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30 Tribune de Genève | Samedi 30 juin-dimanche 1er juillet 2012 31 Tribune de Genève | Samedi 30 juin-dimanche 1er juillet 2012 Voixetchapitres Voixetchapitres Jorge Ben Jor, un demi-siècle de samba rock Biographie Madame de Warens vue comme une Scarlett O’Hara veveysanne Fidèle au Montreux Jazz Festival, le musicien de Rio revient samedi sur la Riviera. Portrait d’un pionnier de la pop au Brésil Fabrice Gottraux N ée il y a cinquante ans, sa chanson Mas que nada a fait le tour du monde. Pour revenir au bercail auréolée d’un succès international marqué par d’innombrables reprises. Le Brésilien Sergio Mendes, Miriam Makeba, Al Jarreau… Une popularité telle que la Coupe du monde de football de 1998 en a fait son leitmotiv, avant Miss Univers en 2011… A la fin, bien malin qui aurait pu dire à qui elle appartenait, cette chanson. Son auteur, son premier interprète, est un monstre sacré de la musique populaire brésilienne, la MPB: aujourd’hui âgé de 67 ans, Jorge Ben Jor revient au Montreux Jazz Festival. Samedi, il partage l’affiche de l’Auditorium Stravinski avec les pionniers du zouk antillais Kassav’ et le projet AfroCubism, all stars de musiciens maliens et cubains. A lui seul, Jorge Ben Jor symbolise l’évolution de la pop brésilienne. De sa ville natale, Rio de Janeiro, celui qui signait d’abord Jorge Ben (il a ajouté le Jor en 1989, pour ne pas qu’on le confonde avec le guitariste de jazz George Benson) a gardé le goût des percussions entraînantes de la samba. Son premier instrument, le pandeiro, le tambourin national, l’emmènera plus d’une fois au carnaval. Avant qu’il ne tâte de la bossa-nova. Mais à sa manière. Pour accompagner ses premières compositions, Jorge Ben doit faire appel à un orchestre de jazzmen. Les seuls capables, les seuls d’accord même, de jouer une musique perçue alors comme une hérésie. Il faut se figurer les années 60 marquées par l’omniprésente bossa-nova, devenue consensuelle. C’est peu dire alors si la jeune génération accueille à bras ouverts les Beatles, les Rolling Stones, le rock progressif et le psychédé- Trois albums clés «Samba Esquema Novo», Jorge Ben, 1963 Premier album. Et premier tube international, le plus grand, Mas que nada. Mélange de samba et de funk, la chanson est une des plus reprises du répertoire de la musique populaire du Brésil. «Tropicàlia: ou Panis et Circensis», 1968. «Du pain et des jeux»… A rebrousse-poil des conventions musicales, la réunion d’Os Mutantes, Caetano Veloso, Gilberto Gil et l’arrangeur Rogério Duprat (le «Brian Wilson du Brésil»). Voici le manifeste musical du mouvement d’avant-garde et de contre-culture (on est en pleine dictature), le tropicalisme. Du lyrisme et de l’humour. «A Tábua da Esmeralda», 1974. Le chef-d’œuvre de Jorge Ben Jor: où il est question de l’Hermès Trismégiste et sa «table d’émeraude», formule alchimique par excellence. Hermétique, mystique, le chanteur carioca signe un album populaire mais dans un même temps cérébral. Parfaitement tropicaliste (ci-dessus, la pochette d’origine). FG Top 5 des meilleures ventes LIVRES 1. La sirène Camilla Läckberg; Actes Sud, Coll. Actes Noirs 2. L’âme du monde. Conte de sagesse Frédéric Lenoir; NIL 3. Les Strauss-Kahn Raphaëlle Bacqué, Ariane Chemin; Albin Michel 4. Le vieux qui ne voulait pas fêter son anniversaire Jonas Jonasson; Pocket 5. L’échappée belle Anna Gavalda; J’ai Lu CD 1. Amy Macdonald Life in a beautiful light 2. Linkin Park Living things 3. Justin Bieber Believe 4. Melody Gardot The absence 5. Norah Jones Little broken heart Contrôle qualité lisme (les Pink Floyd sont nés en 1964, le Grateful Dead en 1965). Dans ce grand élan de «cannibalisme culturel», Jorge Ben Jor eut tôt fait trouver une voie personnelle: la samba rock. Et les tubes de tomber: qui n’a jamais entendu le refrain dansant de País tropical? Ou la mélodie funky de Taj Mahal? Tous ces airs sont entrés dans l’imaginaire collectif. A tel point que lorsque, en 1978, l’Ecossais Rod Stewart sort son tube Da Ya Think I’m Sexy, le chœur reprend note pour note celui de Taj Mahal. On vous passe le procès pour plagiat. Les royalties finiront à l’Unicef. Fin de l’histoire. Fin également, et pour de nombreux fans, de la période la plus féconde de Ben Jor. Avec les années 80, le musicien carioca ne révolutionne plus rien. Désormais porté sur un registre d’obédience funk soul, Jorge Ben Jor enfantera tout de même au passage la «Black Rio soul scène». Scène essentiellement dansante. De Jorge Ben Jor, il y a les titres archiconnus… Et les chansons moins accessibles. Tout un univers souterrain mêlant thèmes ésotériques (l’alchimie, le mysticisme) avec une recherche musicale audelà des conventions. Celui que ses compatriotes qualifient de «Keith Richards brésilien» pour son jeu de guitare mélodique a participé à la révolution du «tropicalisme» dans les années 60 et 70 (lire l’encadré). Mais à sa manière, là encore. Jorge Ben est de Rio, tandis que les principaux tropicalistes, Gilberto Gil, Caetano Veloso et Tom Zé, viennent de Bahia. Voilà sans doute pourquoi on oublie souvent cette parenté entre l’avant-garde brésilienne et le maître du «funk tropical». Ce dernier, pourtant, n’est pas moins brillant que les autres. L Jorge Ben Jor. Un demi-siècle de samba rock et de tropical funk bercé par le mysticisme notoire de ce musicien qui, en 1963 déjà, avait anticipé la révolution sonore du Brésil après avoir ingurgité, pêlemêle, les Beatles, les Stones, le prog, le psychédélisme, sans oublier le b.a-ba national, bossanova et rythmes samba pour les plus connus chez les Occidentaux. Qui lui feront très bon accueil. Son premier succès, «Mas que nada», est devenu un immense tube mondial. DR 46e Montreux Jazz Festival, Auditorium Stravinski, samedi 30 juin dès 20 h: AfroCubism, Kassav’ et Jorge Ben Jor. Le juke-box de la rédaction Pop Regina Spektor «What We Saw From the Cheap Seats» (Warner, Sire) Qu’on se rassure. La New-Yorkaise n’a pas changé d’un poil la formule qui a fondé son succès (On The Eadio, etc.) et qui, depuis la publication du touchant Far il y a quatre ans, l’a largement imposée comme la garante d’une pop bien faite, dépourvue de frime ou d’additifs électroniques. Enregistré avec Mike Elizondo (collaborateur de Dr Dre ou Fiona Apple) à L.A., ce disque solaire principalement construit autour de la combinaison piano-voix (la «signature» Spektor) impose sans forcer ses mélodies simples, claires, bienveillantes, sans qu’on se découvre un seul instant déçu ou même étonné. D.B-L. La B.O. de ma vie Des plumes au poil Rock Public Image Ltd «This Is PiL» (XX) Electro Hot Chip «In Our Heads» (Domino) Jazz Magma «Félicité Thösz» (Seventh) Au paradis de Zitouni Album enfants Olivier Douzou et Anouk Ricard «Poèmes de terre» Voilà trente-cinq ans que les Sex Pistols sont morts et que leur chanteur Johnny Rotten a repris son nom de baptême – John Lydon – pour entamer l’expérience PiL. Public Image Limited, huit albums entre les années 70 et 90, influence majeure pour les musiciens postrock, dont le groupe londonien préfigure l’évolution. Il aura fallu attendre vingt ans avant que le groupe, séparé après un dernier disque en 1992, ne retourne en studio. Résultat fascinant que ce brûlot de sonorités rêches et puissantes taillées sur un bloc rock et dub non dénué de funk. La voix de Lydon, quasi parlée, acide, achève de convaincre. Là où bien d’autres se plantent à l’heure du grand retour, PiL colle à l’époque. Mieux, il innove. F.G. Clamons-le: Hot Chip compte haut la main parmi les meilleurs groupes britanniques de pop des dix dernières années. En 2004, à la publication du splendide Coming On Strong, on s’était déjà amouraché sans réserve de ces types pas sexy, peu bavards et tragiquement peu démonstratifs. Mais néanmoins capables de telles décharges de sensualité que notre intérêt ne s’est jamais tari depuis. Lumineux, fragile ou affolant lorsqu’il convie à la danse, ce cinquième album ravive notre flamme pour ce groupe à la fois capable de rengaines bondissantes ou de ballades electro tristounettes comme un chagrin d’amour adolescent. D.B-L. Magma est un groupe hallucinant et halluciné, dont la folle saga, l’invention de son propre style musical – le «zeuhl» – a changé la face du monde. Magma, le groupe le plus dingue que le free-jazz et le pop progressif aient engendré en France, livre un nouvel effort studio, le 10e depuis le fondateur Kobaïa en 1970. En 2012, le batteur poète Christian Vander propose avec Félicité Thösz une pièce en forme de cycle, suivie d’une pièce courte. On ne présente plus la recette devenue légendaire – polyphonies vocales, rythmes hypnotiques. Mais en 2012, le résultat semble bien faible: point d’audace ici, mais une ferveur toute de lyrisme encombrée. Quel ennui. F.G. Y Ce recueil de poèmes de poche tricote des vers en vers, en vert, à revers, à l’endroit et à l’envers. L’auteur joue avec eux dans une quarantaine de petits poèmes où se mêlent verlan, argot et contrepèteries. Cela donne une langue française fort goûteuse où s’épanouissent ces drôles de créatures tout-terrain que sont les vers. Ils sont ici représentés sous forme de longues saucisses roses en pâte à modeler, fendues d’une bouche gourmande dotée d’une paire d’yeux. Ils se glissent dans des décors réalistes pour être pris en photo ou se laissent croquer pour varier les plaisirs. Un recueil amusant est à glisser dans un sac de voyage et à siroter à petits verres. Ed. Rouergue. F.NY. ann Zitouni, on le retrouvera tous les jours du mois de juillet au poste de pilotage de Paradiso. L’émission musicale sur RTS La Première couvre les grands festivals de l’été. Avant la grande plongée, vite, une bonne bouffée de pop avec la B.O. perso de notre «Monsieur Musique» national. Yiaah! Le premier disque que vous ayez acheté? Breakfast In America de Supertramp. La mélodie qui a changé votre vie? One Hundred Years de The Cure. Un air à siffloter sous la douche? Le pont de la rivière Kwai? Promis, demain, j’essaie. Pour danser le samedi soir? Le deuxième Daft Punk. Ou presque n’importe quoi des Rolling Stones. Contrôle qualité Yann Zitouni, pilier de l’émission musicale de radio «Paradiso». DR Pour paresser le dimanche matin? Here’s Where The Story Ends de The Sundays. Ou presque n’importe quoi des Beatles. Une trouvaille récente? Lescop, Yeti Lane et Singtank. Un tiercé made in France pour répondre à presque toutes les situations. F.G. e livre est énorme. Anne Noschis y a travaillé durant un lustre. Cela fait cent pages bien tassées par an, alors que la Genevoise développe d’autres activités. Mais on imagine mal comment celle qui se veut tantôt romancière, tantôt historienne aurait pu prendre moins de temps. Il fallait quasi tout découvrir sur celle que Jean-Jacques Rousseau appelait «Maman». L’écrivain a en effet soigneusement gommé les aspérités du personnage. Bien écrit dans un style simple et alerte, le livre peut ainsi faire revivre une femme étonnante. Françoise de la Tour du Pil est née en 1699, à Vevey. A moins de 14 ans, cette orpheline se retrouve mariée à un homme bien plus âgé qu’elle. Inutile de préciser qu’elle n’a pas eu son mot à dire. C’est pourtant l’adolescente qui apportait l’argent. Riche, séduisante, courtisée, Françoise commence par développer des appétits mondains dans le Pays de Vaud. Mais il lui faut davantage. Elle a les ambitions d’une affairiste. «Ce n’était pas des intrigues de femme qu’il lui fallait, écrira Rousseau dans Les confessions, c’était des entreprises à faire et à diriger.» Le couple fonde ainsi une fabrique de bas de soie. En 1726, tout craque. Sous le prétexte d’une cure thermale, l’épouse embarque clandestinement les biens meubles du ménage, laissant derrière elle ses dettes. A Evian, elle se jette aux pieds du roi de Sardaigne. Elle veut se convertir au catholicisme. Le contact des reliques de saint François de Sales a transformé sa vie. Beau livre Bernard Andreae «L’art romain, d’Auguste à Constantin» C’est lourd! En science et en kilos. Bernard Andreae a repris le flambeau de la série, qui ira des balbutiements de l’art romain à la disparition de l’Empire en 476 de notre ère. Il arrive pour le tome III, à mi-parcours. Le volume suivant traitera les provinces romaines. Très documenté, très illustré, l’ouvrage se divise en textes courts, ce qui rend l’ensemble sinon plus accessible, du moins plus comestible. Il n’en s’agit pas moins d’un ouvrage sérieux sur un style au purgatoire. Rome séduit moins nos contemporains que l’Egypte, l’Assyrie ou paradoxalement les arts italiques non assimilés. Picard, 320 pages. E.D. Le souverain la pensionne. Il la charge de deux missions. La première est de guider, par tous les moyens, la conversion de jeunes protestants, dont Rousseau fera partie. La seconde consiste en un travail d’espionne. Le pieux roi prévoit la reconquête du Pays de Vaud, le siège de Genève et l’achat de Neuchâtel, quitte à rompre l’équilibre européen, fort chatouilleux en matière de religion. La chose ne se fera pas. Madame de Warens va donc se livrer à de nouvelles activités commerciales. Elle s’occupe de mines et de gisements de métaux. Elle produit du chocolat et du savon. Les affaires sont parfois bonnes. Elles deviendront mauvaises, tandis que les amours se succèdent. Notre Scarlett O’Hara vaudoise connaîtra des jours sombres. Celle que Rousseau reverra une fois n’est plus qu’une ombre. La mort viendra en 1762. Ce sont les Editions veveysannes de L’Aire qui ont imprimé ce volume. Elles n’ont pas à s’en repentir. La première fournée, de mille exemplaires, est épuisée. Une seconde arrive sur le marché. Anne Noschis a en outre fait à partir de sa biographie une jolie exposition au Musée historique de Vevey. Un endroit prédestiné. Le sieur Tavel, premier amant notable de la dame, résidait dans cette maison. Madame de Warens connaissait donc les lieux! Etienne Dumont «Madame de Warens», par Anne Noschis, aux Editions de l’Aire, 484 pages. L’exposition dure jusqu’au 6 janvier 2013. Elle se visite du mardi au dimanche de 11 h à 17 h. Roman Valérie Tordjman «L’enchantement des lucioles» Bande dessinée Berlion et Galandon «La lignée» Les deux femmes se situent comme un alpha et un oméga. En 1850, la Hollandaise Alexandra van Polder rejoint son mari à Nagasaki, seule ville japonaise ouverte aux étrangers. Elle frappera par sa chevelure rousse et sa manie photographique. Sarah, son arrièrearrière-petite-fille, partagera sa passion et ses mèches de feu. Américaine, elle vivra comme beaucoup de ses concitoyennes son aventure italienne en 1975. Elle n’en ressortira pas intacte. Pour ce roman traversant les mers et les générations, Valérie Tordjman refuse l’idée d’épopée. Aux orchestrations symphoniques, elle préfère la petite musique. Un roman bref très réussi. Le Passage, 140 pages. E.D. Depuis plusieurs générations, une malédiction pèse sur la famille Brossard: ses aînés ne vivent jamais au-delà de 33 ans. Alors qu’il approche de la date fatidique, Antonin découvre qu’une ribambelle de ses aïeux sont décédés à l’âge du Christ… Sur un pitch attrayant, La lignée se pose en saga familiale tragique, mâtinée d’événements historiques. De la guerre d’Espagne au génocide rwandais, on retrouvera les Brossard au fil de quatre tomes à parution rapprochée. Pour assurer le rythme de publication, les scénaristes et dessinateurs fonctionnent en pool, comme dans les séries TV. Une expérience éditoriale qui n’affaiblit pas ce premier volume. Ed. Bamboo/GrandAngle. PH.M.