Ronsard dédie un poème épicurien à la fille d`un banquier italien

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Ronsard dédie un poème épicurien à la fille d`un banquier italien
Ronsard dédie un poème épicurien à la fille d'un banquier italien, Cassandre Salviati, qu'il a rencontrée à la cour:
Ode à Cassandre
Mignonne, allons voir si la rose
Qui ce matin avoir déclose
Sa robe de pourpre au Soleil,
A point perdu ceste vêprée
Les plis de sa robe pourprée,
Et son teint au vôtre pareil.
Las! voyez comme en peu d'espace,
Mignonne, elle a dessus la place
Las ! las ses beautés laissé choir !
Ô vraiment marâtre Nature,
Puis qu'une telle fleur ne dure
Que du matin jusques au soir!
Donc, si vous me croyez, mignonne,
Tandis que votre âge fleuronne
En sa plus verte nouveauté,
Cueillez, cueillez votre jeunesse :
Comme à ceste fleur la vieillesse
Fera ternir votre beauté.
Pierre de Ronsard (1524-1585)
Amours de Cassandre
À la demande de la reine Catherine de Médicis, Ronsard écrit des poèmes pour distraire de son deuil Hélène de Surgères
dont le fiancé était mort au combat pendant les guerres de religion:
Sonnet pour Hélène
Quand vous serez bien vieille, au soir, à la chandelle,
Assise auprès du feu, dévidant et filant,
Direz chantant mes vers, en vous émerveillant :
Ronsard me célébrait du temps que j'étais belle.
Lors vous n'aurez servante oyant telle nouvelle,
Déjà sous le labeur à demi sommeillant,
Qui au bruit de mon nom ne s'aille réveillant,
Bénissant votre nom, de louange immortelle.
Je serai sous la terre et, fantôme sans os,
Par les ombres myrteux je prendrai mon repos ;
Vous serez au foyer une vieille accroupie,
Regrettant mon amour et votre fier dédain.
Vivez, si m'en croyez, n'attendez à demain :
Cueillez dès aujourd'hui les roses de la vie.
Pierre de Ronsard
Amours d'Hélène
Je vous envoie un bouquet que ma main
Vient de trier de ces fleurs épanouies ;
Qui ne les eût à ce vêpre cueillies,
Chutes à terre elles fussent demain.
Cela vous soit un exemple certain
Que vos beautés, bien qu'elles soient fleuries,
En peu de temps cherront toutes flétries,
Et, comme fleurs, périront tout soudain.
Le temps s'en va, le temps s'en va, ma dame,
Non pas le temps, mais nous nous en allons,
Et tôt seront étendus sous la lame.
Et des amours desquelles nous parlons
Quand serons morts, n'en sera plus nouvelle.
Pour ce aimez-moi, cependant qu'estes belle.
Pierre de Ronsard
Les Amours
Ici Ronsard déplore la déforestation, se souvenant du jeune poète qu'il a été et qui cherchait son inspiration dans les bois
au contact de la nature:
Élégie
[…] Écoute, Bûcheron, arrête un peu le bras:
Ce ne sont pas des bois que tu jettes à bas,
Ne vois-tu pas le sang lequel dégoutte à force
Des Nymphes qui vivaient dessous la dure écorce ?
Sacrilège meurtrier, si on prend un voleur
Pour piller un butin de bien peu de valeur,
Combien de feux, de fers, de morts, et de détresses
Mérites-tu, méchant, pour tuer des Déesses ?
Forêt, haute maison des oiseaux bocagers,
Plus le Cerf solitaire et les Chevreuils légers
Ne paîtront sous ton ombre, et ta verte crinière
Plus du Soleil d'Esté ne rompra la lumière.
Plus l'amoureux Pasteur sur un tronc adossé,
Enflant son flageolet à quatre trous percé,
Son mâtin à ses pieds, à son flanc la houlette,
Ne dira plus l'ardeur de sa belle Jeannette :
Tout deviendra muet : Écho sera sans voix :
Tu deviendras campagne, et en lieu de tes bois,
Dont l'ombrage incertain lentement se remue,
Tu sentiras le soc, le coutre et la charrue :
Tu perdras ton silence, et haletants d'effroi
Ni Satyres ni Pans ne viendront plus chez toi,
Adieu vieille forêt, le jouet de Zéphyre,
Où premier j'accordai les langues de ma lyre,
Où premier j'entendis les flèches résonner
D'Apollon, qui me vint tout le cœur étonner :
Où premier admirant la belle Calliope,
Je devins amoureux de sa neuvaine trope,
Quand sa main sur le front cent roses me jetta,
Et de son propre lait Euterpe m'allaita.
[…]
Pierre de Ronsard
Un autre poète de la Pléiade, ami de Ronsard souffre d'être parti en voyage à Rome et d'être loin de chez lui:
France, mère des arts, des armes et des lois,
Tu m'as nourri longtemps du lait de ta mamelle :
Ores, comme un agneau qui sa nourrice appelle,
Je remplis de ton nom les antres et les bois.
Si tu m'as pour enfant avoué quelquefois,
Que ne me réponds-tu maintenant, ô cruelle ?
France, France, réponds à ma triste querelle.
Mais nul, sinon Écho, ne répond à ma voix.
Entre les loups cruels j'erre parmi la plaine,
Je sens venir l'hiver, de qui la froide haleine
D'une tremblante horreur fait hérisser ma peau.
Las, tes autres agneaux n'ont faute de pâture,
Ils ne craignent le loup, le vent, ni la froidure :
Si ne suis-je pourtant le pire du troupeau.
Joachim du Bellay (1522-1560)
Les Regrets
Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage,
Ou comme cestuy-là qui conquit la toison,
Et puis est retourné, plein d'usage et raison,
Vivre entre ses parents le reste de son âge !
Quand reverrai-je, hélas, de mon petit village
Fumer la cheminée, et en quelle saison,
Reverrai-je le clos de ma pauvre maison,
Qui m'est une province, et beaucoup d'avantage ?
Plus me plaît le séjour qu'ont bâti mes aïeux,
Que des palais Romains le front audacieux,
Plus que le marbre dur me plaît l'ardoise fine :
Plus mon Loire Gaulois, que le Tibre Latin,
Plus mon petit Liré, que le mont Palatin,
Et plus que l'air marin la douceur Angevine.
Joachim du Bellay
Les Regrets
Agrippa d'Aubigné, un émule de Ronsard, a été contraint d'abandonner la poésie pour participer aux guerres de religion
comme officier dans l'armée protestante. Il évoque plus tard son expérience dans un long poème épique, Les tragiques. Il
s'y interroge sur les causes de ces guerres fratricides et répond à sa propre question par le rappel d'un mythe:
[…]
Ainsi Abel offrait en pure conscience
Sacrifices à Dieu ; Caïn offrait aussi :
L'un offrait un cœur doux, l'autre un cœur endurci ;
L'un fut au gré de Dieu, l'autre non agréable.
Caïn grinça les dents, pâlît, épouvantable ;
Il massacra son frère, et de cet agneau doux
Il fit un sacrifice à son amer courroux.
Le sang fuit de son front, et honteux se retire,
Sentant son frère sang que l'aveugle main tire ;
Mais, quand le coup fut fait, sa première pâleur
Au prix de la seconde était vive couleur :
Ses cheveux vers le ciel hérissés en furie,
Le grincement de dents en sa bouche flétrie,
L’œil sourcillant de peur découvrait son ennui :
Il avait peur de tout, tout avait peur de lui :
Car le ciel s'affublait du manteau d'une nue
Si tôt que le transi au ciel tournait la vue ;
S'il fuyait au désert, les rochers et les bois,
Effrayés, aboyaient au son de ses abois.
Sa mort ne put avoir de mort pour récompense,
L'enfer n'eut point de morts à punir cette offense,
Mais autant que de jours il sentit de trépas :
Vif, il ne vécut point ; mort, il ne mourut pas.
Il fuit d'effroi transi, troublé, tremblant et blême,
Il fuit de tout le monde, il s'enfuit de soi même :
Les lieux plus assurés lui étaient des hasards,
Les feuilles, les rameaux et les fleurs des poignards,
Les plumes de son lit des aiguilles piquantes,
Ses habits plus aises des tenailles serrantes,
Son eau jus de ciguë, et son pain des poisons ;
Ses mains le menaçaient de fines trahisons :
Tout image de mort, et le pis de sa rage,
C'est qu'il cherche la mort et n'en voit que l'image.
De quelque autre Caïn il craignait la fureur :
Il fut sans compagnon et non pas sans frayeur :
Il possédait le monde, et non une assurance ;
Il était seul partout, hors mis sa conscience :
Et fut marqué au front afin qu'en s'enfuyant
Aucun n'osât tuer ses maux en le tuant.
[…]
Agrippa d’Aubigné (1552-1630)
Les Tragiques VI « Vengeances » v. 178-216

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