Dino Buzzati (1906-1970) Ecrivain italien, accessoirement peintre

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Dino Buzzati (1906-1970) Ecrivain italien, accessoirement peintre
Dino Buzzati (1906-1970)
Ecrivain italien, accessoirement peintre, mort d’un cancer.
Son œuvre maîtresse, Le désert des Tartares, a inspiré directement la chanson
de Brel Zangra :
Je m’appelle Zangra et je suis capitaine.
Je commande le fort qui domine la plaine,
D’où l’ennemi viendra qui me fera héros…
Mais Giovanni Drogo (le nom du personnage correspondant dans le roman de
Buzzati) attend toute sa vie l’attaque ennemie qui doit justifier son existence, et quand
elle arrive enfin il meurt dérisoirement d’une maladie soudaine, ignoré de tous.
Exécution
La chiromancienne est un très court récit, élément d’un recueil Petites histoires
du soir, lui-même inséré dans le recueil Le K. Le personnage central est un condamné à
mort qui, à la veille de son exécution, formule comme ultime désir de pouvoir consulter
une fois une célèbre chiromancienne, tellement célèbre que le roi ne prend aucune
décision importante sans la lui soumettre. Son désir est exaucé. Seulement la dame, qui
ne sait pas à qui elle a affaire, commence par lui prédire en souriant « une longue vie ».
Le condamné coupe court et se fait reconduire dans sa prison.
L’anecdote se répandit immédiatement et les gens s’esclaffèrent. Mais le matin suivant, quand
l’homme fut amené au pied de l’échafaud, le bourreau qui avait déjà levé sa hache pour asséner le coup
fatal, la reposa et se mit à sangloter :
« Non, non ! criait-il, je ne peux pas ! Pensez si Sa Majesté venait à l’apprendre ! Je ne peux
absolument pas ! »
Et il jeta au loin sa hache.
Fin de la nouvelle.
Maladie
Nous sommes au regret de… regroupe des textes particulièrement courts (d’une
à trois ou quatre pages) et acides de Dino Buzzati.
Dans Un homme important, le héros, Luigi Ivanero, « un pauvre homme,
modeste, effacé, assez laid, et, qui plus est, pas tellement sympathique » se trouve
atteint d’une maladie rarissime qui le rend suprêmement intéressant. Le professeur
Della Magna le prend en charge.
Les jours suivants, le pauvre Ivanero, stupéfait, se vit entourer d’attentions, de manifestations
d’estime et presque de respect, comme il n’en avait jamais reçu dans sa vie.
Qu’arrivait-il ? S’il avait été un prince, on ne l’aurait pas mieux traité (…).
Ce fut une infirmière – autour de son lit s’affairaient maintenant, jour et nuit, de douces, jeunes
et adorables créatures – qui lui expliqua le mystère. La maladie dont il était atteint était extrêmement
rare, on en dénombrait un seul cas tous les dix ans dans l’Europe entière. Et en raison de cette rareté,
précisément, on ne savait encore rien à son sujet.
C’était par conséquent une occasion exceptionnelle.
(…) Bien qu’il ne fût pas un aigle, l’homme devina qu’il lui fallait exploiter la situation. (…) Il
voulut des pyjamas de soie, des draps de lin, des parfums. Il demanda les plus belles infirmières,
prétendit même que, le soir, elles s’étendissent nues à ses côtés. On le contenta.
Cela va encore plus loin. Les médecins ont besoin, pour finaliser leur étude sur
ce qu’on appelle désormais « mal d’Ivanero », d’une autopsie, donc de faire mourir leur
patient. Et ce dernier finit par accepter moyennant des compensations à la hauteur, la
fortune pour sa famille, le droit de s’exprimer sans limite à la télévision, etc.
Seulement, un matin :
A ce moment-là entrèrent deux robustes infirmiers avec un brancard.
Allons, réveille-toi, bonhomme, il faut déguerpir d’ici !
« Comment ? Comment ? » Il hurlait, il protestait. Ils le prirent en force. Ils le projetèrent dans
un coin crasseux du lazaret, au milieu de cent autres misérables, juste derrière les latrines.
Une épidémie de mal d’Ivanero se répandait de par le monde. Des gens comme lui, Ivanero,
avec les mêmes symptômes, à présent il y en avait des milliers. Et lui, en tant que malade, il ne valait
plus un sou.
Sept étages est une courte nouvelle extraite du recueil Les sept messagers (le
chiffre sept ne figure pas dans les autres titres).
Le héros, Giuseppe Corte, atteint d’une maladie tellement bénigne qu’elle en est
insignifiante, se rend malgré tout dans un établissement où l’on ne soigne que cette
maladie…
Ce qui garantissait une compétence exceptionnelle de la part des médecins, les installations les
plus rationnelles et les plus efficaces.
Etant très peu atteint, il se trouve installé au septième étage. Car il y a sept
étages, le septième donc pour les cas les plus bénins. Au sixième, se trouvent des
malades un peu plus sérieusement atteint, mais sans aucune gravité, au cinquième des
cas encore un peu plus ennuyeux et ainsi de suite, jusqu’au premier étage, pratiquement
réservé aux moribonds.
« Là-bas les médecins n’ont plus rien à faire. Seul le prêtre a du travail. »
De sa chambre du septième, Giuseppe peut voir en effet, tout en bas, le mouroir
du premier, avec ses volets qui descendent automatiquement sur toute chambre où une
personne décède.
Après quelques jours, on lui annonce qu’une dame doit arriver avec deux
enfants, à qui il convient de donner des chambres contiguës… ce qui implique de leur
libérer celle de Corte, très provisoirement bien sûr. Seulement il n’y a de place libre
qu’au sixième, mais bien sûr encore une fois, c’est juste un arrangement temporaire.
Du sixième, on le fait descendre au cinquième, ayant jugé son état un petit peu
plus sérieux.
Au cinquième, en plus de la fièvre toujours aussi insignifiante qui l’a conduit
dans l’établissement, il se voit atteint d’un eczéma. Pas grave, mais pour le soigner au
mieux, l’équipement ad hoc se trouve au quatrième. Donc, toujours à titre provisoire, le
voici au quatrième, de plus en plus inquiet et mal à l’aise. Il y reste quelques jours.
Et puis, toujours pour ce maudit eczéma qui s’accroche, le troisième devrait être
plus approprié. Corte proteste, résiste, mais doit s’incliner.
Au troisième, il apprend que tout le personnel va partir en congés annuels, et
que donc tous les malades seront provisoirement transférés au deuxième.
Au deuxième, après encore quelques jours, on lui montre un ordre du directeur
le faisant transférer au premier. Il se révolte. De fait tous les soignants admettent que
c’est une erreur flagrante autant qu’incompréhensible. Mais, lui dit un médecin :
Le Professeur Dati vient de s’en aller, malheureusement, il y a à peine une heure, et il ne
rentrera qu’après-demain. Je suis désolé, mais il ne peut être question de transgresser ses ordres. Il sera
d’autant plus furieux, je puis vous le garantir… une pareille erreur !
Bon gré mal gré, voici Giuseppe à l’étage des moribonds. Alors,
Il tourna la tête de l’autre côté et vit que les volets roulants, obéissant à un ordre mystérieux,
descendaient lentement, fermant la porte à la lumière.
Fin de la nouvelle.
Suicides
Dans Expertise judiciaire (du recueil Nous sommes au regret de…), Dino
Buzzati nous fait assister à un procès pour meurtre. La victime a été retrouvée
décapitée. Mais un avocat affirme qu’elle s’est suicidée :
« Or la défunte était une femme robuste et musclée qui pratiquait, non sans succès, le tennis, le
golf et la rame. Se trancher la tête d’un énergique moulinet fut certainement pour elle chose très facile.
Mais c’est sur ce point, justement, que l’accusatio
Riposte immédiate et symétrique des USA.
Destruction consécutive de l’humanité dans son ensemble ? Non, car les
dizaines de milliers de missiles étaient chargés d’une arme très particulière.
Et pour finir :
De façon foudroyante, l’entière population des Etats-Unis – sauf dans de petits îlots
négligeables où le gaz n’était pas parvenu – fut convertie au communisme ; l’entière population de
l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques fut convertie à la liberté capitaliste.
Naturellement, les deux pays exultèrent à l’arrivée de la demande d’armistice. Ils crurent à leur
complète victoire. Mais, aux premières tractations, les parlementaires restèrent de glace.
Et, les rôles étant inversés, la guerre froide recommença.
Fin du monde
Une nouvelle de Dino Buzzati publiée (au moins en français) dans le recueil
Panique à la Scala, s’intitule La fin du monde.
Un matin, vers dix heures, un énorme poing apparut dans le ciel au-dessus de la ville ; il s’ouvrit
ensuite, prenant lentement la forme d’une griffe et demeura ainsi figé comme un immense chapiteau de
mauvais augure. Il semblait fait de chair et ce n’en était pas ; et aussi de nuage mais ce n’était pas un
nuage. C’était Dieu – et la fin du monde. Une rumeur qui se fit bientôt gémissement puis hurlement se
répandit dans tous les quartiers de la ville pour ne plus former qu’une seule voix, profonde et tragique,
qui s’élevait en trombe vers le ciel.
Certains couples croient pouvoir faire l’amour dans des jardins publics sans la
moindre retenue. Mais la majorité cherche un confesseur, seulement :
Les confesseurs les plus en vogue avaient tous disparu, probablement accaparés – à ce qu’on
disait – par les Autorités supérieures et les puissants industriels. C’était curieux à constater, mais les gros
sous conservaient miraculeusement tout leur prestige quand bien même la fin du monde approchait.
On trouve quand même un prêtre, qui se met en devoir d’absoudre à tour de bras.
Et puis, alors qu’il ne reste que huit minutes aux dires de quelqu’un voilà le
malheureux ecclésiastique qui se rend compte que personne ne l’absout, lui.
Il était au bord des larmes. « Et moi ? et moi ? » haranguait-il le bon millier de postulants, qui
lui demandaient le paradis. Mais personne n’y prêtait attention.
Fin de la nouvelle.
Animaux
Dans Douce nuit, nouvelle tirée du recueil Le K, on voit un couple heureux,
dans une maison heureuse. Pourtant, la femme éprouve des angoisses, elle s’imagine
qu’on assassine quelqu’un dans leur jardin, ou au moins qu’il y a quelqu’un. Elle
demande à son mari de vérifier. Il y va et la rassure bien vite.
Personne, ma chérie. Il y a une lune formidable Je n’ai jamais vu une semblable paix.
Et de fait, il ne se passe plus rien pour eux. Simplement, pendant ce temps, dans
leur jardin :
Suspendu à une tige un bébé sauterelle reposait, heureux, son tendre abdomen vert palpitait
gracieusement au rythme de sa respiration. Les crochets de l’araignée noire se plongèrent avec rage dans
le thorax, et le déchirèrent. Le petit corps se contorsionna, détendant ses longues pattes postérieures, une
seule fois. Déjà les horribles crocs avaient arraché la tête et maintenant ils fouillaient dans le ventre (…)
Tout à la volupté démoniaque de son repas, elle n’aperçut pas à temps une gigantesque
silhouette sombre qui s’approchait de lui par derrière. Serrant encore la victime entre ses pattes,
l’araignée noire disparut à jamais entre les mâchoires du crapaud (…)
Une seringue empoisonnée s’enfonça dans la pulpe tendre d’un escargot qui s’acheminait vers
le jardin potager. Il réussit à parcourir encore deux centimètres avec la tête qui lui tournait, et puis il
s’aperçut que son pied ne lui obéissait plus et il comprit qu’il était perdu (…).
Dans la dernière palpitation de son ignominieuse agonie il eut encore le temps de remarquer,
avec une lueur de réconfort, que la larve maudite avait été harponnée par une araignée-loup et lacérée en
un éclair (…).
Là-bas dans le fond, le Caruso des grillons vient de se taire à l’improviste, gobé méchamment
par une taupe (…) Le chant de la rainette étouffée par une couleuvre devient un sanglot. Et le petit
papillon ne revient plus battre contre les vitres de la fenêtre éclairée : les ailes douloureusement froissées
il se contorsionne, prisonnier dans l’estomac d’une chauve-souris.
Dernières lignes
Le régiment part à l’aube 2 regroupe les derniers écrits, rédigés dans sa dernière
maladie, de Buzzati.
On y trouve ceci :
Comment ne pas avoir compris plus tôt que les morts, ou plus exactement cette infime partie
d’eux qui vit encore sur la superficie de notre planète, ira n’importe où de par le monde, jusqu’aux coins
les plus reculés, mais n’acceptera jamais de rester là à se putréfier dans ces horribles boîtes, sous ces
affreuses pierres, ces stupides et ridicules épitaphes ?
L’ouvrage se termine par des fragments, dont voici le dernier :
Le paquetage
Il l’a toujours bien entretenu et gardé prêt à l’emploi.
Alors que ça ne lui servira plus à rien désormais. Car il prépare soigneusement ses valises. Mais
les lui laissera-t-on emporter ?
Non. Au dernier moment on le lui interdira.
2
Robert Laffont, 1985, pour la traduction française de Susi et Michel Breitman.