Dédicace et remerciement

Transcription

Dédicace et remerciement
REPUBLIQUE ALGERIENNE DEMOCRATIQUE ET POPULAIRE
MINISTERE DE L’ENSEIGNEMENT SUPERIEUR ET
DE LA RECHERCHE SCIENTIFIQUE
UNIVERSITE EL HADJ LAKHDAR – BATNA-
Faculté des lettres et sciences sociales
Département de Français
Ecole doctorale Algéro-Française
Antenne de Batna
Thème
Le jeu du « je » et du « nous » ou la multiplicité du
sujet dans l’œuvre de Mouloud Feraoun
« Le fils du pauvre »
Mémoire élaboré en vue de l’obtention du diplôme de magistère
Option : sciences du langage
Sous la direction de :
Pr. Abdelhamid Samir
Présenté et soutenu par :
Hadj laroussi Belkacem
Membres du jury:
Président
: Pr.Bensalah Bachir
université de Biskra
Rapporteur
: Pr. Abdelhamid Samir
université de Batna
Examinateur : Pr.Manaa Gaouaou
université de Batna
Examinateur : Dr.Khenour Salah
université de Ouargla
Année Universitaire : 2011 / 2012
« Certes, il y’a des travaux pénibles ;
mais la joie de la réussite n’a-t-elle pas à
compenser nos douleurs ? »
Jean de la bruyère
Remerciements
Je tiens à remercier tout d’abord mon directeur de recherches,
Professeur SAMIR ABDELHAMID, pour sa patience, et surtout pour sa
confiance, ses remarques et ses conseils, sa disponibilité et sa
bienveillance.
Qu’il trouve ici le témoignage de ma profonde gratitude.
Je voudrais également remercier les membres du jury pour avoir
accepter d’évaluer ce travail et pour toutes leurs remarques et
critiques, ainsi que le personnel et les enseignants de l’annexe de
Batna de l’École Doctorale sans oublier les enseignants étrangers qui
ont contribué à ma formation.
Je tiens aussi à remercier monsieur le chef du département de français
à l’Université de M’sila : Dr Lakhdar Kherchi ainsi que tout le
personnel et les enseignants du département pour leur soutien
inestimable.
A tous mes enseignants qui m’ont initié aux valeurs authentiques, en
signe d'un profond respect et d'un profond amour !!!
Merci à vous tous
Dédicace
A la mémoire de mon défunt père.
À la plus belle créature que Dieu a créée sur terre ,,,
À cet source de tendresse, de patience et de générosité,,,
À ma mère !
À ma femme qui a toujours était à mes cotés
A mes chères filles : Sirine, Racha, Fatima Zohra
À mon grand frère et père Djamel
À tous mes frères et sœurs, ainsi que leurs enfants
À mes beaux parents et à toute ma famille
À tous mes amis et collègues
À tous les étudiants de la promotion 2009/2010
Option : sciences du langage
A tous ceux qui, par un mot, m’ont donné la force de continuer …..
Introduction générale et objectif de l’étude :
« Je me voulais écrivain sans en mesurer la souffrance et le vertige » !
En commençant par cette citation de l’écrivain marocain A.Khatibi, nous
voulions montrer la difficulté du produit scriptural, mais l’étude et/ou la critique de
ce produit reste plus difficile encore.
L’évolution des espèces vivantes a suivi des voies qui peuvent nous paraitre
bien mystérieuses. En réalité, chaque organisme vivant représente à sa manière une
incroyable réussite, et il est difficile de dire ce que cette évolution a fait de mieux,
tant chacun de ses produits force en quelque sorte notre admiration !
Il n’en reste pas moins que cependant que le langage a toujours été considéré
comme un fruit très particulier et fascinant de cette évolution, comme s’il s’agissait
d’un inestimable cadeau qu’aurait reçu l’espèce humaine !
D’un animal intelligent ne dit-on pas : « il ne lui manque que... », et c’est
sans doute ce qui fait dire au philosophe Alain1 : « qui n’a point réfléchi au langage
n’a point réfléchi du tout ».
Le langage humain est considéré comme un objet à la fois familier, étrange et
surtout merveilleux…c’est le comportement symbolique humain le plus développé !
Les langues naturelles n’imposent pas de limites à l’expression : tout ce que
nous percevons, concevons, imaginons, pensons, prévoyons… peut trouver une
expression langagière et, par conséquent, se communiquer à autrui.
En réalité, alors que la communication animale se limite à un répertoire
limité de messages relativement stéréotypés (appel, alerte, demande, menace,..) le
langage humain nous rend capable d’exprimer un nombre de significations quasi
illimité. Outil de communication, il participe de l’action de l’homme sur le monde.
L’application de certaines méthodes linguistiques à des textes littéraires est
féconde : elle permet d’en faire surgir certains aspects qui intéressent les linguistes
d’une part et les spécialistes de l’autre part. Et à partir des années 1980, l’étude
linguistique de la littérature s’est renouvelée grâce aux acquis de l’énonciation, de la
linguistique textuelle et de lapragmatique.ces approches ont donné une grande
1
Émile Chartier, dit : Alain, essayiste français né à Mortagne (1868-1951)
1
poussée pour l’étude du texte littéraires et ont permis l’accès à des « phénomènes
linguistiques d’une grande finesse(…) où se mêlent étroitement la référence au
monde et l’inscription des partenaires de l’énonciation dans le discours »1.
L’étude de ces phénomènes ouvre alors, plusieurs voies à la lecture littéraire,
notamment à des réflexions sur la construction de la référence et les figurations de la
subjectivité.
La structure de la langue est liée au sujet humain de l’énonciation et à la
société dont il appartient ; tout auteur qui écrit une œuvre s’adresse à un public, à un
ou des lecteur(s), d’où la situation doit se déterminer par la relation entre
énonciateur(auteur) et un énonciataire (lecteur), «(…) c’est par le langage que
l’homme se constitue comme "sujet"; parce que le langage seul fonde en réalité,
dans sa réalité qui est celle de l’être, le concept d’"égo" »2
En général, et dans toute production, écrite soit-elle ou orale (notre étude
s’intéresse à la production scripturale), les pronoms personnels sont omniprésents ; et
par conséquent, personne ne peut s’en passer de leur usage. Ce sont d’ailleurs la
catégorie que nous rencontrons le plus dans tous les discours.
Les pronoms personnels sont des formes linguistiques qui ont été toujours
considérées comme une seule et même classe fonctionnelle et formelle :
« Les indicateurs –je- et –tu-, ne peuvent exister comme signes virtuels, ils
n’existent qu’en tant qu’ils sont actualisés dans l’instance du discours où ils
marquent par chacune de leur propre instance le procès d’appropriation par le
locuteur ».3Mais, alors peut-on imaginer une langue sans pronoms ?jamais !
Le problème des pronoms n’est pas un problème de langue, mais plutôt un problème
de langage, et cela est du à l’universalité de ces formes linguistiques.
Problématique :
Les pronoms personnels ne sont distingués des autres pronoms, que
seulement par leur dénomination.
Dans la mesure où « Toute manifestation verbale (...) a la faculté (...) de
communiquer ses intentions aux éléments du langage intégrés dans ses visées
sémantiques et expressives, et de leur imposer des nuances de sens précises, des tons
1
D. Mainguenau,, pragmatique pour le texte littéraire, Nathan université, paris, 2001
E. Benveniste, problèmes de linguistique générale I, Ed. Gallimard, Paris, 1966, p.256
3
Ibid. P.255
2
2
de valeur définie »1,l’œuvre littéraire est à considérer, à la fois, comme une œuvre
esthétique et comme un lieu de questionnements sur la langue, suggérés par les
priorités syntaxiques, stylistiques et lexicales de l’auteur déterminant ses visées ou
ses intentions.
Les pronoms personnels ou comme les appellent d’autres linguistes
« embrayeurs ou déictiques », ont suscité un intérêt majeur dans les études et
recherches linguistiques récentes à l’instar de celles de Dominique Mainguenau, et
Catherine Karberat-Orecchioni.
En langue française, l’usage des pronoms personnels de la première personne
« je » et « nous » permet de se définir en tant qu’énonciateur, mais l’alternance dans
cet usage posera des problèmes, ce qui nous oblige à être attentif et marquer du recul,
afin de bien saisir l’énonciateur.
Notre objet d’étude porte sur les deux pronoms personnels de la première
personne à savoir « je » et « nous » dans le récit autobiographique (dans la mesure où
le roman de Mouloud Feraoun « le fils du pauvre » est purement une autobiographie
de l’auteur lui même ),car nous savons que le nom du personnage central du récit
« Fouroulou Menrad » n’est que l’anagramme de l’auteur ,ainsi que ce passage de
Mouloud Feraoun à son ami Roblès « dommage, car une préface de toi au fils du
pauvre n’aurait fait de mal ni à toi, ni à moi, ni à l’école.de toute façon, dis-moi ce
qu’il faut faire :je suis prêt à parler de moi en 15lignes comme je l’ai fait en
200pages »2,
et
dans
une
lettre
à
Madame
Landis-Benos,le
4fevrier
1955: « Fouroulou, c’était à peu près moi »3.
Le récit autobiographique est une narration à la première personne avec
excellence, c’est l’histoire de soi-même, c’est-à-dire narrer avec un « je », mais ce
« je » se métamorphose souvent en « nous », première personne du pluriel. L’auteur
change ainsi de statut, ce choix des pronoms n’est pas innocent :
« Le choix d’un pronom personnel entraine et inspire d’autres choix (…)
touche à la question fondamentale de la place où est situé un récit donné dans les
catégories des possibles narratifs »4.L’auteur cherche donc, à se raconter par le
1
M. Bakhtine, Esthétique de la création verbale, Paris, Gallimard, 1984, P.112
Mouloud Feraoun, lettres à ses amis, éd. seuil, 1969, p.92
3
Ibid. P.93
4
Glowinski Michael, Sur le roman à la première personne, dans Esthétique et poétique, textes réunis
et présentés par G. Genette, Ed. Seuil, Paris, 1992, p.229
2
3
truchement d'un personnage "fictif" ou "romanesque». Il suffit de chercher "hors du
texte" les détails autobiographiques pour s'assurer qu'il s'agit du personnage auteur.
Cette étude s'intéresse donc, à la description de ce que nous avons appelé
« le
jeu du "je" et "nous"» .Par le mot « jeu », nous visons à montrer la multiplicité du
sujet énonciateur même s’il s’agit d’une autobiographie ou une écriture de soi, et
aussi nous visons par là ,le « jeu » de la langue, et les différentes situations
énonciatives qui permettent ainsi un va-et-vient des deux pronoms déjà mentionnés
et comment ce processus de mutation du « je » en « nous » prend place dans
l’écriture de Mouloud Feraoun .Ce va-et-vient entre ces pronoms ,donc ,relève d’une
stratégie adoptée par l’écrivain afin d’accéder à un but déterminé :montrer son
appartenance et sa relation avec son groupe social (son village),les deux pronoms
seraient donc des marqueurs relationnels, une relation de solidarité surtout, et aussi
celui d’agir sur autrui et l’impliquer tout en dénonçant une situation de vie des plus
misérable, car l’écriture est une entreprise singulière et collective à la fois, c’est à
dire qu’on n’écrit pas pour soi-même seulement, mais aussi pour les
autres ; « l’écriture est bien entendu une entreprise singulière, mais elle ne se
détache pas ici des préoccupations collectives, qu’il s’agisse de traduire une
expérience linguistique…de traduire une expérience socioculturelle, d’accepter ou
de refuser tel aspect de l’histoire littéraire occidentale »1.
Notre hypothèse est que l’écriture de Mouloud Feraoun dans « le fils du
pauvre » renferme des stratégies discursives mises au point par l’auteur afin de
construire et de défendre une thématique particulière : il ne s’agit pas seulement
d’une autobiographie mais plutôt d’une biographie collective. Il s’agit pour nous
donc, de s’intéresser à l’usage alterné des pronoms personnels de la première
personne « je » et « nous », tout en prenant compte de la situation d’énonciation et
identifier à qui renvoie l’un et l’autre et d’aborder les modalités d’énonciation de ce
« jeu langagier » et la diversité du sujet dans le roman « le fils du pauvre ».
Nous montrons comment celui-ci sous-tend la dimension énonciative du discours de
l’auteur et ses intentions, de montrer aussi les degrés d’implication de l’auteur dans
son énoncé et sa relation avec sa société (le contexte de cette production artistique)
d’où cette « relation de solidarité », d’où surgit une relation d’interdépendance entre
une identité personnelle et une identité collective, en cherchant à associer son
destinataire et par la suite l’influencer !
1
Moura Jean-Marc, Littératures francophones et théories postcoloniale, PUF, Paris, 1999, P.43
4
Est-ce que c’est sa voix qu’il veut nous faire entendre ?ou c’est la voix collective
de toute une population opprimée ? S’agit-il d’une biographie individuelle ou une
biographie collective ?
Après une introduction générale où nous avons essayé de montrer l’utilité de la
langue en général chez le sujet humain et du langage en particulier, un aperçu sur la
littérature maghrébine d’expression française s’avère nécessaire (puisque le corpus
d’étude y est inscrit), nous avons divisé le travail en trois chapitres.
Dans le premier chapitre, nous procéderons à montrer l’intérêt qui a été donné à
la linguistique saussurienne c'est-à-dire étudier la langue comme les « algorithmes »,
et comment d’autre linguistes ont pensé que l’énoncé possède d’autres niveaux
d’organisation plus « profonds » d’où l’apparition de la linguistique énonciative, et
aussi sans oublier et négliger l’apport qu’a fourni la psychanalyse ; le sujet
producteur de tout énoncé est influencé par ce qu’il l’entoure.
Ainsi, la compréhension et l’analyse de l’énoncé ne peut se faire sans recourir
à l’extratexte. Le langage humain est régi par un contexte qui impose un choix de
mots ; le récit autobiographique que nous le présenterons brièvement en est une
grande preuve avec surtout ces voix multiples qui accompagnent toujours l’instance
de la narration à savoir « je » !
Tout en s’appuyant sur les travaux de Bakhtine et la notion de polyphonie, le fruit
d’une conception Lacanienne du sujet « le –je- n’est qu’un autre »
Le deuxième chapitre sera consacré aux pronoms personnels d’une façon
générale et ceux de la première personne « je » et « nous » plus particulièrement.
nous essayerons donc dans ce chapitre de faire une synthèse aussi cohérente que
possible des divers travaux déjà effectués sur les pronoms personnels d’une manière
générale et plus particulièrement ceux de la première personne, ainsi que la place
qu'ils occupent dans la pratique scripturale surtout. Nous parlerons aussi de
l’approche énonciative dans laquelle s’inscrit notre recherche et mettre en exergue le
degré d’implication de l’auteur avec ses lecteurs.
Dans le troisième chapitre, nous commencerons par une brève présentation
de l’œuvre et une analyse simple du titre de l’œuvre en tant que « paratexte » et nous
présenterons par la suite des contenus choisis « énoncés », et leurs situations
5
d’énonciation et montrer aussi les différentes stratégies et astuces adoptées par
l’auteur afin de bien manier cet usage des pronoms de la première personne ; tantôt
parler avec « je » et tantôt parler avec « nous » !
Nous n’avions nullement l’intention d’aborder tout ce qui concerne les
pronoms personnels dans le discours littéraire et faire une analyse approfondie, mais
faire plutôt de ce travail juste une initiation à la recherche dans ce domaine et une
tentative de description de ce « jeu » interminable de la production littéraire !...car
approcher la littérature c’est approcher les rives d’un océan avec tous ces risques, la
littérature restera sans profondeur puisque tout simplement : c’est une création de
l’homme !!!
6
PREAMBULE
Aperçu sur la littérature algérienne
D’expression française
« Le récit commence avec l’histoire même de
l’humanité ; Il n’y’a pas, il n’y’a jamais eu nulle
part, aucun peuple sans récit ».
Roland Barthes
« Introduction à l’analyse structurale des récits »
7
Au demeurant, « écrire en français est un choix douloureux mais c’est un mal
nécessaire » Kateb Yacine.
Née dans un contexte colonial, la littérature algérienne d’expression française
fut sans cesse interrogée par les questions nationale et identitaire : elle se devait
d’être l’écho des mouvements de libération.
La littérature se veut donc militante : écrire en se révoltant contre la société
coloniale et l’ordre ainsi instauré.
Un grand nombre d’écrivains algériens avaient un choix limité dés le départ :les
autres langues qu’ils possèdent ne sont en majorité qu’exclusivement orales (écrire
en arabe c’est avoir un public restreint et la suite le message n’arrivera jamais à
l’autre ,à l’hexagone),le français étant, de toute façon, désigné d’avance du fait qu’il
était la seule langue écrite qu’ils maitrisent ;quelques conséquences en découlent par
la suite, comme le signale l’écrivain hongrois Arthur Koestler : « l’adoption d’une
nouvelle langue ,surtout par un écrivain, entraine une transformation progressive
inconsciente de ses modes de penser, de son style et de ses gouts, de son attitude et
de ses réactions. Bref, il acquiert non seulement un nouveau moyen de
communication, mais un nouveau fond culturel…»1.les écrivains ayant choisi la
langue de Molière furent sévèrement harcelés et traités de non-patriotiques.
Les Algériens se mettent alors à écrire après la première guerre mondiale. Ils
s’aventurent dans le journalisme, publient des essais et des témoignages sur plusieurs
sujets sociopolitiques. Certains critiquent l’influence négative du colonialisme sur la
vie des Algériens, d’autres vantent la mission civilisatrice de la France. Tous ces
romans sont exotiques et moralisants. Les écrivains décrivent la vie quotidienne,
recourent souvent au folklore et s’adressent toujours au lecteur français. Leur critique
retenue ne touche que certains aspects de la morale. D’une façon générale, les
romans des années 20 et 30 constituent, selon les chercheurs presque unanimes, la
période d’assimilation, d’acculturation ou de mimétisme dans l’histoire de la
littérature algérienne. A cette époque, les Algériens maîtrisent suffisamment le
français pour pouvoir créer des œuvres littéraires en imitant leurs écrivains préférés.
1
Koestler Arthur, « hiéroglyphes », 2, Calmann-Lévy, 1955, traduction D.Van Mopès, p, 145
8
Une nouvelle étape du développement de la littérature algérienne de langue française
commence après la deuxième guerre mondiale.
Elle est d’abord caractérisée par l’accroissement de l’activité littéraire des
Algériens. Ils créent des cercles, des clubs, des associations littéraires, travaillent
dans les rédactions des journaux et des revues. Ils maintiennent également des
contacts plus ou moins étroits avec l’École nord-africaine dont ils se séparent bientôt.
Bref, la deuxième moitié des années 40 et le début des années 50 est, pour les
écrivains algériens, un moment de « scolarité », d’initiation active à la littérature.
En même temps, c’est le moment de rupture avec la littérature précédente,
puisque l’époque d’assimilation est dépassée et les romanciers des années 20 et 30
n’écrivent plus. Seul Jean Amrouche continue à produire et s’impose comme maître
aux yeux de la nouvelle génération des écrivains algériens.
La parution des romans Le Fils du Pauvre (1950) et La Terre et le Sang (1953)
de Mouloud Feraoun, La Grande Maison (1952) de Mohammed Dib et La Colline
oubliée (1952) de Mouloud Mammeri est donc la conséquence de l’accroissement de
l’activité littéraire des Algériens après la deuxième guerre mondiale. Ces romans ont
marqué le début d’une littérature nouvelle que plusieurs chercheurs considèrent
comme authentiquement algérienne. Le trait commun de la nouvelle littérature est
son caractère ethnographique.
Les romans ethnographiques décrivent la vie traditionnelle et dessinent le
« portrait collectif » du peuple, en même temps ils sont biographiques et rappellent le
roman d’apprentissage européen qui suit l’évolution du héros depuis son enfance et
adolescence. Mais par rapport au roman européen, le héros ne se révolte pas contre la
société, tout au contraire, c’est le milieu national qui forme son caractère et sa vision
du monde. Cependant la perception du monde de héros est toujours subjective, par
conséquent, le roman ethnographique algérien est toujours psychologique, car la vie
du peuple y est décrite le plus souvent à travers les sentiments du héros. L’émergence
du psychologisme chez les romanciers algériens peut être considérée comme un
véritable exploit parce que, comme témoigne Dib, « les Algériens élevés dans un
milieu musulman considèrent l’introspection comme un peu malsaine »1.
La parution des romans ethnographiques (beaucoup plus autobiographiques) a été
dictée avant tout par la volonté de s’exprimer. Les écrivains ont essayé de raconter
1
Claudine Acs. In : L’Afrique littéraire et artistique, Paris, août 1971, № 18, p. 10
9
leur enfance et leur jeunesse, de parler de leurs problèmes et de leurs sentiments, de
décrire la vie du peuple dont ils faisaient une partie intégrante. C’est alors que des
œuvres issues du Maghreb font leur entrée sur la scène littéraire française. La langue
vient s’inscrire alors comme une urgence, en réaction contre la langue de bois de
l’époque.
Les conditions de l’émergence de la littérature maghrébine de langue française
furent plus que difficiles. En effet, cette littérature, dite francophone, posait le
problème d’acculturation de ces auteurs. Ceux-ci possédaient un double bagage
culturel, de par leur scolarisation à l’école française durant le colonialisme et leur
héritage maghrebo-musulman.
Les débuts du roman algérien sont contemporains de la guerre d’Algérie ou de
ses prémisses, et beaucoup de lecteurs français ou algériens associent encore
l’émergence de cette littérature à cet événement politique capital pour la mutation
des mentalités de toute une génération. Pourtant, contrairement à ce que l’on pourrait
attendre, il y a peu de romans algériens consacrés à la guerre d’Algérie, même si les
blessures de celle-ci sont en filigrane dans un grand nombre d’entre eux. On a par
contre l’impression que l’itinéraire de l’intellectuel vers cet engagement commence
par une description de sa double culture et des contradictions de comportement
qu’elle entraîne dans la vie quotidienne, et que cette description débouchera ensuite
sur un cahier de doléances adressé à la culture humaniste française qui n’a pas tenu
ses promesses, pour n’arriver que dans un troisième temps à des récits d’engagement
proprement dit dans la guerre elle-même.
La littérature algérienne d’expression française est donc une littérature
hybride, au même titre que ses créateurs (dans le sens où ils possèdent un double
fond culturel), qui vont présenter au public une situation donnée dans un langage
hérité de l’impérialisme. Pourtant, grâce à la conquête du français, ils dévoilèrent
enfin la réalité de leur monde dans toute sa vérité. Ils parvinrent à se dire librement et
imposèrent une forme nouvelle : l’autobiographie, le récit du « moi », qui s’affirme
dans toute sa singularité, libéré des chaînes de la tradition qui l’ont opprimé jusqu’à
présent. Ainsi, les romanciers furent traités de parjures, d’une part parce qu’ils
écrivaient dans la langue du colonisateur, qu’ils se révoltaient contre leur milieu et
d’autre part parce que parler de soi à la première personne dans le but de raconter sa
vie présuppose que l’on se détache totalement du groupe social. Les auteurs ont
donné à leur héros le pouvoir d’utiliser le « je », ce qui a été rendu possible par leur
accès à l’éducation française, alors que chez eux, c’est le « nous »qui domine.
10
CHAPITRE PREMIER
De la phrase à l’énoncé !
Au delà du signe « saussurien »
ou l’approche énonciative du
discours :
« Savoir danser avec les pieds, avec les idées,
avec les mots : faut-il que je dise qu’il est
nécessaire de le savoir avec la plume- qu’il
faut apprendre à écrire »
Nietzche
« Le crépuscule des idoles »
Introduction :
La question du discours n’est pas énoncée dans le cours de linguistique de
Ferdinand de Saussure qui circonscrit le domaine de la linguistique comme une
étude de la langue, elle-même définie comme un “système de signes”. Sa théorie
repose sur une opposition langue / parole qui recoupe l’opposition société /
individu. La recherche en linguistique s’oriente ainsi vers l’étude du système de la
langue par opposition aux manifestations individuelles de la parole. La
séparation langue / parole présuppose du coup une opposition entre ce qui est
social et ce qui individuel. Par rapport à cette opposition, le discours est le tiersexclu. La première mise en cause de l’opposition saussurienne qui réhabilite la
parole apparaît en 1909 chez Charles Bally1, dans son traité de stylistique. Celuici expose les principes d’une linguistique de la parole qui ouvre la voie de la
recherche sur la relation entretenue par le sujet parlant, son discours et le contexte.
Chez Guillaume2on trouve la notion de l’acte de discours, qui tend à
apporter plus de précisions sur la place du sujet parlant ; mais cette théorie ne
dépasse pas celle de Saussure. C’est chez les formalistes russes, par contre, que se
développe à partir de 1915 une recherche sur les structures narratives de la
littérature orale et écrite. En 1928, on découvre, dans La morphologie du conte
russe de Propp, l’ambition de dépasser le principe de l’immanence pour
s’intéresser aux vastes ensembles discursifs que sont les textes, afin de rendre
compte de l’organisation syntaxique et sémantique d’un texte. Benveniste qui
effectue des recherches sur l’énonciation et la sémiologie de la langue, en partant
de la philosophie analytique et en particulier de la théorie des actes de parole de
1
2
Charles Bally, Traité de stylistique française, Ed. Leroux, Paris, 1909
Gustave Guillaume, Langage et sciences du langage, 1964
12
l’anglo-saxon Austin1, contribue à introduire dans la linguistique française un
thème nouveau, qui représente aujourd’hui ce qu’on appelle communément
l’analyse de discours.
Une nouvelle voie s’est ouverte pour aborder l’analyse des textes
littéraires ; celle de la « pragmatique » qu’un grand nombre de linguistes l’a
définit comme l’utilisation du langage, comme la description du langage en
action, ou comme du langage en contexte. Elle relève non seulement de la
linguistique, mais aussi de la sociologie, de la psychologie, de philosophie du
langage, de l’éthique, etc.…
On ne peut aborder la pragmatique sans parler de la situation
d’énonciation .cette dernière concerne, outre que les aspects spatio-temporels, la
connaissance qu’en ont les locuteurs ou l’idée qu’ils en font, la représentation
intersubjective de ceux-ci, et les intentions apparentes ou cachées de chacun des
participants et les buts qu’ils poursuivent à travers l’énonciation.
Nous ne pouvons négliger le contexte proprement linguistique, à savoir
l’ensemble des phrases où baigne l’énoncé pris en considération et qui doit être
également compris comme faisant partie de la situation d’une énonciation.
1
J-L Austin, Quand dire, c’est faire, Ed. Seuil, Paris. (1re ed.How to do things with words Oxford
1962)
13
I. Le langage dans le(s)contexte(s) ; une nouvelle voie pour
l’analyse textuelle :
Le langage peut être décrit comme une activité humaine qui s’enracine
dans une situation et permet une interaction. Cette conception s’oppose à celle
bien connue de la théorie de l’information qui envisage la communication comme
un simple passage d’informations à partir d’un code unifié ou commun.
La pragmatique en tant que discipline des sciences du langage, n’a que
depuis peu reçu un statut autonome. Cela est du essentiellement à la dépendance
étroite de la pragmatique vis à vis la linguistique. L’avènement et l’essor de la
pragmatique constituent en effet un des faits les plus saillants. On étudie et on
examine très attentivement tout ce qui relève de l’utilisation langage dans des
situations particulières (effet de facteurs contextuels sur l’interprétation
d’énoncés, reconnaissances des intentions communicatives des locuteurs, etc.….)
La grammaire « traditionnelle » qui se présente comme un bon usage des
rapports systématiques entre des séquences de sons et le sens qu’elles expriment.
Mais elle n’est pas apparemment capable de fournir une définition précise de ce
qu’il faut entendre par « le sens d’un énoncé ».cette limite est évidement plus
accablante pour une grammaire qui se veut une description de la compétence du
locuteur :plus un programme est ambitieux ,plus on peut lui tenir rigueur de ses
insuffisances.
Trois insuffisances des théories syntaxiques purement formelles, pourront être
citées :
1-le fait de ne tenir compte que des phrases.
2-le fait de négliger la situation d’énonciation.
3-le fait de négliger la fonction communicative des énoncés.
I.1.La question du contexte :
Les approches énonciatives, qui par delà leur diversité ont en commun
l’étude des énoncés rapportés à l’acte d’énonciation dont ils sont le produit, se
sont naturellement posées cette question de la situation de communication .à
14
l’instar de l’acte de communication lui-même, la situation de communication est
nécessairement unique, non réitérable, et par là même difficilement observable.
Mais fondées sur l’hypothèse que tout dans l’énonciation n’est pas
individuel, mais qu’il existe un invariant à travers la multiplicité des actes
d’énonciation.les approches énonciatives cherchent à théoriser la situation
d’énonciation .elles vont ainsi l’aborder en termes de situation d’énonciation,
circonscrite en tant que système de trois coordonnés qui définit toute situation de
communication : un temps, un lieu, et des actants.
Catherine
Kerbrat-Orecchioni1,
en reformulant
le
schéma de
la
communication qu’elle propose, revient sur ce point, en montrant que les données
dites situationnelles ne sont pertinentes que sous la forme de représentations que
les sujets énonciateurs s’en construisent, et que ce sont ces représentations ou
« images », et non la situation en elle- même, qui contraignent toute production.
Elle détaille ces images que se font les actants de l’échange en ces termes : images
d’eux-mêmes, de leurs discours, du support de leur discours, de la langue qu’ils
utilisent, du destinataire, de la réalité sociale et physique.
C.Kerbrat-Orecchioni, l’énonciation, de la subjectivité dans le langage, Armand colin, Paris,
2006
1
15
Voici le schéma proposé par Orecchioni :
Compétences
Linguistique
et paralinguistique
ÉMETTEUR
Compétences
Linguistique
et paralinguistique
RÉFÉRENT
encodage – MESSAGE – décodage
canal
RÉCEPTEUR
Compétences
Idéologique
et culturelle
Compétences
Idéologique
et culturelle
Déterminations
« psy- »
Déterminations
« psy- »
Contraintes
de l’univers
de discours
Modèle de
Production
Contraintes
de l’univers
de discours
Modèle D’
interprétation
I.2.Énonciation, énoncé et situation d’énonciation :
2.a) Énonciation et Énoncé :
« L’énonciation est l’opération présupposée par tout énoncé
qui en est le
fruit. Traditionnellement on pose que l’instance de l’énonciation est l’association
du « je », de « ici » et du « maintenant » (« ego », « hic » et « munc »), tandis que
16
l’énoncé (verbal ou non verbal) est comme leur négation et correspond alors à
ces termes opposés que sont le « il », « l’ailleurs » et « l’alors »1.
Dans son analyse de discours, Émile Benveniste souligne l'importance du
"sujet", le processus de l’énonciation, et les deux façons de signification de langue
(récit/discours). Selon lui, ce qui est important, c'est de désigner les conditions
d'utilisation d’une langue ; ainsi l’énonciation est définie comme « la mise en
fonctionnement de la langue par un acte individuel d'utilisation »2.mais avant cela
nous allons jeter un coup d’œil sur la définition de l’énonciation chez certains
linguistes.
O .Ducrot considère que l’énonciation est « une suite de phrases, identifiée
sans référence à telle apparition particulière de ces phrases ; soit comme un acte
au cours duquel ces phrases s'actualisent, assumées par un locuteur particulier,
dans des circonstances spatiales et temporelles précises »3.
Et pour Todorov, elle est comme « l'acte individuel par lequel la langue
devient énoncé, est appelé énonciation »4.ou encore chez D. Bernard « acte
d'énoncer, de produire un ensemble de signes linguistiques »5.
2.b) Situation d’énonciation ou contexte effectif de l’énonciation :
Les approches énonciatives, qui par delà leur diversité ont en commun
l’étude des énoncés rapportés à l’acte d’énonciation dont ils sont le produit, se
sont naturellement posées cette question de la situation de communication. A
l’instar de l’acte d’énonciation lui-même, la situation de communication, c’est-àdire le contexte effectif de l’acte d’énonciation, est nécessairement unique, non
réitérable, et par là même difficilement observable Mais, fondées sur l’hypothèse
que tout dans l’énonciation n’est pas individuel, chaotique, mais qu’il existe un
invariant à travers la multiplicité des actes d’énonciation, les approches
énonciatives cherchent à théoriser la situation de communication. Elles vont ainsi
l’aborder en termes de situation d’énonciation, circonscrite en tant que système de
1
Joseph Courtés, la sémiotique du langage, Ed. Armand colin, 2007, P.112
Émile Benveniste, problèmes de linguistique générale ll, Gallimard, Paris, 1974, p
3 O.Ducrot /T.Todorov, Dictionnaire encyclopédique des sciences du langage, 1972, p.405
4
Ibid.
5
Dupriez Bernard, les procédés littéraires (dictionnaire), union générale d’édition, 1984, p181
2
17
trois coordonnées qui définit toute situation de communication : un temps, un lieu
et des actants.
Dans la reformulation du schéma de la communication qu’elle propose,
Catherine Kerbrat-Orecchioni (1980) revient sur ces images en montrant que les
données dites situationnelles ne sont pertinentes que sous la forme d’ « images »,
de représentations que les sujets énonciateurs s’en construisent, et que ce sont ces
images, et non la situation en elle-même qui contraignent la production verbale.
De son coté la sociolinguistique pose un problème : celle du mode de mise
en relation de la dimension linguistique avec la dimension sociale constitue un
problème épineux en linguistique. Ce problème, est celui du rapport entre la
linguistique et ses extérieurs, ou entre le linguistique et l’extralinguistique.
Ainsi la linguistique a-t-elle dû traiter la problématique de l’énonciation
qui tient une grande place dans les recherches linguistiques modernes. Car, quand
il s'agit de l'analyse du texte littéraire, on ne peut prétendre que ni la linguistique
structuraliste ni la grammaire générative-transformationnelle, compte tenu de
leurs approches méthodologiques, n’apportaient des réponses satisfaisantes aux
questions suivantes : "qui parle? Où il parle ? Quand il parle ? Avec qui il parle ?
De quoi il parle ?".
I.3.La « relation » comme acte illocutoire :
« Le langage n’est pas un phénomène surajouté à l’être- pour autrui, il est
originellement l’être-pour-autrui, c’est-à-dire le fait qu’une subjectivité s’éprouve
comme sujet pour l’autre. (…) Le surgissement de l’autre en face de moi comme
regard fait surgir le langage comme condition de mon être »1.
Le théoricien russe Bakhtine, l’a plusieurs fois souligné dans ses ouvrages,
l’énonciation du texte se fait toujours dans une situation dialogique : tout discours
dépend d’un autre à qui on s’adresse « qu’il soit l’interlocuteur du discours ou le
narrataire d’un texte littéraire »2, et cette dialogicité est en effet une première
condition qu’un texte puisse être énoncé. Bakhtine, renvoie ainsi au principe
1
2
J-P. Sartre, L’être et le néant, Gallimard, Paris, 1943, pp.422-423.
M. Bakhtine, Le marxisme et la philosophie du langage, Ed. Minuit, Paris, 1977, P.189
18
dialogique du langage. De ce point de vue, la littérature maghrébine de langue
française s’inscrit indéniablement dans le champ postcolonial, dans la mesure où
la relation avec l’Autre sera douloureusement marquée par l’expérience
historique. Expérience qui, de son côté, marquera en même temps la production
textuelle en la dotant d’une signification particulière de la situation postcoloniale.
I.4.L’élément« linguistique »seul, est-il suffisant pour l’interprétation
des énoncés ?
L’intention du locuteur associée à la production d’un énoncé ou d’un
discours est très déterminante afin d’étudier le mécanisme d’interprétation de cette
production. Si nous tenons compte de l’interprétation d un énoncé ou d’un
discours, c’est-à-dire l’acte accompli par le destinataire, il faudrait prendre en
considération aussi un acte effectué par le locuteur, à savoir la production d’un
énoncé ou d un discours qui suppose l intention de ce dernier de produire
suffisamment défets contextuels chez son destinataire, Sperber & Wilson
affirment à ce propos que « (...) la communication met en jeu la manifestation et
la reconnaissance d’intentions ».1 Selon Sperber & Wilson, pour qu’un énoncé
soit correctement interprété et que la communication soit réussie, il ne suffit pas
que l’interlocuteur connaisse le sens linguistique de l’énoncé : il faut qu’il infère
en plus le vouloir-dire du locuteur, à savoir qu’il récupère l intention de ce
dernier.
Mais comment le destinataire procède t-il et quels sont les éléments qui
interviennent dans le processus de l’interprétation ?
Dans leur théorie de la pertinence, Sperber et Wilson « ont supposé que la réussite
de la communication dépend de la manifestation et la reconnaissance
d’intentions »2. Le locuteur a L’intention de mettre une certaine information en
évidence dans un énoncé, intention que le destinataire cherche quant à lui à
identifier. Le locuteur tente de faire connaître au destinataire par son énoncé l
1
2
Sperber D. & Wilson D. La Pertinence. Communication et cognition, Paris, Minuit1989, P.43
D .Sperber, D. Wilson, La Pertinence, Ed, Minuit, Paris, 1989.P.94
19
intention qu’il a de lui faire reconnaître une certaine information. De son côté, le
destinataire fait des inférences pour reconnaître cette intention.
I.5.L'importance du contexte dans l’analyse des énoncés :
Pour mieux lire et comprendre un discours littéraire, il est utile de le mettre
en perspective avec tout ce qui constitue son contexte.
Tout en dépassant le cadre limité de son époque, un écrivain appartient à une
période historique, au cours de laquelle il a réagi. Il convient de savoir situer
l'écrivain dans son temps, surtout lorsque son œuvre est devenue inséparable d'un
certain contexte politique, idéologique et social.
Situer les écrivains chronologiquement les uns par rapport aux autres permet en
outre de comprendre des filiations, les influences qu'ils ont pu exercer ou subir,
leur rejet parfois de ce qui a précédé. D’autres paramètres ne peuvent être négligés
(la situation actuelle ne peut permettre de les citer tous), d’où le contexte
artistique et littéraire pour mieux situer l’œuvre dans les courants, et aussi
identifier les références culturelles qui s’y trouvent.
Une première page de roman apporte les informations nécessaires à la lecture
(l'identification des personnages, le cadre spatio-temporel dans lequel l'action
prendra place...). Ces « incipits », annoncent souvent aussi les événements à venir,
et cela de façon explicite, implicite ou symbolique.
20
II.L’écriture autobiographique : Une projection de la
personnalité ?
Que se passe t-il quand on décide de raconter quelque chose ?comment s’y
prend-t-on et pourquoi ? La stratégie adoptée dépend sans doute du genre dans
lequel on décide de dire ou d’ecrire.la posture de l’émetteur n’est pas la même
selon que le récit est fictif ou réel, selon que l’auteur se raconte ou raconte le
monde.
On sait qu’en linguistique un acte de parole n’est jamais totalement objectif
entant qu’il est à chaque fois à la situation dans laquelle il est produit. Ainsi,
même quand il s’agit d’un récit de vie (autobiographie), celui-ci peut comporter
une part de fiction dans la mesure où son auteur peut être tenté, selon les
situations, d’omettre, de dissimuler, de faire valoir, ou tout simplement d’oublier
des détails ou des éléments personnels ,souvent très nécessaires.
II.1.L’autobiographie et le pacte autobiographique1 :
1.a) Difficulté d’une définition de l’autobiographie :
Le mot autobiographie apparaît en France vers 1850 comme un synonyme
du terme mémoires. Son allure composite (auto - bios - graphie, c'est-à-dire
«écrire sa vie soi-même») Par ailleurs, le terme d'autobiographie fait sens par
l'opposition qu'il établit avec celui de biographie, qui est le récit de la vie de
quelqu'un racontée par un autre que lui. Aucun critère purement linguistique ne
semble pertinent. Rien ne distingue a priori autobiographie et roman à la première
personne.
L’autobiographie peut-être définie selon Lejeune « l’autobiographie est un récit
rétrospectif en prose qu’une personne réelle fait de sa propre existence,
1
P. Lejeune, Le pacte autobiographique, Ed. Seuil, Paris, 1975
21
lorsqu’elle met l’accent sur sa vie individuelle, en particulier sur l’histoire de sa
personnalité »1.
Donc, c’est un récit que l’on fait de sa propre vie. Celui qui raconte, celui dont on
parle et celui qui écrit et signe le livre, sont une seule personne, une identité
explicite entre le narrateur, l’auteur et le personnage est alors déclarée.
Le je n’a de référence actuelle qu’à l’intérieur du discours : il renvoie à
l’énonciateur, que celui-ci soit fictif ou réel. Le je n’est d’ailleurs nullement la
marque exclusive de l’autobiographie: le tu aussi bien que le il sont des figures
d’énonciation que l’autobiographe utilise pour insister, par des effets de
distanciation, sur la fiction du sujet, ou pour mettre en situation le discours de
l’autre dans celui du sujet .
Dans le récit autobiographique on pense donc trouver la vie de l’auteur.
Celui-ci «se définit comme étant simultanément une personne réelle socialement
responsable, et le producteur d’un discours. Pour le lecteur, qui ne connaît pas la
personne réelle, tout en croyant à son existence, l’auteur se définit comme la
personne capable de produire ce discours, et il l’imagine donc à partir de ce
qu’elle produit »2Dans ce sens, « l’autobiographie (récit racontant la vie de
l’auteur) suppose qu’il y ait identité de nom entre l’auteur (tel qu’il figure, par
son nom, sur la couverture), le narrateur du récit et le personnage dont on
parle»3.
1.b) Le "pacte autobiographique" :
Dans les années soixante-dix, la réflexion sur l'autobiographie a été
enrichie par les travaux de Philippe Lejeune. Sa définition, étant donnée comme
point de départ dans la théorie du genre.
Le mot « pacte » renvoie donc à un contrat entre l’auteur de l’autobiographie et
lecteur : « dans l’autobiographie, on suppose qu’il
y’a identité entre l’auteur
d’une part et le narrateur et le protagoniste de l’autre part. C’est à dire que le
« je » renvoie à l’auteur. Rien dans le texte ne peut le prouver. L’autobiographie
1
Ibid. p : 14
Ibid. P.23
3
Ibid. P.25
2
22
est un genre fondé sur la confiance, un genre …fiduciaire, si l’on peut dire .d’où
d’ailleurs, de la part des autobiographes, le souci de bien établir au début de leur
texte une sorte de « pacte autobiographique », avec excuses, explications,
préalables, déclaration d’intention, tout un rituel destiné à établir une
communication directe ».1
Ce pacte se présente comme la clef qui permet aux lecteurs d’ouvrir la caverne
magique et de contempler le trésor qu’il habite.
L’identité entre auteur, narrateur et personnage garantie par ce pacte, peut être
implicite ou concrète (concrète dans le cas où le narrateur-personnage porte le
même nom que l’auteur, non signalé sur la couverture du livre) ,implicite si
l’œuvre contient un indice : « (…) où le narrateur prend des engagements vis-à –
vis du lecteur en se comportant comme s’il était l’auteur, de telle manière que le
lecteur n’a aucun doute sur le fait que le « je » renvoie au nom porté sur la
couverture ,alors même que le nom n’est pas répété dans la texte ».2
1.c) le pacte référentiel :
Philippe Lejeune, et en abordant l’autobiographie a cité différents pactes
et se propose de d’aborder la question de la ressemblance ; c’est-à-dire de
l’adéquation des faits racontés à la vérité réelle : le rapport du texte à son model,
un rapport impossible .cette relation extrêmement difficile réside dans ce « jeu »
de l’intériorité du texte et l’extériorité de la réalité :
« L’identité se définit à partir des trois termes : auteurs,
narrateur
et personnage. Narrateur et personnage sont les figures auxquelles renvoient, à
l’intérieur du texte, le sujet de l’énonciation et le sujet de l’énoncé ; l’auteur,
représenté à la lisière du texte par son nom, est alors le référent auquel renvoie,
de par le pacte autobiographique, le sujet de l’énonciation »3.
Philippe Lejeune, affirme de par là que le genre autobiographique est
référentiel ,d’où il présuppose « un pacte référentiel » qui doit inscrire le texte
P. Lejeune, l’autobiographie en France, Ed. Seuil, Paris, 1980, P : 24
Ibid., P : 27
3
P. Lejeune, Le pacte autobiographique, Ed. Seuil, Paris, 1975 .p.35
1
2
23
dans le champs de l’expression de la vérité ,c'est-à-dire une vérité du texte ,dite
par le texte ,c’est une question d’authenticité en tant qu’elle est l’image du
narrateur entrain de se peindre et de l’image qu’il veut donner de ce qu’il était à
telle ou telle époque de sa vie .le « pacte référentiel » est un contrat que conclut le
lecteur avec le texte autobiographique quand il entreprend sa lecture.
1.d) Traits distinctifs de l'autobiographie :
La définition de Lejeune a le mérite d'attirer l'attention sur plusieurs
dimensions importantes de l'acte autobiographique ; ainsi seule une «personne
réelle» - à laquelle s'oppose la personne imaginaire de la fiction - peut l'assumer.
Il faut donc un être humain constitué en tant que personne psychologique, morale
et sociale pour énoncer une autobiographie. Ce sont aussi et beaucoup plus, les
indices externes qui renseigneront mieux le lecteur, notamment le nom de l'auteur
sur la couverture du livre.
II.2.La psychanalyse une voie incontournable pour l’analyse
biographique :
L’application des acquis de la psychanalyse à la linguistique a engendré des
analyses très intéressantes.les structuralistes ne pouvaient pas concevoir un
discours échappant au contrôle du sujet écrivant, ce qui fera distinguer entre
« sujet écrivant » et « sujet de l’inconscient » ; notion élaborée par J.Lacan :
« l’inconscient à partir de Freud, est une chaine de signifiants qui quelque
part(sur une autre scène ,écrit-il)se répète et insiste pour interférer dans les
coupures que lui offre le discours effectif et la cogitation qu’il informe.(…) la
structure du langage, une fois reconnue dans l’inconscient quelle sorte de sujet
pouvons-nous lui concevoir ?.On peut ici, tenter, dans un souci de méthode, de
partir de la définition strictement linguistique du « JE » comme signifiant : où il
n’est rien que le schifter ou indicatif qui dans le sujet de l’énoncé désigne le sujet
en tant qu’il parle actuellement. C’est dire qu’il désigne le sujet de l’énonciation
mais qu’il ne le signifie pas"1
1
J.Lacan, Écrits, Ed. Du seuil, 1966, pp790-800
24
Dans la perspective psychanalytique, l’ « autre » qui intercède dans tout
discours est considéré comme « autre-sujet de l’inconscient » ou encore — pour
faire référence à J. Lacan — comme « Autre ».
Et au moment où l’autobiographe énoncerait le constat de son imaginaire réussite
– je parle et je dis cela de moi –, la psychanalyse pourrait lui souffler : ce n’est pas
toi qui parles, ou bien : tu parles d’autre chose que tu n’énonces pas, ou encore :
tu énonces une chose dont pourtant tu ne parles pas. À l’égard de
l’autobiographie, la psychanalyse est essentiellement suspicieuse. Dans Un
souvenir d’enfance dans "Fiction et Vérité" de Goethe, Freud signale d’emblée,
citant Goethe, une des difficultés de l’autobiographie : « Quand on cherche à se
rappeler ce qui nous est arrivé dans la toute première enfance, on est souvent
amené à confondre ce que d’autres nous ont raconté avec ce que nous possédons
réellement de par notre propre expérience ». La psychanalyse viendra donc
couper le discours de l’autobiographe, comme pour démonter l’objet que le sujet a
construit pour satisfaire ses "intentions imaginaires" selon les propos de Lacan. Il
faut passer par la place vide où ne s’énonce pas le sujet pour repérer comment le
"je", absent de la mémoire comme du rêve, se donne forme imaginaire dans des
épiphanies qui manquent tout autant d’origine que d’issue.
L’utilisation des concepts et des processus heuristiques de la psychanalyse
dans le récit de (sa) vie signale du moins que toute autobiographie n’est peut-être
à son tour qu’un récit-écran élaboré pour être substitué à un autre. La fonction
protectrice de l’écriture ne serait jamais aussi efficace que dans le cadre dramatisé
d’une mise à nu, sa fonction dilatoire jamais aussi présente que lorsque tout
semble avoir été dit. Par ailleurs, l’écart noté par Jean-Bertrand Pontalis "entre le
rêve mis en images et le rêve mis en mots" (Entre le rêve et la douleur) ne
désigne-t-il pas, de manière plus large, l’incompétence du langage à signifier autre
chose que les empêchements de la parole ? Dans les stéréotypes et les
objectivations de discours s’officialisent davantage les clivages du sujet que ne
s’annonce le retour d’un « langage premier » : au moins conviendra-t-il de ne pas
s’en tenir « à l’idée que le moi du sujet est identique à la présence qui vous
25
parle »1. En définissant la psychanalyse comme « cette assomption par le sujet de
son histoire, en tant qu’elle est constituée par la parole adressée à l’autre »2,
Lacan rappelle avec force le caractère interlocutoire de l’énonciation où le sujet
s’expose à une dépossession toujours plus grande de cet être de lui-même, jusqu’à
« reconnaître que cet être n’a jamais été que son œuvre dans l’imaginaire et que
cette œuvre déçoit en lui toute certitude. Car, dans ce travail qu’il fait de la
reconstruire pour un autre, il retrouve l’aliénation fondamentale qui la lui a fait
construire comme une autre, et qui l’a toujours destinée à lui être dérobé par un
autre » 3.
II.3.Pour une approche énonciative du discours autobiographique :
« En tant qu’énonciation, l’écriture est à la fois, le reflet et le véhicule
d’une pensée, ou plus exactement de plusieurs ordres de pensées, qui
s’interpénètrent »4.
Cette nouvelle approche signale un changement cardinal dans la lecture
autobiographique des textes de plusieurs aspects.
Lejeune relativise la valeur de la « vérité », catégorie centrale, mais
quelquefois tout aussi difficilement discernable et livrée à l’autorité des critiques.
Ensuite, en définissant le pacte « comme une formule inhérente au texte, il limite
la compétence du lecteur au devoir d’identifier ce pacte, non moins difficile si on
considère combien l’interprétation de la notion de pacte est vague dans les
différentes lectures »5. Enfin, Lejeune propose une analyse des conditions
linguistiques de l’identité de la première personne au niveau de l’énonciation.
La définition de Lejeune, à la fois incontournable mais aussi incommode
pour ses opposants, a un avantage incontestable : d’une part, elle prouve qu’il
existe des conditions formelles qu’une autobiographie doit remplir, d’autre part,
par l’intégration des éléments linguistiques (plus précisément ceux de la
J. Lacan, « Fonction et champ de la parole et du langage en psychanalyse », Écrits I, Seuil, coll.,
“Points” 1953.P.136,
2
Ibid. P.155
3
Ibid. P.160
4
Francis Berthelot, Du rêve au roman, Ed. Universitaire de Dijon, Paris ,1998.P.80
5 -Philippe Lejeune, je est un autre, Ed, seuil, Paris, 1980, p32
1
26
pragmatique), elle suggère que la réception des textes est inséparable des
conditions de son énonciation. Comme nous allons voir, ce dernier aspect, jugé
maintes fois très importante pour nos analyses, offre, même si un peu malgré elle,
une occasion excellente pour confronter les présupposés d’une lecture
autobiographique aux modes et aux codes de fonctionnement de la réception des
textes maghrébins.
Parmi ces aspects un des plus remarquables serait le problème de l’instance
narrative « je » qui, pour la critique maghrébine, demeure insoluble, voire une
obsession principale, (comme la « découverte » du pluriel, de sa part, (elle) une
grande nouveauté) jusqu’à ce qu’il ne soit objet d’une réflexion pragmatique.
Dans son étude sur l’autobiographie à la troisième personne, Lejeune1 a fait un
premier pas en explorant certains fonctionnements rhétoriques des textes de
caractère autobiographique, mais apparemment sans instance « je ». Mais dans
l’espace postcolonial, le fonctionnement figuratif des instances narratives des
textes n’est pas un phénomène inédit non plus.
II.4. Analyse de l’énonciation autobiographique :
Pour Käte Hamburger, paraît-il, la séparation entre énoncé et énonciation et
leur analyse sera pertinente à ce sujet. Elle entend par le récit à la première
personne « dans son sens propre », « comme une forme autobiographique qui
rapporte des événements vécus, mis en relation avec un narrateur qui dit je »2,
c’est l’analyse du sujet de l’énonciation (opposée à celle du sujet de l’énoncé) des
textes littéraires qui sera décisive dans des questions de genre du récit à la
première personne. En revanche, même si la différenciation qu’elle fait entre les
différentes modalités de l’énoncé lui permet de traiter le « je » de l’autobiographie
en tant que sujet d’énonciation historique ; elle semble ignorer le risque qu’elle
court en basant tout sur la seule « vérité » du sujet et le « vécu » que celui-ci
thématise dans son récit.
L’existence d’un pacte autobiographique au sens pragmatique, stipule une
coopération entre « l’émetteur » du texte (serait dans ce cas l’auteur ou, plus
1
2
P. Lejeune, Le pacte autobiographique, Ed. Seuil, Paris, 1975
Käte Hamburger, Logique des genres littéraires, Ed. Seuil, Paris, 1986, P. 274
27
précisément, le narrateur à qui il prête sa voix) et son narrataire. Or, la «
coopération » devient ainsi nécessairement un acte unilatéral, face à l’autorité du
lecteur. Comme Bruss affirme : « un auteur ne peut légitimement conclure un «
contrat » qu’avec des lecteurs qui comprennent et acceptent les règles qui
gouvernent son acte littéraire ».1
II.5. Le statut de narration dans l’autobiographie :
La question «qui parle?» mérite à bon droit l'attention qu'on lui prête dans
les analyses des textes littéraires, en particulier de la prose narrative. Le problème
du point de vue n'est pas un problème marginal Le point de vue n'est pas
seulement un problème purement technique ; plusieurs études récentes sur la
prose narrative ont prouvé que l'analyse de la perspective narrative peut éclairer
certains aspects du message humain véhiculé par l'œuvre littéraire aussi bien que
la valeur esthétique de celle-ci.
La présence du locuteur dans un discours, quel qu’il soit, se fait sentir à des
degrés différents, selon des besoins communicatifs spécifiques, selon des
conditions particulières imposées par le co(n)texte. La communication est assurée
par la propriété qu’a le langage de constituer l’homme en tant que sujet.
Ainsi, Paul Ricœur a évoqué la question de l’importance du langage dans le
processus d’individuation, et par la suite, a forgé ce qu’il a appelé « l’identité
narrative » :
« On n’individualise que si on a conceptualisé et individualisé en vue de
décrire davantage. C’est parce que nous pensons et parlons par concepts que le
langage doit en quelque manière réparer la perte que consomme la
conceptualisation. […] Logiciens et épistémologues regroupent sous le titre
commun d’opérateurs d’individualisation des procédures aussi différentes que les
descriptions définies – Le premier homme qui a marché sur la Lune, L’inventeur
BRUSS, Élisabeth W., L’autobiographie considérée comme acte littéraire, in Poétique, N° 17,
janvier 1974.
1
28
de l’imprimerie, etc. –, Les noms propres Socrate, Paris, la Lune –, les
indicateurs – Je, Tu, Ceci, Ici, Maintenant »1.
Dans la deuxième partie du roman « le fils du pauvre », le narrateur
n’intervient pas dans le récit comme personnage-narrateur. Il reste dans l’ombre la
plupart du temps, discret et anonyme. Il est, selon la terminologie de Gérard
Genette, un narrateur hétérodiégetique : « Le choix du romancier [se fait] entre
deux attitudes narratives […] : faire raconter l’histoire par l’un de ses
« personnages », ou par un narrateur étranger a cette histoire […]. Je nomme le
premier type, pour des raisons évidentes, homodiégétique, et le second hétéro
diégétique ».2
a) Le « je » dans le texte autobiographique :
Nous sommes donc en présence d’un texte autobiographique qui exige du lecteur,
une fois de plus, des connaissances sur la vie et la personnalité de l’auteur que le
texte, à lui seul, ne livre pas.
Ainsi, le narrateur-personnage principal conduit son énonciation sur le mode du
je. Ce mode d’énonciation répond parfaitement aux propos de Ph. Lejeune qui dit
que l’autobiographie doit être un « récit (…) qu’une personne réelle fait de sa
propre existence, (mettant) l’accent sur sa vie individuelle (…) »3 .Cette citation
fait office de première condition définitoire de l’autobiographie. Le je, ici, répond
à cette définition, toujours selon Lejeune : « Le pronom personnel - je - renvoie à
l’énonciateur de l’instance de discours où figure le –je- ; mais cet énonciateur est
lui-même susceptible d’être désigné par un nom (qu’il s’agisse d’un nom
commun, déterminé de différentes manières, ou d’un nom propre) »4.
b) Le « nous » inclus dans le « je » ou la voix de la société dans le texte
autobiographique :
Raconter sa société au détriment de son individualité est une fonction cardinale
dans un texte auto-bio-sociographique. Si l’intention strictement autobiographique
est clairement affichée, elle est en apparence subvertie quand le Je qui s’énonce
1
P. Ricœur, Soi-même comme un autre, p. 40.
G.Genette, Figures III, op. Cit. p. 262.
3
P. Lejeune, Le pacte autobiographique, Ed. Seuil, Paris, 1975, p : 36
4
Ibid.
2
29
devient prétexte à l’énonciation du tableau social. Ainsi je figure à part entière
dans une auto-bio-sociographie .derrière le je s’inscrit une double instance
narrative qui permet à l’auteur d’occuper – au plan narratologique – des points de
vue différents. C’est ce qui apparaît dans le texte de Mouloud Feraoun.
En effet, il existe une relation constante entre l’œuvre, en tant que matériau
littéraire, le référent individuel ayant pour principal intérêt le Moi de l’écrivain et
la dimension sociohistorique que peut communiquer l’auteur, étant en premier
lieu, un être-acteur social, et en second lieu, un témoin privilégié de son époque.
L’œuvre de Mouloud Feraoun « le fils du pauvre », propose un récit où
domine l’idée que l’histoire personnelle de l’auteur est liée à celle de sa
communauté. C'est-à-dire que Mouloud Feraoun inscrit son histoire, son vécu, au
sein même de son témoignage sur l’Histoire de sa société, C’est de l’imbrication
de la voix dominante du je avec les autres voix. Cette transcendance désigne la
pluralité des voix énonciatives dans le texte en question, et se traduit par l’usage
du Nous communautaire supplantant le je individuel. L’auteur glisse sur
l’importance de sa propre instance narrative, porteuse de son individualité, au
profit de la narration collective.
III.Le récit autobiograpgique ou le «jeu de l’ambiguité»:
«L'autobiographie propose un théâtre dans le théâtre, théâtre d'ombres
où l'auteur joue à la fois les rôles de l'auteur, du metteur en scène et des
acteurs». 1 Écrire sa vie nécessite une véritable mise en scène où un seul acteur
s'expose et joue (avec) son destin. Et comme nous l’avons déja mentionné, Le
récit autobiographique est un « récit rétrospectif ». Le narrateur de ce récit est
identifié par le pronom personnel « je » : « l’identité du narrateur et du
personnage principal se marque le plus souvent par l’emploi de la première
personne »2.Ce récit est supposé être vraisemblable. Le lecteur le conçoit comme
tel, à la différence d’un récit fictif, il s’attend à ce que le premier soit, au moins en
partie « véridique », et envisage le second comme une « réalité fictive ». Il peut
cependant s’y reconnaître.
1
2
G.GUSDORF, Les Écritures du moi : lignes de vie I, op. Cit, p. 311
Ibid. P.15
30
Le récit autobiographique renvoie à l’expérience de la vie de l’auteur,
racontée par lui. Dans le récit autobiographique on pense donc trouver la vie de
l’auteur. Celui-ci « se définit comme étant simultanément une personne réelle
socialement responsable, et le producteur d’un discours. Pour le lecteur, qui ne
connaît pas la personne réelle, tout en croyant à son existence, l’auteur se définit
comme la personne capable de produire ce discours, et il l’imagine donc à partir
de ce qu’elle produit (…) l’autobiographie (récit racontant la vie de l’auteur)
suppose qu’il y ait identité de nom entre l’auteur (tel qu’il figure, par son nom,
sur la couverture), le narrateur du récit et le personnage dont on parle »1. Mais
cette identité est toujours en instance de reconstruction, une dialectique
permanente entre le « je », le « tu », le « il », l’Autre, celui dont l’identité semble
« identique » ou différente. L’usage voudrait que celui qui parle dit « je ». Mais la
fiction peut utiliser un « il » ce qui permet à l’auteur d’écrire plus ou moins à sa
guise. Car celui qui écrit imagine un récepteur comme dans la communication
ordinaire. Même si la communication n’est pas immédiate, il conçoit toujours un
retour. Le lecteur de son coté n’est pas entièrement passif, il intervient sur l’œuvre
en la lisant. Il la remodèle selon sa propre expérience.
L’auteur du récit pratique « le jeu de l’ambiguïté » en oscillant entre le
« véridique » et le « fictif » : « qu’en fin de compte le lecteur ne puisse pas
réduire ou fixer la position de l’auteur, malgré le désir qu’il aura inévitablement
de le faire, étant donné le problème que posent presque toutes ses œuvres. Cette
ambiguïté sera implicite ou explicité, selon que l’auteur se cache ou se
manifeste».2
III.1.L’autobiographie : le point de vue ou le regard du narrateur
Le problème des «visions» ou des «points de vue», n'a cessé de préoccuper
jusqu'à nos jours les théoriciens littéraires et les écrivains eux-mêmes.
Dans un récit autobiographique ou de vie, la transmission de l'information,
des événements se fait de la façon suivante : un regard témoin ; celui de l'enfant-
1
2
Ibid. P.23
Ibid. P.167
31
héros, qui enregistre la scène et la voix-adulte quand il la transmet (on parle ici du
récit d’enfance). A ce sujet, une définition est proposée par Philippe Lejeune :
« Dans le récit d'enfance classique, c'est la voix du narrateur adulte qui
domine et organise le texte : s'il met en scène la perspective de l'enfant, il ne lui
laisse guère la parole. (...). Il ne s'agira plus de se souvenir mais de fabriquer une
voix enfantine, cela en fonction des effets qu'une telle voix peut produire sur un
lecteur ».1
Il y a des moments où la voix du narrateur-adulte domine la voix de l'enfant
marquant ainsi la supériorité du point de vue du narrateur au détriment de celui de
l'enfant.
A d'autres moments, les deux voix, du narrateur et de l'enfant,
s'entremêlent et s'entrelacent, réalisant une sorte de "fondu" de ces deux voix, afin
de "fabriquer" cette voix enfantine. Dans ce cas l'effet produit est également celui
d'une superposition de deux voix, mais aussi de deux points de vue ; ainsi
l'explique Dominique Maingueneau :
« De deux "voix" inextricablement mêlées, celle du narrateur et celle du
personnage. (...). On perçoit deux "énoncia-teurs" mises en scène, dans la parole
du narrateur, lequel s'identifie à l'une de ces deux "voix". Ce ne sont pas deux
véritables locuteurs, qui prendraient en charge des énonciations, des paroles,
mais deux "voix", deux "points de vue" auxquels on ne peut attribuer aucun
fragment délimité du discours rapporté. Le lecteur ne
repère cette dualité que par la discordance qu'il perçoit entre les deux "voix",
discordance qui lui interdit de tout rapporter à une seule instance énonciative. »2
Si le but de la technique du point de vue est de présenter une histoire en
fonction de la conscience d'un personnage et vue à travers cette conscience, le pas
décisif et le plus conséquent, a été fait par l'adoption du narrateur à la1ère
personne. Dans le roman raconté du point de vue d'un personnage à la 3eme
1
P. Lejeune : Je est un Autre, op.cit., p. 10.
2 D.Mainguenau : Éléments de linguistique pour le texte littéraire, Paris, Bordas, 1986, p.96.
32
personne, il existe toujours implicitement un sujet, qui occupe la place d'un
narrateur omniscient qui sait tout sur ce personnage :
« Au moment où le narrateur devient grammaticalement le «je» de
l'énoncé, la situation narrative de base se complique. Entre le sujet de
renonciation (l'auteur) d'une part et les personnages et les événements de l'autre,
un nouvel élément narratif est intercalé, celui du «je» narrateur qui est le sujet de
l'énoncé et qui, dans la plupart des cas, n'est pas identique au «je» qui écrit le
livre »1 .
Le «je» narrateur est un phénomène technique et formel et il est chargé
d'augmenter l'authenticité du récit, la vraisemblance ou l'effet de celui-ci, donc des
aspects extérieurs à l'œuvre littéraire.
Le pronom « je » désigne la personne « qui énonce la présente instance de
discours contenant Je »2. Donc « je » n’a d’existence que par et dans le discours
qui l’emploie. Il est dans un changement continuel car il acquiert chaque fois une
instance discursive particulière, il ne peut être identifié que par « l’instance de
discours qui le contient et par là seulement. Il ne vaut que dans l’instance où il est
produit (…) ; la forme « je » n’a d’existence linguistique que dans l’acte de
parole qui la profère. »3.
Genette constate que le narrateur est toujours présent dans son écrit ou
l’histoire qu’il narre, il déclare donc :« Je ne puis à aucun instant négliger la
présence du narrateur dans l'histoire qu'il raconte »4.ceci nous conduit donc à
définir la notion du point de vue (pdv).
Selon Paul Ricœur, le point de vue :
« Désigne dans un récit à la troisième ou à la première personne
l'orientation du regard du narrateur vers ses personnages, les uns vers les autres
(...). Dès lors que la possibilité d'adopter des points de vue variables - propriété
inhérente à la notion même de point de vue - donne à l'artiste l'occasion
1 T.Todorov, Poétique, in Qu’est-ce que le structuralisme ? Ed. Seuil, Paris, 1968, P.166
2
Émile Benveniste, problèmes de linguistique générale 1, Paris, Gallimard 1966, p.233
3
Ibid.
4
G. Genette, Figures III, Ed .Seuil, Paris, 1972, p.225.
33
systématiquement exploitée par lui, de varier les points de vue à l'intérieur de la
même œuvre, de multiplier et d'en incorporer les combinaisons à la configuration
de l'œuvre »1.
Il s'agit de voir non seulement comment le narrateur voit ses personnages,
comment voit-il le monde (durant son enfance) et se voit, mais surtout de quelle
manière l'écriture reflète cette vision.
Le récit de Mouloud Feraoun « le fils du pauvre » convoque une
représentation du monde. Il aura donc à faire le choix d'un narrateur - une “ voix”
pour le proférer - et aussi d'un "regard" par la médiation duquel le monde sera
"vu". L'auteur peut ainsi choisir de jeter sur les événements, les lieux, les
personnages, le regard sans limites d'un dieu omniscient, le regard - restreint et
singulier - d'un personnage de la diégèse, enfin le regard extérieur objectif, et
c’est-ce qui se passe dans la deuxième partie du récit quand le narrateur-hérocède la parole à un ami qui connait tout de lui !Ne serait-il pas entrain de prendre
la distance pour mieux voir ?
III.2.L’autobiographie en « il » ou l’écriture objective !
Le concept de la distance correspond le plus souvent à une tension
objectivisante et peut dans certaines conditions servir à emphatiser un état
subjectif ;
« Il ne suffit pas d’écrire : je suis malheureux ; tant que je n’écris rien
d’autre, je suis trop près de moi, trop près de mon malheur, pour que ce malheur
devienne vraiment le mieux sur le mode du langage : je ne suis pas encore
vraiment malheureux .ce n’est qu’à partir du moment où j’en arrive à cette
substitution étrange : il est malheureux, que le langage commence à se constituer
en langage. Malheureux pour moi, à esquisser et à projeter lentement le monde
du malheur tel qu’il se réalise en lui »2.
1
P.Ricoeur : Temps et Récit II : La configuration dans le récit de fiction, Ed. Seuil, Paris, 1984,
p.140.
2
M. Blanchot, la part du feu, Ed, Gallimard, Paris, 1949, P.28-29
34
Contrairement à la littérature française du dix-huitième siècle où le « je » de
l’auteur se masquait, la substitution de la troisième personne à la première
personne dans la deuxième partie de l’œuvre de Mouloud Feraoun, se présente
alors comme une échappée à la structure personnelle et suggère une exploitation
psychanalytique comparable à celle dont est passible le « je est un autre » de
Rimbaud.
Si le discours subjectif porte de nombreuses marques de cette personnalisation du
message, le discours objectif tend à effacer toute trace de jugement personnel.
IV. Le discours autobiographique e(s)t les voix multiples !
IV.1.La notion de polyphonie chez Bakhtine :
Élaborée par Bakhtine pour décrire certains caractères des romans de
Dostoïevski, elle a connu par la suite de nombreux emplois, notamment en
linguistique de l'énonciation où elle désigne « un discours où s'exprime une
pluralité de voix »1.la polyphonie est, d'abord une marque distinctive du roman
dostoïevskien, par opposition au roman traditionnel, devient bientôt une
caractéristique du roman en général, puis du langage à un certain stade de son
développement (..) et enfin de tout langage.
Inspirée d’une vision de Lacan qui supposera une division complète de
l’identité en soulignant le clivage du sujet et la présence de l’extériorité au sein du
même, la polyphonie donc, au sens de Bakhtine, peut être sommairement décrite
comme une pluralité de voix et de consciences autonomes dans la représentation
romanesque. Bakhtine conclut que l'être humain est toujours en communication
avec autrui.
La notion de polyphonie désigne, d'une manière générale, la présence dans
l'énoncé et dans le discours des "voix" distinctes de celle de l'auteur de l'énoncé.
Le postulat de l'unicité du sujet parlant est ainsi mis en cause. Un énoncé
n'équivaut plus à un seul sujet parlant, responsable à la fois des activités psychophysiologiques dont dépend la production de l'énoncé et des points de vues
1
Moeschler, Jacques & Reboul, Anne, Polyphonie et énonciation, Dictionnaire encyclopédique de
pragmatique, Ed. Seuil., Paris, 1994, P : 326
35
exprimés par celui-ci. Il s'agit de mettre au jour la pluralité constitutive du sujet,
vu que Ducrot conteste le principe selon lequel à un énoncé correspond un sujet
de conscience. On insiste sur la présence de voix différentes à travers une même
énonciation, sur la pluralité des énonciateurs accomplissant des actes illocutoires,
sur les diverses attitudes du locuteur vis-à-vis de ces énonciateurs,
Pour Bakhtine, le langage n'est pas un système abstrait de formes, mais une
opinion multilingue sur le monde. Son système théorique procède à une
valorisation de la relation interlocutive : « l'orientation dialogique du discours est
(...) un phénomène propre à tout discours (...) Sur toutes les voies vers l'objet,
dans toutes les direction, le discours en rencontre un autre, étranger, et ne peut
éviter une action vive et intense avec lui. Seul Adam mythique abordant avec sa
première parole un monde pas encore mis en question, vierge, seul Adam - le
solitaire - pouvait éviter totalement cette orientation dialogique sur l'objet avec la
parole d'autrui »1.
Pour O. Ducrot2, il faut cependant distinguer entre le sujet parlant, sujet
empirique, producteur matériel de l'énoncé, et le locuteur, être de discours,
présenté comme source de l'énoncé et "responsable de l'énonciation", d’une part,
De l’autre part, il introduit une distinction fondamentale, en insistant sur la
différence entre le locuteur et l'énonciateur, ce dernier étant défini comme
"l'origine des points de vue exprimés". Tout énoncé consiste donc dans la mise en
scène de quelques instances énonciatives distinctes, auxquels le locuteur peut se
présenter comme associé ou non. Pour saisir la signification d'un énoncé, on doit
saisir les différentes voix (les énonciateurs) et les instructions concernant la
manière dont ces énonciateurs sont pris en charge par le locuteur (l'être que
l'énoncé présente comme auteur)
1.a) Polyphonie littéraire et polyphonie linguistique :
Il est bien connu que les textes véhiculent, dans la plupart des cas, beaucoup de
points de vue différents et provenant de différents côtés. La situation normale est
que plusieurs voix se font entendre dans le même texte : les textes sont
1
2
Mikhaïl Bakhtine, Esthétique et théorie du roman, Ed, Gallimard, Paris, 1978, p. 102
Oswald Ducrot, Dire et ne pas dire, Ed, Hermann, Paris, 1972
36
polyphoniques. Avec l'intérêt croissant en linguistique pour des aspects
pragmatiques et textuels qui s'est manifesté durant la dernière vingtaine d'années.
On commence dés lors distinguer deux types de polyphonie : l’une littéraire et
l’autre linguistique (c’est cette dernière qui nous intéresse) ; à ce propos, deux
questions se présentent immédiatement :
-l'analyse polyphonique linguistique pourra-t-elle appuyer l'analyse littéraire ?
- l’analyse littéraire pourra-t-elle enrichir l'analyse linguistique ?
Ce qui caractérise la polyphonie en tant que théorie linguistique est qu'elle
s'occupe principalement de la création du sens au niveau de l'énoncé. Que l'énoncé
renferme des traces de ses protagonistes est bien connu. Et cela de multiples
façons. On peut songer aux pronoms personnels, aux adjectifs connotatifs, aux
modalités, etc. Cette présence des participants du discours est un phénomène
profondément intégré dans la langue naturelle. Celle-ci renvoie en effet
constamment à son propre emploi : elle est sui-référentielle. On verra que d'autres
points de vue que ceux de l'émetteur et du récepteur peuvent être véhiculés à
travers l'énoncé.
La structure polyphonique se situe au niveau de la langue (ou de la phrase), elle
fournit des instructions relatives à l'interprétation de l'énoncé de la phrase, ou plus
précisément aux interprétations possibles de celui-ci.
1.b) Polyphonie en linguistique de l’énonciation :
La voix humaine oscille désormais entre deux vies, tantôt textualisée, tantôt
réincarnée. C’est dans ce sens, que la théorie Lacanienne du sujet être du langage
met en évidence le sujet divisé, qui se fait dans le langage et non faisant le
langage ; dans cet environnement, la parole d’autrui est à la fois inévitablement
présente dans sa propre parole (c’est l’hétérogénéité constitutive du langage), mais
qui demande à être circonscrite en quelque sorte, pour qu’il reste un espace pour
l’identité, l’affirmation d’identité du sujet parlant. Ce dernier en montrant les
zones d’hétérogénéité de son discours s’évertue en désignant l’autre, et
revendique en quelque sorte la paternité du reste de son propos. le sujet parlant
37
alors, use de plusieurs formes pour marquer cette hétérogénéité du discours, et
cela en utilisant par exemple le style indirect libre.
Toutefois, le style indirect libre produit sur le lecteur un effet de « confusion »,
car il ne reconnait plus si ce sont les réflexions du personnage ou bien celle de
l’auteur comme l’explique Dominique Maingueneau :
« il s’agit de deux « voix » inextricablement mêlées ,celle du narrateur et
celle du personnage (…).on perçoit deux « énonciateurs » mis en scène dans la
parole du narrateur, lequel s’identifie à l’une de ces deux « voix ».ce ne sont pas
deux véritables locuteurs, qui prendraient en charge des énonciations, des paroles
,mais deux « voix »,deux « points de vue » auxquels on ne peut attribuer aucun
fragment délimité du discours rapporté. Le lecteur ne repère cette dualité que par
la discordance qu’il perçoit entre les deux « voix », discordance qui lui interdit de
tout rapporter à une seule instance narrative »1.
IV.2.La polyphonie dans le discours autobiographique :
La catégorie narrative de la « voix » a été développée pour la première fois
par M. Bakhtine en 1929 lors de son analyse des textes de Dostoïevski. Pour
Bakhtine la voix est une catégorie idéelle plutôt que narrative : il entend par
« voix » la position idéologique, l’opinion d’un personnage, et n’accorde pas
d’importance à la façon narrative par laquelle la voix est exprimée dans le
texte »2.
Alors que pour Genette, il entend par « voix » la fonction du texte produisant
le récit dans l’acte de la narration. L’instance narrative (= la voix) n’est pas
invariable mais peut changer dans un même récit, ce qui implique l’idée d’un
texte polyphonique. Cependant, dans la conception de Genette : « tout
changement de voix implique un changement du niveau narratif : une deuxième
voix produit son récit au niveau intradiégétique, une troisième au niveau
métadiégétique… etc. »3. L’inconvénient de la conception de Genette est qu’elle
ne distingue pas clairement le récit intradiégétique du simple discours direct d’un
1
D .Maingueneau, éléments de linguistique pour le texte littéraire, Bordas, Paris, 1986, P : 96
2 -M. Bakhtine, Problèmes de la poétique de Dostoïevski, l’Age d’homme (« slavica »), Paris,
1970(1reéd.1929)
3 -G. Genette, Figures III, Ed. Seuil, Paris, 1972, P.
38
personnage (c’est-à-dire la délégation de la voix principale à un personnage de
son texte).
Dans le discours autobiographique, comme dans tout autre discours, la question
de l’intelligibilité se pose à l’énonciateur : il sait qu’il ne peut exprimer par des
mots tout ce qui se passe dans sa tête. Il sait qu’il faut maîtriser la parole pour
être compris, qu’il faut chercher à exprimer par une voix plus ou moins claire et
nette ce «monologue intérieur à plusieurs voix» qui se déroule dans sa tête au
moment de l’écriture. Pourtant, un discours autobiographique net et clair où il n’y
aurait qu’une voix qui s’exprime laisserait les lecteurs attentifs sur leur faim
malgré l’intelligibilité apparente : nous ne lisons guère pour comprendre les
paroles au premier degré mais pour comprendre ce qui se cache derrière elles. Par
conséquent, la question de la «maîtrise» de la parole dans le discours
autobiographique nous mène droit au centre d’intérêt de l’analyse de ce genre
littéraire : le conflit permanent ou plutôt le dialogue intérieur permanent entre
énonciateur et énoncé, la tension entre ce qui ce passe dans une conscience et ce
qui se laisse exprimer de façon plus ou moins intelligible par des paroles.
Afin de pouvoir repérer ces voix de narrateur - indépendantes ou non - dans le
discours autobiographique, établissons une distinction entre deux je du narrateur
autodiégétique: le je narrant et le je narré. Le je narrant, c’est celui qui narre, qui
raconte : c’est l’autobiographe en train d’écrire l’histoire de son passé, tandis que
le je narré, c’est le protagoniste de cette histoire racontée, de ce vécu. Dans Les
Mots, le je narrant est donc l’écrivain Jean-Paul Sartre en train de rédiger le récit
de son enfance, tandis que le je narré est à la fois Sartre, adulte, jusqu’au moment
de la rédaction en cours, et le petit Jean-Paul, nommé Poulou, l’enfant que fut
Sartre jusqu’à l’âge de douze ans environ.
Au niveau de la perspective du
narrateur, le cas normal d’une autobiographie est en principe celui que l’on trouve
dans Les Mots : la dominance apparemment complète du je narrant sur le je narré,
de celui qui écrit sur celui qui est décrit, notamment sur l’enfant représenté par le
je narré.
Les réactions et réflexions du petit Jean-Paul, appelé Poulou, sont
clairement formulées par l’écrivain adulte : elles sont choisies par l’adulte pour
être revécues à travers ses yeux.
IV.3.Le style indirect libre ; une forme de la polyphonie linguistique :
39
Le style indirect libre, comme le décrit Maingueneau, est : « un mode
d’énonciation original, qui s’appuie crucialement sur la polyphonie »1
Le style indirect libre devrait essentiellement servir dans le passé à rapporter des
paroles, alors que certains écrivains se sont mis à l’utiliser pour représenter des
pensées, ce qui impliquait forcément un narrateur aux pouvoirs tout à fait excessif
(omniscient, omniprésent), capable de tout, comme le dieu lui-même, de lire et de
savoir ce qui se passe dans l’âme de ses créatures sans aucun peine !
Du point de vue sémantique, le discours indirect(DI) est strictement opposé
au discours direct(DD) ; ce dernier est fidèle et textuel, alors que le premier (DI)
est infidèle et non textuel. Alors que le discours direct(DD) est la juxtaposition de
deux énonciations, le discours indirect(DI) est l’insertion ou l’enchâssement qui
réduit les deux énonciations en une seule.
Le discours indirect(DI) opère une transposition des temps, des personnes, et
des déictiques ; il « traduit » l’énonciation qu’il rapporte.
Une réalité linguistique dont il ne faut pas nier et que l’on doit reconnaitre :
les frontières entre le discours direct(DD) et le discours indirect(DI) existent !
Une réduction des frontières entre les deux discours au profit de l’actualisation de
l’énonciation permet de définir le discours indirect : c’est la notion de liberté.
Cette dernière se répercute sur l’ambiguïté énonciative : on ne sait pas qui
parle, parce que la syntaxe ne nous permet pas d’attribuer de façon claire « le
dit »du récit sous des formes différentes.
1
D. Mainguenau, Éléments de linguistique pour le texte littéraire, Paris, Bordas, 1986, P : 97
40
Conclusion
Au cours de son évolution, la linguistique a montré des perspectives
différentes et des orientations vers les différents champs de recherches. C'est
évidemment Ferdinand de Saussure qui a fondé les bases de la linguistique de nos
jours dans son œuvre intitulée Cours de Linguistique Générale, en proposant
premièrement d'étudier la structure synchronique et intrinsèque de la langue. Il a
établi sa théorie sur la dichotomie langue / parole. Mais cette théorie de langue
était insuffisante pour l'appliquer aux analyses des textes littéraires. Après
Saussure, nous remarquons de nouvelles voies dans ce domaine d'analyse. D'une
part, la perspective structuraliste considérait la langue comme un code, étant un
système formel qui permet de transmettre des messages ; d'autre part, la
grammaire générative-transformationnelle la définissait comme un système des
règles permettant de passer de la structure profonde à la structure de surface.
Plusieurs acquis ont été remis en cause à travers l’histoire de la linguistique, mais
un seul ne sera pas remis en cause : l’énoncé présente d’autres niveaux
d’organisation, plus « profonds » que le niveau des contiguïtés de surfaces.
Être le sujet-objet de son propre dire (récit/discours), globalement,
partiellement ou de façon fragmentaire, a de tout temps préoccupé, voire hanté les
écrivains qui, toujours tentés par ce projet, ont souvent fini, majoritairement, par y
céder, sous une forme ou une autre. Raconter sa vie, en relater fidèlement ( ?) les
péripéties ou les romancer, se confier (au papier, aux gens de bonne écoute),
rédiger ses mémoires, tenir un journal intime, un carnet de notes, de bord ou de
voyage, entretenir une chronique, ses souvenirs ou sa mémoire, entreprendre une
réflexion ou tout simplement prendre des notes et les consigner…voilà des
pratiques anciennes et…actuelles, d'auteurs illustres et…inconnus, sous des
41
formes diverses et selon des techniques différentes ou enchevêtrées. Qu’en est-il
au Maghreb et en Algérie plus particulièrement ? Comment l'écrivain algérien
Mouloud Feraoun, compose- t’il avec cet ordre de discours littéraire ? Comment
s'y prend-il pour inscrire son vécu (censé être singulier) ?
42
CHAPITRE DEUXIEME
Nature et fonctionnement
Du pronom personnel
«Je ne puis à
aucun
instant négliger
la
présence du narrateur dans l’histoire qu’il
raconte »
G. Genette
Figure III, Paris, seuil, 1972
Introduction :
Notre étude porte sur les pronoms personnels de la première personne dans
le discours littéraire à savoir « je » et « nous ».De là nous abordons dans ce
deuxième chapitre le système des pronoms personnels en français, d’une manière
générale, et en particulier celui des pronoms de la première personne, ainsi que de
la notion d’embrayeurs subjectifs. Pour cela, nous avons jugé utile de se référer
dans la partie théorique à la cinquième partie des Problèmes de linguistique
générale : « L’homme dans la langue » d’Émile Benveniste1 qui s’attaque à la
conception traditionnelle de la grammaire, selon laquelle les formes du pronom
constituent une même classe formelle et fonctionnelle. Pour lui la définition
ordinaire des pronoms personnels abolit la nation de personne. À l’encontre de la
grammaire traditionnelle qui donne la même définition concernant les pronoms
personnels je/tu/il, car il fait en la matière une figure de référence majeure, et aux
réflexions de Catherine Kerbrat-Orecchioni sur la question de la référence dans
« l’énonciation. De la subjectivité dans le langage 2 ».
Une tendance actuelle, dans la discussion sur la nature des pronoms, les mêle,
d’un côté, dans une classe formelle et fonctionnelle unique ; de l’autre côté, les
ramène aux questions liées au langage et à la langue. Les pronoms ne sont pas une
classe unique mais une diversité d’espèces selon qu’on est dans la syntaxe de la
langue ou dans ce que les linguistes nommeront les « instances de discours » où un
énonciateur, par la parole, actualise la langue.
Selon Émile Benveniste : « il faut voir que la définition ordinaire des
pronoms personnels comme contenant les trois termes je, tu, il, y’abolit justement
la notion de ‘personne’.celle-ci est propre seulement à je/tu, et fait défaut dans
il ».3
Mais tout d’abord nous essayerons de voir la nature de cette catégorie dans
la grammaire traditionnelle souvent qualifiée du « bon usage »de la langue.
1
E, BENVENISTE, Problèmes de linguistique générale tome I, Paris, Gallimard, 1966.
Catherine, KERBRAT-ORECCHIONI, L’énonciation de la subjectivité dans le langage, Armand
Colin, Paris,, 2006.
2
3
Émile Benveniste, Problèmes de linguistique générale I, Ed. Seuil, Paris, 1966, P.253
43
I. Les pronoms personnels de la première personne : valeurs et
natures
I.1.La notion du pronom dans la grammaire traditionnelle :
Dans son fameux ouvrage, Maurice Grevisse donne la définition suivante
pour le pronom : « le pronom est un mot qui varie en genre et en nombre ; en outre
les pronoms personnels et possessifs varient en personne ; les pronoms personnels,
les relatifs et les interrogatifs varient d’après leur fonction-le pronom est
susceptible d’avoir les diverses fonctions du nom : sujet, attribut, complément,
parfois apposition ou approche »1.
Ainsi, les pronoms peuvent communiquer le genre, le nombre, et la personne à
un autre mot sans porter eux-mêmes les marques du genre, du nombre et de la
personne : tu es gentille. Mais ce qui nous intéresse dans notre recherche, c’est le
pronom personnel de la première personne (singulier et pluriel),à savoir « je » et
« nous ».
M. Grevisse explique que « les pronoms personnels désignent les êtres et les choses
en marquant la personne grammaticale »2.la première personne du singulier
désigne ainsi, le locuteur(ou le scripteur), celui qui parle ou qui écrit, alors que la
première personne du pluriel désigne un ensemble de personne dont le locuteur (ou
le scripteur) fait partie.
Alors que « la troisième personne représente un être ou une chose (au singulier),
des êtres ou des choses (au pluriel) dont on parle »3.
I.2.Le pronom comme sujet grammatical :
Les linguistes s’entendent sur une distinction entre langage, langue et
discours. Le langage concerne la faculté même, proprement humaine, de
communiquer verbalement, et la linguistique se décline alors par exemple en
neurolinguistique, psycholinguistique, acquisition ou pathologies du langage
Maurice Grevisse, « Le bon usage », Ed. Duculot, 13eme édition, 2004, P.955
Ibid. P.961
3
Ibid.
1
2
44
Les grammaires, comme, les dictionnaires et la plus part des travaux
linguistiques classent les pronoms personnels selon trois grandes catégories selon
l’expression de la personne :je ,me, moi, relèvent de « la première personne »et
désignent « celui qui parle » ; tu, te, toi, relèvent de « la deuxième personne »et
désignent « celui à qui l’on parle » ; il, le, lui au masculin ,elle, la, lui, au féminin
désignent « la personne ou la chose dont on parle ».
Les pronoms personnels ont pour rôle essentiel de remplacer le nom. Ils varient
selon la personne et le nombre et selon leur fonction.
I.3.Formes conjointes / disjointes :
Il existe ce qu’on appelle les formes conjointes (atones) et les formes
disjointes (toniques) des pronoms. Tandis que pour la première personne du pluriel,
il existe une seule forme qu’elle soit conjointe ou disjointe, masculin ou féminin,
c’est le "nous".
Les formes donc, « je », « me », « moi », sont présentées comme les variantes
d’une même unité linguistique : le pronom personnel de première personne. Toutes
les trois désignent le locuteur et il en va de même pour « tu », « te », « toi », ces
derniers désignent l’interlocuteur et sont considérés comme les variantes de la
même unité linguistique, à savoir, le pronom personnel de deuxième personne.
Les variantes, considérées comme des alternances purement formelles, donc sans
incidence sémantique, sont rapportées aux fonctions occupées par le mot dans la
phrase.
45
Riegel1 résume cela dans un tableau :
Formes conjointes
Formes
disjointes
Personne
Sujet
Complément
Complément
direct
indirect
1ère
Je
me
moi
2ème
tu
te
toi
L’appellation « formes conjointes » désigne le fait que je, tu, me, te, sont
étroitement solidaires du verbe, et l’appellation « formes disjointes » au contraire le
fait que moi, toi sont séparés du verbe : on ne pourrait pas énoncer On moi regarde
ni C’est pour me.2
Avec le tableau emprunté à Riegel que les trois formes morphologiques je, me, moi
étaient réparties selon leurs fonctions syntaxiques : « je » n’est que sujet,
« me »
n’est que complément, et « mo »i, forme disjointe, est laissé en suspens.
Ce qui apparaît pertinent en revanche, c’est que jamais je, me, moi ne peuvent être
sujets dans les mêmes conditions. Autrement dit, me ne peut être le sujet que d’un
infinitif tandis que je ne peut être le sujet que d’un verbe conjugué.
Je et moi, ne sont jamais sujets dans les mêmes constructions : moi peut être le sujet
d’un participe, mais non je (Moi parti, les souris dansent vs Je parti, les souris
dansent).
1
2
M. RIEGEL, Grammaire méthodique du français, Ed. PUF, Paris, 1995.
Ibid.
46
II. Le pronom personnel en discours littéraire : distinction et
différentes appellations :
II.1.La théorie d’E. Benveniste et la corrélation de la personnalité :
La réflexion actuelle sur les pronoms personnels puise ses sources sur un
article d’Émile Benveniste : « structure des relations de personnes dans le verbe »,
publié en 1946 dans le bulletin de la société linguistique, et repris dans son
ouvrage : « problèmes de linguistique générale ».
Il remarque ainsi, et après l’examen de plusieurs langues non indoeuropéennes, que la flexion verbale à trois personnes n’est pas le type dominant des
langues du monde, et que la catégorisation en trois personnes doit être
dénoncée : « seuls je et tu sont des personnes, tandis que il est la non-personne »1.
Les relations de personnes dans le verbe peuvent se définir comme une opposition :
Je / tu / +personne /
il / -personne/
Selon Benveniste, « je » et « tu » ont trois propriétés communes :
1-ce sont les seules personnes :(est personne ce qui parle, c’est-à-dire
humains et assimilés)2.
2- « je » et « tu » sont uniques :il n’ya qu’un « je » et qu’un « tu » par
énonciation.
3- « je » et « tu » sont inversibles : les personnes dans l’interlocution sont
« je » et « tu » à tour de rôle : « (…) celui que « je » définis par « -tu » se pense et
peut s’inverser en « je », et « je » (moi) devient un « tu ».aucune relation pareille
n’est possible entre ces deux personnes et « il », puisque « il » en soi ne désigne
rien ni personne »3
1
E. Benveniste, problèmes de linguistique générale, Ed, Gallimard, 1966, p : 230
Benveniste considère comme assimilés aux humains tout objet personnifié ; ainsi que dieu, les
anges, les fantômes .etc.
3
E. Benveniste, problèmes de linguistique générale, Ed, Gallimard, 1966, p : 230
2
47
Je / +locuteur /
tu / -locuteur/
Benveniste s’attaque donc à la conception traditionnelle de la grammaire,
selon laquelle les formes du pronom constituent une même classe formelle et
fonctionnelle. Pour lui la définition ordinaire des pronoms personnels abolit la
nation de personne. À l’encontre de la grammaire traditionnelle qui donne la même
définition concernant les pronoms personnels je/tu/il, Benveniste affirme que la
personne est propre seulement à -je- et -tu- et fait défaut dans -il- qui la considère
comme la non-personne.
II.2.La notion d'embrayeurs et/ou de déictique :
Le concept d’embrayeurs n’appartient pas au vocabulaire de la grammaire
traditionnelle mais, aujourd’hui, devenu essentiel, il fait l’objet de questions de
concours .On les divise en personnes, en déictiques spatiaux et temporels ». Donc,
là aussi, en rapport avec la situation d’énonciation.
Les déictiques ou embrayeurs est une traduction française par N. Ruwet de
l’anglais shifters, qui sont définis comme étant « une classe de mots dont le sens
varie avec la situation »1 et emprunté par R. Jakobson à O. Jespersen.
L’embrayeur a pour fonction d’articuler l’énoncé sur la situation d’énonciation.
On range sous cette appellation les déictiques spatiaux (ici, là...), temporels
(aujourd’hui, hier), les démonstratifs (ce, cette) et les possessifs (mon, ton) les
pronoms personnels (je, tu....).
Les embrayeurs renvoyant aux actants (l’énonciateur et le destinataire), sont
appelés : embrayeurs subjectifs ou embrayeurs personnels.
Voici la définition que donne le Dictionnaire de linguistique Larousse des
embrayeurs : « les embrayeurs sont une classe de mots dont le sens varie avec la
situation ; ces mots, n’ayant pas de référence propre dans la langue, ne reçoivent
un référent que lorsqu’ils sont inclus dans un message, Par exemple, « je, papa,
1
Otto, JESPERSEN, Langage, Londres, 1922, pp. 123-124.
48
hier, ici » ne prennent de valeur que par référence à un locuteur émetteur et par
référence au temps de l’énonciation »1.
2.1.Kerbrat-Orecchioni et la notion de déictiques :
Certains linguistes, à l’instar de Kerbrat-Orecchioni aime parler de
déictiques comme synonyme d’embrayeurs : « ce sont les unités linguistiques dont
le fonctionnement sémantico-référentiel (sélection à l’encodage, interprétations au
décodage) implique une prise en considération de certains des éléments constitutifs
de la situation de communication, à savoir :
-le rôle que tiennent dans le procès d’énonciation, les actants de l’énoncé.
-la situation spatio-temporelle du locuteur, et éventuellement de l’allocutaire»2.
Ainsi, Catherine Karbrat-Orecchionni propose un schéma afin de résumer le
système des pronoms personnels en langue française :
Pour elle, les pronoms personnels entretiennent des relations (axe triadique) : selon
que la personne occupe la place d'un locuteur (je et nous) ou d'un non-locuteur ; ce
dernier se divisant à son tour en allocutaire(s) (tu ou vous) ou en non-allocutaire(s)
(il(s) ou elle(s)).
1
J. Dubois, Dictionnaire de linguistique et des sciences du langage, Ed, Larousse, Paris, 1994,
P.175
2
Catherine, KERBRAT-ORECCHIONI, L’énonciation de la subjectivité dans le langage, Paris,
Armand Colin, 2006. p.41.
49
Voici donc, le schéma proposé par Kerbrat-Orecchionni :
Personne
Locuteur
non locuteur
Je
Nous
allocutaire
non allocutaire
il(s) –elle(s)
Tu
Vous1
Vous2
III. Natures et valeurs des pronoms de première personne :
III.1.Le pronom « je» : une propriété singulière :
Le pronom personnel "je" (du latin "ego") désigne la première personne du
singulier, représentant celui ou celle qui parle, en fonction de sujet. En effet, le "je"
s’identifie par le seul fait que l’énonciateur le prononce : « Je" signifie" la personne
qui énonce la présente instance de discours contenant "je" »1
1
E. BENVENISTE, Problèmes de linguistique générale tome I, Paris, Gallimard, 1966, p.252.
50
C'est un pronom particulier car un statut privilégié lui est accordé. Il se définit par
le seul fait qu'il est utilisé et renvoie, selon l’instance de discours qui le contient à
des personnes différentes, c’est pourquoi il prend toujours un référent nouveau.
« Le fait qu'il ne renvoie pas à un référent stable mais il est lié à l'acte
d'interlocution où il est proféré, donc à un cadre phénoménal chaque fois unique.»1
Claude Hagège1 considère le « je » ou l’ « égo »comme « le noyau de la deixis » ou
le point de repère. D’où, le locuteur profère les énoncés linguistiques qui sont
ancrés sur la situation d’énonciation. Ainsi, c’est lui qui dirige le « ceci-icimaintenant » de l’énonciation.
1.a) Le pronom personnel« nous » et le problème de référence :
La personnalité collective est indissociable de la personnalité individuelle.
Le « nous » (du latin, « nos ») se définit comme étant un pronom personnel qui
désigne la première personne du pluriel et qui représente un groupe dont fait partie
la personne qui parle.
Le pronom personnel « nous » appartient aux personnes dites du pluriel, mais qui
ne sont pas de vrais pluriels. Puisqu’il ne saurait y’avoir plus d’n « je » par
énonciation.
Il correspond, donc, selon Benveniste, non à un pluriel, mais à une « personne
amplifiée »2.ainsi, dans « nous » on peut constater une prédominance de « je » que
« nous » peut dans certains cas remplacer.
Mais ce pronom pose un problème quant à sa référence ou à l’identification de son
référent car « nous » n’est pas un pluriel de «je », c’est-à-dire « je+je+je+… » mais
plutôt une jonction entre « je » et « non-je » comme l’a expliqué Benveniste. D’ou :
La première personne du pluriel (« nous ») inclut obligatoirement la première
personne du singulier (un seul et unique « je »), plus :
-soit la deuxième personne du singulier (un ou plusieurs « tu ») ;
-soit la troisième personne du singulier (un ou plusieurs « il / elle ») ;
1
Claude HAGEGE, la structure des langues, Que sais-je ? Paris, 2001, p 98.
2
E. BENVENISTE, Problèmes de linguistique générale tome I, Paris, Gallimard, 1966, p.258.
51
-soit une combinaison de ces deux hypothèses.
C'est ainsi que la phrase « Nous irons au cinéma » pourra être interprétée de
différentes manières :
« Toi et moi» / « Vous et moi» / « Lui (ou elle) et moi» / « Eux (ou elles) et moi» /
« Elle, vous et moi» / « Eux, toi et moi»…
Nous = je et (pronom de la 2e personne ou/et nom ou pronom de la 3e
personne).
Le pronom « nous » se substitue à des noms au pluriel désignant des personnes ou
des objets personnalisés dont le locuteur est un, ou
à des noms collectifs (famille, équipe, orchestre) désignant un groupe dont le
locuteur fait partie.
Le schéma de Kerbrat-Orecchioni1 explique mieux cette relation :
Je+tu+vous : « nous inclusif »
nous = je + non-je
je+il(s) : « nous exclusif »
je+tu+il(s)
donc le « nous » peut être représenté simplement comme suit :
Nous =je +tu et/ ou il
La prédominance de "je" est très forte dans le « nous »englobant le « je » et le "nonje" est très claire ; que le « nous » soit inclusif ou exclusif.
Récapitulons donc : pour Benveniste, la structuration des pronoms personnels est
conçue comme suit :
C. Kerbrat-Orecchioni « l’énonciation, de la subjectivité dans le langage », Ed, Armand Colin,
Paris, p : 46
1
52
Référent à une
Personne
non personne
IL
Subjective
non subjective
JE
TU
III.2.La subjectivité et la distinction de personnes :
Toute parole est égocentrique. Elle permet donc au « locuteur » de se
constituer en sujet-identique à lui-même d’un acte de parole à l’autre et structurer
l’environnement spatio-temporel. Mais « la présence de l’énonciateur dans
l’énoncé ne se
« je »linguistique ;
manifeste pas nécessairement
une
description
impersonnelle
par
peut
la
figuration
être
d’un
éminemment
« subjective », et un récit endossé par le « je »adopter un point de vue universaliste
(…) on peut fort bien parler de soi en s’absentant de la surface textuelle, et parler
d’un autre en disant «je » ».1
Chez J. Dubois, la personne est définie comme étant « une catégorie
grammaticale reposant sur la référence aux participants à la communication et à
l’énoncé produit. »2. Dans toutes les langues il y a des distinctions de personnes.
On oppose trois personnes :
- La première correspond au locuteur (ou émetteur), celui qui parle.
-La deuxième, c'est l'interlocuteur (ou récepteur).
C.Kerbrat-Orecchioni, l’énonciation, de la subjectivité dans le langage, Armand Colin, Paris,
1999, P : 169
2
J.DUBOIS et al. , Dictionnaire de linguistique, Paris, Larousse, 1994, p.355.
1
53
La première et la deuxième personne renvoient à des êtres humains et s’expriment
par des noms personnels dont les propriétés sémantiques et syntaxiques sont
proches de celles des noms propres.
- La troisième est toute personne ou objet dont on parle qui ne participe pas au
dialogue et s’exprime par des pronoms personnels dont les propriétés syntaxiques et
sémantiques sont proches de celles du syntagme nominal.
Dans la langue française, tout échange verbal ou écrit implique un
énonciateur ou locuteur « je » ou « ego » (première personne), un énonciataire
(interlocuteur ou allocutaire) «tu »(deuxième personne) et une personne ou chose
dont on parle, le « il » (troisième personne), « en littérature écrite c’est le cas d’un
auteur, d’un lecteur et d’un référent ». Nous verrons par la suite qu’il existe des
relations entre les trois personnes car le locuteur « je » peut associer le « non-je »
en utilisant le pronom personnel «nous».
C’est alors qu’E. Benveniste signale la corrélation des pronoms personnels
impliqué dans le discours :
« Une caractéristique des personnes « je » et « tu » est leur unité
spécifique ; le « je » qui énonce, et le « tu » auquel « je » s’adresse sont chaque fois
uniques .mais « il » peut être une infinité de sujet ou aucun .c’est pourquoi le
« je est un autre » de Rimbaud fournit l’expression de ce qui est proprement
« l’aliénation mentale » où le moi dépossédé de son identité constitutive. Cette
dépossession est en fait la reconnaissance de la locution comme étrangère à soi
appartenant à l’autre « je » pouvant devenir une « non-personne ».cet effacement
du « je » marque la possibilité d’être tout comme la troisième « une infinité de
sujets ou aucun »1.
Par ailleurs, L. Tesnière2 distingue parmi les personnes du verbe : « l'ontif »
qui renvoie aux personnes ou aux êtres présents dans l'acte de communication.
L’ontif se divise en « auto-ontif », se référant à la personne qui parle (première
1 E. Benveniste, Problèmes de linguistique générale, T1, Ed, Seuil, Paris, 1966, P : 230
2 L, Tesnière, Éléments de syntaxe structurale, Paris, Ed, Klincksieck, 1965.
54
personne), et en « anti-ontif » se référant à la deuxième personne c'est-à-dire la
personne à qui on parle enfin « l'anontif" renvoyant aux êtres ou aux objets absents.
2.a) Concept et marques de « subjectivité » en linguistique :
En sciences du langage, on appelle subjectivité « la présence du sujet
parlant dans son discours »1. Le linguiste recherche donc les traces d’un sujet dans
ses productions.
On remarque que cette définition recouvre un large domaine.les traces sont si
nombreuses qu’il faut vite procéder à une distinction ;
il y a la « marque » du sujet, trace obligatoire. Les pronoms personnels déictiques
en sont. Il s’agit là d’une contrainte du discours liée à la situation de
communication, qui conduit le locuteur à employer « je » lorsqu’il est sujet de sa
phrase.
Une définition de la subjectivité en tant que concept général devrait renvoyer
à la notion de sujet largo sensu, ayant trait à ses jugements et sentiments, se
rapportant toujours au moi, à la conscience individuelle : « le langage est ainsi
organisé tel qu’il permet à chaque locuteur de s’approprier la langue entière en se
désignant comme « je » .les pronoms personnels sont le premier point d’appui pour
cette mise au jour de la subjectivité dans le langage »2
Les dictionnaires de langue française mentionnent au moins deux acceptions
pour le terme subjectivité3, sans l’associer quand même au domaine de la
linguistique.
L’application du concept de subjectivité au langage s’est faite en plusieurs temps et
à des niveaux différents :
-Michel Bréal4 parlait dès 1897, dans son étude sémantique, de l’existence d’un
élément subjectif de la langue, qu’il considérait comme la partie la plus ancienne du
1
Dictionnaire Larousse des Sciences du Langage
E. Benveniste, Problèmes de linguistique générale1, Gallimard, Paris, 1966, P : 262
3
Le petit Robert propose deux acceptions, la première appartenant au domaine de la
philosophie : « caractère de ce qui appartient au sujet seul (à l’individu ou à plusieurs).État d’une
personne qui considère les choses d’une manière subjective en donnant la primauté à ses états de
conscience.2-« domaine des réalités subjectives ; la conscience, le moi »
4
Michel Bréal, linguiste français né à Landau (1832-1874), il a introduit en France la linguistique
historique.
2
55
langage ; il accorde tout un chapitre à ce phénomène, ce qui est d’autant plus
surprenant dans un travail sur la sémantique, en essayant de le définir et d’en
étudier les rapports au discours ;
-Charles Bally (1913) insistait sur ce qu’il appelait « le langage expressif en
tant que véhicule de la pensée affective »1, considérant en conséquence que la
langue n’est pas entièrement soumise au phénomène de la subjectivité, mais que
certains segments sont plus subjectifs que d’autres, en fonction de plusieurs
facteurs.
2.b) la notion de « subjectivité » chez Émile Benveniste :
En publiant en 1958 un article dans le Journal de psychologie intitulé « De
la subjectivité dans le langage » qu’il a repris dans Problème de linguistique
générale (chap.XXI), avait accordé un statut linguistique à la notion de
« subjectivité » et au fonctionnement de la langue à l’instar de plusieurs linguistes.
Cet aspect l’avait repris dans Problème de linguistique générale (chap.XXI).
Selon Benveniste, la subjectivité et ses fondements résident dans le
langage :« est la capacité du locuteur à se poser comme "sujet" (…) c’est dans et
par le langage que l’homme se constitue en sujet parce que le langage seul fonde la
réalité, dans sa réalité qui est celle de l’être, le concept d’ “ ego” »2,et cela en
s’appropriant ce que la langue nous dispose de ses formes diverses ,à l’instar des
pronoms personnels et en particulier le pronom de la première personne du
singulier « je » ,que son usage est motivé par la prise de conscience de soi même.
C’est donc le langage qui est le lieu de la subjectivité, de l’inscription du sujet.
L’auteur procède à la distinction entre le « je » qui renvoie à une personne
subjective et le « tu » qui lui, réfère à une « personne non-subjective ».
Benveniste explique que, la subjectivité est omniprésente dans le langage.
Elle se définit donc comme la capacité de l’énonciateur à se poser comme sujet,
constituant en fait une caractéristique intrinsèque et essentielle du langage, marquée
sous diverses formes dans toutes les langues :
1
Charles Bally, Traité de stylistique française, Leroux, Paris, 1913
2 Émile, BENVENISTE, Problèmes de linguistique générale tome I, Paris, Gallimard, 1966.P.259
56
« Une langue sans expression de la personne ne se conçoit pas. (…) Le
langage est marqué si profondément par l’expression de la subjectivité qu’on se
demande
si,
autrement
construit,
il
pourrait
fonctionner
et
s’appeler
langage »1 .c’est à Benveniste donc que l’on doit une analyse approfondie de la
subjectivité dans le langage au point d’envisager la subjectivité langagière comme
une particularité définitoire du langage celle même qui permet à l’énonciateur de
devenir « sujet » et utiliser la langue.la subjectivité donc est omniprésente chez
Benveniste et elle se définit comme la capacité de l’énonciateur à se poser comme
sujet : « (...) le langage n’est possible que parce que chaque locuteur se pose
comme sujet, en renvoyant à lui-même comme je dans son discours »2 .le sujet
s’empare donc ,du langage et l’imprègne de sa subjectivité ,ce n’est qu’au niveau
du discours qu’il faut chercher les traces linguistiques de la subjectivité « Le
langage est la possibilité de la subjectivité, du fait qu’il contient toujours les formes
linguistiques appropriées à son expression, et le discours provoque l’émergence de
la subjectivité, du fait qu’il consiste en instances discrètes »3
En évoquant l’origine même du langage, cette omniprésence de la
subjectivité dans le langage apparaît comme un truisme « le langage est dans la
nature de l’homme, qui ne l’a pas fabriqué […] nous n’atteignons jamais l’homme
séparé du langage […] c’est un homme parlant que nous trouvons dans le monde,
un homme parlant à un autre homme, et le langage enseigne la définition même de
l’homme »4.ce langage qui est essentiellement subjectif, ne peut également être que
communicatif.
Les éléments linguistiques subjectifs remplissent donc deux rôles :
- poser qu’il y a sujet ;
- poser ce qu’est (en partie) ce sujet.
Par cette double utilisation, le sujet s’annonce plus ou moins volontairement, plus
ou moins en conscience.
1 Ibid. P.259
2 Ibid., p261
3 Ibid., p263
4 Ibid., p263
57
2.c) Kerbrat-Orecchioni et la notion de subjectivèmes :
C. Kerbrat-Orecchioni désigne sous le signifiant subjectivèmes les substantifs,
les adjectifs, les verbes et les adverbes subjectifs (qui permettent au sujeténonciateur d’exprimer son point de vue, son état affectif, son degré d’adhésion
etc.). L’auteur annonce ainsi, « il va de soi que toute unité lexicale est, en un sens,
subjective, puisque les “ mots” de la langue ne sont jamais que des symboles
substitutifs et interprétatifs des choses »1.
Que sont les subjectivèmes ?elle décrit en détail quatre classes d’unités
pouvant permettre la subjectivité du discours : les substantifs, les adjectifs, les
verbes et les adverbes tout en signalant que tout les substantifs ne sont pas
nécessairement subjectifs !
Des substantifs, des adjectifs, des verbes et des adverbes peuvent donc permettre à
l’énonciateur d’inscrire sa subjectivité.
Orecchioni dans son ouvrage l’énonciation, de la subjectivité dans le langage, a
montré que « toute parole est egocentrique »2. Elle permet donc au « locuteur » de
se constituer en sujet-identique à lui-même d’un acte de parole à l’autre- et
structurer l’environnement spatio-temporel. Mais « la présence de l’énonciateur
dans l’énoncé ne se manifeste pas nécessairement par la figuration d’un
« je »linguistique ;
une
description »impersonnelle »
peut
être
éminemment « subjective », et un récit endossé par le « je »adopter un point de vue
universaliste.(…)on peut fort bien parler de soi en s’absentant de la surface
textuelle, et parler d’un autre en disant je »3
Il est devenu presque évident d’affirmer que le langage est par essence
subjectif. La présence de l’énonciateur dans ses réalisations devient plus ou moins
perceptible à travers des moyens linguistiques différents, ce qui a conduit bon
nombre de linguistes, à commencer par Catherine Kerbrat Orecchioni, à procéder à
une identification et à une analyse des subjectivèmes, les marques concrètes, au
niveau de l’énoncé, de l’activité subjective de l’énonciateur. Quoique les
C.K.Orecchioni, l’énonciation, de la subjectivité dans le langage, Ed, Armand Colin, Paris, P.70
Ibid. P.169
3
Ibid.158
1
2
58
phénomènes de la deixis et de la modalité axiologique soient tous les deux reliés à
la subjectivité, nous considérons que, en raison de leur nature tout à fait différente,
on ne peut pas les classer ensemble sous l’étiquette de subjectivème. Il est
préférable, selon nous, de réserver cette dénomination aux éléments axiologiques
qui rendent compte de la subjectivité en tant que phénomène graduel, allant,
théoriquement, du pôle [+ objectif] au pôle [+ subjectif], sans jamais les atteindre
de manière absolue. Par contre, les déictiques se relient à la subjectivité par le fait
qu’ils ont à voir avec le sujet énonciateur, réalisant son identification / localisation
spatiotemporelle, donc le rapportant au contexte extralinguistique. De ce fait, et vu
que tout énoncé est le produit de l’activité langagière d’un sujet, la subjectivité
devient intrinsèque à n’importe quel type de discours.
III.3.Le problème de la « référence » du pronom personnel dans le
discours littéraire :
3. a)la référence dans les textes de fiction :
Tout d’abord une définition de la référence s’avère très nécessaire.
Faire un acte d’énonciation, c’est parler, écrire, construire un énoncé, pour un ou
plusieurs allocutaires, ceux – ci devront de leur part comprendre de quoi on leur
parle précisément, quels sont les objets du monde (réels ou imaginaires) concernés
par le discours qui leur est transmis.
On appelle aussi « référence » ou « traditionnellement » « objet du monde »tout ce
qui appartient au monde dans lequel se meuvent les êtres de parole : objets (réels ou
imaginaires), humains, abstractions. On parle aussi de « segment de réalité ».
Une question qui a fait couler beaucoup d’encre se pose : les objets qui n’existent
pas, ont-ils une référence ?
cette question est d’importance, le fait qu’elle concerne tous les mythes, toutes les
croyances et tous les objets littéraires.
59
Chez les linguistes et les littéraires, mais tout d’abord avant eux les logiciens (1), on
considère que les objets imaginaires ont un référent, dans le monde imaginaire d’où
ils procèdent.
Ainsi, la construction de la référence dans un texte de fiction pose
problème !comment en effet est-il procédé pour construire l’univers fictionnel dans
lequel s’effectuera la référence à des objets imaginaires ?
Le créateur use, donc, de trois types de repérage pour repérer (espace et temps) et
ainsi pour introduire ses personnages : repérage objectif, repérage subjectif et
repérage mixtes2.
3.b) l’ambiguïté de la « référence » des pronoms personnels :
« Sémantiquement, un pronom personnel se caractérise par la manière dont il
réfère à ce qu’il désigne dans le discours. À cet égard, les pronoms sont des
symboles incomplets(ou des formes ouvertes) dont le sens codé comporte, en outre
des traits relativement généraux (personne, chose, etc.), des instructions(…) qui
permettent à l’interprétant, moyennant diverses procédures inférentielles,
d’identifier ce à quoi les référent »3
Les trois constituants des pronoms personnels souvent mentionnés (je, tu, il)
prêtent à équivoque puisque la notion même de « personne » s’applique mieux à
je/tu, qu’à il.
L’étude de « je », en contexte de pragmatique chez Charles Morris4, montre
que le locuteur qui l’utilise renvoie à sa propre personne ainsi que tous les signes
qu’il mobilise, les signes auraient à la fois une dimension pragmatique et une
dimension sémantique.
La définition des pronoms personnels donnée par certains linguistes comme
celle de Paul Ricœur: « Les pronoms personnels sont proprement "asémiques"; le
1
Voir, par exemple, Gérard Genette, « fiction et diction », Paris, Seuil, 1991,
Michel Péret, « l’énonciation en grammaire de texte », Ed Nathan, Paris,1994
3
Riegel, M.J-CPellat &R.Rioul ; « grammaire méthodique du français », Paris ; Presse universitaire
de France, 1994, P .194
4
C. Morris, foundations of the theory of signs, 1938
2
60
mot "je" n'a pas de signification en lui-même […], "je", c'est celui qui, dans une
phrase, peut s’appliquer à lui-même "je" comme étant celui qui parle; donc, le
pronom personnel est essentiellement fonction du discours et ne prend sens que
quand quelqu'un parle et se désigne lui- même en disant "je"»1, et celle de
Benveniste qui parle de formes « vides » : « Hors du discours effectif, le pronom
n'est qu'une forme vide, qui ne peut être attachée ni à un objet ni à un concept »2,
seront par la suite contestées et inacceptables puisqu’ils, pense t- elle, confondent
entre sens et référent.
Pour Orecchioni, le « je » fournit toujours la même information, à savoir, la
personne à laquelle renvoie le signifiant, c’est le sujet d’énonciation, c’est donc la
situation de cette dernière qui change : « ce qui varie avec la situation, c’est le
référent d’une unité déictique et non pas son sens »3.
Elle rejoint dans cette perspective ,Ducrot, qui considère la « référence »
comme le processus de mise en relation de l’énoncé au référent ,donc, l’ensemble
des mécanismes qui font correspondre à certaines unités linguistiques certains
éléments de la réalité extralinguistique : « la communication linguistique ayant
souvent pour objet la réalité extralinguistique ,les locuteurs doivent pouvoir
désigner les objets qui la constituent :c’est la fonction référentielle du langage (le
ou les objets désignés par une expression forment son référent)4.
3.c) La « non-personne »dans le récit, une écriture de distanciation :
Tout cela ne s’applique pas à il. Renvoyant à une condition « objective », il
correspond au mode de la non-personne où les instances de discours ne renvoient
pas à elles-mêmes, mais à n’importe qui ou quoi en dehors de l’instance même et
dotée d’une référence objective.
1
P, RICOEUR, La métaphore vive, Seuil, Paris, 1975, p.98.
2 E, BENVENISTE, Le langage et l’expérience humaine, Problèmes du langage, Paris, Gallimard,
1966, p.4
3
Catherine, KERBRAT-ORECCHIONI, L’énonciation de la subjectivité dans le langage, Paris,
Armand Colin, 2006. p.41.
4
O.Ducrot, Dire et ne pas dire. Principe de sémantique linguistique, Ed. Hermann, Paris, 1972 P :
317
61
Par sa fonction et sa nature, il est différent de je/tu et remplit les fonctions de
substituts abréviatifs (« Pierre est malade ; il a la fièvre »). Cette fonction s’attache
aussi à certains verbes pour remplir la fonction de « représentant » syntaxique pour
besoin d’économie. Il est bien une « non-personne » dans certains idiomes.
Finalement, ce qui caractérise la « 3e personne », c’est qu’elle se combine
avec n’importe quelle référence d’objet ; elle ne renvoie pas à l’instance
discursive ; elle a un nombre élevé de variantes pronominales et démonstratives ;
elle n’est pas compatible avec les paradigmes d’ici, maintenant, etc.
L’emploi donc des pronoms personnels dans le discours, connaît quelques
particularités bien intéressantes. Remarquons d’abord – avec Benveniste – qu’il y a
une rupture entre l’usage pragmatique des pronoms personnels de première et
deuxième personne et celui des pronoms personnels de troisième personne. Ainsi,
« -je et tu- renvoient à des participants au discours, respectivement au locuteur et à
l’allocutaire, tandis que la
3e personne est la forme du paradigme verbal (ou
pronominal) qui ne renvoie pas à une personne, parce qu’elle se réfère à un objet
placé hors de l’allocution »1.
Mais aussi, « Je »et « tu » s’opposent à leur tour dans le cadre du discours. Le
locuteur se pose comme sujet, mais, en disant je, il pose en même temps « une
autre personne, celle qui, tout extérieure qu’elle est à « moi », devient mon écho
auquel je dis tu et qui me dit tu »2 Le dialogue s’instaure ainsi et celui qui dit « je »
peut devenir « tu » au moment où son interlocuteur lui répond.
Les référents de « je » et « tu » sont donc variables. « Je » désigne le
locuteur, « tu » l’interlocuteur, mais les rôles changent dans le discours en fonction
de l’émetteur. Ainsi, les pronoms personnels renvoient à l’instance de discours « ne
renvoient ni à un concept ni à un individu(…) je se réfère à l’acte de discours
individuel où il est prononcé, et il en désigne le locuteur »3.
1
E. Benveniste, problèmes de linguistique générale 1, Ed. Gallimard, Paris, 1966, P.265
Ibid., p.202
3
Ibid., P.203
2
62
Le langage propose donc, en quelque sorte, (« des formes vides » que chaque
locuteur en exercice de discours s’approprie et qu’il rapporte à sa « personne »,
définissant en même temps lui-même comme je et un partenaire comme tu »)1.
3.d) Les différents « je » dans le récit de fiction :
Dans le récit de fiction, il peut y avoir une entente entre au moins deux
« je » : celui du narrateur inscrit, qui est en fait un personnage fictif, et un « je »
extérieur au déroulement de la fiction, qui représente dans le texte la voix de
l’écrivant, un « je »qui manipule les personnages.
C’est aussi que certains linguistes, comme Mainguenau Dominique, considère le
« récit » le récit comme un type d’énonciation sans déictiques. Le « je » du récit
n’étant pas considéré comme un véritable déictique (celui du discours est
indissociable d’un dun tu et de l’ici-maintenant).
C’est la désignation d’un personnage par « je » qui se trouve référer au même
individu que le narrateur. Le « je » du personnage héro se définit par le fait qu’il n’a
pas accès au savoir du narrateur et qu’il est censé de ne coïncider ensemble qu’au
cours de l’histoire ; « aussi, dans un récit au je, ce dernier peut-il être substitué à
une personne, sans qu’il faille pour autant modifier le système de repérage nondeictique.indice pour qu’il ne s’agit pas d’un je de « discours »2,sinon le
romann’aurait aucun sens.
Grace à ce « je », que nous pouvons glisser d’un plan d’énonciation à un autre ;le
« je » peut s’interpréter tantôt come personnage, tantôt come narrateur !
Selon des théoriciens, tels que D.Maingueneau, Starobinski, Lejeune et
Genette, les littératures du moi se manifestent à travers un grand nombre de
catégories génériques mais révèlent parallèlement leurs spécificités esthétiques.
Elles s’incarnent à la fois dans le référentiel et le fictionnel, dans la prose comme
dans la poésie.
1
2
Ibid.
. Maingueneau, linguistique pour le texte littéraire, Armand Colin, Paris, 2005, P.57
63
« Grâce au je qu’on glisse constamment d’un plan d’énonciation à l’autre. Ce
« je » s’interprète, en effet, de deux façons : tantôt comme personnage du
récit : « je vis,….dis-je », tantôt comme élément du « discours » du narrateur. C’est
ce dernier qui prend en charge par exemple, le « peut-être » ou le « je ne sais
pas »1.
En effet, même si l’usage de la première personne en est une donnée commune
et essentielle, il existe d’une part, de multiples et diverses écritures à la première
personne où le sujet se raconte et se révèle. D’autre part, il existe aussi plusieurs
types de je (il peut être aussi un je dissimulé sous un autre pronom personnel et
adopter un masque), parce que ce « je » qui se met en scène par les jeux de
l’écriture ne réfère pas à la même réalité.
Un récit à la première personne ne coïncide pas forcément avec la forme
autobiographique puisqu’il peut se présenter dans un texte fictionnel. Il est à
souligner que la prise en compte des aspects uniquement Narratologiques, leur
classification et leur description, comme le précise Genette dans Introduction à
l’architexte, risqueraient de nous faire tomber dans une vision réductrice des
œuvres.
Ainsi le problème de « la référence » est soulevé par Genette, qui pour ce
dernier la confusion n’est pas un « péché »,au contraire elle est tout à fait
légitime : « confusion peut –être légitime dans le cas d’un récit historique ou d’une
autobiographie réelle, mais non lorsqu’il s’agit d’un récit de fiction, où le
narrateur est lui-même un rôle fictif ,fut-il directement assumé par l’auteur ,et où la
situation narrative supposée peut être fort différente de l’acte d’écriture(ou de
dictée) qui s’y réfère(…) »2.
En effet, l’interprétation des œuvres du moi seraient peut – être plus pertinentes
si l’on tient compte de la portée culturelle et idéologique de la littérature intime à
travers les époques ayant chacune privilégié l’une ou l’autre des formes littéraires
conformément à
1
2
D. Maingueneau, éléments de linguistique pour le texte littéraire, Bordas, Paris, 1986, P.38
G. Genette, figures III, op ; cit .P .226
64
l’esthétique. Les écrivains distinguent deux moi : un moi social et un moi créateur
inconscient. Désormais, ce moi adopte des rôles multiples.
Philippe Lejeune, à cet effet, signale que : « (…) l’emploi des figures dépend
toujours en dernier ressort du contrat de lecture et des « horizons d’attente » du
«genre»1.
Selon Starobinsky, le « je » se masque en se figurant à la première personne où
l’individu se donne une image singulière de lui-même enfoncions des circonstances
dans lesquelles il parle. Se figurer à la deuxième personne c’est se saisir dans une
image évoquant le dédoublement que l’on se figure. Par cet effet de distance entre
soi et soi, c’est la figure du dialogué qui semble prendre relais pour susciter la
division que l’on peut parfois ressentir en nous-mêmes Se figurer à la troisième
personne relèverait d’une volonté de s’effacer.
IV.L’approche énonciative et la relation de coopération auteur/
texte/lecteur :
« Longtemps je me suis couché de bonne heure : de toute évidence, un
tel énoncé ne se laisse pas déchiffrer –comme, disons, « l’eau bout à cent degrés »
ou « la somme des angles d’un triangle est égale à deux droits »-sans égard à celui
qui l’énonce, et pour la situation dans laquelle il l’énonce »2
La tentative de dépasser la limite d'une linguistique de l'énoncé a permis
aux chercheurs de faire appel au concept d'énonciation. L'intérêt porté actuellement
à l'énonciation s'explique par l'extension de l'objet même de la linguistique. En
effet, la prise en compte de tous les phénomènes liés aux conditions de production
du discours apparaît comme pertinente pour la compréhension du fonctionnement
de la langue ; « tout énoncé, avant d’être ce fragment de la langue naturelle que la
linguistique s’efforce d’analyser, est le produit d’un événement unique, son
énonciation, qui suppose un énonciateur, un destinataire, un moment et un lieu
particulier.cet ensemble d’éléments définit la situation d’énonciation »3
1
P .Lejeune, je est un autre, op .cit. p : 33
G. Genette, figures III, op ; cit .P .225
3
Dominique Maingueneau, pragmatique pour le texte littéraire Dunod, Paris, 1991, P : 6
2
65
Lorsqu'on aborde le sens des unités linguistiques, on est inévitablement
amené à les relier à des facteurs extralinguistiques, c'est-à-dire à leur référence
comme à leur prise en charge par un énonciateur. La relation « obligée » des unités
en question aux conditions de leur production suppose la prise en compte de la
théorie de l'énonciation, qui d’une autre manière articule le linguistique sur
l'extralinguistique ; c’est-à-dire le discours à ses conditions de production.
IV.1.Les sources de l’approche énonciative :
À l’origine de cette démarche fut le linguiste français Émile Benveniste dans
son ouvrage « problèmes de linguistique générale » en 1966, où il avance dans ses
recherches :
-une définition de l'énonciation : mise en fonctionnement de la langue par un
acte individuel d’utilisation.
-accompagne cette définition par une théorie générale des indicateurs
linguistiques (pronoms personnels, formes verbales, déictiques spatiaux et
temporels, modalisateurs) par l'intermédiaire desquels le locuteur s'inscrit dans
l’énoncé ; « actes discrets et chaque fois uniques par lesquels la langue est
actualisée par un locuteur ›1›.
Émile Benveniste, et pour parler des pronoms personnels (je, tu, il), utilise le terme
d’embrayeurs ; il entend par là que les pronoms désignant la personne branchant
l'énoncé à l'instance qui l'énonce ;
a- les pronoms personnels qui désignent les “instances du procès d'énonciation
(je/tu ou nous/vous) opposés à la troisième personne (il/ils) qui désigne le
référent dont on parle (la non-personne) ;
b- les déterminants qui organisent le monde de l'énoncé autour de l'instance
d'énonciation (mon, ton, son, ce, ....) ;
c- les formes temporelles : es temps du discours où le point de repère qui sert à
ancrer les indications temporelles est le moment d'énonciation (moment où
je parle ou écris) .Le récit comprend : le plus-que-parfait, l'imparfait, le
conditionnel, le passé antérieur et le passé simple « Ainsi se trouve établie
1
E. Benveniste, Problèmes de linguistique générale1, Ed, Gallimard, Paris, 1974, P.251
66
une distinction entre, d’une part le plan d’énonciation qui relève du
discours, et d’autre part un plan d’énonciation historique qui caractérise le
récit des événements passés sans aucune intervention du locuteur »1
L’appareil formel de l'énonciation contient les éléments d'ancrage des
relations intersubjectives. ‹‹Dès qu'il (l’énonciateur) se déclare locuteur et assume
la langue, il implante l'autre en face de lui (...), postule un allocutaire (...). Ce qui,
en général, caractérise l'énonciation est l'accentuation de la relation discursive au
partenaire, que celui-ci soit réel ou imaginé, individuel ou collectif››2 .
Pour Kleiber il apparait que ; « ce n'est plus seulement le moment
d'énonciation, l'endroit d'énonciation et les participants (locuteur interlocuteur) à
l'énonciation qui forment le cadre déictique mais également l’objet résidant dans la
situation d'énonciation »3.
Pour Kleiber ces objets peuvent avoir une présence physique ou mentale,
l'élargissement du cadre déictique sera donc théorisé sous la forme de ce qu'on
appelle la « mémoire discursive » de l'énonciateur et les « savoirs-partagés » entre
l'émetteur et le récepteur ; c’est-à-dire ce qui est déjà là et qui fait partie de savoirs
culturels, de connaissances encyclopédiques ou encore une mémoire collective que
partagent les protagonistes de la communication.
Kerbrat-orecchioni soutient que : « énoncer, c'est construire un espace et un
temps, orienter, déterminer, établir un réseau de valeurs référentielles »4, est tout
un système de repérage par rapport à un énonciateur, à un co-énonciateur, à un
temps d'énonciation et à un lieu d'énonciation. Décrire l'activité d'un sujet, c'est
analyser les caractéristiques de cette activité et tous les facteurs qui la contrôlent.
Aux notions d'énonciateur et de locuteur, Culioli ajoute un troisième terme :
l'asserteur, c'est à dire celui qui, au sens strict, asserte ou prend en charge
l'orientation ou le sens de l'énoncé. Énonciateur, locuteur et asserteur sont issus du
1
Ibid. P.238-239
Ibid. P.14
3
G .Kleiber, Les propositions spatiales devant/derrière ont-elles un sens ou deux ? Seuil, 1988,
P.116
4
C.K.Orecchioni, L’énonciation, de la subjectivité dans le langage, Armand Colin, Paris, 2006,
P.30
2
67
monde réel et sont à distinguer du sujet de l'énoncé (sujet grammatical). En outre,
l'énonciateur est l'agent du processus évoqué, le sujet qui produit ou reconnaît une
suite, dans la mesure où il construit les conditions de production et de
reconnaissance.
Avec l'approche énonciative s’amorce une rupture entre la linguistique
« immanente »qui envisageait les énoncés comme des entités abstraites et la
linguistique du discours où l'étude des énoncés nécessite la prise en compte des
réalités déterminées par leurs conditions contextuelles de production.
L'énonciation tend à se constituer en discipline explicative de la production du
discours. En même temps que le social se réinvestit dans la parole, le sujet parlant
se réinstalle au cœur des énoncés.
Le bon usage du langage donc proprement dit « usage normatif », selon que
J.Kristéva l’appelle « nous appelons usage normatif tous les emplois dénotatifs du
langage, qu’ils soient de l’information ou de la perlocution (au sens d’Austin),
visant à des effets sur le destinataire »1.le langage doit donc procéder à influencer
l’autre dans toutes ses dimensions.
IV.2.Le lecteur coopératif ou la relation Auteur/ Textes/ Lecteur :
Toute œuvre littéraire est une parole et véhicule, indéniablement, un message
et un projet esthétique. Elle institue une relation intersubjective entre
« un donateur du récit » 2 et son récepteur .Elle s’adresse de fait et impérativement
à un lecteur ; ce dernier s’attend à y reconnaître les préoccupations qui reflètent son
monde et les repères esthétiques en relation avec ses goûts. L’auteur pense de
même à lui donner le plaisir à lire et à le lire :
«Écrire un texte littéraire, c’est utiliser le langage à des fins de
communication
mais
aussi
de
fascination
(…).La
narration
relève
de
1
J.Kristéva, Révolution du langage poétique, Seuil, Paris, 1974, P : 84
R. Barthes, dans « introduction à l’analyse structurale des récits, coll. Points/ Essais », définit la
notion de contrat de lecture ainsi : « De même qu’il y a à l’intérieur du récit, une grande fonction
d’échange (répartie entre un locuteur et un bénéficiaire du récit, de même analogiquement, le récit
comme objet, est l’enjeu d’une communication : il y a un donateur du récit, il y a un destinataire du
récit. On le sait, dans la communication linguistique, « Je » et « Tu » sont absolument présupposés
l’un par rapport à l’autre », p.38, 1977
2
68
l’énonciation(…) ; derrière les mots se cache et se montre un homme, un sujet
énonçant consciemment ou inconsciemment un récit dans l’intention de plaire au
lecteur de défendre une idée et de la lui faire partager, de peindre un monde »1
Le langage/texte demeure le lien idéal entre auteur- lecteur. L’auteur fait un
travail sur la langue en faisant un choix pertinent de procédés narratologiques «pour
traduire une vision du monde et pour agir sur le lecteur »2 ; atteindre son lecteur
c’est satisfaire au mieux son horizon d’attente, combler son désir de lire, le
convaincre. Cette relation auteur/texte/lecteur nous conduit à ce que Philippe
Lejeune appelle «contrat générique » ou bien la notion très répandue actuellement
de « contrat de lecture » que D.Maingueneau nomme « le principe de coopération
», du « lecteur-coopératif » ; c’est ainsi qu’il évoque « le contrat littéraire » en ces
termes : «On retrouve ici la notion de « convention tacite », appliquée à l’exercice
de la parole. Ce n ‘est qu’une traduction immédiate du principe de coopération :
les attentes du public dérivent d’un contrat tacite, celui qu’a passé l’auteur avec lui
en produisant une comédie de boulevard, un roman policier ou un pamphlet».3
Le procédé classique pour instituer ce contrat implicite auteur/lecteur se
matérialise dans le paratexte ; c’est comme si l’écrivain, dans sa représentation du
réel et d’une vision du monde, éprouve le besoin d’une sorte de justification aux
yeux de son lecteur pour obtenir sa complicité ou son acquiescement :
«L’institution littéraire, les contrats génériques ont beau légitimer par
avance le discours de l’œuvre, l’auteur éprouve souvent la nécessité de se justifier ;
Le seul fait de prendre la parole (et qu’est -ce - que proposer une œuvre au public
sinon une prise de parole superlative ?) constitue une incursion territoriale
caractérisée qui appelle des réparations. »4 .
Contrat de lecture et lecteur coopératif, horizon d’attente, paratextualité, sont
des données essentielles dans le champ littéraire maghrébin ; ces dimensions du
procès littéraire légitiment amplement la production d’un texte littéraire qui se
trouve astreint d’écrire le réel, son réel.
1
C .Tisset, analyse linguistique de la narration, éd. Sedes, 2000, p. 5
C. Tisset, Ibid., p. 5
3
D. Maingueneau, pragmatique pour le discours littéraire, éd., Paris, 1997, p.122
4
Ibid., p.123
2
69
Pour Mouloud Feraoun, donc, a-t-il restitué un contrat de lecture avec son
lecteur ? Il est essentiellement nécessaire de chercher hors du texte.
IV.3.Le sujet dans la langue et identité narrative ou le qui-parle ?
Dans tout discours (y compris le récit autobiographique), l’instance narrative est
définie par Yves Reuters comme suit : « l’instance narrative désigne les
combinaisons entre les formes fondamentales du narrateur (qui parle? comment ?)
et les perspectives (par qui perçoit-on ?comment ?) utilisées pour mettre en scène,
selon des modalités différentes, l’univers fictionnel et produire des effets sur le
lecteur »1.
ainsi donc, la question la plus immédiate, qu’il faut essayer de résoudre,
consiste surtout à se demander à qui appartient la voix du récit : « qui parle ? » et
cela en essayant d’identifier les propos et les actes des personnages avec les
situations vécues et les pensées de la personne réelle :l’écrivain.il suffit donc
d’observer le fonctionnement narratif de n’importe quel texte. Ce qui nous mène
vers la capacité et la possibilité de se poser en tant que sujet, d’être soi-même dans
le discours, comme l’explique Émile Benveniste :
« La « subjectivité » dont nous traitons ici est la capacité du locuteur à se
poser comme « sujet ». Elle se définit, non par le sentiment que chacun éprouve
d’être lui-même (ce sentiment, dans la mesure où l’on peut en faire état, n’est qu’un
reflet),(…). Est « ego » qui dit « ego ». Nous trouvons là le fondement de la «
subjectivité », qui se détermine par le statut linguistique de la personne »2
Dans Temps et récit de P. Ricœur3, soulève des aspects importants quant au
récit et au processus identitaire qui lui est inhérent.
Un auteur qui écrit son autobiographie se conforme à une certaine vérité
mais ce qui n’est pas le cas quand il s’agit d’une fiction où ,il n’est pas tenu de se
conformer à ce principe. C’est que dans une autobiographie, on s’attend à ce que
l’auteur soit le même partout. Ce genre lui offre moins de liberté que la fiction. Car,
Y. Reuters, « l’analyse du récit », Ed, Armand Colin, Paris, 2005, p.49
E. Benveniste, « De la subjectivité dans le langage » in Problèmes de linguistique générale 1
Gallimard, Paris, 1966 p. 259-260.
3
P. Ricœur, Temps et récit, III, Ed. Seuil, Paris, 1985
1
2
70
lorsqu’une personne communique quelque chose c’est, au fond, même en racontant
le monde, pour dire qui elle est « l’identité du « qui » n’est donc elle-même qu’une
identité narrative »1.celui qui se raconte suggère par la même occasion sa vision du
monde, raconter alors c’est « déployer un espace imaginaire pour des expériences
de pensée »2.
Le récit autobiographique et comme nous l’avons déjà cité, est un «récit
rétrospectif en prose » Le narrateur est identifié donc par le pronom personnel
«je»: « l’identité du narrateur et du personnage principal se marque le plus souvent
par l’emploi de la première personne »3.le récit autobiographique est supposé être
vraisemblable et à la différence d’un récit fictif, le lecteur le conçoit comme tel.
Le récit autobiographique renvoie à l’expérience de la vie de l’auteur,
racontée par lui. On pense donc trouver la vie de l’auteur. Celui-ci « se définit
comme étant simultanément une personne réelle socialement responsable, et le
producteur d’un discours. Pour le lecteur, qui ne connaît pas la personne réelle,
tout en croyant à son existence, l’auteur se définit comme la personne capable de
produire ce discours, et il l’imagine donc à partir de ce qu’elle produit »4
Dans ce sens, « l’autobiographie (récit racontant la vie de l’auteur) suppose
qu’il y ait identité de nom entre l’auteur (tel qu’il figure, par son nom, sur la
couverture), le narrateur du récit et le personnage dont on parle ».5
En instance de reconstruction, Le sujet éprouve sans cesse
de se situer par rapport à l’Autre,
le besoin
celui dont l’identité semble « identique » ou
différente. L’usage voudrait que celui qui parle dit « je » (comme fut le cas de la
première partie du roman « le fils du pauvre ») mais l’auteur peut utiliser un « il »
(cas de la 2emepartie), ce qui permet à l’auteur d’écrire plus ou moins à sa guise.
Celui qui écrit imagine toujours un récepteur comme dans la communication
ordinaire, même si la communication n’est pas immédiate, il conçoit toujours un
retour. Le lecteur, de son coté intervient sur l’œuvre en la lisant.
1
Ibid. P.355
P .Ricœur, Soi-même comme un autre, Ed, Seuil, Paris ,1990.P.200
3
P. Lejeune, Le pacte autobiographique, Ed, seuil, Paris, 1975, P.15
4
Ibid. P.23
5
Ibid. P.25
2
71
IV.4. « Sujet écrivant » et « sujet de l’inconscient » :
Souvent (comme c’est le cas dans l’œuvre « le fils du pauvre »), le « je »
s’efface en un jeu énonciatif qui vise à affiner la relation et la tension entre les
mots, alors, la langue est à l’œuvre et la question de la psychanalyse est
incontournable. Barthes l’avait souligné, en élaborant une conception de
l’écriture : « (…) énonciation (et non pas énoncé) à travers laquelle le sujet joue sa
division en se dispersant, en se jetant en écharpe sur la scène de la page blanche :
notion qui doit (…) beaucoup (…) au double éclairage du matérialisme (par l’idée
de productivité) et de la psychanalyse (par celle de sujet divisé) »1.
Mouloud Feraoun, nous invite à aborder ses textes à partir de la notion du
« clivage du moi » dans la terminologie Freudienne et /ou du « sujet en procès »2
selon Kristeva.
C’est ainsi alors qu’on peut distinguer « le sujet écrivant » du « sujet de
l’inconscient ».
Dans cette perspective, «(…) on part de la définition strictement linguistique
du « je » comme signifiant : où il n’est rien que le schifter ou indicatif qui dans le
sujet de l’énoncé désigne le sujet en tant qu’il parle actuellement .c’est à dire qu’il
désigne le sujet de l’énonciation mais qu’il ne le signifie pas »3.
Le positionnement théorique du sujet en écriture ,se nourrit de l’esprit même
de la réflexion de Mallarmé : « il doit y avoir quelque chose d’occulte au fond de
tous, je crois décidément à quelque chose d’abscons, signifiant fermé et caché, qui
habite le commun :car, sitôt cette masse jetée vers quelque trace que c’est une
réalité, existant, par exemple sur une feuille de papier, dans tel écrit-pas en soicela qui est obscur :elle s’agite, ouragan, jaloux d’attribuer les ténèbres à quoi que
ce soit, profusément, flagramment »4.
R. Barthes, « réponses » in tel quel, no 47, Ed. Seuil, Paris, 1971, p : 103
J.Kristeva, la révolution du langage poétique, Seuil, Paris, 1974
3
J. Lacan, écrits, Seuil, Paris, 1966, p : 80
4
S. Mallarmé, variations sur un sujet, in œuvres complètes, op.cit. : 383
1
2
72
La psychanalyse a beaucoup donné à la littérature, depuis le XIX siècle, et
surtout avec Freud, la problématique de l’inconscient décale de façon irréversible le
« sujet » par rapport à soi.
L’activité scripturale inscrit donc, l’errance du sujet !
73
Conclusion :
Les tentatives de recherche concrète des marques de subjectivité dans le récit
en particulier et le discours en général, ont fait peu à peu glisser le concept vers une
autre acception. L’étude contrastive de types de textes a graduellement mis en avant
la dichotomie subjectif / objectif et on a longtemps jugé des discours comme
relevant de l’un ou de l’autre type : le discours où apparaît un « je » serait, dans
cette perspective, essentiellement subjectif, par opposition au discours objectif où
les marqueurs de subjectivité (à commencer par je) sont absents.
Des étiquettes comme objectif / impersonnel / neutre vs subjectif / personnel
/expressif se sont imposées pour faire, par exemple, la distinction entre discours
scientifique vs discours littéraire, etc. Il est donc à remarquer que, dans cette
nouvelle acception, la subjectivité n’est plus intrinsèque à l’activité langagière d’un
locuteur sujet mais rend compte du jugement personnel de celui-ci, de son
affectivité vis-à-vis du message, ce qui est marqué explicitement au niveau discursif
à travers différents moyens. Si le discours subjectif porte de nombreuses marques
de cette personnalisation du message, le discours objectif tend à effacer toute trace
de jugement personnel.
La présence du locuteur dans un discours, quel qu’il soit, se fait sentir à des
degrés différents, selon des besoins communicatifs spécifiques, selon des
conditions particulières imposées par le co(n)texte.
L’énonciation n’est rien d’autre que l’activité d’un sujet qui met le langage en
action lorsqu’il s’érige en énonciateur ;si tous les énoncés n’en rendent pas compte
explicitement, étant réduit à la transmission du message, à la fonction strictement
référentielle du langage, il ne faut pas conclure à la disparition de l’énonciateur ,il
est donc illusoire de dire qu’on puisse atteindre à une objectivité absolue si l’on
prend en compte l’idée que l’existence même du langage dépend du sujet qu’il
utilise.
74
CHAPITRETROISIEME
Jeux et multiplicité du sujet : Du
« je » individuel au « je »
collectif !
« Toute œuvre est doublement transgressive :
parce qu’elle impose sa parole, mais aussi parce
que, directement ou indirectement ne parle que
de son auteur, contraignant le destinataire à
s’intéresser à lui »
DOMINIQUE MAINGUENAU
« Pragmatique pour le texte littéraire »
Introduction
Le lecteur de Mouloud Feraoun est très tôt placé en face d’une énonciation
discursive, avec tous les éléments de la deixis : les pronoms de l’énonciation (je, tu,
nous), les temps de l’énonciation (présent, imparfait, plus que parfait), le cadre
spatio-temporel qui suppose un « ici »et un « maintenant ».
Le roman de Mouloud Feraoun, emprunte largement au style de la
conversation courante, ce qui ne peut qu’accentuer l’illusion de vraisemblance .La
conversation a l’avantage d’être informationnelle pour le lecteur, car il peut à ce
stade du roman, répondre aux questions : qui? Quoi ? Où ?
Il(le lecteur, précisément) peut déduire qu’il est question d’une narration de
la vie quotidienne d’une famille ou d’un village.
L’écriture chez Mouloud Feraoun repose sur une relation fondamentale entre
vivre et écrire, mais c’est une relation aussi à double sens, c’est à dire vivre pour
écrire !
L’écriture ne se contente pas d’exprimer le vécu, elle le transforme. Ce
« changement de vie » est liée à la liberté laissée aux mots de s’associer et de se
combiner dans « l’inter-dit ».l’écrivain ou le poète ne se perd que pour se découvrir
en tant que « autre » ; dans cette aventure de l’écriture le « je » se remet en « jeu » !
La forme d’écriture adoptée par Mouloud Feraoun (le discours apparait
comme le produit d’une conscience subjective), tend à rapprocher le lecteur du
narrateur et de son histoire. Le lecteur ne peut donc que s’accommoder à cette forme.
« le fils du pauvre » de Mouloud Feraoun, est considéré « comme un témoignage,
marque par sa vérité, le regard porté sur la misère et la pauvreté.la prise de
conscience politique, certes, n’est pas encore faite, mais ce roman tranche d’une
certaine façon sur ceux qui le précèdent. ».1
D’une écriture de complaisance et de jouissance au Français (afin de plaire au
colonisateur), on est passé à une écriture de dédain et de dénonciation mais surtout à
une écriture de dévoilement « …l’auteur entend montrer, donner à voir les
siens,
leur identité : voila comment nous sommes.il s’adresse aux français ; il veut leur
1
J. Dejeux, Situation de la littérature maghrébine de langue française, Ed, OPU, 1982, P.31
76
expliquer, lui aussi ; il ne dit pas tout. On n’aime pas maintenant ce misérabilisme.et
pourtant Mouloud Feraoun témoigne à sa façon »1.
Ce dévoilement identitaire se fait des fois en optant pour l’écriture de soi, mais tout
en restant dans le groupe et en gardant l’esprit du collectif :parler de soi en tant qu’un
élément indissociable du tout ;c’est ce qui laisse certains écrivains alterner l’usage
des pronoms personnels de la première personne « je » et « nous » ,une stratégie
d’écriture propre beaucoup plus aux écrivains maghrébins d’expression française.
L’écriture chez Mouloud Feraoun intègre des techniques d’ancrage
socioculturel, historique et linguistique. Elle apparait donc comme la manifestation
de son enracinement dans son milieu socioculturel, un instrument de transmission de
la culture et de l’identité kabyle et par la suite algérienne, et pour ainsi, montrer que
l’élite algérienne n’est pas une élite déracinée, mais plutôt une élite qui sait parler et
raconter la réalité de leur pays, de leurs villes, de leurs villages ou simplement
raconter leur vécu !
1
Ibid.
77
I.
« Le Fils du pauvre » : autour de l’œuvre et de l’écrivain
I.1. Biographie de l’écrivain :
Drôle de destin pour un homme qui se veut différent des siens (ne pas
accepter un vécu miséreux).ce destin a voulu que l’auteur du roman « le fils du
pauvre » naquit et mourut à l’aube de deux printemps.
Mouloud Feraoun est né le 8 mars 1913 à la veille de la deuxième guerre
mondiale.et c’est dans la matinée du 15 mars 1962, à l’aube de l’indépendance de
l’Algérie que Feraoun fut sauvagement assassiné par un commando de l’OAS.
Né à Tizi-Hibel, l’un des villages de Beni- Douala, à vingt kilomètre de au
Sud-est de Tizi-Ouzou ; il reviendra définitivement en mars 1962 afin d’y trouver sa
dernière demeure !
Son père chef de famille très pauvre, dut émigrer en France pour assurer la
subsistance des siens.
Dans son village natal « Tizi-Hibel », il n’y avait pas encore une école, alors
Mouloud Feraoun s’est inscrit dans un village loin de 2km (Taourirt-Moussa), à l’âge
de sept ans.L’ambition de Mouloud Feraoun et les siens n’avait pas de limites :
obtenir le certificat d’études primaires !
Mouloud Feraoun studieux et acharné, la chance ne pourrait donc que lui sourire : il
obtient une bourse au collège de Tizi-Ouzou.
Son parcours n’était pas facile…après avoir passé trois ans à l’école de Bouzaréa
« l’École Normale d’Alger), il fut par la suite nommé instituteur à Taourirt-Moussa
en 1935.il épousa Dahbia sa cousine de son village.
En 1946, il est nommé directeur de l’école de Taourirt-Moussa. en 1952, il
prend la direction du Cours Complémentaire de Fort-National. Roblès et Camus sont
alors de grands amis.
Mouloud Feraoun vit le drame algérien (la guerre de libération) comme une tragédie
personnelle.
En 1957, en pleine bataille d’Alger, il devient directeur de l’école du Nador au
Clos-Salembier, l’une des banlieues surpeuplée d’Alger.
En 1960, il est nommé inspecteur des centres sociaux. Ce sera sa dernière
fonction.au château-Royal d’El Biar, alors qu’une séance de travail vient de
commencer, des bourreaux surgissent et font l’appel des six participants dont
78
Mouloud Feraoun, et les criblent de leurs balles. C’était donc un 15mars1962, c’était
la fin d’un grand homme et la fin d’un beau rêve !
L’homme de paix ne vivra pas donc pour voire la paix !
Tahar Djaout, écrivain et journaliste algérien, rend, en 1992, un hommage à
Mouloud Feraoun – hommage d’autant plus émouvant que lui aussi fut assassiné
mais en 1993 durant l’autre guerre d’Algérie, cette fois par les intégristes :
« Il est intéressant de tester le cheminement de l’œuvre d’un écrivain
qui a joué un rôle primordial en ces années 50 où il a grandement contribué à faire
connaître les dures conditions de vie de ses compatriotes. Mouloud Feraoun était
jusqu’à il y a une vingtaine d’années, l’écrivain le plus fréquenté par les écoliers
d’Algérie. Le Fils du Pauvre demeure (…) l’un des livres les plus attachants et les
plus vrais de la littérature maghrébine (…). La mort l’a empêché d’approfondir son
œuvre et de lui trouver des axes neufs comme M. Dib par exemple l’a fait après
l’indépendance de l’Algérie.»1 .
J. Dejeux conclut le chapitre qu’il consacre à cet écrivain en ces termes :
« Nous retenons et constatons chez lui non pas la violence et la révolte mais la
compréhension et le désir du dialogue au point de passage de ceux qui travaillent
pour un même humanisme fraternel»2.
Dans un entretien qui date de 1961 dans Nouvelles littéraires, Feraoun à la
question : « La mort vous obsède –elle ? » Répond : « J'y pense quotidiennement ;
elle ne m'obsède pas. L’obsession de la mort a inspiré de belles pages à Pascal sur le
"divertissement ", mais un homme raisonnable n'a aucune inquiétude (…) J'ai 48
ans. J'ai vécu 20ans de paix. Quelle paix ! 1920-1940. Et 28 ans de guerres
mondiales, mécaniques, chimiques, raciste, génocides. Non, vraiment, on ne peut pas
être optimiste sur l'avenir de l'humanité. On en arrive à penser constamment à la
mort, à l'accepter dans sa nécessité objective. Encore une fois, il ne s’agit pas
d'obsession»3. Un homme de paix, un humaniste qui a donné toute
sa vie pour exprimer les souffrances, les misères et les maux de sa société, une
1
DJAOUTT., Présence de Feraoun, in Tiddukian°14, Eté1992
DEJEUX J., Littérature Maghrébine de langue française, Naaman, Ottawa, 1973, p 142
3
Nait Messaoud Amar, La dépêche de Kabylie, p .2.3.
2
79
manière de porter un témoignage vivant de la réalité sociale de son pays : il
déclarait :
« Je sais que j'appartiens à un peuple digne qui est et restera grand, je
sais qu'il vient de secouer un siècle de sommeil où l'a plongé une injuste défaite, que
rien désormais ne saurait l'y replonger, qu'il est prêt à aller de l'avant pour saisir à
son tour ce flambeau que s'arrachent les peuples et je sais qu'il le gardera très
longtemps »1.
I.2. L’œuvre de Feraoun :
L'œuvre de Feraoun est un témoignage poignant, émouvant de l'époque
coloniale de l'histoire de l'Algérie. C'est une œuvre qui s'inscrit dans le cadre d'une
littérature ethnographique.
En effet, les thèmes récurrents dans l'œuvre de Feraoun sont la présentation du vécu
collectif de la société Kabyle à une époque déterminée de son histoire.
Il dépeint le mode de vie, les coutumes et les traditions de sa société, qui l'avait
marqué toute sa vie, il considérait que c'est son devoir de rapporter fidèlement le
vécu de sa société par écriture.
Certains critiques l'accusent de régionalisme. A ce propos, il répondait :
«Je crois que c'est surtout ce désir de faire connaître notre réalité qui
m'a poussé à écrire .Et, à ce point de vue, je dois vous dire que la réalité ne se laisse
jamais saisir dans toute sa complexité, toutes ses nuances et qui, en définitive, ceux
qui prétendent la montrer ne montrent qu'eux- mêmes et ne témoignent que pour
eux»2.
Dans le « fils du pauvre », Feraoun décrit fidèlement la société Kabyle, son
village, sa maison familiale et tous les événements, pendant cette période de sa vie.
Le livre évoque également le mode de vie de la Kabylie comme le travail de l'argile
et le tissage de la laine, mais Feraoun insiste beaucoup plus sur la scolarité du garçon
unique de la famille, malgré la misère et les conditions lamentables dans lesquelles il
vit.
1
Ibid. : p .3.
A.Hassina, La nouvelle république, 23 mars 2005(page consultée le 24 juillet 2007)
http://dzlit.free.fr/feraoun.html
2
80
I.3. Résumé et thèmes abordés dans « le fils du pauvre » :
Dans un entretien avec Maurice Monnoyer dans L'Effort algérien du 27février
1953, Feraoun disait à propos de ses personnages : « Je me mets honnêtement à leur
place. Je les sollicite. Et finalement ce sont les personnages qui me disent ce que je
dois écrire». 1
Feraoun a commencé l’écriture de son roman « le fils du pauvre », en 1939.c’est
seulement en 1950 que parait aux éditions des Cahiers du Nouvel Humanisme (Le
puy) la première version tirée à 1000exmplaires et imprimés à compte d’auteur. Le
roman est réédité aux éditions Seuil en 1954 (tirage : 31000 exemplaires).le fils du
pauvre est sans conteste l’œuvre la plus connue et la plus lue de Mouloud Feraoun.Le
roman a été traduit en allemand, en russe, en polonais, et en arabe.C’est un véritable
classique de la littérature algérienne d’expression française.il est jugé comme un
roman autobiographique, vu les grandes ressemblances entre la vie de l’écrivain et
celle de Fouroulou, le héro du roman.
Feraoun dans une lettre à son ami Roblès dit : « dommage, car une préface de
toi au fils du pauvre n’aurait fait de mal ni à toi, ni à moi, ni à l’ecole.de toute façon
dis moi ce qu’il faut faire : je suis prêt à parler de moi en 15lignes comme je l’ai fait
en 200pages »2
Tous les pères et chefs de famille ayant fait partie de l’univers de Feraoun se
reconnaissent pleinement dans cette belle phrase de Tchekhov : «Nous travaillons
pour les autres jusqu'à notre vieillesse et quand notre heure viendra, nous mourrons
sans murmure et nous dirons dans l’autre monde que nous avons souffert, que nous
avons pleuré, que nous avons vécu de longues années d’amertume, et Dieu aura pitié
de nous.»
Dans ce roman, Mouloud Feraoun raconte sa propre enfance, au sein de son
village et de sa famille en Kabylie, ainsi que son itinéraire atypique d’enfant destiné
à devenir berger et qui, au lieu de cela a eu l’immense opportunité de pouvoir
fréquenter l’école.
Fouroulou, le héros, nous donne à voir son village et sa structure géographique et
sociale ainsi que les coutumes de la société kabyle, le travail des hommes et des
1
2
Nait Messaoud Amar, La dépêche de Kabylie, 1 Décembre 2005
M. Feraoun, lettres à ses amis, éd., Seuil, Paris p : 92
81
femmes, le statut des femmes, la place privilégiée des enfants mâles, la gestion des
conflits familiaux, les superstitions …etc.
Par ailleurs, il nous raconte sa formation scolaire jusqu’à l’âge de 19 ans veille de
son entrée à l’école d’instituteur de Bouzaréa.
Les thèmes récurrents chez lui sont ceux qui s’étaient imposés à sa production
romanesque parce qu’ils représentaient le vécu collectif au village, les traditions et
coutumes dont il a été marqué à vie et qu’il considérait comme un devoir de les
rapporter fidèlement par l’écriture. Avec le recul, l’œuvre de Feraoun a acquis une
valeur inestimable en tant que peinture de la société à une époque déterminée de son
histoire, celle de ses aïeux, obligés d’émigrer pour faire vivre leurs familles ou de
gratter une terre ingrate qui ne donnait qu’avec parcimonie juste de quoi ne pas
mourir de faim. Son père, pauvre, illettré, résistant, était comme tous ceux de sa
génération.
Ces paroles traduisent parfaitement le drame de nos grands-parents qui n’ont
connu de vie que celle au cours de laquelle ils ont trimé pour apporter une
Maigre substance aux leurs. C’est cette misère, cette lutte constante contre le froid,
les vicissitudes d’une vie dure et imprévisible, que Feraoun a immortalisées pour les
générations futures. Emmanuel Roblès, qui a été son camarade à l’école normale, a
été aussi celui par qui tout est arrivé. Feraoun, eut l’idée de lui demander d’écrire sur
la Kabylie : «Tu ne comprends donc pas que c’est là ton boulot, et que c’est ta voix
que nous voulons entendre.»1.
I.4. Le paratexte comme premier sens de l’œuvre :
Le paratexte regroupe notamment les paramètres suivants : le nom de l’auteur
ou son pseudonyme, le titre et le sous-titre, la dédicace, l’épigraphie, la préface…etc.
Ces éléments, souvent en concordance, annoncent, entre autre, la nature générique du
texte avant sa lecture. Dans ce sens, G.Genette déclare : « s’il n’est pas le texte, il est
déjà du texte »2 ; il continue aussi à souligner que le paratexte est « …le versant
1
2
Ibid.
G.Genette, Seuils, Ed le seuil, Pais, 1987, p 51
82
éditorial et pragmatique de l’œuvre littéraire et le lieu privilégié de son rapport au
public, et par là au monde »1 .
Situé à la lisière de l’œuvre qu’il nomme et sociabilise, le titre s’exhibe à l’avantscène du texte qui lui est propre. Dans son article sur la titrologie romanesque,
C.Duchet fait remarquer que le titre doit s’analyser tout d’abord comme un
« microtexte autosuffisant, générateur de son propre code ».
Le lecteur du roman « le fils du pauvre », peut comprendre quelle idée d’œuvre se
profile à travers le titre et les sous- titres de l’œuvre.
- Le titre :
Placé au seuil ou à la lisière du texte, il en est la métaphore et la métonymie. En
ce sens, il est doté d’une valeur discursive révélatrice des intentions de l’auteur. Si
nous devions traduire le titre et son signifiant en relation avec l’identité de l’auteur, il
annonce un récit de vie, celui de l’enfance, d’un enfant pauvre vivant dans les
hauteurs de la grande Kabylie, dans un village plongé dans la misère et les
souffrances.
Le titre énonce donc la thématique du livre et, conjointement, signale les attaches
du texte au registre autobiographique.
Le titre de l’œuvre, lie le fils à un parent pauvre, par l’article déterminé « le », alors
que le qualificatif « pauvre »renvoie au père du fils (et par là c’est l’histoire de
l’enfant qui sera narrée et non pas celle du fils !!
Le qualificatif de « pauvre » ici, renvoie à la situation misérable de tout père algérien
de l’ère coloniale. Le lecteur peut comprendre qu’il s’agit de l’itinéraire d’un fils et
non pas de son père.
L’image ou la gravure sur le roman ne pourra passer inaperçue : un vieux portant un
burnous et un turban de couleur blanche (témoignant de l’identité des personnages
dans l’œuvre) qui se prépare à sortir ;
L’enfant qui porte un morceau de pain, et habillé d’une gandoura sur des vêtements
et regardant le vieux (censé être son père), mais qui regarde et se dirige dans un autre
sens que le vieil homme comme s’il devait lui dire : « que je ne prendrai jamais votre
chemin ! et par là « je ne prendrai jamais votre chemin !et par là « je ne serai jamais
comme vous, mon destin ne sera jamais comme le tien ;;;
1
G.Genette, cent ans de critique littéraire, in, le magazine littéraire, n0192, février 1983
83
II. La littérature algérienne d’expression française : du « nous »
collectif au « je » individualiste :
La littérature maghrébine en général et algérienne en particulier,
d’expression française constituait la représentation d’un espace « socioculturel ».
Les textes littéraires maghrébins paraissent travaillés par des mémoires et des
imaginaires exprimant la mouvance entre la contestation, la revanche, l’affirmation
de soi et l’appropriation de la langue française et de la forme romanesque
occidentale.
Un nouveau phénomène surgit alors et s’organise autour de l’émergence du
« je » durant les années 1950.Le contexte religieux musulman est un contexte
sociétal du « nous collectif » ; un contexte qui ne préparait pas des écrivains à dire
« je » et à exprimer l’intime.
Mais le contact avec l’occident a entrainé l’affirmation de soi, de l’individu. La
naissance du « je »individualiste, intime, dévoile le privé, le caché et même le
refoulé.
La sociologue marocaine, Fatima Mernissi constate que « notre identité
traditionnelle reconnaissait à peine l’individu, car perturbateur de l’harmonie
collective(…) la société traditionnelle fabriquait des musulmans soumis au groupe »1
En Algérie, avant 1947 plusieurs écrivains ont écrit des romans, mais un seul
s’est exprimé et a utilisé le « je » ; Ali Belhadj, en écrivant « souvenirs d’enfance
d’un blédard », ensuite c’était le tour à Mouloud Feraoun dans « le fils du pauvre »
publié en 1950et puis Mouloud Mammeri dans « la colline oubliée », publié en 1952.
Le récit de Mouloud Feraoun « le fils du pauvre » représente une parole collective de
toute une population, une écriture de la mémoire personnelle qui aboutit à
l’autobiographie collective.
II.1. « Le fils du pauvre », une narration à la première personne ?
Dès l'incipit du roman de Mouloud Feraoun « le fils du pauvre », avec cette
citation de Tchekhov : « nous travaillons pour les autres jusqu’à notre vieillesse
quand notre heure viendra, nous mourons sans murmure et nous dirons dans l’autre
1
Fatima Mernissi, « le harem politique », Ed, Albin Michel, Paris, 1987
84
monde que nous avons souffert, que nous avons pleuré, que nous avons vécu de
longues années d’amertume, et dieu aura pitié de nous…. »,
Il apparait que l’implication du groupe ou la voix plurielle est clairement manifestée,
d’ailleurs le titre de la première partie est « la famille », bien que le roman s’annonce
comme un roman à la première personne.
A part la deuxième partie intitulée « le fils ainé », qui est à la troisième
personne, après une brève description (beaucoup plus géographique) minutieuse du
village, « mon oncle et mon père se nomment… », « Je le revois toujours avec une
gandoura blanche et un turban soigneusement enroulé.je l’imagine rarement une
pioche à la main(…) ma grand-mère aimait à répéter qu’il l’avait aidée à élever le
petit Ramdane »1.
Le « je » est au centre de cette merveilleuse œuvre et autour de lui gravitent
tous les autres personnages. Le pronom « je » désigne la personne (qui énonce la
présente instance de discours contenant « je »). Donc « je » n’a d’existence que par
et dans le discours qui l’emploie. Il est dans un changement continuel car il acquiert
chaque fois une instance discursive particulière « il sentait confusément que j’avais
plus d’imagination que lui. Quant à moi, j’étais forcé d’admettre qu’au-dehors il se
faisait respecter bien mieux que moi. Nous nous complétions à souhait. Nous fîmes
ensemble notre entrée dans le monde »2, et il ne peut être identifié que par :
« L’instance de discours qui le contient et par là seulement. Il ne vaut que
dans l’instance où il est produit (…) ; la forme « je » n’a d’existence linguistique que
dans l’acte de parole qui la profère. » 3
L’usage de la première personne dans la narration romanesque participe d’un
artifice dont le mérite est à la fois de créer plus facilement un univers dans un cadre
spatio-temporel qui semble assez proche, de même qu’il prend le lecteur en témoin.
C’est aussi ce que semblent traduire ces propos de René Démoris :
« la première personne a du mois l’avantage de renvoyer à un sujet chez
qui cette pensée, quelle que soit sa pertinence a été réalité(…) c’est donc au moment
où il se définit contre la logique « naturelle » du récit que l’être éprouve le mieux sa
1
M. Feraoun Le fils du pauvre, P.20-21
Ibid., P.31
3
E. Benveniste, Problèmes de linguistique générale I, Ed, Gallimard, Paris, 1974P.248
2
85
propre vérité. Le récit le plus vrai reste cependant le récit personnel puisqu’il
intègre l’illusion d’avoir une histoire »1.
David Ndachi-Tagne explique l’usage de la première personne dans les
romans par une corrélation entre la création et l’environnement social :
« Quoi qu’en disent les formalistes, la corrélation entre la création
littéraire et l’environnement social est une donnée qu’il faut examiner en
permanence sous le ciel africain(…) le roman à la première personne apparaitra en
effet pour nombre d’auteurs comme le tremplin de leurs expériences intimes »2.
Le degré d’implication du narrateur dans la « diégèse » en fait un acteur
principal. Le lecteur ne peut négliger la présence de celui qui raconte l’histoire quand
ce dernier s’exprime à la première personne. On a envie de suivre cette voix qui se
donne comme conscience, à laquelle le lecteur est tenté de s’identifier.
Dans le roman de Feraoun « le fils du pauvre », la narration change de ton
lorsque le « je » de départ se métamorphose en « nous », en signalant donc une
présence effective de l’énonciateur, comme l’explique E. Benveniste et parle ainsi de
la matérialisation de la présence effective d’un énonciateur à travers ce qu’il appelle
« l’accentuation de la relation discursive au partenaire, que celui-ci soit réel ou
imaginaire, individuel ou collectif »3. La forme « Je » peut prendre comme pluriel la
forme « Nous ».
De cette manière le narrateur tisse des liens avec son lecteur, et Ainsi fait-il
lorsque le narrateur prend en charge le destin de son village ou de sa communauté :
« Nous kabyles, nous comprenons qu’on loue notre pays. Nous
aimons même qu’on nous cache sa vulgarité sous des qualificatifs flatteurs.
Cependant nous imaginons très bien l’impression insignifiante que laisse sur le
visiteur le plus complaisant de la vue de nos pauvres villages »4, le narrateur semble
en savoir tout et beaucoup plus sur l’histoire qu’il raconte « nos ancêtres, ils, se
groupèrent par nécessité.ils ont trop souffert de l’isolement pour apprécier comme il
1 -René Démoris, Le roman à la première personne. Du classicisme aux lumières, Ed. Droz, Genève,
2002, P.337
2-David NdachiTagne, Romans et réalités camerounaises, Ed. Harmattan, Paris, 1996, P.109
3
E. Benveniste, Problèmes de linguistique générale, I, Ed. Gallimard, Paris, 1966, P.85
4
Mouloud Feraoun, Le fils du pauvre, Ed, Seuil, Paris, 1954, P.12
86
convient l’avantage de vivre unis. (.. .) nous craignons l’isolement comme la
mort(…) notre paradis n’est qu’un paradis terrestre, mais ce n’est pas un enfer »1,
nous remarquons bien l’absence de la première personne du singulier, mais qui ne
tardera pas à surgir.
L’alternance entre le « je » et le « nous » témoigne de la volonté du narrateur
de prendre en charge un discours individuel et collectif. L’usage alterné des deux
pronoms de la première personne signale aussi le lien étroit entre les deux discours
(individuel et collectif), entre l’expérience individuelle et l’expérience collective,
c’est un usage qui suppose une large part d’investissement des deux pronoms, en
particulier celui de « je », « mes parents avaient leur habitation à l’extrême nord du
village, dans le quartier d’en bas. Nous sommes de la karoubades Ait mezouz, de la
famille des Ai moussa, Menrad est notre surnom ».2
Et comme l’explique l’écrivaine Calixthe Beyala : « j’utilise le « je » car
j’habite mes personnages.je les habite physiquement, je suis à leur place au moment
précis où j’écris .je suis avec eux dans leur environnement.je n’utilise pas la
troisième personne parce que « il » ou « elle » suppose une distance et je n’éprouve
pas cette distance lorsque j’écris »3 .
Le narrateur est une instance indispensable dans l’énonciation, Ce rôle peut
être occupé par le personnage principal ou par un personnage secondaire mais il n’est
pas toujours identifié dans le récit et on est « incapable d’assigner l’instance narrative
à une quelconque figure.
Dans le cas de l’autobiographie il y a fusion totale entre l’auteur et le
narrateur, dans d’autres cas auteur et narrateur sont totalement différenciés, mais il y
a également le cas où l’identité de l’auteur et celle du narrateur se recoupent à divers
degrés. Ce dernier type est beaucoup plus complexe puisqu’il plonge le lecteur dans
la confusion du moment qu’il est incapable de distinguer la part de réalité et celle de
fiction. En effet dés les premiers incipits de l’œuvre de Mouloud Feraoun, le lecteur
est d’emblée plongé dans la confusion la plus totale. S’agit-il de Feraoun le narrateur
ou de Mouloud Feraoun ?
1
Ibid., P.15
Le fils du pauvre, P.20
3
B. Calixthe, « L’écriture dans la peau », Ed, Notre librairie, N 0151, Juillet-Septembre, 2003, P.44
2
87
II.2. Fouroulou e(s)t la voix plurielle :
Dans « le fils du pauvre » de Mouloud Feraoun, il ne s’agit pas seulement de
la voix de l’auteur-personnage, mais c’set une ensemble de voix multiples :la voix de
l’auteur qui se manifeste à travers l’usage de la première personne du singulier
« je »(de Fouroulou),celle des gens de son village, en recourant au pronom personnel
« nous »,et la tiers ,qui connait tout de l’histoire de Fouroulou et de son village, en
employant le pronom personnel « il »,(ceci peut être considéré comme une façon de
distanciation et d’objectivité).cette alternance dans l’usage des pronoms personnels,
relève d’une polyphonie du discours autobiographique, et dans une perspective
purement Mallarméenne ; « le je est un autre » :
«Dans le récit d’enfance classique, c’est la voix du narrateur adulte qui
domine et organise le texte : s’il met en scène la perspective de l’enfant, il ne lui
laisse guère la parole(…) il ne s’agira plus de se souvenir mais de fabriquer une voix
enfantine, cela en fonction des effets qu’une telle voix peut produire sur un
lecteur ».1
« Le fils du pauvre » est un texte polyphonique : en plus de la voix du
narrateur principal (que nous mettons à égalité avec celle de l’auteur puisque le
roman est attesté en tant que autobiographique), le lecteur rencontre une multitude
d’autres voix.
Nous définissons ainsi les voix suivantes en tant que voix principales dans le
fils du pauvre :
Ø
la voix du narrateur/auteur, (fouroulou /M.feraoun)
Ø la voix des membres de la famille de Fouroulou (les parents, les
sœurs, les
tantes,…etc.
Ø
la voix des habitants de la grande Kabylie (hommes, femmes, et enfants dans
le premier chapitre surtout : pauvreté, misère, souffrance …etc.
Ø
la voix du Co-énonciateur, cette voix est léguée par l’énonciateur principal
(l’auteur).le Co-énonciateur « un ami d’enfance de Fouroulou »,et qui semblait
connaitre tout.
1 -P. Lejeune, Je est un autre, op.cit. P.10
88
Mais toutes ces voix dépendent chacune de la voix du narrateur/auteur qui
les dirige, les coordonne, les met en relation, les complète, les corrige etc.
On peut conclure donc, l’importance primordiale de la voix du narrateur/auteur
par rapport aux autres voix dans « le fils du pauvre ».
La voix du « je »autobiographique est la voix principale dans « le fils du
pauvre ». Elle est « visible », c’est-à-dire « présente dans le récit » Elle apparaît donc
comme productrice du discours autobiographique, mais aussi du discours
historiographique (elle narre l’Histoire de la grande Kabylie durant le colonialisme
français et par la suite celle de l’Algérie coloniale),
c’est elle (la voix) qui
sélectionne, ordonne, commente, complète, corrige et ainsi rend transparent le
processus de production du récit historique.
Dans les passages autobiographiques, la voix du narrateur change constamment
sa position par rapport à l’histoire relatée. Elle modifie sa position et se trouve aussi
bien au centre de l’histoire relatée qu’en marge de celle-ci :
Il en résulte un texte dans lequel le lecteur rencontre une multitude de
pronoms personnels se référant à l’auteur :
Ø
Le narrateur parle de lui-même en oscillant entre autodiégèse et hétérodiégèse
(pronom personnel : ‘je’ et ‘il’).
Ø
le narrateur raconte des événements de sa vie vécus en communauté (pronom
personnel : ‘nous’).
Ø
aussi le narrateur ne raconte pas simplement l’histoire de sa vie mais se révèle
être biographe des autres personnes de son village (pronoms personnels : ‘il/s,
elle/s,’).
Ø
il parle de lui même en se créant un double fictif (pronom personnel ‘je’ et
‘tu’).
89
II.3. La voix du « je » autobiographique : « Je »et « il » ; diégèse du
(dé)voilement
Dans « le fils du pauvre », l’auteur se sert de la narration hétérodiégétique
pour désigner sa propre personne. Ceci est le cas dans des contextes précis, l’auteur
passe à la narration hétérodiégétique :
- dans la première partie intitulé « la famille » :
Ø
dans lequel l’auteur est le principal protagoniste et se trouve donc dans une
position centrale de l’épisode relaté, « mes parents avaient leur habitation à
l’extrême nord du village, dans le quartier d’en bas.(….)mon oncle et mon père se
nomment l’un Ramdane,l’autre Lounis(…).mon oncle Lounis a les traits fins, le
regard moqueur, le teint blanc(…) je le revois toujours avec une gandoura blanche
et un turban soigneusement enroulé.je l’imagine rarement une pioche à la
main…etc. »1
Ø
dans lequel l’auteur raconte des moments intimes de sa vie, « comme j’étais
le premier garçon né viable dans ma famille, ma grand-mère décida
péremptoirement de m’appeler Fouroulou(de effer :cacher).ce qui signifie que
personne ne pourra me voir, de son œil bon ou mauvais(…)si j’ajoutais que ce
prénom, tout à fait nouveau chez nous, ne me ridiculisa jamais parmi les bambins de
mon âge. l’image la plus reculée qui surgit subitement dans ma mémoire est celle
d’un petit garçon assis dans notre courette sur une jarre renversée(…) je me revois
ainsi, portant une gandoura blanche à capuchon, pouvant à peine marcher mais
bavardant à mon aise. J’avais peut-être trois ans »2.
- Dans la deuxième partie intitulé « le fils ainé » ; l’auteur, cède la parole à un
autre narrateur (qui n’est autre que l’ami intime de l’auteur, et qui en sait autant que
lui sur Fouroulou) ; on passe alors du « je » à la forme impersonnelle ou à la nonpersonne « il ».
Le recours au système de narration à la « non-personne », qu’est la troisième
personne fonctionne ici comme une figure d’énonciation à l’intérieur d’un texte
1
2
Mouloud Feraoun, le fils du pauvre, Ed, seuil, Paris, 1995, P, 20
Ibid., P, 27
90
qu’on continue à lire comme un discours à la première personne « (…) l’auteur parle
de lui-même comme si c’était un autre qui en parlait, ou comme s’il parlait d’un
autre. Ce comme si concerne uniquement l’énonciation : l’énoncé, lui, continue à
être soumis aux règles strictes et propres du contrat autobiographique. Alors que si
j’employais la même présentation grammaticale dans une fiction autobiographique,
l’énoncé lui-même serait à prendre dans la perspective d’un pacte fantasmatique »1.
Ainsi donc, le Co-énonciateur semble connaitre même les sentiments les plus
profonds du héro, ce qui nous laisse supposer que c’est une narration à la première
personne, un narrateur « omniscient », et qui ne peut être qu’un « je » :
« lui savait très bien que s’il échouait ,les portes de l’école normale
seraient à jamais fermées pour lui car il était à la limite d’âge exigée pour le
concours .Il aurait encore à travailler seul, dans de mauvaises conditions.ses
parents ne pouvaient savoir qu’en cas d’échec il demanderait à partir en France
.cette idée l’avait hanté tout l’été .en France ,il trouverait à s’embaucher en usine
comme manœuvre .en Algérie il était pris dans cette alternative :ou devenir
instituteur, ce qui signifiait l’aisance pour toute sa famille, ou devenir berger »2.
L’utilisation de la troisième personne du singulier est un procédé narratif
courant dans le contexte de la « Nouvelle autobiographie ».L’idée lacanienne du « je
est un Autre », exprimant l’idée d’une identité plus complexe semble y être
représentée : « il ne se rappelle avec précision que les mauvais de son enfance.il
avait onze ans environ lorsque son père exténué par la fatigue tomba gravement
malade »3.
Par ce procédé, le narrateur suggère qu’il ne parle pas de sa propre personne
mais d’une autre. Il se retire du déroulement de l’histoire pour prendre une position
en marge, voire en dehors de celle-ci.
Par ce procédé narratif dans « le fils du pauvre », il nous semble plus probable
que Mouloud Feraoun alterne les deux formes de la diégèse pour désorienter le
lecteur, mais aussi pour l’intégrer, voire, l’ancrer beaucoup plus dans son énoncé :
« Ne trouvant rien, il se dit que peut- être tous les pères prient ainsi en
secret, lorsque leur famille a beaucoup d’ennui-ce qui était le cas des Menrad, il le
1
P. Lejeune, je est un autre, Ed, Seuil, Paris, 1980, P : 34
Mouloud Feraoun, le fils du pauvre, Ed, seuil, Paris, 1995, P : 145
3
Ibid. p, 107
2
91
savait très bien. Alors, il joignit de tout son cœur, sa prière à celle de son père et
s’endormit sans savoir comment(…) sa mère manifesta une satisfaction visible en
constatant que son fils n’a pas dormi(…)-non !pensa Fouroulou. Cela démontre
simplement que ma mère ne peut pas compter sur elles, mais qu’elle peut compter
sur moi pendant l’absence de mon père »1.
On peut donc interpréter l’oscillation entre l’autodiégèse et
l’hétérodiégèse
comme un mode d’expression d’un auteur qui hésite à se dévoiler de façon complète.
Alterner les pronoms personnels « je » et « il » pour désigner sa propre personne
nous semble être un moyen de réaliser le paradoxe qui consiste à parler de façon
anonyme de soi-même.
II.4. Le « je » autobiographique et son double :
La situation des voix dans le fils du pauvre se présente de la façon
suivante : une voix extra diégétique (anonyme) donne la parole au narrateur intra
diégétique Fouroulou. Dans son récit, Fouroulou suit deux fils de la narration : il
raconte son propre passé :
« (…) ma mère, mes sœurs, mes tantes maternelles m’adoraient ; mon père se
pliait à toutes mes volontés ; ma grand-mère (…) me gavait de toutes les bonnes
choses qu’on lui donnait (…) ; mon oncle (…) pour lequel je représentais l’avenir
des Menrad, m’aimait comme son fils »,2
et il est destiné à devenir un homme grâce à une éducation virile :
« J’étais destiné à représenter la force et le courage de la famille. Lourd destin
pour le bout d’homme chétif que j’étais ! Mais il ne venait à l’idée de personne que
je puisse acquérir d’autres qualités ou ne pas répondre à ce vœu »3.
Il met l’accent sur l’unité du village, sur sa cohérence (nécessité historique), et
présente l’histoire des autres personnages (celle de sa famille.et de son village) ;
« Nos ancêtres se groupèrent par nécessité. Ils ont trop souffert de l’isolement pour
apprécier comme il convient de vivre uni. »4
Fouroulou assume donc le rôle de narrateur intra diégétique, tandis que les autres
personnages se trouvent de l’autre côté de la situation communicative : il est le
1
Ibid., P, 112-113
M. Feraoun, Le fils du pauvre, Ed, Seuil, Paris, 1955, P.22
3
Ibid. P.16
4
Ibid. P.38
2
92
narrataire intra diégétique, à laquelle l’un des personnages s’adresse grâce au pronom
personnel « tu ».
A cause de cette inégalité des deux voix au niveau narratif, le personnage de
chacun d’entre eux (la famille de Fouroulou et les membres de son village) est
construit au moyen du discours du narrateur Fouroulou.
Dans cette perspective, le personnage de Fouroulou nous semble représenter
aspect identitaire différent du « je » autobiographique, c’est-à-dire de l’identité de
l’auteur.
Fouroulou se présente comme un enfant réunissant tous les aspects identitaires
ancrés dans le contexte culturel algérien (et kabyle surtout), La vie de Fouroulou
semble être celle que l’auteur aurait vécue. C’est pourquoi le personnage de
« Fouroulou » peut être considéré comme un personnage « autofictionnel ».
Cependant, au cours de l’histoire, la position identitaire de chacun des
personnages change : le rapprochement du « statut identitaire » se fait dans une
situation réciproque (Fouroulou malgré son insatisfaction de son destin, il n’a jamais
nié son appartenance à sa famille, à son village et à sa société)
Ce rapprochement se reflète au niveau narratif du texte, c’est à dire au
niveau des voix dans l’utilisation des pronoms personnels. Au début, Fouroulou
différencie strictement l’histoire des autres personnages en se servant du « je » (pour
la narration de sa propre histoire).
II.5. Le « je » est un porte parole de la collectivité :
L’œuvre de Mouloud Feraoun, s’est attachée à dévoiler les contradictions et les
transformations de la société Kabyle, l’influence de l’école républicaine française et
le besoin vital d’exister.
En osant dire « je », ce n’est que pour marquer une altérité face au colon. Cependant
le « je » n’est, dans un premier temps que, le porte-parole de toute la collectivité et la
société afin de dénoncer les méfaits de la colonisation.
Jean Dejeux, qualifie : « l’émergence du je » dans la littérature maghrébine de
langue française de « noussoiment » qui n’est ni un « je » égoïste, ni un « il » aussi
93
abstrait
qu’impersonnel,
mais
un
« nous »
terriblement
et
foncièrement
ambivalent »1.
Mouloud Feraoun, et en utilisant le « je » du (narrateur/auteur) ne décrit pas sa vie
tant aux algériens qu’aux français, mais plutôt celle de toute une société, et cela
pouvait que servir la cause algérienne devant l’opinion publique internationale.
L’écrivain Mouloud Feraoun, s’étant approprié ce moyen (la langue française)
d’expression affirme sa présence, et se pose par la suite en interlocuteur et porteparole de sa communauté.
Le « je » n’est qu’un « nous » divisé en plusieurs personnes, comme il a été cité dans
le chapitre qui a précédé.
1
G.Charpentier, évolution et structure du roman maghrébin de langue française, université de
Sherbrooke(Québec), 1977, cité par Jean Dejeux.
94
III. Le « nous », un marqueur de solidarité et symbole de sécurité et
d’appartenance :
III. 1. Se dire autre(s) ; le« je »n’est que « nous » :
L’un des principes indiscutables de l’écriture autobiographique est que le
narrateur-auteur raconte sa vie en disant « je ».
Le pronom personnel « je » est le seul garant donc de la subjectivité de l’écrivain.
Dans la perspective où tout « nous » n’est qu’un ensemble de « je »et
d’autres (tu, il, vous…), le narrateur opte pour l’emploi du « nous » rien que pour
s’engager aux cotés des siens. Le « nous » n’est qu’un assemblage de « je » divers,
en adoptant une vision de l’intérieur et réclamant le droit d’exister à une frange de
l’humanité, en se situant à l’opposé du regard folklorique des touristes :
« le touriste qui ose pénétrer au cœur de la Kabylie admire par
conviction ou par devoir des sites qu’il trouve merveilleux, des paysages qui lui
semblent pleins de poésie et éprouve une indulgente sympathie pour les mœurs des
habitants)1.
Recourir à la première personne du pluriel, est une façon ou plutôt une
stratégie discursive pour montrer ainsi, son attachement et son rapport étroit avec le
groupe social dont il fait partie intégrante et indissociable : « j’adoptais donc avec
tous mes voisins et toutes mes voisines la seule attitude que je pouvais adopter :( …)
susceptible à l’excès, j’étais de surcroit très craintif lorsque je m’aventurais en
dehors de notre quartier »2.
Le choix des pronoms personnels en littérature n’est jamais innocent et
jamais improvisé, et l’écrivain Mouloud Feraoun ne peut échapper à cette règle :
« Le choix d’un pronom personnel entraine et inspire d’autres choix(…)
touche à la question fondamentale de la place où est situé un récit donné dans les
catégories des possibles narratifs »3.
1
Mouloud Feraoun, le fils du pauvre, Ed, seuil, Paris, 1950, p : 12
Ibid. P : 30
3
Glowinski Michael, sur le roman à la première personne, dans Esthétique et Poétique, textes réunis
et présentés par G. Genette, Ed, Seuil, Paris, 1992, P : 229
2
95
L’écrivain algérien Mouloud Feraoun, dans son roman « le fils du pauvre »,
narre l’histoire de Fouroulou (le héro) et le quotidien d’un petit village situé sur les
hauteurs de la grande Kabylie, et par la suite l’histoire de tout un peuple opprimé et
dominé.
L’auteur a montré une grande maitrise de l’organisation interne du texte et des
moyens stylistiques pour passer à la narration de cette fiction (la narration est une
suite d’événements, réels ou imaginaires qui constituent une fiction).
L’usage du pronom personnel « je » dans les textes littéraires surtout, est d’une
grande complexité, et comme nous le savons, il consiste à savoir qui est ce « je ».
Dès le début du premier chapitre le narrateur nous informes sur le « héro »
Menrad à partir d’un journal intime : « lorsque je rentre en moi-même et que je
considère ma situation en fonction de ma valeur, je conclus amèrement : je suis lésé,
le manque de moyens est un obstacle bien perfide. (…) c’est fait, la décision est
prise, la réussite est certaine »1.
Une simple comparaison pourra nous permettre de connaitre qu’il s’agit sans
doute de la voix de l’auteur, puisque le parcours est le même .c’est là une façon de se
dissimuler à travers son personnage.
L’histoire de Fouroulou et son village est l’histoire de toutes les familles
algériennes qui vivent dans des situations précaires. Ainsi le recours à la première
personne du pluriel est incontestable :
« Mon père, un rude fellah, débroussaillait, défrichait sans cesse et
plantait.au bout de quelques années, nos parcelles changèrent d’aspect. (…) les
bœufs ne nous appartenaient pas .un riche quelconque nous les confiait au
printemps. Nous les engraissions et nous pouvions mettre en valeur nos
propriétés. »2.
1
2
Mouloud Feraoun, le fils du pauvre, Ed, seuil, Paris, 1950, p : 9
Ibid, P : 66
96
III.2. Harmonie du moi individuel et du moi collectif :
L’ambition de la personne qui tient ce discours, c’est d’être un citoyen actif,
par utilité aux autres (et bien sur, à lui-même), de ne pas subir l’histoire mais de
contribuer à la (re)façonner dans le domaine relevant de sa capacité : celui de la
créativité littéraire ; pour son bien et pour celui des autres.
L’auteur narrateur du roman « le fils du pauvre » ne pouvait ainsi jouir du
bonheur individuel, alors qu’à coté, le reste du monde se démène dans des drames et
des souffrances de plusieurs sortes, sous prétexte de chercher une œuvre littéraire.il
(l’auteur) aurait éprouvé de la honte s’il avait cherché d’être heureux tout seul.
Le moi individuel travaille donc en harmonie avec le moi collectif, celui-ci
trouvant dans celui-là son porte parole ; « pour tous les gens du village ,ce qui nous
arrivait ne sortait pas de l’ordinaire .la mort fauche couramment des gens dans la
fleur de l’âge .on pleure, on se lamente à s’enrouer la voix pour une semaine, puis
on se tâte pour se dire que l’on reste après le disparu et que malgré tout, le mal est
sans remède »1.
C’est la mise en forme du projet scriptural dans le respect de cette complicité sousjacente entre l’individu et la collectivité, le citoyen et la société, l’être humain et le
monde.
Jean Déjeux, en expliquant le rapport entre « je » et « nous » dans la
production littéraire maghrébine d’expression française, cite Giles Charpentier qui a
inventé le terme de « noussoiment », ainsi : « Les auteurs maghrébins, utilisent un
« je » apocryphe, en racontant sa vie d’enfant pauvre durant le colonialisme, relève
d’un double message : à la fois un soulagement d’un passé d’enfant lourd, et aussi
dénoncer l’iniquité du système colonial. Dans l’autobiographie maghrébine et
contrairement à l’autobiographie occidentale (les confessions de J.J.Rousseau), le
« je » et le « nous » sont étroitement imbriqués ».2
1
2
Mouloud Feraoun, le fils du pauvre, Ed, le seuil, Paris, 1954,P :90
G.Charpentier, cité par J.Dejeux, in littérature maghrébine d’expression française
97
III.3. Le je(u) autobiographique dans « le fils du pauvre » :
Dans la première partie du récit autobiographique de Mouloud Feraoun « le
fils du pauvre », « c’est la voix du narrateur adulte qui domine et organise le texte.
S'il met en scène la perspective de l'enfant, il ne lui laisse guère la parole (...).il ne
s’agira plus de se souvenir mais de fabriquer une voix enfantine, cela en fonction des
effets qu’une telle voix peut produire sur un lecteur »1 L'enfance n'apparaît qu'à
travers la mémoire de l'adulte qui parle de cette époque de sa vie en utilisant le "je».
Par contre dans la deuxième partie, l’énonciation se traduit par l’articulation de la
troisième personne du singulier « il ». Cette articulation pose une problématique
quant à la position du sujet de l’énonciation et de l’énoncé : la voix narrative contrôle
le discours autobiographique, et comment le « je » est plongé dans un jeu.
Par une neutralisation du « je », tout au plus réservé aux premiers
paragraphes, le roman de Feraoun, est rédigé en grande partie à la première
personne ; le « nous » l’emporte sur le « je », comme si le nombre assurait la
puissance des majorités et la légitimité de l’institution à l’assertion.
Or l’usage de la première personne du singulier y surabonde. Renvoie-t-il pour
autant toujours au moi de l’écrivain, saisi dans sa singularité, ou s’agit-il simplement
d’une ruse littéraire ?
I1 relève d’un jeu complexe qui introduit à certains égards non seulement une
nouvelle manière d’écrire mais aussi un nouveau rapport au lecteur.
L’énonciateur se dissimule pour livrer une vérité non pas individuelle mais
collective. L’expérience est présentée comme celle de tous, désignée par différents
substituts : NOUS, ON, LES HOMMES, et même, paradoxalement, un VOUS qui
n’existe pas par opposition à un JE ou à un NOUS : « En somme, à Tizi, on se
connait, on s’aime ou on se jalouse. On mène sa barque comme on peut, mais il n’y
a pas de castes.et puis, combien de pauvres se sont mis à amasser et sont devenus
riches ?combien de riches se sont appauvris promptement avant d’être ruinés par
Saïd l’usurier, que tout le monde respecte, craint et déteste.il aura son tour, bien sûr,
1
P. Lejeune ;je est un autre. Op.cit. :10
98
il mourra dans la mendicité .la loi est sans exception .c’est ne loi divine. Chacun de
nous, ici-bas, doit connaitre la pauvreté et la richesse. On ne finit jamais comme on
débute, assurent les vieux.ils en savent quelque chose »1
Cette pluralité inclut le JE qui se solidarise avec la collectivité désignée. NOUS, ON,
VOUS, n’excluent pas le JE mais l’intègrent.
III.4. La fuite de l’individualité ou le « nous » inclusif :
«Dans nous la personne parlante c’est moi, mais parlant d’elle, elle parle en
même temps de plus qu’elle. Ce qui revient à dire que sous la personne parlante
première, il y’a plusieurs personne dont il est parlé, parmi lesquelles, incluse, la
parlante »2.
Le pronom personnel « nous » s’inscrit dans la diégèse et se change de toute sa
dimension unificatrice, et c’set ainsi que l’unité linguistique du nous se trouve
confirmée.
Le « je » du narrateur continue à exister dans le « nous ».le passage de « je » à
« nous » implique dans ces situations énonciatives une fuite du narrateur devant
l’affirmation de son individualité.
L’emploi du « nous » collectif est conçu comme un attachement pour une
société paysanne, un ancrage dans tout ce que représente et valorise cette
communauté.
Ce passage donc se représente comme un glissement vers une sorte d’auto-biographie collective :
« Nous Kabyles, nous comprenons qu’on loue notre pays. Nous aimons même
qu’on nous cache sa vulgarité sous des qualificatifs flatteurs. Cependant nous
imaginons très bien l’impression insignifiante que laisse sur le visiteur la plus
complaisant la vue de nos pauvres villages »3.
Le pronom personnel « nous » par inclusion du « je » est employé dans un sens
affectif, et chargé d’une complicité sans limites !
1
Mouloud Feraoun, le fils du pauvre, Ed, Seuil, Paris, 1954, P : 19
Narcisse Romancier, essai sur la première personne dans le roman, op.cit. : 20
3
Mouloud Feraoun, le fils du pauvre, Ed, Seuil, Paris, 1954, P : 12
2
99
III.5. L’interaction « je-nous -on», ou la plasticité des pronoms :
Le récit de vie de Mouloud Feraoun, à travers son personnage principal
Fouroulou se déroule presque tout le long des deux parties du roman en s’affirmant
sans gène avec « je ».ce n’est qu’au moments où il aborde sa famille et son village
(besoin extrême, pauvreté, conflits,…) qu’il annonce le récit de sa vie en utilisant la
première personne du pluriel « nous »,tout en signalant que ce « nous » n’est qu’un
« multi-je(ux) ».
« Lorsque je vins au monde, mon oncle n’était pas loin de la cinquantaine et
mon père de la qurantaine.ils avaient femmes et enfants. Helima, la femme de mon
oncle, est originaire du quartier d’en haut. (…) mon père était son implacable
ennemi parce qu’il déjouait toutes ses ruses. Nous savons dans la famille qu’elle a
récolté la malédiction de ma grand-mère te nous supportons son amertume ».1
Dans « le fils du pauvre », « je » ne réfère pas à une instance unique en
l’occurrence la voix du personnage(Fouroulou), lui-meme.je est donc le narrateur,
« je » est Ramdane, « je » est Lounis, « je » est Helima,… « je » est donc « nous » et
qui peut contenir le pronom personnel « il ».
Le surgissement brusque du pronom indéfini « on » au milieu du discours révèle
plus d’une question ! le narrateur, en optant pour l’usage de ce pronom veut d’une
façon implicite exclure les personnes dont représente ce pronom : c’est un mode
d’exclusion, ce n’est pas comme le pronom personnel « nous »qui représente
l’inclusion dans le groupe et la fierté d’appartenance à ce dernier :
« Je me dirigeais chez nous ensanglanté, conscient d’avoir échappé à un
assassinat puisque les témoins, eux-mêmes, ne voulaient pas croire le malheureux
Boussad(…).on ne pouvait, certes, ni douter ni les accuser de chercher honnêtement
à envenimer les choses.la première personne que je rencontrai sur le seuil de notre
porte était justement celle que la providence aurait mieux fait d’éloigner à ce
moment-là. C’était mon oncle, attiré par mes cris. (….).-on a tué mon fils, glapit ma
mère qui poussa sans hésitation un grand cri de détresse. »2.
1
2
Ibid. :22
Ibid. :36
100
La vie ne pourrait avoir de gout ou plutôt de sens sans cette relation de respect
réciproque ; car les soucis sont les mêmes et leurs problèmes sont identiques :
«Nous vivons cote à cote comme des voisins ordinaires et le temps qui
s’écoule accroit petit à petit l’indifférence des uns pour les autres. Nous savons que
nos soucis sont du même ordre, nos préoccupations identiques, nos ressources
équivalentes .nous n’avions rien à nous envier, ni à nous cacher »1
Dans le premier chapitre intitulé « la famille », l’auteur évoque la nécessité
du groupe et la collectivité à une période critique et dénonce l’isolement comme la
mort :
« mais il y’a toujours des querelles ,des brouilles passagères suivies de
raccommodements à propos d’une fête ou d’un malheur-nous sommes voisins pour
le paradis et non pour la contrariété- voilà le plus sympathique de nos proverbes
.notre paradis n’est qu’un paradis terrestre ,mais ce n’est pas un enfer.peu importe
si chaque quartier a son aïeul .on célébré depuis très longtemps des mariages entre
Karoubas, de sorte qu’à présent l’histoire du village est une, comme celle d’une
personne .il n’y a ni castes ni titres de noblesse particuliers à une famille. Nous
avons encore de nombreux poèmes qui chantent des héros communs.des héros aussi
rusés qu’Ulysse, aussi fiers que Tartarin, aussi maigres que Don Quichotte. »2.
Les formes sous laquelle se manifeste la première personne du
pluriel « nous » sont multiples (pronoms personnels, adjectifs possessifs…) .le
« nous » renvoie donc à tous les citoyens de cette localité kabyle y compris le
narrateur.
Le narrateur continue à raconter ses souvenirs d’enfances, et les moments de
jeux qu’il a passés en compagnie de son ami Akli : « il sentait confusément que
j’avais plus d’imagination et de gout que lui. Quant à moi, j’étais forcé d’admettre
qu’au-dehors il se faisait respecter mieux que moi. Nous nous complétions à souhait.
Nous fîmes ensemble notre entrée dans le monde .d’abord à la Djema du quartier,
puis dans les autres Djemas, enfin à l’école. A quel moment naquit notre amitié ?je
ne saurais le dire. (…) nous habitions la même rue ; c’est là, sans doute, que nous
nous connûmes. Cependant rien n’explique notre attachement. »3.
1
Ibid. :80
Ibid. :p :14
3
Ibid. p : 31
2
101
En évoquant, ainsi ses souvenirs d’enfance, le narrateur (Fouroulou) éprouve un
plaisir infini à se mêler, à se fondre dans ce « nous » collectif, et à en faire partie, il
y’est toujours inclus et que son enfance est celle de tout enfant Kabyle durant cette
période :
« En somme, mon enfance de petit Menrad, fils de Ramdane et neveu de
Lounis, s’écoule banale et vide comme celle d’un grand nombre d’enfants kabyles.
J ’ai gardé de cet âge, pour tout souvenir, un tableau qui me semble uniforme et terne
et que j’évoque chaque fois sans y trouver ni charme ni émotion excessive »1
III .6. L’alternance entre « on »et « nous » pour dénoncer un vécu :
Écrire en parlant de soi ou l’écriture de soi, n’est pas toujours une
exploration de sa propre biographie, elle peut être une façon de dénoncer une
situation vécue !
Le jeune Fouroulou sera très tôt conscient des difficultés économiques de
ses parents, sensibilisé en cela par le problème de la faim et de la nourriture,
omniprésent dans le roman.il fait ainsi alterner l’usage des pronoms personnels de la
première personne pour dénoncer la situation précaire des gens de son village :
«La viande est une denrée très rare dans nos foyers. Ou plutôt non ! Le
couscous est la seule nourriture des gens de chez nous. On ne peut, en effet, compter
ni la louche de pois chiches ou de fèves qu’on met dans la marmite avec un rien de
graisse et trois litres d’eau pour faire le bouillon, ni la cuillerée d’huile qu’on ajoute
à chaque repas, ni la poignée de figues qu’on grignote de temps en temps dans les
intervalles. A part cela, on a la faculté de se verdir les gencives avec toutes les
herbes mangeables que l’on rencontre aux champs (…), et l’on peut, en guise de
primeurs, manger toutes les prunes, les pommes ou les poires encore vertes que les
dents peuvent supporter. Nous sommes des montagnards, de rudes montagnards, on
nous le dit souvent. (…) C’est sûrement une question de sélection … naturelle. S’il
naît un individu chétif, il ne peut supporter le régime. Il est vite … éliminé. S’il naît
un individu robuste, il vit, il résiste. Il sera peut-être chétif par la suite. Il s’adapte.
C’est l’essentiel. »2
1
2
Ibid. p : 81
Mouloud Feraoun, le fils du pauvre, Ed, le seuil, Paris, 1954, P : 68
102
Et il n’hésite pas à dénoncer aussi la sienne et celle de sa famille. D’ailleurs, il
dénonce toujours la faim, la pauvreté et les situations misérables que vivent la plus
grande majorité des algériens :
« Mon père en effet avait beaucoup de soucis pour faire vivre sa famille. Je
n’outrepasse pas la vérité en disant que la seule utilité visible de ma scolarisation
était mon absence prolongée de la maison qui réduisait la quantité de figues et de
couscous que je mangeais. Je me souviens bien à ce propos des plaintes de ma mère
pendant les grandes vacances et de son impatience à voir la fin des longs congés. Il
lui fallait à elle beaucoup d’astuce et à mon père beaucoup de sueur pour joindre les
deux bouts »1.
Le discours dénonciateur s’organise en formation discursive qui se constitue
dans le cadre d’un espace et d’un temps, qui implique des instances d’énonciation, et
le référent autour duquel se fait l’échange entre les interlocuteurs :« Dans la langue,
la deixis définit les coordonnées spatio-temporelles impliquées dans un acte d
énonciations, c’est-à-dire l’ensemble des références articulées par le triangle : je ?
Tu– ici/ maintenant. Ce que nous appelons deixis discursive procède de la même
fonction mais à un niveau distinct : celui de l’univers de sens que construit une
formation discursive par son énonciation »2
La dénonciation est un discours assumée par les personnages .Elle est donc
un phénomène d’énonciation : « L’énonciation est présentée soit comme la relation
que le locuteur entretient par le texte avec l’interlocuteur ou comme l’attitude du
sujet parlant à l’égard de son énoncé».3
1
Ibid., P : 63
D. Maingueneau : Nouvelles tendances dans l’analyse du discours Ed, Hachette, Paris, 1987,P.28
3
J. Dubois : Énoncé, Énonciation ; Langages n° 13, cité par J.M Adam : linguistique et discours
.Théories et pratique littéraire, Ed, Larousse, Paris, 1975. P.28
2
103
IV. Le discours indirect libre (DIL) dans « le fils du pauvre » ou
l’énonciation polyphonique :
Comme nous l’avons signalé dans le premier chapitre avec la définition de
D. Mainguenau, c’est au tour de Philippe Lejeune qui définit le style indirect
comme suit :
«Le style indirect libre est une figure narrative, fondée en partie sur des
phénomènes d'ellipse. Sa fonction est d'intégrer un discours rapporté à l'intérieur du
discours qui le rapporte en réalisant une sorte de "fondu" à la faveur duquel les deux
énonciations vont se superposer. (...) Ainsi est obtenu un chevauchement des deux
énonciations : on entend une voix qui parle à l'intérieur d'une autre. Cette voix n'est
pas citée, elle est en quelque sorte mimée. »1
L’auteur ou l’écrivain cherche à restituer « la réalité », et reproduire donc
avec la plus grande fidélité le langage de son personnage, et aussi, élaborer un récit
efficace et dont la valeur esthétique est indiscutable.
Dans la deuxième partie du roman « le fils du pauvre », M. Feraoun, ne
laisse pas la parole à Fouroulou ni au narrateur ; il fait de son mieux pour
« fusionner » les deux voix, d’où l’utilisation du style indirect libre : « Fouroulou se
rappela ce qu’il avait entendu au milieu de la nuit .sa mère, avec un pauvre sourire,
lui dit qu’elle avait entendu, elle aussi. Elle manifesta une satisfaction visible en
constatant que son fils n’avait pas dormi.les filles furent un peu honteuses de leur
mauvaise conduite. Elles n’aimaient pas donc leur père, puisqu’elles n’avaient pu se
réveiller ? »2
Et des fois il associe le style indirect libre au monologue :
« -non, pensa Fouroulou. Cela démontre simplement que ma mère ne peut pas
compter sur elles, mais qu’elle peut compter sur moi pendant l’absence de mon
père ».3
Du point de vue pragmatique et sémantique, Mouloud Feraoun s’engage donc
à s’identifier à son personnage-narrateur, Menrad ;
1
Philippe Lejeune : Je est un Autre, op.cit., p.18-19.
M .Feraoun, le fils du pauvre, Seuil, Paris, 1995, P.113
3
Ibid.
2
104
« J’avais aussi la faculté d’être voleur, menteur, effronté. C’était le seul moyen de
faire de moi un garçon hardi.nul n’ignore que la sévérité des parents produit
fatalement un pauvre diable craintif, faible, gentil et mou comme une fillette » 1
En s’inscrivant dans la situation d’énonciation de ce passage, et afin de
connaitre qui est ce « je », on déduit que le « je » est pluriel, et non un « je »
singulier : pluriel car c’est le cas de tout enfant vivant seul au milieu d’une famille
composée rien que des filles, gâté par toute sa famille, et cela dans une période de
colonialisme et dans une société masculine où l’enfant est considéré comme un
protecteur et aussi comme une soupape de sécurité.
IV.1. L’autre dans l’œuvre de Mouloud Feraoun :
L’écriture est le lieu d’un choix et d’une liberté pour l’écrivain, tandis que la
langue et le style sont le produit naturel du temps et de la personne biologique. Selon
Roland Barthes l’écriture est le choix d’un comportement humain et l’affirmation
d’un certain bien :
« L’écriture est le rapport entre la création et la société, elle est la forme
saisie dans son intention humaine et liée ainsi aux grandes crises de l’histoire »2.
Les écritures commencent à se diversifier après s’être libérées de la bourgeoisie
et son idéologie au début du XIX siècle, on découvre alors ce que les critiques à
l’instar de Barthes appellent « l’écriture neutre », une écriture libérée de toute
servitude…
Dans cette perspective, R. Barthes signale encore : « (…) si l’écriture est vraiment
neutre (…), la problématique humaine est découverte et livrée sans couleur,
l’écrivain est sans retour un honnête homme »3.
C’est ainsi que Mouloud Feraoun nous relate une situation simple de la vie Kabyle et
réaliste dans un style très soigné et accessible !
L’écriture est donc pour lui est le véhicule de voix intérieures ; il fait surgir dans son
écriture le sens en exposant des images de l’espace et de la condition humaines
Kabyles pendant la période coloniale.
1
M. Feraoun, le fils du pauvre, éd, Seuil, Paris, 1995, P : 28
R. Barthes, le degré zéro de l’écriture, Seuil, Paris, 1953, P : 147
3
Ibid. p : 149
2
105
Il incite à la lecture de la structure profonde de la langue, et sans complaisance ;
« s’il nait un individu chétif, il ne peut supporter le régime.il est vite éliminé. S’il nait
un individu robuste, il vit, il résiste.il peut être chétif par la suite.il s’adapte. C’est
l’essentiel »1.
Le sujet énonciateur, n’est pas absent, au contraire ce serait plutôt le fruit d’un
rapport constant de la subjectivité de l’auteur à un fond commun. Mouloud Feraoun
apporte un témoignage bouleversant sur la période de la guerre et d’une
déshumanisation absolue.
IV.2. Écrire, ou nier le discours de l’autre :
La famille est le premier lieu commun de l’aliénation. Elle est cet espace où
l’enfant s’éveille au monde, apprend à faire ses premiers pas, à fredonner, à parler, à
agir, à réagir,…etc.
La psychanalyse y décèle l’origine des névroses. C’est là que par le simple
énoncé du nom s’opère la conversion de l’individu en sujet. L’ordre symbolique
interpelle l’enfant, lui assigne sa place dans la structure familiale qu’il régente :
« L’ordre du langage n’a pas besoin de designer un objet à (ou pour)
l’interdit, il agit pour la simple nomination des éléments de la structure, c’est-à-dire
pour la révélation verbale de leur appartenance à un tout structuré, ce qui en interdit
l’usage immédiat. Pour établir les règles de parenté, il n’a pas besoin de faire
intervenir ces signes que sont les pronoms (de personnes) : le sujet acceptant d’être
« je » se différencie immédiatement du « tu » de l’autre, et du « il » de l’objet ; ainsi,
il apprend à se connaitre pour ce qu’il est, et par la place qu’il occupe dans la
structure familiale et langagière.de cette place il ne lui faudra plus bouger sous
peine de perdre son identité subjective et sociale »2.
C’est cette place assignée au corps qui sera mise en scène par l’entreprise
autobiographique ; puisque la position s’inscrit au travers du langage, cet espace sera
travaillé par l’activité scripturale pour la dénoncer :
1
Mouloud Feraoun, le fils du pauvre, Ed, Seuil, Paris, 1954, P : 58
F. Gaillard, au nom de la loi, Lacan ; Althusser et l’idéologie, in, sociocritique, collection, coll.,
Nathan-Université, Ed, F. Nathan, paris, 1979P :17
2
106
« (…)il voulait tout simplement, comme ces grands hommes, raconter sa
propre histoire .je vous disait qu’il était modeste !loin de sa pensée de se comparer à
des génies :il comptait seulement leur emprunter l’idée « la sotte idée » de se peindre
.il considérait que s’il réussissait à faire quelque chose de cohérent ,de complet, de
lisible ,il serait satisfait.il croyait que sa vie valait la peine d’être connue, tout au
moins de ses enfants et de ses petits enfants. À la rigueur, il n’avait pas besoin de se
faire imprimer.il laissait un manuscrit »1.
L’intervention d’un énonciateur qui connait tout de Fouroulou (d’ailleurs la
deuxième partie du récit sera assumée par cet énonciateur), l’usage du discours
indirect libre et le recours à l’imparfait (le récit du rêve), relève d’une stratégie
scripturale comme négation du discours de l’autre ! Fouroulou, ne voulait pas être et
rester comme les siens ;
« En fait, celui qui raconte son rêve ne procède pas à un récit effectif,
mais présente une suite de visions qui, dans sa mémoire, sont plus au moins
concomitantes. L’imparfait marque donc ici que l’énonciateur est en train de
décimer des images isolées et non produire un récit souvent perçu comme
incohérent(…).l’imparfait marque, en effet, la coïncidence avec un repère énonciatif
situé dans le passé »2.
La description du sujet de l’énonciation affirme ainsi sa singularité.
« L’autre » dans le discours de Mouloud Feraoun, est double :le discours de son
village et sa famille, et aussi ,le discours du colonisateur qui n’aime entendre que ce
qui fait plaire ,jamais de la réalité !
La période coloniale draine avec elle des scènes de violences que la littérature
maghrébine, habitée souvent par l’esprit militant, n’a pas manqué de relater.
L’œuvre de Mouloud Feraoun, même si elle n’a pas mentionné cela, n’échappe pas
à dénoncer une situation sociale des plus difficiles !
1
M. Feraoun, le fils du pauvre P : 8
D. Maingueneau et G. Philippe, « exercices de linguistique pour le texte littéraire », Ed. Armand
colin, Paris, 2005, P : 34
2
107
Conclusion générale
Au moment de rédiger le mot de la fin, nous sommes partagés entre la joie
d’en avoir fini avec une quête de longue haleine et l’amertume de n’avoir, pas poussé
l’audace plus loin, et comme disait Louis Aragon : « et s’il était à refaire, je referai ce
chemin » !!!
La littérature algérienne de langue française a produit un certain nombre de
textes à résonance autobiographique. Le genre autobiographique peut être donc,
considéré comme fondateur de cette littérature. Certains écrivains ont essayé de
cacher leur identité, mais le projet initial est maintenu : l’autobiographie.
Le « je » dans l’œuvre de Mouloud Feraoun, balance entre la première
personne du singulier et la première personne du pluriel « nous » .un passage sans
rupture se manifeste au fil de la narration, de la première personne du singulier « je »
à la première personne du pluriel « nous ».c’est l’une des stratégies et
caractéristiques de l’écriture de Mouloud Feraoun et un grand nombre d’écrivains
algériens.
Cette stratégie scripturale chez Mouloud Feraoun dans son roman « le fils du
pauvre » n’est pas un jeu de dédoublement seulement, mais c’est aussi la
confrontation de soi à soi, une confrontation dans un double sens ou un double
mouvement : NOUS/MOI ;(...Jusqu’au jour où je franchirai moi-même, sur mes deux
pieds, le seuil de notre maison...), et puis : MOI/MOI (« je me revois ainsi, portant
une petite gandoura blanche à capuchon », « je ne me laissais pas faire aisément »).
Un intérêt majeur et qui est toujours d’actualité dans le débat de la littérature
maghrébine d’expression française, est l’ambiguïté du « je » et du « nous ».cette
position mobilise l’apport de la psychanalyse et de la linguistique surtout, en lui
permettant d’interroger certaines dimensions de l’expérience scripturale, jusqu’ici
ignorées par les théories dominantes du Maghreb.
«Je est un autre » écrivait Rimbaud. En usant d'un pseudonyme pour signer une
œuvre littéraire, il est bien connu que l'auteur veut faire croire qu'il est un autre. Il
travestit son identité, lui impose un masque ; il se présente ainsi voilé au public.
L'écrivain qui met en valeur son moi en publiant une œuvre littéraire, même s'il doit
108
dissimuler et jouer avec son identité, ne tient pas finalement à être totalement
« autre».
Par conséquent, le « je » de l'auteur identique à celui du narrateur se réalise en
tant que tel à travers le projet autobiographique qui le fait exister pour soi et pour
autrui, en l'incitant à agir pour transformer sa situation et celle d'autrui. Le projet
ainsi que son actualisation permettent d'une part au « je » de s'inscrire par rapport à la
collectivité, et d'autre part de transformer le temps en complice de " son " existence.
Dans un récit autobiographique, le pronom personnel « je » renvoie tantôt au
narrateur situé dans le passé, tantôt au narrateur situé au moment où il raconte son
histoire. Le narrateur fait alterner les passages où il raconte au passé son souvenir
d’enfance avec les passages où il s’exprime au présent pour commenter cet épisode
de son enfance, livrer ses réflexions ou évoquer sa facilité ou au contraire sa
difficulté à se souvenir.
L’alternance entre des passages narratifs où le narrateur raconte des moments passés
de sa vie et des commentaires où il s’exprime au présent est une des caractéristiques
du texte autobiographique.
En fait les textes littéraires sont cadrés dans une réalité socio-historique, mais
ce qui est fascinant chez les écrivains algériens d’expression française est cette
manière ou faculté de manipuler l’autobiographie, de se dévoiler, de parler de soi, de
sa souffrance ,en l’élargissant au groupe ,et montrer ainsi la perduration d’un
sentiment d’appartenance à une communauté d’âmes qui implique le lecteur, ce qui
parfois fait défaut à un type de littérature occidentale noyée dans l’égotisme.
C’est donc là, où résident sans doute la fascination et l’intérêt pour ce jeu entre
« je » et « nous ».
109
REFERENCES
BIBLIOGRAPHIQUES
Ouvrages de référence :
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titres,Ed,Nathan/HER, Paris,1999
genres
de
discours
aux
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1977
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5) Barthes. R, le degré zéro de l’écriture, Ed, Seuil, Paris
6) Barthes. R, « réponses » in tel quel, no 47, Ed. Seuil, Paris, 1971
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linguistique générale 1 Ed, Gallimard, Paris, 1966
10) Blanchot. M, la part du feu, Ed, Gallimard, Paris, 1949
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12) Calixthe. B « L’écriture dans la peau », Ed, Notre librairie, N 0151, JuilletSeptembre
13) Catherine Kerbrat-Orecchioni, L’énonciation, de la subjectivité dans le
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111
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35) Maurice Grevisse, « Le bon usage », Ed. Duculot, 13eme édition, 2004
112
36) Narcisse Romancier, essai sur la première personne dans le roman, coll.
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38) Ricœur. P, Soi-même comme un autre, Ed, Seuil, Paris ,1990
39) Riegel. M, Grammaire méthodique du français, Ed. PUF, Paris, 1995.
40) Sartre. J.P, L’être et le néant, Ed, Gallimard, Paris, 1943
41) Sperber D. & Wilson D. La Pertinence. Communication et cognition, Ed,
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2) Dubois. J : Dictionnaire de linguistique et des sciences du langage, Ed,
Larousse, Paris, 1994
3) Ducrot.O /T.Todorov, Dictionnaire encyclopédique des sciences du langage,
1972
4) Dupriez Bernard, les procédés littéraires (dictionnaire), union générale
d’édition, 1984
Revues, articles et mémoires :
1) Claudine Acs. In : L’Afrique littéraire et artistique, Paris, août 1971, №15
2) Djaout.T, Présence de Feraoun, in Tiddukian°14, Eté1992
3) Loubna Bekakchi, « Le jeu du "je" et du "nous «dans les échanges
langagiers » mémoire de Magister sous la direction du Professeur : Samir
Abdelhamid, responsable de l’EDAF, pole-Est
4) Nait Messaoud Amar, La dépêche de Kabylie,
5) Riegel, M.J-Cpellat &R.Rioul ; « grammaire méthodique du français », Presse
universitaire de France,1994
Sitographie :
1) Hassina. A, La nouvelle république, 23 mars 2005(page consultée le 24 juillet
2010) http://dzlit.free.fr/feraoun.html
2) Colloque international Dialogisme : langue, discours, septembre 2010,
Montpellier. http://recherche.univ-montp3.fr/praxiling/spip.php?article264
Principales œuvres de Mouloud Feraoun :
113
Le Fils du Pauvre, 1950 (roman)
La terre et le sang, 1953 (roman)
Les chemins qui montent, 1957 (roman)
Les poèmes de Si Mohand, 1960 (recueil de poésie)
Journal, 1962
Jours de Kabylie, 1968 (essai)
Lettres à ses amis, 1969 (correspondance)
L’anniversaire, 1972 (roman inachevé)
La cité des roses, 2005(roman posthume)
114
Sommaire
Introduction générale:..........................................................................................................1
Aperçu sur la littérature algérienne d’expression française.................................................7
CHAPITRE PREMIER
Au delà du « signe saussurien» ou de la phrase à l’énoncé
Introduction.................................................................................................................. 13
I.
Le langage dans le(s) contexte :une nouvelle voie pour l’analyse textuelle.......15
I.1.
la question du contexte.................................................................................16
I.2.
énonciation, énoncé et situation d’énonciation............................................17
I.2.a. énonciation et énoncé ..................................................................................17
I.2.b. situation d’énonciation ou contexte effectif de l’énonciation......................18
I.3.
la «relation »comme acte illocutoire............................................................19
I.4.
L’élément« linguistique »seul, est-il suffisant pour l’interprétation des
énoncés…………………………………………………………………...2O
I.5
II.
l’importance du contexte dans l’analyse de l’énoncé……………………..21
L’écriture autobiographique: Une projection de la personnalité?.......................22
II.1. L’autobiographie et le pacte autobiographique ……………………………22
1. a. Difficulté d’une définition de l’autobiographie …………………………23
1. b. Le « pacte autobiographique » .………………………………………….23
1. c. le pacte référentiel..……………………………………………………..24
1. d. Traits distinctifs de l'autobiographie……...……………………………..25
II.2. La psychanalyse une voie incontournable pour l’analyse biographique ….25
II.3. Pour une approche énonciative du discours autobiographique……………27
II.4. Analyse de l’énonciation autobiographique……………………………….28
II.5. Le statut de narration dans l’autobiographie ……………………………...29
5. a. Le « je » dans le texte autobiographique …………………………………30
5. b. Le « nous » inclus dans le « je » ou la voix de la société dans le texte
autobiographique ………………………………………………….......... 30
III.
Le récit autobiograpgique ou le «jeu de l’ambiguité»…………………………31
III.1.L’autobiographie : le point de vue ou le regard du narrateur…………….32
III.2. L’autobiographie en « il » ou l’écriture objective !......................................33
IV.
Le discours autobiographique e(s)t les voix multiples !.....................................36
IV.1. La notion de polyphonie chez Bakhtine ……………………………….….36
1. a. Polyphonie littéraire et polyphonie linguistique…………………….......37
1. b. Polyphonie en linguistique de l’énonciation…..………………………..38
IV.2. La polyphonie dans le discours autobiographique…. .…………………….39
IV.3. le style indirect libre; une forme de la polyphonie linguistique....................40
Conclusion...............................................................................................................42
CHAPITRE DEUXIEME
Nature et fonctionnement du pronom personnel
Introduction .......................................................................................................................44
I.les pronoms personnels de la première personne: valeurs et natures...........................45
1. La notion du pronom dans la grammaire traditionnel..............................................45
I.2.le pronom comme sujet grammatical...............................................................45
I.3.formes conjointes/disjointes ............................................................................46
II. Le pronom personnel en discours littéraire: distinction et différentes appellations...48
II.1.la théorie d’E .Benveniste et la corrélation de la personnalité………………….48
II.2.la notion d’embrayeurs et/ou de déictiques……………………………………..49
2.1. Kerbrat-Orecchioni et le notion de déictique ………………………………..50
III-nature et valeurs des pronoms de la première personne ............................................51
III.1.le pronom “je”: une propriété singulière .............................................................51
1. a) le pronom personnel “nous” et le problème de référence...............................52
III.2. la subjectivité et la distinction de personnes ......................................................54
2. a) concept et marques « de subjectivité» en linguistique ………………………56
2. b) la notion de subjectivité chez Emile Benveniste..............................................57
2. c) Kerbrat –orecchioni et la notion de «subjectivemes»......................................59
III.3.le problème de la “référence” du pronom personnel dans le discours littéraire...61
3. a) la référence dans les textes de fiction..............................................................61
3. b) l’ambigüité de la référence des pronoms personnels......................................62
3. c) La « non-personne »dans le récit, une écriture de distanciation ………… ...63
3.d) Les différents « je » dans le récit de fiction …………………………………64
IV. l’approche énonciative et la relation de coopération auteur/texte/lecteur ................67
IV.1.les sources de l’approche énonciative .................................................................68
IV.2. Le lecteur coopératif ou la relation Auteur/ Textes/ Lecteur ………………….70
IV.3. Le sujet dans la langue et identité narrative ou le qui-parle ?.............................72
IV.4. « Sujet écrivant » et « sujet de l’inconscient » ...….……………………….......74
Conclusion.......................................................................................................................76
CHAPITRE TROISIEME
Jeu et multiplicité du sujet: du “je” individuel au “je” collectif !
Introduction........................................................................................................................77
I. le fils du pauvre: autour de l’œuvre et de l’écrivain.....................................................80
I.1.biographie de l’écrivain .........................................................................................80
I.2. l’œuvre de Feraoun...............................................................................................82
I.3.résumé et thèmes abordés dans « le fils du pauvre »..............................................83
I.4.le paratexte comme premier sens de l’œuvre .......................................................84
II.la littérature algérienne d’expression française: du « nous » collectif au « je »
Individualiste..............................................................................................................86
II.1. « le fils du pauvre», une narration à la première personne?..................................87
II.2. Fouroulou e(s)t la voix plurielle…………………………………………………90
II.3.la voix du « je » autobiographique : « je » et « il » diégèse du (dé)voilement…...92
II.4.le « je » autobiographique et son double…………………………………………94
II.5.le « je » est un porte parole de la collectivité…………………………………….96
III. Le « nous » un marqueur de solidarité et symbole de sécurité et d’appartenance....96
III.1. se dire autres : le « je » n’est que « nous »……………………………………..96
III.2.harmonie du moi individuel et du moi collectif ...................................................98
III.3.le je(u) autobiographique dans le fils du pauvre...................................................99
III.4. la fuite de l’individualité ou le « nous »inclusif.................................................101
III.5. l’interaction « je-nous -on» ou la plasticité des pronoms...................................101
III.6. l’alternance entre « on» et « nous» pour dénoncer n vécu..................................104
V.le discours indirect libre dans « le fils du pauvre» ou l’énonciation polyphonique105
IV.1.l’autre dans l’œuvre de Mouloud Feraoun .........................................................107
IV.2.écrire, ou nier le discours de l’autre.....................................................................108
Conclusion générale.........................................................................................................110
Bibliographie....................................................................................................................111

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