement : elle a tout autant pour but de conduire les
enfants vers la liturgie et y favoriser leur participation que de leur permettre d’approfondir les sacrements,
notamment le baptême, la confirmation, la pénitence et l’eucharistie,
§
une orientation biblique qui a pour objectif de favoriser d’une part, la découverte de la Parole de Dieu, « une
révélation concernant Dieu, l’homme et le dessein du salut », et d’autre part, l’inscription dans l’histoire du
Peuple de Dieu,
§
l’existence quotidienne est l’élément de base qui facilite le lien entre la vie et la foi, entre ce qui est vécu et
enseigné, notamment aux niveaux des valeurs, du comportement chrétien et du commandement de l’Amour.
Comment ne pas reconnaître ici la reprise des recherches didactiques des pionniers du Mouvement catéchétique ?
Le/la catéchiste
§
Son attention se portera d’abord sur l’expérience de l’enfant pour en dégager les signes, avant de se porter sur
le message à transmettre.
§
Le plan de sa séance n’est plus la démarche « lire - faire réciter- assurer la mémorisation », mais, dans la
conduite de la causerie, il doit favoriser le mouvement « nommer l’expérience - dire la révélation - assurer le
retour à l’expérience croyante », ce qui se traduira dans le manuel En suivant Jésus-Christ par « Regardons la
vie des enfants – Réfléchissons avec eux – Ecoutons la Parole du Seigneur – Comprenons ce que dit le Seigneur – Indications pour la prière ».
Les enfants
D’une part, le Fond obligatoire prend acte que les enfants ne vivent pas dans un monde uniforme : si des garçons
et des filles vivent dans un environnement chrétien, très nombreux sont ceux et celles qui viennent au catéchisme
sans aucune expérience de la vie en Eglise, d’où l’importance accordée à l’expérience humaine comme point de
départ de l’expérience ecclésiale. D’autre part, les enfants évoluant dans une société sécularisée marquée par
l’indifférence religieuse, sont appelés à intérioriser des attitudes de foi plutôt que d’accumuler des connaissances.
Les enjeux pédagogiques
La pédagogie des signes constitue l’apport le plus original du Fond obligatoire. Elle est construite sur un double
axiome :
§ présenter les signes que Dieu fait pour le révéler, dans l’Eglise et l’histoire du salut,
§
éduquer le regard qui permet de lire les signes de Dieu en créant chez l’enfant les conditions d’une disposition
d’accueil à la révélation de Dieu.
Il ne s’agit pas de réduire les signes à des faits, mais de mettre en relief la communication entre Dieu qui se manifeste dans les signes et l’enfant, le croyant, qui découvre le signe de la présence et l’intention de Dieu. Cette approche pédagogique est la conséquence cohérente des enjeux précédents, notamment de la volonté permanente
de créer des liens entre la vie et la foi.
Si cette pédagogie des signes, élaborée à partir de l’existence quotidienne relue comme expérience humaine et
croyante, consacre définitivement le déplacement opéré par la préoccupation du sujet, à savoir le passage de
l’objet à croire vers le sujet croyant, elle valorise les manifestations humaines de l’environnement des enfants
parce qu’elle y reconnaît en arrière fond l’esprit en Dieu en action. Le groupe catéchétique y est perçu comme un
lieu et un temps où se nomme l’interprétation des signes, considérés comme des réponses des hommes à l’appel
de Dieu, et où se dit et se célèbre le salut qui se réalise dans la pâte humaine.
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Lire les signes de la foi, c’est découvrir le sens de l’existence humaine, telle est l’une des approches du
Fonds obligatoire de 1966. Centré l’agir catéchétique sur l’existence, de l’existence humaine à l’existence chrétienne, permet de mettre en valeur une double reconnaissance :
§ d’une part, reconnaître la place du sujet, le chrétien dans l’Ecclesia,
§
d’autre part, reconnaître la vie concrète comme lieu de reconnaissance du don de Dieu, hic et nunc.
Une bonne illustration de cette approche se trouve dans l’un des manuels issus du Fonds obligatoire : le manuel de
l’Equipe région parisienne destiné aux enfants de milieux déchristianisés de culture simple ou pauvre : Amis de
Dieu.
Ouvrons le livre du catéchiste, cours moyen 1.
Dans l’introduction générale, le/la catéchiste est invitée à
§ « porter une attention plus grande au milieu de vie de l’enfant et spécialement à l’expérience des enfants afin
d’y découvrir les valeurs vécues qui sont une préparation évangélique et peuvent être éclairée par la Révélation ainsi que les limites et les souffrances qui manifestent le besoin d’être sauvé…
§
être attentif aux signes de l’éveil de leur foi, pou acheminer chacun vers les sacrements quand ils donnent des
signes suffisants de foi et maturité spirituelle et lorsque la communauté chrétienne est prête à les accueillir…
§
découvrir tout le positif de leur vie, tout ce qui peut les valoriser…
§
faire exprimer aux enfants ce qu’ils vivent pour ensuite leur révéler le message chrétien en liaison avec cette
vie et dans leur propre langage, d’où l’importance donnée à l’expérience humaine… »98
Après ces conseils didactiques, les auteurs valide le rôle de l’expérience humaine en catéchèse99 à deux niveaux :
1. Niveau pédagogique : « Tout catéchiste, pour accrocher et retenir l’attention des enfants, a le souci de
partir du concret, de donner des exemples, d’employer des comparaisons, et ainsi de rejoindre la vie des
enfants ».
2. Niveau théologique : « La Révélation humaine fait appel à certaines réalités humaines et s’en saisit pour
s’exprimer. Quand le Christ nous dit : « Le Père lui-même vous aime », il fait appel à notre expérience
d’êtres aimés et à celle des relations entre parents et enfants. »
Ainsi la séance 9, Jésus est la sauveur du monde que Dieu nous donne a pour but de présenter aux enfants l’expérience de l’apôtre Saint Jean, afin de révéler que c’est Jésus seul qui peut nous délivrer du péché et
nous faire vivre en enfants de Dieu. Son titre dans le manuel de l’enfant est « Qui viendra m’aider ? ».
Le mouvement didactique de cette séance part de l’expérience de l’enfant : que veut dire être sauvé pour les enfants de cet âge ? permettre aux enfants de répondre quelques exemples viennent à l’appui : « quand papa prend
le martinet et qu’il le pose sans me taper, je pense, je suis sauvé… Ma petite sœur était très malade ; le docteur l’a
emmenée à l’hôpital, on l’a bien soignée, elle est sauvée… » .
A partir des paroles d’enfants, le/la catéchiste met en valeur l’expérience de l’enfant qui a besoin d’être aidé par
quelqu’un pour arriver la comparaison « Jésus me sauve » et « quelqu’un m’aide ». L’enfant est alors invité à faire
un dessin sur le thème « Un jour quelqu’un m’aidé à faire quelque chose que je ne pouvais pas faire tout seul ».
La causerie est ensuite menée à partir des récits évangéliques concernant Jean-Baptiste pour conclure avec le manuel de l’enfant « Jésus est le sauveur que Dieu nous donne ».
Cette promotion de l’expérience humaine du catéchisé pour aller vers l’expérience croyante, dans « une catéchèse
qui rejoint ses auditeurs »100, va à la rencontre, pour une bonne part, de l’approche de l’expérience de Joseph Colomb ; dans le numéro de Catéchèse 29 consacré au « Nouveau catéchisme », celui-ci ne soulignait-t-il pas que
« la théologie elle-même, davantage nourrie de l’Ecriture, influencée par ailleurs par une philosophie plus personnaliste, plus existentielle, réapprenait à présenter le mystère chrétien d’une façon plus vivante, en y incluant davantage l’anthropologie, c’est à dire en devenant plus fidèle à la loi de l’Incarnation. Elle insistait davantage sur
98 Bernard Descouleurs et alii (s/dir.), Amis de Dieu, 1, Livre du catéchiste, Lyon, Vitte, 1976, p.V-VI.
99 Ibid., p. VI et VII.
100
Joseph Colomb, Catéchèse, n° 29 (1967), p. 427.
Catéchése 06-07
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l’essentiel du Mystère chrétien, et en particulier redonnait sa place à la Résurrection, au mystère de la communauté ecclésiale »101.
En écho, au moment où le Fond obligatoire paraît, André Polaert souligne que « catéchiser, c’est d’abord préparer
un terrain humain pour que la Parole de Dieu soit entendue ; préparer ce terrain humain, c’est miser sur
l’anthropologie, d’abord comme science humaine conditionnant la catéchèse, et en second lieu, comme recherche
d’un sens humain à travers des médiations de langage accessibles à la mentalité de nos contemporains, enfin
comme point de départ d’un cheminement existentiel vers la vérité, afin que la Parole de Dieu atteigne l’homme,
non seulement dans son comportement extérieur, mais dans ses schèmes de pensée, au cœur même de sa vie,
dans ses aspirations »102.
Cette dynamique de la transmission du message évangélique élaborée sur une démarche qui part de l’expérience
humaine pour aller vers le croire, se situe dans la perspective du rapport Eglise-monde des années 60-70 : l’Eglise
présente au monde.
Si durant les années 40-50, le rapport Eglise-Monde se noue encore dans une perspective de rechristianisation
(Nous referons chrétiens nos frères), durant les années 60-70, le rapport Eglise-Monde se développe dans une
perspective de présence de l’Eglise au monde : à travers le quotidien et les évènements tout autant qu’à travers la
participation des chrétiens aux changements sociaux de cette époque, il s'agissait de lire les signes de la présence
de l’Eglise dans le monde.
Au sein des mouvements d’Action catholique, les pratiques de relecture de l'agir des militants par la révision de vie
permettaient de revivifier l'engagement de chacun au nom de l'Evangile. « Voir », lire les évènements de la vie,
« juger » confronter sa parole sur les événements à la Parole de l'Evangile, permettait, dans ce mouvement de
relecture de l’expérience humaine pour aller vers la foi, d’humaniser le quotidien et de donner un souffle chrétien à
l’action dans une perspective de progrès, d'espérance et de partage. La révision de vie tenait lieu d’espace de proclamation du message évangélique, message de facture christologique.
Cette manière de penser et de vivre la rapport Eglise-monde a représenté pour beaucoup de prêtres un renouvellement de leur ministère : il s’agissait à présent de se situer dans une perspective d’accompagnement des laïcs.
Pour les laïcs, elle représentait une prise de conscience de leur vocation baptismale et de la valeur missionnaire de
leur action dans le monde et dans le siècle : « présence de l'Eglise dans le monde » signifiait qu’il s'agit d'aller
vers, et non de faire venir, c'est à dire de permettre aux valeurs chrétiennes portées par les chrétiens d'aller à la
rencontre des valeurs humaines portées par des non-chrétiens. Dans l'esprit de "Gaudium et Spes", l'ouverture au
monde se comprend comme un accueil des valeurs dont le monde est porteur, tandis que "Lumen Gentium" redéfinit l'Eglise à partir du sacerdoce commun de tous les baptisés.
La publication de ce Fond obligatoire et des manuels d’adaptation avait suscité enthousiasme et soulagement chez
ceux et celles qui, au quotidien, se retrouvaient devant de charmantes petites têtes enfantines, souvent bien incultes des choses de la foi : ils y voyaient d’une part un souffle nouveau, conciliaire, tant dans le contenu du message à transmettre que dans la manière de le transmettre et d’autre part, la reconnaissances des intuitions pédagogiques qu’ils mettaient en œuvre en se demandant s’ils respectaient bien leur fidélité à l’Eglise. Bien sur, il y a eu
les inévitables grincements issus des milieux traditionalistes… Mais ce document s’inspire des constitutions du
Concile Vatican II et les évêques de France restent solidaires d’un document qu’ils ont approuvé.
Avec le recul du temps, il convient de reconnaître qu’en utilisant ces nouveaux manuels, malgré les soirées et sessions de formation, beaucoup de catéchistes n’ont pas trouvé les ressorts nécessaires pour concrètement assurer
les liens entre la vie et la foi, entre l’expérience proprement humaine et l’expérience croyante.
Fin des années 70, les statistiques tenues par le CNER sur l’état de la diffusion des manuels d’adaptation fait apparaître une érosion constante au fil des ans. Cette érosion peut être attribuée à la baisse du taux de catéchisation.
Mais, d’autres statistiques sur la diffusion des revues d’enfants et de jeunes auxquelles le CNER collabore, font apparaître également durant ces années 70 une érosion de diffusion de ces revues. La catéchèse n’est pas seule en
cause. Cette érosion témoigne du problème de la présence au monde de l’Eglise catholique, et plus spécialement
101
Joseph Colomb, Catéchèse, n° 29 (1967), p. 424.
102
André Polaert, Catéchèse, n° 27 (1967).
Catéchése 06-07
36
dans la société française : si des enfants et des jeunes revendiquent la quête d’un sens à leur vie, en cette période
des années 1968, le sens chrétien ne s’impose plus à priori comme le suppose la présente démarche catéchétique
à travers la surestimation de l’expérience humaine comme lieu d’expérience croyante.
1979, « de la profession de foi à la profession de foi »
A l’orée des années 80, la Conférence épiscopale française éprouve le besoin de retravailler les grandes lignes de la
catéchèse des enfants en tenant compte de l’évolution de la société et des mutations sociales et culturelles. En
effet, dès 1975, lors d’une réunion de la Commission Nationale de l’Enseignement Religieux, Mgr Orchampt souligne « qu’en période où le monde est en crise, où la plupart des valeurs, même les plus sacrées, sont inconsidérément remises en question au nom de la liberté, si bien que beaucoup ne savent plus à quoi se référer, en une période où le danger ne vient certes pas d’un excès de dogmatisme, mais plutôt de la dissolution doctrinale et du flou
de la pensée, il nous semble qu’un effort devrait être entrepris avec courage pour donner au peuple chrétien, qui
l’attend plus qu’on ne le croit, une base solide, exacte, facile à retenir »103.
Conférence
Episcopale
Française,
Si en 1976, la Conférence épiscopale française a adopté des jalons destinés à préLa catéchèse des enfants,
ciser l’action de pastorale catéchétique dans un proche avenir, c’est en 1977 qu’elle
texte de référence,
met en chantier ce qu’elle approuvera en 1979 sous le titre de « Texte de réféParis, Le Centurion, 1980.
rence, normes pour l’initiation chrétienne des enfants de 8-12 ans (CE5e) ».
Notons qu’on ne parle pas de normes pour la catéchèse, ni de catéchisme, mais d’initiation chrétienne ; ainsi, le
Texte de Référence prend acte de ce qui était en germe dans l’article 78 du Directoire de 1963 : le catéchiste se
doit d’aider l’enfant et le jeune à entrer dans un monde nouveau pour lui et étranger à son expérience humaine.
La préparation de ce document a fait l’objet d’un réel travail en équipe au Centre National de l’Enseignement Religieux104.
Une consultation sur deux projets a engendré plus de 1000 amendements, sans compter les amendements des
Evêques produits avant son adoption105. Nous y percevons, par les instances de la catéchèse, la volonté d’associer
les catéchistes à un texte qui engage leur avenir à l’instar de ce qui se joue dans la société sous le terme de participation des citoyens. Pour l’avenir, un tel mouvement nous paraît irréversible si nous voulons que les chrétiens, ici
les catéchistes, soient réellement acteurs des choses qui les concernent.
Enfin parmi les soucis qui ont présidé à la rédaction de ce document106, relevons que ce texte qui est voulu comme
une étape dans l’histoire de la catéchèse, est conçu comme un cahier de charges en continuité avec la réflexion du
Magistère, notamment par les liens constants avec Catechesi Tradendae.
Les enjeux anthropologiques
L’action catéchétique s’exerce dans un monde en évolution, tel est le constat qui ouvre le premier chapitre. Si cette
approche s’inscrit étroitement dans la ligne de la constitution Gaudium et Spes qui met l’accent sur le fait que
l’Eglise se situe dans le monde, participant à ses espérances et à ses angoisses, elle rappelle également que la
catéchèse est une activité pastorale et donc nécessairement contextualisée.
Son contexte est
§ le monde des enfants, un monde non indifférencié, dans lequel ceux-ci sont en quête du nécessaire équilibre à
cet âge qui va leur permettre de se situer dans les divers groupes qu’ils fréquentent, de trouver des réponses
au « comment » qui va les sécuriser devant les multiples options scientifiques, techniques et éthiques qui
s’offrent à eux, un monde où l’incroyance est le fait de la majorité d’entre eux ;
103
BICNER 54/8 (1975), 332.
104
Sous la direction de Mgr Gilson et du secrétaire de cette équipe, Gérard Reynal.
105
Catéchèse 79 (1980), p.80.
106
Pierre Gervaise, Catéchèse 79 (1980).
Catéchése 06-07
37
§
la société française façonnée d’un univers de valeurs remises en question et de quêtes d’identité, dans laquelle le monde de l’éducation traverse trois mutations : mutations de la famille, mutations de l’école et mutations de l’Eglise.
Si la catéchèse qui est « cette activité de l’Eglise qui consiste en une éducation par étapes à la foi et en un approfondissement de cette foi », dans cette société, l’institution catéchétique qui assure cette activité, relève d’un
« service public ecclésial ». Neuve, cette notion de « service public ecclésial » signifie que, tout en ayant à l’esprit
les traditionnelles motivations des parents catholiques à voir leurs enfants suivre le catéchisme, face aux mutations
sociales, lieu d’évangélisation autant pour les parents que pour les enfants, l’institution catéchétique ne peut faire
l’impasse sur les problématiques contemporaines à partir desquelles l’homme et la femme posent leur rapport à la
vérité et apportent des réponses à leur quête d’identité, pas plus qu’elle ne peut faire l’impasse sur les conditions
opérationnelles (l’insertion dans une communauté ecclésiale dans laquelle peut se vivre une expérience croyante)
dans lesquelles elle promeut l’acte catéchétique.
Le enjeux théologiques
« Le Christ est à la fois le Médiateur et la Plénitude de la Révélation. C’est pourquoi le christocentrisme commandera la catéchèse » (§221), tel est l’axe théologique qui innerve tout le document, reprenant ainsi l’option du Directoire de 1963. Cet axe s’appuie tout autant sur la constitution conciliaire Dei Verbum que sur le texte des Evêques de France promulgué un an auparavant Il est grand le mystère de la foi.
Cet axe se développe dans une perspective globale qui est de l’ordre d’une réflexion sur le « Mystère du Salut ». Si
la démarche de foi du chrétien s’incarne dans la reconnaissance de la Révélation de Dieu en Jésus-Christ ressuscité
(En Jésus de Nazareth, le Verbe s’est fait chair), elle s’inscrit et s’écrit dans l’histoire d’un peuple avec lequel Dieu a
fait alliance. Il y a ici en filigrane le constat que les enfants chrétiens qui côtoient des enfants de religions nonchrétiennes, sont appelés à vivre le respect des autres croyances tout en étant capables de nommer l’originalité de
leur foi et d’exprimer en quoi elle est source d’espérance.
Cette Révélation, « norme de la foi » (§222) n’est pas uniquement un dépôt à conserver ; histoire du Salut qui se
fait dans et par le peuple de Dieu, devenant histoire actuelle, elle engendre une dynamique humaine et croyante
construite sur trois dimensions : distance, appel et chemin : « En créant une distance, la Révélation lance un appel au croyant. Elle lui ouvre un chemin qu’il explorera sous la conduite de l’Esprit en accomplissant la Parole de
Dieu. Dans une recherche persévérante, il découvrira la permanente nouveauté de la Parole prononcée » (§2222).
Les enjeux ecclésiologiques
L’Eglise s’intéresse à tout ce qui fait grandir l’homme, tout ce qui fait progresser l’enfant dans une société où la
dimension spirituelle vient à s’estomper. Elle n’élabore pas une doctrine à propos du Christ-Jésus, elle vit de sa
présence et elle permet sa rencontre ; c’est en approchant Jésus de cette manière, avec les outils conceptuels,
pédagogiques et relationnels, en communauté d’Eglise, qu’il est possible de saisir le mystère de sa personne et de
le rencontrer tel qu’il est pour nous aujourd’hui. Ainsi, la profession de foi n’est pas du seul ordre de l’adhésion
intellectuelle, mais engendre un engagement ecclésial construit sur le dialogue et la conversion.
Les enjeux didactiques
La catéchèse de l’enfance repose toujours sur la présence structurée du mystère du Christ, sur la célébration liturgique et sacramentelle et sur le témoignage. Située dans le temps et dans un contexte social, elle prend racine
dans la profession de foi d’une communauté chrétienne : « elle part de la profession de foi et mène à la profession
de foi » (§211 et §31).
Quatre conséquences indissociables s’en dégagent :
§ La catéchèse respecte le cheminement de l’enfant, prend en compte les spécificités de la maturation humaine
et croyante liées aux saisons de la vie,
§
la catéchèse prend la forme d’un cheminement, qui propose à l’enfant en groupe de vivre lui même un cheminement,
§
la catéchèse est un acte de transmission en ce sens qu’elle offre les moyens d’accès aux textes fondamentaux,
favorise leur appropriation et permet de les reconnaître comme Parole de Dieu,
Catéchése 06-07
§
38
la catéchèse est lieu d’expérience, à la fois lieu où se nomme l’expérience humaine et lieu d’expérience d’une
vie ecclésiale et croyante.
Les sujets de l’acte catéchétique
sont des « personnes » en devenir dans leur foi. Véritable cheville ouvrière de ce dispositif, la/le catéchiste est invité d ‘abord à vivre avec l’enfant d’aujourd’hui avant d’envisager le chrétien de demain. Témoin de ce qui se vit
dans sa communauté ecclésiale, il a pour mission, en posant des repères, d’accompagner les enfants dans cette
démarche qui part de la profession de foi et mène à la profession de foi. Enfin, il est le responsable du lieu catéchétique qui doit permettre aux enfants, à coté d’autres lieux catéchétiques que peuvent être la famille, le mouvement d’action catholique…. de trouver un milieu de foi animé par la foi des adultes. Accueil, communication, réflexion et activités assurent la validité de ce lieu d’Eglise.
Les enjeux pédagogiques
Permettre à l’enfant d’accueillir la Parole de Dieu et de discerner Dieu dans les événements de sa vie nécessite une
démarche catéchétique
§ qui se noue dans un lieu, un lieu catéchétique, où l’enfant puisse faire une expérience ecclésiale,
§
qui est structurée par les sacrements qui manifestent et réalisent le don de Dieu,
§
qui provoque à un comportement transformé par la foi,
§
qui conduit à la célébration du mystère de la foi et aux fêtes de la foi.
Les instruments de cette démarche sont les Recueils de documents, documents qui rendent accessibles aux
enfants les textes de la Foi, la Parole de Dieu et les provoquent à entrer dans le peuple de Dieu afin de continuer à
en écrire son histoire. Ces recueils devront être publiés en tenant compte du caractère original de la Parole de
Dieu, dans un langage adéquat qui permet la structuration de l’enfant, facilite son appartenance dans une communauté et favorise la communication au sein de son groupe catéchétique.
A l’instar de ce qui s’était passé après la publication du Fond obligatoire, ce
Texte de Référence a créé une dynamique nouvelle dans l’espace catéchétique français. Les catéchistes se rencontraient dans des soirées ou des journées de formation : ces hommes et ces femmes se sentaient reconnus dans
leur mission et trouvaient dans ce document une approche de la Révélation
qui permet de présenter effectivement l’annonce de Jésus-Christ comme
une Bonne Nouvelle pour leurs contemporains dans le respect des autres
croyances ; ils voyaient également dans la démarche « de la profession de
foi à la profession de foi d’une communauté chrétienne », un enracinement
de la catéchèse qui permet de vivre un cheminement et une expérience de
vie qui tiennent pleinement compte tout autant des spécificités des saisons
de la vie que de la quête de leurs contemporains sur le sens de la vie.
C’est dans cette dynamique que s’est engouffré un courant traditionaliste,
toujours prompt à dénoncer la « dérive naturaliste » de la catéchèse, à poser des interrogations alarmistes telles que « France déchristianisée où vastu ? », à considérer que les publications en matière de catéchèse « altère la
doctrine solennelle définie par l’Eglise » ou « altère la totalité de la Révélation », à estimer que leurs auteurs confondent enseignement et interprétation en « rejetant l’existence d’une vérité absolue, universelle et définitive
accessible à la connaissance de l’homme »…107 Les instances épiscopales
manifestent solidarité avec les parcours qu’elles ont agrémentés…
Des équipes d’auteurs, la plupart du temps issues d’équipes
de catéchistes, se mirent rapidement en chantier pour créer
de nouveaux parcours…
Séquences et Aujourd’hui 6e
à Lyon,
A nous la Parole
en région Centre,
Dis-nous ton nom
à Valence,
Si tu savais le don de Dieu
en région parisienne,
Dis-nous ton secret
à Cambrai.
Dix ans après la publication de
ce Texte de référence, le CNER
identifiait 29 parcours catéchétiques ayant reçu l’agrément
d’évêques français.
107 Sur ces points, nous possédons un dossier sérieux, composé de documents, livres et libelles parus durant ces vingt dernières années.
Catéchése 06-07
39
1980, un coffret de « Pierres vivantes »
Afin d’incarner les orientations du Texte de Référence, les Evêques de France s’adressent en 1980 aux enfants par
« un coffret qui contient des pierres parmi les plus précieuses pour notre foi catholique. Nous connaissons bien la
carrière d’où elles ont été extraites, une carrière unique avec des pierres de trois teintes fondues l’une dans
l’autre : la Bible, l’Histoire et la Prière de l’Eglise »108.
L’objectif de Pierres Vivantes,
recueil catholique de documents privilégiés de la foi qui
allie textes et images, est de présenter la Parole de Dieu qui
« ouvre les chemins de la vie ». L’entrée théologique est celle
de l’Alliance, l’alliance que Dieu établit avec les hommes tout
au long de l’histoire ; ainsi l’enfant des classes de CM est invité
à entrer dans la longue histoire des hommes et des femmes
qui ont fait alliance avec Dieu, celle l’Ancienne Alliance à la
suite de Moïse (Chapitres 1 à 9) et celle de la Nouvelle Alliance
(Chapitres 10 à 28), celle des chrétiens tout au long de
l’histoire (Chapitres 29 à 39), pour entrer et vivre aujourd’hui
dans la communauté chrétienne (Chapitres 40 à 58).
A bien regarder et bien lire, ce document s’éloigne de l’objectif de transmission de la foi pour une démarche catéchétique centrée sur la communication : à travers sa longue marche dans l’histoire, et aujourd’hui à travers la
communauté rassemblée, le peuple de Dieu communique avec Dieu et Dieu communique avec son peuple. Ce regard à partir de la communication engendre une démarche catéchétique construite sur trois enjeux indissociables :
§ la parole croyante naît et s’exprime dans la lecture active de l’Ecriture et la confrontation avec l’Evangile, hic et
nunc dans un contexte social et culturel bien précis, avec des enfants qui expriment leur propre questionnement avec leurs mots (maux ?) et le « back-ground » qui est le leur,
§
cette parole croyante s’élabore à partir du Symbole de la Foi (Texte de Référence, §212), lieu de structuration
par l’altérité dans une démarche d’appropriation autant centrée sur des connaissances que sur des savoir-faire
et des savoir-être,
§
le lieu catéchétique, lieu de cette parole croyante, est création de communauté à travers l’échange, le dialogue, l’expression de valeurs…
Ainsi, s’il ne s’agit plus de transmettre la foi à travers un corpus doctrinal comme celui du catéchisme, mais dans
un lieu catéchétique, symbole des lieux où le peuple de Dieu a expérimenté sa rencontre avec Dieu, il convient
d’annoncer la message évangélique, la Bonne Nouvelle, en vue de la conversion à Jésus-Christ, dans une démarche qui « construit » intellectuellement, affectivement et socialement l’enfant ou le jeune.
108
Pierres Vivantes, édition de 1980, p. 4.
40
Catéchése 06-07
5. - Vers une démarche catéchuménale
Ressources bibliographiques
ALBERICH Emilio et BINZ Ambroise, Adultes et catéchèse, Paris, Le Cerf, 2000.
BINZ Ambroise, MOLDO Robert et ROY Alain-Louis, Former des adultes en Eglise. Etat des lieux, aspect théoriques
et pratiques, Hommages à Gilbert Adler, CH-Saint-Maurice, Editions Saint-Augustin, 2000
BOURGEOIS Henri, Intelligence et passion de la foi, Paris, L’atelier, 2000.
Congrégation pour le Clergé, Directoire Général pour la Catéchèse, Paris, Bayard/Centurion/Cerf, 1977.
DELTEIL Gérard et KELLER Paul, L’Eglise disséminée, Paris, Ed. du Cerf, 1995, Coll. Théologies pratiques.
DERROITTE Henri, La catéchèse décloisonnée, Paris, Lumen Vitae, 2000, Coll. Pédagogie catéchétique 13.
DERROITTE Henri (S/ dir.), Théologie, mission et catéchèse, Bruxelles, Lumen Vitae, 2002.
HERVIEU-LEGER Danielle, Catholicisme, la fin d’un monde, Paris, Bayard, 2003.
REICHERT Jean-Claude, Catéchèse pour temps de rupture. Une lecture initiatique de l’évangile de Marc. Paris,
Bayard, 2002.
ROY Alain-Louis, « Le catéchuménat, une réponse aux enjeux catéchétiques de notre temps », Lumen Vitae,
2006/3, pp. 269-286.
VILLEPELET Denis, L’avenir de la catéchèse, Paris, Ed. de l’Atelier, 2003.
La revue Catéchèse :
165, 4/2001, L’acte catéchétique aujourd’hui.
169, 4/2002, L’acte catéchétique en débat.
172, 3/2003, Catéchèse en mutation I. Actes du colloque de l’Ipsc.
173, 4/2003, Catéchèse en mutation II. Actes du colloque de l’Ipsc.
Constats et questions, mutations et expériences
Des constats et des questions
Dès 1994, le rapport présenté par Mgr Claude Dagens, Proposer la foi dans la société actuelle, souligne une série
de constats qui témoignent des mutations profondes, des lames de fond, qui modifient sérieusement le paysage
religieux ainsi que le rapport de l’Eglise catholique à la société contemporaine.
Dans une société contemporaine où se jouxtent
§ l'athéisme, c’est à dire l’attitude de rejet d'une croyance en Dieu,
§
la déchristianisation, c’est à dire le manque d'adhésion aux rites, dogmes et valeurs éthiques liés au christianisme,
§
la sécularisation, c’est à dire un éloignement du fait religieux dû à un compartimentage entre vie publique et
vie privée, renvoyant toute croyance à la vie privée,
§
une indifférence caractérisée par une profonde hésitation sur le choix des valeurs religieuses,
retenons de ce rapport
§ sur la base d’enquêtes quantitatives : une baisse significative de pratique religieuse et de la sacramentalisation
et une diminution notable des vocations, sacerdotales et religieuses ;
§
sur la base de résultats d’enquêtes d'opinion, qui rejoignent les constats empiriques que font les responsables
des diocèses de France : un éclatement des croyances des français, une distance prises par rapport aux gran-
Catéchése 06-07
41
des affirmations de la foi catholique reçue des apôtres, une perte de la mémoire chrétienne et un effacement
de l’identité catholique, une déchirure du tissu ecclésial et un affaiblissement du degré d'appartenance des
chrétiens.
Ce tableau pessimiste ne doit pas faire oublier les signes d’espérance, que représentent les recommençants et les
catéchumènes.
A ces mutations, il convient avec Gilbert Adler dans sa conférence « Où est la catéchèse » donnée au Québec en
1996 ou avec Henri Derroitte dans son ouvrage La catéchèse décloisonnée109, ou encore à partir des travaux de
René Campiche et de Danièle Hervieu-Léger, à partir de la pertinence qui leurs est propre et à leur manière, de
constater une mutation du croire dont nous retenons ici deux grands axes.
§ L’individualisation des croyances, lesquelles apparaissent aujourd’hui un objet de consommation. Les
« croire » confessionnels avec leurs rites et leur symbolique constituent un stock disponible, « à options libres »110 dans lequel chacun peut puiser au gré de ses émotions, de ses besoins, de ses exigences… Cette individualisation entraîne de facto un affaiblissement notoire des grands systèmes de pensée explicatifs et crée
un fossé entre la symbolique de chaque croyance, que chacun peut s’accaparer à sa guise et à sa manière, et
les institutions « gérante » des croyances. Cette individualisation des croyances s’inscrit dans l’avènement de
l’individu comme sujet, l’une des caractéristiques contemporaines de nos sociétés occidentales.
§
Le pluralisme religieux engendre la question du rapport de l’énoncé de la foi « choisi » par les uns et les
autres à la Vérité. Autrement dit, l’énoncé choisi, n’est-il qu’ expression d’une expérience humaine personnelle
au sein d’un groupe donné, expression d’un groupe d’appartenance certes, ou se réfère t-il à un contenu de
vérités ? Il est aujourd’hui notable que dans le domaine des croyances, nos contemporains admettent de moins
en moins une vérité toute faite, venue d’en-haut ou venue d’une institution. La vérité se construit et sa validation vient de l’expérience humaine personnelle et du groupe dans lequel chaque sujet joue activement un rôle
et participe. Ainsi, comme le souligne Gilbert Adler, « Une pensée juste doit faire la preuve de son ajustement,
de son authenticité, de sa crédibilité, de sa véracité » . Dans le domaine de l’annonce du message évangélique,
chacun vérifiera le brin de cohérence possible entre le dire et le faire.
A ces constats, il convient d’ajouter les questions que pose l’état des lieux de la catéchèse en France que présentait la Commission Episcopale de la Catéchèse et du Catéchuménat à Lourdes en novembre 2001.Nous y relevons
quelques tendances.
Erosion de la catéchisation
Si en 1994, on pouvait constater que sur 2 448 463 enfants scolarisés en classes de CE2 à CM2, 1 032 809 étaient
catéchisés soit un taux de catéchisation de 42,2%. En 2000, soit 6 ans après, à partir de statistiques fournies par
18 diocèses, que l’on extrapole, on admet un taux de catéchisation de +/- 33%.
En analysant les chiffres fournis par ces 18 diocèses (chaque région étant représentée au moins par un diocèse), on
constate une tendance générale à la baisse en passant du taux de catéchisation de 47,98% en 1994 à 38,19% en
2000, soit une diminution de 9,79% ou environ 1,5% par an.
Dans tous ces diocèses, le taux de catéchisation a baissé, mais dans des proportions variées. Le taux de catéchisation du diocèse de Paris a diminué de 1,32 points, soit une diminution de 5,8 d’enfants catéchisés alors que le celui
de certains diocèses de l’Ouest diminue de 15 points, ce qui correspond à une diminution d’enfants catéchisés de
+/- 30%… Hypothèse : les diocèses qui avaient le plus fort de catéchisation, ressentaient-ils le plus les effets de la
déchristianisation ?
On constate que de manière générale, le taux de catéchisation diminue plus en CM1 qu’au CM2. Hypothèse : la
conséquence du fait d’avoir fait sa première communion dispenserait de « continuer le caté », à l’image de ce qui
se passait autrefois après la « communion solennelle », mais dans une proportion moindre…
109
Henri Derroitte, La catéchèse décloisonnée, Bruxelles, Lumen Vitae, 2000.
110
Conférence des Evêques de France, Proposer la foi dans la société actuelle, Paris, Le Cerf, 1994, p. 24.
Catéchése 06-07
42
Augmentation des enfants non-baptisés en catéchèse
Cette augmentation est sensible dans tous les diocèses. Si à Coutances-Avranches, le nombre d’enfants nonbaptisés est de 2,15% par rapport au nombre d’enfants catéchisés, il est de 3,8 à Langres, de 6% à Bordeaux, de
9,9% à Tours et de 10% à Paris. Le rapport souligne que les chiffres sont en général plus élevés en CE2 et CM1
qu’en CM2. Hypothèse : les enfants qui demandent le baptême, seraient plutôt baptisés en CM1.
On constate également que des enfants non-baptisés participent à la catéchèse, mais ne demandent pas le baptême. Hypothèse : soient des parents acceptent que leur enfant soit catéchisé pour des raisons non- éclaircies,
mais excluent le baptême, soit ces parents manquent d’informations sur la proposition de baptême. En effet, une
(forte) proportion de parents des enfants actuellement scolarisés en école primaire n’ont eux-mêmes pas été catéchisés.
Une diminution des ventes des parcours diocésains.
A sa sortie en 1981, Pierres Vivantes a été vendu à 612 622 exemplaires ; l’édition remaniée de 1985 à 198 785 ;
en 1994, 149 227 exemplaires sont achetés, en 1997, 93 287. En 2000, on compte 64 639 exemplaires achetés,
soit en 7 années une diminution de 56,6.
Deux raisons majeures sont évoquées pour expliquer cette diminution :
1. les parcours catéchétiques en usage aujourd’hui font de moins en moins référence à Pierres Vivantes ;
2. Pierres vivantes apparaît comme un manuel trop scolaire, moins attrayant pour les enfants que les nouvelles publications liées à la Bible.
Par contre, on note que ce livre sert occasionnellement à un public pour lequel il n’est pas destiné initialement,
notamment dans des réunions de parents, de catéchumènes, de préparation au mariage…
Les ventes des parcours catéchétiques diocésains entre 1994 et 1999
ont baissé de 9,99% ce qui correspond globalement à la baisse du
taux de catéchisation. Même si en 2000, plus de 600 000 documents
catéchétiques ont été vendus pour la catéchèse des niveaux CE2 et
CM, on constate que ces parcours souffrent d’une inadaptation face à
nouvelles situations qui se développent au niveau des enfants : enfants n’ayant reçu aucun éveil à la foi, enfant arrivant dans des groupes de catéchèse à tout moment, enfants non-baptisés, enfants vivant
des réalités sociales et religieuses fort diversifiées.
Même si ces parcours présentent de bonnes bases pour assurer une
cohérence et une progressivité dans une démarche catéchétique, notamment pour des catéchistes peu chevronnés/ées, certains les jugent
trop contraignants et préfèrent plus de souplesse dans le parcours à
mettre en œuvre.
Enfin, la plupart de ces parcours exigent une formation qu’est loin de
posséder les catéchistes bénévoles dont le renouvellement est fréquent.
Parcours catéchétiques
Eaux Vives (Ouest et CRER)
Trésors de la foi (Centre-Est)
Vers toi, Seigneur
(Lille, Arras, Cambrai)
Telle est notre foi (APCR)
Sur ton Chemin (ACRAM)
A nous ta parole (Centre)
Si tu savais le don de Dieu (Paris)
Entrons dans la danse (ACED)
Cadre particulier du diocèse
de Strasbourg : Terre de Promesses
Des rythmes de la catéchèse qui évoluent
Traditionnellement, la catéchèse des enfants et des jeunes est basée sur la rencontre hebdomadaire en semaine
scolaire (souvent le mardi soir ou le mercredi matin) en petits groupes, avec des temps de rassemblements de ces
petits groupes, souvent trimestriels, voire mensuels, au cours desquels une célébration est prévue. Ce rythme présente l’avantage de la régularité et ne pénalise pas un enfant absent ponctuellement.
De nouveaux rythmes émergent, dus essentiellement à trois raisons :
§
difficultés d’organiser des rencontres hebdomadaires en raison, soit de la concurrence des activités culturelles
ou de loisirs, soit de l’isolement en milieu rural ;
§
découragement de certains catéchistes devant des enfants plus difficiles, dont la violence verbale, voire physiques est une parole qui ne fait pas bon ménage avec le message évangélique ;
Catéchése 06-07
§
43
difficultés de trouver des personnes disponibles pour animer des rencontres catéchétiques hebdomadaires.
Ceci a pour conséquence l’émergence de rythmes mensuel ou bimensuel, sur la base de rencontres de groupes
d’enfants plus étoffés. Il apparaît que ces rencontres permettent assurer d’une part une meilleure d’une communauté, au niveau des enfants et des parents qui y participent plus volontiers, et d’autre part une meilleure lisibilité
d’une communauté qui célèbre. Toutefois, il apparaît également que l’institution-catéchétique en sort plus faible et
que reste posée la question des enfants qui absent à une rencontre, se trouvent « sans catéchèse » durant deux
mois…
Un « personnel catéchétique » en mutation
Depuis une dizaine d’année, les catégories conceptuelles employées pour qualifier les personnes engagées dans la
catéchèse, à savoir catéchistes occasionnels, catéchistes bénévoles qui s'engagent pour une durée plus ou moins
longue, catéchistes-relais responsables d'équipes de catéchistes sur une paroisse ou un secteur inter paroissial,
catéchistes-coordinateurs, catéchistes d’adultes ou dans le catéchuménat, semblent de moins en moins pertinentes
pour rendre compte de la réalité du terreau catéchétique français contemporain. En effet au sein des paroisses ou
de nos communautés chrétiennes, d’une part, nous rencontrons de plus en plus de chrétiens qui acceptent un engagement pour une action catéchétique ponctuelle sur une durée courte. D’autre part, nous constatons qu’il n’est
pas rare que tel ou tel grand-parent s’engage ponctuellement ou sur une durée moyenne à mener une activité catéchétique auprès des enfants ou des plus petits. Enfin et surtout, nous apercevons une mutation des engagements de laïcs qui prennent des responsabilités au sein de communautés locales : leur engagement se veut plus
global et moins sectorisé. Ainsi telle personne accepte de consacrer une heure par semaine à un groupe de catéchèse d’adultes tout en assurant la responsabilité de l’équipe qui s’occupe de l’accompagnement des familles en
deuil... Une autre accepte d’offrir ponctuellement ses services pour un groupe de préparation des enfants au sacrement de réconciliation tout en étant responsable d’une équipe de Secours Catholique. Enfin, tel père ou mère
de famille accepte de se consacrer un heure par semaine durant un mois sur un thème bien précis à la catéchèse
d’un groupe parmi lesquels se trouve son fils ou sa fille…
Cette situation invite à faire preuve de réalisme : une majorité des acteurs de la catéchèse proposent leur engagement dans un esprit de service ponctuel, à coté desquelles une minorité situent leur engagement catéchétique
dans une durée longue et une perspective pastorale globale, étant d’abord motivée par la participation active à la
vie d’une communauté chrétienne. Enfin, le turn-over (le renouvellement des acteurs de la catéchèse) devient
important : il faut souvent recommencer à reconstruire les équipes et à former les catéchistes…
Des travaux du groupe de travail « Formation » mis en place par le CNER à l’occasion de la préparation de
l’Assemblée de la Conférence des Evêques de France de Lourdes 2001, il ressort que l’acteur de la catéchèse est
un chrétien / une chrétienne
§ qui s'engage dans une aventure spirituelle,
§
qui vit une responsabilité au sein d’une communauté chrétienne au nom d’une vocation, laquelle nécessite un
accompagnement,
§
pour qui l'espace communautaire est le terreau qui aide à faire grandir sa foi,
§
qui se situe en témoin, c'est à dire comme une personne prend la parole pour annoncer Jésus-Christ, en vivant
ce qu'il/elle dit et annonce, avec la conscience de ses choix et de ses options qui sont à la source de son engagement.
Ce contexte invite à penser la formation des « acteurs de la catéchèse » sous deux angles.
§
Comme catéchèse : un déploiement d’une “ formation tout au long de la vie ”, qui va permettre à ces hommes
et à ses femmes de nourrir leur foi durant leur pérégrination sur terre. Il s’agit là d’une “ formation qui nous
fait advenir sujet dans une communauté chrétienne ”.
§
Comme formation à des responsabilités partagées : la mise en œuvre d’une formation qui va permettre à des
chrétiens engagés dans l’annonce du message évangélique, d’exercer leur rôle avec un minimum de connaissances, de compétences, de savoir-faire et de savoir-être. Ici, il s’agit d’une “ formation qui nous fait advenir
acteur de la communauté chrétienne ”.
Catéchése 06-07
44
Il n’y a pas un temps pour devenir sujet, puis un temps pour devenir acteur. La formation se déploie dans des
temps et des lieux qui permettent de former à une tâche ecclésiale, ponctuelle ou permanente, tout en cherchant
simultanément à répondre aux attentes de la personne en quête d’elle-même.
Les adultes au centre des préoccupations catéchétiques.
Depuis une vingtaine d’année, le souci de la catéchèse des adultes est perçu comme une nécessité pour les communautés chrétiennes. Mais elle apparaît encore comme trop isolée dans l’ensemble du processus catéchétique. Il
est admis aujourd’hui que la catéchèse ne peut plus avoir comme seul point de référence l’enfance, mais qu’elle
doit être partir intégrante d’un processus global que l’on pourrait nommer la formation chrétienne des adultes tout
au long de la vie. Elle est l’espace privilégié où des adultes peuvent connaître, apprécier et s’approprier l’héritage
chrétien et soutenir leur maturation dans la foi.
De nouvelles pratiques catéchétiques
La revue Points de Repères fait l’état régulier de nouvelles pratiques catéchétiques qui émergent dans le terreau
ecclésial français. Loin d’être exhaustif, nous en relevons les tendances.
§ Le passage d’une catéchèse pour enfants à un éveil à la foi et à une catéchèse pour tous, notamment pour les
parents des enfants catéchisés. C’est l’expérience de Montauban relatée par Point de Repères 177 (2000).
§
Le passage d’une catéchèse dont l’animation est réservée aux catéchistes à une « catéchèse co-responsable »
avec les parents disponibles le samedi matin. C’est l’expérience de Nancy relatée par Point de Repères 183
(2001).
§
Le passage d’une catéchèse organisée sur la base de rencontres courtes à une catéchèse situées dans une
matinée d’accueil hebdomadaire où se noue vie en commun, jeux, activités, célébration. C’est l’expérience de
Paris relatée par Point de Repères 180 (2001).
§
Le passage d’une catéchèse sectorisée au niveau des rencontres d’enfants par tranche d’âge à une catéchèse
d’une communauté enfantine qui regroupe tous les enfants d’une même tranche d’âge dans des rencontres
bimensuelles où se vit des temps de prière, des temps de parole, des temps de vie ne commun. C’est
l’expérience de Chambéry relatée par Point de Repères 181 (2001).
Des expériences de cheminement
La revue Lumen Vitae apporte également régulièrement des pistes de réflexion suggérant de nouvelles pratiques
catéchétiques qui se nomment catéchèse de cheminement, catéchèse de proposition, catéchèse catéchuménale,
catéchèse initiatique, catéchèse intergénérationnelle, catéchèse communautaire… catéchèse familiale…111
Sur la base de son expérience catéchétique en Belgique francophone, dans un article qui développe l’idée d’une
transition progressive vers une catéchèse de cheminement, Luc Arens112 présente bien, me semble-t-il, les évolutions nouvelles de ces pratiques catéchétiques. Pour approfondir la foi en communauté toute la vie, sept passages lui semblent indispensables.
§ Passer d’une catéchèse pour enfants à une catéchèse pour tous, c’est à dire décloisonner nos pratiques catéchétiques en nous inscrivant dans une perspective d’une catéchèse tout au long de la vie, menée à travers les
différentes activités pastorales d’une communauté paroissiale.
§
Passer d’une catéchèse par tranches d’âges à une catéchèse d’ateliers intergénérationnels, où à partir d’ateliers
d’activités ou de réflexion sur des thématiques communes, des enfants, des jeunes et des adultes réfléchissent, agissent, mettent en commun leurs savoirs… et célèbrent.
§
Passer d’une catéchèse sacramentelle à une catéchèse de cheminement permanent de la foi, c’est à dire proposer à la communauté des activités propres à un sacrement ou à un temps fort du cycle liturgique en amont
et en aval de la célébration d’un sacrement ou d’une fête liturgique car c’est en permanence que l’on s’initie à
111 Cf. l’ouvrage sous la direction d’Henri Derroitte, Théologie, mission et catéchèse, Bruxelles, Lumen Vitae, 2002, dans lequel toutes ces facettes de la catéchèse se côtoient.
112
Luc Aerens, in Lumen Vitae 2000/2, pp. 149 à 168.
Catéchése 06-07
45
l’Alliance de Dieu et des humains, car chacun doit faire l’expérience d’une communauté au-delà du jour de sa
première communion, du jour de sa confirmation…
§
Passer d’une catéchèse de présentation (expositive) à une catéchèse mystagogique, « qui fait entrer dans le
mystère de Dieu, de l’Eglise, de la vie chrétienne par expérience, en ayant commencer à le goûter, à le vivre,
et donc à poser des questions »113, où la vie précède la réflexion, où l’expérience précède l’explication.
§
Passer d’une catéchèse thématique à une catéchèse en faisceau, c’est à dire qui permet à chacun et chacune
de passer d’un domaine à l’autre des éléments de la vie chrétienne (sacrements, vie sociale, actualités du
monde, histoire) pour se construire un contenu cognitif et vécu qui a du sens, où chaque élément construit un
ensemble et pose des questions à d’autres éléments.
§
Passer de la seule responsabilité des catéchistes à une catéchèse où la communauté toute entière se sente
responsable.
§
Passer d’une catéchèse obligatoire et sur inscription à une catéchèse de propositions, c’est à dire à une catéchèse qui porte une attention particulière à la « mise en route libre de personnes de tout âge et de tous bords,
qui désirent construire et vivre ensemble dans une communauté fraternelle. Non limitée dans le temps, ni à
une tranche d’âge, elle est une manière de vivre en communauté pour ceux et celles qui le désirent sur la base
d’une liberté de choix, d’adhésion et de départ.114
Vers un nouveau paradigme ?
Le premier, me semble-t-il, à avoir avancer l’idée d’un nouveau paradigme pour la catéchèse est Gilbert Adler en
1996 au cours d’une conférence qu’il a donné au Québec, intitulée « Où est la catéchèse ? ».
Proche de l’âge de se retirer de toutes responsabilités catéchétiques, cette conférence était pour lui en quelque
sorte son testament : « Ayant traversé la catéchèse à divers postes de travail, de responsabilité, le présent travail
m’apparaît comme une sorte de relecture d’un itinéraire, une manière de faire le point et peut-être d’aller de
l’avant avec résolution ». Après avoir dressé l’état des lieux sur le thème du paradigme perdu, il avance quelques
hypothèses « vers un nouveau paradigme » : pour une catéchèse productrice de sens, c’est à dire une catéchèse
herméneutique de l’existence chrétienne qui offre à tout un chacun la possibilité d’une intelligence de la foi, « un
proposition de la foi qui soit une intelligence de l’Evangile et de la tradition vivante en référence aux situations vécues par des hommes et des femmes concret(e)s ».
Trois conditions pour entrer dans cette démarche.
§ La première est de concevoir la visée catéchétique à l’aulne d’une irrigation et d’un rafraîchissement de la vie,
des joies, des peines et des sueurs de nos contemporains à la source évangélique. C’est ici que se noue la reconnaissance que la vérité est à l’épreuve du sens c’est à dire que l’estime de soi, la sollicitude pour l’autre, le
combat dans des institutions justes et solidaires, l’éducation des enfants, la fidélité dans les engagements…
constituent les chemins qu’emprunte le croire pour beaucoup de nos contemporains, croire humain qui fournit
la matière première au croire chrétien, dans lequel les énoncés de la foi visent à révéler Jésus-Christ en ce qui
est engagé de vie et de mort dans l’existence humaine.
§
La seconde est d’admettre délibérément que la vérité est à l’épreuve de sa validation dans la mesure où communicabilité et référence ont aujourd’hui partie liées : notre rapport au vrai passe par les autres.
§
La troisième est de reconnaître que des hommes et des femmes ne sont pas prêts à lier leur foi, leur désir de
croire à un projet ecclésial ou à une communauté ecclésial et qu’il faut être attentif à des démarches « hors le
murs ».
113
Ibidem, p. 160.
114
Cf. Marie-Anne Notte, in Lumen Vitae, 1999/2, pp. 199 à 213.
Catéchése 06-07
46
Trois directions conjointes pour la mettre en œuvre.
§
Une catéchèse initiatique ou « va vers toi-même », c’est à dire une catéchèse qui se tourne vers l’ad-venir du
sujet, sujet humain et sujet croyant. Elle ouvre délibérément à chacun et chacune, enfants, jeunes et adulte,
un chemin qui permet une marche vers le meilleur de soi-même, de corréler maturation humaine et croyante,
épanouissement, mais aussi rupture, conversion…
§
Une catéchèse critique ou « va vers l’altérité », tournée vers l’altérité au contact de laquelle nous recevons
notre identité chrétienne et nous altérons nous-même. Cette altérité est assurée par la reconnaissance de
l’autre comme autre ainsi que par la référence à l’altérité du message évangélique offert à notre permanente
interprétation.
§
Une catéchèse symbolique ou « va vers le nous croyant », où l’annonce de la foi est en marche vers un être
ensemble dans la diversité et la souplesse des modes d’appartenance. Symbolique est la catéchèse lorsque le
sens advient dans la mise en communication des choses, des personnes et des représentations.
Plus récemment, dans son ouvrage L’avenir de la catéchèse, publié en 2003, Denis Villepelet avance également
l’idée d’un nouveau paradigme, conçu comme un modèle. Sur la base de l’analyse de quatre défis contemporains (le défi de l’intériorité, le défi kérygmatique, le défi éducatif, le défi communautaire), il propose une catéchèse
pneumocentrée (Du Christ vers le Père dans l’Esprit). Dans l’Eglise vécue comme Temple de l’Esprit, cette catéchèse fait droit à l’individu comme sujet dans une société complexe ; sa démarche pédagogique est celle de
l’initiation.
« Aller au cœur de la foi »
Commission Episcopale de la
Dans l’attente d’aller vers un nouveau directoire catéchétique, la Conférence
Catéchèse et du Catéchumédes Evêques de France a promulgué en 2002 une Lettre à l’ensemble du Peuple
nat,
Aller au cœur de la foi.
de Dieu « Aller au cœur de la foi ».
Questions d’avenir pour la
Cette lettre apparaît comme un instrument de travail qui invite les communaucatéchèse,
tés catholiques de France à réfléchir sur la catéchèse en vue d’en renouveler les
Paris, Bayard / Cerf / Fleuruspratiques.
Mame, 2003
La réflexion de cet instrument de travail s’articule sur la célébration de la vigile
pascale. Pourquoi ?
En nous faisant traverser la nuit pascale, cette célébration du mystère de la mort et de la résurrection du Christ,
replonge nos existences dans ce qui fait notre commune vocation : former ensemble un peuple de disciples qui
marchent derrière leur Seigneur. La Vigile pascale sous-tend une démarche catéchétique articulée sur l’acte liturgique en raison du lien qu’elle met en évidence entre Baptême/Confirmation et Eucharistie, entre la Parole de Dieu
et l’appel à la conversion et l’envoi en mission.
La Vigile pascale, au cœur de la démarche
Dans le passage des ténèbres à la lumière, cette célébration est invite à l’option d’une catéchèse pensée comme
une démarche d’initiation chrétienne. Elle ne met plus l’accent sur l’apprentissage de la foi ou sur la dimension linéaire et didactique de la formation humaine et croyante, mais sur la maturation humaine et croyante de chaque
homme et chaque femme et sur leur relation au Christ qui conduit de l’éveil à une reconnaissance constante.
Jean Claude Reichert, directeur du CNER avance cinq arguments justifiant l’articulation sur la célébration de la vigile pascale 115.
§ Les évêques n’ont pas choisi la veillée pascale parce qu’elle offrait un résumé de la foi.
§
Pas plus parce que sa liturgie serait un modèle de démarche catéchétique.
§
Il ne s’agit pas non plus de mener une réflexion à partir des enseignements que l’on peut en tirer pour la catéchèse.
115
Jean Claude Reichert, Nouvelle Revue Théologique 126 (2004), pp. 587-597.
Catéchése 06-07
47
§
En mettant en valeur la veillée pascale, les évêques souhaitent amener les chrétiens au cœur de la foi par une
expérience de foi que fait vivre cette liturgie. La veillée pascale est une invitation à se laisser mettre en mouvement, à se déplacer par les expériences croyantes dans lesquelles la communauté chrétienne est construite
lorsqu’elle célèbre cette liturgie : l’expérience d’une communauté croyante d’abord rassemblée dans la foi et la
prière sur le parvis, constituant ainsi un peuple en marche célébrant le Christ mort et ressuscité
§
En nous faisant traverser la nuit pascale, cette célébration du mystère de la mort et de la résurrection du
Christ, replonge nos existences dans ce qui fait notre commune vocation : former ensemble un peuple de disciples qui marchent derrière leur Seigneur. La Vigile pascale sous-tend une démarche catéchétique articulée
sur l’acte liturgique en raison du lien qu’elle met en évidence entre Baptème/Confirmation et Eucharistie, entre
la Parole de Dieu et l’appel à la conversion et l’envoi en mission. Dans le passage des ténèbres à la lumière,
cette célébration est invite à l’option d’une catéchèse pensée comme une démarche d’initiation chrétienne. Elle
ne met plus l’accent sur l’apprentissage de la foi ou sur la dimension linéaire et didactique de la formation humaine et croyante, mais sur la maturation humaine et croyante de chaque homme et chaque femme et sur
leur relation au Christ qui conduit de l’éveil à une reconnaissance constante.
Une démarche d’initiation chrétienne
André Dupleix, ancien doyen de la faculté de théologie de Toulouse, lors d’une conférence sur la catéchèse à Toulouse développait ainsi les grands axes de la démarche de ce document dont il est en grande parte l’auteur.
Le point d’appui est de considérer l’ensemble de l’activité catéchétique comme une démarche
d’initiation chrétienne, concernant toute l’existence et la renouvelant en permanence par le lien au
Christ. Le mystère de la Pâque est la source et l’aboutissement d’un chemin pédagogique profondément original
(DGC138). La catéchèse peut être considérée en ce sens comme « une initiation chrétienne intégrale » (DGC67).
Inscrire la démarche de la catéchèse dans une pédagogie de l’initiation, c’est mettre l’accent, non plus exclusivement sur l’apprentissage de la foi ou sur la dimension linéaire et didactique de la formation mais sur la relation vivante au Christ qui conduit, de l’éveil au terme de l’existence à une naissance et une renaissance constantes…
A ce point d’appui, sept axes, le premier sous-tendant les autres.
§ Une catéchèse déployée dans la communauté chrétienne. Il s’agit de sortir de sortir de la perspective
de la catéchèse considérée comme un « en-soi » pour reconnaître une véritable « fonction catéchétique » de la
communauté chrétienne. Directoire Général : « La communauté chrétienne est l’origine, le lieu et le but de la
catéchèse. C’est toujours d’elle que naît l’annonce de l’Evangile pour inviter les hommes et les femmes à se
convertir et à suivre le Christ. C’est encore cette communauté qui accueille ceux qui désire connaître le Seigneur et s’engager dans une vie nouvelle » (DGC 254). Il est bon de rappeler que la communauté chrétienne
ne se dédouane pas de sa mission en l’abandonnant aux différents acteurs de la catéchèse mais que d’une
certaine façon, elle les délègue, et elle garde la responsabilité de la transmission et de la proposition de la foi.
§
Une catéchèse pour tous les âges de la vie. Il s’agit de désenclaver la période, certes essentielle, des 812 ans et de considérer que la catéchèse ne se réduit pas au traditionnel KT. L’entrée en catéchèse peut se
faire à toutes les phases de l’existence, age adulte, adolescence, enfance, petite enfance. La catéchèse des
adultes pouvant être une référence et orienter la catéchèse des autres moments et seuils de la vie…
§
Une catéchèse intergénérationnelle. Dans un contexte marqué par de fortes tendances à l’individualisme
ou par les ruptures nombreuses qui marquent le milieu familial et le tissu social, nous devons encourager les
communautés chrétiennes à s’appuyer sur les charismes de chaque membre pour qu’ils s’aident mutuellement
à accompagner à tout âge, la transmission de la foi et l’éducation spirituelle. Parents mais aussi grands parents, proches, amis, toutes générations étant solidaires. Ce projet pastoral qui mobilise l’ensemble de la
communauté chrétienne traverse et dépasse, d’une certaine façon, âges et institutions, organisations et structures d’Eglise. Il permet à la catéchèse de s’inscrire dans la mission éducative de l’Evangile vis-à-vis de
l’humanité.
§
Une catéchèse qui varie les temps, les rythmes et les formes. L’histoire de l’Eglise a connu, depuis les
origines, une infinie variété de moyens et de rythmes dans la transmission de la révélation et de l’Evangile du
Christ Ce qui est resté stable, au-delà de la grande diversité de formes qu’ont pris la transmission de la foi et
la catéchèse, c’est la nécessité d’une formation, progressive et régulière, assurée par l’Eglise. Pour le reste, les
âges, les rythmes, les méthodes, les supports ont souvent changé au cours de l’Histoire.
Catéchése 06-07
48
§
Une catéchèse qui puise à la source liturgique. Si la liturgie traduit dans la diversité de ses expressions et
de ses rites, la prière de l’Eglise, la catéchèse est une école de prière qui ouvre à la vie spirituelle et à
l’expérience de l’alliance avec Dieu. La liturgie donne quelque chose à voir et à éprouver, dans le temps et le
respect de chaque cheminement. Le chemin de l’initiation chrétienne est marqué, en ses différents seuils, par
la place accordée à la prière et à l’expression symbolique. La catéchèse doit être non seulement initiation à la
prière de l’Eglise mais initiation par la prière de l’Eglise.DGC 85 : Elle « doit favoriser non seulement la connaissance et la signification de la liturgie et des sacrements mais aussi éduquer les disciples de Jésus Christ à la
prière, à l’action de grâce, au sens communautaire, au langage des symboles. »
§
Une catéchèse soucieuse de sa communication. Parmi les moyens que se donne la catéchèse, comment
ne pas souligner l’importance majeure des outils de communication, indispensables à la transmission du message. Les moyens ne sont pas tout et peuvent avoir leurs limites et leurs fragilités mais la catéchèse est
encouragée à une « plus grande valorisation des médias selon leur qualité spécifique de communication,
en équilibrant bien le langage de l’image et celui de la parole » (DGC 209).
§
Une catéchèse reliée à l’art. L’art a toujours joué un rôle important, depuis les origines du christianisme,
dans l’expression et la transmission de la foi : « Pour transmettre le message que le Christ lui a confié, l’Eglise
a besoin de l’art. Elle doit, en effet, rendre perceptible, et même, autant que possible, fascinant, le monde de
l’esprit, de l’invisible, de Dieu… » (Jean-Paul II, Lettre aux artistes) . L’art est un langage que la catéchèse doit
considérer comme un véritable support de la Révélation. Le patrimoine artistique du christianisme traduit,
dans sa richesse et sa variété culturelle, la diversité des expressions de la foi. La beauté est missionnaire.
Un « Texte national pour l’orientation de la catéchèse »
Lourdes, novembre 2005.
Son introduction rappelle l’attachement fondamental des évêques de France à leur responsabilité et tâche catéchétique. En conséquence, l’enjeu de ce document est plus une nouvelle approche de la fondation de la responsabilité
catéchétique qu’une nouvelle proposition de la pratique catéchétique.
A cause de cette « véritable passion », dans le contexte contemporain qui pousse à aller aux sources de la foi, les
évêques proposent un Texte national pour l’orientation de la catéchèse en France.
Avant d’être une réflexion générale sur la catéchèse, il est une mise en application du Directoire Général pour la
Catéchèse (DGC), Rome, 1997.
Les trois premiers chapitres sont consacrés aux fondamentaux de l’acte catéchétique. La deuxième partie présente
quatre axes organisateurs de la catéchèse.
Une catéchèse vécue dans les communautés missionnaires
Le premier point de ce chapitre rappelle ce que le Concile Vatican 2 disait déjà dans les décrets Lumen Gentium et
Ad Gentes : l’Eglise est par nature missionnaire. Son origine vient de la mission du Fils et de l’Esprit selon le dessein de Dieu, le Père. En incarnant la volonté salvifique de Dieu en Jésus-Christ, l’Eglise révèle la dignité inaliénable de tout être humain et donne sens à son histoire.
Si l’Eglise existe pour évangéliser, selon la formule de Paul Vi (Evangelii nutiandi), c’est dans les communautés
chrétienne que s’exprime cette évangélisation : chaque communauté chrétienne porte l’Evangile dans le rassemblement des fidèles, dans l’invitation à s’exposer aux pouvoir de transformation de l’Evangile, ainsi qu’en célébrant.
Ainsi, la catéchèse est spécifiquement ce que la communauté chrétienne propose à ceux et celles qui, librement,
veulent participer à son expérience et à sa connaissance de la foi.
Dans ce cadre, cette vocation missionnaire de l’Eglise appelle au choix d’une pédagogie d’initiation, c’est à dire
centrée sur le noyau de l’expérience chrétienne et développée sur la base d’une formation intégrale, sans être réduite à un simple enseignement.
Ici, il ne faut pas nous méprendre : quand les évêques parlent d’expérience, il ne s’agit pas à priori d’expérience
personnelle qui seraient à la base de ce que nous aurions à transmettre, voire à « enseigner » à partir d’un programme pré-établi présentant l’essentiel du message. Nous ne sommes plus dans une tension d’adéquation entre
les sujets de la foi et l’objet de la foi….
Catéchése 06-07
49
Avec leurs mots et à leur manière, les évêques nous proposent de nous décentrer de cette tension pour aller vers
une question permanente au cœur de notre agir catéchétique : qu’est ce qui structure foncièrement notre vie de
foi ensemble ? Quelles expériences de foi structurent les chrétiens à partir de leur quotidienneté. Il ne s’agit moins
de se demander quel est le sens de telle ou telle fête pour un groupe de chrétiens, mais plus qu’est ce qui humanise la vie de ces chrétiens dans la célébration de cette fête, qu’est ce qui structure leur croire lorsqu’ils la célèbrent ? Prenons par exemple la fête de Pâques : il s’agit moins de se demander quel sens a Pâques aujourd’hui,
mais plus de s’interroger sur les dynamismes de la vie de croyants dans la célébration de la Résurrection ? Quelles
solidarités engendrent-elles cette fête ? Quel bonheur de la vivre ? Quelle « valeur ajoutée » apporte telle à chacun
et chacune au printemps de la nature qui lui est concomitant ? C’est ici que prennent place toutes les initiatives des
petits groupes de carême qui se réunissent sur un thème existentiel pour « monter » vers Pâques…
Cette pédagogie d’initiation est l’un des axes du ministère de la parole, moteur de la responsabilité catéchétique.
Les initiatives de « première annonce » ainsi que le développement d’une éducation permanente de la foi en sont
les deux autres. Pour pouvoir se développer, cette action catéchétique a besoin d’un bain de ecclésial, c’est à dire
les communautés chrétiennes, « milieu nourricier où s’enracine l’expérience de foi », laquelle est au cœur de
l’initiation.
Le mystère de Pâques est le socle de toute initiation
Sur ce point, nous retrouvons organisés différemment les éléments principaux d’Aller au cœur de la foi. Si au cœur
de la catéchèse nous trouvons essentiellement une personne, c’est par l’entrée dans le mystère pascal que se
construit une identité chrétienne dans un mouvement dialectique :
§ d’une part, la liturgie pascale appelle chacun et chacune à devenir membre du Corps du Christ par participation
au jaillissement de la vie nouvelle qui vient de sa mort et de sa résurrection ;
§
d’autre part, la nuit pascale permet aux chrétiens de faire une expérience chrétienne dans le dynamisme du
jaillissement de la Pâque du Christ comme germe de renouveau autour de quatre items :
- l’initiation introduit dans l’expérience chrétienne,
- l’initiation introduit dans l’expérience de la Révélation,
- l’initiation introduit dans l’expérience chrétienne par tout un chemin,
- l’initiation provoque au choix et à la décision.
Les points d’appui d’une pédagogie d’initiation
§
La liberté des personnes : entrer en initiation, c’est un choix libre et consenti d’un sujet actif, conscient et
responsable. Le respect de ce choix nécessite une considération positive de celui ou celle qui frappe à notre
porte, marquée par l’écoute des demandes et des questions existentielles, sans vouloir vérifier ici ou là les
degrés de conformité… ainsi que par un regard fraternel car l’aîné dans la foi tout comme le cadet est frère en
humanité.
§
Un cheminement : entrer dans l’expérience chrétienne est de l’ordre de l’itinéraire : cheminement pour celui
ou celle qui risque à chaque pas un pas nouveau… accompagnement pour celui ou celle qui en est responsable…. Cela nécessite de la rigueur de la part de celui ou celle qui en est responsable ainsi que pour celui qui
avance, la possibilité de pouvoir partager ses doutes, ses questions, voire ses crises, sans se sentir prisonnier
de celui ou celle qui accompagne.
§
Une entrée dans l’expérience de la Révélation passe par la médiation de textes bibliques : c’est en fréquentant les Ecritures qu’une pédagogie d’initiation ouvre à la connaissance du mystère de la foi. Mais attention, il s’agit moins d’enseigner, mais plus de favoriser tout ce qui peut rendre possible le travail de Dieu au
cœur de chacun et chacune (l’expérience croyante).
§
La médiation d’une tradition vivante est nécessaire dans la mesure où « l’appel de Dieu à entrer en relation avec lui parvient aux hommes (et aux femmes) de temps grâce à l’écho que, d’âges en âges, des communautés chrétiennes vivantes ont voulu lui donner ». Ici, les évêques rappellent, à leur manière et avec leurs
mots, que dans une époque où l’authenticité personnelle prime sur toute autre considération, on devient auteur de sa vie et on acquiert une identité chrétienne au contact de l’altérité. La tradition vivante de l’Eglise,
avec ses dogmes patinés au fil dus siècles, est, avec les textes scripturaires, un élément de cette altérité qui
Catéchése 06-07
50
permet au contact des autres, nos frères dans la foi, cette nécessaire confrontation structurante de
l’expérience croyante.
§
Des cheminements de type catéchuménal : en insistant sur un cheminement vers les sacrements, le texte
se veut plus programmatique quand il souligne, en référence au Rituel de l’initiation chrétienne des adultes,
qu’il faudra à l’avenir « élaborer des cheminements qui font vivre aux personnes la dynamique spirituelle dont
la célébration sacramentelle sera l’expression de l’accomplissement »
§
Une dynamique du choix : c’est le niveau éthique de la pédagogie d’initiation : « introduire dans une vie
qui sait choisir en retour, dans le certitude tranquille que la réponse de ce choix ne sera jamais à la hauteur du
don reçu (La Pâques du Christ). » Au cœur de cette démarche éthique, la confiance dans l’aventure chrétienne
et le rencontre dans la figure du Père, source de la loi d’Amour.
§
Une attention à la diversité culturelle : au cœur des champs culturels diversifiés, voire éclatés, créer un
espace de parole et éveiller à la dimension artistique.
Quatre propositions d’organisation catéchétique
Dans chaque diocèse, c’est l’évêque qui les orientations diocésaines et fixer l’articulation entre les différentes propositions d’organisation.
§ Une organisation de la catéchèse ordonnée à toutes les étapes de la vie : la catéchèse des enfants
reste au cœur de cette approche pour les apprentissages de base ; mais à tous les âges de la vie, des propositions seront faites. Un cadre de référence sera donné et le module sera l’unité de base de la démarche.
§
Une organisation de la catéchèse par lieux de regroupement de vie (famille, éveil à la foi des petits,
espace scolaire et universitaire, mouvement et tout autre groupe de référence) : ces lieux seront propices à la
première annonce et à une catéchèse spécifique.
§
Une organisation de la catéchèse articulée à l’année liturgique : dans les temps forts, amis aussi dans
la simplicité du temps ordinaire, la catéchèse pourra se déployer au rythme des dimanches et fêtes.
§
Une organisation de la catéchèse en réponse à des demandes sacramentelles : la catéchèse
s’appuiera ici sur les quatre piliers qui structurent le processus catéchuménal : la rencontre et la connaissance
du Christ, la conversion, la vie ecclésiale, la liturgie.
Le catéchuménat, modèle de toute catéchèse
Telle est l’affirmation des Pères du Synode en 1977, reprise par le Directoire Général de Catéchèse (§ 59). En quoi
cette option renouvelle la catéchèse à l’entrée du 3e millénaire ? En quoi ce modèle apporte une césure par rapport aux modèles qui l’ont précédé ?
Représentation de l’action missionnaire contemporaine
En ce début de 3e Millénaire, le grand défi missionnaire contemporain est la « nouvelle évangélisation » à laquelle
a appelé le pape Jean-Paul II. Sa contextualisation fait l’objet du rapport présenté à Lourdes en 1994 par Mgr
Claude Dagens, Proposer la foi dans la société actuelle. Proposer la foi engage à prendre en profondeur la mesure
des mutations que sont la déchirure du tissu ecclésial, la perte de la mémoire chrétienne, l’effacement des savoirfaire liés à l’expérience de la foi et l’effacement de l’identité catholique116. Au regard des items de ces mutations,
qu’est ce que l’action catéchétique contemporaine
116
Conférence des Evêques de France, Proposer la foi dans la société actuelle, Paris, Le Cerf, 1994, pp.23 et 24.
Catéchése 06-07
51
§
si elle ne permet pas à l’homme et la femme de se construire dans son rapport aux autres par les valeurs
chrétiennes, constamment réévaluées au fils des siècles, alors qu’aujourd’hui l’effacement de l’identité catholique se manifeste dans des appartenances diversifiés et l’initiation aux valeurs fondatrices de l’existence
s’effectue en dehors ou à l’écart du champ de la tradition catholique ?
§
si elle ne développe pas un langage qui rend les confessions de foi et aux dogmes de notre foi chrétienne, affinés par les Conciles successifs, aujourd’hui audibles, c'est-à-dire producteurs de sens pour l’homme et la
femme contemporains, pour l’enfant, l’adolescent et l’adulte d’aujourd’hui, et les inscrire dans une communauté croyante qui s’y réfère, alors que la mémoire chrétienne se dissipe et que la relation à la vérité se noue
sur des degrés multiples d’adhésion, voire des options libres hors de tout espace ecclésial ?
§
si elle ne soutient pas les enfants et les jeunes, voire avec les moins jeunes, dans leur décryptage du monde à
partir du fait religieux chrétien qui a façonné et façonne les relations au monde, les relations aux autres, la relation à soi et la relation à Dieu dans une société multiculturelle où le pluralisme religieux devient l’une des
conditions de l’existence de nos contemporains ?
§
si elle n’aide pas nos contemporains à vivre une réelle interculturalité constitutive d’une Europe qui se construit
au quotidien, interculturalité qui ne renie rien de soi et accepte de faire un bout de chemin avec l’autre si différent de soi et pourtant si proche de soi dans son humanité dans une société ?
§
si elle ne suscite pas le désir d’une vie communautaire conviviale117 pour « expérimenter » un rapport à soi,
un rapport aux autres et un rapport à l’Autre, la transcendance, sans pour autant tomber dans des perspectives fermées de communautarisme, alors que la vie sociale engendre de plus en plus d’anonymat et de solitude, que la vie paroissiale peine à assurer un rôle moteur dans le maintien des liens sociaux indispensables à
la vie d’un quartier, d’un bourg et que dans notre société sécularisée, toute croyance est renvoyée au domaine de la vie privée ?
§
si, au sein des réseaux qui forment le tissu social de nos contemporains, elle ne suscite pas une « valeur
ajoutée » communautaire qui permet à ceux et celles qui regardent les vitraux de l’extérieur, de les regarder
de l’intérieur afin d’y vivre un espace de sociabilité dans lequel ils/elles puissent trouver l’une des réponses à
leur quête de soi à leur recherche de sens ainsi qu’un apport de cohérence à leurs actions sociales, familiales,
professionnelles et associatives... ?
Représentation dominante de l’acte de foi.
Le catéchuménat antique n’était pas un état118, mais un processus d’engendrement préparatoire au baptême119,
apprentissage de la vie en Christ, vécu essentiellement dans le cadre des assemblées liturgiques (ou synaxes)120.
Au bout de ce processus, le baptême, nouvelle naissance en Christ, engage le néophyte à la fidélité, « prêt à vivre
comme un athlète du Christ dans l’arène spirituelle tout comme dans l’arène humaine »121.
Traduite dans l’environnement contemporain, cette approche nous invite à dépasser le débat « fides quae creditur
/ fides qua creditur » au profit d’un croire vécu comme engendrement et cheminement permanent. « Fides in qua
progredimur » : un croire engendré en Christ, qui nous permet de croître. Ainsi, le fidèle contemporain, cet
homme et cette femme habité par une aventure spirituelle122 est celui/celle qui chemine en Christ, qui marche en
avant avec ses frères et sœurs dans la foi. Au cœur de cette marche, une triple perspective : un horizon, une
mémoire, une relation.
117 On constatera que la convivialité est partie intégrante de la démarche des Groupes Alpha, des Cellules d’Evangélisation,
des groupes Messa’je…
118
M. Metzger, « Aperçu historique sur le cheminement des catéchumènes », Esprit et Vie 144 (2006), p. 8.
119 « A vous engendrer dans le sein de la foi… Vois le sein de notre mère l’Eglise, vois qu’elle t’enfante, te fait parvenir à la
lumière de la foi et t’enfante dans les cris… » St Augustin, « Sermon 216 », in A.G. Hamann, Le baptême d’après les Pères de
l’Eglise, Paris, Grasset, 1982.
120
M. Metzger, in Esprit et Vie 147 (2006), p. 13.
121 Selon l’expression de Jean Chrysostome, in A.G. Hamann, Le catéchuménat des premiers chrétiens, Paris, Migne, 1995,
p. 138.
122
Tabga 6 (2005)
Catéchése 06-07
52
§
La fidélité, un horizon. Entrevoir un sens à-venir dans une permanente herméneutique de la vie, travail
peut-être épuisant à long terme, mais fascinant car le sens est toujours vecteur d’humanisation et de Salut.
§
La fidélité, une mémoire. A l’image de Zacharie, se situer dans une histoire, un passé et un présent, celui
du Peuple de Dieu, dans une alliance sans cesse renouvelée.
§
La fidélité, une relation. « Notre rapport au vrai passe par les autres. Ou bien nous allons au vrai avec eux
ou ce n’est pas au vrai que nous allons » disait Merleau-Ponty123. Ainsi la fidélité nous engage un questionnement continu entre soi et autrui, entre soi et l’Autre, ce Dieu qui épouse avec nous la vie.
Représentation dominante des sujets de la catéchèse.
La césure avec les modèles catéchétiques précédents se situe dans le refus de catégoriser les sujets en enfants,
jeunes et adultes. Ils sont tout simplement nos contemporains, hommes ou femmes, petits ou grands, avec leurs
joies et leurs peines, avec leurs blessures et leur sourire, avec leur vie professionnelle ou scolaire, familiale, sociale
et leur projet de vie, avec leurs angoisses et leurs questions devant la finitude et la contingence humaines, devant
la précarité des uns et la richesse des autres. Des contemporains chrétiens qui ont une foi à renverser les montagnes… Des personnes qui sont en recherche d’une épaisseur qui donne sens à leur vie… Des personnes qui entrouvrent la porte de nos églises pour regarder et être écoutée alors que ce lieu, si proche de leur maison, leur
était devenu si lointain et si inaudible depuis longtemps… Des parents qui aimeraient que l’on parle avec eux et
d’eux avant de parler de leurs enfants en démarche d’initiation chrétienne… Des personnes qui, dans
l’individualisme ambiant et dans un contexte où se côtoient des types de rationalités, des démarches de socialisation et des registres de comportements si hétérogènes124, éprouvent le besoin de confronter ce qui fait leur soi
intérieur à une activité créatrice de lien social125 et… ecclésial.
Le compagnonnage avec ces humains engage ceux et celles à qui (en qui) la communauté a délégué le ministère de la Parole, d’abord à une attitude d’empathie et d’écoute positive inconditionnelle, prémisse des échanges
catéchétiques à venir qui auront pour but de leur « donner les moyens d’entrer dans le mystère de Dieu en Jésus
le Christ et de les aider à trouver une identité au contact de ce mystère »126.
Ce compagnonnage oblige à percevoir avec la lucidité nécessaire, condition de toute prise de recul, que la vie de
chacun et chacune, depuis sa naissance, est rythmée par les Saisons de la vie127 ; ces dernières impliquent des
phases de transition spécifiques aux saisons de la vie et des temps de crise face à des ruptures et des deuils, lesquels engagent des remises en cause radicales notamment dans le domaine de la vie professionnelle ou scolaire et
sociale, dans le domaine du style de vie, et dans le domaine des relations d’intimité. Le reconnaître, c’est accepter
que des hommes et des femmes qui ont fait un bout de chemin avec nous, nous quittent et c’est accepter que des
hommes et des femmes, des jeunes et des moins jeunes, viennent à notre rencontre pour évoquer leur existence…
Au ministre de la Parole, - qu’il soit qualifié d’accompagnateur, de catéchiste…- de tout mettre en œuvre pour que
cette évocation puisse résonner et raisonner en un écho (katekein) qui aide la personne à énoncer les significations
de son « histoire de vie »128.
Représentation dominante de la démarche catéchétique.
La césure avec les modèles précédents se situe ici dans la non-fragmentation des temps catéchétiques au bénéfice
d’une perception d’une catéchèse pensée comme une formation permanente chrétienne tout au long de la vie, vécue non pas comme une longue programmation progressive, mais comme une proposition de traversées au cœur
d’une succession de temps de mobilisation et de temps de décrochage. Dire que le catéchuménat est modèle de
toute catéchèse, c’est se placer dans la perspective suivante : garder au catéchuménat la place qui lui est propre,
123 Cité par G Adler, « Aujourd’hui croire ». in G. Adler et S. Salzmann (S/dir.), Quête de sens, Fribourg, Centre Catholique
de Formation Permanente, 1997 p. 24.
124
Cf. Fr. Dubet, Sociologie de l’expérience, Paris, Le seuil, 1994.
125
Cf. Fr. de Singly, « Individualisme et lien social », Lien social et politique 39 (1998).
126
H. Bourgeois, cité par J. Grand’Maison, Le défi des générations, Montréal, Fides, 1994, p. 132.
127 Cf. D. Levinson, Les saisons de la vie.
128 « L’autobiographie est la forme suprême et la plus instructive dans laquelle nous rencontrons la compréhension de la
vie ». M. Finger, Biographie et herméneutique. Montréal, Publications de l’Université de Montréal, Faculté de l’éducation permanente, 1984, p. 166.
Catéchése 06-07
53
celle d’initiation chrétienne, et déployer la perspective d’une initiation à la vie chrétienne comme « processus par
lequel une personne quelque soit son âge ou sa condition, parvient à confesser sa foi et devient membre de
l’Eglise »129.
Qu’elle soit nommée cheminement130, accompagnement… la démarche est de l’ordre du compagnonnage, cette
marche avec quelqu’un, au sein d’un collectif, qui est attentif à toute situation nouvelle qui permet à autrui au
contact d’autrui de mobiliser des savoir-faire, de s’approprier des connaissances et d’engendrer un savoir-être. Si le
compagnonnage du Ressuscité avec deux disciples marchant vers Emmaüs nous vient ici à l’esprit, n’oublions le
compagnonnage de Marthe avec son humilité, celui de Pierre avec ses doutes, celui de Juda avec son reniement…
Ce compagnonnage sous-tend une attention éducative et une relation de fraternité.
§
Une attention éducative. Non au sens du mot éducation quand on le renvoie à conduire, mais au sens que J.M.
Labelle propose : « Au sens propre, on n’éduque jamais l’autre… S’éduquer c’est l’acte sans cesse répété et
sans cesse inédit, par lequel la personne assure de manière autonome son développement physique, affectif,
intellectuel, social, moral… Elle n’est jamais finie, elle se poursuit tout au long de la vie, jusqu’à la mort »131.
§
Une relation de fraternité. Qu’est ce donc que la fraternité sinon ce constant souci de vouloir, qu’en prenant sa
forme, autrui, frère et sœur dans la foi, se construise dans la foi par lui-même et devienne lui-même au
contact du message évangélique : « Aimez-vous les uns les autres comme vous-même ». Pas plus qu’on
n’acquiert une identité tout seul, on ne se construit tout seul. En chrétienté, on se construit au contact de ses
frères et sœurs dans la foi, dans la réciprocité132 et l’échange, sans naïveté, chacun et chacune sachant que
la relation d’échange se nourrit de la cohabitation attraction-répulsion, de pulsions de haines comme de grands
désirs d’amour.
Représentation dominante du contenu et du cadre ecclésial de la catéchèse.
Lier contenu et cadre ecclésial présente peut-être la césure la plus radicale avec les modèles précédents. Ecclesia
docens et Ecclesia discens (L’Eglise est à l’écoute de la Parole). C’est tout l’apport de la perspective catéchuménale
que de nous à reconduire à ces deux pratiques qui qualifient, dans ses tâches catéchétiques, la communauté toute
entière : Eglise catéchisante (Venez et voyez) et Eglise catéchisée (Devenez ce que vous avez reçu)133.
Autrement dit, la catéchèse est de la responsabilité de toute la communauté et elle est catéchèse de la communauté. « La catéchèse ne peut exister sans communauté… au sein desquelles le catéchisé puisse faire une réelle
expérience de vie d’Eglise »134. Issue du Texte de référence, cette assertion était déjà inscrite dans le Directoire de
1967 et fait écho au Synode de 1977 pour lequel la communauté chrétienne est « origine, lieu et but de la catéchèse ». Enfin, elle résonne amplement avec le paragraphe 24 de Catechesi tradendae. Une telle option sous-tend
que d’une part, chaque chrétien est considéré d’emblée comme possédant des capacités catéchétiques, c'est-à-dire
qu’il a la capacité de partager son expérience croyante avec d’autres et de les y faire participer, et que d’autre part
la vie de la communauté est elle-même lieu et temps catéchétiques.
Ouvrons le livre des Actes des Apôtres : « Ils se montraient assidus à l’enseignement des apôtres, fidèles à la
communion fraternelle, à la fraction du pain et aux prières…Tous les croyants ensemble mettaient tout en commun… »135 Cette première description de la première communauté chrétienne se situe dans les Actes immédiatement après la Pentecôte, le discours de Pierre centré sur le Kérygme, et les premières conversions. C’est à partir
du Kérygme, un « nomos », un enseignement proposé à partir de l’expérience pascale, qui oriente la vie, annoncé
par Pierre et les apôtres, et la foi qu’il provoque, que s’organise cette première communauté et celles qui seront
ensuite créées.
129
M.J. Poiré, in M. Viau et G. Routhier (s/dir.), Précis de Théologie Pratique, Montréal, Novalis, 2004, p. 346.
130
Cf. l’excellent article de L. Aerens, in Lumen Vitae 2000/2, p. 149 et ss.
131
J.M. Labelle, in Revue des Sciences religieuses, 79/3 (2005), p. 319.
132 Rapport asymétrique de singularités dont les libertés s’interpellent réciproquement dans leur développement respectif.
.M. Labelle, in Revue des Sciences religieuses, 79/3 (2005), p. 321.
133 A. Fossion, « Vers des communautés catéchisantes et catéchisées », in Nouvelle Revue Théologique 126 (2004), p. 598
et ss.
134
Conférence des Evêques de France, Proposer la foi dans la société actuelle, Paris, Le Cerf, 1994, p. 25.
135
Ac. 2, 42 - 46 .
Catéchése 06-07
54
Cette première expérience de vie d’Eglise s’organise autour de trois fonctions : l’enseignement, la communion fraternelle et la fraction du pain et la prière. Avec Jean Rigal136, il m’apparaît que la mission, c’est à dire le service de
l’Evangile dans le monde, se déploie autours de ces trois fonctions indissociables : koinonia , martyria et diakonia.
§ La communion fraternelle se réalise dans l’agape : « Si vous avez de l’amour les uns pour les autres, tous
reconnaîtront que vous êtes mes disciples » (Jn13,35). La communion fraternelle est cette fonction qui se déploie dans la communication entre les personnes et les groupes en vue de la communion avec Dieu.
« Comment se fait-il que nous les entendons parler des grandeurs de Dieu dans notre langue maternelle ? »
se questionnent les témoins de la Pentecôte. La relation à Dieu symbolise la relation au frère. Si la relation à
Dieu trouve son expression dans la prière et la fraction du pain, elle trouve aussi son expression dans le rapport à l’autre et aux autres, dans le respect de chacun et la sollicitude pour l’autre…
§
La diaconie est la fonction qui indique comment les chrétiens doivent vivre les uns par rapport aux autres :
« Ensemble, ils mettaient tout en commun ». Une première lecture nous suggère qu’il s’agit de la mise en
commun des biens matériels. Mais chacun sait que la mise en commun de biens matériel est aussi révélatrice
du partage des idées, du partage des évènements de la quotidienneté, des joies et des peines…
§
Le témoignage est la fonction d’annonce du message évangélique, à partir du Kérygme, « ce condensé
d’Evangile »137 : « Avec beaucoup de puissance, les apôtres rendaient témoignage à la résurrection du Seigneur… » (Ac,4, 32-34).
Une lecture un peu rapide de ces trois fonctions peut amener à cantonner la catéchèse à la troisième fonction :
l’annonce du message… l’enseignement. Lecture trop rapide me semble t-il. L’origine de la communauté chrétienne s’inscrit indubitablement dans l’annonce de l’événement de la foi pascale, accueilli ensemble, partagé et vécu en communion. C’est la dynamique inter-relationnelle de ces trois fonctions qui construit la communauté qui m’apparaît être catéchétique, de l’ordre du katekein (faire écho, résonner)…
C’est dans l’articulation de ces trois fonctions que la communauté se construit et vit, c’est dans
l’articulation de ces trois fonctions que se développe la dynamique catéchétique, centrée sur
l’expérience pascale.
A partir de cette perspective, même si l’on reconnaît que s’adresser à des enfants et des jeunes peut nécessiter
des aptitudes spécifiques et des moments particuliers, la catéchèse catéchuménale induit une démarche
intergénérationnelle où des temps entre enfants, jeunes et adultes sont privilégiés pour nommer l’essentiel et
l’existentiel, vivre la diaconie, faire mémoire, confesser et célébrer sa foi. N’est ce pas ici retourner aux sources du
catéchuménat qui concevait la préparation au baptême, non dans un espace initiatique séparé, mais à l’intérieur
des communautés et avec la participation de leurs membres138 ?
S’humaniser et humaniser (diaconia)
Accueillir, mettre en relation des humains avec d’autres humains, des enfants, des jeunes, des adultes, qui acceptent, quelques fois timidement, de se référer à l’Evangile pour donner sens à leur vie. Dans cet espace, prend
corps un vivre-ensemble autour de valeurs partagées et d’un croire qui se dit. Dans cet espace, la « douceur »139
des Béatitudes s’incarne dans le regard d’autrui face à la si fréquente brutalité de la vie, à la dureté des rapports
économiques et sociaux, à l’incivilité des rapports humains… Pour beaucoup de nos contemporains pour qui le
faire est premier et suscite le dire, c’est ce souci d’humanisation qui fera qu’après avoir ouvert la porte, ils accepteront de faire un bout de chemin avec nous. Un repas pris ensemble, une petite fête paroissiale, une proposition
de marche, une démarche caritative, bref tout ce qui transpire la convivialité et engendre un brin de solidarité.
Aller vers soi et vers l’altérité (martyria)
Favoriser tout ce qui aide à vivre quelque chose de l’évangile dans l’existence quotidienne, dans les épreuves et les
joies, dans les solidarités et les tensions et de s’approprier les nécessaires éléments qui permettent l’adhésion
croyante. Cette tâche d’interprétation se noue un double mouvement : aller vers soi et aller vers l’autre.
136
Jean Rigal, Ministères dans l’Eglise, Paris, Desclée, 1980.
137
Expression d’André Dupleix.
138
M. Metzger, in Esprit et Vie 144 (2006), p. 10.
139
« Heureux les doux… »
Catéchése 06-07
55
§
Aller vers soi, c’est la démarche qui soutient tout ce qui permet de faire écho à la parole des enfants, des
jeunes et des adultes que nous rencontrons, avec qui nous cheminons, que nous accompagnons, afin de leur
permettre de penser autrement pour devenir toujours un peu plus eux-mêmes, au contact de leur meilleur
d’eux-mêmes et du meilleur d’autrui, en étant attentif aux problématiques propres aux saisons de leur vie, enfant, adolescent, jeune adulte, adulte dans le mitant de la vie… Comme le soulignait Henri Bourgeois, c’est
leur permettre de poser leurs questions, de dire leurs doutes, d’exprimer leurs attentes, avec un certain ton,
celui de l’Evangile et de sa liberté responsable et historique, plutôt que d’enregistrer […] une réponse tout
faite.
§
Aller vers l’autre, c’est la démarche qui reconnaît positivement dans le débat avec soi-même et avec les autres l’altérité que nous offre à la fois le point de vue de l’autre et les éléments scripturaires et de la tradition
chrétienne140. C’est en nous cognant à cette altérité que sans cesse nous renouvelons notre identité chrétienne. C’est en nous cognant à cette altérité que sans cesse nous renouvelons notre relation à l’Altérité radicale, Dieu. C’est en nous cognant à cette altérité, que sans cesse nous renouvelons notre engagement au sein
de la communauté, que nous « regardons » « nos frères dans la foi », avec toute « la considération positive
inconditionnelle » nécessaire pour les écouter et faire un bout de chemin avec eux.
§
Aller vers soi et aller vers l’autre se noue dans l’échange, lieu d’élaboration du langage de la foi.
Comme le soulignent Gérard Delteil et Paul Keller, il convient ici de distinguer le spécifique d’une démarche
avec des enfants et de celle avec des adultes : « Ainsi la catéchèse de l’enfance va-t-elle solliciter la compétence de l’enfant, son pouvoir d’interrogation et d’étonnement, ses facultés d’expression et de communication
tandis que la catéchèse des adultes va faire appel à l’expérience dont l’adulte est porteur, et aux questions
qu’elle soulève »141. Avec les adultes, l’espace de référence catéchétique est le lieu d’une expérience ecclésiale
révélatrice et le temps catéchétique est le moment pour dire, nommer une expérience révélatrice, celle à partir
de laquelle chacun entrevoit des possibles pour entreprendre du neuf dans sa quotidienneté, celle à partir de
laquelle chacun porte un nouveau regard sur le monde et les autres, celle à partir de laquelle chacun renouvelle une relation à Dieu (Cf. Edward Schillebeeckx, 1992).
Avec les enfants et les jeunes, dans le contexte contemporain, il me semble important de ne pas oublier que, dans
cette tâche d’interprétation, la catéchèse est aussi de l’ordre du passage vers la culture et la tradition chrétiennes.
Sans elles, l’enfant, le jeune, risque d’errer à la recherche de ses origines, de rester en quête de mots pour penser
ses émotions et panser ses blessures, de chercher désespérément des outils pour comprendre le monde et donner
sens aux évènements qu’il vit, ainsi que des concepts pour accéder à l’intelligence de ce qui lui arrive et de ce qui
arrive à ses semblables142. En effet, que sont donc la culture et la tradition chrétiennes, sinon des éléments du patrimoine légué par le Peuple de Dieu tout au long de son histoire, sans lesquelles nulle intelligence de la foi ne
peut advenir ?
Se tourner vers Dieu (liturgia)
Favoriser de manière symbolique le regard de chacun et de tous vers Dieu. Ce regard est l’expression symbolique
du sens que chacun et tous accordent à leur vie à travers la diaconie et l’interprétation. Pour s’exprimer, le sens
chrétien a besoin de rites et de gestes, de temps festifs qui évoquent et engendrent la relation à l’Altérité et construisent un nous croyant. Mais attention, nous vivons dans un monde de communication où l’émotionnel prime de
plus en plus sur la rationalité. S’il convient de soigner les temps de parole pour que la Parole puisse prendre corps
dans le corps de chacun de ses membres, il convient également créer une ambiance en soignant la beauté des
gestes et du cadre ; la quête de sens se noue aujourd’hui autant dans l’expression rationnelle que dans le ressenti
du cœur. Se tourner vers Dieu implique une esthétique qui parle, afin de rendre un peu visible l’invisible qui nous
habite.
Humanisation, interprétation, liturgie. C’est dans ces tâches portées en commun, de manière réaliste et réalisable,
humblement, sans faire de vague, avec nos paroissiens tels qu’ils sont, que sur le mot catéchèse un regard nou-
140
Gilbert Adler, « Aujourd’hui croire », op. cit., p. 26.
141
Gérard Delteil et Paul Keller, L’Eglise disséminée, Paris, Ed. du Cerf, 1995, Coll. Théologies pratiques, p. 286.
142 Cf. Ph. Meirieu, Frankenstein pédagogue, Paris, ESF, 1996, p. 118. Ce que souligne Philippe Meirieu à propos de place de
la culture à l’école, nous fait réfléchir sur l’importance de la culture chrétienne dans une démarche d’éducation à la foi.
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veau sera porté : de l’éducation à la foi des enfants à une formation chrétienne tout au long de la vie, apport
d’une plus-value à la quotidienneté, temps et lieu d’accession à un sens à notre commune pérégrination sur terre .
Un projet catéchétique au cœur d’un projet pastoral
En effet, si la catéchèse est communautaire, elle n’est pas le tout de la communauté. Au sein de chaque communauté paroissiale vivent des équipes menant des actions spécifiques de diaconie, des groupes de réflexion chrétienne spécifique, des groupes d’action catholique, etc… Il convient donc d’assurer du lien et un minimum de cohérence dans l’agir pastoral. Pour ce faire, je préconise la dynamique du projet.
A y regarder de près, quand on milite dans la vie associative ou dans des structures de développement local, on se
rend compte que les habitants des communes ou quartiers urbains, « se sentent responsables parce qu’ils sont
fort conscients de la fragilité de leur quotidien »143. En réponse à cette fragilité, ils s’engagent à partir de projets
visibles et contextualisés et s’identifient moins en un projet global de société qui paraît lointain et non-maîtrisable,
voire aujourd’hui non-pensable. Pour eux, c’est l’agir local qui est mesurable et c’est sur le contexte local qu’ils
pensent pouvoir peser pour faire advenir un meilleur vivre ensemble, pour animer la vie de la cité ou du bourg,
pour mieux comprendre, choisir et maîtriser leur a-venir.
Ceci est d’autant plus sensible en ces temps de restructurations territoriales et ecclésiales. Dans sa synthèse d’un
colloque réunissant des experts, des élus et des évêques au sénat en 1988, Paul Houée constatait que
l’aménagement du territoire est « une démarche globale qui fait converger les initiatives multiples autour d’un
projet mûri ensemble et partagé… Il n’y a pas de territoire condamné ; il n’y a que des territoires sans projet. Là
où il n’y a pas de projet, il n’y a que des rivalités »144. J’aurai tendance à le paraphraser de manière positive en
disant « Il n’y a pas de paroisses condamnées ; là où il y a un projet, il y a une communauté de paroisse vivante ». La proposition catéchétique s’inscrit dans ce mouvement de pensée. C’est à travers un projet pastoral
global qu’elle sera perçue comme cette plus-value participative à la vie de la communauté.
C’est à travers le projet que les chrétiens pourront déceler le nécessaire décloisonnement de la catéchèse et sa
prégnance communautaire, cette activité pastorale qui façonne l’identité des acteurs dans la vie communautaire, la
qualité de vie et du vivre-ensemble et construit la relation à Dieu et aux frères dans la foi.
C’est à ce prix que
§
nous reconnaîtrons qu’humanisation et interprétation participent à la maîtrise du destin de chacun et que dès
lors nous entrons dans une démarche qui refuse de faire d’autrui un assisté, mais respecte sa liberté et sa dignité ;
§
nous reconnaîtrons que, si l’agape proposée par le Christ est tout le contraire d’une démarche d’exclusion, il
convient dès lors de toujours se penser partenaire d’un autre…
143 Michel Dinet, in Commission sociale des Évêques de France, Église et société face à l’aménagement du territoire, Paris,
Centurion/Cerf, 1988, p. 74.
144
Paul Houée, in Commission sociale des Évêques de France, op. cit., p. 199.