BIP, BIP ou la théorie boursière du parachute

Transcription

BIP, BIP ou la théorie boursière du parachute
BIP, BIP ou la théorie boursière du parachute
Dans le fond, depuis la nuit des temps, il y a trois façons de gagner de l’argent dans les marchés
financiers, et seulement trois.
1.
La première, celle de Warren Buffet, consiste à repérer des investissements « sous-
évalués », c’est-à-dire des actifs qui produiront dans le futur un cash flow supérieur à ce à quoi
s’attendent les marchés, et de les acheter en attendant tranquillement qu’ils remontent vers leur
« vraie » valeur. Cette méthode, nous l’appellerons celle du « retour à la moyenne ».
2.
La deuxième est celle du « momentum » illustrée par la vieille histoire du boursier
sommeillant sur la plage, à qui son fils dit « Papa, la marée monte » et qui répond « Achète ».
L’idée est que si un mouvement est lancé qui parait durable, le plus simple est de le suivre, sans
se poser trop de questions.
3.
La troisième, qui est celle du « portage » est un peu plus sophistiquée. Si l’investisseur peut
emprunter, mettons à 2 % et investir dans un actif – qui bien sûr ne peut pas baisser – et qui
donne un rendement de 4 %, le risque ne semble pas bien grand.
La plupart des gérants utilisent une combinaison de ces trois méthodes avec plus ou moins de
discipline. Au bout d’un certain temps, dans un marché haussier, il est normal de trouver de
moins en moins de valeurs « sous-évaluées » et donc les fins de marché haussier sont toujours
caractérisées par la prééminence de gens suivant une stratégie de momentum combinée à des
stratégies de portage, c’est-à-dire de stratégies où chacun s’endette pour acheter de plus en plus
d’actifs qui montent de ce fait de façon vertigineuse, ce qui entraine plus d’achat et ainsi de suite.
D’ou les bulles si caractéristiques des fins de hausse. Depuis six à neuf mois, nous avons eu de
solides hausses sur de nombreux actifs et donc il devient de plus en plus difficile de trouver des
investissements clairement sous-évalués.
Il est donc très probable que ceux qui participent aux marchés de façon active aujourd’hui
suivent soit des techniques liées au momentum, soit des stratégies de portage, soit les deux à la
fois, les « Buffetiens » étant passés en mode neutre. Lorsque ce phénomène se produit, les
marchés deviennent soudain vulnérables à de violents mouvements de mauvaise humeur. Nous
en avons eu quelques exemples depuis deux ou trois semaines.
Par exemple, le marché des actions japonais ne pouvait que monter tandis que le yen ne pouvait
que baisser et donc tous les joueurs momentum avaient bâti des positions au pays du Soleil
Levant. Or, de nos jours les joueurs « momentum » sont tous des ordinateurs, exécutant des
ordres à la vitesse de la lumière. Tous les ordinateurs étaient donc programmés pour la
continuation de ces deux mouvements (hausse du marché, baisse du yen). Mais comme ils sont
tous programmés aussi pour « sortir » à toute allure si la moindre baisse commence, il a suffi de
quelques jours pour que le marché nippon baisse de 20 % (dans le vide) tandis que le yen montait
de près de 10 %.
Les grands fonds « black box », c’est-à-dire de « boite noire », ont de ce fait ramassé des claques
considérables depuis la mi-mai. Autre exemple, le marché des obligations d’Etat aux USA ne
pouvait pas baisser puisque la Fed est à l’heure actuelle en train d’acheter chaque mois $ 85
milliards de dollars d’obligations fraichement émises soit plus que le déficit de l’Etat. Comme les
taux ne pouvaient pas monter, emprunter à sa banque à 1 % pour acheter des obligations d’Etat
longues à 2.75 % ou des obligations « Junk » à 5 % ne pouvait pas rater.
Bien entendu les taux à trente ans viennent de passer de 2.7 % à 3.3% tandis que les taux
montaient sur les obligations de qualité douteuse. Et donc, pertes considérables pour tous les
adeptes des stratégies de portage. Ces mouvements violents sont pour moi le signe que les
marchés sont de retour dans une posture spéculative et donc j’ai tendance à me méfier et à
réduire la voilure lorsqu’ils commencent. Je m’explique.
Speculare, en latin, veut dire « réfléchir ».
Je n’ai donc absolument rien contre la Spéculation qui fait partie de tout processus de découverte
des prix.
Je n’ai absolument rien non plus contre suivre la tendance ou emprunter pour acheter des actifs
sous-évalués. Simplement, quand je vois que trop de monde se met à suivre ce genre de
pratique, je me sens inquiet, je réduis mon endettement, je vends tout ce qui pourrait devenir
illiquide (comme les obligations de mauvaise qualité), je réduis la volatilité de mon portefeuille, le
cas échéant je lève un petit peu de cash, au cas où des ventes forcées amèneraient certains titres
à des niveaux où je serai heureux de devenir actionnaire…
Après tout, un génie financier, c’est quelqu’un qui a beaucoup de cash à la fin de la baisse, et qui
l’utilise. Donc, je suis prudent et ceci depuis quelque temps, ce que les lecteurs ont dû remarquer.
Mais je suis prudent aussi pour une raison plus fondamentale.
Depuis plusieurs trimestres, les banques centrales me disent ceci :
1.
Je vais faire baisser les taux, ce qui va faire monter le prix des actifs. Elles y sont arrivées,
bravo.
2.
Cette hausse des actifs, cette baisse des taux vont amener les consommateurs à se sentir
mieux (effet richesse). Bravo à nouveau.
3.
Comme ils vont se sentir mieux, ils vont dépenser plus et l’économie va repartir. Alors là, pas
sûr du tout.
J’ai toujours cru que (1) et (2) allaient se passer, j’ai toujours eu du mal à envisager que 3 allait
suivre logiquement.
En fait, la chose la plus normale n’est peut être pas de consommer plus mais au contraire de
rembourser mes dettes…
Et c’est là où la situation peut devenir dangereuse.
Nous sommes peut-être en train de vivre une énorme déconnection entre la réalité économique
et ce qu’attendent les opérateurs de marchés. Imaginons que les marchés financiers soient
montés depuis plusieurs mois sur l’hypothèse que la Fed allait réussir son pari de relancer
l’économie et que cette relance échoue. Que va-t-il se passer?
Nous connaissons tous le dessin animé de Willy le Coyote et de « Road Runner (bip bip) » où le
coyote dépasse le bord de la falaise en continuant à marcher tranquillement, jette un œil vers le
bas, se rend compte qu’il n’a plus les pieds sur terre… et plonge vers le bas du canyon, où il se
ratatine. En fait, j’ai un peu peur que nous n’ayons un moment : « Nous étions au bord du gouffre,
nous avons fait un grand pas en avant » dans les semaines ou les mois qui viennent. D’où l’idée
de commencer à sangler sur son dos un bon parachute.
Dans le dessin animé, Will le Coyote survit à son vol plané. Dans la dure réalité, peu de gens y
arrivent.
D’où la nécessité du parachute.
Article de Charles Gave
Corrigé , avec tous nos remerciements,
par Mlle Eléonore Mongiat