PDF résidence Tijuana

Transcription

PDF résidence Tijuana
Marine BOUILLOUD, peintre
Née le 2 avril 1981, vit et travaille à Rennes
Site internet: http://www.marinebouilloud.fr
PROJET D’EXPOSITION ITINERANTE ET EVOLUTIVE
TIJUANA ANTI POSTALES
FRANCE / MEXIQUE
RAPPORT DE SEJOUR
RESIDENCE DE RECHERCHE ET CREATION
ARTISTIQUE EN REPERAGE AU POINT FRONTIERE
TIJUANA / SAN DIEGO
FRONTIERE MEXIQUE / USA
SEJOUR A TIJUANA, BAJA CALIFORNIA, MEXIQUE,
DU 12 MARS AU 4 AVRIL 2011
Résidence réalisée avec le soutien financier de L’Institut Français, la Région Bretagne, l’association Jeunes à Travers le Monde et le soutien logistique d’Yvon
Guillon, coordinateur de projets à la Maison des Sciences de l’Homme en Bretagne
(Université Rennes 2) et le collectif d’artistes mexicains TOROLAB à Tijuana.
Ce dossier présente, en première partie, mon projet d’exposition itinérante et évolutive Tijuana Anti Postales,
faisant suite à une résidence artistique à Tijuana en 2011.
Dans la seconde partie, vous pourrez prendre connaissance du rapport de séjour de la résidence.
Si Tijuana souffre d’une réputation sulfureuse associée aux cartels de la drogue, à la prostitution, à la criminalité... On parle plus rarement du magnifique brassage de populations et de cultures qui la constitue et l’anime.
L’histoire de la majorité des habitants rencontrés dans cette ville est liée à un parcours de vie migratoire, souvent motivé par des raisons économiques, mais pas uniquement... Les artistes qui y vivent, y travaillent ou s’y
rendent, considèrent Tijuana comme un «laboratoire» stimulant en constante ébullition.
Un mur de plus de 3000 kilomètres sépare le Mexique des Etats-Unis, mur inacceptable, mur de la honte...
La présence de ce mur résulte d’un choix politique qui symbolise la fissure entre deux mondes.
Parce qu’elle condense tous les enjeux stratégiques liés à la géopolitique mondiale, la zone frontalière constitue, à elle seule, un miroir grossissant des rapports de force qui régissent notre monde et nos sociétés.
Les expériences et rencontres effectuées durant ma résidence m’ont donné l’occasion d’observer la capacité
d’adaptation de la population tijuanense face à une situation qui lui est imposée.
L’adaptation, dans ce contexte de vie transfrontalière, se distingue de l’acceptation passive. Elle invite à interroger la capacité d’invention, de renouvellement, de résistance de l’être humain. De nombreux collectifs
d’artistes et des associations oeuvrent à Tijuana pour tenter d’améliorer les conditions de vie des habitants.
Mon projet d’exposition itinérante et évolutive « Tijuana Anti Postales » (anti cartes-postales) propose de
considérer la ville autrement qu’à travers ses clichés habituels. J’ai réalisé un ensemble de peintures sur papier
qui questionnent, documentent, et donnent un point de vue sur Tijuana, ses habitants et l’ambivalence de la
région transfrontalière.
Ce projet propose de s’interroger plus globalement sur la notion de murs et de frontières.
Qu’est ce qui définit notre humanité si ce n’est notre volonté, notre capacité à trouver des terrains d’entente et
de partage, au sein même du conflit ?
Sortir de ses propres représentations est indispensable pour rencontrer l’autre.
L’art est un véhicule qui permet aux idées de trouver des formes ou des réceptacles.
L’art et la politique cheminent ensemble.
L’histoire de l’art mexicain nous en donne un exemple frappant.
Le premier volet de cette exposition résulte d’un partenariat avec L’Inspection Académique d’Ille-et-Vilaine,
la Communauté de Communes du Pays de Redon, Le Théâtre et la Ville de Redon.
Il s’incrit dans le cadre d’un projet qui vise à développer l’accès à la culture et la sensibilisation à l’art contemporain sur ce territoire.
Les premières peintures « anti postales » (d’autres viendront s’ajouter à la série pour le volet 2) sont présentées au Théâtre Le Canal du 2 mars au 6 avril 2012. En parallèle à l’exposition, des visites et journées de
médiation sont organisées pour les scolaires.
J’interviens aussi à l’école Henri Matisse de Redon pour animer un atelier autour de l’affiche politique.
Une conférence diaporama sur Tijuana à partir des nombreuses photos prises sur place. (Certaines sont
visibles dans la seconde partie de ce dossier) est proposée aux enfants et enseignants ainsi que la découverte
de quelques artistes muralistes mexicains.
Marine Bouilloud, le 6 mars 2012
TIJUANA ANTI POSTALES
Exposition de Marine Bouilloud
au Théâtre du Pays de Redon
du 2 mars au 6 avril 2012
Vernissage le 2 mars à 18h30
Suite à une résidence artistique à Tijuana, au Mexique, en 2011, Marine Bouilloud a réalisé un ensemble de peintures sur papier qui questionnent
documentent et donnent un point de vue sur cette ville, ses habitants et l’ambivalence de la région transfrontalière. Un mur de plus de 3000 km
sépare le Mexique des Etats-Unis, mur inacceptable, mur de la honte…
Cette exposition constitue le premier volet d’un projet itinérant et évolutif qui voyagera en France et au Mexique en 2012 et 2013.
Exposition visible au Théâtre du Pays de Redon, place du Parlement, 35 605 Redon Cedex.
Tout public: les mercredis et jeudis de 14h à 18h00, les vendredis de 14h à 17h00. Ouverture exceptionnelle samedi 3 mars de 14h00 à 17h00.
Scolaires: les lundis, mardis, jeudis et vendredis matins sur réservation auprès de:
La Ville de Redon, Service Affaires Culturelles et Communication. Contact: 02 99 71 05 27 ou [email protected]
(inscriptions des écoles primaires privées, des collèges et des lycées).
L’Inspection de l’Education Nationale - Circonscription de Redon. Contact: 02 99 71 12 63 ou [email protected]
(inscriptions des écoles primaires publiques).
Notes sur Tijuana prises durant ma résidence
Tijuana est une ville grouillante... On estime sa population à environ deux millions d’habitants. Du fait du perpétuel mouvement migratoire, il est impossible de donner des chiffres précis. La ville grossit de jour en jour
jusqu’à créer une conurbation avec les villes de Tecate et Rosarito. Des mexicains affluent de tous les états
jusqu’ici pour tenter de traverser la frontière ou trouver du travail dans une des nombreuses maquiladoras
implantées le long du mur. Les maquiladoras sont ces usines multinationales d’assemblage de composants
électriques et électroniques, (parfois de vêtements et de chaussures) implantées tout le long du mur et qui
profitent d’une législation du travail plus que favorable... Une main d’œuvre très bon marché qui fonctionne
en turn-over, des déchets polluants rejetés directement à la sortie des usines sur le sol mexicain et une quasi
absence de taxes sur l’exportation du produit fini (La moitié des téléviseurs présents dans les foyers nord
américains provient d’une maquiladora). Ce sont majoritairement des femmes qui y travaillent. Elles vivent
souvent seules avec leurs enfants et le salaire qu’elles perçoivent, même s’il est plus élevé que dans le reste du
Mexique ne suffit pas à apporter le minimum vital et des conditions de vie décentes.
Tijuana vit sur le recyclage, plus de la moitié des maisons sont auto construites à partir de matériaux de
récupération: pneus, jantes, portes de garage. Nous sommes à côté du marché de voitures le plus grand du
monde... Les voitures californiennes atterrissent ici. Le quartier Camino Verde sur lequel nous travaillons
avec Torolab est un des plus pauvres de Tijuana et de tout l’état de Baja California. On peut y voir ces maisons, souvent montées sur des pneus pour pallier aux risques d’inondation et de tremblements de terre. (TJ se
situe sur la faille de San Andreas). L’eau est un problème ici, beaucoup n’ont pas accès à l’eau courante et
celle-ci est souillée. A San Diego, juste en face, on en consomme sans modération et les terrains de golf sont
verdoyants...
La zone frontalière Tijuana / San Diego condense tous les paradoxes et la violence liés à la globalisation, tout
se joue et se confronte ici... Rapports sociaux, économiques, politiques opposés mais aussi questions d’identités et de cultures distinctes.
L’asymétrie, l’écart entre « los que tienen y los que no tienen » est flagrant. Tijuana est toute entière tournée
vers sa voisine, la ville regarde vers le nord, alors que San Diego contemple l’océan.
Tijuana est la ville la plus « visitée » du monde. Etrange tourisme lié au commerce légal et illégal, souvent
journalier. Américains qui viennent se faire soigner (1 400 pharmacies, 5 000 cabinets médicaux et hôpitaux,
4 000 dentistes, 2 500 cliniques dentaires), faire la fête (la majorité étant fixé à 21 ans aux USA, ici c’est free
way), trafics en tous genres de biens et d’êtres humains. Les cartels de drogue s’organisent avec les « polleros
» (les passeurs) ou coyotes et la traversée est coûteuse et très dangereuse pour le migrant. On dénombre deux
morts chaque jour lors de la traversée...
TJ, comme on la surnomme, TIJUANA est née sur un grand ranch de bétail (rancho Tía Juana) à la fin du XIX
siècle. Pendant la prohibition aux USA, les américains viennent se divertir et consommer au Casino d’Agua
Caliente Tijuanense. Le commerce du sexe et de la drogue a ensuite contribué à l’essor de la ville. L’interdit
en général...
TJ est empli de sons, le son de la fête, le son des sirènes, le son de la musique NORTEC ! Ici on parle le
splanglish (contraction de spanish et d’english) et on fabrique, on invente avec le segunda mano. Asymétrie,
confrontation, interdépendances jugulent les villes jumelles. La tension, la violence font partie intégrante de
la vie des Tijuanenses. Il y a une vie artistique forte mais peu de moyens pour la médiatiser. Les nombreux
artistes rencontrés ici (plasticiens, musiciens, réalisateurs de doc...) expliquent l’effervescence créative palpable à TJ par la mise en place indispensable de stratégies de survies mais aussi d’assimilation d’autres
cultures. Le CECUT (centre d’art contemporain de Tijuana) présente en ce moment même l’exposition « Obra
Negra » une approche de la construction de la culture visuelle de Tijuana.
On peut parler d’une culture transfrontalière singulière, multiple, hybride. Dans le domaine des arts visuels
comme dans la musique. Comme tout est concentré à Mexico, à Tijuana, une nouvelle culture artistique a pris
forme depuis les années 70. La culture transfrontalière qui assimile, digère, rétorque et s’auto proclame en
réaction à ce qui se passe des 2 côtés.
Marine Bouilloud, Tijuana, le 24 mars 2011
Visuel haut et visuel bas:
Carlos Buenrostro et Canción popular
acryliques sur papier, 50 x 70 cm
-1er volet de l’exposition Tijuana Anti Postales- © Marine Bouilloud 2012
Visuel haut et visuel bas:
Economía de la urgencia et Mama Mica Luchadora
acryliques sur papier, 50 x 70 cm
-1er volet de l’exposition Tijuana Anti Postales- © Marine Bouilloud 2012
Visuel haut et visuel bas:
¡Ven a Tijuana! et El muro
acryliques sur papier, 50 x 70 cm
-1er volet de l’exposition Tijuana Anti Postales- © Marine Bouilloud 2012
RAPPORT DE RESIDENCE/SOMMAIRE
LA FRONTIERE MEXICANO-AMERICAINE
Rappel historique, cartes et plans
PRESENTATION DE TIJUANA, ETAT DE BASSE-CALIFORNIE, MEXIQUE
1) Tijuana, ville frontière: sa situation géographique, le contexte historique et géopolitique
-Le phénomène des maquiladoras
-Le Mur: une barrière physique, économique, sociale, symbolique et idéologique
2) La population et la ville en quelques chiffres
-Population
-Criminalité
-Architecture
-Tourisme médical
PROJET DE RESIDENCE DE RECHERCHE EN ARTS-VISUELS A TIJUANA
Genèse du projet de résidence et rencontres professionnelles: printemps 2010
Situation du projet et lien avec ma pratique artistique
Préparation du projet de résidence: été-automne 2010, hiver 2011
La résidence à Tijuana: printemps 2011
Le travail de recherche, les rencontres effectuées et la collaboration avec le collectif mexicain TOROLAB
LA FRONTIERE MEXICANO-AMERICAINE
La frontière mexicano-américaine (3140 kilomètres) borde, côté américain, les états de Californie, d’Arizona,
du Nouveau-Mexique et du Texas et, côté mexicain, les états de Basse Californie, Sonora, Chihuahua, Coahuila et Nuevo Leon. Elle va de l’océan Pacifique à l’océan Atlantique (Golfe du Mexique).
Cette frontière est soumise à une très forte pression migratoire vers les Etats-Unis. Il faut rappeler que sa délimitation actuelle (carte ci-dessous, à gauche) résulte de la guerre entre le Mexique et les USA (1846-1848).
Aujourd’hui, un mur, construit par le gouvernement américain soucieux de stopper «l’invasion des latinos»,
se dresse dans cette partie du monde.
Avant la guerre, l’Arizona, l’Utah, la California... etc
étaient des territoires mexicains... Comme le montre la
carte de l’évolution des tracés, ci à droite.
En guise d’introduction, et afin de bien comprendre les enjeux stratégiques liés à cette zone transfrontalière,
un rappel historique des mouvements migratoires et de leurs origines est nécessaire:
Dès la fin du XIXè siècle, de nombreux mouvements migratoires, notamment saisonniers permettaient aux braceros(paysans mexicains) d’aller travailler dans les grandes exploitations de la Californie. Puis, dans les années 1920, de nombreuses industries ont
fait appel à cette main d’œuvre mexicaine pour répondre aux besoins croissants, concentrant ces populations d’origine mexicaine
dans les grands centres de production du nord comme Chicago par exemple. Beaucoup d’entre eux sont alors restés sur place.
Ce n’est qu’en 1965, avec la suppression des accords bilatéraux qui permettaient aux braceros de travailler de façon temporaire
aux Etats-Unis que commence à augmenter le nombre des migrants illégaux. C’est au cours de ces années qu’émerge la question de
l’immigration clandestine, et avec elle, les politiques et mesures de lutte menées par les Etats-Unis pour tenter d’en endiguer le flux.
Sans se limiter aux seuls mexicains, et en fonction des aléas socio-politiques et économiques de l’ensemble du continent sud américain, cette frontière est devenue synonyme pour des centaines de milliers d’hommes et de femmes d’un avenir meilleur que celui
qui leur était réservé dans leur pays d’origine. C’est la période des wet-backs (dos mouillés), ces hommes et femmes qui traversent
le fleuve à la nage pour rejoindre les Etats-Unis.
Au tournant des années 1980-90, les chiffres prennent alors des dimensions très importantes : en 1992, 1 million de clandestins ont
été arrêtés et emprisonnés avant d’être renvoyés côté mexicain. Cette période diffère de la précédente par le fait que des filières
très organisées font passer des centaines de personnes chaque jour, rentabilisant l’opération avec des trafics en tout genre dont
celui des stupéfiants qui constitue le plus lucratif. Cette immigration illégale va contribuer à renforcer le poids de la communauté
hispanique d’Amérique qui atteint (bien que sous évaluée) près de 22,5 millions de personnes, soit 9 % de la population totale des
Etats-Unis selon le recensement de 1990. En 2006, d’après les données de l’US Census Bureau, la population d’origine hispanique
atteint plus de 43 millions d’individus aux Etats-Unis. 65,5 % de ces 43 millions sont d’origine méxicaine, soit environ 28,3 millions
de personnes.
Avant que George W. Bush ne prenne officiellement la décision de construire en dur, un mur le long de la frontière entre le Mexique
et les Etats-Unis, cette idée a largement occupé les esprits tant de certains citoyens américains que de certains hommes politiques
d’envergure locale ou nationale. Le «Homeland Sécurity act» est une «machine de guerre» juridique qui risque d’inscrire durablement les rapports des Etats-Unis avec ses voisins dans une optique de méfiance et de rupture avec les principes d’accueil longtemps
mis en avant par le modèle de société américain. Sous prétexte de lutte contre le terrorisme, les stratégies d’enfermement et de
méfiance prennent le pas sur tout autre principe, fusse au détriment des valeurs démocratiques et humanistes. Tout au moins, force
est de constater que cette décision est un pas de plus dans l’arsenal répulsif que tentent de mettre en place les Etats-Unis face aux
immigrants.
Source: Le site de Fabien Guillot: http://www.geographie-sociale.org/mexique-usa-frontiere.htm
PRESENTATION DE TIJUANA, ETAT DE BASSE-CALIFORNIE, MEXIQUE
1) Tijuana, ville frontière: sa situation géographique, le contexte historique et géopolitique
Tijuana se situe à l’extrémité nord-ouest du Mexique, en Basse Californie du Nord et fait face à l’océan Pacifique. C’est une ville industrielle.
Source: http://konexinfo.wordpress.com/2010/01/07/209-mexicains-tues-a-la-frontiere-de-larizonaen-2009-le-mexiqueest-profondement-inquiet/
Le phénomène des maquiladoras
La tortilla border (la frontière) traverse essentiellement des régions arides et relativement peu peuplées, à l’exception des zones urbaines. La carte ci-dessus permet de visualiser les «villes jumelles» et points de passages
transfrontaliers. Ces villes jumelles se sont développées conjointement à l’implantation des maquiladoras et
usines jumelles (twin-plants) au début des années 1960.
A cette époque, le Mexique et les Etats-Unis ont établi des accords permettant l’installation d’usines de production et d’assemblage (principalement de matériels électriques et électroniques, de chaussures et de l’habillement) sur le sol mexicain. Les ouvriers côté mexicain et les cadres et responsables administratifs côté
américain... Cette répartition en dit déjà long sur l’asymétrie et le pouvoir de domination que l’un peut et va
exercer sur l’autre...
Si l’implantation des maquiladoras a permis de créer de l’emploi, il n’en reste pas moins que la main d’oeuvre
y est constamment exploitée et que la précarité des conditions de travail rend l’action syndicale inexistante...
On comprend bien l’intérêt des Etats-Unis et maintenant de la Corée, de la Chine ou du Japon pour l’implantation de ces usines sur le sol mexicain. En outre ces usines n’ont pas permis la création d’emplois pérennes
dans le secteur et subissent aujourd’hui la concurrence*d’autres puissances économiques et embauchent donc
de moins en moins... Elles ont également contribué à maintenir une dépendance des mexicains vis-à-vis des
américains...
L’écart de développement économique ainsi que l’ALENA (accord de libre-échange nord-américain signé en
1994) favorise les Etats-Unis et le Canada au détriment du Mexique.
J’ai pu constater cela très concrètement lors de ma résidence... Les Tijuanenses qui possèdent un passeport
vont en général acheter leur materiel électronique de l’autre côté, à San Diego, où il est soumis à de moindres
taxes! Ce qui est aberrant quand on sait qu’une bonne partie de celui-ci est fabriqué au Mexique.
*L’essor du secteur maquiladora va être constant de 1965 à 2001. De 50 entreprises en 1965, l’industrie maquiladora d’exportation est passée
à 3200 en 1999, année charnière avant le déclin de 2000/2001. Principale génératrice de devises étrangères, elle emploie alors 1,2 millions de
personnes, ce qui représente 4 emplois sur 10 dans le secteur manufacturier.
À partir de 2001, le Mexique perd le huitième de ses maquiladoras, mais surtout près du tiers de la main d’oeuvre employée. En effet, 40% des investissements directs étrangers (IDE) auparavant dirigés vers le Mexique ont été déviés vers d’autres pays de l’Amérique latine, ou vers la Chine.
Cette dernière détrônera le Mexique, pour la première fois en 2004, au second rang mondial
des exportateurs vers les Etats-Unis et le Canada. (source : CEDIM, note de recherche, juin 2004).
Source: Le site de Fabien Guillot: http://www.geographie-sociale.org/mexique-usa-frontiere.htm
*Lire aussi La crise vue du Mexique:A Tijuana, la mauvaise fortune des « maquiladoras » article d’Anne Vigna publié en 2009
Source: http://www.monde-diplomatique.fr/2009/11/VIGNA/18379
Le Mur: une barrière physique, économique, sociale, symbolique et idéologique
Sur une partie de sa longueur, la frontière est fermée par un mur dont la construction a débuté en 1993 à partir
d’anciennes pistes d’atterrissage de la guerre du Golfe.
Elle fait l’objet d’une surveillance drastique de la part des États-Unis, via la United States Border Patrol ( ou
MIGRA: police des frontières) qui cherche à limiter l’afflux d’immigrants.
En 2006, le gouvernement de George W. Bush adopte la Secure Fence Act, une loi prévoyant la construction
d’un second mur: une barrière longue d’environ 1 100 km et constituée de grillages, cylindres d’acier, pans de
béton, renforcés par un matériel de surveillance high-tech (projecteurs et caméras de surveillance capables de
détecter les mouvements aux abords du mur).
Le but était, selon le Sénat américain, de lutter contre l’immigration clandestine, le trafic de drogue et le terrorisme. L’enjeu n’est plus alors seulement migratoire, mais également politique et symbolique. Sa construction
est toujours en cours et coûte des millions au contribuable américain... Selon certains sondages, 53 % des
américains étaient hostiles à ce projet.
Le mur s’interrompt à plusieurs endroits lorsque le terrain est trop accidenté ou lorsque les conditions (désert,
fleuve) sont suffisamment difficiles.
Dans El Diario de New York, quotidien hispanophone américain, l’éditorialiste Jorge Ramos s’étonne de la «suprême naïveté» dont fait
preuve le Congrès américain en pensant qu’un mur pourrait stopper les candidats à l’immigration clandestine venant du Sud. «Une erreur
longue de 1 100 kilomètres», titre le journal. «Au lieu de trouver une véritable solution au problème des clandestins, les Etats-Unis utilisent la force. Le gouvernement américain s’attaque au thème de l’immigration illégale comme s’il s’agissait d’une guerre. Mais ce n’en est
pas une. Les immigrés qui traversent la frontière vers le Nord ne sont pas membres d’Al-Qaida.» Le problème est économique, insiste Jorge Ramos, et, si les membres du Congrès américain avaient voulu réellement le résoudre, ils auraient inscrit dans la législation deux choses essentielles : la régularisation des 12 millions de clandestins et l’octroi de visas pour les 500 000 personnes qui arrivent chaque année.
«Il est important de rappeler une considération élémentaire : le blindage de la frontière ne mettra pas un terme au flux migratoire causé par
l’asymétrie économique entre les Etats-Unis et ses voisins du Sud», écrit La Jornada, quotidien mexicain de gauche, dans son éditorial. En fait,
«ce sera plus dur et plus risqué de franchir la ligne de démarcation et cela se traduira par plus de morts et de grandes souffrances parmi ceux qui
cherchent au nord du Rio Bravo des opportunités inexistantes sur leur propre terre en raison de l’inefficacité du gouvernement mexicain». De plus,
«devant le besoin manifeste de main-d’œuvre dans l’économie américaine, il est clair que la répression des migrations clandestines ne cherche
pas à rompre ce phénomène, mais à le réguler pour faire baisser les salaires des travailleurs étrangers et utiliser ce thème en fonction des intérêts
électoraux de la classe politique de Washington». Le journal d’opposition au président Vicente Fox reproche aussi aux cercles du pouvoir mexicain
d’avoir choisi le camp des intérêts politiques et entrepreneuriaux du pays voisin. D’où le titre de l’éditorial : «Le mur, c’est le succès du foxisme».
Extrait d’un article de Philippe Randrianarimanana de 2006 dans Courrier International
Source: http://www.courrierinternational.com/revue-de-presse/2006/10/06/bush-veut-eriger-un-mur-a-la-frontiere-mexicaine
Le mur est un dispositif ressenti comme offensif pour les mexicains, défensif pour les américains. Il
matérialise une barrière physique à haut pouvoir symbolique qui ne cesse d’accentuer les écarts de
développement entre nord et sud.
Aujourd’hui, le passage des frontières de Tijuana-San Ysidro est la frontière internationale la plus franchie au monde.
La zone transfrontalière est traversée par ces questions d’interdépendances, d’interactions mais aussi
par des écarts de développement gigantesques. On peut parler d’une situation asymétrique tant d’un
point de vue économique, que social ou culturel...
Les mexicains subissent l’exploitation et la domination américaine... Ceci est visible au travers du phénomène des maquiladoras ou encore de l’emploi massif de travailleurs illégaux dans le secteur agricole
des Etats du sud des Etats-Unis qui ne pourraient se passer de cete main d’oeuvre bon marché.
La frontière côté tijuanense, Baja California, Mexico,
mars 2011
Sur ces clichés, on voit le mur côté plage Tijuanense. Ce mur
plonge littéralement dans la mer. En face, sur la plage de San
Diego, côté américain, (photo tout en bas à gauche) on peut
voir un agent de la migra, police des frontières qui surveille.
Tout un arsenal de surveillance est déployé, comme expliqué
précédemment, et notamment des projecteurs lumineux ultra
éblouissants à l’instar de ceux installés sur les terrains sportifs... Ils sont braqués en direction des maisons Tijuanenses,
ces dernières étant quasiment collées au mur alors que du côté
de San Diego, un parc naturel s’interpose entre la frontière et
les habitations. Raúl Cardenas, artiste du collectif Torolab,
nous a raconté une anecdote frappante: lorsque ces projecteurs
furent installés, des centaines d’habitants sortirent de chez
eux avec des miroirs dirigés vers les projecteurs... La lumière
aveuglante fut renvoyée en direction de la police des frontières
qui dut se résoudre à orienter les lampes en direction du sol et
non plus sur les maisons.
Cette action de révolte “pacifique” est une image forte qui
reste gravée dans la mémoire des mexicains...
Des milliers d’associations et ONG se battent pour faire tomber
ce mur mais les intérêts et lobbies côté américains demeurent
puissants...
Mes photos (voir page suivante) montrent aussi des croix à
la mémoire des migrants morts durant leurs tentatives de
traversée... Suspendues au mur par des ONG et des civils.
N’oublions pas que deux personnes meurent chaque jour en
essayant de traverser la frontière. Passer illégalement signifie
parfois plusieurs jours de marche dans le désert. (Des ONG ont
installé des points d’eau aux environs de Tucson aux endroits
où il y a eu le plus de morts). Il faut aussi, pour certains, affronter les courants dangereux du Rio Grande, les morsures de serpents et piqûres d’insectes ou encore les attaques de passeurs
malveillants. Sans oublier la violence des milices composées
de policiers, militaires à la retraite, ou simples citoyens américains.
Photos du mur
©Marine BOUILLOUD
Il y a encore peu de temps, entre les deux
murs, «el parque de la amistad» permettait
aux familles, amis, amants de se retrouver et
de se toucher à travers la grille ou d’échanger divers objets. Un lien très important pour
ceux qui ne peuvent traverser légalement, désormais rompu avec la fermeture du parc...
Photos du mur
©Marine BOUILLOUD
2) La population et la ville en quelques chiffres
On estime la population Tijuanense à plus de deux millions d’habitants pour la seule métropole... Chiffre
difficilement «arrêté» en raison des flux migratoires constants (population «flottante») et de la croissance exponentielle de la ville.
32 000 naissances et 6 500 décès par an, 1/3 de la population a moins de 15 ans.
En quatorze ans, la population a doublé! La ville grossit de 3,5 hectares par jour !
Sur le plan binational, c’est la zone urbanisée la plus vaste de la frontière avec 4,9 millions d’habitants et 10
millions prévus pour 2020.
Passages frontaliers vers les USA : 53 millions par an (9 millions piétons et 44 millions véhiculés)
Ce chiffre devrait doubler d’ici 2030....
Deux personnes meurent chaque jour en traversant la frontière illégalement...
On estime que pour un «illégal» arrêté, trois réussissent à passer.
Les voyages se font par petits groupes de trois ou quatre, vingt au maximum avec un passeur ou
«coyote».
Plusieurs organisations gouvernementales et non gouvernementales d’aide aux migrants, gèrent des
refuges et conduisent des programmes dans la région de Tijuana-San Diego.
La lutte contre l’immigration illégale - le nombre d’illégaux estimé passant de 3,5 millions en 1990 à 12 millions en 2010 - et la lutte contre les narcotrafiquants au Mexique a fait beaucoup augmenter les moyens de
surveillance à cette frontière depuis les années 1990. Le nombres de patrouilleurs passant de 3 555 pour un
coût de 326,2 millions de dollars en 1992 à 17 415 patrouilleurs pour un coût de 2,7 milliards de dollars en
2009.
Source WIKIPEDIA
Tijuana et ses abords sont devenus un centre industriel important, avec de nombreuses maquiladoras.
50% des Tijuanense n’ont pas de passeport américain. Les américains, par contre, vont et viennent comme
ils veulent…
60% des touristes à Tijuana sont nés au Mexique mais habitent aux USA.
40% de la population est née en Basse Californie
70% des travailleurs sont nés en dehors de la Basse Californie.
On note un écart de salaire allant de 1 à 10 entre le Mexique et les Etats-Unis!
Le Nord du Mexique est cependant plus riche que le sud, du moins on y trouve plus facilement du travail, les mexicains émigrent ici en espérant trouver un emploi dans une maquiladora ou passer la frontière pour tenter leur chance aux USA. Tijuana est donc aussi une ville de «transit».
Criminalité:
Tijuana est une plaque tournante pour le commerce de la drogue, la ville s’est forgée une réputation
de «zone à risques» partout dans le monde. Des tunnels sont creusés sous le mur pour faire passer la drogue.
Les cartels de drogue se font la guerre et la criminalité est importante. Le consulat de France à Mexico classe
Tijuana parmi les villes les plus dangereuses du Mexique.
Quelques chiffres sur la criminalité donnés dans le journal officiel :
Exécutions liées au crime organisé à Tijuana : 102 en 2004, 367 en 2005, 500 en 2008...
Je n’ai pas connaissance des chiffres des trois dernières années mais tous les Tijuanenses affirment que la ville
est beaucoup plus calme qu’il y a trois ans car le gouvernement mène un combat acharné contre les cartels.
Il n’y a plus qu’un cartel dominant à Tijuana. La guerre des gangs diminuant, le quotidien est plus «serein»
pour les habitants. De manière générale les tijuanenses recommandent de ne jamais marcher seul dans la rue...
Ce qui est d’ailleurs assez frustrant... Beaucoup de déplacements se font en voiture et certains quartiers sont à
éviter à pied, comme celui de La Coahuila, le quartier des prostituées, dans le centre, et celui de Matamoros
en banlieue.
Architecture:
On retrouve principalement trois types d’architectures à Tijuana:
-régulières, autoconstruites, et les casas de intérès social : des champs entiers de petites maisons construites
par le gouvernement pour créer de l’habitat «social». En réalité, c’est un échec, l’habitat est cher et petit, 35
m2 en moyenne pour des familles d’environ cinq personnes.
50% des maisons sont des auto-constructions. Il y a aussi de belles propriétés. Un plan d’urbanisme a été créé
sur une période de quarante ans mais il n’est pas respecté en raison d’un manque de moyens et de l’afflux
constant de migrants qui attendent de traverser.
Tijuana survit grâce au recyclage: pneus, jantes, plaques de tôles ou de bois servent souvent à construire son
habitat.
Le tourisme médical:
Tijuana est leader mondial en nombre de pharmacies au kilomètre carré!
Les américains viennent acheter leurs médicaments ici à des prix défiant toute concurrence. Les pharmacies
se transforment en supermarchés avec des soldes permanentes. Il y a également un très grand nombre de dentistes, médecins, cabinets médicaux et hôpitaux dans la ville. Le «commerce» de la santé y est exponentiel. De
nombreux résidents du sud des Etats-Unis y pratiquent ce qu’on appelle le «tourisme médical». Ceci pour plusieurs raisons: coûts médicaux bien plus bas qu’aux USA, carence du système d’assurance maladie américain
(beaucoup n’ont pas de mutuelles, en particulier la population des latinos qui compte le plus de personnes
sans assurance santé) ou tout simplement manque de médecins...
La chirurgie esthétique et oculaire sont également très pratiquées à Tijuana et Rosarito, sa voisine.
La publicité médicale à Tijuana! Ce genre d’affiches envahit les rues...
Photos ©Marine BOUILLOUD
Photo prise près du «Tunel Art Center» ©Marine BOUILLOUD
Vendeurs ambulants dans la file d’attente, à la frontière, au check point de San Ysidro, dans le sens MexiqueUSA. Attente qui peut durer quatre ou cinq heures, une heure au mieux... Une vraie galère pour tous les mexicains qui travaillent au pays des gringos!
Photos ©Marine BOUILLOUD
PROJET DE RESIDENCE DE RECHERCHE EN ARTS-VISUELS A TIJUANA
Genèse du projet de résidence et rencontres professionnelles: printemps 2010
En mars 2010, Les Ateliers du Vent (collectif d’artistes pluridisciplinaires résidant dans une ancienne usine
à Rennes - http://www.lesateliersduvent.org) m’ont conviée à participer au séminaire “Murs, barrières, frontières et création culturelle” avec d’autres artistes rennais, chercheurs et étudiants en arts-plastiques. Lors
de ce colloque, Carmen Cuenca, co-directrice de la structure d’Art contemporain InSite à Tijuana et Norma
Iglesias, professeure d’anthropologie, directrice du département d’études Chicanas à l’université d’Etat de
San Diego et conseillère artistique pour le CECUT (Centre Culturel et Centre d’art contemporain de Tijuana)
sont venues nous exposer la production artistique dans la région transfrontalière et les projets de résidences
d’artistes menés par la structure d’art contemporain InSite. Elles nous ont également présenté le contexte
socio-historique de la frontière mexicano étasunienne et le cas Tijuana-San Diego en mettant l’accent sur les
rapports entre questions sociopolitiques, économiques et pratiques artistiques.
Il s’agissait d’envisager des échanges et de tisser des liens entre artistes rennais et tijuanenses.
À cette occasion, j’ai rencontré Yvon Guillon, coordinateur de projet à la Maison des Sciences de l’Homme
Bretagne et producteur A.F.R.I.C.A (Atelier de formation pour la réalisation et l’initiation à la création audiovisuelle) au sein de l’Université de Rennes 2 et Gilles Coirier, animateur (cinéma d’animation). Ils nous
ont présenté le projet transfrontalier « Del otro lado de la linea » (produit par l’Université Rennes 2, le Centre
Culturel Tijuana et l’Université de San Diego, en 2008). Projet durant lequel ils ont encadré un atelier de réalisation d’un court-métrage d’animation par des enfants de Tijuana et San Diego: «Wacha el Border». Ce projet
proposait de questionner l’imaginaire des enfants mexicains et américains sur «l’autre côté» de la frontière.
Situation paradoxale de la frontière San Diego / Tijuana: l’espace le plus traversé au monde et un des murs les
plus emblématiques de la séparation nord-sud…
Situation du projet et lien avec ma pratique artistique
Le rapport entre art et politique développé par les fresquistes et certains artistes contemporains revisitant
l’Histoire et réinterprétant la révolution, aussi bien que le causticisme du graveur Posada et le folklore lié à la
fête des morts ont pu influencer ma pratique picturale.
L’année 2011, année du Mexique en France, m’a donnée l’occasion de renforcer mon intérêt pour ce pays:
(festival Travelling Mexico, conférences sur la question de la frontière, expositions...)
Lors du séminaire “Murs, barrières, frontières et création culturelle” en mars 2010, les présentations de Carmen Cuenca et Norma Iglesias m’ont permis de mieux considérer les enjeux socio-économiques, identitaires,
politiques liés à la région transfrontalière Tijuana/San Diego. Les questions d’interdépendances, de flux, de
violence, de brassage de cultures et de population, le trafic de biens et d’êtres humains tout azimut traversent
cette zone... Stéréotypes, rêves, illusions, réalités sociales contrastées dessinent son paysage.
Développant, dans mon travail, depuis 2004, un intérêt pour les questions géopolitiques et les rapports nordsud, Tijuana, laboratoire de la “glocalisation” (concept alliant les tendances globales aux réalités locales)
m’est apparue comme la ville idéale pour une résidence de recherche artistique et une première prise de contact avec le Mexique.
Cette zone est un vivier alternatif en constante ébullition.
Préparation du projet de résidence: été-automne 2010, hiver 2011
J’ai donc commencé à élaborer un projet artistique (ainsi qu’une recherche de financements et partenariats
auprès de différents organismes) dans le but d’effectuer une résidence de recherche et de création à Tijuana.
Mon intention étant d’aller à la rencontre de la population Tijuanense afin de recueillir la parole des habitants
(migrants pour la plupart) et de mieux appréhender leur vie, leur relation à cette frontière, leurs espoirs...
L’enjeu étant aussi de rencontrer des artistes et chercheurs de Tijuana et de San Diego.
Sur place, j’ai pu constituer un “terreau” matériel et immatériel (traces, empreintes, témoignages... par le biais
de l’écriture et de la photographie, de rencontres humaines et artistiques) qui m’a servi à élaborer l’exposition
Tijuana Anti Postales.
La résidence à Tijuana: printemps 2011:
Le travail de recherche, les rencontres effectuées et la collaboration avec le collectif mexicain TOROLAB
Suite au séminaire “Murs, barrières, frontières et création culturelle” aux Ateliers du Vent, à Rennes, en mars
2010, et aux rencontres qui ont suivi, j’ai eu la possibilité de partir avec quatre étudiants en arts-plastiques à
Rennes 2, accompagnés de Gilles Coirier et d’Yvon Guillon (voir présentation au paragraphe genèse du projet). Ce dernier coordonnait un projet d’échange entre la faculté d’arts-plastiques et l’artiste mexicain Raúl
Cardenas du collectif Torolab, ce qui facilita grandement les échanges et rencontres avec des artistes et avec la
population tijuanense. Le travail de groupe a permis de mutualiser nos recherches et compétences sur le terrain
pour une meilleure logistique et un partage d’expériences.
Concrètement, nous avons pu participer à un projet avec le collectif mexicain TOROLAB (collectif et projet
explicités à la page suivante. Informations sur Torolab: http://www.torolab.org/ ou http://www.galeriaomr.
com/en/statement-torolab) et chaque jour, des rencontres, conférences et ateliers avec des artistes et professionnels étaient organisés, grâce à l’investissement de Raúl Cárdenas Osuna et Ana Martinez Ortega.
J’ai revu Norma Iglesias Prieto, professeure d’anthropologie, directrice du département d’études Chicanas à l’université d’Etat de San Diego et conseillère artistique pour le CECUT (Centre Culturel et
Centre d’art contemporain de Tijuana) qui nous a accordé un entretien passionant sur la situation des transfrontaliers et la création artistique à Tijuana. (cf son ouvrage“Emergencias, las artes visuales en Tijuana: los
contextos urbanos GLO-CALES Y LA CREATIVIDAD”, paru en 2008, édité par: Centro Cultural Tijuana y
Universidad Autonoma de Baja California; Escuela de Artes.)
Nous avons également rencontré Enrique Jiménez-Ejival, DJ, critique musical, fondateur du label Static
discos (un des labels les plus influents de la musique électronique mexicaine, http://www.staticdiscos.com/) et
éditeur du Sube Baja magazine, un magazine sur la culture et l’art contemporain.
Il nous a entretenu sur la création transfrontalière et les rapports entre la musique et les arts visuels, notamment
au sein du collectif Nortec, particulièrement emblématique de la culture nord mexicaine. Il a aussi mis l’accent
sur les échanges artistiques entre le Mexique et les Etats-Unis depuis les années soixante dix.
Autres rencontres:
-Sal Ricalde, DJ Tijuanense et artiste vidéaste expérimental.
-Adriana Trujillo, artiste vidéaste et réalisatrice de documentaires sur la région transfrontalière et José
Inerzia, plasticien et producteur audiovisuel. Ils ont créé une plateforme de production (polenaudiovisual.
com) dédiée au développement d’idées, de projets et de contenus audio-visuels sur la région transfrontalière
dans une perspective sociale, culturelle et artistique.
Carmen Cuenca, rencontrée à Rennes en 2010, venait, quant à elle, d’être nommée directrice du musée
Tamayo à Mexico et la structure d’art contemporain InSite qu’elle gérait à Tijuana est actuellement en situation “d’attente”.
Les projets et préoccupations de tous les artistes, curateurs, critiques ou universitaires cités ci dessus s’inscrivent dans le contexte particulier de la culture transfrontalière propre à la région Tijuana San Diego.
Je présente ci après succintement le collectif Torolab avec lequel notre équipe rennaise a travaillé sur place
puis le projet auquel nous avons collaboré dans le quartier de Camino Verde à Tijuana.
TOROLAB est selon sa propre définition « un atelier (laboratoire) collectif d’investigations territoriales et
d’études contextuelles. Fondé en 1995 à Tijuana par Raúl Cárdenas Osuna, les projets de Torolab répondent
à des politiques et poésies résultant de phénomènes sociaux, d’espaces urbains et de langages artistiques. Le
collectif réalise des études dont l’objectif vise à améliorer les conditions de vie des personnes impliquées.
Les projets se développent en partenariat avec d’autres artistes et experts dans les champs explorés. Les
thèmes développés concernent des investigations sur l’identité de la région transfrontalière: les modes de
vie, la sécurité, l’édification communautaire et la survie. Ces recherches donnent lieu à des projets prenant la
forme d’interventions urbaines, de projets multimédias, de systèmes de constructions, d’unités de survie ou
d’éléments fonctionnels comme les meubles ou les vêtements. TOROLAB regroupe des artistes, architectes,
musiciens, ingénieurs…»
Raúl Cardenás Osuna (formation en architecture à Tijuana et en arts visuels à San Diego, maintenant plasticien et enseignant à l’université de San Francisco et de San Diego) conceptualise et initie les projets avec
Ana Martinez Ortega qui a une formation d’architecte. Eux deux forment le noyau dur de la structure et le
collectif à Tjuana regroupe également Enrique Jimenez, écrivain et promoteur culturel, Rodolfo Agote, étudiant en dernière année d’architecture, Bernardo Gutiérrez, ingénieur industriel et Shijune Takeda, musicien.
Le collectif développe des liens et «cellules Torolab transnationales» avec d’autres artistes dans différents
endroits du monde afin d’adapter ses projets selon les pays et lieux concernés.
Au Mexique, le secrétariat de développement social de l’Etat Fédéral (SEDESOL) a proposé à Torolab d’intervenir dans le cadre d’un projet général (qui va se dérouler sur les années 2011 et 2012) visant à améliorer
les conditions de vie des habitants du quartier Camino Verde à Tijuana. Quartier, considéré comme un des plus
pauvres de tout l’Etat de Basse Californie et celui dont l’indice de «pauvreté alimentaire» est le plus élevé.
Camino Verde regroupe environ 25 000 habitants et 1 000 maisons!
Raúl Cardenas, dans un premier temps, a imaginé travailler sur la mise en réseau de plusieurs familles du
quartier via des ateliers d’écriture avec des membres du collectif Torolab et un projet autour de la cuisine.
Ainsi, chaque jour, notre équipe artistique française accompagnée d’autochtones allait dans une famille cuisiner une recette traditionnelle mexicaine. La préparation du repas était filmée par les étudiants ainsi que des
entretiens avec les habitants, invités à parler de leur propre histoire de migration. L’enjeu étant multiple: il
s’agissait de créer du lien social entre les familles (souvent isolées du fait même de la violence inhérente à
leur quartier) puis, par le prétexte de la cuisine, de les inviter à parler de leur situation et travailler sur les
facteurs organoleptiques. Comme Camino Verde est un quartier regroupant des migrants de toutes les régions
du Mexique (migrants venus chercher du travail à Tijuana ou de l’autre côté de la frontière) il s’agissait de
comprendre la situation de cette population avec des questions simples: “de donde vienen, de donde estan y
de donde quieren ir?”(D’où venez-vous, où êtes vous et où voulez-vous aller?) Il était question d’interroger
les habitants (souvent migrants) sur leurs racines, leur situation actuelle (lieux habités: quartier et ville, zone
transfrontalière) et leurs projets d’avenir... En effet beaucoup sont venus ici travailler mais ne s’y plaisent pas
forcément, du fait de la violence, de la promiscuité, de la précarité des conditions de vie...
Le projet général initié par SEDESOL et les actions menées par Torolab et d’autres collectifs artistiques insufflent une nouvelle dynamique à Camino Verde, du fait même de la participation active des habitants. Nous
avons noué des relations fortes avec certaines familles du quartier.
La première phase du projet mené par Torolab et à laquelle nous avons participé consistait avant tout à établir
une prise de contact avec les familles et procéder à une étude de terrain sur le quartier. J’ai pris de nombreuses
photos (voir exraits pages suivantes) permettant de comprendre les priorités en matière de gestion des déchets,
de stabilisation des constructions...
Le projet de Torolab, dorénavant intitulé “La Granja Transfronteriza”, vise la création d’une ferme dont les
produits pourraient se vendre, et donc générer des bénéfices améliorant significativement la qualité de vie de
la communauté. Huit familles rencontrées participent à son élaboration. Elles continuent d’écrire leurs vies
au travers de recettes et d’une annotation quotidienne de ce qu’elles mangent, avec l’aide de Roberto Castillo,
écrivain, dans le but de publier un ou plusieurs livres.
Le gouvernement est en train de faire les procédures pour donner deux terrains à aménager et Torolab négocie
avec des mécènes afin de pouvoir réaliser la construction.
Dès mon arrivée à Camino Verde, je fus invitée dans la famille de Lorena Isabel Vizcarra Elizalde. Sa mère, Micaela, tenait à me
montrer ses photos de famille. Elle me parla spontanément et avec nostalgie de sa région d’origine qu’elle avait dû quitter des
années auparavant lorsqu’elle vint avec son époux chercher du travail à Tijuana. Ils y sont restés depuis car leurs enfants y ont fait
leur vie et trouvent plus facilement du travail près de la frontière. La doyenne de la famille reste grave et tournée vers son passé.
Elle m’emmène dans la chambre de son fils, qui depuis son divorce a rejoint la maison de ses parents... Fils disparu depuis plusieurs
semaines, qui réapparaîtra quelques jours plus tard mais qui aurait pu ne jamais revenir, histoire presque banale ici où les enlèvements sont fréquents.
On m’offrit à manger, comme si je faisais partie de la famille, un plat de base de la cuisine mexicaine: arroz con frijoles y tortillas.
(Riz, haricots rouges et tortillas).
Au fond on aperçoit le mari de Lorena. Le couple et ses trois enfants ont dû s’installer d’urgence chez les parents car le propriétaire
de leur maison, ayant décidé de vendre, leur laissait seulement quinze jours pour trouver une autre solution d’hébergement.
Au delà des difficultés économiques, c’est la pénurie de logements qui sévit dans ce quartier. Un quartier, à l’image de beaucoup
d’autres, à Tijuana, dans lequel les familles s’entassent. Rappelons: 25 000 habitants pour 1 000 maisons dans Camino Verde...
Soit 25 habitants en moyenne par maison!!! Surpopulation, promiscuité, pauvreté alimentaire, déchets ménagers non ramassés,
affaissements et éboulements de terrains, délinquance aggravée (les habitants se cloîtrent chez eux dès la nuit tombée pour éviter les
problèmes)... Ce quartier accumule les difficultés. Les habitants rencontrés font pourtant preuve d’une énergie débordante.
Photo ©Marine BOUILLOUD
Les maisons du quartier de Camino Verde sont, pour la plupart, auto-construites avec des planches de bois et matériaux de récupération divers. On trouve des pneus partout dans Tijuana pour les nombreuses voitures « de segunda, tercera o cuartera mano » mais
ce n’est pas leur seule utilisation! Les habitants du quartier les amassent avec des couches terreuses pour créer des clôtures ou des
fondations pour leurs maisons. La ville est située sur la faille de San Andreas et les séismes sont fréquents. Les pneus permettent
d’amortir les secousses mais lors des fortes précipitations, la pluie emporte avec elle des torrents de boue et les glissements de terrain
sont fréquents et catastrophiques pour les habitants... Au delà des dégâts matériels et affaissements ou destructions de maisons, les
pertes humaines ont été considérables dans ce quartier. La construction du canal en ciment a amélioré un peu la situation mais ne
représente pas une solution pérenne.
Photos ©Marine BOUILLOUD
Quelques vues du quartier de Camino Verde et de ses toits
«envahis»! En bas à droite, on voit la maison d’une femme,
victime du syndrome de Diogène, une pathologie qui consite
à accumuler des déchets... Dans le cadre d’un programme mis
en place par le SEDESOL (Secrétariat de Développement Social: organisme gouvernemental) visant à améliorer les conditions de vie des habitants du quartier, cette dame a accepté que
ses voisins vident les déchets de sa maison. Ce ne fut pas sans
difficultés car les habitants dépendaient de prêts de camions
d’entreprises privées pas toujours disponibles. Au delà de ce
cas spécifique, le ramassage des déchets constitue un problème
majeur à CaminoVerde.
Photos ©Marine BOUILLOUD