Dénouement de la nuit de Valognes
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Dénouement de la nuit de Valognes
Eléments pour l’introduction Création de la pièce et éléments sur l’auteur - voir le livre. L’intrigue de la pièce dure une nuit. Nous sommes donc au petit jour. Dom Juan, convié à un repas avec cinq de ses anciennes maîtresses, organisé par la duchesse, a fini par montrer qu’il avait changé. Profondément ébranlé par sa rencontre avec le qui lui fait découvrir l’amour- rencontre racontée par Sganarelle, mais jouée sur scène - il annonce vouloir changer de vie et se tourner ver l’amour et le bien. Deux femmes viennent de quitter la pièce offusquées par ce revirement. Restent la duchesse, Mme Cassin et Marion. Il s’agit donc apparemment d’une réécriture très éloignée du dénouement. On peut cependant se demander quels sont les échos et les différences avec les scènes étudiées précédemment, en se posant la question: quelles sont les réactions que ce dénouement vise à susciter chez le spectateur? 1. Un dénouement original – Les femmes ont la parole Dom Juan parle peu, dit « je ne sais pas » et pose des questions qui mettent en valeur ses doutes. Les femmes et surtout la duchesse ont un temps de parole plus important. Dom Juan a subi une métamorphose et ne cherche plus à dominer par la parole. La duchesse mène la scène et met en scène le départ de Dom Juan. Elle fait éteindre les lumières « éteins les bougies ». Elle explicite le thème de la renaissance par la longue comparaison de la situation de Dom Juan avec celle du nouveau né aveugle « On dit que les nouveaux-nés sont quasiment aveugles… Le chevalier l’a fait. » Elle analyse la métamorphose de Don Juan comme la fin d’un aveuglement, et la banalise dans la vie d’un homme. Le Chevalier, l’homme qui l’a révélé, c’est «le sourire d’une mère, les deux mains d’un père » (l. 9) pour un enfant; c’est «à l’âge adulte, [...] un homme ou une femme. » De ce fait, le personnage perd de son pouvoir de fascination. Mme Cassin elle même exprime une forme de pitié pour le personnage, après lui avoir exprimé sa sollicitude « Bonne chance, Dom Juan. » « Un homme, c’est toujours un petit homme ». – La naissance d’un petit homme Nous avons vu que chez Molière et Da Ponté, DJ pouvait sortir grandi du dénouement. Ici, à l’inverse, il perd de la grandeur. Outre « le petit homme » déjà évoqué, on peut noter dans le discours même de DJ un aveu insistant de faiblesse « on a peur d’être broyé par la lumière, trahi par toutes les mains, balloté par les souffles du monde, que l’on tremble à l’idée juste d’être une simple et haletante poussière perdue dans l’univers ». La peur est évoquée sous deux formes, l’image du grain de poussière est frappante, et les trois verbes évoquent justement la souffrance que DJ a pu faire subir aux autres « broyé », « trahi », « balloté ». Il semble que DJ, en quittant le théâtre, rentre dans la vraie vie, « le jour » - qui s’opposent aux lumières artificielles - où les rôles sont moins claires, comme le montrent les paroles de la duchesse: « le jour qui se lève, comme il nous trouble, comme il brouille tout. A nos chandelles, les profils étaient nets… ». C’est une sortie de scène qui semble lui faire perdre son statut de personnage de théâtre, justement, net et tranché. A l’inverse des oeuvres étudiées précédemment, Dom Juan sort apaisé, sans souffrance et sans cri, ce n’est pas une mort, c’est une naissance, comme le montre par deux fois la duchesse (comparaison avec le nouveau né et réponse très brève à la 1ère questions de DJ: « la naissance »). Il ne s’agit pas de mort, mais de vie. C’est confirmé par Mme Cassin « un homme naît ». Naissance redoublée par sa propre grossesse soudain dévoilée. Première L Dénouement de la nuit de Valognes - E.E Schmitt 2. Un dénouement théâtral – Jeux de lumière Les éléments du décor, l’éclairage contribuent à donner à voir ce dénouement. Don Juan est un héros de la nuit, qui vit dans la nuit, qui se réfugie dans la nuit. Le titre La Nuit de Valognes dit bien à lui seul l’importance qu’elle joue dans la pièce et pour le personnage. Il « a peur d’être broyé par la lumière. » (l. 32). Il est intéressant de constater qu’elle se fait jour au fur et à mesure que la scène progresse. L’aube est une naissance qui exige un silence respectueux (l. 3) : on éteint les bougies ; le noir va céder sa place au blanc, qui arrive «des grandes baies» (l. 4). Marion va ensuite ouvrir les rideaux de façon à faire entrer le jour et à convoquer l’espace hors- scène sur le plateau. Il s’agit bien d’élargir l’espace scénique. Don Juan «s’éloigne lentement dans le lointain.». Les femmes sont, près des hautes fenêtres, à contre-jour ; la lumière et l’action ne sont plus vraiment sur la scène, puisque «Don Juan rejoint le jour» (l. 46) pour entrer dans un nouveau monde. Cette fin est spectaculaire; elle est visuelle et accompagne le questionnement final de Don Juan en lui donnant une portée symbolique. – Spectaculaire Éric-Emmanuel Schmitt multiplie donc les effets à la fin de sa pièce; le décor qui s’ouvre, la lumière qui irradie le personnage, soulignant sa transformation, le dialogue qui donne de l’ampleur aux propos, la dernière tirade de Sganarelle qui rappelle le mythe en sanglotant assis sur le bord de la scène, l’ensemble met en évidence la dimension théâtrale de cette fin. On pourrait penser que c’est sa façon à lui de répondre au côté spectaculaire des conclusions des pièces de Tirso de Molina, Molière et Da Ponte. Chez ces prédécesseurs, le surnaturel vient mettre un terme à la vie de Don Juan qui sombre dans les flammes de l’Enfer. On peut dire que, dans La Nuit de Valognes, le personnage est happé par la lumière, qui a une résonance mystique. Il se condamne à vivre avec les hommes, à rechercher un bonheur qu’on imagine spirituel. Les prédécesseurs d’Éric-Emmanuel Schmitt visent à frapper les imaginations des spectateurs, à les impressionner, qu’ils soient effrayés ou admiratifs devant l’attitude du séducteur, par la couleur, le bruit, le feu, les éclairs, le tonnerre, qui accompagnent de leur teneur vengeresse les propos du Commandeur. Dans cette dernière scène de La Nuit de Valognes, l’auteur à travers l’éclairage, qui graduellement emplit la scène et éclaire la sortie de Don Juan, nous propose une version apaisée et sereine de la mort du personnage, puisqu’il opte pour une autre vie. 3. Quelle leçon? – La dimension spirituelle Don Juan réussit à se convertir d’une manière presque mystique en homme ordinaire, personne responsable. Le jour qui se lève, sa naissance met en évidence l’innocence retrouvée du personnage. Les femmes le regardent comme un enfant qu’elles auraient porté. Il n’est plus un objet de désir et de haine. Il montre une certaine humilité. Il semble a priori un peu perdu (l. 16). Il ne sait pas où aller mais en ajoutant «au-delà de moi» ll abandonne son ego et donne à son errance une dimension métaphysique. Don Juan reste un être de l’Amour mais il s’agit d’un amour mystique qui l’éloigne de Première L – Enfin un clin d’oeil à Molière: Éric-Emmanuel Schmitt reprend la célèbre réplique de Sganarelle «Mes gages, mes gages». On peut y voir une manière habile, en faisant appel à l’intertextualité, de la réécrire. L’auteur parle de clin d’œil à Molière. Elle n’a de sens que parce qu’elle renvoie à la plainte de son Sganarelle. Ici, elle permet de mettre en évidence le changement d’attitude de Don Juan. C’est un bon maître qui paie ses dettes, ce qu’il ne semble pas faire habituellement. Ce n’est donc plus le Don Juan de théâtre, ce que semble regretter Sganarelle, «fou de chagrin», qui reste lui, un véritable personnage de théâtre, une conscience qui blâme. Or son maître est devenu un honnête homme, respectueux des autres. Questions possibles – Héros ou anti-héros? – En quoi ce dénouement est-il original? En quoi ne l’est-il pas? – Ce dénouement brise-t-il le mythe de Don Juan? (Source: Français 1ère S/ES/L, Empreintes littéraires, Magnard, 2011) Première L lui, qui le fait «sortir, plonger dans l’inconnu, aller à la rencontre des autres.» (l. 27). La gradation, le rythme ternaire et son ampleur soulignent la quête du personnage, l’envie de s’élever et de communier. Si Don Juan a découvert qu’il aimait le chevalier, il a surtout trouvé dans l’amour une dimension qui n’est pas sexuelle, qui n’est pas physique, mais qui est l’amour des autres. Il n’y a ni exclusivité ni amour divin qui traduirait un égoïsme, mais une sorte de quête intérieure qui passe par l’amour des autres; cela passe par la prise de conscience de sa nouvelle situation. Le voilà en pleine lumière, « trahi par toutes les mains, ballotté par les souffles du monde » (l. 32-34), tremblant. Don Juan connait ainsi l’angoisse métaphysique, «d’être une simple et haletante poussière, perdue dans l’univers. » (l. 34-35). Comme le dit la Duchesse, « un homme naît » (l. 46). « Un petit homme » conscient de sa fragilité, qui n’est plus un surhomme ni un homme sûr, un homme qui trahit son personnage, plein de certitudes. Éric-Emmanuel Schmitt nous donne ainsi sa version de Don Juan où tout est brouillé. Reste un homme qui s’interroge sur le sens de la vie et de l’amour. Un autre Don Juan voit le jour mais en même temps «il nous trouble.» – Héroïsme et leçon? On peut considérer qu’en cassant son personnage, Don Juan prend une dimension qui le rend certes plus proche de nous mais aussi renouvelle sa quête qui pouvait sembler répétitive, une femme succédant à une autre. Éric-Emmanuel Schmitt nous le montre sous un nouveau jour, prêt à affronter la vie et à donner un nouveau sens à sa vie. L’héroïsme, ici, c’est de savoir rompre avec son passé et accepter l’avenir. Mais on peut considérer que Don Juan renonce à sa vie de séducteur, qu’il cède aux pressions et notamment à celles de l’amour. Or Don Juan est un théoricien, froid. Son héroïsme consiste à résister et à se révolter et non à subir. Ici, Don Juan s’est laissé séduire par le Chevalier, sorte d’avatar de la statue : dans l’acte III scène 4, ce dernier en a pris l’apparence. Dans cette scène, ce sont les femmes qui le guident, l’aident à naître. Ce n’est plus un héros; «c’est un petit homme.» En cela, la pièce est assez fidèle à la morale traditionnelle: le personnage n’est pas puni, comme chez Molière ou Tirso de Molina, mais il s’amende, et les femmes, ses victimes, sont gagnantes.