Le livre de Jérémie : son architecture

Transcription

Le livre de Jérémie : son architecture
-Ancien Testament-------------L'accumulation des thèses, la multiplication des modes d'étude,
rendent inévitable qu'on se spécialise, et de plus en plus.
Mais gare à l'« effet pervers» !
Il ne faut pas que la spécialité emprisonne le spécialiste!
Jacques BUCHHOLD offre un exemple éclatant de liberté.
Spécialiste du Nouveau Testament,
dont il occupe la chaire à la F.L. T.E.,
il se montre polyvalent comme peu savent l'être.
A le lire sur la structure du livre de Jérémie, le lecteur s'écriera:
« Rien de tel qu'un professeur de Nouveau Testament
pour m'éclairer sur l'Ancien! »
(Il est vrai que Jacques BUCHH0 LD enseigna jadis
un cours biblique sur Jérémie ... )
Le livre de Jérémie :
son architecture
par Jacques BUCHHOLD
I
l Y a quelques années, le théologien
juif André Neher écrivait:
« Premier contact avec le livre de Jérémie: on a l'impression de tenir entre les
mains non pas un livre, c'est-à-dire le
produit d'une réflexion mûre et concertée, mais un document qui fait partie encore de l'histoire qu'il raconte et qui porte
les traces des circonstances dramatiques dans lesquelles il a été rédigé. A
__ 4
aucun moment on ne sent l'écrivain derrière le texte, soucieux de dominer et
d'organiser la matière, encore moins le
collationneur ou l'éditeur, désireux d'arranger l'écrit en vue de la lecture. Tout se
passe comme si un témoignage nous
était livré à sa source dans le jaillissement
limpide et souverain de l'événement. .. Le
livre de Jérémie est ainsi doublement
inachevé : inachevé dans son inventaire
des paroles de Jérémie ; inachevé dans
Fac-Réflexion nO 44
- - - - - - - - - - - - - - A n c i e n Testamentle sens qu'il voulait donner à cet inventaire. »(1)
Nombreux sont les exégètes qui repèrent un tel caractère d'inachèvement ou
d'absence d'unité dans la prophétie de
Jérémie. Monloubou y discerne « un état
de désordre si évident qu'il faut bien
admettre qu'au-delà de l'influence de
Jérémie, ce livre a subi celle de multiples
auteurs, commentateurs, glossateurs
enfin »(2). John Bright applique à Jérémie
le jugement qu'il porte sur la plupart des
livres prophétiques de l'Ancien Testament: « Tout y est confus. Le lecteur n'y
trouve aucune narration qu'il pourrait
suivre, pas la moindre trace d'une progression logique qui unirait les différentes
sections du livre en un tout cohérent »(3).
(1)
André Neher, Jérémie, coll. Judaïsme, Israël,
Paris, Stock, 1960, 1980, p. 9-10.
(2)
L. Monloubou, " Les prophètes du Vile s. et du
début du Vie s. : Jérémie », dans Introduction à la
Bible, édition nouvelle. L'Ancien Testament. Introduction historique et critique, sous dir.
H. Cazelles, p. 398.
(3)
John Bright, Jeremiah, The Anchor Bible 21,
New-York, Doubleday, 1965, LVI. Telle est la raison qui a conduit de nombreux exégètes à se
concentrer sur l'étude d'une hypothétique préhistoire du livre de Jérémie, commencée par
Duhm en 1901 puis poursuivie en particulier par
S. Mowinckel (1914), J. Bright, E.W. Nicholson
et W. L. Holladay.
Fae-Réflexion n°
Le lecteur de la prophétie de Jérémie
devra-t-il donc se résigner à constater ce
manque d'unité du livre et cette absence
de dessein d'ensemble dans sa mise en
forme? Ou l'analyse de la prophétie permettrait-elle, au contraire, de mettre en
évidence une cohérence inattendue de
ses diverses parties, qui dévoile au lecteur l'intention de son auteur(4) ? Pour
tenter de choisir entre cette alternative,
rappelons tout d'abord les faits dont
toute compréhension de l'organisation
du livre se doit de tenir compte.
Texte massorétique (TM)
et Septante (LXX)
Deux recensions principales du livre de
Jérémie sont en notre possession: le
texte massorétique en hébreu(5) et la traduction grecque de la Septante. Or, ces
deux textes présentent deux divergences
essentielles :
• la Septante est plus courte que le
texte massorétique. Selon Graf (1862),
elle aurait 2700 mots en moins, ce qui
représente un huitième du livre. Cependant, « le phénomène n'est pas isolé
dans la Bible: Josué, Samuel, Ezéchiel
sont plus courts dans le grec et le Job
grec a quatre cents stiques de moins (un
cinquième) que le Job hébreu »(6). Un
(4)
Nous utilisons ici le terme d'auteur d'une
manière qui inclut l'" éditeur» et l'" organisateur»
du livre.
(5)
Suivi pour l'essentiel par la Peshitta, le Targum et
la Vulgate.
(6)
A. Gelin, " Jérémie (le livre de) » dans Supplément au dictionnaire de la Bible, vol. IV, col. 858.
--------------------5-
-Ancien Testament--------------certain nombre de différences entre la
Septante et le texte massorétique semblent donc s'expliquer par le travail des
traducteurs(?). Néanmoins, la découverte
près de Qumrân d'un papyrus en hébreu(8) plus proche de la Septante que
du texte massorétique suggère que les
divergences entre ces deux recensions
de l'Ancien Testament remontent à deux
textes hébreux dont l'un aurait servi de
base à la traduction de la Septante(9).
• L'ordre du texte massorétique diffère
de celui de la Septante. En effet, la Septante insère, après Jérémie 25.13, les
oracles contre les natiÇ)ns qui occupent
les chapitres 46 à 51 du texte massorétique. Par ailleurs, ces oracles n'apparaissent pas dans le même ordre dans
l'hébreu et dans le grec. Toute compréhension de l'organisation du livre devra
rendre compte de ces faits.
Une « anthologie
»
« Ce qui a survécu [du livre de Jérémie]
ne constitue pas un livre, souligne un
commentaire ... C'est une anthologie, ou
plus précisément une anthologie d'anthologies »(10). La prophétie regroupe, en
effet, plusieurs « recueils» qui composent
des sous-ensembles du livre:
• comme le suggèrent les divergences
entre le texte massorétique et la Septante, les oracles sur les nations (46 à 51)
constituent une entité à part qui est introduite par la formule: « Voici la parole de
l'Eternel adressée au prophète Jérémie
sur les nations» (46.1), et qui se conclut
sur ces mots : « Là prennent fin les
paroles de Jérémie» (51.64) ;
(7)
Cf. J.A. Thompson, The Book of Jeremiah,
NICOT, Grand Rapids, Eerdmans, 1981, p. 117118.
• le chapitre 52 forme un appendice
historique, emprunté à 2 Rois 24.18
à 25.30 ; cet appendice concerne la
chute de Jérusalem et confirme ainsi les
menaces adressées par le prophète à
son peuple;
(8)
Il s'agit de 40Jerb qui contient Jr 9.22 à 10.18
(avec les débuts de ligne mutilés). Les trois
autres manuscrits de Jérémie découverts à
Oumrân sont proches du TM (20Jer, 40Jera ,
40Jerc).
• les chapitres 30 et 31 constituent un
livret, rédigé à part (30.1), qui annonce la
restauration du peuple de Dieu;
(9)
Pour les débats sur la priorité du TM ou de la
LXX, voir plus bas et la présentation des enjeux
dans Peter C. Craigie, Page H. Kelley, Joel
F. Drinkard, jr., Jeremiah 1-25, Word Biblical
Commentary, Dallas, Word Books, 1991, XLIXLV. Voir aussi E. Tov, « Some Aspects of the
Textual and Literary History of the Book of Jeremiah » dans Le livre de Jérémie. Le prophète et
son milieu. Les oracles et leur transmission, sous
dir. P.-M. Bogaert, BETL L1V, Louvain, University
Press, 1981, p. 145-167.
(10)
Craigie, Kelley et Drinkard Jr., p. XXXI-XXXII.
__ 6
• Jérémie 51.60 mentionne un livret
sur Babylone qui regroupait toutes les
menaces de jugement prononcées par le
prophète sur le royaume mésopotamien.
Par ailleurs, plusieurs oracles forment
des entités définies et bien délimitées:
« A l'occasion de la sécheresse» (14.1
à 15.9), « Dans la maison du potier»
Fac-Réflexion n° 44
- - - - - - - - - - - - - - A n c i e n Testament(18.1-17), « Aux prophètes» (23.9-40),
etc. Finalement, le livre de Jérémie souligne l'activité rédactionnelle de Baruch,
bras droit et secrétaire de Jérémie, et
membre d'une famille influente du
royaume de Juda(11).
Le livre de Jérémie soulign,!
l'activitélÎedactionnelle c .
Baruch, bras droit et seCf!
taire de Jérémie, et membre
d'une famille influente du
royaume dq:Juda.
XM
L'activité rédactionnelle
de Baruch
Le livre de Jérémie mentionne explicitement l'activité rédactionnelle de Baruch
en 36.4-32 et en 45.1. C'est à ce scribe
que Jérémie a dicté, dans un premier
temps, le manuscrit que le roi Yehoyaqim
détruisit en le jetant au feu puis, dans un
deuxième temps, un nouveau manuscrit
auquel le prophète « ajouta de nombreuses paroles» (36.32). Le contenu
précis de ce deuxième manuscrit ou rouleau (l'Urra//e) a donné lieu à de nombreux débats. Certains le limitent aux dix
premiers chapitres de la prophétie(12),
d'autres l'étendent aux chapitres 1 à 20
et 25(13), d'autres encore y incluent plusieurs passages des oracles sur les
nations(14) .
Deux indices nous poussent à opter
pour cette dernière solution. Premièrement, le chapitre 45, qui pourrait jouer le
Fac-Réflexioll n°
rôle d'une signature éditoriale de tout le
livre de Jérémie, rappelle la dictée du
rouleau à Baruch (45.1). Ce rouleau
n'est-il pas présenté ainsi comme l'ossature même de toute la prophétie ?
Deuxièmement, Jérémie 36.2 souligne
que la perspective du rouleau de Baruch
ne se limite pas à Israël et à Juda mais
s'étend aux nations (<< sur Israël, sur Juda
et sur toutes les nations ») ; c'est pourquoi il nous paraît légitime d'identifier ce
rouleau avec le livre mentionné en 25.13,
dans lequel était consigné « ce que Jérémie a prophétisé contre toutes les
nations». Car il faut constater que ces
écrits sont datés tous deux de la même
année (25.1-2 ; 36.1 )(15).
(11)
Voir 32.12; 36.4ss. ; 43.3 ; 45.1. Fils de Neriya,
Baruch était le frère de Séraya, « responsable
du campement", qui accompagna le roi Sédécias lors de son voyage de 593 en Babylonie
(51.59).
(12)
En particulier William L. Holladay, The Architecture of Jeremiah 1-20, Lewisburg, Bucknell University Press, Londres, Associated University
Press, 1976, p. 171-174. Selon lui, le manuscrit brûlé se serait limité à 1.1 à 6.30.
(13)
P. ex., Bright, LVII-LVIII; voir JA Thompson,
p.59.
(14)
A. Baumann, Urro//e und Fasttag. Zur Rekonstruktion der Urro//e des Jeremiasbuches nach
den Angaben in Jer 36, ZAW, 1968, p. 350-372
selon Monloubou, p. 402 ; CF KeH, Jeremiah,
Lamentations, dans Commentary on the O/d
Testament, vol. VIII, 1. 1, trad. de l'allemand par
David Patrick et James Kennedy, Grand
Rapids, Eerdmans, rééd. 1978, p. 26-27.
(15)
Cf., cependant, Keil, n. 1, p. 376-378, qui note
que la clause: « Tout ce qui est écrit dans ce
livre et ce que Jérémie a prophétisé contre
toutes les nations" est rédactionnelle (cf. le
démonstratif « ce livre" et le passage du « je "
à « Jérémie ,,). Selon lui, puisque les oracles
de 50 et 51 contre Babylone n'ont été mis par.
---------------------7-
-Ancien Testament-------------La question chronologique
Tous les exégètes le relèvent : la prophétie respecte globalement la chronologie de l'époque. Ainsi, la plupart d'entre
eux attribuent les six premiers chapitres
du livre à l'époque de Josias. Néanmoins, la prophétie malmène aussi la
chronologie à de nombreuses reprises :
« Il est parfois difficile, affirme Harrison,
de comprendre pourquoi certains passages se trouvent là où ils se trouvent »(16). Ainsi, par exemple, Sédécias
apparaît dès les chapitres 21 et 24 alors
qu'en 22.24s. il est question de Yehoyakin (Koniahou) et en 25 de Yehoyaqim.
Puis ce même Yehoyaqim réapparaît aux
chapitres 35 et 36 alors que le chapitre 34 nous livre des prophéties datant
du temps de Sédécias. Ce « désordre»
chronologique est tel aux yeux de John
Bright que l'exégète renonce à commenter le livre en suivant l'ordre du texte
et regroupe les péricopes selon la date
des événements qu'elles rapportent(17).
depuis sa vocation (25.1-3). C'est en
cette année aussi que le prophète dicte à
Baruch le manuscrit que le roi judéen jettera au feu quelques mois plus tard
(36.1 s.). C'est de cette année encore
qu'est datée la signature éditoriale du
chapitre 45. Finalement, c'est de cette
année que date la défaite de l'Egypte
devant les armées babyloniennes à Karkémish, par laquelle sont introduits les
oracles sur les nations (46.1 )(18). Tout se
présente comme si les choses s'étaient
concrétisées en cette année-là.
écrit qu'en 593 (selon 51.59-60), le livre
de 25.13 est différent du rouleau de 36.2, 32.
La suite de Jr 25.15-38 et 36.2 suggèrent,
néanmoins, que dès la quatrième année de
Yehoyaqim, Jérémie avait annoncé le jugement
de Babylone. C'est pourquoi nous rejetons
l'interprétation de W.L. Holladay, Jeremiah 1,
Hermeneia, Philadelphie, Fortress, p. 669, selon
lequel la « nation » de 25.12 ne pouvait désigner
originellement Babylone mais visait Juda.
Ln
Une année semble jouer
rôle,1:pentral dans le livre, 6Q5,
la quatrième année de Vehoyaqim.
Un fait est particulièrement troublant :
une année semble jouer un rôle central
dans le livre, 605, /a quatrième année de
Yehoyaqim. C'est en cette année que
Jérémie fait publiquement le point sur les
vingt-trois ans de proclamation de la
Parole de Dieu qui se sont écoulés
__ 8
(16)
R.K. Harrison, Introduction to the Old Testament, Londres, Tyndale, 1970, p. 815.
(17)
Pour un essai de datation des oracles de Jérémie, voir R.K. Harrison, Jeremiah and Lamentations, TüTC, Londres, Tyndale, 1973, p. 33 ;
cf. déjà son Introduction. .. , p. 816 ; voir aussi
le « plan de lecture» dans R. Blanchet et autres,
Jérémie, un prophète en temps de crise, Essais
Bibliques 10, Genève, Labor et Fides, 1985,
p.41-43.
(18)
Il est à noter que tel n'est pas le cas dans la
Septante dans laquelle les oracles sur les
nations débutent par celui sur Elam (49.34 TM).
Fac-Réflexion n° 44
-Ancien Testament-------------La question chronologique
Tous les exégètes le relèvent : la prophétie respecte globalement la chronologie de l'époque. Ainsi, la plupart d'entre
eux attribuent les six premiers chapitres
du livre à l'époque de Josias. Néanmoins, la prophétie malmène aussi la
chronologie à de nombreuses reprises :
« Il est parfois difficile, affirme Harrison,
de comprendre pourquoi certains passages se trouvent là où ils se trouvent »(16). Ainsi, par exemple, Sédécias
apparaît dès les chapitres 21 et 24 alors
qu'en 22.24s. il est question de Yehoyakin (Koniahou) et en 25 de Yehoyaqim.
Puis ce même Yehoyaqim réapparaît aux
chapitres 35 et 36 alors que le chapitre 34 nous livre des prophéties datant
du temps de Sédécias. Ce « désordre»
chronologique est tel aux yeux de John
Bright que l'exégète renonce à commenter le livre en suivant l'ordre du texte
et regroupe les péricopes selon la date
des événements qu'elles rapportent(17).
Une année semble iouerLn
rôle,1:pentral dans le livre, 6Q5,
la quatrième année de Vehoyaqim.
Un fait est particulièrement troublant :
une année semble jouer un rôle central
dans le livre, 605, /a quatrième année de
Yehoyaqim. C'est en cette année que
Jérémie fait publiquement le point sur les
vingt-trois ans de proclamation de la
Parole de Dieu qui se sont écoulés
__ 8
depuis sa vocation (25.1-3). C'est en
cette année aussi que le prophète dicte à
Baruch le manuscrit que le roi judéen jettera au feu quelques mois plus tard
(36.1 s.). C'est de cette année encore
qu'est datée la signature éditoriale du
chapitre 45. Finalement, c'est de cette
année que date la défaite de l'Egypte
devant les armées babyloniennes à Karkémish, par laquelle sont introduits les
oracles sur les nations (46.1 )(18). Tout se
présente comme si les choses s'étaient
concrétisées en cette année-là.
écrit qu'en 593 (selon 51.59-60), le livre
de 25.13 est différent du rouleau de 36.2, 32.
La suite de Jr 25.15-38 et 36.2 suggèrent,
néanmoins, que dès la quatrième année de
Yehoyaqim, Jérémie avait annoncé le jugement
de Babylone. C'est pourquoi nous rejetons
l'interprétation de W.L. Holladay, Jeremiah 1,
Hermeneia, Philadelphie, Fortress, p. 669, selon
lequel la « nation » de 25.12 ne pouvait désigner
originellement Babylone mais visait Juda.
(16)
R.K. Harrison, Introduction to the Old Testament, Londres, Tyndale, 1970, p. 815.
(17)
Pour un essai de datation des oracles de Jérémie, voir R.K. Harrison, Jeremiah and Lamentations, TüTC, Londres, Tyndale, 1973, p. 33 ;
cf. déjà son Introduction. .. , p. 816 ; voir aussi
le « plan de lecture» dans R. Blanchet et autres,
Jérémie, un prophète en temps de crise, Essais
Bibliques 10, Genève, Labor et Fides, 1985,
p.41-43.
(18)
Il est à noter que tel n'est pas le cas dans la
Septante dans laquelle les oracles sur les
nations débutent par celui sur Elam (49.34 TM).
Fac-Réflexion n° 44
-Ancien Testament-------------A ce fait s'ajoute l'aspect très biographique de nombreux autres passages du
livre qui semble tout autant conter une
histoire que rapporter des oracles. Ces
textes biographiques constituent, en fait,
l'essentiel des chapitres 36 à 44.
L'organisation interne
du livre:
un essai d'interprétation
Jérémie et les autres livres prophétiques (TM et LXX)
La tradition manuscrite dont témoigne
la Septante a de toute évidence tenté de
reproduire dans le livre de Jérémie le
schéma classique des grands livres prophétiques d'Eséùe et d'Ezéchiel : (1) Sur
Juda et Israël ; (2) sur les nations ;
(3) oracles de salut. En fait, la situation
des oracles sur les nations en fin de livre
dans Jérémie est originale et unique,
même parmi les petits prophètes. C'est
pourquoi certains exégètes « organisent » le livre en liant ces oracles à
25.13(23). Mais en agissant ainsi, ils
n'expliquent en rien l'ordre actuel du
texte massorétique qui représente la lecture la plus difficile (et donc originelle(24) 7)
du texte. Car la question qui se pose est
celle de l'intention qui a gouverné le placement des oracles des nations en fin de
prophétie. Celui-ci n'a-t-il pas pour but
évident de présenter les quarante-cinq
premiers chapitres de la prophétie
comme une unité offrant un panorama
historique particulier des quarante dernières années de l'histoire de Juda 7
--10
La situation des oracles sur
les nations en fin de livre dans
Jérémie est originale et unique, même parmi les petits
prophètes.
La question chronologique
Cette histoire est, bien entendu, marquée par la chronologie des événements
de l'époque, que suit globalement le livre
comme nous l'avons souligné plus haut.
Cependant, le livre regroupe les sujets
apparentés (dans ses différents livrets ou
ses diverses sections bien définies(25)) et
surtout cette histoire est structurée au
moyen du rappel renouvelé de deux
moments ou épisodes clés qui forment
des textes pivots dans la prophétie: (1) la
quatrième année de Yehoyaqim (605),
date de la rédaction du rouleau de Baruch (chap. 25, 36 et 45) et de la défaite
de l'Egypte à Karkémish (chap. 46), et
(23)
P. ex. Monloubou, p. 403.
(24)
Cf. les remarques de Craigie, Kelley et Drinkard
Jr., p. 368. Par « originelle », nous soulignons
que le TM ne dérive pas d'un texte hébreu,
base de la LXX (Vor/age) , dans lequel les oracles
sur les nations apparaîtraient après 25.13. En
affirmant cela, nous ne nous prononçons pas
sur la priorité dans le temps entre la Vor/age et
leTM.
(25)
Cf. plus haut « une 'anthologie' » et la remarque
de Keil, p. 29 : « Le livre dans sa forme canonique a été organisé selon un plan précis et
cohérent pour lequel la préservation de l'ordre
chronologique n'a représenté qu'un enjeu
secondaire par rapport à celui du regroupement
des sujets apparentés. »
Fac-Réflexion n° 44
- - - - - - - - - - - - - - A n c i e n Testament(2) la prédication de Jérémie au Temple
(chap. 7 et 26(26)).
(chap. 30-31 et 33). Finalement, en 3745, la vie même de Jérémie est liée au
sort de Jérusalem et de son Temple.
Ceci donne la structure suivante :
Cette organisation de la prophétie inscrit dans la structure même du livre l'histoire des relations de l'Eternel avec son
peuple: c'est au Temple, « au commencement du règne de Yehoyaqim » (26.1),
que le ton monte (chap. 7) et que le
conflit éclate (chap. 26(27)) et lors de la
quatrième année du roi les « dés» sont
jetés: le jugement est inéluctable.
C'est au travers de son prophète que
Dieu instruit un procès avec son peuple
(2.9 ; et avec les nations: 25.31). Jérémie reçoit la Parole (1.2,4, 13 ; 2.1 ; etc.),
il en fait sa nourriture (15.16), « séduit» et
« vaincu» par l'Eternel (20.7). Face au
peuple qui rejette son message, il souffre
lui-même du rejet de ses concitoyens
(20.8 ; 18.18-23 ; 26 ; 37 ; 38) et célibataire (16.2), coupé de toute vie sociale
(16.5, 8), il mène une existence qui est
une métaphore vivante du jugement à
venir (16.3-4, 6-7, 9). Face à Dieu, en
revanche, malgré ses luttes, ses craintes
et son découragement, les yeux remplis
de larmes de compassion (8.23 ; 13.17)
et malgré l'interdiction qui lui est adressée (7.16; 11.14; 14.11), Jérémie ne
cesse de prier et de plaider pour son
peuple révolté (14.7-9, 13, 19-22). Dans
les ténèbres du conflit, par son exemple
La note biographique
Nous l'avons relevé: la note biographique concernant Jérémie court sur
toute la portée de la prophétie. Elle le fait
sur le mode du crescendo en 7 à 25, en
alternance avec les oracles du prophète,
au moyen des plaintes et des « confessions» de Jérémie(28). En 26 à 36, alors
que le conflit éclate (chap. 26) et que la
section débouche sur le rejet officiel de
la Parole de Dieu par Yehoyaqim
(chap. 36), le prophète accompagne de
sa foi (l'achat symbolique du chap. 32)
les paroles d'espérance qu'il proclame
Fac-Réflexion n°
(26)
On peut aussi relever que les deux derniers
chapitres des oracles sur les nations, qui visent
Babylone, annoncent « la vengeance de l'Eternel, la vengeance de son Temple» (50.28 ;
51.11 ).
(27)
Les deux narrations des chap. 7 et 26 ont un
effet de dramatisation. Le chap. 7 rapporte la
prédication de Jérémie, le chap. 26 en décrit les
conséquences : Jérémie échappe de peu à la
mort!
(28)
Il faudrait justifier notre propos dans le détail et
mettre en évidence cette alternance. Soulignons, cependant, qu'il nous semble profondément erroné d'extraire les « confessions » de
Jérémie de leur environnement textuel pour les
étudier car c'est précisément pour lui donner un
sens qu'elles y sont ainsi intégrées.
1-
-Ancien Testament-------------même il annonce l'aube de la rédemption
(chap. 32). Ainsi l'architecture du livre, au
moyen d'un savant mélange d'oracles et
de données biographiques, met en
lumière le drame qui se joue à Jérusalem,
durant les quelques quarante à cinquante
ans du ministère de Jérémie, entre Dieu
et son peuple.
rejet, reprendra les mots mêmes de son
prédécesseur : « Ma maison sera appelée une maison de prière. Mais vous,
vous en faites une caverne de voleurs
(Mt 21.13 et Il; Jr 7.11). » Il n'est donc
pas étonnant que, voyant le Fils de
l'homme, certains ont discerné en lui le
retour de Jérémie(30) (Mt 16.13-14).
•
J.B.
Face au peuple qui rejette son
message, il mène une exis.tence qui est une métaphore
vivaflte du juge!"ent à venit~
Face~ à Dieu, malgré ses IUftes, ~~s craintes et son déco~­
ragement, les yeux remplis
larmes de compassion, JéremieQe cesse de prier et
plaider pour son peuple.
..
fie
étf!
La cohérence d'un tel plan prouve
que le collectionnement de l'ensemble
des prophéties est l'œuvre, en une seule
fois, d'un seul éditeur [... ] : vraisemblablement Baruch, le collègue de Jérémie,
qui serait resté en vie jusqu'au dernier
événement mentionné dans le livre
(52.31 s.) »(29), la libération de Yehoyakin
après la mort de Nébucadnetsar en 561
avant Jésus-Christ.
«
L'autre Jérémie
Six cents ans plus tard, à Jérusalem,
au Temple une nouvelle fois, un autre
prophète, qui incarnera parfaitement la
Parole de Dieu face à l'opposition et au
--12
(29)
Keil, p. 28-29.
(30)
Signalons, cependant, l'interprétation de
J. Jeremias, « Jeremiah ", TDNT, vol. III, p. 220221, qui signale que selon le Talmud babylonien bb, 14b.bar, Jérémie était placé en début
des prophètes. L'expression « Jérémie ou l'un
des prophètes" (Mt 16.14) serait ainsi un
simple équivalent de « un des prophètes"
(Mc 8.28) ou « un des anciens prophètes"
(Lc 9.19).
Fac-Réflexion n° 44