La mère est-elle pensable autrement que maternelle ? Conférence

Transcription

La mère est-elle pensable autrement que maternelle ? Conférence
La mère est-elle pensable autrement que maternelle ?
Conférence débat par Sylviane GIAMPINO
ACTES
JEUDI 26 avril 2007
CENTRE DE CONGRES "LE MANEGE"
331, rue de la République 73000 CHAMBERY
« Avec l’amour maternel, la vie vous fait à l’aube
une promesse qu’elle ne tient jamais ».
Romain Gary
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Programme
18h
ACCUEIL DES PARTICIPANTS
19h OUVERTURE
Marcel SANGUET, Président de l'association « Grandir…Ensemble »
19h15 CONFERENCE de Sylviane GIAMPINO
20h15 TABLE RONDE
Modérateur :
Kathy HUMBERT, Psychologue Clinicienne
Discutants :
Françoise REY, Psychanalyste
Dr Michael BOLTON, Psychiatre des hôpitaux
Henri PORCAR, Psychologue Clinicien
21h00 DEBAT AVEC LES PARTICIPANTS
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Repères
Sylviane Giampino est psychanalyste, et psychologue petite enfance. Elle
exerce depuis plus de 25 ans dans des services de la petite enfance et auprès des
familles.
Elle a enseigné la psychologie, mené des recherches et fondé l’Association Nationale
des Psychologues pour la petite enfance (A.NA.PSY.p.e), qui vient de fêter ses 20
ans. Elle est membre du collectif « Pas de O de conduite pour les enfants de 3 ans »,
de l’Association F.Dolto et d’Espace Analytique.
Elle est l’auteur de « Les mères qui travaillent sont-elles coupables ? » ed
Albin Michel - édition 2007
Elle a coordonné plusieurs ouvrages collectifs parmi les plus récents :
- "A l'écoute des bébés et de ceux qui les entourent", ERES, Septembre 06
- "Jeune couple-jeunes parents " Revue Informations Sociales, Juin 2006
Elle a aussi publié une centaine d’articles sur l’enfance et la famille, sur les
modes d’accueil, et la prévention psychologique.
Signalons sur le thème de la conférence :
- « A ta mère plus que de l’amour tu demanderas »in Spirale n° 39, dir P. Ben
Soussan, Eres, 2006
- «Je veux un enfant donc je suis un homme, disent-ils.» in A quoi rêvent les
hommes ?, dir.R.Frydman, M.Flis-Trèves, ed.O.Jacob, 2006
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Introduction de la conférence
Kathy HUMBERT, modérateur :
La représentation de la femme à travers les arts est l’angle sous lequel j’ai choisi d’introduire
cette soirée.
Des Vénus de l’art préhistorique aux signes protubérant de la fécondité féminine (seins, hanches,
ventre);
Aux déesses-mères de l’antiquité, source de naissance du monde, glorieuses, à l’image de Rhéa ou
Cybèle;
Aux contes de fées qui ont bercés notre enfance et dans lesquels la mère souvent morte laisse
place aux fées, personnages légendaires dotés de pouvoirs magiques, qui sont soit à l’image des fées
marraines du Moyen-Âge ayant un rôle d’ accompagnatrice et de protectrice soit terrifiantes, elles
peuvent l’être occasionnellement quant elles sont sous l’emprise de la vexation, de la colère ou encore de
la jalousie, communément rangés du côté des attributs féminins;
Aux poèmes de Rimbaud, qui dans son recueils Poésies (1870) donne à la représentation de la
femme plusieurs visages : celui de la femme-enfant (« O chair de fleur », Les répartis de Nina), celui de
la femme-adulte (décoiffée à la limite de la provocation, séductrice), celui de la femme-source de
vie(« ruissellement de la vie infinie », elle est douceur et tendresse), ou encore celui de la femme
parfaite (physique parfait, peau blanche, grands yeux, cheveux longs) et pour finir celui de la femme
divine (assimilée à une déesse, confondue avec Cybèle et Vénus).
En s’arrêtant enfin sur une chanson populaire actuelle dépeignant une femme dans son quotidien
de mère auprès de ses petits avec ce que cela implique d’investissement de tout ordre, cette place de
mère qu’on l’on garde toute une vie :
« C’est vrai ça crève de fatigue
Ca danse à tout jamais une éternelle gigue
Ca reste auprès de sa couvée
Au prix de sa jeunesse, au pris de sa beauté. »
« Une mère,
Ca fait ce que ça peut, ça ne peut pas tout faire,
Mais ça fait de son mieux »
Cette rapide rétrospective non exhaustive de la représentation de la femme dans les arts, nous
montre combien cela a travaillé les artistes à travers les temps, combien aussi ce travail de réflexion est
actuel.
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Sylviane GIAMPINO vous êtes psychanalyste et psychologue petite enfance. Vous exercez depuis
plus de 25 ans dans des services de la petite enfance et auprès des familles.
Vous avez enseigné la psychologie, mené des recherches et fondé l’Association Nationale des
Psychologues pour la petite enfance (A.NA.PSY. p. e) qui vient de fêter ses 20 ans.
Vous êtes une des pionnières du collectif « pas de 0 de conduite pour les enfants de 3 ans » qui
s’est constitué en réponse à l’expertise de l’INSERM sur les troubles des conduites chez l’enfant. Ce
collectif dénonce les risques de dérive. Un site internet est consultable, une pétition est mise en ligne,
Vous êtes aussi membre de l’association F. DOLTO ainsi que de l’Espace Analytique.
Vous êtes l’auteur de « les mères qui travaillent sont-elles coupables ? » paru chez Albin Michel
en 2005.
Vous avez coordonné plusieurs ouvrages collectifs parmi les plus récents :
1) A l’écoute des bébés et de ceux qui les entourent, chez ERES en sept 2006
2) Jeune couple-jeunes parents, dans la Revue d’Informations Sociales de Juin 2006
Vous avez publié une centaine d’articles sur l’enfance et la famille, sur les modes d’accueil ainsi
que sur la prévention psychologique.
Concernant plus précisément le thème qui nous réunis ce soir, nous pouvons citer deux de vos
publications :
3) A ta mère plus que de l’amour tu demanderas paru dans le numéro 39 de la revue Spirale
4) Je veux un enfant donc je suis un homme, disent-ils, publié dans « A quoi rêvent les hommes »
dirigé par René. FRYDMAN et Muriel. FLIS-TREVES aux éditions Odile Jacob
Ce soir avec vous Sylvianne Giampino ainsi qu’avec toutes les personnes de la table ronde cette
« si belle « mère qui tour à tour ne peut être que fécondité, toute glorieuse ou impitoyable, dévouée,
investie, épuisée qui fait « du mieux qu’elle peut » que l’on appelle pour « ses bobos » que l’on célèbre le
mois de mai venu, va être au centre de nos réflexions et de nos débats autour du questionnement
suivant : « La mère est-elle pensable autrement que maternelle ? ».
Je vous laisse à présent la parole
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Intervention de Sylviane GIAMPINO
(seul l’argument est ici rappelé)
En France la maternité se porte de mieux en mieux, dit-on, tandis
que les mères sont de plus en plus fatiguées.
Si les femmes se sentent en défaut ou en excès par rapport à leurs
enfants, elles sont souvent inquiètes, et incapables de donner
autant que les mythiques mères d'autrefois…
Or la maternité reste sanctifiée et la sacralisation du lien mèreenfant présenté en psychologie comme une adéquation des
comportements, comme une dyade harmonieuse est une version
revisitée de l'instinct maternel.
La maternité est une fonction relative car elle est multiple et
nécessairement ambiguë. Le plus inquiétant pour un enfant n'est
pas que sa mère nourrisse des sentiments ambivalents à son
égard, ce n'est pas qu'elle cherche des "astuces" pour réguler son
angoisse, c'est qu'elle vive comme anormale cette ambivalence, et
se culpabilise de désirer faire aussi autre chose.
Peut-être que les mères d'aujourd'hui pensent autrement leur
rapport à la maternité, allégée du fardeau de la dévotion, ou de la
fusion ? Peut-être que les enfants seraient moins pesants et
trouveraient en leur mère plus de plaisir à les désirer, les porter,
les élever, et les laisser s'envoler, si on regardait autrement le lien
femme-enfant ?
Intervention des discutants
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Kathy HUMBERT, modérateur :
Françoise REY, vous êtes psychologue, psychanalyste; le thème du féminin et du maternel vous
tient particulièrement à coeur et est au centre de vos réflexions,il sera une partie de votre intervention.
Vous avez aussi une grande expérience du dispositif des entretiens familiaux. De part votre expérience
pensez-vous que la fonction soignante est obligatoirement une fonction maternelle; un maternel
accueillant, contenant ?
Au regard du témoignage apporté par S. Giampino sur la maternité, je voulais simplement faire
valoir un point de vue que l’Histoire et aussi la clinique actuelle nous indiquent concernant les femmes.
Elles ont les femmes, de tout temps semble-t-il, manifesté leur présence et leur force de vie
dans des occupations qui ne les impliquaient pas directement dans la vie sociale. Si elles participaient par
le biais de la maternité au développement de leur société, on peut remarquer qu’elles trouvaient leur
désir aussi ailleurs.
Les femmes sont les premières à souffrir d’une société qui s’enferme, parce qu’elles viennent par
leur fonctionnement propre incarner ce qui fait obstacle à tout système totalisant, totalitaire.
Quand je dis les femmes, je ne dis pas les mères, parce que les femmes en tant que mères ont
souvent été tentées de soutenir ce que nous appelons la tradition patriarcale au profit de leur
progéniture tout spécialement leurs fils, leurs filles, qui, de ce point de vue là, n’étaient pas en bonne
place.
Qu’est-ce qui a changé de nos jours ?
Nous sortons du système patriarcal et pour les femmes le bouleversement a été sans précédent
dans l’histoire de la société occidentale. Ce mouvement a été porté par le féminisme qui a forgé les
esprits. Les filles ont accédé à l’instruction, aux diplômes et aux responsabilités de leur pays, mouvement
lame de fond qui a participé au laminage du patriarcat. Patriarcat en tant que celui-ci poussait à une
différenciation extrême des places et des fonctions homme-femme, les femmes sont venues trancher
dans ce système par la référence égalitariste.
La maternité, que devient-elle dans cette nouvelle configuration ?
Le féminisme qui peut se présenter comme un système clos pour faire avancer ses idées de vie
sociale pleine et entière pour les femmes « a rayé le désir maternel » (je cite S. Giampiro) de son
argumentation, mais immanquablement ce désir maternel a resurgi et a pu venir embarrasser dans notre
modernité la notion d’égalité.
On peut entendre dans notre clinique ces deux mouvements qui s’énoncent dans le discours des
femmes. Désir de venir en pleine lumière au même titre que les hommes et quelque chose d’autre qui
s’énonce en creux, désir de préserver une part d’elles-mêmes et dont le désir maternel peut en être un
des représentants.
Mais dans cette nouvelle configuration, dans notre modernité, la maternité ne retrouve pas la
même place qu’avant le temps du patriarcat.
Y. Knibiehler dans « Qui gardera les enfants ? » que j’ai découvert en même temps que le livre de
Sylviane Giampino peut être exemplaire de ce point de vue. Elle nous dit : « Il y a un enjeu central de
l’identité féminine, c’est la maternité… Je pensais que cet enjeu je devais l’ajuster aux exigences
féministes… D’un côté les bonnes mères se méfiaient de moi parce que j’étais féministe, de l’autre les
féministes se défiaient de moi parce que j’accordais une grande importance à la maternité ». Elle a été
féministe mais elle n’a pas lâché sur la maternité.
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Parler de la maternité c’est évoquer dans le meilleur des cas la relation amoureuse et nous savons
que cette relation pour fonctionner dans le désir se prête difficilement à la référence égalitaire.
Y. Knibiehler nous fait la grâce de raconter sa détermination dans son soutien à cette maternité
(par ses livres, ses implications dans des associations) sans éluder ses doutes, ses interrogations sur la
place qu’elle a tenue auprès de ses enfants. Elle nous fait entendre combien la place de la maternité, le
lien mère-enfant est en difficulté.
Le désir maternel est bien toujours pour les femmes le désir de retrouver quelque chose qui les
relie à l’énigme de la vie, du don de la vie mais elle a perdu cette valeur symbolique « d’opération de
civilisation » (Sylviane Giampino).
« De nos jours, la naissance est médicalisée, commercialisée, mondanisée alors qu’elle gagnerait à
être soutenue, socialisée, symbolisée » (S. Giampino). Comment s’exprime pour les femmes cette
difficulté ?
Sur le mode de la honte, de la culpabilité, de la gêne aussi, à assumer ce lien mère-enfant. Dans le
fil de mon propos, je voulais faire part d’une expérience modeste mais très intéressante :
Je fais ce que l’on appelle dans notre jargon l’analyse de la pratique auprès de deux équipes
d’éducateurs au Foyer Départemental de Chambéry qui reçoivent souvent dans l’urgence des enfants qui
se sont trouvés en grande difficulté dans leur famille.
Et ces équipes, en dehors de l’accueil bien sûr, vont avoir la lourde tâche dans un laps de temps
assez court de donner un avis, ils ne sont pas les seuls mais leur avis est important, pour aider le juge à
prendre une décision quant à l’éventuel retour de ces enfants dans leur famille ou bien c’est le placement.
L’enjeu est de taille pour ces équipes, les enfants sont petits ; à leur responsabilité est nouée une
culpabilité qui crée une tension dans leur travail d’éducateur. Ces familles exposent devant eux la
radicalité de ce que peut-être l’absence d’appuis symboliques, l’absence de références à une histoire
familiale, des pères éjectés avec pour seul appui les modes (par les biais des médias) et le consensus du
moment. Les éducateurs sont confrontés à cette absence d’appuis symboliques dans leurs rencontres avec
ces familles, peu d’entretiens et la tendance malheureuse à vérifier par la seule étude des
comportements la toxicité maternelle ou la souffrance de l’enfant.
Tendance à formaliser dans une sorte d’évaluation cette énigme qu’est le lien mère-enfant.
Depuis deux ans se met en place une pratique inscrite dans le projet institutionnel de recevoir les
parents et l’enfant dans des entretiens beaucoup plus formalisés et des les associer au projet pour leur
enfant. On a la surprise de constater que ces entretiens rapprochent les équipes des parents, ce qui
enlève de la tension dans la relation parents-éducateurs, que le défaut dans la relation mère-enfant peut
être évoqué sans tabou, parler de ce qui ne va pas, relance ce lien mère-enfant et, parfois, quelque chose
de symbolique est de nouveau en circulation, pour les éducateurs aussi, du désir peut émerger.
Kathy HUMBERT, modérateur :
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Monsieur le docteur BOLTON, vous êtes psychiatre des hôpitaux, vous avez une pratique de
centre médico-psychologique pour enfants. En partant de l'intervention de Sylviane GIAMPINO qui nous
indique que la mère peut exister tout en étant éloignée, qu'elle peut être suppléée mais pas remplaçable;
on pourrait s'interroger sur la possibilité de fabriquer du maternel avec une procédure, un protocole, une
fonction en référence notamment aux travaux de Loczy ?
France.
Avant de commencer mon propos, je voudrais juste faire une remarque concernant la situation en
Je discutais avec une amie en Autriche qui me faisait part de l’engouement des femmes
autrichiennes pour le système de scolarité en France, puisque dans ce petit pays alpin, traditionaliste, un
des grands enjeux des prochaines élections se situera autour de la scolarité dite à journée continue.
En effet, jusqu’à la 6ème, la scolarité des enfants allemands et autrichiens s’organise sur la demijournée, le matin, parfois jusqu’à 14 heures.
Beaucoup de mères ont donc du mal à trouver du travail jusqu’à un âge avancé de leur progéniture.
L’école à temps complet pour les enfants est considérée comme un objectif des forces progressistes de
ce pays, forces qui regrettent le diktat des 3 K encore bien ancrés dans ce pays : Kinder, Küche, Kirche.
Voilà, mais c’était une remarque préliminaire car mon questionnement se situe bien en France,
dans la situation que vous, Madame GIAMPINO, décrivez dans votre livre ainsi que dans les articles que
vous avez publiés.
Lors des consultations de patients venus au CMP où je travaille, des parents souvent désemparés
qui viennent avec un enfant ou des enfants qui se trouvent avoir des symptômes tout à fait divers, s’il n’y
a pas de spécificité des symptômes et bien il y a des questions qui viennent –et qui reviennent- et c’est
parce qu’ils se répètent que je me permets de vous en faire part ce soir.
Tout d’abord, le désarroi de ces parents est tel qu’ils viennent auprès du « spécialsite-expert »
pour trouver des solutions, des réponses à l’éducation de leurs enfants. Freud disait bien à propos du
métier de parent que c’était un métier impossible. Et on ne peut être que sensible à l’écoute de ce
désarroi des parents qui viennent demander au médecin –donc représentant d’un savoir qui serait du côté
de la Science- un soulagement de la « douleur » d’être parent. Je dis bien « douleur » car quand on essaie
de défricher ce qui se passe, et bien on s’aperçoit que la demande d’amour serait en quelque sorte
inversée et que le risque de s’opposer à la demande impétueuse, sans fin, de l’enfant n’est pas assumé et
c’est tout à fait douloureux pour eux. Ce que j’entends là, c’est qu’il y aurait, pour les parents, la peur de
perdre l’amour de cet enfant contrarié. Il me semble là, du coup, que ces parents qui se trouvent ainsi
dans une demande d’amour vis à vis de leurs enfants soient alors, du coup, vraiment en difficulté de
pouvoir donner quelque chose qui serait un don d’amour, justement, à leurs enfants. S’ensuivent agitation,
TOP, insomnies, hyperkinésie, troubles des apprentissages…
La deuxième question découle de la première et vient reprendre en quelque sorte ce que vous
évoquez quand vous classifiez qualitativement la relation maternelle en 4 catégories :
5) la mère présente – présente
6) la mère présente – absente
7) la mère absente – absente
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8) la mère absente – présente.
Autrement dit, quand est-ce qu’on peut parler d’une absence de la mère ou plutôt dans la fonction
qu’exerce la mère, quand est-ce qu’on peut affirmer « qu’il y a de la mère » (ce qui lui permettrait
d’ailleurs, comme vous le dîtes Madame) de pouvoir s’absenter justement sans générer d’angoisse.
Et bien, je vous fais la proposition suivante, c’est qu’il y a mère à partir du moment où il y a du don d’un
manque. D’un manque justement du côté maternel, autrement dit d’une incomplétude qui est
fondamentale. Serait-ce là, la dimension « femme » dont vous parlez, Madame ?
Et bien, c’est peut-être bien ce manque qui manquerait chez ces mères que l’on est amené à
entendre, bien souvent celles qui veulent être « au front » partout en même temps, front du travail, de la
famille, et celui de l’éducation des enfants. Il n’y aurait là, du coup, pas besoin d’un père, qui bien souvent,
aurait du coup, beaucoup de mal à « en placer une »
Il me semble qu’il y a là de quoi réfléchir. Car ce « petit bout » de la maman, nous devons, je crois,
espérer qu’il ne le soit pas vraiment. Car s’il y a nécessité d’un espace, c’est bien entre la maman et son
enfant, mais ce n’est pas gagné d’avance car finalement, c’est bien elle –la mère- dont dépend l’issue de
cette question.
C’est bien elle qui peut donner à l’enfant la possibilité de reconnaître qu’il n’est pas tout pour elle,
qu’il n’est pas une émanation de son corps à elle. Reconnaissant cela, reconnaissant que sa mère, et bien, il
lui manque quelque chose aussi, il sera alors donné à l’enfant de pouvoir se tourner, vers quoi ? Vers un
autre qu’elle, d’abord un objet dit « transitionnel » puis vers le père qui devrait, je dis bien, devrait,
représenter ce qui manquerait chez la mère. Puisque sans lui, pas d’enfant au départ.
Encore faudrait-il que ce père, ce ne soit pas un tube à essai, ce qui va, je crois, nous poser encore
quelques problèmes à l’avenir, dans la clinique de l’enfant et de la parentalité.
On pourrait donc revenir tout simplement à essayer de définir ce que serait un père ou plutôt la
fonction paternelle en fonction de ce qu’autoriserait la mère. Etre père auprès de l’enfant, serait exercer
une fonction vis à vis de l’enfant, fonction que la mère aurait autorisée en laissant la place à cet homme
géniteur ou non, qui côtoie la mère et les enfants au quotidien.
Il s’agirait donc de ce manque, manque qui confronterait l’enfant dans le constat suivant « ma
maman a besoin de mon papa, car à elle seule, elle ne peut pas tout… »
In fine, il y aurait de la place pour les hommes et les femmes dans le dispositif de parentalité.
Madame GIAMPINO, je vais vous poser une question peut-être impertinente, mais qu’est-ce donc
qu’un père selon vous, selon votre lecture ? Une mère peut-elle finalement assurer une fonction de père ?
Kathy HUMBERT, modérateur :
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Henri PORCAR, vous êtes psychologue clinicien et vous avez une importante expérience du travail
avec l'enfant et sa famille de part notamment votre carrière en pédiatrie puis actuellement au sein d'une
pratique libérale. Un bébé tout seul ça n'existe pas précisait D.W. WINNICOTT, pourrait-on étendre
cela à la mère, la famille et les institutions en disant une mère toute seule, ça n'existe pas, une famille
toute seule, ça n'existe pas et enfin, une institution toute seule, ça n'existe pas non plus ?
Lorsque j’étais enfant, j’habitais Marseille, un quartier qui s’appelle « La Belle de Mai ».
Là tous les matins, quand mon père partait travailler à 6 h 30, un défilé de voisines venait les unes
après les autres, voir ma mère pour parler de leurs difficultés de mère, de femme, de leur homme. J’ai
commencé à comprendre des centaines d’années après, dans une autre vie, que ces voisines avaient besoin
de quelqu’un d’extérieur, d’une oreille non seulement complaisante mais qui écoute jusqu’au bout. En même
temps, cela leur permettait de créer une autre manière de retourner chez elle, pour être femme, pour
être mère, pour être aimante et vivre avec le réel et faire avec.
Est-ce qu’une femme et un homme peuvent trouver seuls une plus grande connivence entre eux s’il
n’y a pas parfois l’écoute de quelqu’un extérieur qui leur permette d’imaginer une autre manière de vivre,
quelqu’un qui les estime tous les deux.
Dans nos métiers n’essayons-nous pas aussi de trouver des solutions sans faire appel à l’aide
extérieure ? Ne sommes-nous pas pris aussi bien dans nos vies privées que dans nos métiers par l’idée
qu’il faut s’en sortir seul, et qu’il est impensable qu’il est nécessaire de demander de l’aide. Nous croyons
parler mais nous ne parlons pas. L’imagination de penser autrement, d’attendre, de demander à sortir de
notre solitude, ne peut advenir surtout lorsqu’on vit en couple, surtout lorsqu’on croit tout faire
parfaitement pour le bien de l’autre.
Dans nos métiers aussi, c’est quand nous croyons être de bons professionnels, que nous sommes
dans des équipes où tout se dit, où tout est parfait, quand tout se passe trop bien, c’est qu’il y a un
énorme problème dans nos équipes, on n’est plus dans la vie.
La vie nous oblige à ne pas être parfait, la vie c’est l’imparfait, c’est la lutte quotidienne pour
gérer au mieux cet imparfait et ne jamais cesser d’y croire.
Une dame d’une quarantaine d’années vient me voir il y a plusieurs années, son mari qui était
ingénieur dans une entreprise voulait se réaliser et voulait quitter son travail. Elle crut bien faire en
l’aidant à accomplir son projet. Mais il se mit aussitôt à déprimer et est allé en clinique dans une autre
ville. Elle a un enfant. Elle travaille en cabinet privé. Elle dit : « j’ai toujours rêvé d’avoir une famille, un
enfant, un foyer ». Petit à petit elle réalise qu’elle a toujours tout mener de front, son travail, son couple,
sa vie de mère. Elle a toujours aidé les autres mais ne peut penser être aidée. Au fil des séances elle
réalise qu’enfant, son père ayant eu un grave accident, sa mère faisait face à tout. Elle a rêvé durant des
années d’un père fort. Nous nous apercevons que le rêve nous permet de nous en sortir quand cela va très
mal, comment faire avec la réalité après si nous restons dans notre rêve ? Quand je lui pose la question :
« N’avez-vous pas une amie sur laquelle vous pouvez compter, qui peut vous écouter jusqu’au bout ? ». Oui
elle a une amie, mais elle ne peut s’imaginer que cette amie pourrait l’aider « Penser cela dit-elle, c’est
comme si j’étais obligée de changer de vie ».
C’est toujours une admiration quand nous constatons dans nos métiers, le courage de ces humains
qui reviennent nous voir alors qu’en apparence rien ne change dans la réalité de leur vie.
Ils veulent tout simplement plus vivre pareil !
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Je suis intervenu souvent dans des villes différentes, comme élément extérieur d’équipes pour les
faire réfléchir sur leur pratique quotidienne. Un jour, je travaillais dans une de ces villes avec un de ces
groupes qui réunissaient des membres de diverses équipes de crèches. La responsable de toutes les
équipes qui était une administrative avait voulu venir. Elle expliquait qu’elle était allée dans une crèche et
que le personnel se plaignait de la non reconnaissance de leur travail par les parents. Elle avait, disait-elle
passé 1 h 30 à écouter cela. J’ai essayé de faire parler le personnel sans y parvenir, mais en même temps,
je comprenais le danger de la pensée unique, c’était quand même la Responsable de toutes les équipes de
crèches, sa parole était vérité, pour le personnel qui dépendait d’elle.
Bien sûr j’avais fait l’erreur d’accepter qu’elle vienne, mais dans nos métiers les erreurs c’est ce
qu’on en fait qui est important, si on n’accepte pas l’erreur, on ne prend pas de risques. Je croyais pouvoir
démontrer qu’une aide extérieure était utile, par la suite, la responsable a mis en place des réunions
d’équipe avec la psychologue du service, sans apport extérieur d’analyse de la pratique.
Nous comprenons comment chaque fois que nous voulons des réponses efficaces, qui n’appellent
pas le doute, nous sommes dans un repliement catastrophique et autistique dans notre travail. Aucune
création ne se fait. Nous sommes poussés à ne pas nous tromper, à tout savoir, à tout instant, on peut
être mis à mal, c’est toujours une atteinte à notre narcissisme. Nous évitons les conflits d’équipe, les
conflits seraient meurtriers.
Mais quelle image donnons-nous aux parents d’une équipe où en apparence tout tourne bien dans
les crèches ? Les parents ne nous parlent pas, ils n’osent pas, ou s’ils nous parlent c’est pour qu’on leur
donne des solutions toutes faites, c’est pire ! Nous devenons doucement des terroristes sans le savoir
puisqu’il n’y a que nous qui savons. On est des professionnels de l’enfance mais on n’est plus capable de se
mettre à la place des parents, de leurs difficultés de vie.
Nous montrons aux parents une image impossible à atteindre. Une image du parfait professionnel,
on n’est plus dans la vie. La vie, cela nous submerge de bonheur et de malheur, c’est l’alternance. Quand
dans nos métiers nous sommes conscients devant les parents que nous faisons les mêmes erreurs qu’eux,
mais qu’en cherchant avec eux nous allons trouver ensemble des solutions et une autre manière d’être
avec l’enfant, alors là nous nous mettons vraiment à leur place, nous vivons ce qu’ils vivent.
Si nous ne voulons pas mourir envahis par les certitudes de faire bien, si nous voulons rester en
vie, rester vivants tous les jours, que le doute nous ouvre la curiosité de la rencontre avec l’autre, si nous
ne voulons pas rester repliés dans notre couple ou notre lieu de travail, qui deviennent alors le désert des
Tartares, nous ne pouvons qu’accepter l’imparfait.
Accepter que la rencontre avec l’autre, quand on l’obtient, est toujours à recommencer, c’est
toujours l’imparfait. L’important c’est d’y croire sans jamais se lasser.
Pour ne pas sombrer dans ce que nous dit très bien Baudelaire :« La sottise, l’erreur, le péché
occupent nos esprits et travaillent nos corps, mais le plus grand des péchés est l’ennui ».
Baudelaire nous propose alors un autre poème qui s’appelle « Elévation » :
Derrière les ennuis et les vastes chagrins,
Celui dont les pensées comme des alouettes,
Vers les cieux le matin, prennent le libre essor
Qui planent sur la vie, et comprend sans effort
Le langage des fleurs et des choses muettes.
BIBLIOGRAPHIE
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12
Ouvrages généraux
Collectif, Pas de zéro de conduite pour les moins de trois ans, Eres, 2006
R.Frydman, M.Flis-Trèves , A quoi rêvent les hommes ?, ed.O.Jacob, 2006
Yvonne KNIBIEHLER,
- Maternité affaire privée, affaire publique, Bayard, 2001
- Histoires des mères et de la maternité en occident, PUF, Que-sais-je?, 2002
- Maternité et parentalité, Ecole Nationale de la Santé Publique, 2004
- Qui gardera les enfants?Mémoires d'une féministe iconoclaste, Calmann- Lévy, 2007
Jean-Pierre LEBRUN, La perversion ordinaire, Vivre ensemble sans autrui, Denoel, 2007
Jacques –Alain MILLER et Collectif, L’anti livre noir de la psychanalyse, Seuil, 2006
Laurent OTT, Travailler avec les familles, ERES, 2004
Marcel SANGUET, Parents vous êtes de formidables éducateurs !, Même pas vrai, ERES, 2003
Michel SCHNEIDER,
- Big mother, Editions Odile Jacob, 2002
- La confusion des sexes, Flammarion, 2007
Ouvrages de Sylviane GIAMPINO
Auteur de:
Accueillir, coll 1001 bébés, ERES, 2000
Les mères qui travaillent sont-elles coupables ?, ALBIN MICHEL, 2000
A l’écoute des bébés et de ceux qui les entourent,coll 1001 bébés, ERES, 2006
Co-auteur de :
Les bébés de l’an 2000, Spirale, n° 14, ERES, 2000
Vidéo et accueil des jeunes enfants, ERES, 2002
Psychologue auprès des tout-petits, pour quoi faire ?, ERES, 2002
La famille change-t-elle ? , ERES, 2006
Pas de zéro de conduite pour les enfants de 3 ans !, ERES, 2006
Spirale a 10 ans ! Les dix commandements de la périnatalité, Spirale, n°39, ERES, 2006
Mille et un bébés
Accueillir, ERES, 2000
Rituels et mises au monde psychique, ERES, 2002
Troubles psychiques dans le post partum immédiat, ERES, 2002
Le baby blues n'existe pas, ERES, 2003
Dans la famille je demande le père, ERES, 2005
Profession : nounou, ERES, 2005
La mère, le bébé, le travail, ERES, 2006
Accueillir l'enfant entre 2 et 3 ans, ERES, 2006
Psychologues auprès des tout-petits pour quoi faire?, ERES, 2006
Lettre de l'enfance et de l'adolescence (Revue du GRAPE)
Qu'est-ce-qu'une mère?, n° 12, 1993
Les parents difficiles, n° 41, 2000
Les parents usagers, n° 46, 2002
Les filles, n° 51, 2003
Les mères, n° 59, 2005
Revue EMPAN
[email protected]
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Malaise dans la famille, n° 47, 2002
Trajets de femmes au risque du social, n° 53, 2004
Enfant et écoles d'aujourd'hui: des chemins de traverse, n° 63, 2007
Des femmes et des hommes: un enjeu pour le social, n° 65, 2007
Le travail social en quête de sens, n° 68, 2007
Revue enfances et psy
Filles et garçons, n°03, 1998
L'enfant et ses espaces, n° 33, 2007
Clinique méditerranééne
Filiations 1, n° 63, 2001
Filiations 2, n° 64, 2001
Passion, amour, transfert, n° 69, 2004
La mère est-elle pensable autrement que
maternelle ?
Conférence débat par Sylviane GIAMPINO
JEUDI 26 AVRIL 2007
CENTRE DE CONGRES "LE MANEGE"
331, rue de la République 73000 CHAMBERY
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Spirale
Le père, l'homme et le masculin en périnatalité, n° 11, 1999
Les bébés de l'an 2000, n° 14, 2000
L'amour maternel, n° 18, 2001
Au delà de l'amour maternel, n°21, 2002
Avec Myriam DAVID: quel accueil pour les jeunes enfants?, n°25, 2003
Conjugalité, parentalité: quel paradoxe, n° 26, 2003
L'allaitement maternel, n° 27, 2003
Histoires d'amour, n° 28, 2003
Parentalité accompagnée...Parentalité confisquée, n° 29, 2004
Des nounous et modes d'accueil, n° 30, 2004
Bébé où crèches-tu?, n°38, 2006
Le Coq Héron
Tout sur mon père, n° 179, 2005
Sites internet
Site du Collectif Pas de zéro de conduite pour les moins de trois ans :
www.pasde0deconduite.ras.eu.org
[email protected]
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