l`indépendance de la décision médicale

Transcription

l`indépendance de la décision médicale
Rapport de la Commission nationale permanente
adopté lors des Assises du Conseil national
de l’Ordre des médecins du 19 juin 2010
SYNTHÈSE
L’INDÉPENDANCE
DE
LA DÉCISION MÉDICALE
Rapporteur : Dr Marc BIENCOURT
Ont collaboré au rapport :
Dr Patrick BOUET
Dr Jean-Alain CACAULT
Dr Xavier DEAU
Dr Jean-Marie FAROUDJA
Dr Pierre JOUAN
Dr Bertrand LERICHE
Dr Jean-Claude MOULARD
Dr François STEFANI
Commission Nationale Permanente 2009-2010
Président : Dr Bertrand LERICHE
CN P – Assises du Sa m edi 19 ju in 2010
INTRODUCTION
Médecin en 2010,
indépendante ?
est-il
possible
de
garder
une
décision
médicale
Docteur Marc BIENCOURT
CHAPITRE 1 – Réglementation de l’exercice et indépendance professionnelle
Docteur Jean-Marie FAROUDJA
CHAPITRE 2 – Les aspects multifactoriels de la décision médicale
Exercices multiples et indépendance
Docteur Jean-Claude MOULARD
Décision médicale et exercice de service public
Docteur François STEFANI
Décision conjoncturelle et décision médicale – Structure de la décision –
Docteur Xavier DEAU
Décision conjoncturelle et
consensuels et normatifs –
décision
médicale
–
Aspects
« techniques »
Docteur Patrick BOUET
Décision conjoncturelle et décision médicale –
Docteur Bertrand LERICHE
CHAPITRE 3 – L’exercice de la médecine devient-il commercial ? Qu’en est-il
de l’indépendance de la décision médicale
Docteur Jean-Alain CACAULT
CHAPITRE 4 – Responsabilité et culpabilité
Docteur Pierre JOUAN
CONCLUSION
Docteur Marc BIENCOURT
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CN P – Assises du Sa m edi 19 ju in 2010
INTRODUCTION
Médecin en 2010, est-il possible de garder
une décision médicale indépendante ?
Docteur Marc BIENCOURT
L’exercice de la Médecine est un Art qui parmi les arts libéraux reste l’un dont les
traditions éthiques et scientifiques sont spécifiques d’une manière d’être, d’une
attitude privilégiée face à la mort, d’une humanité caractérisée par la personnalité
toute particulière de son auteur : le médecin.
Aujourd’hui, disséqué et analysé par tous, politiques, administratifs, philosophes et
d’autres, l’exercice de la médecine semble pour certains d’entre nous devenir de
plus en plus vite un nouveau métier.
Doit-on accepter cette évolution comme une fatalité ou doit-on faire tout ce qui est
en notre pouvoir pour garder à notre profession ses fondations traditionnelles
hippocratiques ?
L’Ordre est le garant de cette tradition, la rendant opposable tant aux médecins
qu’à la population et à ses représentants. Depuis de nombreuses années, notre
Institution a montré sa capacité et ses compétences à gérer les grands problèmes
posés par l’évolution de notre société. Face à ce rôle intangible du médecin, au
centre de la vie et de la mort, il importe que nous garantissions la « feuille de route »
de ce nouveau médecin qui s’impose. La profession a su assumer toutes les
révolutions scientifiques, informatiques, télématiques, technologiques et
philosophiques que nous a imposées l’histoire. La tâche est dure et périlleuse, mais
les forces morales et d’adaptation de notre confrérie sont capables d’assumer cette
responsabilité pour laquelle nos malades nous font confiance et nous demandent
d’assurer la pérennité des repères qui leurs restent indispensables à la sécurisation
de leur vie et à la conservation de l’espoir en leur avenir.
Les nouvelles « techniques » d’exercice imposent à la profession d’organiser une
concertation et une coopération entre les différents acteurs de santé qui prennent
en charge les malades.
La sécurité du partage de l’information impose avant tout de garantir au patient
une confidentialité que la rapidité de l’échange de données rend de plus en plus
aléatoire de protéger. L’organisation en réseaux de soins, la problématique de la
sortie de l’hôpital de ses murs, la nouvelle politique autrefois décriée des centres
médicaux pluridisciplinaires, la mise en place d’équipe de soins dans le secteur
libéral vont nécessiter de la part de notre Institution une imagination mais aussi
une vigilance dans l’élaboration des protocoles de prise en charge du malade.
Si encore récemment un malade pouvait se voir opposer de multiples dossiers
médicaux, de l’école, du lycée, du travail à la retraite, de son généraliste aux
différents spécialistes de la clinique où il se fera opérer, à l’hôpital où il sera
hospitalisé en urgence, sans oublier pour nos aînés leur dossier militaire et j’en
passe… Aujourd’hui le projet de DMP à l’accouchement si difficile, les interfaces
informatiques entre les établissements de soins, de l’ HBprim et autre Apicrypt, du
Wifi à la clé 3G, font que le secret professionnel ou pour le moins la confidentialité
des données médicalisées ne sont plus garantis.
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Il importe d’analyser toutes les missions médicales de prévention, de soins et
d’expertise à travers l’analyse de la capacité d’indépendance du professionnel
médical afin de formaliser les règles éthiques à protéger et à respecter dans
l’exercice de la profession médicale.
Toutefois, l’indépendance de l’acte médicale ne peut se concevoir sans contrainte.
En effet, indépendance ne veut plus dire liberté car aujourd’hui, l’indépendance doit
être nourrie par l’efficience et l’action médicale, indépendante, doit être marquée
par la qualité fondée sur l’information claire et loyale du malade et fondée par son
consentement obtenu sans contrainte.
La décision médicale doit être unique et proposée au patient, et être ce que le
médecin estimera le meilleur pour lui, à ses yeux. En effet, ce n’est qu’au sein du
colloque singulier que l’indépendance de la décision médicale pourra être possible
et garantie.
Aujourd’hui, rien ne permet d’imaginer que la profession médicale ne dispose plus
des outils nécessaires au maintien de l’indépendance de sa décision, même si
beaucoup d’obstacles se dressent devant cette décision. Nous pouvons, à travers ce
rapport, donner à notre Institution et à notre profession les outils nécessaires et
indispensables à la performance de l’intervention médicale.
CHAPITRE 1
Réglementation de l’exercice médical
et indépendance professionnelle
Docteur Jean-Marie FAROUDJA
Presque tous les textes de référence semblent mettre le médecin à l’abri d’intrusions
illégitimes dans le champ de son exercice « au service de l’individu et de la santé
publique » et tout particulièrement en matière d'indépendance dans sa décision
médicale.
Il en est ainsi :
Du Code de Déontologie : où de très nombreux articles rappellent que « le
médecin ne peut aliéner son indépendance professionnelle sous quelque forme que ce
soit ».
C’est en particulier de sa compétence, basée sur des référentiels et
recommandations, en accord avec « les données acquises de la science », qu’il tirera
les moyens de conserver son libre arbitre, « faisant appel » à l’avis de ses confrères
soumis aux mêmes exigences que lui, dans un espace élargi où, désormais,
collégialité et consensus aboutiront à une décision unique et responsable.
Confronté aux besoins de ses patients, engageant aussi sa responsabilité citoyenne
eu égard au coût de la santé, le médecin devra tenir compte uniquement de leur
intérêt en respectant ses principes d’indépendance professionnelle avec une
information « claire, loyale et appropriée » aboutissant à un « consentement éclairé »
en vue de « délivrer des soins limités à ce qui est nécessaire » sans écarter la
possibilité de faire valoir « sa clause de conscience » devant certaines situations
particulières.
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Le médecin, « payé pour son acte, honoré pour son savoir être », ne peut garder le
principe de son indépendance qu’à travers une rémunération digne qui peut revêtir
différentes formes à condition de ne pas créer de dépendance réciproque entre
soigné et soignant.
Quel que soit le mode d’exercice, l'indépendance du praticien doit être
respectée.
Même si on peut comprendre que sur des plateaux techniques d’exception, une
clinique, par exemple, établissement à but lucratif hébergeant certaines spécialités,
tende à imposer des objectifs proportionnels aux moyens développés.
Même si, lors des staffs hospitaliers, la décision du responsable s’appuie sur des
avis multiples et réputés compétents au service exclusif du patient.
De même dans les EHPAD où les impératifs fixés par la direction et le médecin
coordonnateur ne sauraient, au motif de la maîtrise des prescriptions, altérer
l’indépendance des décisions du soignant au bénéfice du malade.
Dans tous ces cas particuliers, il est heureux que l’Ordre, par le biais des contrats,
puisse refuser toute clause prévoyant un abandon de l’indépendance de la décision
médicale ou une rémunération fondée sur des normes de productivité.
La Loi
Le code de la santé publique et les lois, reprennent en grande partie les éléments du
code de déontologie. Mais, même si ces textes réitèrent souverainement leur
attachement au respect de l'indépendance de la décision médicale, ils introduisent
tout de même des limites ou contraintes dictées par des impératifs essentiellement
économiques.
La survie du système est peut-être aussi à ce prix.
Le code de la sécurité sociale proclame lui aussi « l'indépendance professionnelle et
morale des médecins » dans leur exercice quotidien... mais l'article L162-2 se
termine par la phrase : « ...sauf dispositions contraires... »
La convention médicale
Enfin si une convention médicale est censée établir les règles du jeu avec
l'assurance maladie c'est le contrôle médical qui intervient pour sanctionner la
moindre dérive par rapport aux consensus. En échange des aides et avantages
promis ou octroyés au médecin, des obligations contractuelles individuelles ou
collectives apparaissent tendant à imposer un strict respect des référentiels et des
normes établies par les autorités de tutelle.
Mais l'observance de ces « guides line » peut aussi servir au médecin. Elle peut le
rendre efficient en lui permettant ainsi d'affirmer son indépendance et de justifier
l'opportunité de ses décisions.
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Indépendance de la décision et autres acteurs : mêmes exigences en
toutes circonstances
Il est bien évident qu'en face d'autres acteurs tels que mutuelles, assurances
diverses, le médecin devra toujours exiger le respect de l'indépendance de ses
décisions.
Quant à certains professionnels de l'Administration, tels que les médecins de santé
publique, ils verront leur indépendance décisionnelle contrainte et encadrée par les
règlements législatifs qu'ils devront appliquer. Il ne s'agira plus de protéger
seulement l'intérêt de l'individu mais plus souvent celui de la société.
Ayant reçu de l'Etat une mission particulière lui accordant le pouvoir de faire valoir
son indépendance, et à condition, comme tout citoyen, qu'il ne s'affranchisse pas de
la Loi, le médecin pourra, en retour, assurer la protection des patients dans le
respect de leurs droits touchant à la santé et en particulier en tant qu'auxiliaire de
justice ou intervenant en milieu psychiatrique ou carcéral.
Pour conclure
L’indépendance de la décision médicale, à travers des textes fondamentaux,
consacre le médecin dans son rôle de protecteur de l’individu.
Et l’Ordre doit en être le garant.
CHAPITRE 2
Les aspects multifactoriels de la décision médicale
Exercices multiples et indépendance
Docteur Jean-Claude MOULARD
Exercices multiples et indépendance
L'indépendance du médecin rarement contestée est en vérité toujours menacée.
L'Ordre a pour mission de défendre cette indépendance qui ne peut être aliénée
sous quelque forme que ce soit, chaque praticien demeurant responsable de ses
actes.
Tout contrat ne doit pas placer un médecin en situation de subordination et doit lui
assurer une indépendance décisionnelle.
Les Conseils Départementaux doivent toujours conseiller aux confrères de s'inspirer
des documents validés par l'Ordre National en conformité avec les prescriptions du
Code de Déontologie et les avertir sur la cohérence, la valeur juridique, l'opportunité
de certaines clauses lors de la communication d'un projet de contrat.
Cette indépendance concerne aussi bien l'exercice de médecins libéraux entre eux
que l'activité au sein d'une structure de soins privés, une structure administrative
ou dans le cadre d'une médecine de contrôle ou d'expertise. Le médecin doit
s'assurer qu'aucune confusion ne s'instaure au cours d'exercices multiples et
écarter toute situation altérant sa liberté d'action et de prescription notamment par
contrainte financière. Vis-à-vis de l'administration il doit prendre toute disposition
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pour ne pas trahir la personne examinée et décider en conscience en particulier en
ce qui concerne les personnes privées de liberté.
Le médecin de contrôle et d'expertise doit refuser d'être un agent d'exécution et
conserver en toute circonstance l'objectivité pour maintenir sa liberté
d'appréciation.
Médecine du travail
S'il existe une certaine subordination juridique vis-à-vis de l'employeur en ce qui
concerne les contraintes administratives, elles ne doit pas être incompatible avec
l'indépendance du médecin sur le plan professionnel propre.
Le médecin du travail doit toujours avoir pour souci l'intérêt de la santé du patient
et ne pas accepter que ses actes, ses prescriptions soient limités ou influencés par
des directives administratives. Cette indépendance professionnelle est un élément
de confiance essentiel vis-à-vis des employés au sein de l'entreprise.
Décision médicale et exercice de service public
Docteur François STEFANI
Les médecins du service public comme tous autres médecins sont soumis au code
de déontologie médicale, qui par le fait protège l'indépendance de leurs décisions.
Aucune autorité, qu'elle soit administrative ou médicale ne peut les influencer dans
ce domaine. La Loi, le règlement, et les juridictions chargées de les faire appliquer
rappellent quand cela est nécessaire que l'indépendance décisionnelle du médecin
est une garantie de la qualité des soins.
Des difficultés surviennent cependant parfois avec des tentatives de pression
toujours possibles. Les médecins du service public comme les autres trouveront
toujours auprès de l'Ordre l'appui nécessaire à leur défense. La possibilité pour les
conseils départementaux et le conseil national de saisir maintenant les juridictions
disciplinaires à leur encontre est paradoxalement une garantie du respect de cette
indépendance.
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Décision conjoncturelle et décision médicale
Structure de la décision
Docteur Xavier DEAU
STRUCTURE DE LA DÉCISION
Eléments de la décision
SCIENCE - CONSCIENCE
CERTITUDE - CONVICTION
CHOIX - DOUTE - DÉCISION
ÉTHIQUE - LIBERTÉ - SAGESSE
La décision médicale nécessite de faire de multiples CHOIX.
Ces multiples choix aboutissent à une CERTITUDE qui engendre une DÉCISION.
Cette décision médicale se veut personnelle, personnalisée et par là-même LIBRE.
Cette certitude est l’assurance intellectuelle et morale fondée sur des conclusions
scientifiques – LA SCIENCE -, sur l’EXPÉRIENCE et sur des ÉVIDENCES ou du
moins de très grandes probabilités.
Si la décision médicale s’inspire de nos certitudes, il n’en est pas moins vrai que
chaque médecin a le droit et le devoir d’avoir librement ses CONVICTIONS fondées
sur sa propre et légitime RÉFLEXION et sur des notions d’ÉTHIQUE médicale
amenant un CHOIX clair et lucide.
Ces certitudes doivent obligatoirement faire l’objet de DOUTE - doute sceptique et
doute méthodique – et c’est ce DOUTE qui est la condition nécessaire et
indispensable à la LIBERTÉ et l’INDÉPENDANCE de nos décisions. Car il n’y a pas
de choix sans doute, il n’y a pas de liberté sans choix.
L’unique certitude qui résiste au doute est celle du « cogito ergo sum » JE PENSE
DONC JE SUIS… et c’est bien là notre ULTIME LIBERTÉ, SPÉCIFIQUE A TOUT
ÊTRE HUMAIN. LIBERTÉ indispensable à l’émergence d’une pensée autonome au
service de la créativité puis de la décision.
Ainsi, si nos décisions sont éprises d’un doute mais libres et indépendantes, car
personnelles à chaque médecin, elles n’en sont pas moins au cœur de la RELATION
MÉDECIN-MALADE dans la rencontre ineffable de deux CONSCIENCES.
Nous sommes bien là au cœur de la noblesse de la décision médicale qui confronte
puis allie le RATIONALISME de la connaissance scientifique à l’EMPIRISME de la
rencontre de deux consciences : celle du médecin et celle de son patient.
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Facteurs de la décision
Nous venons de voir que nos décisions s’inspirent de nos certitudes. Ces certitudes
sont elles-mêmes le fruit d’une analyse méthodique de multiples facteurs :
•
La CONNAISSANCE SCIENTIFIQUE, qui repose sur des critères précis de
vérification permettant une objectivité des résultats.
•
L’ENSEIGNEMENT de ces connaissances scientifiques se fait lors de nos
études et font l’objet de contrôles, de thèses, de travaux qui forgent nos
certitudes.
•
Le DÉVELOPPEMENT PROFESSIONNEL CONTINU (DPC) se veut être
l’accompagnement dynamique de toute vie professionnelle alliant en
permanence formation, évaluation et collégialité.
•
Les RÉFÉRENTIELS, protocoles, recommandations, sont des guides évolutifs
de bonnes pratiques confortant à tout moment nos certitudes.
•
La COLLÉGIALITÉ est un facteur indispensable de la prise de décision car ce
« choc » des pensées est un moyen objectif de conforter et d’enrichir nos
certitudes… en toute confraternité.
•
Le CONTEXTE SOCIÉTAL est indissociable de nos prises de décision car ce
contexte prend en compte l’individu certes, mais au cœur d’un projet de
société animé par une politique de santé qui se doit d’exister dans tout état
démocratique.
•
Le PATIENT, sa conscience, son habitus, son contexte familial et
professionnel restent l’ultime facteur de nos décisions dans l’intimité de la
rencontre de la conscience du soignant et de la conscience du patient.
Au terme de l’analyse de ces facteurs : « JE PRENDS LIBREMENT CETTE
DÉCISION POUR CET ÊTRE HUMAIN CAR J’AI ACQUIS MON INTIME CONVICTION
QUE C’EST CETTE DÉCISION UNIQUE QUI EST LA MEILLEURE POUR CE
PATIENT ».
C’est ainsi que nos décisions sont empreintes de « SAGESSE » - attitude pratique
procédant d’une « parfaite » connaissance – Descartes -.
C’est d’ailleurs cette structuration de la décision qui est rappelée tout au long du
code de déontologie (articles 11 – 32 – 33).
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Décision conjoncturelle et décision médicale
Aspect «techniques» consensuels et normatifs
Docteur Patrick BOUET
La société médicale est passée d’un système basé sur le savoir à celui basé sur
l’application d’indicateurs établissant des normes.
Ces indicateurs sont multiples, des premiers issus de la déontologie à tous ceux qui
les ont suivi fixés par la loi, les réglementations, l’économique, le politique les
professionnels.
Tous devraient avoir :
•
Un objectif commun : qualité des soins.
•
Une contrainte commune : fonder les décisions sur la connaissance.
•
Une limite commune : optimiser les dépenses.
•
Une règle commune : l’équité dans l’accès aux soins.
A partir de ce constat deux réflexions, une affirmation :
1. La profession doit affirmer qu’elle est seule compétente pour mettre en place
les éléments de bonne pratique professionnelle.
2. Toute mise en place de processus décisionnels médicaux est de la seule
responsabilité du corps professionnel.
Il nous appartient dès lors de ne tenir compte, dans cette élaboration, que des
acquis de la science et ce de façon indépendante des autres facteurs en les rendant
applicables à l’ensemble des exercices.
Ainsi le savoir médical redevient le seul facteur opposable permettant de
transcender les autres indicateurs et rendant au professionnel sa capacité
d’indépendance.
Décision conjoncturelle et décision médicale
Docteur Bertrand LERICHE
Le corps médical entend bien garder la maîtrise de la décision médicale désormais
co-décision médecin-patient.
La prise de décision individuelle, action du médecin au quotidien, est une
démarche intellectuelle visant à la sélection d’une solution thérapeutique, parmi
différentes alternatives et dans l’environnement de l’instant ce qui présuppose - un
diagnostic exact de la maladie - la connaissance des alternatives thérapeutiques l’appréhension de l’environnement de l’instant, différente selon que l’on soit jeune
médecin ou chargé d’une longue expérience.
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La décision thérapeutique comporte trois volets successifs : la proposition
thérapeutique elle-même - l’analyse de sa faisabilité - l’avis du patient fonction de
sa capacité de critique : à ce stade, la réflexion médicale a pu rester indépendante
de toute pression extérieure administrative ou économique. Néanmoins, cette
décision n’a de véritable sens qu’à partir du moment où elle est exécutable et
exécutée, et la concrétisation de la décision peut ne pas être évidente.
La prise de décision collégiale s’impose de plus en plus :
•
Entre médecins, ce sont par exemple les réunions de concertation
multidisciplinaire en matière d’oncologie. Apparemment contenues dans un
cadre normatif, les personnalités en présence et leur poids hiérarchique peuvent
modifier l’objectivité des discussions malgré tout et c’est tout l’art du meneur de
jeu d’éviter des orientations et dérives partiales. Précisons le rôle essentiel du
médecin traitant qui devrait être logiquement responsable de la restitution de
cette décision collégiale.
•
Entre médecins et non médecins où chaque acteur de soins est partie
prenante de façon égale à la discussion, décisions prises dans des domaines
aussi variés que l’éducation thérapeutique, le médico-social, la psychiatrie, où
interviennent infirmiers, kinésithérapeutes, ergothérapeute, diététiciens etc. :
l’enjeu n’est pas alors le consensus mais l’accord de tous au terme de l’épreuve
critique d’une confrontation d’arguments. L’initiateur de la décision collégiale,
en assure la mise en œuvre et en assume la responsabilité.
•
La loi de bioéthique du 22 avril 2005 (Loi Léonetti) relative aux droits des
patients en fin de vie a conduit à la modification de l’article 37 du code de
déontologie et à la définition de la procédure d’appréciation collégiale de l’état
du patient lorsque se pose la question de la poursuite d’un traitement devenu
inutile ou disproportionné dès lors que le patient ne peut être ni informé ni
consentir. Cette procédure comporte un avis motivé d’au moins un autre
médecin que le médecin ayant en charge le patient et prévoit la consultation de
l’équipe soignante. Le rôle de la personne de confiance et/ou de la famille y est
clairement défini. La décision appartient au médecin en charge du patient,
engageant sa responsabilité ; C’est dire l’importance de la consignation par écrit
au dossier médical du patient de toutes les étapes de la procédure.
•
Il n’est pas impossible que cette procédure ne s’impose en modèle dans les
cas de prises de décisions médicales ardues pour lesquelles on pourrait voir
s’effacer progressivement le colloque singulier au bénéfice d’un colloque à
plusieurs voix.
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CHAPITRE 3
L’exercice de la médecine devient-il commercial ?
Qu’en est-il de l’indépendance de la décision médicale ?
Docteur Jean-Alain CACAULT
L’acte médical a un coût quelles que soient les circonstances, mais cet acte ne vaut
que s’il est « de qualité ».
La liberté, c’est-à-dire l’indépendance de l’acte médical, ne se conçoit que garantie
par la compétence de celui qui l’exécute.
La responsabilité médicale est le corollaire de l’indépendance, elle est individuelle,
elle ne se partage pas, elle s’assume. Le praticien est d’abord et avant tout au
service de l’individu ; le patient doit en être conscient pour accorder sa confiance au
médecin. Ce n’est que secondairement que le praticien devra se soucier des
conséquences financières de ses décisions thérapeutiques.
La réquisition du médecin implique qu’il mette sa compétence au service des
autorités mais il est entendu qu’il reste alors totalement libre de ses prescriptions.
La permanence des soins est désormais du domaine de la santé publique. Elle est
indispensable. Le fait que la participation des médecins y relève du volontariat est
donc incompatible avec son caractère incontournable. Le législateur devra donc
reconsidérer les termes de la loi, comme il devra limiter le libre accès à l’hôpital.
Différents dispositifs de remboursement ou de prise en charge de situations
particulières des patients ont impliqué, à son corps défendant, le praticien dans la
régulation des dépenses de santé. Il conviendrait, d’une part, que dans ce domaine
les praticiens suivent une formation. D’autre part, qu’ils n’assument pas seuls,
mais en partenariat avec les caisses d’assurance maladie cette responsabilité.
Quant aux dispositifs d’intéressement des médecins ou des professions de santé à
des procédés uniquement destinés à faire des économies (CAPI par exemple), ils
soulèvent des interrogations déontologiques
CHAPITRE 4
Responsabilité et culpabilité
Docteur Pierre JOUAN
« Responsable mais pas coupable ».
Si le médecin est toujours responsable, il n’est pas toujours coupable. Mais pour
être coupable, il faut qu’il y ait faute, dommage et lien de causalité. Le décalage
entre Droit et Pensée est énorme, et il guide un bon nombre de nos réactions.
L’actualité récente montre la détresse du médecin seul face à sa faute réelle ou
supposée.
Par ailleurs devant la judiciarisation croissante, il devient évident que l’exercice de
certaines spécialité en ville va devenir de plus en plus difficile pour ne pas dire
impossible.
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CONCLUSION
Docteur Marc BIENCOURT
Avant la rédaction de ce rapport, la Profession pouvait s’imaginer qu’elle ne
disposait plus des outils nécessaires, ni de la volonté qui lui permettraient de
garder de façon pérenne l’indépendance de ses décisions.
Il est apparu que la réglementation, les textes et les traditions qui le régissent, sa
sectorisation comme son éclectisme font que l’exercice médical et les décisions qui
en sont l’expression, restent reconnus comme nécessairement indépendants. Car
bien que les malades possèdent l’information expressément claire, loyale et
appropriée, et même s’ils ont gagné le droit de consentir et de refuser, ils nous
opposeront toujours notre rôle incontournable « d’expert », pour lequel ils
continuent de nous consulter.
Si notre Société, ses Lois et sa jurisprudence sont contraignantes voire
culpabilisantes pour les médecins, ces derniers reconnaissent les véritables dangers
auxquels sont exposés leurs patients. Par la même, le malade, sait intimement que
ses médecins, en qui il a confiance, vont savoir que ce qu’ils prescrivent est bon
pour lui, et leur donnera le droit de l‘inciter à prendre la meilleure décision pour
son avenir.
L’indépendance de la décision médicale constitue la seule justification éthique et
possiblement morale d’un pouvoir médical, si contesté soit-il, quelle que soit
l’étendue des connaissances et des compétences des praticiens.
Dès lors, qu’ils soient solitaires, ou qu’ils deviennent acteurs de réseaux, de filières
de soins ou d’équipes multidisciplinaires, les médecins resteront les maîtres
d’œuvre et le plus souvent les seuls responsables de la santé de leur patient,
pourvu qu’on leur assure l’indépendance de leurs décisions. Cette indépendance est
le facteur indispensable de la performance médicale, de la confiance et de la liberté
du malade.
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