Le livre de Jérémie : son architecture
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Le livre de Jérémie : son architecture
-Ancien Testament-------------L'accumulation des thèses, la multiplication des modes d'étude, rendent inévitable qu'on se spécialise, et de plus en plus. Mais gare à l'« effet pervers» ! Il ne faut pas que la spécialité emprisonne le spécialiste! Jacques BUCHHOLD offre un exemple éclatant de liberté. Spécialiste du Nouveau Testament, dont il occupe la chaire à la F.L. T.E., il se montre polyvalent comme peu savent l'être. A le lire sur la structure du livre de Jérémie, le lecteur s'écriera: « Rien de tel qu'un professeur de Nouveau Testament pour m'éclairer sur l'Ancien! » (Il est vrai que Jacques BUCHH0 LD enseigna jadis un cours biblique sur Jérémie ... ) Le livre de Jérémie : son architecture par Jacques BUCHHOLD I l Y a quelques années, le théologien juif André Neher écrivait: « Premier contact avec le livre de Jérémie: on a l'impression de tenir entre les mains non pas un livre, c'est-à-dire le produit d'une réflexion mûre et concertée, mais un document qui fait partie encore de l'histoire qu'il raconte et qui porte les traces des circonstances dramatiques dans lesquelles il a été rédigé. A __ 4 aucun moment on ne sent l'écrivain derrière le texte, soucieux de dominer et d'organiser la matière, encore moins le collationneur ou l'éditeur, désireux d'arranger l'écrit en vue de la lecture. Tout se passe comme si un témoignage nous était livré à sa source dans le jaillissement limpide et souverain de l'événement. .. Le livre de Jérémie est ainsi doublement inachevé : inachevé dans son inventaire des paroles de Jérémie ; inachevé dans Fac-Réflexion nO 44 - - - - - - - - - - - - - - A n c i e n Testamentle sens qu'il voulait donner à cet inventaire. »(1) Nombreux sont les exégètes qui repèrent un tel caractère d'inachèvement ou d'absence d'unité dans la prophétie de Jérémie. Monloubou y discerne « un état de désordre si évident qu'il faut bien admettre qu'au-delà de l'influence de Jérémie, ce livre a subi celle de multiples auteurs, commentateurs, glossateurs enfin »(2). John Bright applique à Jérémie le jugement qu'il porte sur la plupart des livres prophétiques de l'Ancien Testament: « Tout y est confus. Le lecteur n'y trouve aucune narration qu'il pourrait suivre, pas la moindre trace d'une progression logique qui unirait les différentes sections du livre en un tout cohérent »(3). (1) André Neher, Jérémie, coll. Judaïsme, Israël, Paris, Stock, 1960, 1980, p. 9-10. (2) L. Monloubou, " Les prophètes du Vile s. et du début du Vie s. : Jérémie », dans Introduction à la Bible, édition nouvelle. L'Ancien Testament. Introduction historique et critique, sous dir. H. Cazelles, p. 398. (3) John Bright, Jeremiah, The Anchor Bible 21, New-York, Doubleday, 1965, LVI. Telle est la raison qui a conduit de nombreux exégètes à se concentrer sur l'étude d'une hypothétique préhistoire du livre de Jérémie, commencée par Duhm en 1901 puis poursuivie en particulier par S. Mowinckel (1914), J. Bright, E.W. Nicholson et W. L. Holladay. Fae-Réflexion n° Le lecteur de la prophétie de Jérémie devra-t-il donc se résigner à constater ce manque d'unité du livre et cette absence de dessein d'ensemble dans sa mise en forme? Ou l'analyse de la prophétie permettrait-elle, au contraire, de mettre en évidence une cohérence inattendue de ses diverses parties, qui dévoile au lecteur l'intention de son auteur(4) ? Pour tenter de choisir entre cette alternative, rappelons tout d'abord les faits dont toute compréhension de l'organisation du livre se doit de tenir compte. Texte massorétique (TM) et Septante (LXX) Deux recensions principales du livre de Jérémie sont en notre possession: le texte massorétique en hébreu(5) et la traduction grecque de la Septante. Or, ces deux textes présentent deux divergences essentielles : • la Septante est plus courte que le texte massorétique. Selon Graf (1862), elle aurait 2700 mots en moins, ce qui représente un huitième du livre. Cependant, « le phénomène n'est pas isolé dans la Bible: Josué, Samuel, Ezéchiel sont plus courts dans le grec et le Job grec a quatre cents stiques de moins (un cinquième) que le Job hébreu »(6). Un (4) Nous utilisons ici le terme d'auteur d'une manière qui inclut l'" éditeur» et l'" organisateur» du livre. (5) Suivi pour l'essentiel par la Peshitta, le Targum et la Vulgate. (6) A. Gelin, " Jérémie (le livre de) » dans Supplément au dictionnaire de la Bible, vol. IV, col. 858. --------------------5- -Ancien Testament--------------certain nombre de différences entre la Septante et le texte massorétique semblent donc s'expliquer par le travail des traducteurs(?). Néanmoins, la découverte près de Qumrân d'un papyrus en hébreu(8) plus proche de la Septante que du texte massorétique suggère que les divergences entre ces deux recensions de l'Ancien Testament remontent à deux textes hébreux dont l'un aurait servi de base à la traduction de la Septante(9). • L'ordre du texte massorétique diffère de celui de la Septante. En effet, la Septante insère, après Jérémie 25.13, les oracles contre les natiÇ)ns qui occupent les chapitres 46 à 51 du texte massorétique. Par ailleurs, ces oracles n'apparaissent pas dans le même ordre dans l'hébreu et dans le grec. Toute compréhension de l'organisation du livre devra rendre compte de ces faits. Une « anthologie » « Ce qui a survécu [du livre de Jérémie] ne constitue pas un livre, souligne un commentaire ... C'est une anthologie, ou plus précisément une anthologie d'anthologies »(10). La prophétie regroupe, en effet, plusieurs « recueils» qui composent des sous-ensembles du livre: • comme le suggèrent les divergences entre le texte massorétique et la Septante, les oracles sur les nations (46 à 51) constituent une entité à part qui est introduite par la formule: « Voici la parole de l'Eternel adressée au prophète Jérémie sur les nations» (46.1), et qui se conclut sur ces mots : « Là prennent fin les paroles de Jérémie» (51.64) ; (7) Cf. J.A. Thompson, The Book of Jeremiah, NICOT, Grand Rapids, Eerdmans, 1981, p. 117118. • le chapitre 52 forme un appendice historique, emprunté à 2 Rois 24.18 à 25.30 ; cet appendice concerne la chute de Jérusalem et confirme ainsi les menaces adressées par le prophète à son peuple; (8) Il s'agit de 40Jerb qui contient Jr 9.22 à 10.18 (avec les débuts de ligne mutilés). Les trois autres manuscrits de Jérémie découverts à Oumrân sont proches du TM (20Jer, 40Jera , 40Jerc). • les chapitres 30 et 31 constituent un livret, rédigé à part (30.1), qui annonce la restauration du peuple de Dieu; (9) Pour les débats sur la priorité du TM ou de la LXX, voir plus bas et la présentation des enjeux dans Peter C. Craigie, Page H. Kelley, Joel F. Drinkard, jr., Jeremiah 1-25, Word Biblical Commentary, Dallas, Word Books, 1991, XLIXLV. Voir aussi E. Tov, « Some Aspects of the Textual and Literary History of the Book of Jeremiah » dans Le livre de Jérémie. Le prophète et son milieu. Les oracles et leur transmission, sous dir. P.-M. Bogaert, BETL L1V, Louvain, University Press, 1981, p. 145-167. (10) Craigie, Kelley et Drinkard Jr., p. XXXI-XXXII. __ 6 • Jérémie 51.60 mentionne un livret sur Babylone qui regroupait toutes les menaces de jugement prononcées par le prophète sur le royaume mésopotamien. Par ailleurs, plusieurs oracles forment des entités définies et bien délimitées: « A l'occasion de la sécheresse» (14.1 à 15.9), « Dans la maison du potier» Fac-Réflexion n° 44 - - - - - - - - - - - - - - A n c i e n Testament(18.1-17), « Aux prophètes» (23.9-40), etc. Finalement, le livre de Jérémie souligne l'activité rédactionnelle de Baruch, bras droit et secrétaire de Jérémie, et membre d'une famille influente du royaume de Juda(11). Le livre de Jérémie soulign,! l'activitélÎedactionnelle c . Baruch, bras droit et seCf! taire de Jérémie, et membre d'une famille influente du royaume dq:Juda. XM L'activité rédactionnelle de Baruch Le livre de Jérémie mentionne explicitement l'activité rédactionnelle de Baruch en 36.4-32 et en 45.1. C'est à ce scribe que Jérémie a dicté, dans un premier temps, le manuscrit que le roi Yehoyaqim détruisit en le jetant au feu puis, dans un deuxième temps, un nouveau manuscrit auquel le prophète « ajouta de nombreuses paroles» (36.32). Le contenu précis de ce deuxième manuscrit ou rouleau (l'Urra//e) a donné lieu à de nombreux débats. Certains le limitent aux dix premiers chapitres de la prophétie(12), d'autres l'étendent aux chapitres 1 à 20 et 25(13), d'autres encore y incluent plusieurs passages des oracles sur les nations(14) . Deux indices nous poussent à opter pour cette dernière solution. Premièrement, le chapitre 45, qui pourrait jouer le Fac-Réflexioll n° rôle d'une signature éditoriale de tout le livre de Jérémie, rappelle la dictée du rouleau à Baruch (45.1). Ce rouleau n'est-il pas présenté ainsi comme l'ossature même de toute la prophétie ? Deuxièmement, Jérémie 36.2 souligne que la perspective du rouleau de Baruch ne se limite pas à Israël et à Juda mais s'étend aux nations (<< sur Israël, sur Juda et sur toutes les nations ») ; c'est pourquoi il nous paraît légitime d'identifier ce rouleau avec le livre mentionné en 25.13, dans lequel était consigné « ce que Jérémie a prophétisé contre toutes les nations». Car il faut constater que ces écrits sont datés tous deux de la même année (25.1-2 ; 36.1 )(15). (11) Voir 32.12; 36.4ss. ; 43.3 ; 45.1. Fils de Neriya, Baruch était le frère de Séraya, « responsable du campement", qui accompagna le roi Sédécias lors de son voyage de 593 en Babylonie (51.59). (12) En particulier William L. Holladay, The Architecture of Jeremiah 1-20, Lewisburg, Bucknell University Press, Londres, Associated University Press, 1976, p. 171-174. Selon lui, le manuscrit brûlé se serait limité à 1.1 à 6.30. (13) P. ex., Bright, LVII-LVIII; voir JA Thompson, p.59. (14) A. Baumann, Urro//e und Fasttag. Zur Rekonstruktion der Urro//e des Jeremiasbuches nach den Angaben in Jer 36, ZAW, 1968, p. 350-372 selon Monloubou, p. 402 ; CF KeH, Jeremiah, Lamentations, dans Commentary on the O/d Testament, vol. VIII, 1. 1, trad. de l'allemand par David Patrick et James Kennedy, Grand Rapids, Eerdmans, rééd. 1978, p. 26-27. (15) Cf., cependant, Keil, n. 1, p. 376-378, qui note que la clause: « Tout ce qui est écrit dans ce livre et ce que Jérémie a prophétisé contre toutes les nations" est rédactionnelle (cf. le démonstratif « ce livre" et le passage du « je " à « Jérémie ,,). Selon lui, puisque les oracles de 50 et 51 contre Babylone n'ont été mis par. ---------------------7- -Ancien Testament-------------La question chronologique Tous les exégètes le relèvent : la prophétie respecte globalement la chronologie de l'époque. Ainsi, la plupart d'entre eux attribuent les six premiers chapitres du livre à l'époque de Josias. Néanmoins, la prophétie malmène aussi la chronologie à de nombreuses reprises : « Il est parfois difficile, affirme Harrison, de comprendre pourquoi certains passages se trouvent là où ils se trouvent »(16). Ainsi, par exemple, Sédécias apparaît dès les chapitres 21 et 24 alors qu'en 22.24s. il est question de Yehoyakin (Koniahou) et en 25 de Yehoyaqim. Puis ce même Yehoyaqim réapparaît aux chapitres 35 et 36 alors que le chapitre 34 nous livre des prophéties datant du temps de Sédécias. Ce « désordre» chronologique est tel aux yeux de John Bright que l'exégète renonce à commenter le livre en suivant l'ordre du texte et regroupe les péricopes selon la date des événements qu'elles rapportent(17). depuis sa vocation (25.1-3). C'est en cette année aussi que le prophète dicte à Baruch le manuscrit que le roi judéen jettera au feu quelques mois plus tard (36.1 s.). C'est de cette année encore qu'est datée la signature éditoriale du chapitre 45. Finalement, c'est de cette année que date la défaite de l'Egypte devant les armées babyloniennes à Karkémish, par laquelle sont introduits les oracles sur les nations (46.1 )(18). Tout se présente comme si les choses s'étaient concrétisées en cette année-là. écrit qu'en 593 (selon 51.59-60), le livre de 25.13 est différent du rouleau de 36.2, 32. La suite de Jr 25.15-38 et 36.2 suggèrent, néanmoins, que dès la quatrième année de Yehoyaqim, Jérémie avait annoncé le jugement de Babylone. C'est pourquoi nous rejetons l'interprétation de W.L. Holladay, Jeremiah 1, Hermeneia, Philadelphie, Fortress, p. 669, selon lequel la « nation » de 25.12 ne pouvait désigner originellement Babylone mais visait Juda. Ln Une année semble jouer rôle,1:pentral dans le livre, 6Q5, la quatrième année de Vehoyaqim. Un fait est particulièrement troublant : une année semble jouer un rôle central dans le livre, 605, /a quatrième année de Yehoyaqim. C'est en cette année que Jérémie fait publiquement le point sur les vingt-trois ans de proclamation de la Parole de Dieu qui se sont écoulés __ 8 (16) R.K. Harrison, Introduction to the Old Testament, Londres, Tyndale, 1970, p. 815. (17) Pour un essai de datation des oracles de Jérémie, voir R.K. Harrison, Jeremiah and Lamentations, TüTC, Londres, Tyndale, 1973, p. 33 ; cf. déjà son Introduction. .. , p. 816 ; voir aussi le « plan de lecture» dans R. Blanchet et autres, Jérémie, un prophète en temps de crise, Essais Bibliques 10, Genève, Labor et Fides, 1985, p.41-43. (18) Il est à noter que tel n'est pas le cas dans la Septante dans laquelle les oracles sur les nations débutent par celui sur Elam (49.34 TM). Fac-Réflexion n° 44 -Ancien Testament-------------La question chronologique Tous les exégètes le relèvent : la prophétie respecte globalement la chronologie de l'époque. Ainsi, la plupart d'entre eux attribuent les six premiers chapitres du livre à l'époque de Josias. Néanmoins, la prophétie malmène aussi la chronologie à de nombreuses reprises : « Il est parfois difficile, affirme Harrison, de comprendre pourquoi certains passages se trouvent là où ils se trouvent »(16). Ainsi, par exemple, Sédécias apparaît dès les chapitres 21 et 24 alors qu'en 22.24s. il est question de Yehoyakin (Koniahou) et en 25 de Yehoyaqim. Puis ce même Yehoyaqim réapparaît aux chapitres 35 et 36 alors que le chapitre 34 nous livre des prophéties datant du temps de Sédécias. Ce « désordre» chronologique est tel aux yeux de John Bright que l'exégète renonce à commenter le livre en suivant l'ordre du texte et regroupe les péricopes selon la date des événements qu'elles rapportent(17). Une année semble iouerLn rôle,1:pentral dans le livre, 6Q5, la quatrième année de Vehoyaqim. Un fait est particulièrement troublant : une année semble jouer un rôle central dans le livre, 605, /a quatrième année de Yehoyaqim. C'est en cette année que Jérémie fait publiquement le point sur les vingt-trois ans de proclamation de la Parole de Dieu qui se sont écoulés __ 8 depuis sa vocation (25.1-3). C'est en cette année aussi que le prophète dicte à Baruch le manuscrit que le roi judéen jettera au feu quelques mois plus tard (36.1 s.). C'est de cette année encore qu'est datée la signature éditoriale du chapitre 45. Finalement, c'est de cette année que date la défaite de l'Egypte devant les armées babyloniennes à Karkémish, par laquelle sont introduits les oracles sur les nations (46.1 )(18). Tout se présente comme si les choses s'étaient concrétisées en cette année-là. écrit qu'en 593 (selon 51.59-60), le livre de 25.13 est différent du rouleau de 36.2, 32. La suite de Jr 25.15-38 et 36.2 suggèrent, néanmoins, que dès la quatrième année de Yehoyaqim, Jérémie avait annoncé le jugement de Babylone. C'est pourquoi nous rejetons l'interprétation de W.L. Holladay, Jeremiah 1, Hermeneia, Philadelphie, Fortress, p. 669, selon lequel la « nation » de 25.12 ne pouvait désigner originellement Babylone mais visait Juda. (16) R.K. Harrison, Introduction to the Old Testament, Londres, Tyndale, 1970, p. 815. (17) Pour un essai de datation des oracles de Jérémie, voir R.K. Harrison, Jeremiah and Lamentations, TüTC, Londres, Tyndale, 1973, p. 33 ; cf. déjà son Introduction. .. , p. 816 ; voir aussi le « plan de lecture» dans R. Blanchet et autres, Jérémie, un prophète en temps de crise, Essais Bibliques 10, Genève, Labor et Fides, 1985, p.41-43. (18) Il est à noter que tel n'est pas le cas dans la Septante dans laquelle les oracles sur les nations débutent par celui sur Elam (49.34 TM). Fac-Réflexion n° 44 -Ancien Testament-------------A ce fait s'ajoute l'aspect très biographique de nombreux autres passages du livre qui semble tout autant conter une histoire que rapporter des oracles. Ces textes biographiques constituent, en fait, l'essentiel des chapitres 36 à 44. L'organisation interne du livre: un essai d'interprétation Jérémie et les autres livres prophétiques (TM et LXX) La tradition manuscrite dont témoigne la Septante a de toute évidence tenté de reproduire dans le livre de Jérémie le schéma classique des grands livres prophétiques d'Eséùe et d'Ezéchiel : (1) Sur Juda et Israël ; (2) sur les nations ; (3) oracles de salut. En fait, la situation des oracles sur les nations en fin de livre dans Jérémie est originale et unique, même parmi les petits prophètes. C'est pourquoi certains exégètes « organisent » le livre en liant ces oracles à 25.13(23). Mais en agissant ainsi, ils n'expliquent en rien l'ordre actuel du texte massorétique qui représente la lecture la plus difficile (et donc originelle(24) 7) du texte. Car la question qui se pose est celle de l'intention qui a gouverné le placement des oracles des nations en fin de prophétie. Celui-ci n'a-t-il pas pour but évident de présenter les quarante-cinq premiers chapitres de la prophétie comme une unité offrant un panorama historique particulier des quarante dernières années de l'histoire de Juda 7 --10 La situation des oracles sur les nations en fin de livre dans Jérémie est originale et unique, même parmi les petits prophètes. La question chronologique Cette histoire est, bien entendu, marquée par la chronologie des événements de l'époque, que suit globalement le livre comme nous l'avons souligné plus haut. Cependant, le livre regroupe les sujets apparentés (dans ses différents livrets ou ses diverses sections bien définies(25)) et surtout cette histoire est structurée au moyen du rappel renouvelé de deux moments ou épisodes clés qui forment des textes pivots dans la prophétie: (1) la quatrième année de Yehoyaqim (605), date de la rédaction du rouleau de Baruch (chap. 25, 36 et 45) et de la défaite de l'Egypte à Karkémish (chap. 46), et (23) P. ex. Monloubou, p. 403. (24) Cf. les remarques de Craigie, Kelley et Drinkard Jr., p. 368. Par « originelle », nous soulignons que le TM ne dérive pas d'un texte hébreu, base de la LXX (Vor/age) , dans lequel les oracles sur les nations apparaîtraient après 25.13. En affirmant cela, nous ne nous prononçons pas sur la priorité dans le temps entre la Vor/age et leTM. (25) Cf. plus haut « une 'anthologie' » et la remarque de Keil, p. 29 : « Le livre dans sa forme canonique a été organisé selon un plan précis et cohérent pour lequel la préservation de l'ordre chronologique n'a représenté qu'un enjeu secondaire par rapport à celui du regroupement des sujets apparentés. » Fac-Réflexion n° 44 - - - - - - - - - - - - - - A n c i e n Testament(2) la prédication de Jérémie au Temple (chap. 7 et 26(26)). (chap. 30-31 et 33). Finalement, en 3745, la vie même de Jérémie est liée au sort de Jérusalem et de son Temple. Ceci donne la structure suivante : Cette organisation de la prophétie inscrit dans la structure même du livre l'histoire des relations de l'Eternel avec son peuple: c'est au Temple, « au commencement du règne de Yehoyaqim » (26.1), que le ton monte (chap. 7) et que le conflit éclate (chap. 26(27)) et lors de la quatrième année du roi les « dés» sont jetés: le jugement est inéluctable. C'est au travers de son prophète que Dieu instruit un procès avec son peuple (2.9 ; et avec les nations: 25.31). Jérémie reçoit la Parole (1.2,4, 13 ; 2.1 ; etc.), il en fait sa nourriture (15.16), « séduit» et « vaincu» par l'Eternel (20.7). Face au peuple qui rejette son message, il souffre lui-même du rejet de ses concitoyens (20.8 ; 18.18-23 ; 26 ; 37 ; 38) et célibataire (16.2), coupé de toute vie sociale (16.5, 8), il mène une existence qui est une métaphore vivante du jugement à venir (16.3-4, 6-7, 9). Face à Dieu, en revanche, malgré ses luttes, ses craintes et son découragement, les yeux remplis de larmes de compassion (8.23 ; 13.17) et malgré l'interdiction qui lui est adressée (7.16; 11.14; 14.11), Jérémie ne cesse de prier et de plaider pour son peuple révolté (14.7-9, 13, 19-22). Dans les ténèbres du conflit, par son exemple La note biographique Nous l'avons relevé: la note biographique concernant Jérémie court sur toute la portée de la prophétie. Elle le fait sur le mode du crescendo en 7 à 25, en alternance avec les oracles du prophète, au moyen des plaintes et des « confessions» de Jérémie(28). En 26 à 36, alors que le conflit éclate (chap. 26) et que la section débouche sur le rejet officiel de la Parole de Dieu par Yehoyaqim (chap. 36), le prophète accompagne de sa foi (l'achat symbolique du chap. 32) les paroles d'espérance qu'il proclame Fac-Réflexion n° (26) On peut aussi relever que les deux derniers chapitres des oracles sur les nations, qui visent Babylone, annoncent « la vengeance de l'Eternel, la vengeance de son Temple» (50.28 ; 51.11 ). (27) Les deux narrations des chap. 7 et 26 ont un effet de dramatisation. Le chap. 7 rapporte la prédication de Jérémie, le chap. 26 en décrit les conséquences : Jérémie échappe de peu à la mort! (28) Il faudrait justifier notre propos dans le détail et mettre en évidence cette alternance. Soulignons, cependant, qu'il nous semble profondément erroné d'extraire les « confessions » de Jérémie de leur environnement textuel pour les étudier car c'est précisément pour lui donner un sens qu'elles y sont ainsi intégrées. 1- -Ancien Testament-------------même il annonce l'aube de la rédemption (chap. 32). Ainsi l'architecture du livre, au moyen d'un savant mélange d'oracles et de données biographiques, met en lumière le drame qui se joue à Jérusalem, durant les quelques quarante à cinquante ans du ministère de Jérémie, entre Dieu et son peuple. rejet, reprendra les mots mêmes de son prédécesseur : « Ma maison sera appelée une maison de prière. Mais vous, vous en faites une caverne de voleurs (Mt 21.13 et Il; Jr 7.11). » Il n'est donc pas étonnant que, voyant le Fils de l'homme, certains ont discerné en lui le retour de Jérémie(30) (Mt 16.13-14). • J.B. Face au peuple qui rejette son message, il mène une exis.tence qui est une métaphore vivaflte du juge!"ent à venit~ Face~ à Dieu, malgré ses IUftes, ~~s craintes et son déco~ ragement, les yeux remplis larmes de compassion, JéremieQe cesse de prier et plaider pour son peuple. .. fie étf! La cohérence d'un tel plan prouve que le collectionnement de l'ensemble des prophéties est l'œuvre, en une seule fois, d'un seul éditeur [... ] : vraisemblablement Baruch, le collègue de Jérémie, qui serait resté en vie jusqu'au dernier événement mentionné dans le livre (52.31 s.) »(29), la libération de Yehoyakin après la mort de Nébucadnetsar en 561 avant Jésus-Christ. « L'autre Jérémie Six cents ans plus tard, à Jérusalem, au Temple une nouvelle fois, un autre prophète, qui incarnera parfaitement la Parole de Dieu face à l'opposition et au --12 (29) Keil, p. 28-29. (30) Signalons, cependant, l'interprétation de J. Jeremias, « Jeremiah ", TDNT, vol. III, p. 220221, qui signale que selon le Talmud babylonien bb, 14b.bar, Jérémie était placé en début des prophètes. L'expression « Jérémie ou l'un des prophètes" (Mt 16.14) serait ainsi un simple équivalent de « un des prophètes" (Mc 8.28) ou « un des anciens prophètes" (Lc 9.19). Fac-Réflexion n° 44