La vieille cabane en rondins

Transcription

La vieille cabane en rondins
La vieille cabane en rondins
John et sa famille ont quitté la ville pour vivre dans une vieille ferme, au milieu de la forêt
canadienne.
5
10
Il y avait cinq chambres en tout et je m'installai vite dans celle que je comptais bien
réclamer pour moi : c'était la plus petite, mais ça m'était égal parce que la première chose
que j'avais vue en regardant par la fenêtre, c'était la vieille cabane en rondins. Une grosse
veine1 de rochers courait comme le dos d'un dragon sur toute la largeur de notre terre. La
cabane était construite dans la seule brèche2 de ce filon3 rocheux incliné. Si j'avais été
un pionnier, c'est exactement là que je l'aurais construite, moi aussi. Quand la neige de
l'hiver tombait, cette vieille cabane, entre ces deux pans de rochers qui arrêtaient le vent,
devait être aussi douillettement blottie qu'un insecte.
- Ça te plaît, John ?
Maman se tenait à l'entrée de la chambre. Elle me regardait en souriant. Je fis oui de la
tête, avec enthousiasme.
15
- Bien sûr, il y a encore beaucoup de travail à faire, continua Maman en parcourant des
yeux quelques lézardes sur le mur. Cet endroit n'a pas été habité depuis plus de deux
ans.
- Je me demande pourquoi. C'est l'endroit le plus extraordinaire, que j'aie jamais vu.
- Personne n'en voulait. Ce n'est pas une terre très bonne à cultiver. Il y a trop de rochers.
Elle pointa du doigt par la fenêtre.
20
Tu vois la cabane de rondin, là-bas ? Ce sont les premiers arrivants qui l'ont construite. Ils
y habitaient tandis qu'ils défrichaient4 toute la forêt, sauf autour de leur maison. Puis une
entreprise de bois a tout acheté et a replanté une forêt de pins, il y a déjà longtemps. Ça
ne valait pas la peine de dégager cet endroit-ci seulement. Ils sont partis et nous avons
pu acheter à bon marché.
Elle eut l'air ennuyé, puis ajouta :
25
- J'espère que nous réussirons.
- T'en fais pas, Mam, lui dis-je joyeusement. Pap fera marcher tout ça.
- Oui, bien sûr, il y arrivera, dit-elle en souriant de nouveau. Allons, descends, maintenant.
J'ai apporté un pique-nique et nous allons manger. Tu pourras continuer ton exploration
plus tard.
30
- Je peux prendre cette chambre ? demandai-je avant de descendre avec elle.
35
[...] J'ai l'habitude d'être le dernier pour tout. Mais j'aimais vraiment cette petite chambre,
alors je voulais la demander avant les autres, avant David ou Paula, qui la voudraient dès
qu'ils sauraient qu'on pouvait apercevoir la vieille cabane en rondins de la fenêtre. Et puis
aussi, ce serait la première chambre à recevoir la lumière quand le soleil se lèverait. Je
venais seulement de m'en apercevoir, mais c'était une raison de plus pour la réclamer.
- Oui, dit Maman. Allons, viens. Les autres nous attendent.
40
Je pense que tout le monde avait oublié l'existence de la cabane parce que, pendant le
repas, on ne parla que de notre nouvelle maison et de toutes les choses extraordinaires
qu'on y ferait. Personne ne dit mot de la cabane. Je n'en parlai pas non plus, parce que je
voulais aller tout seul l'explorer une seconde fois. Le déjeuner fini, je restai jusqu'à ce que
Paula et David disparaissent. Ils s'en allèrent grimper dans les pommiers qui étaient à
l'ouest de la maison, et moi, je filai comme un lapin.
45
50
55
Je ne cours pas très bien, et j'étais hors d'haleine avant même d'avoir fait la moitié du
chemin. Personne ne me suivait, alors je ralentis, me mis à marcher et, pour la première
fois, je m'aperçus du silence. On aurait presque pu le toucher... Je jetai un regard en
arrière vers la maison, mais il n'y avait personne en vue.
En face de moi, à une centaine de mètres, je pouvais voir la vieille cabane en rondins,
brun foncé contre les rochers gris pâle et le bleu profond du ciel. Il n'y avait pas un pouce
de vent, même les arbres étaient immobiles. Je commençais à avoir un petit frisson en
pensant que j'étais seul au monde. Pourtant, ce monde était calme. Puis, soudain, il me
sembla que tout était vivant à nouveau, et que tout me regardait avec des milliers d'yeux,
même les arbres. Et au loin, la vieille cabane en rondins m'attendait entre les rochers.
Je m'arrêtai, guettant le moindre petit bruit. Mais tout ce que je pouvais entendre, c'était
une sorte de bruit bourdonnant, pareil à celui qu'on entend lorsqu'on met un coquillage
contre son oreille. C'est alors que je me mis à avoir vraiment peur. Et si quelqu'un m'avait
fait « hou! », je crois bien que je serais retourné à la maison en l'espace d'un éclair. Mais
personne ne me fit «hou! », et la cabane était toujours là, à attendre. Alors, je pris une
profonde inspiration et continuai, avec le silence et le calme et l'impression de peur qui
m'accompagnaient.
60
En arrivant à la cabane, mon coeur battait presque aussi fort qu'un tambour de guerre
indien. Je commençai à souhaiter que la porte soit verrouillée. Comme ça, je ne serais
pas obligé d'entrer, et je serais forcé de retourner à la maison, chez Papa et Maman. Mais
la porte n'était pas verrouillée et, quand je la poussai, elle s'ouvrit sans que grincent ses
charnières. Je pénétrai avec précaution, laissant la porte ouverte derrière moi.
65
Tout semblait sombre après la vive lumière du dehors, mais je pouvais voir tout de suite
que la cabane avait toujours le même ameublement que la première fois. Il y avait une
vieille table et une chaise dans la cuisine, et quelques casseroles près de l'évier. La porte
de la cuisine s'ouvrait sur une grande pièce où mon regard fut attiré par l'immense
cheminée au fond. Deux crémaillères5 pendaient de chaque côté, prêtes à recevoir une
marmite pour faire bouillir de l'eau ou réchauffer de la nourriture. Mais ce que je vis dans
la cheminée elle-même me fit décamper et de la salle et de la maison par la porte que
j'avais laissée grande ouverte.
70
75
Le bois était carbonisé, mais il y avait encore des braises. Les mots de Maman
résonnaient dans ma tête tandis que je courais «Ces lieux sont inoccupés depuis plus de
deux ans. »
Alan WILDSMITH, Un été aux arpents, Flammarion, collection «Castor Poche».
1
veine de rochers : trace de rochers.
2
brèche : ouverture, fracture.
3
Filon masse allongée de minerai située dans le sol.
4
défrichaient : détruisaient tout ce qui empêchait de cultiver la terre.
5
crémaillères tiges de fer avec des crans.