Paroles de Feuilles Volantes
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Paroles de Feuilles Volantes
Paroles de Feuilles Volantes Gildas Delaporte: Etty Hillesum Encore une nuit noire froide et puantes; Ha! C'est demain mardi, ce jour me hante; J'entends au loin le sifflement du train Se mélanger aux aboiements des chiens. Westerbork: lieu maudit Au portes de l'enfer; Fil de soie, belle Etty Fleur dans le désert. Ils veulent toujours mille, pas un de moins; Grand-père, mère, fille, frère ou cousin; J'en connais déjà tant par leur prénom, Mireille, Jonathan ou Gédéon. On fait grincer les portes en les roulant; Ils découvrent alors un trou béant. Ils vont là s'entasser, j'entends leurs cris, Ils devinent où ils vont, ils ont compris. Victor Hugo: A des âmes envolées Ces âmes que tu rappelles, Mon coeur, ne reviennent pas. Pourquoi donc s'obstinent-elles, Hélas ! à rester là-bas ? Dans les sphères éclatantes, Dans l'azur et les rayons, Sont-elles donc plus contentes Qu'avec nous qui les aimions ? Nous avions sous les tonnelles Une maison près Saint-Leu. Comme les fleurs étaient belles ! Comme le ciel était bleu ! Parmi les feuilles tombées, Nous courions au bois vermeil ; Nous cherchions des scarabées Sur les vieux murs au soleil ; On riait de ce bon rire Qu'Éden jadis entendit, Ayant toujours à se dire Ce qu'on s'était déjà dit ; Je contais la Mère l'Oie ; On était heureux, Dieu sait ! On poussait des cris de joie Pour un oiseau qui passait. Charles Baudelaire: Le balcon Mère des souvenirs, maîtresse des maîtresses, Ô toi, tous mes plaisirs ! ô toi, tous mes devoirs ! Tu te rappelleras la beauté des caresses, La douceur du foyer et le charme des soirs, Mère des souvenirs, maîtresse des maîtresses ! Les soirs illuminés par l'ardeur du charbon, Et les soirs au balcon, voilés de vapeurs roses. Que ton sein m'était doux ! que ton coeur m'était bon ! Nous avons dit souvent d'impérissables choses Les soirs illuminés par l'ardeur du charbon. Que les soleils sont beaux dans les chaudes soirées ! Que l'espace est profond ! que le coeur est puissant ! En me penchant vers toi, reine des adorées, Je croyais respirer le parfum de ton sang. Que les soleils sont beaux dans les chaudes soirées ! La nuit s'épaississait ainsi qu'une cloison, Et mes yeux dans le noir devinaient tes prunelles, Et je buvais ton souffle, ô douceur ! ô poison ! Et tes pieds s'endormaient dans mes mains fraternelles. La nuit s'épaississait ainsi qu'une cloison. Je sais l'art d'évoquer les minutes heureuses, Et revis mon passé blotti dans tes genoux. Car à quoi bon chercher tes beautés langoureuses Ailleurs qu'en ton cher corps et qu'en ton coeur si doux ? Je sais l'art d'évoquer les minutes heureuses ! Ces serments, ces parfums, ces baisers infinis, Renaîtront-il d'un gouffre interdit à nos sondes, Comme montent au ciel les soleils rajeunis Après s'être lavés au fond des mers profondes ? - Ô serments ! ô parfums ! ô baisers infinis ! Victor Hugo: Le trouble-fête Les belles filles sont en fuite Et ne savent où se cacher. Brune et blonde, grande et petite, Elles dansaient près du clocher ; Une chantait, pour la cadence ; Les garçons aux fraîches couleurs Accouraient au bruit de la danse, Mettant à leurs chapeaux des fleurs ; En revenant de la fontaine, Elles dansaient près du clocher. J'aime Toinon, disait le chêne ; Moi, Suzon, disait le rocher. Mais l'homme noir du clocher sombre Leur a crié : - Laides ! fuyez ! Et son souffle brusque a dans l'ombre Eparpillé ces petits pieds. Toute la danse s'est enfuie, Les yeux noirs avec les yeux bleus, Comme s'envole sous la pluie Une troupe d'oiseaux frileux. Et cette déroute a fait taire Les grands arbres tout soucieux, Car les filles dansant sur terre Font chanter les nids dans les cieux. - Qu'a donc l'homme noir ? disent-elles. Plus de chants ; car le noir témoin A fait bien loin enfuir les belles, Et les chansons encor plus loin. Qu'a donc l'homme noir ? - Je l'ignore, Répond le moineau, gai bandit ; Elles pleurent comme l'aurore. Mais un myosotis leur dit : - Je vais vous expliquer ces choses. Vous n'avez point pour lui d'appas ; Les papillons aiment les roses, Les hiboux ne les aiment pas. Charles Baudelaire: Chant d'automne (II) J'aime de vos longs yeux la lumière verdâtre, Douce beauté, mais tout aujourd'hui m'est amer, Et rien, ni votre amour, ni le boudoir, ni l'âtre, Ne me vaut le soleil rayonnant sur la mer. Et pourtant aimez-moi, tendre coeur ! soyez mère, Même pour un ingrat, même pour un méchant ; Amante ou soeur, soyez la douceur éphémère D'un glorieux automne ou d'un soleil couchant. Courte tâche ! La tombe attend ; elle est avide ! Ah ! laissez-moi, mon front posé sur vos genoux, Goûter, en regrettant l'été blanc et torride, De l'arrière-saison le rayon jaune et doux ! Charles Baudelaire: Chanson d'après-midi Quoique tes sourcils méchants Te donnent un air étrange Qui n'est pas celui d'un ange, Sorcière aux yeux alléchants, Je t'adore, ô ma frivole, Ma terrible passion ! Avec la dévotion Du prêtre pour son idole. Le désert et la forêt Embaument tes tresses rudes, Ta tête a les attitudes De l'énigme et du secret. Sur ta chair le parfum rôde Comme autour d'un encensoir ; Tu charmes comme le soir, Nymphe ténébreuse et chaude. Ah ! les philtres les plus forts Ne valent pas ta paresse, Et tu connais la caresse Qui fait revivre les morts ! Tes hanches sont amoureuses De ton dos et de tes seins, Et tu ravis les coussins Par tes poses langoureuses. Quelquefois, pour apaiser Ta rage mystérieuse, Tu prodigues, sérieuse, La morsure et le baiser ; Tu me déchires, ma brune, Avec un rire moqueur, Et puis tu mets sur mon coeur Ton oeil doux comme la lune. Sous tes souliers de satin, Sous tes charmants pieds de soie, Moi, je mets ma grande joie, Mon génie et mon destin, Mon âme par toi guérie, Par toi, lumière et couleur ! Explosion de chaleur Dans ma noire Sibérie ! Guillaume Apollinaire: Le Pont Mirabeau Sous le pont Mirabeau coule la Seine Et nos amours Faut-il qu'il m'en souvienne La joie venait toujours après la peine Vienne la nuit sonne l'heure Les jours s'en vont je demeure Les mains dans les mains restons face à face Tandis que sous Le pont de nos bras passe Des éternels regards l'onde si lasse Vienne la nuit sonne l'heure Les jours s'en vont je demeure L'amour s'en va comme cette eau courante L'amour s'en va Comme la vie est lente Et comme l'Espérance est violente Vienne la nuit sonne l'heure Les jours s'en vont je demeure Passent les jours et passent les semaines Ni temps passé Ni les amours reviennent Sous le pont Mirabeau coule la Seine Vienne la nuit sonne l'heure Les jours s'en vont je demeure Marceline Desbordes-Valmorin: Les Cloches du Soir Quand les cloches du soir, dans leur lente volée Feront descendre l'heure au fond de la vallée, Si tu n'as pas d'amis ni d'amours près de toi, Pense à moi ! Pense à moi ! Car les cloches du soir avec leur voix sonore A ton coeur solitaire iront parler encore, Et l'air fera vibrer ces mots autour de toi : Aime moi ! Aime moi ! Si les cloches du soir éveillent les alarmes, Demande au temps ému qui passe entre nos larmes, Le temps dira toujours qu'il n'a trouvé que toi Près de moi ! Quand les cloches du soir, si tristes dans l'absence, Tinteront sur mon coeur ivre de ta présence, Ah ! c'est le chant du ciel qui sonnera pour toi ! Pour toi et pour moi ! Quand les cloches du soir, qui bourdonne et qui pleure, Ira parler de mort au seuil de ta demeure, Songe qu'il reste encore une âme près de toi : Pense à moi ! pense à moi ! Victor Hugo: Promenades dans les Rochers Première Promenade Un tourbillon d'écume, au centre de la baie Formé par de secrets et profonds entonnoirs, Se berce mollement sur ronde qu'il égaie, Vasque immense d'albâtre au milieu des flots noirs. Seigneur ! que faites-vous de cette urne de neige ? Qu'y versez-vous dès l'aube et qu'en sort-il la nuit ? La mer lui jette en vain sa vague qui l'assiège, Le nuage sa brume et l'ouragan son bruit. L'orage avec son bruit, le flot avec sa fange, Passent ; le tourbillon, vénéré du pêcheur, Reparaît, conservant, dans l'abîme où tout change, Toujours la même place et la même blancheur. Le pêcheur dit : - C'est là, qu'en une onde bénie, Les petits enfants morts, chaque nuit de Noël, Viennent blanchir leur aile au souffle humain ternie, Avant de s'envoler pour être anges au ciel. Moi je dis : - Dieu mit là cette coupe si pure, Blanche en dépit des flots et des rochers penchants, Pour être, dans le sein de la grande nature, La figure du juste au milieu des méchants. Deuxième Promenade La mer donne l'écume et la terre le sable. L'or se mêle à l'argent dans les plis du flot vert. J'entends le bruit que fait l'éther infranchissable, Bruit immense et lointain, de silence couvert. Un enfant chante auprès de la mer qui murmure. Rien n'est grand, ni petit. Vous avez mis, mon Dieu, Sur la création et sur la créature Les mêmes astres d'or et le même ciel bleu. Notre sort est chétif ; nos visions sont belles. L'esprit saisit le corps et l'enlève au grand jour. L'homme est un point qui vole avec deux grandes ailes, Dont l'une est la pensée et dont l'autre est l'amour. Sérénité de tout ! majesté ! force et grâce ! La voile rentre au port et les oiseaux aux nids. Tout va se reposer, et j'entends dans l'espace Palpiter vaguement des baisers infinis. Le vent courbe les joncs sur le rocher superbe, Et de l'enfant qui chante il emporte la voix. O vent ! que vous courbez à la fois de brins d'herbe ! Et que vous emportez de chansons à la fois ! Qu'importe ! Ici tout berce, et rassure, et caresse. Plus d'ombre dans le coeur ! plus de soucis amers ! Une ineffable paix monte et descend sans cesse Du bleu profond de l'âme au bleu profond des mers. Troisième Promenade Le soleil déclinait ; le soir prompt à le suivre Brunissait l'horizon ; sur la pierre d'un champ Un vieillard, qui n'a plus que peu de temps à vivre, S'était assis pensif, tourné vers le couchant. C'était un vieux pasteur, berger dans la montagne, Qui jadis, jeune et pauvre, heureux, libre et sans lois, A l'heure où le mont fuit sous l'ombre qui le gagne, Faisait gaîment chanter sa flûte dans les bois. Maintenant riche et vieux, l'âme du passé pleine, D'une grande famille aïeul laborieux, Tandis que ses troupeaux revenaient de la plaine, Détaché de la terre, il contemplait les cieux. Le jour qui va finir vaut le jour qui commence. Le vieux pasteur rêvait sous cet azur si beau. L'océan devant lui se prolongeait, immense Comme l'espoir du juste aux portes du tombeau. O moment solennel ! les monts, la mer farouche, Les vents, faisaient silence et cessaient leur clameur. Le vieillard regardait le soleil qui se couche ; Le soleil regardait le vieillard qui se meurt. Quatrième Promenade Dieu! que les monts sont beaux avec ces taches d'ombre ! Que la mer a de grâce et le ciel de clarté ! De mes jours passagers que m'importe le nombre ! Je touche l'infini, je vois l'éternité. Orages ! passions ! taisez-vous dans mon âme ! Jamais si près de Dieu mon coeur n'a pénétré. Le couchant me regarde avec ses yeux de flamme, La vaste mer me parle, et je me sens sacré. Béni soit qui me hait et béni soit qui m'aime ! A l'amour, à l'esprit donnons tous nos instants. Fou qui poursuit la gloire ou qui creuse un problème ! Moi, je ne veux qu'aimer, car j'ai si peu de temps ! L'étoile sort des flots où le soleil se noie ; Le nid chante ; la vague à mes pieds retentit ; Dans toute sa splendeur le soleil se déploie. Mon Dieu, que l'âme est grande et que l'homme est petit ! Tous les objets créés, feu qui luit, mer qui tremble, Ne savent qu'à demi le grand nom du Très-Haut. Ils jettent vaguement des sons que seul j'assemble ; Chacun dit sa syllabe, et moi je dis le mot. Ma voix s'é1ève aux cieux, comme la tienne, abîme ! Mer, je rêve avec toi ! monts, je prie avec vous ! La nature est l'encens, pur, éternel, sublime ; Moi je suis l'encensoir intelligent et doux.