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Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence 59 (2011) 415–419 Article original Validation d’une version courte en langue française pour adolescents de la Compulsive Internet Use Scale Validation of a short French version for adolescents of the Compulsive Internet Use Scale N. Cartierre ∗ , N. Coulon , R. Demerval Laboratoire socio-psychologie et management du sport (SPMS – EA 4180), université de Bourgogne – UFR STAPS, BP 27 877, 21078 Dijon cedex, France Résumé La Compulsive Internet Use Scale (CIUS) est un outil conçu pour évaluer la sévérité du comportement compulsif lié à Internet. L’objectif de cet article est de proposer une validation en langue française d’une version courte en neuf items adaptée à la population adolescente. L’échantillon était composé de 269 adolescents d’âge moyen de 13,8 ans. Les résultats des analyses confirmatoires montrent qu’un modèle unidimensionnel (␣ = 0,85) s’ajuste correctement aux données et est invariant selon le genre. La validité de critère est examinée à l’aide de deux scores de dépression et d’estime de soi. Quand les adolescents sont classés en deux catégories – compulsifs, non-compulsifs – les premiers ont des scores de dépression plus élevés et des scores d’estime de soi plus faibles que les seconds. La CUIS-9 présente donc de bonnes qualités psychométriques et constitue un outil potentiellement utile pour les chercheurs et les praticiens. © 2011 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Mots clés : Adolescents ; Échelle ; Addiction ; Internet ; CIUS ; Analyse factorielle confirmatoire Abstract The Compulsive Internet Uses Scale (CIUS) is a tool designed to evaluate the severity of the Internet-related compulsive behavior. The aim of this article is to propose a French validation of a 9-items short version adapted for the adolescent population. The sample was composed of 269 adolescents with a mean age of 13.8 years. The results of the confirmatory analyses show that a unidimensional model (␣ = 0.85) is correctly adjusted with the data and is invariant among gender. The criterion validity is examined using two scores of depression and self-esteem. When the adolescents are classified in two categories – compulsive; non-compulsive – the firsts have higher scores of depression and weaker scores of self-esteem than the seconds. The CUIS-9 thus has good psychometric qualities and constitutes a potentially useful tool for researchers and the practitioners. © 2011 Elsevier Masson SAS. All rights reserved. Keywords: Adolescents; Scale; Addiction; Internet; CIUS; Confirmatory factor analysis 1. Introduction L’accès à Internet connaît une évolution technologique rapide et une large diffusion qui concerne aujourd’hui des enfants et des adolescents de plus en plus jeunes. La connexion est illimitée, souvent sans contrôle parental, créant ainsi une situation de grande vulnérabilité qui inquiète depuis quelques années les spé- ∗ Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (N. Cartierre). 0222-9617/$ – see front matter © 2011 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.neurenf.2011.06.003 cialistes du développement de l’enfant et de l’adolescent [1,2]. Cependant, l’usage problématique d’Internet doit être distingué d’une consommation certes abondante mais non envahissante ou encore d’une passion pour un domaine de connaissance se réalisant par le biais de ces nouveaux médias. [3]. Les expressions – cyberdépendance ou cyberaddiction – sont parfois employées de façon interchangeable pour désigner la situation des individus qui ont du mal à contrôler leur utilisation d’Internet au point de provoquer, d’entretenir ou d’amplifier un certain nombre de troubles de santé et de dysfonctionnement psychosociaux tels que la dépression, l’isolement social, une 416 N. Cartierre et al. / Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence 59 (2011) 415–419 faible estime de soi, des conflits avec la famille et des difficultés scolaires ou professionnelles [4–6]. Cependant, cette pathologie n’est actuellement pas répertoriée dans les manuels internationaux de classification des maladies tels que la CIM10 ou le DSM-IV. Young [7] a transposé d’emblée les critères de dépendance à une substance mais elle a ensuite préféré adapter les critères diagnostiques du DSM-IV concernant le jeu pathologique, catégorisé comme un trouble du contrôle des impulsions. Cette simple adaptation des critères d’une pathologie à une autre a été contestée pour son caractère non scientifique. D’autres auteurs ont préféré se référer au concept d’addiction, avec ou sans substance, tel que proposé par Goodman [8]. Selon cet auteur, l’addiction est un processus par lequel un comportement, qu’il soit motivé pour satisfaire un plaisir ou pour soulager une souffrance interne, répond à deux caractéristiques principales : l’échec des tentatives de contrôle de ce comportement et sa persistance malgré des conséquences négatives. Mais là encore, s’agissant spécifiquement de l’usage problématique d’Internet, les critères diagnostiques varient selon les auteurs [9–11]. Selon Griffiths [12], il existe très peu de cas qui répondent totalement aux six caractéristiques d’une dépendance : le repli sur soi, la modification de l’humeur, la tolérance, le manque, des conflits et la rechute. La controverse concernant la pertinence, la légitimité et la validité des concepts de dépendance ou d’addiction, dans le cas d’un usage problématique d’Internet, a conduit certains chercheurs à utiliser des expressions telles que consommation pathologique ou excessive ou encore abusive [4,13]. Pour leur part, Meerkerk et al. [14] considèrent la composante compulsive d’un comportement qui pourrait être problématique dans l’usage d’Internet. Pour ces auteurs, l’utilisation compulsive d’Internet répond à cinq critères principaux qui sont : • ressentir des émotions négatives lorsque l’utilisation d’Internet est impossible ; • continuer l’activité sur Internet malgré l’intention d’arrêter ; • utiliser Internet pour s’extraire de pensées négatives ; • être obnubilé par Internet au niveau de ses pensées et de ses comportements ; • ne pas pouvoir éviter les conflits personnels et interpersonnels liés à une utilisation excessive d’Internet. Sur cette base, ils ont élaboré la Compulsive Internet Utilisation Scale (CIUS) composée de 14 items et présentant un indice de cohérence interne élevé. Les outils disponibles dans la littérature ont été pour la plupart conçus pour des adultes avec l’objectif d’établir un diagnostic clinique [5,7,9]. L’intérêt de la CIUS réside dans le fait qu’il est court, facile d’emploi et donc plus facilement utilisable dans une perspective épidémiologique. Les études de validation de la CIUS ont conclu à une structure unifactorielle, invariante selon le genre et l’âge. Ce résultat est obtenu en autorisant la covariation des erreurs associées à cinq paires d’items dont les contenus deux à deux sont très proches. En enlevant un item par paire, l’échelle initiale pourrait être réduite à neuf items tout en préservant des qualités psychométriques satisfaisantes. L’objectif de cet article est donc de proposer une version française de la CIUS réduite à neuf items et validée pour une population de jeunes adolescents. La validation concernera la structure factorielle de cette échelle et son invariance selon le genre ainsi que les prémisses d’une concordance de critères concernant l’estime de soi et la symptomatologie dépressive. 2. Méthode 2.1. Participants La population de cette étude est composée de 289 adolescents et adolescentes scolarisés en classe de quatrième dans quatre collèges du département du Nord de la France. Deux collèges sont en milieu rural et deux en milieu urbain. Sur ces quatre collèges, deux sont en zone d’éducation prioritaire. Ces adolescents ont répondu à un questionnaire dans le cadre d’une étude plus large sur la santé des adolescents. Les données exploitées statistiquement ont concerné 269 participants, dont 51,5 % de filles, l’âge moyen est de 13,8 ans (écart-type = 0,65). Parmi les participants, 24,5 % ont redoublé une classe, 67,5 % vivent dans une famille nucléaire et 15,6 % dans une famille monoparentale. 2.2. Instruments et procédure La CIUS en neuf items (CIUS-9) a fait l’objet d’une double traduction à l’aveugle. L’adolescent est interrogé sur la fréquence de ces attitudes et comportements liés à l’utilisation d’Internet. Pour chacun des items (Annexe 1), les cinq modalités de réponse étaient ensuite cotées de 0 à 4. Le score total s’étend de 0 à 36 ; plus il est élevé et plus le comportement vis-à-vis d’Internet peut être qualifié de compulsif. La symptomatologie dépressive a été évaluée à l’aide de la Center for Epidemiological Studies Depression Scale. La version utilisée est la version courte en 10 items (CES-D10 ; [15]), traduite et validée sur une population française [16]. Chaque réponse est cotée de 0 à 3 sur une échelle évaluant la fréquence du symptôme au cours de la semaine écoulée. Le score total s’étend de 0 à 30 ; un score élevé est le signe d’une symptomatologie dépressive. Le niveau d’estime de soi a été évalué à l’aide de l’échelle d’estime de soi de Rosenberg. L’échelle comprend dix items avec quatre modalités de réponses de degré d’accord cotées de 1 à 4. Le score total s’étend de 10 à 40 ; moins il est élevé et plus l’estime de soi est faible. Les participants ont répondu anonymement à ces questionnaires qui leur ont été présentés en classe par deux étudiantes en master de psychologie. 2.3. Analyses statistiques La consistance interne de l’échelle a été estimée par le coefficient alpha de Cronbach. Les analyses confirmatoires ont été réalisées à l’aide du logiciel LISREL 8.52 via des estimations par le maximum de vraisemblance sur des matrices de corrélations de Spearman. Après confirmation de l’adéquation du modèle unifactoriel, la comparaison des structures pour les groupes de filles et de garçons a été réalisée selon les N. Cartierre et al. / Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence 59 (2011) 415–419 étapes décrites par Kline [17]. Ainsi, deux analyses confirmatoires séparées ont été conduites : une pour les filles et l’autre pour les garçons. Puis deux modèles sont confrontés dans une analyse confirmatoire multigroupes : l’un exprime l’absence de contrainte entre les deux structures et l’autre l’invariance structurelle. Pour ces analyses, plusieurs indices d’ajustement ont été utilisés : le χ2 /dL, le Root Mean Squared Error of Approximation (RMSEA) et les deux indices de comparaison Comparative Fit Index (CFI) et Goodness of Fit Index (GFI). Un modèle est considéré comme satisfaisant lorsque le χ2 /dL est compris entre 2 et 3 [17], le RMSEA est inférieur à 0,08 [18] et les indices de comparaisons sont supérieurs à 0,90, voire 0,95 [19]. Pour la validité de critère, le traitement statistique a consisté à effectuer deux analyses de variance univariées pour tester l’effet du genre et de l’usage compulsif d’Internet sur la dépression et l’estime de soi. 3. Résultats 3.1. Analyses confirmatoires La consistance interne de l’échelle réduite à neuf items est élevée (␣ = 0,85), elle l’est aussi bien pour les filles (␣ = 0,85) que pour les garçons (␣ = 0,86). Le modèle unifactoriel de l’échelle peut être considéré comme suffisamment bien ajusté selon les critères requis : χ2 /dL = 2,190, RMSEA = 0,064, GFI = 0,955 et CFI = 0,955. Les résultats de l’analyse confirmatoire multigroupes (Tableau 1) montrent que les indices d’ajustement du modèle unifactoriel peuvent être considérés comme acceptables pour les filles et pour les garçons. Ensuite, cette structure a été testée simultanément sur les deux groupes en n’imposant d’abord aucune contrainte sur les paramètres (modèle de base) puis en imposant des contraintes d’égalité entre les deux groupes pour les poids factoriels et les erreurs de mesures sur les items (modèle d’invariance). La différence d’ajustement entre ces deux modèles n’est pas significative, χ2 diff (9) = 2,215, ce qui signifie que ce modèle unifactoriel est invariant pour les deux groupes et donc sur le genre. Ce résultat légitime la comparaison des scores moyens obtenus par les filles et les garçons, laquelle se révèle non significative : 10,10 pour les filles vs 9,33 pour les garçons, t(259) = 0,819. Analyses séparées Filles seulement Garçons seulement Analyses multigroupes Base (pas de contraintes) Invariance totale 3.2. Validité de critère Les participants ont été classés en deux catégories en fonction d’un seuil défini selon la procédure décrite par Meerkerk [20]. Ainsi, l’échelle de réponse étant en cinq points, on peut qualifier de compulsif un comportement qui se manifeste parfois, souvent ou très souvent, soit un score à l’échelle CIUS-9 supérieur ou égal à 18 (9 items × 2). Selon ce principe, 16,5 % de nos participants (17,9 % pour les filles et 15,0 % pour les garçons) peuvent être considérés à risque de comportement compulsif dans l’utilisation d’Internet. Les analyses de variance montrent un effet attendu du genre sur le score de dépression, F(1, 249) = 16,18, p < 0,00008, et sur le score d’estime de soi, F(1, 261) = 18,87, p < 0,0002. Par ailleurs, les « compulsifs » présentent un score de dépression significativement supérieur aux « non compulsifs » : 12,4 vs 7,9 ; F(1, 249) = 27,59 ; p < 0,000001, et un score d’estime de soi significativement inférieur aux « non compulsifs » : 26,5 vs 29,1 ; F(1, 261) = 8 ; p < 0,006. Enfin, les différences de score moyen entre les compulsifs et non compulsifs sont plus importantes pour les filles que pour les garçons (Tableau 2), 5,44 contre 3,05 points pour le score de dépression et 2,99 contre 1,6 points pour l’estime de soi. Cependant ces différences ne sont pas significatives, les deux analyses ne montrant pas d’effet d’interaction genre-compulsivité. 4. Discussion Les résultats obtenus dans cette recherche montrent que la CIUS-9 est un outil possédant des propriétés psychométriques satisfaisantes pour un emploi à des fins épidémiologiques. Ses qualités sont une cohérence interne élevée malgré sa brièveté, une interprétation facilitée du fait de son caractère unidimensionnel et de son invariance structurelle selon le genre. Il constitue une bonne alternative aux versions plus longues qui présentent le plus souvent des structures multifactorielles [4,21,22]. Par exemple, l’Online Cognition Scale élaborée par Davis et al. [23] est composée de quatre facteurs (social comfort, loneliness/depression, diminished impulse control et distraction) ce qui, de notre point de vue, ne permet pas de cerner précisément la spécificité éventuelle d’une pathologie liée à l’usage d’Internet. La comorbidité des troubles psychiatriques est manifeste dans le cas d’un usage problématique d’Internet. Les principales pathologies associées sont l’anxiété sociale, la dépression Tableau 2 Scores moyens (écart-types) de dépression et d’estime de soi. Tableau 1 Analyses multigroupes et indices d’ajustement. Modèles 417 Compulsivité vis-à-vis d’Internet χ2 /dl RMSEA GFI CFI 1,968 2,240 0,084 0,097 0,920 0,905 0,924 0,898 1,854 1,653 0,079 0,069 0,903 0,903 0,920 0,930 Compulsifs Score de dépression Filles Garçons Score d’estime de soi Filles Garçons Non compulsifs 14,35 (5,93) 9,91 (6,24) 8,91 (4,65) 6,86 (4,13) 24,69 (3,95) 28,91 (5,84) 27,68 (5,04) 30,51 (4,37) 418 N. Cartierre et al. / Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence 59 (2011) 415–419 et le trouble du déficit attentionnel avec hyperactivité. Dans cette étude, la CIUS-9 et une symptomatologie dépressive (CESD10) est assez modeste puisqu’elle s’élève à 0,36 (et 0,24 avec l’estime de soi). Évidemment, la question des liens de causalité se pose mais elle restera spéculative à défaut d’un consensus sur la définition précise d’un trouble spécifiquement lié à Internet. La question d’un seuil à partir duquel un comportement peut être qualifié de compulsif reste en suspens mais, en première intention dans un processus de dépistage, un score supérieur à 18 peut constituer une indication avant un diagnostic clinique plus approfondi [24]. En tout état de cause, un score élevé à cette échelle constitue un signe de mal être dont les causes profondes restent à identifier. De la même façon, la CIUS-9 peut être un complément d’investigation rapidement mobilisable même si le motif de la consultation ou du signalement ne concerne pas a priori une utilisation problématique d’Internet (par exemple, dans des situations de décrochage scolaire). Néanmoins, des études complémentaires s’avèrent encore nécessaires pour confirmer l’intérêt de l’outil. En particulier, son pouvoir discriminant doit être examiné en utilisant différents profils d’utilisateurs d’Internet, en particulier des consommateurs pathologiques qui sont amenés à consulter dans des centres spécialisés ou non. Nos résultats ne montrent pas de différence entre les filles et les garçons au niveau du degré de comportement compulsif associé à Internet, ce qui ne signifie pas que les processus sous-jacents soient de même nature. Les activités considérées comme potentiellement les plus problématiques et les plus spécifiques de cette nouvelle technologie sont, d’une part, celles qui favorisent la communication instantanée et, d’autre part, celles qui engagent les utilisateurs dans des jeux en réseaux [13,25–27]. Or, il semblerait que le premier type d’utilisation concerne davantage les adolescentes et le second, davantage les adolescents [28,29]. Il conviendrait donc d’associer à l’échelle CUIS-9 d’autres instruments d’investigation permettant de révéler le type d’activités privilégiées sur Internet [13,30]. 5. Conclusion Il existe un certain nombre de controverses concernant la définition, les outils, les critères diagnostiques et la direction des effets s’agissant des manifestations pathologiques liées à une utilisation problématique d’Internet. Néanmoins, les études se multiplient sur le plan international et les centres de traitement spécialisés se développent. Les adolescents sont plus particulièrement vulnérables car Internet possède un certain nombre de caractéristiques qui rencontrent leur besoin de contact social, d’indépendance et d’expérimentation. La construction des connaissances scientifiques dans ce domaine peut bénéficier d’un outil efficace tel que l’échelle CUIS-9. Déclaration d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article. Annexe 1. Matériel complémentaire Le matériel complémentaire accompagnant la version en ligne de cet article est disponible sur http://www.sciencedirect. com et doi:10.1016/j.neurenf.2011.06.003. Références [1] Greenfield P, Yan Z. Children, adolescents, and the Internet: a new field of inquiry in developmental psychology. Dev Psychol 2006;42:391–4. [2] Whitlock JL, Powers JL, Eckenrode J. The virtual cutting edge: the Internet and adolescent self-injury. Dev Psychol 2006;42:407–17. [3] Hayez JY. 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