L`ours, le tigre et le lapin

Transcription

L`ours, le tigre et le lapin
Tribune Libre
Récits
L’ours, le tigre et le lapin
Seul, un homme s’égare dans la nature.
La neige lui monte aux genoux,
Le givre lui brûle les joues,
L’hiver le tuera à l’usure, c’est sûr.
Il a froid, il a peur, il a faim.
Droit devant a disparu l’horizon,
Chassé par un cortège de flocons.
Derrière lui ses empreintes s’effacent,
Déjà recouvertes d’une couche de glace.
Il a froid, il a peur, il a faim.
Il rencontre trois animaux sur son chemin :
Un ours, un tigre, et un lapin.
Son piteux état trahit son grand malheur,
Et suscite l’émoi dans leurs trois petits cœurs.
Il a froid, il a peur, il a faim.
L’ours se décide à l’aider de son mieux,
Et comptant sur la force de ses bras,
Sur sa résistance face au climat,
Va chercher du bois pour faire un feu.
Il a froid, il a peur, il a faim.
L’ours est de retour un peu plus tard,
Il dépose les bûches aux pieds de l’homme,
Qui allume des flammes dans le brouillard,
Avant de sombrer dans un petit somme.
Il a peur, il a faim.
Bien que le brasier soit source de chaleur,
Son éclat pourfend l’opacité de la contrée,
Et comme une lanterne dans l’obscurité,
Il guide les loups vers le dormeur.
Il a peur, il a faim.
Mars 2005 - Le Marais
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Tribune Libre
Récits
Inspiré par le dévouement de l’ours,
Le tigre veut faire rempart de son corps,
Fort au combat, vif à la course,
Il le protège à tout prix de la mort.
Il a peur, il a faim.
La coriacité du félin aux griffes aiguisées
Vient à bout des hordes d’assaillants.
Il leur lacère une dernière fois les flancs,
Avant de tous les voir détaler.
Il a faim.
L’efficacité et l’héroïsme de ses compères
Culpabilisent le pauvre petit lapin.
Mais lui, que pourrait-il bien faire ?
Il n’est ni grand, ni fort, ni malin…
Il a faim.
Son impuissance lui étreint le cœur,
Mais il veut agir, le petit rongeur.
Alors pour conjurer son inutilité,
Il saute dans le feu les yeux fermés.
Il a faim.
Maintenant elle se dissipe la brume,
Le petit lapin lentement se consume.
A un homme affamé en plein hiver,
Il offre sa tendre et savoureuse chair.
Il est sauf.
Quelle morale tirer de cette fable ?
« Les faibles sont des couillons ».
Non, celle-ci est abominable,
Cherchons un peu plus profond :
« La faim justifie les moyens… » ?
Ce qui serait à mon sens idéal,
C’est que chacun en tire sa propre morale,
Car je ne suis qu’un fabuliste amateur,
En aucun cas un moralisateur.
Pierre Crucifix
Mars 2005 - Le Marais
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