Lire le rapport

Transcription

Lire le rapport
L’intégration de l’éthique à la recherche scientifique et
technologique : Les leçons du modèle danois
Rapport de stage post-doctoral
Présenté par
Dominic Desroches (Ph.D philosophie)
[email protected]
Université de Montréal
Lieu du stage : Center for Etik og Ret (Copenhague, Danemark)
Stage financé par l’Institut International de Recherche en Éthique Biomédicale
(IIREB)
Septembre 2004
Introduction
La science et la technologie sont de puissants moteurs de changement. Et parce
qu’elles transforment radicalement notre agir, leur union pose de nouveaux défis à notre
responsabilité collective. Ce champ de responsabilité est désormais celui de l’éthique. Or
comment l’éthique, à titre de sphère normative, peut-elle s’intégrer (si cela n’est pas un
contresens…) à la recherche scientifique et ses applications techniques ? Depuis plusieurs
années déjà, le Danemark a mis sur pied divers organismes, essentiellement consultatifs,
pour étudier cette difficile question. Ainsi le Danemark est-il devenu un chef de file dans
ce domaine et nous pouvons en conséquence affirmer qu’il existe un « modèle danois »
de l’intégration de l’éthique. En effet, avec les comités d’éthique locaux et le Conseil
national d’éthique (Det Etiske Raad), on trouve aussi le BIOSAM (Samarbejdsorgan om
bioteknologi) dont le but premier est d’assurer une évaluation éthique des technologies et
d’organiser des activités ayant pour objectif d’informer, d’éduquer et de communiquer
avec les citoyens. Le BIOSAM, notons-le, a beaucoup innové en matière de participation
démocratique puisqu’il a mis en place maints mécanismes d’évaluation éthique.
Aujourd’hui, il coordonne les activités des comités d’éthique locaux et travaille de
concert avec l’Office parlementaire d’évaluation des choix technologiques (en danois :
Teknologirådet). Créé par le parlement (Folketing) pour coordonner les débats sur le
développement rapide des biotechnologies, le Teknologiråd a pour mandat législatif
d’éclairer et d’orienter la réflexion afin d’aider le gouvernement dans sa prise de décision
au sujet des questions relatives aux avancées des sciences de la vie et des technologies.
Enfin, le BioTIK (qui est aussi un projet du gouvernement danois datant de 2001) doit
aussi assurer, c’est le sens même de son nom, une « intégration » de l’éthique et des
biotechnologies danoises. On le constate sans peine : l’exemple danois, s’il est analysé
rigoureusement, peut nous apprendre beaucoup. Le stage post-doctoral que nous avons
réalisé à Copenhague entre janvier et mai 2004 avait pour objectif principal de tirer
quelques leçons du modèle danois d’intégration de l’éthique à la recherche scientifique et
technologique, donc de comprendre comment l’éthique était prise en compte dans les
questions scientifiques et technologiques au Danemark.
Dans ce rapport, nous proposerons tout d’abord quelques réflexions tirées de notre
stage réalisé au Center for Etik og Ret (Centre d’éthique et droit dans la nature et la
société) à Copenhague (Danemark)1. Après avoir rappelé brièvement la problématique du
stage et nos trois questions directrices, nous dirons un mot sur le lieu du stage et nous
présenterons les démarches que nous avons effectuées durant notre séjour dans la capitale
danoise. Nous présenterons ensuite, en survol, le modèle danois d’intégration de l’éthique
à la recherche, son historique et ses comités d’éthique, et nous tirerons quelques leçons de
l’expérience danoise depuis sa mise sur pied au milieu des années 1970. Cette trop courte
présentation pourra, nous l’espérons, nous aider à voir si nous avons atteints les objectifs
que nous nous étions fixés au départ. En complément, le lecteur trouvera en fin de rapport
une bibliographie sommaire.
1
Ce stage post-doctoral a été rendu possible grâce à une bourse de l’Institut International de Recherche en
Éthique Biomédicale (IIREB). Je remercierai chaleureusement ici Marie-Angèle Grimaud et Bartha Maria
Knoppers de l’IIREB, Hubert Doucet des programmes de Bioéthique de l’Université de Montréal ainsi que
mon superviseur au Center for Etik og Ret, le professeur Peter Kemp. Je n’oublierai pas ici de remercier
mes collègues du Center for Etik og Ret, Kjersti Lunde et Lisbeth Neilsen, et tout particulièment Christian
Coff et Emily Hartz Kaplers.
I. La problématique du stage
Ce projet post-doctoral a procédé, sur le terrain, à une étude de l’intégration de
l’éthique à la recherche scientifique et technologique au Danemark. Il a voulu tirer les
« leçons » du modèle danois depuis son instauration, c’est-à-dire au milieu des années
1970. Dès lors, nous avons étudié l’histoire du modèle à partir de sa structure (conseils,
comités, commissions, projets spéciaux et forums). Nous avons également porté notre
attention sur l’autonomie et au type de distance que posent ces instances assurant une
médiation entre la recherche, ses applications et les citoyens. Notre projet s’est grosso
modo penché sur deux volets de l’intégration de l’éthique à la recherche au Danemark :
1/ la prise de décision et 2 / la participation démocratique. Nous avons bien entendu
analysé les méthodes d’évaluation utilisées par le BIOSAM et le Teknologiråd, comme
les Perspective Workshop, le Scenario Workshop, la Voting conference, les Consensus
Conference, le Policy Exercise, les Questions and Choices, les Hearings for Parliament,
les Interdiciplinary Work Groups, les Future panels, le Development space. À l’intérieur
d’une démocratie danoise qui a la réputation d’incarner une solide tradition en matière de
participation, notre enquête s’est surtout intéressé à la place, au rôle et au statut du
citoyen dans le débat éthique suscité par les progrès rapides de la science et de la
technologie au Danemark.
Rappelons rapidement les trois grandes questions qui ont motivé nos recherches et
orienté la rédaction de notre article principal :
I) Comment s’est développé historiquement le modèle danois d’intégration de
l’éthique à la recherche scientifique et technologique ?
II) La population danoise participe-t-elle réellement aux prises de décision
concernant la recherche et les applications de la science ? Si oui, de quelle(s) façon(s) ?
III) Dans la démocratie danoise, de quelle(s) manière(s) les instances éthiques
parviennent-elle à combler la distance séparant la science (et ses applications
techniques) et les citoyens ordinaires ?
II. Lieu du stage
Le stage avait lieu au Centre de recherche en éthique et droit qui est situé au cœur
de Copenhague. Le Center for Etik og Ret, qui a fêté son dixième anniversaire en février
2004, a été mis sur pied par Peter Kemp et était initialement affilié à l’Université de
Copenhague. Aujourd’hui, il est toujours dirigé par Peter Kemp, qui est désormais
professeur de philosophie et directeur de l’Institut for Pædagogisk Filosofi de la Danske
Pædagogisk Universitet (l’Institut pour la philosophie de l’Université danoise de
l’éducation). Soulignons que Jørgen Rosted agit comme président du Conseil
d’administration et comme responsable du développement. Les membres du Conseil
d’adminstration proviennent du milieu universitaire, de la recherche et de l’industrie. Le
Center possède donc son comité administratif et travaille de manière autonome. Il reçoit
enfin des subventions de recherche des cinq principaux conseils de recherche danois, du
Ministère danois des affaires sociales et de la Commission européenne.
Le Center se spécialise généralement dans les questions juridiques et éthiques
posées par notre rapport à la nature. En fait, il se donne les objectifs suivants : à partir
d’une réflexion philosophique, étudier les rapports entre la bioéthique et le biodroit,
l’éthique de l’environnement et le droit, l’éthique sociale et le droit, et l’éthique et
l’éthique de la consommation (aliments, traçabilité, etc). Divers projets de recherche sont
actuellement en cours, notamment sur les problèmes d’éthique posés par l’alimentation et
la traçabilité, les choix éclairés en ce qui concerne la consommation, la structure danoise
de recherche, l’éthique et les lois à la Commission européenne (ETHICATT), etc. Nous
tenons à souligner que, bien que notre projet n’ait pas été subventionné par l’État danois
ou le Center for Etik, nous avons eu le bonheur d’être intégré rapidement dans l’équipe.
Le groupe de chercheurs du centre, qui reçoit parfois des chercheurs étrangers, fait de
l’éthique une priorité et du droit une balise à respecter dans la recherche scientifique. Le
Center a ainsi organisé deux conférences internationales en 1996 et 19992 et un stage
d’enseignement en mai 2004 à Holbaek. Parce que nous rentions au Québec au début de
mai, nous n’avons pas pu participer, comme cela était prévu, aux conférences et activités
d’Holbaek. Il offrira, en avril 2005, une formation éthique aux étudiants en ingénérie.
III. Démarches effectuées
A. Documentaire
Durant la première partie de notre stage, nous avons poursuivi notre travail de
documentation (une recension des écrits les plus importants) en travaillant au Center for
2
Voir le site internet à l’adresse : www.centerforethicsandlaw.dk
Etik, qui possède une excellente bibliothèque, à la bibliothèque de l’Université de
Copenhague et la bibliothèque de la ville de Copenhague. Ainsi, nous avons pu étudier
presque tous les documents produits par le Center for Etik sur le modèle danois, mais
aussi les livres les plus importants sur la question ainsi que les rapports des principaux
organismes danois. Notre recension des écrits repose enfin sur quelques documents non
publics (ils sont en cours de préparation et rédigés en danois, notamment au sujet du
dernier projet de loi du Folketing) et les archives que possède le Center for Etik depuis
sa création en 1994. Car le Center for Etik og Ret est abonné à plusieurs périodiques
importants pour notre recherche et quelques journaux. Enfin, nous avons photocopié et
recensé les projets de lois qui concernent le développement du modèle danois, qui ne
sont jamais détachables des lois du Folketing, le parlement danois.
B. Entrevue
Pour mener à bien notre enquête sur le terrain, nous avons réalisé une entrevue, au
Center for Etik, avec M. Ole J. Hartling, qui est présentement président du Etiske Raad
(le comité national danois d’éthique). Cette entrevue nous a permis de saisir son rôle et
ses responsabilité envers la population et de mieux comprendre les enjeux auxquels sera
confronté le modèle danois d’intégration de l’éthique dans les prochaines années. Selon
M Ole Hartling, pour dire les choses en résumé, le Comité national d’éthique, dont le
mandat repose sur une loi du parlement danois, devra prochainement s’ouvrir davantage
aux jeunes, travailler plus convivialement avec les comités d’éthique locaux, travailler de
concert avec le Gouvernement danois en vue des nouveuax projets de loi afin de répondre
toujours mieux aux attentes grandissantes du public. Les sujets d’avenir au Comité
national d’éthique qui feront l’objet de rapports et de discussions, selon M. Hartling,
seront les suivants : toutes les questions concernant le clonage, la recherche scientifique
sur les cellules souches, les progrès de la thérapie génique et les nouvelles inventions et
les brevets concernant la génétique.
C. Conférences et rencontres
Nous avons assisté à quelques conférences tenues à Copenhague concernant le
modèle danois et la recherche au Danemark, notamment les conférences prononcées lors
de l’anniversaire du Center for Etik, en février 2004 à l’Université de Copenhague, mais
aussi les séminaires donnés au Center dans le cadre des recherches vues plus haut. Il est à
noter que certaines conférences et quelques colloques nous intéressaient particulièrement,
mais l’admission était payante.
D. Volet traduction et partenariat
Nous avons enfin profité de ce séjour afin de nouer des liens privilégiés avec des
membres des équipes de recherche et des chercheurs danois en éthique et en bioéthique,
principalement l’équipe de Peter Kemp au Center for Etik og Ret et celle Peter Sandøe au
Center for Bioetik og Risikovurdering. Car il serait souhaitable, selon nous, que les
équipes québécoises connaissent mieux les travaux danois et inversement puisque le
travail déjà réalisé au Danemark depuis plusieurs années déjà doit servir d’exemple,
d’école même, et peut ainsi nous aider à mieux comprendre nos propres limites dans
l’intégration de l’éthique dans la recherche scientifique et technologique. Cette ouverture
aux travaux actuels des chercheurs danois, en éthique et en bioéthique mais aussi dans les
sciences humaines, pourrait mener à des échanges de connaissances, mais aussi à la
traduction d’articles, car plusieurs recherches de l’équipe de P. Kemp ne sont rédigées
qu’en danois et demeurent inconnues du lectorat francophone. Cependant, vu la situation
qui prévaut actuellement dans le monde de la recherche scientifique, il est à noter que
l’équipe du Center for Etik tente de traduire systématiquement tous ses travaux en langue
anglaise. Nous donnerons ici l’exemple de l’étude réalisée pour le Ministère de
l’Industrie et du Commerce, de concert avec le groupe d’experts du Bio-TIK, portant le
titre suivant : An Ethical Foundation for Genetic Engeneering Choice (Les fondements
éthiques des choix en matière de génie génétique)3. Cela dit, passons au modèle danois.
3
À ce sujet, on consultera le site internet : http://www.ethiclaw.dk . Soulignons ici que le Center for Etik,
et c’est l’un de ses nombreux mérites, essaie de procéder à des traductions françaises lorsque cela est
possible.
III. Le modèle danois d’intégration de l’éthique à la recherche
Tout d’abord, il convient de rappeler que le Danemark s’est progressivement doté
d’une structure éthique après qu’une commission se soit chargée de faire la lumière sur
les pratiques danoises en matière d’application de l’éthique dans le domaine médical4.
Après certaines recommandations, des comités régionaux d’éthique ont vu le jour. À
l’initiative principale de médecins, soulignons-le, ces premiers comités, au tournant des
années 1975-1976, étaient constitués de profanes et de quelques experts en éthique et en
médecine. Ils ont pris le nom assez malheureux de Videnskabelig etiske comite (Comités
d’éthique scientifique), un nom qui mettait l’accent sur le caractère scientifique de
l’évaluation éthique. Évidemment, il est aujourd’hui facile de voir les limites d’une telle
appellation. Ce système, comme l’explique P. Kemp, avait deux principes directeurs : le
principe de la régionalité et le principe de la parité5.
Mais le Danemark a aussi mis sur pied un Comité central d’éthique ou un Conseil
danois d’éthique (Det Etiske Raad). Sur ce comité national siègent aussi des réprésentants
locaux. Mais parce que le président et le vice-président sont nommés par le Conseil de la
recherche biomédicale, l’avis des chercheurs est prépondérante dans cette instance. Or,
on rappelera que si la tâche du comité régional est de veiller au bon fonctionnement de la
recherche biomédicale, tout en proposant en même temps des lignes directrices pour
l’application de l’éthique à des cas pratique, il revient au Comité d’éthique national
danois grosso modo deux tâches : contrôler les travaux des comités locaux, tout en
4
Concernant le modèle danois, sa structure et son histoire, le lecteur trouvera des informations résumées
dans « Medicinsk videnskabetik », in Andersen, D., pp. 567-580.
5
Kemp, P., Det Uerstattelige. En teknologietik, 1991. Trad fr. L’irremplaçable. Une éthique de la
technologie, Paris, Cerf, 1997, 196-197.
servant de support à ces derniers, et servir de recours contre les décisions des comités
locaux. Enfin, on spécifiera que l’ensemble de ce système danois de la première heure a
une fonction essentiellement consultative. Il convient bien sûr de soulever rapidement
quelques limites de système jadis très novateur.
À titre de première limite, on notera la prépondérance des personnes de formation
scientifique dans le Comité d’éthique danois. Cet aspect peut avoir des effets regretables
quand on pense que le Comité, en 1984, alors que le Folketing débattait d’un projet de loi
controversé, s’était opposé à une idée sous prétexte que le projet portait ateinte à la liberté
danoise en recherche… Certes, les choses ont bien chagé depuis et le Comité national se
comporterait autrement aujourd’hui, car désormais les non-scientifiques sont majoritaires
dans les comités d’éthique. Comme en France donc, ce sont les médecins au Danemark
qui se sont penchés les premiers sur les questions d’éthique biomédicales et qui ont
marqué l’esprit de ces comités.
Cette démarche aura montré une autre limite. En effet, comme le rappelle souvent
Peter Kemp, de nombreuses personnes, aujourd’hui encore, persistent à croire que le
commun des mortels, c’est-à-dire la personne ordinaire, devrait pouvoir siéger sur un
comité d’éthique aussi bien que n’importel quel scientifique ou professeur d’éthique.
Cependant, l’expérience danoise de la première heure a montré que la faculté de prendre
position sur des problèmes d’éthique au sujet du développement des sciences et des
technologies exige une connaissance minimale du discours éthique et que, en raison de la
complexité de certaines questions technico-scientifiques, il est irrationel de penser que
tout le monde peut participer à ces comité. L’expérience danoise montre que c’est le
contraire qui est vrai : il faut lire, étudier, connaître et s’intéresser aux questions technoscientifiques pour bien travailler sur ces comités. Pour le dire en clair : si le jugement
éthique ne doit jamais demeurer l’affaire des seuls experts, comme l’a d’ailleurs montré
H.-G. Gadamer dans plusieurs ouvrages, sur les comités d’éthique cependant, il est
nécessaire de connaître la pratique de la recherche pour siéger efficacement.
Nous profiterons de ce résumé de l’historique du modèle danois pour dire un mot
sur la structure éthique danoise et les instances qui la composent. Après ce court résumé,
nous porterons notre regard vers trois leçons générales tirées de l’expérience danoise.
Outre les comités d’éthique scientifiques, on retrouvera, sous la responsabilité du
Ministère de la santé, le Conseil des technologies danois (Technologieraad)6, mais aussi
le BIOSAM (Samarbejdsorgan om bioteknologi)7 dont l’objectif principal demeure celui
d’assurer une évaluation éthique des technologies et d’organiser des activités ayant pour
objectif d’informer, d’éduquer et de communiquer avec les citoyens. Certes, ces instances
sont éthiques au sens où elles doivent assurer le dévelopement « éthique » de la science.
Le BIOSAM, rappelons-le, a beaucoup innové en matière de participation démocratique,
car il a mis en place plusieurs mécanismes d’évaluation éthique. En Danemark, il agit à
titre d’instance de coordination globale des biotechnologies. Aussi, le Conseil d’éthique
sur les animaux par exemple8, à l’instar des nombreux autres comités de ce genre dans le
6
Voir sur Internet les pages synthèse du Teknologiraad : www.tekno.dk.
Sur Internet, la page du BIOSAM est : www.biosam.dk
8
Sur Internet, voir la page du Dyreetiskerad (Justistministeriet) : ww.jm.dk
7
monde, se penche sur les problèmes d’éthique relevant de l’usage des animaux en
recherche.
Aussi, on retrouvera ici le Conseil national d’éthique9 crée dans la foulée de la loi
du 3 juin 1987 sur le Conseil d’éthique et le contrôle de certaines expériences éthiques
dans le domaine biomédical. Cette instance éthique, composée de 17 membres nommés
en partie par une commission parlementaire et le Ministère de la santé, doit coopérer avec
les autorités sanitaires et les fameux comités d’éthique scientifique conformément à la
Déclaration d’Helsinki (§ 1). Ce comité, depuis sa création, a connu beaucoup de
difficultés à asseoir sa crédibilité aux yeux du public danois en matière de problèmes
d’éthique. Mais c’est certainement parce que les membres du Conseil, faute d’avoir une
véritable expérience en matière d’éthique, ont éprouvé, lors de leurs réunions, beaucoup
de difficultés dans la formulation des questions d’éthique. Or si la tâche principale du
Comité national d’éthique danois, à l’instar du Comité consultatif national d’éthique
français, demeure celle d’informer le public et d’orienter les comités scientifique
d’éthique et les fonctionnaires et les politiciens, il ne peut parvenir à jouer un rôle que si
les politiciens et la population l’appuient. Mais à la différence du CCNE français, le
Comité national danois proposera des lois sur des sujets d’éthique précis (§§ 4 à 8). On
notera enfin que le Conseil national danois doit assurer la tenue de débat public sur des
problèmes d’éthique (§ 9). Le Conseil national danois, qui travalle dans la foulée et
l’esprit de la Déclaration d’Helsinki, est aujourd’hui et demeurera encore longtemps la
pierre angulaire de l’application de l’éthique au Danemark
9
Sur le Comité national, voir la page Internet du Etiske Raad : www.etiskraad.dk
Ici, il convient de redire un mot sur la mission et les méthodes de travail du BioTIK10. Le mot BioTIK est composé des abréviations des mots Bioteknologi et Etik. Les
experts qui composent le projet BioTIK proviennent de plusieurs domaines de recherche
aussi différents que la philosophie, la sociologie, les sciences de la santé (médecine) et les
sciences naturelles (biologie, agronomie, etc). Le groupe de recherche jouit depuis sa
création en 2001 d’un secrétariat en partenariat avec le Ministère de l’Industrie et du
Commerce et le Center for Etik og Ret. Le Ministère de l’Alimentation, de l’Agriculture
et des Pêcheries et le Ministère de l’Environnement et de l’Énergie ont déjà travaillé de
concert avec le secrétariat en lui offrant des renseignements utiles. Nous rappelerons ici
que le BioTIK discute aussi avec des représentants d’entreprises, des représentants de
consommateurs et des experts en environnement ainsi que de nombreux autres types
experts en biotechnologies. Ces discussions ont contribué à améliorer les travaux des
membres du BioTIK, dont les plus connus sont Messieurs Jørgen Rosted (Ministère de
l’Industrie et du Commerce), Lars Bolund (Aarhus Universitet), Henrik Dahl, Peter
Kemp (Center foe Etik), Lars Klüver (Technologiraad) et Peter Sandøe (Center for
Bioetik og Risikovurdering).
Nous rappellerons, à titre d’exemples, quelques grands thèmes de travail du
BioTIK. Les 8 et 9 octobre 2002, le BioTIK a organisé un workshop à Copenhague sur
les conventions bioéthiques européennes. Les 23, 24 et 25 octobres suivants, il organisait
une grande conférence portant sur l’avenir de l’alimentation et la bioéthique. Le BioTIK
10
Pour plus d’informations sur le Bio-TIK : www.biotik.dk
a produit des documents de références importants, comme l’Ethical Principles in
European regulation of Biotechnology / Possibilities and pitfalls en 2002, Biotechnology
and Ethics in Europe and Worldwide en 2003 ou le projet nommé Ethics / A tool for
making the right choices on Biotechnology en 2001. Comme nous le constatons sans
peine, la mission du BioTIk, bien que danoise à la base, dépasse largement le Daneamark
et illustre l’ouverture du Danemark concernant les débats récents sur les biotechnologies.
IV. Quelques leçons du modèle danois
Nous nous proposons ici de rappeler trois grandes leçons du modèle danois que
nous avons très rapidement présenté plus haut. Ces leçons visent à répondre à nos trois
questions directrices.
Premièrement, au sujet de l’historique du modèle, il convient de remarquer que le
Danemark s’est doté d’un modèle d’intégration de l’éthique qui respecte à la fois et
rigoureusement son histoire, sa culture, son développement économique et technologique
ainsi que sa géographie physique. Les Danois sont persuadés, et l’expérience peut nous
l’apprendre également, que l’efficacité de l’application de l’éthique se trouve précisément
dans la proximité et la fluidité des liens. Les instances éthiques seront d’autant plus
efficaces, notamment en ce qui concerne les décisions, qu’elles seront organiquement très
proches les unes des autres. Le modèle danois, comme nous le montre particulièrement le
débat sur le projet de loi concernant l’avenir du Conseil national d’éthique (Le Center a
proposé une lecture de ce projet de loi, l’Høringssvar til lovforslag om Det Etiske Raad)
se développera en dialogue avec les lois parlementaires dans le respect de la démocratie
danoise, une « démocratie de proximité ».
Comme on le sait, la démocratie danoise repose toujours sur une défense efficace
du modèle de l’État-providence, un modèle revu et corrigé à la régulière au Danemark.
Ce modèle repose sur une compréhension particulière des politiques du travail danoises,
du soutiens aux familles, de la lutte ccontre la pauvreté, des besoins en matière de santé et
d’éducation. Le modèle de l’éthique doit donc être compatible avec un vision particulière
de l’économie sociale et de la culture danoise.
Mais ici, il convient de préciser un autre facteur extrêmement important au sujet
du développement du modèle danois : la modialisation des échanges et des savoirs. En
fait, notons que le Danemark, un petit royaume qui appartient désormais aussi bien à la
scandinavie qu’à l’Europe, comprend son modèle d’éthique en regard de ses voisins. Sur
les questions posées par la recherche, la science et la technologie, le Danemark est l’un
des joueurs scandinaves avec la Suède, la Norvège et la Finlande11. Le Denemark s’ouvre
de plus en plus autres pays et profite désormais des expériences de ses voisins en matière
d’application de l’éthique. Cela nous semble une tendance lourde.
Deuxièmement, le Danemark demeure convaincu que les instances éthiques sont
toujours politiques et que l’on doit écouter les citoyens. Autrement dit, la population doit
activement participer aux décisions concernant le développement des technologies. La
11
On lira par exemple l’étude de Marja Häyrinen-Alestalo : Mediating Public Concern in Biotechnology. A
map of sites, actors and issues in Denmark, Finland, Norway and Sweden, NIFU (Norwegian Institute for
Studies inReseach and Highter Education), Oslo, 02-2004, 155 p..
participation de la population sera possible si, comme l’ont montré le BIOSAM et le
Teknologiraad, l’on utilise de nouvelles méthode pour palper la volonté de la population.
Cette participation démocratique de proximité pourra faire l’objet de plusieurs méthodes
d’évaluation, comme les Perspective Workshop, le Scenario Workshop, la Voting
conference, les Consensus Conference, le Policy Exercise, les Questions and Choices, les
Hearings for Parliament, les Interdiciplinary Work Groups, les Future panels, le
Development space. Ces moyens illustrent non seulement la créativité des Danois en
matière d’éthique (ils sont toujours en dialogue avec les autres pays européens qui
évaluent la participation éthique, notamment l’Allemagne), mais aussi leurs capacités à
innover et à adapter l’éthique à leur situation unique12.
Troisièmement, le Danemark a montré que la réussite en matière d’éthique repose
sur une intelligence de la distance, distance raisonnable entre les instances éthiques, la
populations et les principaux acteurs qui prennnent les décisions. Si nous revenons aux
méthodes d’évaluation de la participation publique vues un peu plus haut, nous
retiendrons que le développement et l’application de ces méthodes reposent sur une
compréhension particulière de la distance. En effet, ces méthodes fonctionneront bien à la
condition qu’elle soient adaptées à un ordre de grandeur. De la même manière, toutes les
questions relevant de l’application de l’éthique exige une interprétation dans la distance.
Nous donnerons un dernier exemple de ce point fort important en nous rapportant au
projet de loi (forslog) de février 2004 sur l’avenir du Conseil national d’éthique. Ce
forslog exige un effort rigoureux de collaboration de la part des autres instances, comme
12
On lira ici le bel article de Ida-Elisabeth Andersen et Birgit Jæger : « Danish paticipatory Model.
Scenario workshop and Consensus conference : Toward more democratic decision-making », in Science
and Public Policy, Oct 1999, 331-339.
le BioTIK, le Ministère de la santé ainsi que les universités. Il est clair que le Ministère
de la santé doit s’assurer une collaboration étroite, un dialogue constant, la fluidité dans
son rapport aux citoyens s’il veut réussir son projet. La continuité du Conseil national
d’éthique sera assurée par la capacité incroyable des Danois a travailler ensemble, de se
consulter et de combler la distance entre le citoyen et l’expert, la population et les
instances éthiques qui guident les décisions. Tel est bien, selopn nous, la première qualité
du modèle danois d’intégration de l’éthique à la recherche scientifique et technologique.
Conclusion
Nous tenons à remercier derechef l’Institut International de Recherche en Éthique
Biomédicale (IIREB) pour son soutient financier sans lequel notre recherche n’aurait pu
avoir lieu. Grâce à cette bourse de recherches post-doctorales, nous avons pu obtenir les
documents les plus pertinents pour étudier le modèle danois, mais aussi discuter, sur
place, avec les acteurs et les intervenants qui construisent et perfectionnent ce modèle.
Les liens étroits que nous avons noués avec les membres du Centre d’éthique et droit, le
personnel des bibliothèques et des organismes, ne sont pas étrangers au modeste succès
de la recherche que nous avons menée. Si nous avons élargi notre réseau de contacts au
Danemark mais aussi dans le monde de l’éthique et de la bioéthique, nous espérons que
d’autres chercheurs, provenant de l’IIREB ou d’autres organismes de recherche, pourront
en bénéficier. Après ce séjour d’études au Danemark, il nous paraît hélas bien difficile,
pour un chercheur étranger qui n’a pas travaillé au Danemark et dans la langue danoise,
de comprendre précisément comment les Danois concoivent l’intégration de l’éthique.
Si nous avons bénéficié d’une aide inestimable de la part de l’IIREB et de
l’équipe du Center for Etik, nous tenons à les remercier une dernière fois ici. Il ne nous
reste plus qu’à espérer que l’IIREB, ainsi que ses nombreux partenaires, pourra encore
longtemps aider financièrement les jeunes chercheurs oeuvrant dans le domaine, jeune
mais prometteur, de l’éthique biomédicale.
*
* *
Bibliographie sommaire
Monographies et articles par thèmes
A Intégration de l’éthique et comités d’éthique
AMBROSELLI, C., Le comité d’éthique, PUF, 1990.
, (éd.) Les comités d’éthique à travers le monde, Paris, Tierce, INSERM, 1987.
KEMP, P., « Social Development : Beetween Intervention and Integration », in Social
Development, Rhodos, 1997, 16-19.
, « Les limites de l’intégration. Le cas du Danemark », in Éthique et handicap
mental, Namur, PUN, 1997, 73-82.
, Det Uerstattelige. En teknologiethik, 1991. Trad fr. L’irremplaçable. Une éthique
de la technologie, Paris, Cerf, 1997.
, « Maîtriser les risques. Les comités technologiques », in Contrôler la science ?
La question des comités d’éthique, Bruxelles, 1990, 17-38.
, « Les comités d’éthique et le politique » in Le triomphe des biotechnologies.
La domestication de l’animal humain, Namur, PUN, 1988, 151-161.
, « Pour une technologie au service d’une société plus humaine : une nouvelle
formation interdisciplinaire à l’Université de Copenhague », in Recherche,
Formation et développement, Namur, PUN, 1988.
, éd., Éducation permanente et contrôle des technologies, Namur, PUN, 1983.
SANDØE, P., « Det Dyreethisk Råd og Dyreværnsrådet », in Nordiske komiteer innen
Bioethik, Temanord, 1999, 518 ; København, Nordisk Ministerrråd, 1999, 14-17.
, « Om Det Ethiske Råd vedrørende Husdyr », in Årsskrift 1990, København,
Foreningen til Dyrenes Beskyttelse I Danmark, 1990, 41-49.
B. Sur l’éthique, l’expertiste éthique et l’application de l’éthique à la technique
DRUET, P.-P., KEMP, P., THILL, G., « Le rôle social de l’expert et l’expertise », in
Technologies et sociétés, Paris, Galilée, 1980, 99-121.
GADAMER, H-G., Über die Verborgenheit der Gesundheit, Frankfurt a. M., Suhrkamp,
1993.
, « Théorie, technique et pratique », in Philosophie de la santé, Grasset, 1998.
, « Autorité et liberté critique », in Philosophie de la santé, Grasset, 1998.
, « Sur la possibilité d’une éthique philosophique », in L’Art de comprendre.
Écrits II, Paris, Aubier, 1991.
HABERMAS, J., Morale et communication, Paris, Cerf, 1986.
, Théorie et pratique, Paris, Payot 1975
, La technique et la science comme « idéologie », Paris, Gallimard, 1973.
HOTTOIS, G., Évaluer la technique, Paris, Vrin, 1998.
, Le signe et la technique : la philosophie à l'épreuve de la technique, Paris,
Aubier, 1984.
, Pour une éthique dans un univers technicien, Bruxelles, Université de
Bruxelles, 1984.
KEMP, P., Laege-ethik i en teknologisk tid, in Bibliotek for Laeger, 191, 290-299, 1999.
, Humanistisk teknologi : temaerne i HUM.TEK.-uddannelsen, Københavns
Universitet, Akademiet for Anvendt Filosofi, 1986.
RICOEUR, P., « Éthique et politique », in Du texte à l'action, Essais d'herméneutique II,
Seuil, 1986.
, « La raison pratique », in Du texte à l'action, Essais d'herméneutique II, Seuil,
1986.
C. Sur la participation publique et la démocratie
DRUET, P.P., KEMP, P., THILL, G., Henimod teknologisk demokrati, København,
Lindhardt og Ringhof, 1980.
FORSMANN, B. & SANDØE, P., « Public participation in the Ethical Decision », in
Animals in science conference, Perspectives on their use, care and welfare,
Proceedings, Monash University, 20-25.
HABERMAS, J., Droit et démocratie : entre faits et normes, Paris, Gallimard, 1997.
, L’espace public, Paris, Payot, 1978.
SANDØE, P., « Public perception of animal biotechnology » in Proceedings from
International Workshop on Animal Biotechnology, University of California, 1994,
52-56.
, «Demokrati », in Anvendt etik, København, Nyt Nordisk Forlag, 1993, 113-133.
, « Nærdemokrati og demokratiets principper », in Filosofiske Studier, B. 10,
København, Filosofisk Institut, 1989, 141-168.
SOHL, P., « Public Participation in the Biotechnology Debat », in Le triomphe des
biotechnologies. La domestication de l’animal humain, Namur, PUN, 1988.
D. Sur les modèles de participation et de délibération
ANDERSEN, I & JAEGER, B., « Danish paticipatory Model. Scenario workshop and
Consensus conference : Toward more democratic decision-making », in Science
and Public Policy, Oct 1999, 331-339.
COOTE, A., & LENAGHAN, J., Citizens’ Juries : Theory into Practice, London, IPPR,
1997.
DIENEL, P.C., Contributing to social decision methodology : citizens Report on
technological Projecs, Dordrecht, Kluwer Academic Publishers, 1989.
HALL, D., & STEWART, J., « Citizens Juries in Local Government », in Institute of
Local Government Studies, 1997.
SMITH G., & WALES, C., « Citizens Juries and Deliberative Democracy », in Political
Studies Assocition, 2000.
ORTWIN, R., WEBLER, T., & WIEDERMANN, P., Fairnesse and Competence in
Citizen Participation. Evaluating Models for Environemental Discourses,
Dordrecht, Kluwer Academic Publishers, 1995.
E. Quelques extes et articles danois/langues étrangères
ACHEN, T., Den bioetiske udfordring, Linköping Studies in Arts and Science, 1997
BENNER, M., De genteknologiske valg. Et debatopläg udarbejdet af BioTIK-gruppen.
Ehrversministeriet, juni 1999.
F. Ouvrages généraux, bioéthique et loi
KEMP, P., & RENDTORFF, J.D., Basic ethical principles in European bioethics and
biolaw, Copenhagen, Centre for Ethics and Law, 2000.
KEMP, P., LEBECH. M., & RENDTORFF. J. D., Den bioetiske vending : en grundbog i
bioetik, Spektrum, 1997
G. Documents gouvernementaux
SUNHEDSMINISTERIET, Forskning paa mennesket. Etik/Jura, København, Statens
informationsjeneste, 1989. Trad. ang. Research involving Humans Subjects.
Ethics/Law, Kopenhagen, 1989.
H. Ressources internet
BIOSAM : www.biosam.dk
Bio-TIK : www.biotik.dk
Den Centrale Videnskabetiske Komité : www.forsk.dk/cvk/index.htm
Det Dyreetiskerad (Justistministeriet) : ww.jm.dk
Det Etiske Raad : www.etiskraad.dk
Folketing : www.folketinget.dk
Forskningstyrrelsen : www.forsk.dk
Sundhedsministeriet : www.suk.dk.
Teknologiraadet : www.tekno.dk.
---