Les opérations en Catalogne en 1808 à janvier 1810 et les
Commentaires
Transcription
Les opérations en Catalogne en 1808 à janvier 1810 et les
Les opérations en Catalogne en 1808 à janvier 1810 et les limites de la stratégie napoléonienne Colonel Thierry Noulens Cadre-professeur à l’école de Guerre Après Tilsit, qui « avait causé en France une joie profonde »1, Napoléon cru que la guerre sur terre était terminée et que le conflit qui ne l’opposait plus guère qu’à l’Angleterre, ne trouverait d’issue que sur mer. Comme il ne pouvait pas affronter la marine de guerre britannique, il décida d’appauvrir ce pays en coupant toutes ses relations commerciales avec le continent européen et de répondre au blocus maritime par un blocus continental. Il était maître de l’Europe dont il avait soumis tous les souverains à l’exception de celui d’Espagne, qui était son allié, et du Prince Régent portugais qui était toujours inféodé à l’Angleterre malgré sa défaite de 1801. La stratégie de Napoléon se trouva dominée par la servitude économique. Or si l’armée impériale avait pu lui permettre de dominer l’Europe militairement, la France n’était pas en mesure de la dominer économiquement car les routes maritimes échappaient à son contrôle. Vouloir bloquer le commerce britannique supposait donc de lui interdire tout accès à l’Europe continentale et donc d’en contrôler militairement les côtes. Pour accomplir un tel tour de force, Napoléon, parce qu’il était persuadé que la phase terrestre de la guerre était terminée crut qu’il pouvait réarticuler ses armées sans compromettre pour autant leur efficacité opérationnelle. Il pensait pouvoir former des troupes d’une valeur suffisante pour contrôler la péninsule Ibérique sans dégarnir son dispositif d’occupation de l’Allemagne. Pourtant, l’échec de Junot au Portugal et de Dupont en Espagne, semble bien montrer que cette nouvelle armée créée au début de 1808, malgré ses effectifs importants, n’était pas un outil adapté à la guerre économique qu’il voulait conduire. Et que d’autre part, en dispersant ses efforts, il ne pouvait pas faire face très longtemps à la guerre terrestre qui allait reprendre à partir de 1809. 1 THIERS M.A., Histoire du Consulat et de l’Empire, Paris, Paulin, 1849, t. 8, 687 p., p. 3. 1 Le général Philibert-Guillaume Duhesme (1766 – 1815) Les troupes envoyées en Catalogne en 1808, commandées par Duhesme2, avaient été mises sur pied au moment de cette période charnière. Leur constitution, leur organisation et leur emploi montrent bien que la stratégie napoléonienne avait atteint ses limites et que le système militaire qu’il avait mis au point n’était pas adapté au nouveau type de conflit qu’il devait mener dans un milieu géographique et humain inconnu jusqu’alors. Plus qu’au caractère irréaliste et flou de sa mission, la division d’observation des Pyrénées orientales ne 2 Duhesme, (Philibert-Guillaume, comte), né à Bourgueneuf-Val-d’Or (Saône et Loire) le 7 juillet 1766, mort des suites de ses blessures à Ways près Genappe (Belgique) le 20 juin 1815) : Commanda la garde nationale de son canton en 1789 ; capitaine au 2e bataillon de volontaires de Saône-et-Loire le 29 septembre 1791.Capitaine d’une compagnie franche levée par lui l’année suivante. Servit à l’armée du Nord. Lieutenant-colonel en 1792. Blessé en 1793, il fut nommé général de brigade à titre provisoire la même année. Confirmé dans son grade en 1794. Combattit en Belgique sous Kléber. Il se signala à Fleurus le 26 juin 1794. Passa à l’armée de Sambre-et-Meuse. Général de division le 8 novembre 1794. Envoyé à l’armée des côtes de Brest avec 12 000 hommes en janvier 1795. Retourna en Allemagne en décembre. Arrêté pour lâcheté en août 1796 puis innocenté. Servit sous Desaix, se distingua à Khel en avril 1797, où blessé à la main à la main, il battit le tambour avec le pommeau de son épée. En Italie en 1798-1799 sous Championnet puis sous Grenier. Commandant le corps de réserve de l’armée d’Italie sous Masséna en juillet 1800. Combattit sous Augereau en Allemagne à partir de septembre. Repassa à l’armée d’Italie en septembre 1805, combattit sous Masséna. Chargé d’occuper l’Istrie en décembre. Commandant le IIIe corps d’armée de Naples en février 1806. Rentra en France en septembre 1807. Nommé à la tête de la division des Pyrénées orientales le 27 janvier 1807. Commandant en chef du 1er février au 31 décembre. Occupa la citadelle de Barcelone le 29 février. Vainqueur sur le Llobrégat le 10 juin, échoua devant Girone le 20, vainqueur sur le pont d’El Rey sur le Llobérgat, le 30. Gouverneur de Barcelone le 7 septembre, il fut bloqué dans la ville par Vivès puis délivré par Gouvion Saint-Cyr. Arrêté pour malversation et abus de pouvoir, il se rendit à Montpellier en février 1810 puis se retira à Bourgneuf. Commandant supérieur de Khel le 2 décembre 1813, il participa à la campagne de France de 1814. Il servit Louis XVIII et fut nommé Pair de France. Blessé mortellement à Waterloo, il mourut dans une auberge. 2 doit-elle pas son échec final à son organisation vicieuse qui en fit un outil inadapté à ses conditions d’engagement ? La péninsule Ibérique et le blocus continental Ruiner le commerce de l’Angleterre signifiait également ruiner l’économie des pays de la péninsule Ibérique qui ne vivaient essentiellement que grâce aux relations commerciales qu’ils entretenaient ce pays. L’Espagne n’était de ce fait pas un allié sûr, comme le démontra les clauses du traité de Badajoz qui mit fin à la guerre des Oranges en 1801 : cette campagne éclair ne profita en fait qu’à l’Espagne. Par la suite l’attitude ambiguë de Godoy à la veille de la campagne de 1806, montra à Napoléon que l’Espagne était prête à rejoindre le camp anglais en cas de défaite française. Cette attitude ambiguë de l’Espagne était d’autant plus préoccupante que ce pays connaissait une crise politique grave qui le rendait instable. Or Napoléon avait absolument besoin de l’alliance sans faille de ce pays, d’une part pour en interdire les côtes au commerce anglais et d’autre part pour s’emparer du Portugal dont le Prince Régent avait toujours su préserver ses liaisons commerciales avec l’Angleterre. L’idée de répondre à un blocus maritime par un blocus continental, semblait réaliste à Napoléon car il dominait toute l’Europe à l’exception du Portugal qui lui semblait facile à conquérir militairement. Mais, grisé par les succès que son outil militaire d’une efficacité sans précédent lui avait apporté, il semblait plus animé par ses passions que par son réalisme : « Il y a dans les choses humaines un terme qu’il ne faut pas dépasser, et, d’après un sentiment alors général, Napoléon touchait à ce terme, que l’esprit discerne plus facilement que les passions ne l’accepte. »3 L’immense confiance que Napoléon avait en lui semblait être venue à bout des réticences qu’il avait eu auparavant quant à un engagement militaire dans une presqu’île alors que l’ennemi avait la supériorité maritime. Il avait rédigé en 1794 une note adressée à Robespierre dans laquelle il condamnait avec la plus grande fermeté l’idée de s’engager en Espagne : « Si les armées qui sont sur les frontières d’Espagne embrassaient le système offensif, elles entreprendraient une guerre qui serait à elle seule une guerre séparée. L’Autriche et les puissances d’Allemagne n’en ressentiraient rien… Cette guerre absolument isolée n’obligerait la coalition à aucune diversion. L’Espagne est un grand Etat ; la mollesse 3 Ibid., p. 4. 3 et l’ineptie de la cour de Madrid, l’avilissement du peuple la rendent peu redoutable dans ses attaques. Mais le caractère patient de cette nation, l’orgueil et la superstition qui y prédominent, les ressources que donne une grande masse, la rendront redoutable lorsqu’elle sera pressée chez elle. L’Espagne est une presqu’île ; elle aura de grandes ressources dans la supériorité de la coalition sur mer… (…) Frapper l’Allemagne, jamais l’Espagne. »4 Mais l’idée de mettre un prince français sur le trône d’Espagne, semblait être assez ancienne chez Napoléon. Il en était question dans des conversations et des écrits rapportés par de nombreux documents, mais il semble bien que ce ne fut qu’en novembre 1807 que Napoléon décida de mettre ce projet à exécution5. Francisco Goya (1746–1828), La familia de Carlos IV, 1800-1801. Museo del Prado, Madrid Sur ce tableau de Goya, qui s’est représenté en haut à gauche, toute la famille royale espagnole est représentée. De la gauche vers la droite : l’infant Carlos María Isidro, le futur Fernand VII alors prince des Asturies, la sœur du roi María Josefa, la fiancée de Fernand María Antonieta, l’infante María Isabel, la reine María Luisa, l’infant 4 COLIN (capitaine), L’Éducation militaire de Napoléon, Chapelot, 1900, pièce justificative n° 12. Cité par CASTEX Raoul (amiral), Théories stratégiques, Paris, Economica, 1997, t. V, 651 p., p. 227 et 239. 5 CASTEX, op. cit., p. 230. 4 Francisco de Paula, le roi Charles IV, le frère du roi Gabriel Antonio, la sœur du roi Carlota Joaquina, le duc Parme Luis (futur roi d’Etrurie) et son fils Carlos Luis dans les bras de sa femme l’infante María Luisa. Jusqu’à cette période, Napoléon semblait sincèrement ne vouloir s’emparer que du Portugal. Il considérait toujours l’Espagne comme un allié dont le concours lui était indispensable pour mener à bien ses projets. L’arrestation du prince des Asturies lui fit prendre conscience que les intrigues incessantes de la cour d’Espagne et l’instabilité politique chronique de son allié pouvaient compromettre la réalisation de son blocus continental. Ce fut sans doute la raison qui le poussa à trahir son allié espagnol malgré les traités de San Ildefonse (1796 et 1800) et surtout celui de Fontainebleau qui venait à peine d’être signé (29 octobre 1807). Il pensait sans doute pouvoir se rendre facilement maître de l’Espagne comme il l’avait fait pour les autres pays européens grâce à ses armées. Mais le nombre de kilomètres de côte à interdire au commerce anglais dont l’Espagne avait un besoin vital et le contrôle de la soumission du pays allait nécessiter un nombre incroyablement élevé de troupes. En outre les armées françaises dont la supériorité se manifestait dans les guerres offensives, étaient peu adaptées à ce genre de mission. En fait, Napoléon « va offrir soudain à la puissance de la mer [l’Angleterre], de lui-même, un terrain où elle pourra mener contre la terre une attaque parfaite, à haut rendement, infiniment plus fructueuse que toutes les caricatures d’offensives auxquelles elle s’est livrée jusque là. Ce terrain sera la péninsule Ibérique. »6 L’Espagne, théâtre éloigné du centre de gravité des armées napoléonienne était un pays aux caractéristiques géographiques et humaines très différentes de celles des autres pays d’Europe qui avaient été jusqu’alors le théâtre des guerres. Le terrain y était montagneux et d’autant plus difficile à parcourir que les routes y étaient rares et mal entretenues. Le climat continental rendait l’hiver glacial et l’été torride. Les troupes napoléoniennes, dont la force reposait, contre un ennemi classique, sur la mobilité et la concentration des efforts, allaient donc être particulièrement peu adaptées à ce pays dans lequel elles durent faire face à une insurrection d’une ampleur jamais égalée jusqu’alors. L’armée napoléonienne, un outil militaire d’une efficacité sans précédent… L’armée de Napoléon avait été imaginée et conçue par lui pour remporter rapidement une bataille décisive contre son ennemi. La mise au point de son système était le fruit d’un double héritage qu’il avait su mettre à profit pour constituer une armée d’une efficacité sans 6 Ibid., p. 227. 5 précédent. Napoléon a tout d’abord hérité des réformes et des innovations de la fin de la Monarchie : l’adoption système divisionnaire, l’adoption du système d’artillerie Gribeauval et, pour la tactique de l’infanterie, l’adoption du règlement d’emploi de 1791. Le système divisionnaire qui apparut à la fin de la Guerre de Sept Ans, fut mis au point par le Maréchal de Broglie en 1759. Les armées, avant cette date marchaient sur un seul axe ce qui, d’une part épuisait le pays et d’autre part demandait énormément de délais pour le déploiement en ordre de bataille. La capacité de manœuvre s’en trouvait considérablement amoindrie. La bataille décisive était donc impossible à obtenir et les guerres traînaient en longueur. Le maréchal de Broglie décida de diviser sa colonne en unités interarmes et de les faire marcher sur des axes différents relativement proches de façon à pouvoir les regrouper au moment de la bataille. Chaque division comportait de l’infanterie, de la cavalerie et de l’artillerie. En 1770 Guibert, conceptualisa le système divisionnaire qui fut adopté par l’ordonnance de 1788. Les armées de la Révolution allaient, pour la première fois employer ce système en campagne. La deuxième amélioration, permettant une meilleure mobilité opérationnelle était d’ordre technique. La tactique était bloquée sous l’Ancien Régime en partie parce que l’artillerie ne pouvait pas accompagner l’infanterie. Les pièces du système Vallières de 1732 étaient d’un poids bien trop élevé pour pouvoir le faire. En outre, le système d’attelage « à limon », c’est à dire avec les chevaux les uns derrière les autres, ne permettait de manœuvrer ni au galop, ni même au trot. Lors d’une bataille, une fois que l’artillerie était en place, elle ne bougeait pratiquement plus. Le système mis au point par Gribeauval (1715 – 1789) permit de pallier ces inconvénients. L’allègement des pièces et l’adoption d’un système d’attelage « au timon » avec des chevaux deux par deux, permirent des déplacements au cours d’une bataille et une mise en batterie au galop. L’artillerie pouvait désormais accompagner non seulement l’infanterie mais également la cavalerie. La poursuite et l’anéantissement de l’ennemi étaient rendus possibles. 6 Comparaison technique des systèmes Vallières et Gribeauval Calibre Vallières 1732 Gribeauval 1765 12 livres 1,6 t. 0,88 t. 121 mm 8 livres pas 1,05 t. 100 mm 4 livres 12 chx 8 chx trot 0,580 t. pas 0,525 t. 4 chx néant 4 chx Galop 0,290 t. 84 mm Obusier 6 chx 0,330 t. 6 pouces 4 chx Bricole galop pied à 4 chx galop 166 mm Pièce de 4 du système Gribeauval La dernière amélioration apportée sous la Monarchie concernait le niveau tactique. Les fusils à silex, adoptés au début du XVIIe s., n’étaient réellement efficaces qu’au tir par salves. C’est pourquoi il fallait que la première ligne fût la plus étendue possible. Aussi, au XVIIIe s. un bataillon d’infanterie était-il disposé sur un front de 80 hommes alignés sur trois rangs. Non seulement les dispositifs étaient très long à mettre en place, car il fallait passer de la colonne à la ligne, mais en plus, une fois la ligne formée, elle était très difficile à commander et à faire manœuvrer, ce qui empêchait la poursuite et l’exploitation en cas de retraite de l’ennemi. En France, certains, comme le chevalier de Folard ou son disciple Meslin Durand, pensaient qu’il ne fallait pas se mettre en ligne mais combattre en colonne. D’autres étaient les partisans inconditionnels de la ligne, c’est ce qui est resté dans l’histoire sous le 7 nom de « la querelle de l’ordre mince et de l’ordre profond ». Frédéric II de Prusse pensa avoir trouvé la solution avec le fameux « ordre oblique » mais la bataille de Künersdorf où il fut battu par les Russes en 1759 montra que ce système atteignait rapidement ses limites. Guibert eu alors l’idée de diviser les compagnies d’infanterie en deux pelotons. La manœuvre se fit alors à ce niveau ce qui permit de passer très rapidement de la colonne à la ligne et de pouvoir tout aussi rapidement disposer un bataillon en carré contre une charge de cavalerie. Ces dispositions furent entérinées par le règlement d’infanterie de 1791. Ces innovations organiques, tactiques et techniques allaient permettre le retour à la manœuvre des armées sur les théâtres d’opérations et sur les champs de bataille. Les armées de la Révolution surent en tirer profit en y apportant des modifications qui accrurent encore l’efficacité des armées. Sous l’Ancien Régime, la troupe était constituée en grande partie par le rebus de la société. Les hommes coûtaient chers et combattaient plus pour celui qui les soldait que pour leur Patrie. La Révolution bouleversa les rapports entre l’armée et la nation. Avec la conscription, les soldats devinrent une ressource bon marché et quasiment inépuisable. Les chefs militaires n’hésitèrent donc plus à les engager en rase campagne dans des batailles meurtrières. La substitution du soldat-citoyen au soldat-mercenaire allait en outre changer l’esprit des combattants et surtout de l’ensemble de la nation qui fut dès lors impliquée dans la guerre. Avec le décret d’août 1793, « tous les Français sont en réquisition permanente pour le service des armées » pour défendre la Patrie, qui était en danger, et pour détrôner les « tyrans » qui opprimaient les peuples européens. La guerre devint idéologique. C’est en partie pour conserver les frontières héritées de la Révolution que Napoléon refusa tout compromis avec l’Angleterre. Ce soldat-citoyen, contrairement au soldat-mercenaire, devait vivre sur le pays qu’il traversait. La rusticité était son lot quotidien. Cela permit d’alléger considérablement la logistique : les hommes ne dormaient plus dans des camps de tentes, qui étaient très longs à installer, mais chez l’habitant ou, tout simplement autours de feux de camp. Cet allégement de la logistique permit de rendre les armées encore plus manœuvrières. Cependant il présentait le fâcheux inconvénient qu’une troupe qui devait traverser des régions désertes se retrouvait sans rien à manger parfois pendant des jours et surtout il poussait les soldats affamés à piller l’habitant, ce qui rendit les armées françaises extrêmement impopulaires en Europe. L’organisation divisionnaire fut grandement améliorée avec la création des corps d’armée. L’organisation d’une armée en divisions interarmes identiques rendait impossible la 8 concentration des efforts car chaque division avait tendance à combattre de façon pratiquement autonome. C’est pourquoi elles furent regroupées dans de plus grandes unités, tout d’abord de façon provisoire puis de façon organique en 1803 quand elles prirent l’appellation de corps d’armée. Les corps d’armée, qui étaient généralement commandés par les maréchaux, étaient les unités de manœuvre de l’armée impériale au niveau opératif. Ce fut cette articulation qui fit la force de l’armée française à cette époque. La manœuvre napoléonienne n’était réellement efficace que lorsque l’Empereur pouvait mettre en œuvre plusieurs corps d’armée afin d’obtenir un effet de surprise et une concentration des efforts sur un champ de bataille choisi par lui et contre un ennemi qui lui était numériquement inférieur. De même le schéma tactique appliqué par lui lors de bataille était fondé sur une manœuvre de déception sur une aile qui contraignait l’ennemi à affaiblir une partie de son front pour faire face à cette nouvelle menace. Napoléon lançait alors ses réserves à l’endroit du front que l’ennemi avait dégarni. Mais pour que cette tactique fût efficace, il fallait un « coup d’œil » et un sens de la bataille que seul Napoléon possédait. Une autre force de l’armée napoléonienne tenait au fait qu’elle était commandée par un seul homme qui s’appuyait sur un état-major très bien organisé dont le chef était Berthier. Cet état-major menait des études et collectait le renseignement en vue des opérations futures. Après que Berthier les avait mis en forme, il transmettait les ordres de l’Empereur. Mais cet état-major ne s’occupait pas des unités engagées sur les autres théâtres. Napoléon les dirigeait personnellement et comptait sur les états-majors de ses subordonnées pour concevoir et mettre en œuvre la manœuvre opérative sur place. Si Napoléon était très directif au niveau stratégique et avait même tendance à s’immiscer dans le commandement opératif de ses subordonnés, il était en réalité peu au fait de la situation réelle des théâtres d’opérations éloignés dont il n’avait les comptes-rendus qu’avec retard. Ce système de commandement permettait à Napoléon de donner une très grande cohérence à toutes les opérations qu’il menait en Europe au niveau stratégique mais avait comme principal inconvénient de semer la confusion sur les théâtres éloignés dont les chefs étaient en fait livrés à eux même pour exécuter des ordres envoyés à distance par l’Empereur. Les chefs d’armée ou de corps d’armée étaient paralysés dans l’attente d’une décision impériale qui arrivait généralement trop tard lorsque la situation avait changé. Ce qui faisait la force principale des armées impériale était son infanterie. Elle représentait environ 65 % des effectifs. En décembre1806, elle comptait 89 régiments de ligne et 26 d’infanterie légère. Le régiment comprenait trois bataillons : deux de guerre et un de 9 dépôt (instruction)7. Un bataillon de guerre comptait 9 compagnies (une de grenadiers, une de voltigeurs et 7 de fusiliers)8. D’un effectif théorique de 123, une compagnie en campagne n’alignait, le plus souvent qu’environ 80 hommes. Mais qui ne peut plus répondre aux ambitions stratégiques démesurées de Napoléon Avec l’ampleur que prirent les opérations militaires, et étant donné la surface de terrain de plus en plus élevé qui devait être tenue par les armées de l’Empire, Napoléon fit de plus en plus appel à des soldats étrangers. En 1805, il disposait de 4 régiments suisses à 4 bataillons, chacun de 10 compagnies, de la Légion irlandaise, à 2 bataillons, du régiment étranger de la Tour d’Auvergne, à 2 bataillons, de la Légion hanovrienne, à 2 bataillons9, de la Légion du Midi, régiment de ligne à 2 bataillons d’origine piémontaise, des tirailleurs du Pô, également piémontais, régiment d’infanterie légère à 2 bataillons, généralement associé au bataillon léger des Tirailleurs Corses. A ces soldats de nationalité étrangère s’ajoutaient les conscrits recrutés dans les territoires annexés. Ils avaient la nationalité française mais chez eux le sentiment d’appartenance à la nation française était beaucoup moins forts que chez les recrues issues de la France des frontières de 1789. En 1808 ce système commença à être mis à mal. Le blocus continental nécessitait non seulement des effectifs importants pour pouvoir garder toutes les côtes européennes mais également une organisation militaire qui pût permettre de former rapidement des divisions pour intervenir là où le besoin se faisait sentir sans pour autant dégarnir les dispositifs déjà en place. Il s’agissait de pouvoir rapidement concentrer ses efforts. C’est pourquoi Napoléon se lança dans une grande réforme militaire au début de 1808. 7 Une vingtaine de régiments comptaient trois bataillons de guerre. Les grenadiers et les voltigeurs étaient des soldats d’élite. Dans l’infanterie légère les fusiliers étaient appelés « chasseurs » et les grenadiers « carabiniers ». 9 Constituée à l’origine lors de l’invasion du Hanovre par l’armée française en 1803, cette troupe servira plus tard en Espagne dans le VIe Corps, 8 10 L’Europe et le blocus continental 1807 -1812 Atlas historique, Paris, Stock, 1976. Pour augmenter ses effectifs, Napoléon, après avoir demandé au printemps 1807 l’appel de classe 1808, fit appel en janvier 1808 à celle de 1809. Regnaud de Saint Jean d’Angély, auteur du rapport présenté au Sénat, affirma que si la conscription 1808 avait été le signal et le moyen de la paix continentale, la conscription 1809 serait le signal de la paix maritime10. Cette classe permit d’augmenter les effectifs sous les armes de 80 000 hommes. L’armée française atteignit 900 000 hommes, ce qui, ajouté aux 100 000 hommes de armées alliées, portait l’effectif total des armées napoléoniennes à un million d’hommes. Avec de tels 11 effectifs, jamais atteints dans l’histoire, Napoléon se sentit invincible. Ce fut sur cette puissance militaire extraordinaire qu’il s’appuya pour mener sa politique étrangère. Mais pour faire face sur tous les fronts Napoléon voulut une organisation militaire que l’on qualifierait de « modulaire » de nos jours : les régiments, et surtout les bataillons de dépôt ne devinrent que des « réservoirs de force » dans lequel il pourrait puiser les effectifs nécessaires à la constitution de forces envoyées en opérations là où le besoin se ferait sentir. A cet effet il voulut convertir ces 120 régiments en 60 légions composées de 8 bataillons. Il voulait des bataillons de 700 à 800 hommes car avec les moyens de commandement de l’époque, c’était l’effectif maximum que pouvait commander un seul homme sur le terrain. Il voulait mettre à la tête de chacune des légions un général de brigade assisté de deux colonels et d’un major (lieutenant-colonel). Chaque légion n’aurait qu’un bataillon de dépôt, ce qui en diminuerait le nombre. Mais cette organisation aurait trop dénaturé le régiment sur lequel l’organisation de l’infanterie reposait. Face aux objections de Lacuée et de Clarke, son ministre de la Guerre, Napoléon se contenta d’un projet moyen. Le décret signé le 18 février 1808 fixa à cinq le nombre de bataillons par régiment : quatre de guerre et un de dépôt. Le nombre de compagnies pour les bataillons de guerre fut ramené à six dont une de grenadiers et une de voltigeurs. Les compagnies devaient être à 140 hommes. Les bataillons de dépôt, commandés par les majors, furent à quatre compagnies. Chaque régiment devait compter 3 970 hommes dont 108 officiers. Le régiment devenait un simple échelon administratif, il pouvait avoir son dépôt sur le Rhin, deux bataillons en Espagne, un en Normandie et un en Allemagne par exemple. Cette réforme, qui répondait à un besoin stratégique, affaiblissait donc l’esprit de corps des régiments en en dispersant les unités au quatre coins de l’Europe. Les autres armes furent moins touchées par cette réforme. La cavalerie (25 % des effectifs) conservait son organisation régimentaire. En 1807, on comptait cinq subdivisions dans cette arme : cuirassiers, carabiniers, dragons, chasseurs à cheval et hussards. Les régiments de cavalerie étaient organisés à 4 escadrons de guerre de 2 compagnies, généralement à 80 sabres et un escadron de dépôt (5e escadron). Les armes d’appui étaient également organisées de façon être employées le plus souplement possible. Dans l’artillerie, le régiment n’était qu’une unité administrative qui mettait ses batteries (unités élémentaires du niveau de la compagnie) à la disposition des corps d’armée ou des divisions d’infanterie. Les attelages des pièces étaient armés par des soldats des bataillons du train d’artillerie. Les bataillons du train des équipages fournissaient, quant à eux, les moyens de transport 10 THIERS, op. cit., p. 398. 12 logistique. Les unités du génie étaient regroupées également en bataillons de sapeurs ou en compagnies de mineurs. Ces unités, comme celles de l’artillerie étaient réparties dans les corps d’armée en fonction des besoins. En fait en voulant appliquer les règles de gestion des armes d’appui à son infanterie, Napoléon va la rendre moins efficace en amoindrissant sa supériorité morale. D’autre part la manœuvre napoléonienne n’était adaptée qu’à une guerre classique. Elle reposait sur deux grands schémas : la manœuvre sur les derrières, qui consistait à couper son adversaire de ses bases en tombant sur ses arrières (Ulm 1805, par exemple) et la manœuvre en position centrale qui permettait de battre alternativement deux armées coalisées en se positionnant entre elles (comme en Italie en 1796). Dans un conflit où l’ennemi était partout et où le terrain était très compartimenté, ces deux manœuvres ne lui furent d’aucune aide. Napoléon avait donc su tirer un grand profit de l’héritage militaire qu’il avait reçu de la Monarchie et de la Révolution. Mais cet outil militaire, très efficace dans une campagne classique, allait être dénaturé pour les besoins du blocus continental. La mise en œuvre de celui-ci poussa en effet Napoléon à disperser ses efforts non seulement au niveau stratégique mais également au niveau opératif en ce qui concerne le théâtre de guerre ibérique. Une fois Madrid prise, l’armée française ne fut pas en mesure de contrôler le pays, car la capitale de l’Espagne, contrairement à d’autres pays européens n’en représentait pas le centre de gravité. Un plan de campagne classique dont les objectifs sont la destruction de l’armée adversaire et la conquête du terrain Ce fut pendant le voyage qu’il effectua en Italie du 21 novembre 1807 au 1er janvier 1808 que Napoléon donna ses ordres pour organiser l’armée d’Espagne. Le plan de campagne qu’il imagina pour conquérir l’Espagne, s’apparentait à une manœuvre sur les derrières. C’était Madrid qui constituait son objectif principal. A cet effet, Napoléon avait préparé deux corps qui feignant d’aller porter secours à Junot au Portugal devaient se rabattre sur la capitale espagnole et s’en emparer. Le 2e corps d’observation de la Gironde fut créé et mis sous les ordres du général Dupont par décision du 16 octobre 1807. Sa mission était de soutenir Junot. Fort de 23 à 24 000 hommes, il comprenait les bataillons issus des cinq « légions de réserve » (6 bataillons de 8 compagnies chacune), de 2 bataillons de la Garde Municipale de Paris, de 5 bataillons d’infanterie légère et de 4 bataillons suisses. La majorité des hommes appartenait à la classe 13 de 1808. Leurs cadres laissaient beaucoup à désirer. Napoléon, qui semblait vouloir attirer les Anglais au Portugal, pensait que pour affronter l’infanterie britannique et, plus encore les armées méridionales, cela suffirait amplement. Le corps d’observation des côtes de l’Océan sous Moncey fut créé à son tour le 5 novembre. Formé initialement pour assurer les liaisons de Junot et de Dupont avec la France, il devait compter 34 000 hommes. Il fut créé à partir de la « division provisoire de réserve » composée avec les dépôts de divers régiments d’Allemagne. Les effectifs furent complétés par des troupes du camp de Boulogne et des troupes étrangères (Irlandais et Westphaliens). Dupont se mit en marche, sur l’ordre de Napoléon et pénétra en Espagne le 22 novembre 1807. La frontière espagnole « était considérée comme une démarcation abolie. »11 La première division de Dupont était à Vitoria avant que Beauharnais12 eût donné avis de ce mouvement au cabinet de Madrid. La ville était en pleine agitation après le pardon accordé par Charles IV à son fils. Dans ce conflit qui les opposait, Napoléon se posait de plus en plus en arbitre. Charles IV lui écrivit dans ce sens, mais la décision d’envahir l’Espagne et d’y détrôner les Bourbons était déjà prise. Napoléon prit prétexte de son voyage en Italie pour gagner du temps. Il fit dire au roi que les affaires de l’Italie l’accaparaient entièrement et qu’il ne pouvait pas lui répondre avant son retour en France. En fait il pensait plus que jamais à l’Espagne. Il donna des ordres pour compléter son dispositif d’invasion. Moncey suivit Dupont le 9 janvier 1808. Mais ces deux corps d’armée ne semblèrent pas suffire à Napoléon. Ils devaient se diriger par la route de Burgos et de Valladolid pour feindre un déplacement vers le Portugal. « Cette expédition ayant été concertée avec le gouvernement espagnol, il était plausible de masser dans les Basses-Pyrénées, avec l’assentiment de la Cour de Madrid, de grandes ressources en hommes et en approvisionnements, puisque c’était par les BassesPyrénées que passait la route plus directe du Portugal. »13 En plus de tromper les Espagnols sur ses intentions réelles, cette route offrait de nombreux avantages à Napoléon. Elle lui permettait de rabattre facilement ces corps vers Madrid et, de plus, elle était la route la plus commode pour atteindre cette ville : faire passer sa masse principale par la Catalogne ne lui aurait permis de l’atteindre qu’au prix d’efforts extraordinaires. 11 THIERS, op. cit., p. 347. François de Beauharnais, oncle paternel d’Eugène. 13 GRASSET Alphonse-Louis (capitaine), La Guerre d’Espagne, Paris, Berger-Levrault, 1914, t. 1, 487 p., p. 292. 12 14 Duhesme en Catalogne, une expédition préparée négligemment avec des objectifs mal définis Cependant, Napoléon ne pouvait pas se permettre d’engager au cœur de l’Espagne tous ses moyens sans s’être assuré de la sûreté de ses arrières. C’est pourquoi il lui fallait se rendre maître de Pampelune et de Barcelone pour disposer ainsi de deux bases solides pour s’avancer vers Madrid. Deux nouvelles divisions furent donc créées pour remplir ces missions. Il était prévu que leur volume devait augmenter progressivement pour atteindre celui d’un corps d’armée. Le corps d’observation des Pyrénées occidentales fut créé le 6 décembre à Saint-Jean-Pied-de-Port sous Mouton puis Merle. Constitué initialement avec cinq bataillons tirés des dépôts de Junot14 et un bataillon suisse. Sa mission était de s’emparer de Pampelune. Pour s’emparer de Barcelone et contrôler la Catalogne, Napoléon décida de créer une autre division appelée à devenir le corps d’observation des Pyrénées orientales. Il choisit de la 14 Ces bataillons appartenaient aux 15e, 47e, 70e et 86e régiments de ligne. 15 former de régiments italiens et napolitains, qui étaient organisés comme les régiments français mais dont les hommes avaient peu d’expérience de la guerre. Napoléon avait pour la Catalogne un intérêt particulier. Il caressait depuis longtemps l’idée de faire de la Catalogne une « marche d’Espagne ». Dans ses conversations avec Talleyrand il avait émis l’idée d’occuper cette province, « la moins espagnole de l’Espagne », au moins jusqu’à la paix avec l’Angleterre, et peut-être définitivement, en donnant une partie du Portugal en compensation à la Cour de Madrid15. Napoléon avait bien conscience que la Catalogne avait un esprit qui aurait pu la détacher de l’Espagne. Mais cette province ne vivait que grâce à son commerce avec l’Angleterre, aussi le blocus continental en l’appauvrissant y créa-t-il un fort sentiment anti-français. Pour permettre à une expédition militaire française de s’emparer facilement de Barcelone, le secret des préparatifs de l’invasion devait être bien gardé. La préservation de ce secret et le souci de ne pas dégarnir ses garnisons en Allemagne, poussa Napoléon à demander à Eugène, vice-roi d’Italie, de commencer à concentrer des troupes d’Italie, françaises et italiennes, dans le nord du pays et dans le sud de la France, sans lui dévoiler ses intentions. Il lui prescrivit le 29 octobre de tenir prêtes à Gênes, six compagnies du 3e bataillon du 67e de ligne, et six autres du 16e à Toulon. Le 2 novembre, il lui demanda de faire venir à Novare un bataillon du 5e régiment de ligne italien et d’y concentrer une division italienne de 5 à 6 000 hommes, par la même lettre il lui demanda aussi de ramener à Milan la division italienne de Stralsund16. Le 11 novembre, Clarke reçut l’ordre de hâter la marche d’une division traversant le mont Cenis et de la diriger vers Avignon et de faire préparer 200 000 rations de biscuits à Perpignan. Napoléon lui recommanda le secret le plus absolu quant à la destination de ces troupes, secret qui devait être gardé au moins jusqu’au 25 novembre. A cette date, Dupont devait rentrer en Espagne et Napoléon pensait que la concentration d’une division dans le Roussillon devrait passer inaperçue. Pour l’heure, les approvisionnements envoyés sur la frontière espagnole étaient officiellement destinés aux troupes de Dupont. La concentration des troupes se fit en Avignon à partir de novembre 1807. Le 24 de ce mois, le général Lechi17 fut chargé de sa montée en puissance. Quatre bataillons italiens, 3 15 TALLEYRAND, Mémoires, t. 1, p. 329, cité par GRASSET op. cit., t. 1 p. 293. Ville de Poméranie. 17 Lechi (Joseph) (1767 – 1836) : Général italien. Il avait d’abord servi dans l’armée autrichienne puis il s’occupa de la levée de la légion cisalpine de 1796 à 1797. Général de brigade au service de la France et chargé de réunir la légion italique à Dijon en 1799. Il se fit remarquer à Marengo et fut nommé général de division le 24 juin 1800. Membre du corps législatif italien le 26 janvier 1802. Il servit en Italie sous Gouvion-Saint-Cyr en 1803, puis sous Duhesmes en 1806. Il servit en Espagne de 1808 à 1809. Il fut arrêté en 1810 pour concussion et abus de pouvoir en Catalogne et écroué. Il fut renvoyé à la frontière de Naples en 1813 à la demande de Murat et 16 16 de Turin et un de Gênes et un régiment napolitain qui était à Grenoble pour s’aguerrir y furent envoyés. Quatre compagnies et un escadron napolitains, formant 6 à 700 chevaux ainsi que la 11e compagnie d’artillerie à pied italienne les y rejoignirent. Cinq régiments français de chasseurs à cheval18 et quatre de cuirassiers19 avaient été transportés en Pologne l’hiver précédent mais avaient conservé leur dépôt en Piémont, bien fournis en hommes et en chevaux. Napoléon en tira le volume d’une brigade de cavalerie à 1 400 chevaux qu’il réunit à Turin sous Bessières20, avant de les diriger sur la France. Le 7 novembre, Napoléon ordonna qu’un bataillon de 1 200 hommes, tirés des 3e et 4e bataillons du 2e régiment suisse partent de Marseille pour Perpignan. Comme on ne put rassembler que 26 officiers et 430 sous-officiers et soldats, Clarke décida qu’il serait complété à 1 200 plus tard. En fait le bataillon entra en Catalogne avec 23 officiers et 320 soldats seulement. Ce bataillon se rendit directement à Perpignan où il arriva le 7 décembre 1807, précédant de deux jours le 3e bataillon du 16e de ligne (9 officiers et 847 sous-officiers et soldats)21. Grenadiers des Vélites de la garde royale italienne L’uniforme est blanc à parements verts repris du service dans l’armée du royaume des Deux Siciles. Il combattit contre la France en 1814 puis contre l’Autriche en 1815. Il rentra dans ses foyers après la convention de Casalanza le 20 mai 1815. 18 Il s’agissait des 14e, 15e, 19e, 23e et 24e régiments de chasseurs à cheval. 19 Il s’agissait des 4e, 6e, 7e et 8e régiments de cuirassiers. 20 Bessières (Bertrand) (1773 –1854) : général de cavalerie, frère du maréchal. 21 SHD/Terre : C8 351. 17 Le 6 décembre, le général Lechi fut nommé commandant provisoirement la division d’observation des Pyrénées orientales et la division fut créée officiellement par décret le 23 décembre. Le même jour Napoléon écrivit à Clarke deux lettres. Dans la première il lui donna la composition de la division : « la 1re brigade, formée des bataillons des 2e, 4e et 5e régiments d’infanterie italienne, et du bataillon des vélites [de la garde royale italienne] ; la 2e brigade, du bataillon suisse, du bataillon français du 16e [régiment d’infanterie de ligne] et du 1er régiment d’infanterie napolitain. » Il lui demanda « de nommer, pour commander cette brigade, un des généraux de brigade de la Grande armée. (…) La cavalerie serait composée d’un régiment provisoire de chasseurs qui se [réunissait] à Milan, d’un régiment provisoire de cavalerie italienne, auquel sera joint un escadron napolitain, et d’un régiment provisoire de chasseurs et de cuirassiers que commande le général Bessières. » En ce qui concerne l’artillerie il lui prescrivit de procurer à cette division douze pièces d’artillerie à pied et six d’artillerie à cheval, avec la compagnie du train italien (de la garde royale) et la 6e compagnie du 7e bataillon bis22 du train pour ses attelages. Dans la seconde lettre, il lui donna des ordres pour Dupont, Moncey et Mouton, et ordonna que la division du général Lechi se réunisse à Perpignan pour le 1er janvier avec trois généraux de brigade pour la commander. Il supposait que la division était forte de 8 à 10 000 hommes. Le général Joseph Lechi (1767 – 1836) 22 Napoléon se trompait, en fait il voulait parler du 6e bataillon bis du train, l’erreur fut rectifiée par Clarke. 18 Le 29 décembre, les 200 000 rations de biscuits furent transportés de Perpignan à Bellegarde et, le 1er janvier 1808, les troupes entamèrent leur mouvement d’Avignon vers Perpignan où elles commencèrent à arriver à partir du 17 janvier. En fait la montée en puissance de la division Lechi rencontrait des problèmes que l’Empereur ne soupçonnait pas. Le 9 janvier, le commandant de la 6e compagnie du 6e bataillon bis du train quitta Avignon pour Perpignan avant d’avoir reçu ses chevaux qu’il devait y recevoir à la fin du mois. Le 21 janvier le ministre fit part de son étonnement au commandant du bataillon en lui écrivant : « Vous auriez dû observer que les compagnies du train ne peuvent être employées qu’avec leurs chevaux. » Il fallut envoyer une autre compagnie percevoir les chevaux à Avignon et les accompagner jusqu’à Narbonne où ils devaient être perçus par la 6e compagnie, ce qui fit perdre un temps précieux23. En outre Napoléon n’avait désigné qu’une compagnie d’artillerie à pied et aucune à cheval, or il avait ordonné qu’il y ait à la division 12 bouches à feu servies par l’artillerie à pied et 6 par l’artillerie à cheval. Les 18 canons étaient disponibles à Perpignan le 6 février avec leurs attelages mais il n’y avait que la compagnie d’artillerie à pied italienne pour les servir. Pourtant dès le 1er janvier Clarke avait proposé de désigner la 7e compagnie du 2e régiment d’artillerie à cheval, qui tenait garnison à Valence (France), et une compagnie d’artillerie à pied tenant garnison dans l’île d’Aix pour rejoindre la division. Cette proposition étant restée sans réponse, il ne la renouvela que le 28 janvier. Ce ne fut que le 31 janvier que l’ordre fut donner à la 7e compagnie de se rendre à Perpignan où elle devait être le 20 février, après l’entrée en Catalogne de la division. Enfin, un escadron napolitain arrivant à pied de Mantoue n’arriva à Avignon pour y être remonté que le 2 février. Il dut quitter cette ville aussitôt avec ses jeunes chevaux pour rejoindre Perpignan où il était attendu le 15. La division ne fut réunie à Perpignan que le 20 janvier et comptait à cette date 7 400 hommes et 1 750 chevaux. Le tableau d’effectifs du 9 février montre que les bataillons étaient loin d’être à 1 000 hommes comme Napoléon l’avait souhaité. Entre outre ces troupes avaient été formées à la hâte, les bataillons manquaient d’autant plus de cohérence qu’ils étaient formés pour la plupart de jeunes conscrits qui n’avaient que 4 à 6 mois de service. Ils étaient médiocrement équipés, l’artillerie italienne n’avaient pas de quoi entretenir ses matériels. L’aspect général peu redoutable des conscrits aura des répercutions fâcheuses pour le prestige militaire français vis-à-vis des populations espagnoles. Lechi était inquiet également de l’état des chevaux qui étaient jeunes. Il dut les loger à l’extérieur de la ville car il avait peur qu’ils 23 SHD/Terre : C8 3. 19 dépérissent dans l’emplacement de l’église et des arcades où il était prévu initialement de les loger. Beaucoup laisser à désirer dans l’organisation opérationnelle de la division. A la fin du mois de janvier deux généraux de brigade seulement avaient rejoint : Bessières et le général italien Andrea Millossevitz. La structure de commandement de la division n’était qu’ébauchée. Elle n’avait pas d’état-major, pas de commandant de l’artillerie ni du génie, dont elle n’avait aucune unité. La division pêchait également dans le domaine de la logistique (elle n’avait aucun moyen de transport) et de l’administration. Les services généraux n’existaient pas, la division n’avait ni payeur, ni ordonnateur. Seul le commissaire des guerres Gini faisait fonction de sous-inspecteur. Le général Dejean, ministre directeur de l'administration de la guerre ne savait même pas si la division de troupes italiennes actuellement en France devait être à la charge de la France. Napoléon lui répondit qu’elle devait être à la charge de l’Italie jusqu’à son entrée dans un pays étranger où elle ne sera plus à la charge ni de la France ni de l’Italie24. Cependant, comme l’Espagne était un pays allié, la division ne pouvait pas vivre au frais de ce pays. Mais Napoléon était pressé. Le 28 janvier il écrivit à Champigny, son ministre des Relations extérieures de faire « connaître au sieur de Beauharnais qu’il est nécessaire que des ordres soient donnés par la cour d’Espagne pour qu’une division de 15 000 hommes, qui est à Perpignan soit reçue à Barcelone. »25 Officiellement la destination de cette division était Cadix et elle devait attendre à Barcelone la décision de la cour de Madrid. Le même jour il écrivit au général Clarke pour qu’il transmette à Duhesme l’ordre de se rendre à Perpignan où il devra être le 4 février pour prendre le commandement de la division. Il devra rentreR en Espagne le 9 du mois pour se rendre à Barcelone. L’Empereur insista sur le fait qu’il lui fallait à tout prix ne pas s’aliéner la population : « Il fera fusiller le premier Italien qui manquerait à la discipline, et la fera observer rigoureusement. »26 Dans le même temps, il mit en route Moncey vers Burgos et Darmagnac, de la division Mouton, vers Pampelune. Le même jour Clarke envoyait à Duhesme ses instructions personnelles et secrètes. Il insista encore sur le fait que « la politique [était] d’accord sur ce point avec la nécessité de bien vivre avec les Espagnols qu’il ne [fallait] point alarmer. »27 Clarke désigna le général Pacthod pour prendre le commandement de la 2e brigade mais il fut aussitôt remplacer par le 24 GRASSET, op. cit., p. 297 et correspondance de Napoléon (t. XVI, n° 13501). Correspondance de Napoléon, t. XVI, n° 13495. 26 Ibid. n° 13 496. 27 SHD/Terre : C8 3. 25 20 général Goullus28. Le ministre recommanda à Duhesme de bien renseigner l’Empereur sur la Catalogne et sur l’état d’esprit de ses habitants, et de rester en liaison avec Moncey. Il termina sa lettre en le mettant en garde contre les soldats italiens qu’il jugeait « en général (…) inexacts dans les situations qu’ils envoient », il lui conseilla de ne « leur permettre d’y employer que ceux qui doivent y être portés. »29 Arrivé à Perpignan, Duhesme s’empressa de faire une proclamation, datée du 6 février, par laquelle il mettait ses hommes en garde sur les manquements à la discipline : « Toutes les fois qu’un délit parviendra à la connaissance d’un général de division ou d’un général de brigade, ils feront de suite former et rassembler une commission (…) qui entendra les témoins, interrogera le prévenu, le condamnera s’il y a lieu à la peine encourue suivant les lois militaires ou l’absoudra. »30 Déjà, deux jours plus tard, un soldat napolitain fut fusillé pour coup de couteau. Pour éviter le pillage il s’assura que tous les hommes soient soldés pour la première quinzaine de février, et que les officiers aient perçu leur solde de janvier. Il fit faire une avance aux corps italiens pour leurs réparations urgentes et le ferrage des chevaux de l’escadron napolitain car cet escadron n’avait encore rien reçu. La revue qu’il passa de ses troupes le 8 février lui donna satisfaction, il trouva les soldats bien tenus, bien habillés et manœuvrant avec « assez de rectitude ». Il regretta que le bataillon de vélites et le bataillon suisse fussent d’un effectif aussi faible. Il proposa de compléter ce dernier avec 200 hommes qui étaient à Marseille, ce qui lui fut accordé alors qu’il était déjà à Barcelone. Il constata que le bataillon français du 16e de ligne n’était pas complètement habillé, il lui manquait 300 habits mais tous les soldats avaient une capote. Le régiment se mit en route ainsi, et ne reçut son complément d’habillement qu’en Espagne. Duhesme confia le commandement de toutes les troupes italiennes au général Lechi qu’il relevait afin de le consoler de la perte du commandement de la division. Lechi devait continuer à correspondre avec le ministre de la Guerre du royaume d’Italie. Duhesme nomma son aide de camp, le chef d’escadron Ordenneau, chef d’étatmajor, puis il rendit compte au ministre en appelant son attention sur le fait qu’il lui fallait rapidement trouver un payeur afin de continuer à solder la troupe qui aura tout dépenser à son 28 Goullus, François (1758 – 1814) : engagé en 1778 au régiment de la Couronne, il fut nommé sous-lieutenant puis lieutenant le même jour en 1791. Lieutenant-colonel l’année suivante, il combattit en Belgique. Il fut nommé général de brigade en 1797 et servit en Allemagne. Blessés de nombreuses fois, il fut mis en non-activité de 1801 à 1805. Il combattit ensuite en Italie sous Duhesme. Il était employé à la 10e division militaire depuis le 29 mai 1807 quand il fut nommé à la division des Pyrénées orientales. Il combattit en Catalogne jusqu’en 1808. Il fut mis à la retraite en 1814 peu avant sa mort. 29 SHD/Terre : C8 3. 30 Id. 21 arrivée à Barcelone31. L’absence de fonds allait obliger les Français à dépendre de la bonne volonté des Espagnols pour survenir à leurs besoins32. Duhesme réclama également des moyens de transport et un officier pour commander son artillerie. Enfin il informa Clarke qu’il emmenait avec lui un officier du génie de la place de Perpignan en attendant que lui en soit désigné un. Une méconnaissance de la Catalogne qui compromet le succès de l’entreprise Le 6 février, les troupes de Lechi quittèrent Perpignan, sous prétexte de soulager la ville encombrée de troupes, elles bivouaquèrent à Boulon. Lechi emmenait avec lui les six pièces d’artillerie qui constituaient toute l’artillerie de Duhesme33. Les brigades Bessières et Goullus34 lui emboîtèrent le pas le 8. Le lendemain la frontière fut franchie. Duhesme, du fait de son manque de moyens de transport, avait choisi de marcher en deux colonnes l’une derrière l’autre en direction de Barcelone à un jour d’intervalle. La division italienne se dirigea sur Figuières et la brigade franco-napolitaine sur Junquera. L’accueil de la population fut cordial, le gouverneur de Figuières, surpris par l’arrivée d’un détachement français fit son possible pour survenir à ses besoins. Partout Duhesme constata que la Catalogne n’était pas en mesure d’assurer sa défense. On y trouvait que très peu de troupes et, entre la France et Barcelone, les seuls forts à avoir une valeur militaire était ceux de Figuières et de Rosas, mais ils ne comptaient que peu de pièces d’artillerie montées sur affût et avaient une garnison très faible. Duhesme se félicitait des bonnes dispositions de la population, mais le bon accueil réservé aux Français par les Catalans était trompeur. Lui et ses troupes allaient rapidement se retrouver isolés au milieu de l’hostilité générale. Pour l’heure, sa marche en Catalogne ressemblait à une promenade 31 Ce ne fut que le 20 février que Napoléon donna l’ordre à Mollien, ministre du trésor public, de nommer un payeur particulier pour la division des Pyrénées orientales étant donné son isolement. En attendant son arrivée, ce fut le payeur de la 10e division militaire qui continua à solder les troupes de Duhesme. (Correspondance de Napoléon, t. XVI, n° 13585.) 32 Après avoir écrit le 14 février une lettre suppliant Clarke de lui envoyer un payeur, Duhesme dut se résoudre à emprunter l’argent nécessaire à ses dépenses à la ville de Barcelone. 33 La sixième compagnie du 7e bataillon bis du train n’était pas revenue avec ses chevaux et, de toute façon, il n’y avait toujours pas de canonniers pour servir les pièces restées à Perpignan. Comme aucune autre compagnie à pied ne fut désignée, les pièces furent partagées par la suite entre la compagnie à pied italienne (9 pièces) et la compagnie française à cheval (9 pièces). 34 Le général Goullus n’arriva à Barcelone que le 14 février. Pendant la marche, sa brigade était commandée par un colonel. 22 militaire et, malgré quelques réticences du comte de Ezpeleta, capitaine général de Catalogne, il entra à Barcelone le 13 février35. Plan de la ville de Barcelone, ca. 1725 La ville est encadrée au sud-ouest par le fort de Montjuih et eu nord-est par la citadelle. L’attitude de la population vis-à-vis des Français devint progressivement hostile, Ezpelata engageait Duhesme à reprendre sa route vers Cadix le plus rapidement possible pour éviter une émeute36. Le but réellement poursuivi par les Français commença à être dévoilé lorsque, le 29 février37, Duhesme s’empara facilement par ruse de la citadelle de Barcelone. Mais la prise du fort de Montjuih commandé par le brigadier A. Mariano Alvarez, faillit échouer à cause de la fermeté dont il fit preuve. Le général Milossewitz, qui commandait les 800 hommes chargés de l’opération se vit refuser l’accès à la forteresse. Une foule immense armée de poignards et de bâtons, furieuse de la prise de la citadelle, se porta en masse vers 35 Le 12 février le comte de Ezpeleta avait écrit à Duhesme pour lui demander d’arrêter sa progression en attendant des instructions de Madrid. Duhesme n’en tint aucun compte. (SHD/Terre : C8 3) 36 Ezpeleta ne dissimulait plus son inquiétude mais les consignes qu’il recevait de Godoy était ambiguës. Ce dernier, tout en le poussant à la fermeté, lui demandait de ménager les Français. 23 Montjuih ce qui mit Milossewitz dans une situation extrêmement délicate. Duhesme arriva avec des renforts et somma Alvarez de rendre la place sous peine d’assaut. Finalement, en fin de journée, Ezpeleta qui voulait éviter à tout prix une grande effusion de sang consentit à ordonner à Alvarez de rendre la place38. Le général espagnol Mariano Alvarez de Castro (1749 - 1810) Dans les semaines qui suivirent, les unités de Duhesme ne cessèrent de se renforcer. Le corps d’observation des Pyrénées orientales acheva sa montée en puissance le 19 avril. A cette date il était fort de 13 000 hommes répartis en deux divisions d’infanterie39 et deux brigades de cavalerie. Mais malgré l’importance de ses effectifs, Duhesme échoua dans sa mission de contrôler la Catalogne et se retrouva enfermé dans Barcelone par Vivés. Alors que Napoléon était persuadé que la Catalogne était en son pouvoir, la position de Duhesme était de plus en plus délicate : ses troupes devaient vivre au milieu de 160 000 Catalans qui, appelés à la révolte par le clergé notamment, devenaient de plus en plus hostiles. La principale cause d’inquiétude des Catalans était que l’invasion française allait ruiner leur commerce avec l’Angleterre. Napoléon, dans un premier temps, ne tint aucun compte des 37 Napoléon écrivait à Clarke le 20 février : « Je suppose qu’il est maître des forts et de la citadelle. » (Correspondance de Napoléon, t. XVI, n° 13586), mais Duhesme n’en reçut l’ordre que le 29 au matin. 38 Duhesme ne rendit pas justice à l’attitude ferme et honorable d’Alvarez en écrivant à Murat : « Montjuih avait fermé ses portes et le vieux soudard de brigadier espagnol qui le commandait ne voulait absolument pas entendre raison… », GRASSET, op. cit., t. 1, p. 407. 39 La division Chabran fut constituée à Barcelone le 8 avril. Elle fut formée de deux brigades, celle de Goullus qui passa aux ordre du général Nicolas (Goullus devint chef d’état-major) et une nouvelle sous les ordres du général Viala formée de bataillons de régiments français stationnés en Italie : les 1er et 2e bataillons du 7e de ligne et le 3e bataillon (6 compagnies de grenadiers et de voltigeurs) du 37e qui avait quitté Turin le 27 février, et 3e bataillon du 2e ligne, 4e bataillon du 56e de ligne et 3e bataillon du 93e qui avait quitté Alexandrie le 29. 24 avertissements de Duhesme qu’il traita de « commère » dans une lettre adressée à Murat le 7 mars40. Pourtant il fallut rapidement se rendre à l’évidence que la Catalogne n’avait pas l’intention de se voir dicter ses lois par les Français. Napoléon, tout en considérant l’occupation de la Catalogne comme secondaire par rapport à celle de Madrid et de sa région, ordonna une série de mesures destinées à prévenir un soulèvement, ou au moins à en limiter les effets, il autorisa notamment l’importation du blé. Il hâta l’arriver des renforts tout en incitant Duhesme à ne pas ménager ses efforts pour gagner le clergé à la cause française. Cependant, Duhesme se sentait de plus en plus isolé. En outre, Murat, dont il était très éloigné, ne lui donnait aucun ordre. Voulant conserver ses troupes concentrées, il renonça à garder les côtes pour enrayer la contrebande qui continua à être très active. Quand la division Chabran arriva à Barcelone le 8 avril, la ville était calme, malgré quelques rixes surtout entre les Italiens et les Espagnols. Le même jour, on apprit à Barcelone que Napoléon ne reconnaissait pas l’abdication de Charles IV et que Murat se refusait à traiter avec Ferdinand. Une rixe sanglante éclata entre des soldats espagnols et des vélites italiens, et Ezpeleta fut l’objet d’insultes et de menaces. Début mai, un incident montra à quel point les Espagnols se sentaient de moins en moins les alliés des Français. Un bâtiment marchand français poursuivi par la croisière anglaise vint se réfugier sous les feux de la place de Rosas, mais la garnison espagnole n’intervint pas pour la protéger41. Trompé par le calme avec lequel la population de Barcelone reçut les nouvelles de l’insurrection du 2 mai, Murat voulut se concilier les Catalans en les autorisant à s’armer, privilège qui avait été aboli par Philippe IV. Mais le 24, quand la population apprit la renonciation de Charles IV et de la famille royale à la couronne, de violentes bagarres éclatèrent à Barcelone. Le 28 mai, faisant suite aux soulèvements populaires de Valence et de Saragosse, une nouvelle émeute fit quelques morts parmi les Espagnols et les soldats français. Les principaux meneurs quittèrent la ville pour semer le trouble dans les localités voisines. Les soldats espagnols commencèrent à déserter en masse, imités par quelques Italiens et quelques Suisses attirés par la solde que leur promettaient les insurgés, mais se furent surtout les Napolitains qui furent touchés par ce phénomène comme le constata Duhesme avec inquiétude : « Les Napolitains désertent par huit à dix avec armes et bagages. Je fais prendre 40 GRASSET, ibid., p. 409. 25 quelques embaucheurs, j’en ferai un exemple. » Le 4 juin trois paysans sont passés par les armes mais cette sévérité n’eut comme effet que d’entraîner un exode plus grand des habitants de Barcelone. On estime à 30 000 le nombre des habitants qui quittèrent la ville entre le 1er et le 5 juin42. Duhesme, malgré ses déclarations rassurantes pour les « honnêtes gens », échoua dans sa tentative de gagner la population. Dans toute la Catalogne l’autorisation de s’armer avait été interprétait comme un appel aux armes et la population n’attendait plus que le signal de l’insurrection43. Des opérations hasardeuses au dessus des moyens de Duhesme Dans la première semaine de juin, des foyers d’insurrection commencèrent à éclater dans toute la province, partout s’organisèrent des juntes insurrectionnelles qui appelaient aux armes. Ce fut à cette période que Duhesme se mit en campagne. Conformément aux ordres reçus de Napoléon, il fait partir le 4 juin deux colonnes, l'une sous Chabran qui devait marcher sur Tarragone puis sur Valence, et l’autre sous Schwartz (trois bataillons et un escadron) qui devait fouiller le monastère de Montserrat, où existait un dépôt d’armes et de munitions, puis continuer sa route sur Manresa en détruisant les moulin à poudre qui s’y trouvaient. Chabran arriva le 8 à Tarragone dont il reçut la soumission et où il incorpora le régiment suisse de Wimpfen dont les officiers lui jurèrent de servir l’Empereur malgré la réticence de la troupe qui voulait passer à l’insurrection. Pour Schwartz, tout alla bien jusqu’au pied du Montserrat. Mais dans les défilés qui devaient le mener à Bruch, il fut assailli par des masses de paysans qui avaient été appelés au Somatén par les cloches des églises. Sous le nombre, craignant d’être attaqué par des troupes régulières et coupé de sa ligne d’opération, abandonnant une de ses pièces d’artillerie tombée dans un ravin44, il battit en retraite le 6 juin en évitant les villages. Il fut de retour le 8 à Barcelone poursuivi par les insurgés qui se répandirent dans la banlieue de la ville. Ce recul marqua fortement les esprits des Catalans qui voyaient les soldats français fuir devant eux. 41 Pour éviter de disperser les forces de Duhesme, Napoléon ordonna de ne pas occuper le fort de Rosas dont la garnison espagnole fut maintenue. Cependant sur les conseils du général Marescot, Chabran laissa un de ses bataillons en garnison dans la citadelle de Figueras lors de sa route sur Barcelone. 42 CONARD, op. cit., p. 74. 43 LAFAILLE, op. cit., p. 23 et sq. 26 Le monastère de Montserrat La vallée du Llobregat vue depuis le massif de Montserrat C’est dans ce terrain très accidenté que durent opérer les troupes françaises à la poursuite des insurgés. Ni leur organisation, ni leur instruction ne les avaient préparées à ce type de combat. 44 Un pont saboté s’était effondré sous le poids de ce canon lors de son passage. 27 Chabran, lors de son retour fut assailli à son tour le 9. Il eut beaucoup de mal à se faire jour jusqu’au Llobregat au milieu d’assaillants qui avaient été rejoints par des Suisses et un bataillon espagnol. A Abros, il fut attaqué par toute la population du village, il dut combattre encore à Villafranca. Duhesme, pour faciliter sa rentrée à Barcelone, dut passer à l’offensive avec les troupes de Schwartz, puis de Lechi, qui, excédées par les insurgés commirent des pires exactions, ce qui fit dire à l’agent Champagny : « Si cette guerre devait durer sous les auspices sous lesquelles elle a commencé, elle deviendrait bientôt un enchaînement d’horreur et de forfaits particuliers. »45 Toute la Catalogne était aux mains des insurgés à l’exception de la Cerdagne, de Figueras et de Barcelone. Duhesme était coupé de la France et de Madrid. Duhesme tenta de se dégager : le 14, Chabran attaqua la position de Bruch, mais il renonça au premier contact, malgré son succès, et se retira en arrière de Molino del Rey. Ce deuxième échec face au couvent de Montserrat eut une influence prodigieuse sur le moral des insurgés qui y gagnèrent un grand prestige auprès de la population. Avant de pouvoir entreprendre une action sur Girone, Duhesme devait « se donner de l’air » dans la région de Barcelone où les insurgés, grisés par leur succès, voulaient l’enfermer. Le 17, il fit attaquer la position de Mongat, dont il prit le fort et Moncada. Les insurgés se retirèrent sur Mataro d’où ils furent chassés. Le 18, le défilé de Saint-Pol fut forcé et, le 20, les Français arrivèrent devant Girone dont ils voulurent s’emparer immédiatement. L’assaut, qui eut lieu dans le plus grand désordre, échoua46. Le 25, Duhesme rentra à Barcelone d’où il dégagea la ligne du Llobregat le 30. Son intention était de renouveler sa tentative sur Girone. Les quinze premiers jours de juillet furent consacrés à la préparation de l’entreprise. Le 22 juillet, Girone fut investi. Duhesme y reçut le renfort des 5 000 hommes de la division Reille qui arriva de Figueras le 24. Le 9 août, en même temps que des renforts en artillerie venus de Perpignan, Duhesme reçut l’ordre de rentrer à Barcelone que Napoléon croyait menacé à cause de l’impact qu’avaient eu la défaite de Baylen et l’évacuation de Madrid sur le moral des Espagnols. Duhesme voulut quand même tenter sa chance à Girone dont les travaux de siège étaient très avancés et avait coûté un gros effort à ses troupes. Mais il savait qu’il ne pouvait pas se permettre de rester très longtemps éloigné de Barcelone. 45 Cité par CONARD, op. cit., p. 79. 28 Or, malgré des succès initiaux, le siège devenait difficile à mener, non seulement l’artillerie de siège se révéla peu efficace, mais en plus, les convois en provenance de Barcelone subissaient les assauts des insurgés ce qui distrayait du siège un important effectif d’hommes. Le 14 août, Duhesme décida de renoncer et commença à évacuer son artillerie. Il estimait que Girone ne pourrait pas être pris suffisamment rapidement avec ses moyens et qu’il risquait d’y user ses troupes alors que Barcelone était menacé par les insurgés et des troupes régulières espagnoles47. Les rangs de ces dernières ne cessaient de grossir avec l’arrivée des garnisons des Baléares qui formèrent un noyau d’armée régulière sous le marquis del Palacio. Désirant dégager Girone, le 16 août, il lança le comte de Caldaguès (officier émigré français) à l’attaque sur le point faible du dispositif français. Ce succès espagnol poussa Duhesme à lever le siège sans tarder. Reille rentra à Figueras et Duhesme à Barcelone. La retraite de Duhesme s’effectua sur 80 kilomètres à travers les montagnes dans des conditions extrêmement difficiles. Harcelé par les insurgés, parfois sous le feu de la flotte anglaise, il se résolut à brûler ses voitures et à jeter ses canons dans des puits. Le 20 août il était à Barcelone. Dans les mois suivants, il réussit à tenir en échec les insurgés et les troupes de lignes espagnoles en leur interdisant de s’emparer de Barcelone dont il ne pouvait plus s’éloigner sans le secours de renforts venus de France. Vivés, nommé le 28 octobre capitaine-général de Catalogne, renforça les lignes des assiégeants, et en novembre le blocus devint un véritable siège. La situation de Duhesme était d’autant plus préoccupante que dans le reste de l’Espagne, après la défaite de Baylen et le départ de Madrid de Joseph, les affaires des Français étaient au plus mal. Désireux de rétablir la situation, Napoléon entra en Espagne le 4 novembre à la tête de 120 000 hommes de renfort. L’arrivée de Gouvion Saint-Cyr, des succès tactiques mais une situation générale qui se détériore Pour secourir Duhesme, deux divisions avaient été formées à Perpignan sitôt après Baylen sous Souham (Français) et Pino (Italiens, Napolitains et Toscans) et envoyées au secours de Reille. Le 17 août, Gouvion Saint-Cyr fut nommé à la tête de l’armée de Catalogne 46 Duhesme voulait prendre la ville d’assaut rapidement car il n’avait pas les moyens de mener un long siège, notamment en artillerie (certains affûts d’obusier qui avaient été stockés à Perpignan depuis 1794, se disloquèrent après quelques coups). 29 (devenue le 5e corps de l’armée d’Espagne en Catalogne le 7 septembre, puis 7e corps le 2 octobre). Avec les troupes de Duhesme, de Reille et de Morio, qui rejoignit en mai 1809 à la tête de 6 000 Westphaliens, l’effectif du 7e corps d’armée fut porté à prés de 40 000 qui fut le volume des forces présentes en Catalogne pendant toute l’année 1809. Le général Gouvion Saint-Cyr (1764 - 1830), maréchal en 1812 Ces troupes n’étaient pas de très grande qualité, elles avaient été formées avec des hommes tirés des dépôts du sud-est, de gendarmes, de gardes nationaux (qui désertèrent en masse), de Suisses, de Valaisans, d’Italiens, de Napolitains et de Toscans. Par la suite, en 1809, on vit arriver des Allemands du grand-duché de Berg, de Westphalie et des pays de la confédération de Rhin. Ils étaient généralement peu désireux de se battre pour Napoléon alors que leur propre nation souffrait sous son joug. Ils désertèrent en masse sous Girone et passèrent aux insurgés pour plus de 600 d’entre eux. Durant toute la campagne, leur moral resta au plus bas et leur esprit fut très peu combatif. Mais les troupes napolitaines, composées de la lie de la société, étaient sans doute les plus médiocres et les moins disciplinées. Parmi 47 Duhesme voulut quand même tenter sa chance à Girone dont les travaux de siège étaient très avancés et avait coûté un gros effort à ses troupes. Mais il savait qu’il ne pouvait pas se permettre de rester très longtemps éloigné de Barcelone. 30 elles, on comptait énormément de pillards qui ravagèrent la Catalogne. Napoléon demanda par la suite à Murat de prendre plus de soin dans le recrutement des Soldats napolitains dont Augereau continua à se plaindre : « J’aurais préféré deux cents Français aux deux régiments de cette nation que vous m’envoyez, car j’ai plus de peine avec ces sortes de gens qu’avec les brigands que je bats journellement. »48 En fait, Gouvion Saint-Cyr manquait de tout, son « 7e corps [qui] étaient composé en grande partie de soldats médiocres, pillards, brutaux et infidèles »49 était mal organisé, mal payé et mal nourri. A partir de décembre 1808 Gouvion Saint-Cyr, qui ne recevait aucun approvisionnement de France, dut vivre sur le pays en ruinant les plaines où il passait sans que ses troupes ne fussent bien nourries, car la Catalogne étant un pays d’huile, de vins et de fruits, les céréales et le bétail y faisaient cruellement défaut. Les réquisitions augmentaient encore l’animosité des populations contre les soldats napoléoniens qui se procuraient leur nourriture à coups de baïonnette. Le moral des officiers et des soldats, qui se sentaient livrés à eux même, était au plus bas, et la discorde ne tarda pas à s’installer entre les généraux qui menaient une guerre difficile loin des yeux de l’Empereur, sans aucune chance de gloire ou de promotion. Du fait de l’isolement de la Catalogne, les opérations qui y furent menées furent déconnectées de celles qui se déroulèrent en Espagne en 1808 et en 1809. Gouvion Saint-Cyr reçut de Napoléon les ordres suivants : « Votre direction générale doit avoir pour principes les dispositions suivantes : 1. secourir le général Duhesme. 2. Faire à Figuierès des magasins considérables aux dépends de l’ennemi. 3. Soumettre les vallées et faire porter à l’ennemi tout le poids de la guerre. »50 Gouvion Saint-Cyr agit avec beaucoup de méthode. Il commença par s’emparer de Rosas dont il prépara le siège pendant deux mois. Dès que la place capitula, le 6 décembre, il se dépêcha de porter secours à Duhesme, qui lui avait fait savoir que ses réserves de vivre ne lui permettraient de tenir que jusque fin décembre.51 Laissant Reille en observation devant Girone, il partit vers Barcelone sans bagages ni artillerie afin d’éviter de passer devant l’Hostalrich et Girone. Surpris par cette marche rapide, Vivés fut bousculé à Cardédeu le 16 et, le 17, Gouvion Saint-Cyr débloquait Barcelone. Napoléon pensa qu’il était à nouveau 48 Augereau à Clarke, Fornells le 12 janvier 1810, cité par CONARD, op. cit., p. 89. CONARD, op, cit., p. 90. 50 Berhier à Gouvion Saint-Cyr, le 2 octobre 1808, SHD/Terre C8 15. 51 GOUVION SAINT-CYR, op. cit., p. 359. 49 31 maître de la Catalogne, mais les soldats du 7e corps n’occupaient de la Catalogne que le sol qui était sous leurs pieds. Gouvion Saint-Cyr battit Vivès à Molino del Rey le 21 décembre, mais plutôt que de se porter vers Tarragone, il voulut assurer ses arrières et perdit deux mois à battre les vallées de l’Llobregat pour y trouver des vivres. Pendant ce temps, Reille était harcelé par les troupes espagnoles réunies à Girone qui se réorganisaient sous le commandement de Reding52. Malgré ses succès sans lendemain à Igualda et à Valls (18 et 25 février 1809) contre Reding, Gouvion Saint-Cyr dut renoncer à prendre Tarragone après l’avoir bloqué pendant un mois. Il gagna la plaine de Vich pour refaire ses forces puis, ayant rejoint Reille et laissé Duhesme avec la division Chabran à Barcelone53. Il mit le siège devant Girone que le général Verdier, remplaçant Reille, investit la 4 juin. La place était défendue par Alvarez de Castro qui tint les Français en échec pendant six mois en fixant le gros de leurs forces. Le général Sanson dirigea les travaux du siège et fit ouvrir la tranchée devant le fort de Montjuich. Un premier assaut de ce fort mené par 4 000 Français et Allemands échoua le 7 juillet. Pris sous un bombardement intense, les Espagnols l’abandonnèrent un mois plus tard. Le 19 septembre un assaut général fut donné mais il fut repoussé par la population qui tenait les remparts. Gouvion Saint-Cyr décida alors de transformer le siège en blocus pensant que la maladie et la famine auraient raison de la résistance. Blake envoya des convois pour secourir la place. Le premier d’entre eux, profitant du brouillard, réussit à amener 4 000 hommes et quelques vivres aux assiégés le 1er septembre. Mais le 26 septembre, un deuxième convoi tomba entièrement aux mains des Français. La situation d’Alvarez devint de plus en plus critique : le typhus, la famine, le scorbut et la dysenterie faisaient des ravages, certains de ses hommes désertèrent malgré les menaces de mort d’Alvarez. 52 Pour avoir été battu, Vives fut jeté en prison et remplacé par Reding, officier d’origine suisse. De juin 1809 à janvier 1810, Duhesme, disposant de peu de troupes se trouva encore bloqué dans Barcelone mais moins étroitement toutefois qu’en 1808. 53 32 Le général espagnol Joaquín Blake y Joyes (1759 – 1827) 33 Entre temps, le 1er juin, Napoléon, mécontent de Gouvion Saint-Cyr qui, conscient de sa faiblesse se refusait à exécuter l’ordre irréalisable de Berthier d’assiéger simultanément Gérone, Tarragone et Tortosa, l’avait remplacé par Augereau. Le 28 septembre, Gouvion Saint-Cyr quitta son commandement sans attendre l’arrivée de ce dernier qui était bloqué par une crise de sciatique à Perpignan et n’avait toujours pas rejoint54. Augereau finit par arriver devant Girone le 11 octobre. Le 9 décembre, Alvarez atteint par le mal qui l’emporta en janvier, donna le commandement au général Bolivar qui livra la ville à Augereau le lendemain. Ramon Martí Alsina (1826–1894), El Gran dia de Girona, 1863 Musée d’art de Girone La chute de Girone jeta la discorde parmi les insurgés. Blake dut abandonner la Catalogne, pour ne pas partager le sort de Vives55. Le général Portazgo, nommé par la junte pour le remplacer, ne fut pas reconnu par les Catalans qui lui préférèrent O’Donnel qui s’était distingué lors du siège de Girone. Après la prise de cette ville, Augereau resta inactif pendant plus d’un mois. A la fin du mois de janvier, il réussit à approvisionner Barcelone et obtint le départ de Duhesme avec lequel il ne s’entendait pas et qu’il accusa de malversation. 54 Pour avoir abandonné son poste, Gouvion Saint-Cyr fut suspendu de ses fonctions et ne fut réintégré qu’en 1811. 55 LAFAILLE, op. cit., p. 240. 34 Au début de 1810, la situation des Français en Espagne semblait plutôt bonne, Joseph avait retrouvé son trône à Madrid et contrôlait la majorité du pays. Partout en Catalogne, où son autorité ne se faisait que très peu sentir, les armées françaises avaient pris le dessus sur les insurgés et contrôlaient une partie de plus en plus grande de la province. Mais la population avait en grande partie déserté les villages pour se réfugier dans les montagnes. Le sentiment anti-français déjà très élevé, allait en se renforçant à cause des exactions et des vols perpétués par les troupes impériales abandonnées à elles-mêmes pour subvenir à leurs besoins. La composition des troupes qui pénétrèrent les premières en Catalogne en 1808 étaient typique des unités formées à cet époque par Napoléon. Ces unités provisoires et multinationales manquaient de cohésion. Elles n’avaient plus du tout l’esprit offensif qui fit la force des armées de la Révolution et du début de l’Empire. De nation agressée, la France était devenu l’agresseur. La stratégie irréaliste du blocus continental de Napoléon l’avait poussé à disperser ses efforts à sacrifier la cohésion de ses armées. Il pensait que les troupes engagées en Espagne n’auraient pratiquement pas à combattre. La facilité avec laquelle Duhesme s’empara de Barcelone semblait lui donner raison. Mais, une fois la ville prise, il fallait gouverner la province ce que Duhesme n’avait ni le talent, ni les moyens de faire. A la tête de ses troupes il se présenta rapidement comme un occupant et non comme un allié venu aider le peuple catalan face à la grave crise politique que l’Espagne connaissait. Duhesme avait échoué dans sa tâche de rallier la Catalogne à la cause du roi Joseph. Engagé en Catalogne, sans argent ni ligne logistique, à la tête de troupes constituées à la hâte, peu instruites et manquant cruellement de cohésion56, il ne put que se trouver bloqué, loin de ses bases, une fois l’insurrection générale déclenchée. Mais au moins avait-il tenté de mettre en place une administration, soin que n’eurent ni Gouvion Saint-Cyr, ni Augereau, absorbés par les opérations et s’intéressant peu au sort de la population d’une province pauvre et semidésertique dont ils n’auraient pu pas tirer grand-chose. Délaissant l’administration aux fonctionnaires de Joseph, ils ne s’occupèrent pas du contrôle de la population par une administration judicieuse, ce qui pourtant était sans doute la clef principale du succès en Catalogne. Si Napoléon réglait les moindres détails de la constitution des troupes, sa pensée générale concernant l’Espagne était floue et, partant, mal comprise par ses subordonnés. Il 56 Arrivés en Espagne, certains conscrits italiens et même français désertèrent pour s’engager dans des régiments au service de l’Espagne. Ce phénomène fut suffisamment important pour Duhesme en informe le ministre de la Guerre et réclame aux autorités espagnoles la restitution de ces hommes. 35 attendait sans doute des initiatives de ces derniers qui auraient éclairé la situation et lui aurait montré la marche à suivre57. Il agissait selon sa formule célèbre : « s’engager et voir ». Duhesme puis Gouvion Saint-Cyr en ont sans doute été les principales victimes. Carte du théâtre des opérations de Catalogne BOURDEAU E. (colonel), Campagnes modernes, Atlas. 57 GRASSET, op. cit., p. 306. 36 COMPOSITION DE LA DIVISION D’OBSERVATION DES PYRENEES ORIENTALE SITUATION DU 9 FEVRIER 1808 (SHD/Terre : C8 4) Général de division DUHESME. ORDONNEAU, chef d’escadron, aide de camp faisant fonction de chef d’état-major Général de division LECCHI (sic.). LAFRRANCHY, chef d’escadron, aide de camp Généraux de brigade MILLOSSEVVITZ (sic.). ZORZETTO, capitaine idem BESSIERES, commandant la brigade de cuirassiers et chasseurs Adjudant commandant LECCHI58 Commissaire des guerres GINI, faisant fonctions de sous-inspecteur TROUPES Vélites royaux 1 bataillon 1re brigade 2e de ligne italien IIe bataillon 4e - id. IIIe bataillon e IIe bataillon 5 - id e 16 de ligne français IIIe bataillon e e 2 brigade 2 régiment suisse IIIe bataillon er 2 bataillons 1 de ligne napolitain 4e régiment de cuirassiers 1 cie du 5e escadron e Régiment provisoire de 6 régiment de cuirassiers 1 cie du 5e escadron 59 e cuirassiers 7 régiment de cuirassiers 1 cie du 5e escadron e 8 régiment de cuirassiers 1 cie du 5e escadron e 14 régiment de chasseurs à ch. 1 cie du 4e escadron e 15 régiment de chasseurs à ch. 1 cie du 4e escadron e Régiment provisoire de 19 régiment de chasseurs à ch. 1 cie du 4e escadron 60 e chasseurs 23 régiment de chasseurs à ch. 1 cie du 4e escadron e 24 régiment de chasseurs à ch. 1 cie du 4e escadron Chasseurs royaux napolitains 1 compagnie Régiment provisoire de troupes à Dragons de la Reine (italiens) 1 compagnie cheval italiennes et napolitaines Dragons Napoléon (italiens) 1 compagnie 2e rgt de chasseurs napolitains Ier escadron61 58 Frère du général Lechi. Prend l’appellation de 3e régiment provisoire de grosse cavalerie le 23 janvier 1808. 60 Prend l’appellation de 3e régiment provisoire de chasseurs le 23 janvier 1808. 59 37 Soldats sous les armes 15 officiers 29 13 27 12 23 65 / 387 / 589 / 480 / 681 / 708 / 320 / 1 688 5 037 hommes d’infanterie 12 /405/ 431 chevaux 12 /473/ 500 chevaux 1452 h. / 1493 ch. de cavalerie 25/525/562 chevaux Artillerie – 12 bouches à feu Train Artillerie à pied italienne Train de la garde italienne 6e bataillon bis du train 11e compagnie 3 officiers / 70 2 off. / 57 / 104 chevaux 1 off. / 64 / 150 6e compagnie TOTAL PREVU SOUS LES ARMES 6 686 hommes 1747 chevaux Restés dans les hôpitaux 445 197 h. / 254 chx d’artillerie Le 2e escadron du 2e régiment de chasseurs napolitains devait arriver à Perpignan le 15 février avec 250 hommes montés62. Une partie du parc d’artillerie français était restée à Perpignan attendu que les chevaux n’étaient point encore arrivés de Narbonne. Note de l’auteur : En février 1808 la division était articulée de la façon suivante : Le général Lechi avait sous ses ordres la « division italienne » : - brigade italienne (général Millossevitz), - le régiment provisoire de troupes à cheval italiennes et napolitaines - la 11e compagnie d’artillerie à pied italienne (6 pièces). Le général Bessières commandait la brigade de cavalerie française Le général Goullus commanda la 2e brigade à son arrivée à Barcelone le 14 février 1808. 61 62 I.e. deux compagnies. En fait cet escadron n’arriva à Perpignan que le 22 mars, il n’entra en Espagne que le 1er avril avec les renforts d’infanterie. 38 SITUATION DU CORPS D’OBSERVATION DES PYRENEES-ORIENTALES AU 30 AVRIL 1808 : 13 335 h., 2 035 chx. Général Duhesme, commandant en chef Général Goullus, chef d’état-major 1re division : général Chabran, nommé le 19 mars, à Barcelone, 6 466 hommes, 211 chevaux - 1re brigade : général Nicolas, nommé le 19 mars, à Barcelone - 7e RI : 1er et 2e bataillons à Barcelone, 1 919 hommes - 16e RI : 3e bataillon à Barcelonnette, 814 hommes - 2e R suisse : 3e bataillon à Barcelonnette, 606 hommes - 2e brigade : général Viala, nommé le 19 mars, à Mataro - 2e RI : 3e bataillon à Figueras, 617 hommes - 37e RI : 3e bataillon à Mataro, 705 hommes - 56e RI : 4e bataillon à Mataro, 822 hommes - 93e RI : 3e bataillon à Mataro, 760 hommes - Artillerie (9 canons) : - 2e RAC : 7e compagnie à Barcelone, 125 hommes, 92 chevaux - 6e bataillon bis du train : 6e compagnie à Barcelone, 90 hommes, 119 chevaux 2e division : général Lechi à Barcelone, 5 002 hommes, 104 chevaux - 1re brigade : général Millossevitz à Barcelone - 1er RI napolitain : 1er et 2e bataillons dans la citadelle de Barcelone, 2 098 hommes - Vélites royaux italiens : 1er bataillon à Barcelone, 484 hommes - 2e RI italien : 2e bataillon à Barcelone, 775 hommes - 4e RI italien : 3e bataillon à Barcelone, 611 hommes - 5e RI italien : 2e bataillon à Barcelone, 880 hommes - Artillerie italienne (9 canons) : Adjudant-commandant Lechi à Barcelone - 11e compagnie à pied italienne, à Barcelone, 76 hommes - Train de la garde royale italienne, à Barcelone, 68 hommes, 104 chevaux 39 1re brigade de cavalerie (française) : général Bessières à Barcelone, 947 hommes, 921 chevaux - 3e régiment provisoire de cuirassiers (composition sans changement), à Barcelone, 423 hommes, 435 chevaux - 3e régiment provisoire de chasseurs (composition sans changement), à Barcelone, 483 hommes, 486 chevaux - Détachement du 6e régiment de cuirassiers à Perpignan, 40 hommes, sans chevaux 2e brigade de cavalerie (italienne et napolitaine) : général Schwarz, nommé le 19 mars 1808, à Barcelone, 903 hommes, 799 chevaux - Régiment de cavalerie du Prince royal, à l’Hospitalet - Chasseurs royaux italiens : une compagnie, 181 hommes, 155 chevaux - Dragons de la Reine : une compagnie, 166 hommes, 151 chevaux - Dragons Napoléon : une compagnie, 164 hommes, 145 chevaux - 2e régiment de chasseurs napolitains : 1er et 2e escadrons à l’Hospitalet, 391 hommes, 348 chevaux 40 BIBLIOGRAPHIE ET SOURCES Sources Service historique de la défense / département de l’armée de Terre : Archives de l’armée d’Espagne série C8 LAFAILLE G. (colonel du génie), Mémoire sur le corps d’armée des Pyrénées orientales commandé par le général Duhesme (…), Paris, Ancelin,1826, 344 p. Publications BOURDEAU E. (colonel), Campagnes modernes, Paris, Charles Lavauzelle, s.d., t. II : L’Epopée impériale (1804 – 1815), Ire partie, 585 p. CASTEX Raoul (amiral), Théories stratégiques, Paris, Economica,1997, t. V, 651 p., p. 227. CONARD Pierre, Napoléon et la Catalogne (1808 –1814) (…), Paris, F. Alcan, 1910, 473 p. GRASSET Alphonse-Louis (capitaine), La guerre d’Espagne, Paris, Berger-Levrault, 1914, t. 1, 487 p. THIERS M.A., Histoire du Consulat et de l’Empire, Paris, Paulin, 1849, t.8, 687 p. SIX Georges, Dictionnaire biographique des généraux et amiraux de la Révolution et de l’Empire (1792 – 1814), Paris, Ed. Georges Jaffroy, 1934, 2 tomes. 41