Musa 5 - Musanostra

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Musa 5 - Musanostra
Edito
Photo: Federi Z. Bernardini
Eté, voyage et affluence, plage ou pavés, soucis et petits bonheurs, saison touristique et lamentable actualité
Voilà ce que voient les lecteurs chroniqueurs de Musanostra, ceux qui seront bientôt loin, ceux qui restent,
ceux qui lisent des livres papier, ceux qui sont passés à la «liseuse» et les autres, internautes du bout du monde
ou participants réguliers , fidèles de nos rendez-vous. On relit ses classiques, on cherche à comprendre avec
les anciens ou à tourner la page avec les contemporains. Qu’importe, même si les clés manquent, même si on
se sent impuissant et inutile, lire dévoie et on veut se distraire un temps. Là est peut-être l’horrible danger de
certaine lecture. Ou sa force.
Cette fois nous avons choisi d’observer les touristes, d’aller à la mer, de lire des romans tout juste parus,
surtout ici, des poèmes, de vous donner à lire aussi le texte remarqué d’une jeune fille de moins de 17 ans ,
d’aller au cinéma avec le film «Les Exilés», de surprendre une création, Fugue, alliant peinture et poésie, de
souligner le travail d’un peintre qui voyage aussi à sa façon avec ses «Acelli». Avec Jacques Fusina et Rutebeuf
les échos du Moyen Age disent l’atemporalité des beaux textes et leur fructueuse réappropriation en langue
corse. On vous donne aussi des nouvelles du Concours 2016 et la possibilité en photocopiant les formulaires
de devenir adhérent à l’association musanostra ou de mettre votre publicité ou votre logo sur notre support
Musa Nostra revue numérique et papier. De quoi passer un petit moment de détente littéraire. Ensemble.
Belles lectures ! Belles découvertes !
Laissez-nous votre adresse mail, on vous donnera des nouvelles de Musanostra et
retrouvez-nous sur www.musanostra.fr
Crédits auteur de couverture
Un clin d’oeil à la peinture, avec «Acelli», un vol d’oiseaux stylisés ,
une couverture signée cette fois Pierre-Paul Marchini, artiste vivant à
Ajaccio.
On peut consulter son site officiel http://artiste-peintre.com/
Pour joindre Pierre-Paul Marchini : 06 17 42 05 98
Associations Musanostra et Musanumerica
2 place de l’Hôtel de Ville, 20200, Bastia
Directrice de publication : Marie-France Bereni-Canazzi
Secrétaire de Rédaction : Claire Giudici Maquette : CAM
Photo de couverture : Pierre-Pierre Marchini
Collaborations : , Agnès Ancel, A.B., Marie-France Bereni Canazzi, Francis Beretti ,
Marie-Paule Durand, Frédérique Ettori, ,Jacques Fusina, Patricia Guidoni, Nathalie Malpelli,
Mey-Li, Jean-Dominique Poli, Bénédicte Savelli. Marie-Ange Sebasti, P.Tramini
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musanostra . numéro 3 . 05.2016
Musinate
L’été pour les touristes ne
pourra jamais être aussi chaud
L’été, pour les touristes, ne pourra jamais être aussi chaud.
Tous les touristes du monde se ressemblent.
Ici, comme ailleurs, ils glissent dans des décors de carton pâte, alors que là, sous leurs yeux, les étés qui s’annoncent sont
chauds, moites et propices à la rédemption.
Tennesse Williams, en une seule nuit, débride l’iguane.
Tous les touristes du monde passent à côté de ce qui se joue.
Lorsque, dans un théâtre suffocant, s’affrontent des personnages animés par des sentiments furieux, le Mexique est le cadre
d’une tragédie où les corps sont des frontières.
Frontières confrontées à la démesure. Par-delà bien et mal.
La chaleur, l’alcool ou l’abstinence ne sont que des prétextes de débauche, écrans de ce qui empêche à la dépense.
Les touristes sont économes. C’est pourquoi, ils comptabilisent les espaces et le temps qui pourtant ne peuvent entrer dans
une seule nuit.
Ailleurs, les héros égarés d’une nuit très chaude, à peine étanchée par le rhum et un bain de mer ou un poème impossible,
s’éprouvent dans un chaos exotique.
Les touristes n’aiment pas le désordre. C’est pourquoi, ils figent, ou le croient, des images anecdotiques d’un voyage qu’ils
ne comprennent pas.
Les touristes ignorent tout de la moiteur des corps, ils transpirent. « Combien de temps onze punaises d’un collège baptiste
peuvent-elles tenir dans un car arrêté en plein soleil par 40° à l’ombre ?» En définitive il ne fait jamais assez chaud pour les
touristes, de fait, ils échappent aux tensions des corps en suçant des glaces.
Tous les touristes du monde devraient lire “La Nuit de l’iguane” pour être moins étrangers.
Pour les paresseux des sens, il y a le film. Après tout les images donnent à voir ce qui reste étanche aux crânes trop épais.
Patricia Guidoni
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musanostra
. numéro 5.
09 .2016
musanostra
. numéro
3 . 04.03.2016
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Tourisme
Viens dans mon pays
d’Agnès Ancel
“Viens dans mon pays
Viens voir où j’ai grandi...
C’est un vieux pays pas très connu
Y’a pas de touristes dans les rues...”*
Si aujourd’hui la magnificence des châteaux de la Loire enchante mon coeur,
il fut un temps jadis, où les forteresses d’acier régnaient sur ma vie. A cette
époque, les chevaliers prêtaient allégeance à leurs seigneurs. A chaque heure
du jour et de la nuit, ils pénétraient dans l’antre du dragon de fonte et apprivoisaient vaillamment le monstre de feu. Point de jolies demoiselles énamourées à conquérir, le jeu consistait uniquement à dompter la lave incandescente.
La bannière de la fraternité et de la bienveillance, leur apportait la solidarité
universelle et l’unité dans «Tu ne connais pas mais t’imagines les combats».
Malgré tout, les citadelles de fer plièrent sous les sièges incessants et l’ennemi remporta l’ultime bataille. Les châtelains
jetèrent les clefs des tours dans les douves, entérinant pour toujours, la fin d’une ère ardente et flamboyante...
Des années plus tard, mon regard s’illumine devant la majesté de Chambord, la beauté de Chenonceau ou la grâce d’Amboise. Mais au fond de moi, reste gravée à jamais, la douce rudesse de ces géants de métal et de ses nobles chevaliers...
C’est vraiment magnifique une usine
Le ciel a souvent des teintes étranges
Le nom des patelins s’termine par... ange...»*
* Fensh Vallée
Bernard Lavilliers
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musanostra . numéro 5. 09 .2016
Musa
Arrêt sur image
Marie-Ange Sebasti, Jacques André édition
Marie-Ange Sebasti habite Lyon et revient souvent en Corse, son île d’origine. Elle écrit depuis l’adolescence des
recueils de poèmes ainsi que de petits récits. Son oeuvre est régulièrement publiée dans diverses revues et anthologies
et elle a été traduite en roumain, en espagnol, en italien, en lituanien, en corse. Elle porte une attention particulière
aux processus de création et s’intéresse à l’art, collaborant souvent avec des plasticiens ou des photographes.
Nous avons eu le plaisir de découvrir ses publications, puis de la rencontrer lors d’un café littéraire à Ajaccio à
la librairie La Marge : helléniste reconnue, elle surprend par son érudition, son talent et son humilité. Une belle
rencontre.
J’étais arrivée dans l’après-midi, à l’heure où d’habitude, au début du mois d’août,
une foule d’estivants envahit la plage. Personne !
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Éberluée, j’avais couru jusqu’au poste des « Maîtres nageurs sauveteurs » pour lire
le tableau d’affichage du jour. Il n’indiquait ni avis de tempête, ni invasion de méduses. Aucun drapeau ne flottait en haut du mât blanc planté à quelques mètres.
M’étais-je trompée de lieu, de saison ? Absents, le parasol rouge de Marie-Laure,
le tapis de bain turquoise de François, la chaise-longue au tissu bariolé d’Inès, ces
signes annuels de ralliement jusqu’aux derniers beaux jours. Même la paillotte et
le filet de volley-ball avaient disparu.
Pas une âme, pas un son, nulle brise.
La mer, étale, ne portait pas la moindre embarcation de la rive jusqu’à l’horizon.
Une légère fumée montait de la rive sud du golfe, qui paraissait aussi déserte
qu’avant l’arrivée de l’homme. A quelques mètres, un cormoran hiératique était
figé, ailes déployées, sur un rocher. En me retournant, j’avais constaté que seule
ma voiture stationnait sur un parking étrangement désert. Vivais-je un cauchemar ?
Pétrifiée, je me disais que je ne pourrais pas faire un pas de plus sans déclencher une catastrophe.Soudain, une rumeur était
montée du sable, et je les avais vus arriver le long de la mer, devisant gaiement, le pas léger malgré leur tenue de ville, qui,
pour certains, ne relevait pas de la dernière mode. Combien pouvaient-ils être ? Je reconnaissais tous les visages de cette
foule, mais aucun, malgré mes signes, ne se tournait vers moi.
J’étais restée hébétée, le souffle coupé, en les suivant des yeux jusqu’au petit cap du bout de l’anse où ils s’étaient lentement
fondus dans les rochers, les amis de la plage.
musanostra . numéro 5. 09 .2016
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Musaciné
Les Exilés
de Rinatu Frassati
Ce film vient de sortir en DVD
Avec Les Exilés, moyen métrage de 52 mn réalisé avec des moyens très modestes, Rinatu Frassati a fait preuve pour son
premier film d’une extrême audace.
Bon signe qui ne trompe pas, il a osé tourner le dos aux
reproductions des récits fantasmés du XIXe siècle sur la
Corse reçus comme des récits ethnographiques, il a refusé
de continuer à faire le cliché du cliché avec des personnages
sordides usés jusqu’à la moelle, avatar du bandit réactualisé
genre 93 désigné comme le révélateur de notre âme collective (cliché si apprécié à l’extérieur de l’île et de moins en
moins accepté en Corse).
D’emblée, ce film nous surprend. Puis, il nous bouleverse.
Sans doute parce qu’il arrive au moment opportun, au moment où il était attendu pour contribuer à faire tourner
l’histoire de la Corse dans le bon mouvement. Réalisé en
Corse par des Corses, totalisant rapidement plus de 15 000
entrées, Les Exilés suscite un véritable engouement, avec
des salles combles et un public fervent porté par la musique
et des acteurs si souvent habités. Le film commence à être
présenté à l’extérieur de l’île. Il trouvera un public pour qui
le respect du particulier est le meilleur moyen pour tendre
vers l’universel.
Que Rinatu Frassati continue à faire confiance à sa haute
intuition !
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Dès les premières images nous sommes happés par le mystère des destinées. Dans une chapelle, vrai lieu sacré, Pasquale Paoli prend congé de son père, à Naples, pour rejoindre la Corse après avoir accepté le généralat malgré la
situation dramatique de l’île. Ils ne semblent pas s’apercevoir de la présence d’un mystérieux personnage en uniforme
qui les observe avec passion. Nous comprenons d’emblée
que le réalisateur du film n’a pas cherché à produire un documentaire historique. Les images nous font participer au
rêve de l’énigmatique soldat qui se révèlera être Napoléon
Bonaparte. Avec un véritable art du récit, Rinatu Frassati
nous fait pénétrer dans le rêve du jeune Bonaparte né le
15 août 1769 alors que la nation corse vient d’être écrasée.
Dans ce voyage dans le passé, Ghjacintu Paoli, lui, évoque
les rêves prémonitoires venant de la porte de corne (les
rêves qui trompent ou ne se réalisent pas viennent de
la porte d’ivoire) et le franchissement des trois portes,
épreuves menant à sa propre transformation héroïque.
Fort de son destin révélé par le vieux sage, comme dans
un conte ou un récit mythologique, le jeune Bonaparte revoit le rôle enthousiaste tenu par son père Carlu auprès
du Général de la Nation, le courage de sa mère, il suit le
parcours de Boswell dans la patrie libre en lisant avec passion son livre (dans la version italienne que lui donne son
père). Dans le film, nous voyons les étapes de l’évolution
de ce rêve qui structure l’imaginaire du jeune Bonaparte.
C’est la volonté d’approfondir et de poursuivre l’exemple
de Pasquale Paoli, représentée dans le film par sa détermination à lui remettre sa lettre marquée des armoiries du
Regno di Corsica, qui va faire du jeune Bonaparte ce qu’il
est devenu. Rinatu Frassati use du rêve, mais il ne trahit
pas au nom de sa création. De solides recherches historiques étayent le scénario. Les dialogues sont extraits de la
correspondance et des écrits de Paoli (comme son « Discours à la valeureuse jeunesse corse »), de Boswell et du
jeune Bonaparte. Les costumes et les décors, tout concourt
à approcher le mieux possible l’esprit qui anime la réalité
historique de la Corse de cette période (même si la scène
du discours et le comportement de la foule ne semblent
pas y correspondre). Dans Les Exilés (à la différence de la
séquence corse du Napoléon d’Abel Gance), c’est la Corse
qui se raconte, à sa façon et non à la façon des autres, elle
se réapproprie son histoire en l’incarnant dans le comportement des hommes.
Ce sont ces hommes, unis par un puissant imaginaire commun et renouvelant intelligemment leur héritage politique,
qui font l’histoire. En relation intime avec ces hommes, les
lieux et les paysages sont exaltés. Il nous est enfin donné à
voir non plus des caricatures, mais des personnages vrais,
si proches des témoignages que nous avons des meilleurs
d’entre eux, solides, finement intelligents, assurés dans leur
esprit et dans leur corps (ils ne ressemblent pas aux stéréotypes qui les ont remplacés). Avec ce film nous sortons
de l’étouffement. Redécouvrir la grande histoire exemplaire
délivre.
Rinatu Frassati nous mène au cœur de l’histoire réelle par
le rêve, en vrai créateur, en poète subtil qui fait entrer le
spectateur dans son récit sans l’y enfermer ou le piéger.
musanostra . numéro 5. 09 .2016
Musaciné
Le jeune Bonaparte, dès l’école militaire de Brienne, rêve
de la Corse perdue, des héros et de leurs luttes glorieuses,
de la première Constitution démocratique des temps modernes, du « grand Paoli », son modèle, son idéal : « J'ai
puisé la vie en Corse et avec elle un violent amour pour
mon infortunée patrie et pour son indépendance. Et moi
aussi, je serai Paoli ». Le jeune officier se considère comme
un exilé qui rêve de cet autre exilé que fut Paoli (il vécut sa
jeunesse à Naples), et qui de retour en Corse à l’âge de 30
ans redonna courage à son peuple et fut reconnu par l’Europe éclairée comme le premier combattant de la liberté
renouvelant, le premier dans la modernité, la res publica
antique. La Corse devient un phare héroïque. Les Corses
sont présentés comme les Spartiates et les Romains modernes animés par la virtù. L’adhésion au modèle héroïque
transforme le jeune Bonaparte qui, timide et réservé dans
le film jusqu’à la bataille de Ponte Novu, devient semblable aux héros qu’il vénère. Il fait sienne la parole prononcée par Paoli : « rien n’est impossible aux âmes nobles ».
Après l’inéluctable défaite de Ponte Novu, nous voyons
Paoli confier symboliquement, sur ce lieu même, son épée
au jeune homme qui se veut son héritier spirituel. Le legs
passant d’âge en âge est celui de l’énergie au service de
l’existence et de la liberté des peuples. Cette énergie terrassée mais invaincue, le jeune Bonaparte en fera le ressort
qui animera son épopée, réorientant la Révolution française
qu’il répandra dans toute l’Europe. Il sait qu’il n’aurait pu
exister sans sa filiation avec l’histoire héroïque de la Corse,
et les dernières images du film le montre se réveillant de son
rêve (il vient d’écrire sa première lettre à Pasquale Paoli en
exil à Londres, le 12 juin 1789, alors qu’il est en garnison
à Auxonne), tandis qu’enfle dans les rues un chant révolutionnaire à la liberté.
Comme on s’empare d’un sacrement pour avoir la force
d’affronter et d’accomplir son destin, les deux personnages
semblent dire chacun à sa manière : « je suis venu sur terre
pour un sacrifice » (la disparition de Paoli au milieu des
combattants morts à Ponte Novu, la mort du jeune Bonaparte tué lors du duel imaginaire par son père Carlu en
brandissant sa lettre imbibée de sang destinée au Général).
Le tragique ensemence notre présent.
Cette réappropriation implique celle de la langue (qui n’est
plus alors un simple moyen de communication). Ainsi, le
jeune Bonaparte qui parle français au début du film, trouve
son assurance et s’exprime dans la langue de son enfance
(« Nabulione ») après sa rencontre avec Paoli sur le champ
de bataille de Ponte Novu. Il faut noter la cohabitation de
l’anglais, du français, de l’italien et du corse d’une si grande
qualité, proximité des langues qui montre l’ancrage et l’ouverture de la Corse (elle n’est plus enfermée et renfermée).
La question n’est plus vraiment savoir « qui est Corse ?»
mais « qu’est-ce qu’être Corse ? »
En posant indirectement la question de savoir comment et
pourquoi la Corse a pu engendrer des hommes d’une telle
trempe, d’une telle force intérieure, de vrais hommes d’Etat,
le film suggère ce mouvement de reconquête du pays natal,
d’espérance et de renaissance fondé sur une absence et une
aspiration à combler ce manque, et il pose la question de
la compréhension profonde de la situation actuelle de la
Corse.
Aujourd’hui, dans ce qui ressemble à un pitoyable naufrage
(de toute l’Europe et pas seulement de la Corse), Les Exilés
fait reconnaître qu’il se passe indéniablement quelque chose
dans la jeunesse corse qui fait le choix de tendre vers les
exemples de Paoli, du jeune Napoléon, des plus humbles
martyrs de la liberté que nous avons toujours honorés,
ensemble réconciliés, dans nos chapelles secrètes ou nous
avons maintenu ce que nous sommes. Désormais s’impose
la conviction que le fil n’a pas été rompu. Après l’errance et
l’exil, nous avons la conviction de pouvoir retrouver le pays
natal et son socle commun.
Les Exilés participe, à proprement parler, d’un événement,
avec un avant et un après.
La Corse, sachant ce qu’il faut faire et n’ayant pas la force
de l’accomplir, redeviendra-t-elle un exemple pour l’Europe
d’aujourd’hui, un modèle qui maintient et ouvre la voie des
peuples ? Sera-t-elle à la hauteur des enjeux ?
Jean-Dominique Poli
Ce film nous associe à la quête du jeune Bonaparte, il nous
fait adhérer à son rêve qui mène à l’action et annonce ce qui
doit advenir. Le rêve les yeux ouverts de Napoléon sur les
pas de Pasquale Paoli correspond aujourd’hui à celui de la
jeunesse corse exilée dans son propre pays et qui cherche à
retrouver son histoire, son identité, sa vérité.
musanostra . numéro 5. 09 .2016
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Musa lettura
U Balcone,
de Ghjacumu THIERS - Editions Albiana 2016
U balcone est le sixième roman de Ghjacumu Thiers. Le lieu central est indiqué dans le titre.
Un balcon qui est la scène d’un manège amoureux qui ne dit pas son nom, et le
lieu d’une tragédie qui frappe deux amoureux qui croyaient trouver sous lui un
refuge. Trois personnages, dont un absent. Ce dernier, Petru, a ramené au village
une Alsacienne, Agata, pour en faire sa femme, puis il est parti, et Agata ne cesse de
scruter l’horizon du haut du balcon, pour guetter le passage du facteur, Gnigninu,
dans l’espoir d’avoir des nouvelles de son mari. Petru, dit-on, est parti vers des terres
lointaines. Pour nourrir son récit, à cet endroit, Thiers a relu un roman d’aventures
qui était dans sa bibliothèque familiale, Vasco, de Marc Chadourne. Et aussi Ethnographie de Madagascar, de Jacques Faublée (1946). En arrière-plan de la “fugue”
de Petru, on entrevoit les oeuvres d’Eluard, de Morand, de Leyris, pour la littérature
française, et de Conrad, que Chadourne a traduit, d’Herman Melville (Taïpi), de
Robert Louis Stevenson. Dans sa présentation, Patrizia Gattaceca a parlé de “mystère” et de “complexité”. Il s’agit en effet d’un récit polyphonique qu’il faut lire attentivement. Mais elle dit aussi qu’il s’agit “d’une lecture jouissive”. Les divers éléments
que nous avons cités semblent avoir une logique interne: l’affectivité personnelle de
l’auteur, qui utilise sa bibliothèque familiale. Le sens des signes: le balcon détonne
par son matériau sur le matériau local, comme Agata l’Alsacienne qui doit s’intégrer
à une communauté différente. L’Ethnographie de Madagascar, soulève, entre autres
sujets, la place du malgache dans les langues indonésiennes, un sujet qui tient à coeur à Thiers:
“le statut de la littérature et de la langue”; la littérature qui peut être “une chambre d’auto-analyse” (Ghjacumu
Thiers). Le caractère “jouissif ” de la lecture, noté par Patrizia, correspond à l’enthousiasme qui a porté l’auteur
à réaliser ce texte: “ La liberté d’écriture en langue corse” (Thiers). Pour donner un petit exemple du plaisir que
Ghjacumu Thiers a dû éprouver devant son clavier, et sa maîtrise de la langue, citons le portrait teinté d’ironie,
qu’il brosse du facteur: “Figuratevi Gnigninu fattore vestutu in tal manera chi, s’ella ùn era stata a so faccia cun
l’ochji sburlati cum’è sempre, a so voce fine fine è chi barbuttulava à pena è iss’andatura meza ghjimba chi u facia
ancu più vechju chè in realità, tandu ùn ci era risicu di pudè lu ricunnosce! Si era messu una camisgia bianca à
fiori rossiu è manicorta chi ci si pudianu stà omancu tre grillachje cum’è ellu, una cullana di cunchiglie è fiori
tamanti cum’è quelli di e zucche, e per compie l’opera ci eranu isii dui schinchi secchi secchi chi surtianu di u so
short troppu grande dinù quessu”.
Francis Beretti
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musanostra . numéro 5. 09 .2016
Livres en vrac
Des livres plein les valises
Quelques titres remarqués ou qui nous ont été signalés...Lus ou bientôt lus
Un zéro avant la virgule,
de James Holin, aux éditions Ravet-Anceau
Très bonne lecture, Un zéro
avant la virgule, de James Holin, aux éditions Ravet-Anceau.
J’ai beaucoup aimé l’histoire,
bien menée, avec tous les ingrédients pour plaire. Mais j’ai
encore plus aimé l’étude des
caractères et des mœurs que
l’auteur propose : très bien vu,
tout est juste ! L’art, la diplomatie, les aristocrates, l’univers
de la Justice, la cupidité des marchands et les caricatures
m’ont tordu de rire. Tout est fumisterie et le monde marche
à l’argent et au sexe. Merci à James Holin d’avoir autant de
respect pour les lecteurs : une écriture soignée et naturelle.
Une écorce de mandarine Céline Mudry
Nouvelles éditions du
bord du Lot
Des nouvelles, toutes plutôt
courtes qui nous emmènent
parfois bien loin mais
souvent qui font retourner
en soi même ou très près de
ceux qu’on aime. Un recueil
empli d’humanité, de belles
histoires et du style.
Sfumatura de Guidu
Benigni,
Stamperia Sammarcelli
Alimetu, l’exil ou la mort
Dume Sammarcelli Stamperia Sammarcelli 2016
Alimetu, un nom qui évoque
le cédrat, richesse de nombreuses familles en ce début
de XIXe siècle. La Corse a
changé de maître et l’armée
française doit le faire admettre
à tous. Nous découvrons la vie
de familles importantes, des
gens aisés, qui se déchirent
ou s’aiment, qui luttent aussi
pour leur survie. Les soldats,
les bandits, les ennemis en tout genre ne manquent pas.
On s’attache tout particulièrement à Carlu Zerri et à
son petit fils comme à la famille de Battistu Pozzi. Nous
sommes essentiellement dans le Cap corse et à Bastia, celui
des couvents où on enfermait les jeunes filles amoureuses
de qui ne convient pas. Un roman d’aventure avec prise
d’otage, péripéties et d’histoire avec un moment social et
politique difficile ; des zélés qui trahissent les leurs, une
histoire d’amour aussi. Et si je vous disais que tout finit
bien ? Lisez, vous comprendrez.
Sfumatura
Juste paru, recueil poétique
en langue corse, «Micca u culore, ma chè a sfumatura» (P.
Verlaine)
6 parties composent l’ensemble : lochi, sunetti, quattrini; viaghji, canti, Cavalli
Le rêve,L’Autre Réalité André-Jean Bonelli et
Christophe di Caro Edilivre, 16,50 euros
Un millier de rêves ont été
recueillis par le docteur AJ
Bonelli. Comment se produisent-ils ? Le processus est
complexe mais le mécanisme
onirique semble obéir, selon
ce médecin romancier, aux
lois de la physique quantique.
Les auteurs, André-Jean Bonelli et Christophe di Caro
vous invitent à découvrir leur
double analyse : psychanalytique et quantique.
Paul Tramini
musanostra . numéro 5. 09 .2016
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Musaparution
Tout ce qu’on ne s’est jamais dit
Celeste NG Ed. Sonatine 2016
1977, Lydia Lee, seize ans, est retrouvée morte au fond du lac, tout près de chez
elle. A-t-elle été tuée ? S’est-elle suicidée ? Le tour de force de Céleste Ng est de
maintenir une tension permanente pour arriver à une révélation qu’on ne peut
anticiper et qui laisse un profond malaise chez le lecteur. Mais l’enquête ne sera
qu’un prétexte pour évoquer ce qui est au cœur du roman : l’opacité des êtres.
Cette mort est annoncée dès les premières lignes, de manière quasi clinique, uppercut qui vous sonne jusqu’à la fin du roman : « Lydia est morte. Mais ils ne
le savent pas encore. 3 mai 1977, six heures trente du matin, personne ne sait
rien hormis ce détail inoffensif : Lydia est en retard pour le petit déjeuner ».
Tout est là, dès cet incipit : « Personne ne sait rien » et personne ne saura
rien, jamais.
Celeste Ng choisit de revenir sur l’histoire familiale. Une famille qui n’a
rien d’ordinaire. Le père de Lydia, James, est chinois et être chinois dans
les années 50 aux Etats-Unis n’est pas chose aisée : il fait de brillantes
études mais se retrouve professeur dans une université bien en deçà de ses
aspirations. Victime de discrimination, James n’aspirera qu’à gommer
ses différences pour devenir invisible, désir de transparence qu’il voudra
transmettre à ses enfants, confondant transparence et intégration. La
mère, Marylin, américaine, blanche, connaît une autre forme de discrimination : à cette époque, aussi brillante que l’on puisse être, quand
on est une femme, l’objectif premier est d’abord de se trouver un bon
mari et d’être une parfaite femme au foyer. Marylin se révoltera d’abord
contre cette condition ; élève brillante, désireuse de se construire
contre le piteux modèle que lui offre sa mère, elle projette de devenir médecin mais sa rencontre avec James signera la fin de ses ambitions. Marylin
et James allient leur mal-être, ont trois enfants, dont Lydia, et semblent
avoir trouvé un certain équilibre. Equilibre précaire et illusoire qui volera en
éclats à la mort de Lydia et qui engendrera une volée de questions obligeant
chacun à se confronter à lui-même.
Quel est donc le poids qui a fait couler Lydia ? Le poids de sa famille, le poids
d’une mère qui va vouloir que sa fille soit ce qu’elle n’a pas été, le poids d’un frère
qui souffre d’être systématiquement relégué au second plan parce qu’il ne fait pas
la fierté de son père, le poids de ces événements apparemment insignifiants, presque
invisibles, mais en réalité décisifs et, parce qu’ils ne sont justement pas vus ou mal interprétés, se révèle dévastateur. Tout ce qu’on ne s’est jamais dit est un roman sur le poids des
non-dits, des humiliations, des discriminations, des vexations, des rancœurs et qui nous dit de
façon violente, bien que retenue, qu’il reste impossible de connaître l’Autre. Chaque individu possède la capacité de construire un être censé correspondre aux attentes de l’entourage ; pendant un temps,
cela semble plus confortable mais lorsque ce masque finit par se craqueler, la réalité qui se dévoile alors peut être
terrible. Celeste NG excelle à montrer comment une adolescente peut totalement leurrer les siens et faire croire qu’elle est
ce que l’on attend d’elle. C’est avec une grande finesse et sensibilité que l’auteur montre comment les êtres laissent leur vie
leur échapper et ne sont que les pantins de leur propre existence.
Celeste NG donne à entendre la voix de tous les membres de cette famille : l’empathie pour chacun d’entre eux est
totale. Mention spéciale pour la voix de la petite dernière, non désirée, Hannah, qui passe le plus clair de son temps sous la
table ou dans des recoins, pour se faire oublier, comme pour s’excuser d’être là ; c’est pourtant elle, aussi jeune soit-elle, qui,
avec toute l’innocence de son regard et parce que le manque d’affection lui a appris à traquer le moindre signe, comprendra
tout du drame qui est en train de se nouer : « Des années de soif d’affection l’avaient rendue perceptive, de la même façon qu’un
chien affamé remue la truffe à la moindre odeur de nourriture. Il n’y avait pas d’erreur possible. Elle reconnut immédiatement
l’amour, l’adoration profonde à sens unique qui n’avait jamais de retour ; un amour prudent et silencieux qui se moquait du reste
et continuait coûte que coûte ».
On retiendra la retenue et l’élégance de l’écriture, la construction subtile du roman – où passé, présent et futur s’entrelacent - tel un écheveau dans lequel on se perd quelquefois mais que l’on démêle progressivement.
Cet excellent premier roman, qui oscille entre Carrie et Thérèse Desqueyroux, nous rappelle que l’essentiel est
dans ce que l’on ne dit pas, ce que l’on ne voit pas et que l’amour ne sauve de rien.
Bénédicte Savelli
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musanostra . numéro 5. 09 .2016
Mus’arte
Fugue
Bernard Filippi et Antoine Graziani
« Depuis la sixième, au lycée de Bastia, en 1961 », se souvient Bernard Filippi pour évoquer la force de
sa complicité avec Antoine Graziani ; jusqu’au bac où les études de Lettres pour l’un et l’entrée aux
Beaux Arts pour l’autre ont été déterminantes. Ils se retrouveront à Paris, étudiants, et au fil des
décennies, en Corse, chacun s’affirmant dans son art. Ensemble ils ont publié 4 livres. Avec
Saint Jean Baptiste, paru aux Editions du Cap en 1993, leur première collaboration, Bernard,
parce qu’une colline de sa région, à Pianiccia, s’appelle « A punta di San Ghjan Battista »et
que ce saint représente pour lui l’avant-garde, avait sollicité Antoine et il se souvient :
« de mes peintures il a fait naitre un texte et puis j’ai fait des gravures à partir des textes,
comme une réponse de l’un à l’autre . L’un commençait et l’autre continuait ». Depuis
il y a eu «Partita» avec Jean-Louis Giovannoni et Jean Paul Pancrazi, puis «Ombres
réitérations» des lithographies illustrant le texte .
Antoine Graziani a enseigné la littérature française dans une université américaine,
Sarah Lawrence Collège, il écrit de la poésie et des textes sur l’art. Plasticien et lithographe Bernard Filippi est conseiller pour les Arts plastiques à la CTC, chef du
service de la création et des pratiques artistiques. Tous deux vivent et travaillent
en Corse. Leur recueil «Fugue», travail d’orfèvre de leur éditeur, L’Atelier des
Grames, met à l’honneur les textes d’Antoine et les 18 aquarelles originales de
Bernard qui les accompagnent. Avec grand talent Anik Vinay a donné vie dans
son atelier de Gigondas à cet ouvrage magnifique pour lequel «on a fonctionné comme avant, on a retrouvé notre accord créateur ». « Cette fois, Antoine a
écrit, j’ai reçu et lu ses textes ; ici sa poésie est très liée à la nature et, comme ma
peinture, à un vision du paysage corse. Un coup d’œil sur les nuages lointains »
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Les exemplaires uniques, où le bleu domine, comportent des variantes, légères mais
sensibles : parfois la tonalité est plus mauve, le violet apparaît ou le bordeaux. « Selon ce que j’ai éprouvé ce jour là, une tension par exemple comme un souffle d’orage,
la pluie imminente, le ciel, le paysage» confie Bernard Filippi. «Selon la proportion
induite de rouge ou de bleu…J’ai imaginé ma participation comme un cadre adapté
aux émotions dégagées, aux images nées de ses mots. Cela m’a pris près de 5 mois,
une démarche de complémentarité. Un vrai travail d’artiste et d’artisan, ce livre, car la
construction, avec le texte emboîté, mis au centre, est faite par rapport à l’objet, comme un
cœur enchâssé dans une couverture de plomb bruni. Une nouvelle occasion de créer ensemble,
comme avant, de reprendre notre fugue amicale et esthétique. «Fugue» se développe comme un
texte/poème où les pages tournées se répondent ; la fugue commence et finit par un
silence (de plomb) »
Marie-France Bereni Canazzi
La reproduction n’en étant pas possible, c’est une œuvre unique que les bibliophiles et autres
amateurs d’art vont acquérir.
A commander à Atelier des Grames
84 190 Gigondas 04 90 65 82 05
Ou à Bernard Filippi
5 boulevard François Salini
20 000 Ajaccio
06 74 98 95 20
www.bernarfilippi.com
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Antoine Graziani a souvent collaboré avec des artistes et a fait des études
importantes sur l’esthétique et les créations des plasticiens. Il est l’auteur de
nombreux recueils poétiques et de publications dans de prestigieuses revues.
musanostra . numéro 5. 09 .2016
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11
Musapoésie
Sous le seuil
Jean-Louis Giovannoni Editions UNES 2016
Sous le seuil, la pourriture. Des colonnes de fourmis se faufilent sous les racines d’un
châtaignier. Les cloportes se cachent sous les pierres, sous les souches pourrissantes.
Dans l’humidité des sous-bois en novembre, « la terre regorge de lombrics et de taupes
». Les blattes grouillent sous le dallage. Des lombrics aèrent la terre. Des pucerons surabondent. La nature est cruelle. La mante religieuse dévore le mâle qui était pourtant
porté de bonnes intentions. Les hirondelles avalent les mouches en plein vol. Belettes,
renards et serpents se repaissent de leurs proies innocentes. Cruauté envers l’homme :
un passant dévoré par les sangsues agonise. Cruauté de l’homme. Des enfants capturent
des araignées et des scorpions pour se régaler d’un combat perdu d’avance. Les villageois font la fête autour d’une bête sacrifiée :
« Porc, tête en bas, pattes arrière pendues au gibet. Chaque secousse serre les nœuds, lui
coupe les chairs. Il couine, hurle. Son poids l’épuise ».
Deux jeunes gens font l’amour dans une cabane de branchages. La scène est évoquée
avec la même curiosité clinique que l’accouplement des papillons, ou d’autres ébats
sauvages :
« Battements accélérés, confusion des frontières, les yeux chavirent. »
Mais à quoi tout cela rime-t-il ?
S’agit –il d’un kaléidoscope de souvenirs personnels : des visages entrevus derrière la
vitre des wagons, et qui se télescopent. La grand-mère morte à la mi-décembre. La
tuaison des cochons, les villages qui se vident ? On nous donne des explications pertinentes : la poésie de Giovannoni est « une poésie de fragments interrogeant le malaise d’un rapport intime et extérieur au monde ». Il nous présente une succession de
tableaux dépouillés de toute rhétorique, « où toutes les vies ont la même valeur ». Mais
on ne saurait s’en satisfaire.
Sous le seuil, la pitié. Sensibilité envers les créatures animales : « Hiboux et chouettes
n’osent plus voler, la nuit leur manque ». Sensibilité envers l’être humain angoissé par
la proximité d’un sort inéluctable. Une angoisse évoquée par un simple geste :
« La vieille dame du quatrième cherche la main de son mari, la serre contre la sienne.
Secondes lentes et rapides avant la montée du froid ».
Et puis, on lit ce passage, où pour la première fois Giovannoni se situe géographiquement :
« Le village disparaît, dans le tournant, après la croix où l’on s’assied. Au loin les lumières tremblantes de l’île d’Elbe, de Capraia, de Montecristo et de Pianosa.
Sans les quitter des yeux, nous parlons lentement dans le noir de nos vies rêvées ».
Relisez posément, à voix haute, cette dernière phrase, et savourez la beauté et la profondeur du message.
couverture
du
livre
Francis Beretti
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musanostra . numéro 5. 09 .2016
PrimaMusa2015
Heure H comme Haine
Depuis 2015, le concours est ouvert aux jeunes auteurs de moins 18 ans: les textes ayant pour thème « l’arbre » « les
vacances» ou « le bijou» répondant aux consignes (env 8000 signes), seront lus et le lauréat recevra un prix de 300 euros .
Café Du Soleil
H-2
Ma mère nous dépose devant le café du rendez-vous. Je m’extirpe de la voiture écoutant pour la dixième fois ses mille et une
recommandations . Léo sort à son tour, excité d’aller entendre son groupe préféré.
Alexandre nous attend à une table, son regard moqueur rivé sur nous il sirote une boisson alcoolisée.
- C’est bon, les jumeaux ? On y va ?
- Si tu veux, mais à mon avis, ils n’ouvriront pas les portes avant une demi-heure !
- Vous avez de la chance ! Moi, pour mes quinze ans, je suis allé à Disney ! Tu es béni, toi, William d’avoir un frère tel que
Léo !
Léo ne répond pas, il se contente de sourire bêtement comme il le fait quand il est heureux.
D’aussi loin que je me souvienne, il a toujours été un petit garçon renfermé qui ne parlait que très peu. Quand j’y repense
nous n’avons en commun que l’apparence physique. Contrairement à lui, je n’ai jamais eu peur d’aller vers les autres, ni de
dire ce que je pense. Le seul domaine dans lequel il se laisse aller, c’est la musique. Non pas qu’il danse ou qu’il chante, loin
de là ! Mais ses goûts musicaux sont en contraste avec sa personnalité.
C’est ainsi qu’à 20 heures nous attendons devant les portes du Bataclan pour assister au concert des «Eagles of death metal» !
Portes du Bataclan
Il y a foule, les gens s’amusent, rient et s’exclament. Léo ne coupe pas à la règle, je ne crois pas l’avoir déjà vu aussi heureux.
Sa joie est contagieuse. Je me mets à sourire aussi béatement que lui. Alexandre ne manque pas de le faire remarquer et se
moque en riant et nous traite de « copiés/collés »
Les rires redoublent et nous ajoutons un peu plus de joie et de bruit à cette foule en ébullition qui augmente à mesure que
le temps passe !
1
Salle de spectacle du Bataclan
H-1
Après une demi-heure d’attente, nous entrons enfin. Alexandre bien éméché apostrophe les vigiles en leur reprochant d’avoir
laissé trop longtemps les portes fermées et de leur faire perdre du temps. Je le pousse du coude et il avance et se tait en
maugréant et ricanant.
Quelque chose dans l’atmosphère, me dérange mais j’oublie aussitôt cette impression, mes idées noires s’envolent emportées
par les cris du public accueillant le groupe tant attendu !
Salle de concert du Bataclan
H-7 mn
Le concert est à son paroxysme, cela fait près d’une heure que le groupe déchaîne la salle en liesse...
Cette pensée noire surgit dans ma tête : Si nous étions des animaux, nous ne serions que d’inoffensives souris piégées par
quelque prédateur affamé!
H-5 mn
Des pétards éclatent au loin, une vague d’excitation parcourt la salle et avive encore plus la ferveur des spectateurs!
Mais les pétards claquent de plus en plus distinctement et de plus en plus nombreux et il devient évident que ce ne sont pas
des pétards !
Mon mauvais pressentiment revient au grand galop !
Alexandre qui a bu, titube un peu et rit très fort.
Mais soudain, Léo se fige, et à mon tour je reste pétrifié par ce que je vois: Les musiciens regardent vers la salle et abandonnant leurs instruments se précipitent vers les coulisses où ils disparaissent.
H-3 mn
La réalité inconcevable s’immisce en chacun de nous et dans un même mouvement nous nous retournons...
Alors, nous faisons face à un destin impitoyable. Deux hommes braquent sur nous leurs armes qui soudain crachent des
flammes, crachent la mort...
musanostra . numéro 5. 09 .2016
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Musaconcours2015
Un vent d’horreur nous glace jusqu’aux os. Nous sommes vraiment des bêtes piégées qui tentent de fuir, n’importe où, mais fuir ! Les
souris de mes noires pensées viennent d’être repérées par un chasseur assoiffé de violence aveugle. Il est bien réel! Il est terrifiant! fuir !
2
Confusion
H-1mn
Les gens tombent, morts, blessés, inondés de sang. Ils se font piétiner. Nous ne sommes plus des hommes, mais des machines dénuées de compassion, rendues folles par le trop-plein d’adrénaline!
Je saisis Léo par le bras, puis Alexandre, je les pousse devant moi ! Il faut que je les protège, je dois surmonter cette panique
qui me fait trembler ! Mon seul objectif est de m’éloigner de ces tueurs sans âme. Une voix sourde me harcèle : « Ils sont
morts, morts, morts, morts, toi aussi tu meurs ! Regarde ton frère, tu es mort ! » Cette voix qui veut avoir raison et ne veut
pas se taire !
Sortie arrière du Bataclan
Heure H comme Haine
L’heure sonne au loin, très loin, tellement loin. Est-ce les cloches d’une église ? Une sirène de police ? Mon propre hurlement
?
Non ! Je sais ce que c’est. Je refuse de comprendre ! Je refuse d’accepter !
Ce cri assourdissant, c’est celui de la mort … Je sais que c’est elle, je l’ai reconnue quand j’ai vu cette gerbe de sang précéder
mon frère Léo dans sa chute. Mon sang... ma vie...
H0
De Parisiens lambdas nous sommes les victimes d’une guerre épouvantable, les jouets de la violence aveugle...
Hôpital Paris
Tout est noir, je ne vois rien. J’entends quelques bip-bip lancinants.
J’ai l’impression de me réveiller d’un long sommeil. J’essaie de me souvenir. Le bruit d’une arme automatique, les hurlements.
J’ai peur mais cette sensation m’est familière, comme si elle ne m’avait jamais quitté.
Le bip-bip incessant d’une machine me tire à nouveau de ma transe. Cette fois-ci, je tente de soulever mes paupières mais
une lumière intense m’agresse et par réflexe je me protège du revers de la main.
Quand je me suis habitué, je distingue la silhouette d’une femme au fond de la salle. Je tente de l’interpeller mais de ma
gorge ne sortent que des sons rauques étouffés.
Pourtant cela suffit à la faire sursauter et elle se retourne brusquement comme si ma présence la surprenait.
3
Elle marche vers mon lit et me dévisage avec étonnement en se voulant rassurante mais je devine qu’elle est bouleversée, elle
marmonne quelque chose que je ne comprends pas et quitte la salle aussi vite qu’elle le peut en s’efforçant de Ma tête me fait
horriblement souffrir. Je me sens si mal ! Comme si mon esprit n’entrait plus dans le moule de mon corps.
Je passe les lieux en revue. Tout est aseptisé, une odeur âcre et familière de désinfectants flotte autour de moi. Deux médecins entrent et discutent à voix basse, je remue la tête de droite à gauche sur l’oreiller, j’ouvre et referme la bouche comme
un poisson. Je leur fais signe que je veux écrire. On me tend un carnet et un stylo. Je trace en lettres hésitantes : « comprends
rien... arrive pas à parler ». Le plus grand des deux écrit à son tour : « C’est normal que vous soyez perdu, vous venez de sortir
du coma, vous allez comprendre mais restez calme ! »
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musanostra . numéro 5. 09 .2016
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Musaconcours2015
On place un miroir devant moi, je crois d’abord que c’est une photo, mais elle reproduit chacun de mes gestes, je réalise que
c’est moi que je regarde mais plus vieux de quinze ans !
Je suis sous le choc. L’infirmière injecte un calmant dans ma perfusion. Le médecin s’assoit à côté de moi, il me présente des
feuillets et je lis au hasard « 13 novembre 2015 » « Le Bataclan »
« attentat terroriste » « mort d’une famille » « un seul survivant »
Nous sommes en 2030.
Les mots rebondissent sur mon âme sans l’atteindre. J’ai trente ans !
Il me faut plusieurs jours pour comprendre tout ce qui est arrivé depuis le 13 novembre 2015.
Quelques semaines plus tard, l’équipe médicale m’installe dans un studio, et me confie à une infirmière.
Le surlendemain, elle doit s’absenter pour faire une course.
Après son départ je sais que jamais je n’ai été aussi seul.
Il me manque quelque chose ! Il me manque quelqu’un ! Je cherche à mettre le doigt sur ce vide immense.
Au moment où je vais enfin comprendre, la sonnette retentit et me tire de ma réflexion. Je me lève, j’ouvre la porte et pour
la deuxième fois je me retrouve en face de moi-même mais quinze ans plus tard.
Alors tout me revient ! Nous nous jetons dans les bras l’un de l’autre. J’ai enfin retrouvé ce qu’il me manquait ! Mon frère
Léo ! Mon autre moi-même !
Un sourire radieux que je ne lui ai jamais connu éclaire son visage, il ressemble à celui que j’étais. Nous avons échangé nos
rôles. C’est un homme joyeux et je suis devenu triste, solitaire et renfermé. Comme si j’avais pris sa place ! Celle d’un être
introverti que la vie effraie.
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Des larmes me montent aux yeux, j’ai tellement de choses à lui raconter ! Il faut qu’il sache combien j’ai eu peur, combien
j’ai eu mal. Je saisis le carnet que je garde à la ceinture et qui me sert à m’exprimer par écrit mais Léo pose la main dessus et
le repousse en disant : « pas de ça entre nous, tu sais que tu n’as jamais eu aucun mal à me parler ! Et tu entends ce que je
te dis ?»
Alors je lui raconte tout ce que j’ai vécu, il m’écoute, longtemps et quand je ne sais plus que dire il me répond, et sa voix
semble sortir de moi-même, de si loin...
« Ne lutte plus ! Je ne suis là que parce que tu l’as voulu.
Tu m’entends parce que tu veux m’entendre ! Souviens-toi, ce soir-là, la mort m’a emporté et toi tu es tombé dans le coma
car tu as refusé d’accepter cette réalité et de vivre sans moi. Ce matin, c’est ton tour ! N’aie plus peur ! Viens me rejoindre.
Nous ne pouvons pas rester séparés ! L’un sans l’autre, sur terre, ne sommes personne ! Je t’attends !»
Je suis pendu à ses lèvres, mon regard dans son regard, mais à mesure qu’il parle, il devient de plus en plus flou et disparaît
complètement.
Quand je reprends mes esprits, je suis totalement seul, mais ses paroles résonnent partout et je les comprends...
Alors je m’approche de la fenêtre et me laisse aller pour répondre à Léo qui m’attend...
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Appartement de LAURÈ William
Les sirènes stoppent au bas de l’immeuble. Des policiers surgissent dans l’appartement. L’un d’eux découvre au milieu de la
table une note posée en évidence. À voix haute, il lit en pleurant le dernier message de William :
« Ces gens m’ont tout pris, ma famille, mes amis, ma vie, ma joie, ma jeunesse. Cela aurait pu arriver à n’importe lequel
d’entre vous, car au fond, nous sommes tous les mêmes. Mais je n’ai plus peur. Vous non plus, ne soyez pas impressionnés,
n’ayez plus jamais peur ! Ne soyez pas abattus, ne leur donnez pas cette satisfaction...
Montrez-leur que nous sommes solidaires au sein de notre patrie et que nous ne rejetons personne car nous sommes tous
frères!
Il n’y a rien qui les attend là-haut. Ils ne possèdent que la souffrance qu’ils ont laissée derrière eux et ils sont tout seuls et
perdants car la violence est lâche et ne gagnera jamais.
Eux, ils habitent les recoins noirs de l’obscurité.
Moi, j’ai juste retrouvé mon frère dans la lumière ! »
Mey-Li
musanostra . numéro 5. 09 .2016
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15
Livres en vrac
Les Mauvais Sujets
Michelle Corrotti Philippe Peretti Editions Piazzola 2016
L’action de ce roman, Les Mauvais Sujets, se situe vers 1769,
au moment de transition entre le gouvernement de Paoli et
celui de Choiseul. Mais y conte-t-on des représailles, des
combats meurtriers, des expéditions punitives, des destructions de repaires de rebelles, des malheurs ? Nenni ! Point
de faits de guerre ici, ou alors des guerres en dentelle. Le
“feu aux poudres” n’est pas déclenché par la proximité
d’un ennemi, mais par la vue d’une damoiselle qui offre
ses charmes à l’observateur, situation illustrée de belle façon
par Fragonard. “Toujours prêt!” n’est pas un slogan militaire, mais la devise d’un gentilhomme bien doté par la nature, comme le duc de Lauzun, «dont le plus petit membre
était la jambe”, ou comme Mirabeau, qui se vantait: “Les
champs de bataille où je me suis illustré en Corse ont compté plus d’édredons que de fortins”. Les ébats impétueux se
déroulent aussi bien dans les petits salons des notables que
dans les cellules d’un couvent. C’est le siècle de l’amour
polisson. On voit que les auteurs ont pris le soin de retranscrire le langage des doux aveux du temps:”La naissance du
jour m’offre une féerie extraodinaire quand toutes les lueurs
du ciel viennent s’échouer sous mes fenêtres, portées par
les vagues.” Les coquettes de l’île sont prêtes à délaisser
les faldette et le mezzaru pour “des guenipes affriolantes”.
Les sgiò bien en cour voient s’ouvrir de brillantes perspectives: la richesse, la noblesse. C’est le temps des “bouleversements politiques, l’abaissement moral, le règne de l’argent
sous le manteau fleurdelisé de la couronne de France”.
Voilà la gageure des auteurs, l’originalité du roman: ils
évoquent une période marquante de transition dans l’histoire de la Corse, mais non pas sur le mode traditionnel du
lamento, mais sur celui d’une chanson galante.
Et Bastia, dans cette affaire ? Un pays de cocagne pour les
roués en mal d’aventures. Un port qui s’adapte aux temps
nouveaux, pour ceux qui ont su garder la tête froide.
“La cité digérait lentement maIs inexorablement, comme si
elle disposait d’autant d’estomacs qu’une vache. Ville haute
bastionnée, ville basse recroquevillée à ses pieds, courtine
des montagnes en renfort et long gosier du port qui avalait
les navires et leurs cargaisons, les nouveaux arrivants, civils
et militaires, les idées du jour et celles de la veille. Tout fait
ventre dans une ville marchande”.
Francis Beretti
couverture
du
livre
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Une Nuit à Majunga
François de Negroni Ed. Materia Scritta 2016
Une Nuit à Majunga, de François de Negroni est une sorte
d’album de souvenris, illustré de coupures de presse, de caricatures, de photographies, et d’une sélection de films ayant pour
thème Thomas Sankara, et quelques dates de ses discours. En
août 1983, Sankara, “le Che Guevara africain”, anti-impérialiste,
panafricaniste, tiers-mondiste prit le pouvoir dans l’ancienne colonie française de la Haute-Volta, actuellement Burkina-Faso. Il
fut assassiné à Ouagadougou le 15 octobre 1987. Au début des
années 1970, il se trouvait à l’académie militaire de Madagascar.
C’est à cette époque-là que François de Negroni, alors enseignant de sciences humaines à l’université de Tananarive, jeune
coopérant, fait sa connaissance. Il ne l’a rencontré que deux fois,
mais sa présence marque ces souvenirs. C’est avec une point
de nostalgie qu’il évoque Majunga, “cette vieille cité coloniale
au cachet architectural un peu défraîchi”, une cité cosmopolite,
“un ensemble chatoyant qui, sur fond de disponibilité érotique,
favorisait ce rapport à l’exotisme et les modes d’esthétisation de
la subjectivité auxquels j’étais préparé par ma culture de classe”.
Une ambiance qui débloquait les inhibitions, comme dans cette
scène burlesque où un grand ponte de l’anthropologie économique s’est livré à un strip tease bruyant sur la piste d’un night
club.Frrançois de Negroni a la dent dure envers les coopérants
condescendants et opportunistes: “ ces belles figures de l’amitié
paternaliste des peuples majeurs pour les peuples-enfant”. Il est
d’aillleurs l’auteur d’un pamphlet au vitriol visant les coopérants
français dans le tiers-monde, intitulé “Les colonies de vacances”,
et qu’il définit lui-même comme “un essai mordant et salutaire”.
En fin de compte, on a l’impression que “ce fugitif témoignage”
trouve sa justification dans le constat ”qu’en pleine recrudescence honteuse de l’impérialisme, ce nom, Thomas Sankara, sert
toujours de référence”.
Francis Beretti
musanostra . numéro 5. 09 .2016
Un Grand-père
Pépé Paglieta surnommé ainsi parce qu'il ne quittait jamais son chapeau de paille,
n’ôtait jamais non plus son costume clair, bien qu'il résidât au village.
Il s'était marié très jeune, contre sa volonté, et contre celle de sa promise, avec
Annonciade, une femme laborieuse et taillée pour l'effort. Jamais ces deux là ne
s'aimèrent, et avec le temps, en vinrent à se détester.
Paul aimait faire la fête. Annonciade, le jardin. Ils se croisaient souvent au petit
matin, elle, une bêche à la main, lui, une bouteille sous le bras, vestige de sa nuit
loin d'elle.
Il lui fit 5 enfants, il fallait bien assurer la descendance, et ne s'y intéressa pas. Il
n'était pas fait pour la vie rude du village, travailler la terre lui faisait horreur. Sa
pension de guerre lui permit de ne jamais suer au dessus des sillons. Une tuberculose providentielle eut l'heur de se déclarer la veille de sa montée au front. Il y
aurait laissé la vie, il y perdit un poumon.
Alors que rien ne le présageait, il manifesta beaucoup d'intérêt envers ses petits
enfants, principalement quand ceux-ci devinrent adolescents. Ce qu'il aimait par
dessus tout, c'était leur prodiguer des conseils de séduction. Il leur expliquait
comment plaire aux femmes, leur conseillait d'ôter jeans et t-shirts au profit d'un
beau costume qu'un vieux tailleur d'Ajaccio pourrait leur confectionner.
Il les mettait en garde contre l’homosexualité, un fléau qui, selon lui, touchait
la jeune génération. De son temps à lui, ces choses-là ne se faisaient pas. Il en
parlait souvent et n'hésitait pas à se montrer cru afin de choquer les jeunes esprits
des adolescents qui l'écoutaient, amusés. Lui qui aimait tellement les femmes, ne
pouvait comprendre qu'un homme puisse être attiré par un autre.
L'été avec ses amis, il écumait les bals de village ! Excellent danseur, il avait un succès fou. Les femmes faisaient la queue
pour avoir l'honneur d'une danse avec Paul.
Il les entrainait dans des valses qui les laissaient étourdies. Au petit matin, il rentrait, ivre d'alcool et de bonheur. Il croisait
alors Annonciade, la mine maussade qui s'en allait biner les tomates.
Après la belle saison, l'ennui le gagnait. Fort heureusement, il s’était pris de passion pour les cures thermales. Il s'y rendait
chaque année, grâce au poumon qui lui restait et qui n'était guère vaillant. Ces cures annuelles, lui donnaient l'occasion de
quitter son village, où l'hiver, il ne se passait rien, et de faire de savoureuses rencontres.
A Saint-Honoré-les-Bains, il devint rapidement l'ami du maire d'un petit village du sud de la France, venu prendre les
eaux avec sa femme, et n'eut pas grand effort à faire pour devenir l'amant de cette dernière, la délicieuse Berthe. Comment
aurait-elle pu résister aux roucoulades du vieux séducteur, susurrant des "Berrrrrthe" enflammés dans le creux de son oreille ?
Quand le couple achevait sa cure, Paul la poursuivait car Marthe le rejoignait alors. Cette veuve bretonne, blonde dans sa
jeunesse, grande et fessue à souhait, le comblait au delà de toute espérance. Comme elle était loin, la brune et besogneuse
Annonciade ! Comme il serait toujours temps de la retrouver !
Au retour, il était épuisé et se montrait peu enjoué. Les plaisirs de Saint-Honoré-les-Bains n'étaient plus qu'un souvenir qui
le faisait sourire dans l'obscurité de sa chambre, et puis il vieillissait. Alors qu'Annonciade continuait de cultiver son jardin,
sarclant ses pieds de tomates avec ardeur, Pépé Paglieta rongeait son frein dans un lit d'où il sortait de moins en moins.
L'année suivante, très affaibli, il ne put aller en cure. Sa maladie pulmonaire avait gagné du terrain. Il prit soin de prévenir
ses chères Berthe et Marthe de son absence. " Berrrrrthe (Marrrrrthe) je ne pourrrrai pas venirrrrr cette année " leur annonça-t-il avec tristesse.
L'agonie du vieil homme ne fut pas longue. Annonciade, toujours consciente de son devoir, le soigna jusqu'à la fin.
Le jour de son enterrement, la maison était pleine de monde. Les gens venaient se recueillir une dernière fois devant la
dépouille du grand-père (toujours vêtu d'un costume mais noir cette fois-ci) et présenter leurs condoléances à la famille.
Comme les personnes parlaient du défunt autour d'un café, évoquant en souriant son caractère jovial et son goût pour la
fête, Annonciade, en grand deuil, s'approcha de la fenêtre où quelque-chose avait attiré son attention et s'exclama:
" Mi, chi ci hè un ghjattu rossu in i pumati !"
Frédérique Ettori
musanostra . numéro 5. 09 .2016
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Musaliteratura
Rutebeuf,
Jacques Fusina
Ce matin, en jetant un coup d’œil sur ce que nous appelons « les réseaux sociaux » j’ai noté qu’un des participants mettait en exergue un poème très connu de Rutebeuf : ce clin d’œil sur « Mes amis disparus » me rappelait mes études
d’ancien français à la Sorbonne et cet auteur du 13ème siècle que j’aimais beaucoup et dont j’ai encore dans ma bibliothèque le grand ouvrage des Oeuvres Complètes édité par deux universitaires aujourd’hui disparus aussi, E.Faral
et J.Bastin. Et le poème dont il est souvent question est tiré de La Complainte Rutebeuf qui commence par ces vers
d’ancienne langue « Ne covient pas que vous raconte/comment je me sui mis a honte/ Quar bien avez oï le conte… »
Or, ce poème fut mis en musique et chanté superbement par Leo Ferré sous le titre « Que sont mes amis devenus » adapté
bien entendu en français moderne mais gardant fort heureusement cet accent délicieux du français particulier des années
1200. Il m’est venu l’idée d’en composer en 1985, nous étions en pleine période du Riacquistu , une adaptation en corse
que j’avais intitulée « U Puverellu » et qui est celle-ci :
« Duve seranu i m’amichi
mancu saria ch’o la dichi
tenuti tantu
Forse fubbenu scaccighjati
ventu i s’averà purtati
amore hè mortu
Eranu amichi à collu tortu
è u mare battia in portu
i s’hà purtati
Cù lu ventu di e burrasche
quellu chì lampa in pianu e frasche
è e calceca
Cù a puvertà chì m’arreca
a guerra è a fame ceca
amore hè mortu
Sarà megliu ch’o tagli cortu
dicenduvi cum’ebbi tortu
in chì manera
amore hè mortu »
Petru Guelfucci l’ayant entendue décida de l’interpréter
sur la musique de Ferré et l’enregistra dans son CD
« S’o chjodu l’ochji » édité chez Olivi music en 1988.
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En français modernisé voici le texte utilisé par Ferré :
Que sont mes amis devenus
Que j’avais de si près tenus
et tant aimés ?
Ils ont été trop clairsemés
Je crois le vent les a ôtés
L’amour est morte
Ce sont amis que vent emporte
Et il ventait devant ma porte
Les emporta
Avec le temps qu’arbre défeuille
quand il ne reste en branche feuille
qui n’aille à terre
Avec pauvreté qui m’atterre
Qui de partout me fait la guerre
Au temps d’hiver
Ne convient pas que vous raconte
Combien je me suis mis à honte
en quelle manière…
musanostra . numéro 5. 09 .2016
Concours de textes courts
Musanostra 2016
N’hésitez pas à participer -Ouvert à tous ; c’est la neuvième édition.
Thèmes du concours 2016 : L’arbre, Les vacances et Le bijou.
Conditions de participation : Les candidats au concours Musanotra 2016 devront faire parvenir au siège de l’association, à
Musanostra, 2 place de l’hôtel de ville, 20200, Bastia, un texte sur l’un de ces thèmes, comportant 8000 caractères (c’est à
dire lettres et signes de ponctuation , plus ou moins 10%), rédigé en police time new roman, taille 12, interligne 1,5.
Le montant de l’inscription au concours est de 5 euros (chèque de préférence à l’ordre de musanostra), ce qui correspond
aux frais d’organisation.
Les textes doivent avoir un titre, et ceux ne comportant que les mots «l’arbre», «les vacances» ou «le bijou» ou «concours
Musanostra», ne sont pas éligibles en raison du risque de confusion. Ne pas signer, bien entendu, ni faire un quelconque
signe distinctif, car cela entraine l’élimination.
Les envois se feront : - Par courrier en 2 exemplaires en ajoutant à l’envoi une enveloppe fermée contenant les coordonnées de l’auteur ainsi que le chèque ou le billet de 5 euros et sur laquelle figurera juste le titre du texte et - Par courriel à
concoursmusanostra2016@ gmail.com avec la nouvelle en pièce jointe.
Prix : Le lauréat recevra un prix de 500 euros.
Le texte choisi et les 29 suivants feront l’objet d’une publication numérique (Avec possibilité d’acquérir le livre papier). Pour
savoir si l’on est parmi les sélectionnés, il faut se rendre sur le site www.musanostra.fr onglet « concours » où l’on trouve ces
informations et celles concernant les éditions antérieures (archives)
Les auteurs s’engagent en participant à ce concours musanostra 2016 à autoriser la publication de leur texte par Musanostra/
Musa Numerica ; cependant ils restent propriétaires de leur texte pour toute publication ultérieure.
La date limite d’envoi est le 30 octobre 2016.
Ce concours est ouvert en français et en corse, comme chaque année . Per quelli chi participeghjanu in corsu, nunda da
pagà !
In corsu
Site invitati à participà à u nostru cuncorsu nant’à u tema di l’arburu,di i ghjuvelli è quellu di e vacanze .
Si tratta di scrive un testu d’8000 segni (spazii in più) è di mandà ci lu nanzu à u 15 di nuvembre 2016 nant’à
[email protected] è à [email protected]. (per a versione numerica) è duie versione nant’à a carta à Musanostra, 2 Place de l’Hôtel de ville, 20200 Bastia.
U premiu hè di 500€ cù a publicazione in una racolta numerica à esce in u 2017 cù i testi in lingua corsa i più
belli chè n’averemu ricevuti (9a edizione quist’annu) incù duie buttiglie di vinu sceltu di Nicolas Mariotti, unu
di i nostri partinarii.
musanostra . numéro 3 . 05.2016
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Soutien à l association culturelle musanostra
Musa Nostra Magazine Littéraire
Civilité .................................................................................................................................................................
Nom ............................................................................. Prénom ...........................................................
Adresse .................................................................................................................................................................
............................................................................................................................................................................................
Code Postal ...................................................... Ville .................................................................
Email .....................................................................................................................................................................
Adhésion pour 1 an
à partir de 15 €
Musanostra
Envoyez-nous vos Bulletins à l’adresse suivante :
MUSANOSTRA
2 PLACE DE L’HÔTEL DE VILLE
20200 BASTIA
Association loi 1901 non assujettie à la TVA
[email protected]
(+33) 04 95 32 36 75
(+33) 06 10 93 15 11
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musanostra . numéro 3 . 05.2016
Creazione
Orlumare
Voltu versu te
d’un passu addisperatu.
Ci vulerà passà ancu quessu l’estate.
Ci vulerà.
Orlumare
U sguardu persu nantu l’orizonte
Mi pare di sente ti ride.
Forse hè un sognu ?
O l’eccu di a memoria,
Venutu per pietà à fà tace u silenziu ?
Issu silenziu chì s’ha ingullitu a to
risata sett’anni fa.
Odiu issa stagione.
Bramu u celu d’ottobre.
Cade a notte.
Mi ne vocu o Mà.
A.B.
B.Tozzi
musanostra . numéro 3 . 05.2016
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Pokemon Go
Kévin Petroni
L’application Pokemon go n’annonce pas seulement un énième phénomène de mode, mais elle marque aussi un tournant dans la représentation occidentale. Alors que l’usage de la console isolait le joueur
de la réalité et que le graphisme des jeux présents sur tous les formats
ne cessaient de désigner un monde purement fictif, le jeu Pokemon,
lui, réalise un véritable renversement: ce n’est plus le joueur qui pénètre dans un monde imaginaire, mais l’imaginaire qui contamine
le monde du joueur. Dans cette histoire, le portable joue un rôle
crucial. Il renforce son statut d’objet mythologique, je dirais même d’objet démiurgique; car en cartographiant
l’espace (GPS), en introduisant dans le réel des créatures pourchassées (l’outil video), le mobile change son utilisateur en dresseur et l’invite à participer à une chasse des plus ludiques. Toutefois, n’oublions pas que derrière le
jeu, ce qui se dessine toujours, c’est une lutte symbolique. Sous le voile bourgeois du plaisir, un apprentissage de la
performance et du combat que seuls les romans de Marco Biancarelli et de McCarthy auraient envisagé. Alors que
le GPS contrôle vos trajectoires, vos mouvements, votre vitesse, tandis qu’il gère votre attente et votre adrénaline,
la video, elle, vous apprend à déréaliser le meurtre en réalisant vos pulsions de meutrtre et de possession. Bien sûr,
pour le moment, la réussite de Nintendo réside dans le fait que l’entreprise est parvenue à enfermer le joueur dans
une réalité amplifiée; mais demain, rien n’empêchera à des jeux beaucoup plus violents de faire de même. Alors,
dans ce mariage du vrai et du faux, qui semble conclure toute une dynamique du jeu vidéo ayant consisté à le
rendre toujours plus vraisemblable, sans doute faudra-t-il espérer, comme Roland Barthes, une résistance morale,
un refus de cette pratique, pour ne pas voir du sang couler de nos écrans tactiles.
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Festa di a Lingua
Festa di a lingua
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