Côte d`Ivoire - African Guarantee Fund

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Côte d`Ivoire - African Guarantee Fund
Côte d’Ivoire
Le nouvel envol
économique Dossier spécial 30 pages
Centrafrique
Anicet Georges Dologuélé
« Je serai candidat
à l’élection présidentielle »
RDC : Félicité Singa Boyenge,
une banquière de choc
Cameroun : Polémique sur le rapatriement
du corps d’Ahmadou Ahidjo
Commerce : Les APE à nouveau sur la
table des négociations entre l’UE et les ACP
N°11 février-mars 2014 www.enjeuxafricains.com / Zone euro : 3,50 € / Zone franc : 2 000 FCFA
Editorial
Honneur aux femmes
Le mois de mars est depuis longtemps réservé à la célébration de la Journée
internationale de la femme, plus précisément le huitième jour du mois. Ce numéro étant disponible jusqu’à fin mars, nous avons pris, nous aussi, le parti
de rendre hommage aux femmes. Et pour cause. De plus en plus de femmes
s’illustrent dans bien des domaines au même titre que les hommes, voire plus.
Un monde où tous les pays seraient dirigés par des femmes, gageons qu’il aurait fière allure. Nul doute aussi qu’un tel monde connaîtrait moins d’arbitraire,
moins d’injustices, moins de violences et moins de misère. Dans nombre de
pays, un tel scénario redonnerait à coup sûr un peu d’espoir à des populations
en perdition.
L’actualité nous fournit un bel exemple où une femme porte sur ses épaules
les espoirs de toute une nation. Pour la première fois en effet, dans l’histoire
de l’Afrique centrale, une femme, Catherine Samba-Panza, est aux commandes
d’un Etat depuis le 20 janvier, la République centrafricaine. Elle succède à Michel Djotodia qui a failli dans sa mission de réconcilier les Centrafricains, de
pacifier le pays et de sécuriser l’ensemble de la population, toutes communautés
confondues. Au moment où tout un pays semblait se faire hara-kiri, les membres
du Conseil national de la transition ont sorti de leur chapeau le nom d’une femme
pour redonner l’espoir à toute une nation. Tout un symbole ! Ne faisons pas
d’angélisme, mais il faut reconnaitre tout de même que depuis l’accession de ce
pays à l’indépendance en août 1960, les hommes qui se sont succédés à la tête
de l’Etat ont montré de quoi ils étaient capables. Leur bilan n’est pas glorieux :
misère, prévarication, népotisme, gabegie financière, corruption et violence,
voilà ce que la nouvelle présidente hérite de ses prédécesseurs. Des troubles,
des coups d’Etat et des rébellions à répétition ont fait dérailler le train « RCA ».
Egoïstes et aveugles, ils ont gouverné ce pays de la pire manière qui soit.
Honte à vous les hommes ! Il ne vous reste qu’à faire profil bas dès à présent.
Aujourd’hui, l’histoire s’écrit au féminin et on a toutes les raisons d’y croire. A
la nouvelle présidente de montrer que ce pays peut être gouverné autrement et
n’est pas soumis à la fatalité de l’instabilité chronique et des violences à répétition. Qu’une femme peut redonner le goût de vivre aux Centrafricains et la fierté
d’appartenir à une nation qui reste à construire. Mais le temps presse.
François Katendi,
directeur de la publication
Certes, Catherine Samba-Panza pourrait échouer dans sa mission de pacifier le
pays et d’organiser des élections crédibles au terme de la transition, début 2015.
Tant les obstacles ne manqueront pas de se dresser devant elle, à commencer
par les milices qui n’ont pas encore déposé les armes et une administration
totalement paralysée.
Mais plaçons plutôt le curseur du côté positif. Les qualités tant vantées de cette
femme de caractère lui sauront éviter les pièges dans lesquels presque tous ses
prédécesseurs sont tombés. La communauté internationale doit aider la nouvelle
présidente à réussir la réconciliation des Centrafricains. L’échec n’est pas permis. Le train « RCA » doit être remis sur les rails. Il faut absolument soutenir
Catherine Samba-Panza, surtout les pays de la région d’Afrique centrale, en
particulier le Congo et le Tchad dont les présidents ont brillé par leur absence à
la cérémonie de son investiture le 23 janvier.
Enjeuxafricains N°11 février-mars 2014
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Sommaire
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Imprimé en Europe
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Laser
Economie
6André Nzapayeké
et Daniel Ona Ondo
7Geneviève Inagosi
et Yamina Benguigui
8RCA : Catherine Samba-Panza,
l’espoir d’un pays
46 Chronique par
Hakim Ben Hammouda : L’accord
de l’OMC à Bali : Vers un renouveau
du multilatéralisme ?
48 Commerce UE/ACP : Les APE à nouveau
sur la table des négociations
50 Younoussa Sanfo,
expert en sécurité informatique,
directeur général d’Intrapole : « 70%
des problèmes de sécurité
proviennent des comportements humains »
52 Challenge entrepreneurial
du Congo : Le RICE récompense
quatre lauréats
54 Interview de Félicité Singa Boyenge,
directrice générale de Fibank : « Bâtir
une banque solide pour rejoindre le Top 10
en RDC dans les deux ans »
56 Financement : AGF, mieux faire en 2014
57 Une enveloppe de 100 millions d’euros
(65,5 milliards de F CFA)
pour le coton burkinabè
58RDC/Banque mondiale : Renforcer
la gouvernance et diversifier l’économie
Anicet Georges Dologuélé
page 10
Politique
10Anicet Georges Dologuélé
« Je serai candidat
à l’élection présidentielle »
12Cameroun : Polémique
sur le rapatriement
du corps d’Ahmadou Ahidjo
14Gabon : Une biométrie
et des questions !
15Chronique par
Guy Rossatanga-Rignault : Affaire
Michel Thierry Atangana
Daniel Ona Ondo page 6
Emmanuel Esmel Essis,
dg du Cepici page 24
En couverture Spécial Côte d’Ivoire
18 Les manœuvres pour 2015 ont déjà commencé
22 Un dynamisme économique retrouvé
24Tapis rouge pour les investisseurs
28Emergence en 2020, le pari fou (?)
du président Ouattara
30 Retour de la BAD à Abidjan : Tout s’accélère
32 Eclaircies dans la filière agricole ivoirienne
32 Filière café-cacao : Après l’assainissement, la relance
34 Anacarde : Une transformation locale embryonnaire
35 Hévéaculture : Une industrie découragée par les taxes
36 Pétrole : Les ambitions pétrolifères de la Côte d’Ivoire
38 Climat des affaires en Côte d’Ivoire : Ce qui a changé !
40Interview de René Decurey,
directeur général d’Air Côte d’Ivoire
42Interview d’Affoussy Bamba Lamine,
ministre de la Communication
45 Pathé’o, un styliste indémodable
Younoussa Sanfo,
directeur général d’Intrapole page 50
Société
60Interview de Marie-Christine Saragosse,
Pdg de France Médias Monde
« La voix de nos médias est respectée »
Marie-Christine Saragosse,
Pdg de France Médias Monde page 60
Culture
64Moké Fils «Je suis un peintre
reporter de l’urbanité»
66Livre : Preneur d’otages,
une affaire très juteuse !
Moké Fils page 64
Enjeuxafricains N°11 février-mars 2014
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© DR
Centrafrique :
Un technocrate
et banquier
nommé Premier
ministre
Deux jours après sa prestation de serment, la
nouvelle présidente de la République centrafricaine Catherine Samba-Panza, a nommé
André Nzapayeké, 62 ans, au poste de Premier ministre dans un contexte marqué par
des violences intercommunautaires, de milliers de déplacés et de retours massifs d’étrangers dans leurs pays d’origine.
Vice-président de la Banque de développement des Etats d’Afrique centrale (BDEAC)
dont le siège est à Brazzaville, ce techno-
crate, sans étiquette politique, a aussi des
liens avec la République démocratique
du Congo (RDC) du côté de son père.
Formé aux Pays-Bas, André Nzapayeké
est un polyglotte qui est passé par la
Banque africaine de développement (Bad)
où il occupait le poste d’administrateur.
« J’étais administrateur de la République
centrafricaine et de quatre autres pays africains à la Banque africaine de développement. J’ai toujours été en relation avec mon
pays dont je connais très bien la situation
politique », a déclaré le nouveau chef de
l’exécutif centrafricain.
Des atouts qui ne seront pas de trop pour
épauler la présidente dans la lourde tâche de
ramener d’abord la sécurité dans le pays en
désarmant les ex-rebelles et autres milices qui
sévissent dans tout le pays. Le gouvernement
où sans doute siègeront les différentes sensibilités du pays devra très vite s’atteler à réconcilier les Centrafricains par le dialogue, relancer l’administration paralysée par plusieurs
mois d’arriérés de salaires, puis organiser des
élections dans le premier trimestre 2015.
Geneviève Inagosi-Bulo Kasongo
© DR
André Nzapayeké
Yamina Benguigui
Gabon
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C’est celui dont le nom circulait dans la presse
gabonaise depuis quelques semaines que le
président gabonais Ali Bongo Ondimba a
finalement nommé Premier ministre, le 24
janvier, en remplacement de Raymond Ndong
Sima, en poste depuis le 27 février 2012.
Economiste, professeur agrégé, le nouveau
Premier ministre a fait ses études supérieures en France où il a obtenu en 1980, un
doctorat en sciences économiques à l’université Paris I Sorbonne. Il est également
professeur agrégé des Facultés de droit et
de sciences économiques et enseignant à
l’université Omar Bongo de Libreville, il
a occupé successivement les fonctions de
doyen puis de recteur.
D’abord conseiller du président Omar Bongo
chargé des relations commerciales, industrielles et des participations, il est ensuite
entré dans le gouvernement en 1997 en tant
que ministre délégué auprès du ministre de
la Santé publique et de la population. En
1998, il est nommé ministre de la Culture,
des arts et de l’éducation populaire avant de
changer de portefeuille en 2002 en tant que
ministre de l’Éducation nationale. En 2005,
il devient ministre des Postes et télécommunications. Elu député en 2007 au compte du
Parti démocratique gabonais, il est choisi par
ses pairs pour assumer la vice-présidence de
l’Assemblée nationale.
Homme à poigne, Daniel Ona Ondo est
originaire de la province septentrionale du
Gabon, le Woleu Ntem, très peu peuplée
en raison de la surface occupée par la forêt
équatoriale.
Marié et père de sept enfants, sa principale
mission sera de poursuivre la mise en œuvre
du programme présidentiel, en particulier le
Plan stratégique Gabon émergent (PSGE).
© DR
© DR
Daniel Ona Ondo, nouveau Premier ministre
La consécration
Kinshasa accueillera les 3 et 4 mars 2014
la 2ème édition du Forum mondial des
femmes francophones. Près de 700 délégués
femmes y sont attendus dont 300 viendront
de l’extérieur du pays. Selon la ministre du
Genre, de la famille et de l’enfant, Geneviève
Inagosi-Bulo Kasongo, cet événement intervient au cours du mandat reçu en octobre 2012
par le président Joseph Kabila dans le cadre de
la présidence du Sommet de la francophonie.
Cette 2ème édition du forum aura pour thème
« femmes actrices du développement ». Cet
événement constituera, à n’en pas douter,
un des temps forts du travail que Geneviève
Inagosi-Bulo Kasongo effectue à la tête d’un
ministère qui ne bénéficie souvent de l’attention des médias qu’au mois de mars de
chaque année, à l’occasion de la Journée internationale de la Femme. Une injustice pour
cette ancienne journaliste qui a fait son entrée
en politique en 2011 en se faisant élire député
national.
La pasionaria
Après avoir contribué largement à la création du
Forum mondial des femmes francophones dont
la 1ère édition a eu lieu en mars 2013 à Paris,
la ministre déléguée chargée des Français de
l’étranger et de la francophonie se rendra les 3
et 4 mars à Kinshasa pour participer à la 2ème
édition de ce forum. Cette Française d’origine
méditerranéenne incarne depuis sa nomination, il y a bientôt deux ans, une francophonie
solidaire et de proximité. Ses fréquents déplacements sur le terrain ne se passent pas que dans
les beaux quartiers, cette ancienne réalisatrice
n’hésite jamais à visiter les ONG et les centres
de formation pour jeunes filles dans les quartiers sans route asphaltée, loin du centre-ville.
Yamina Benguigui mène également un combat
contre les violences faites aux femmes dans les
zones de conflit. Elle sera au cœur du dispositif
du prochain sommet de la francophonie prévu
en novembre à Dakar et qui aura pour thème :
« Femmes et jeunes dans la francophonie :
vecteurs de paix, acteurs de développement ».
Enjeuxafricains N°11 février-mars 2014
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Centrafrique : Catherine Samba-Panza, l’espoir
d’un pays
Après le Liberia, le Malawi dirigés respectivement par Ellen Johnson Sirleaf depuis
2006, Joyce Banda depuis avril 2006, et la
présidente du sénat gabonais Rose Rogomdé qui a assumé la présidence de transition
suite au décès d’Omar Bongo Ondimba en
juin 2009, un autre Etat africain, la Centrafrique est désormais dirigée par une femme,
Catherine Samba-Panza. Elle a été élue le
20 janvier au deuxième tour du scrutin par le
Conseil national de transition (le parlement
provisoire qui compte 135 membres) par 75
voix contre 53 pour son adversaire, Désiré
Kolingba, le fils de l’ancien président André
Kolingba. Elle remplace Michel Djotodia
qui avait, à la tête d’une rébellion, renversé
le président François Bozizé en mars 2013 et
qui a été contraint à la démission le 11 janvier par les chefs d’Etats de la Communauté
économique des Etats d’Afrique centrale
(CEEAC) pour son incapacité à mettre fin
aux violences intercommunautaires ayant
causé la mort de plusieurs centaines de victimes et le retour dans leurs pays d’origines
de milliers d’étrangers.
Née le 26 juin 1954 à Fort-Lamy, l’actuel
Djamena au Tchad, de père Camerounais
et de mère Centrafricaine, cette juriste et
patronne d’une société d’assurances, mère
de trois enfantas, incarne l’espoir de tout
un pays en proie à une instabilité chronique depuis son indépendance en août
1960 et à une pauvreté galopante malgré
son immense potentiel minier et agricole.
Peu après son élection qui a été favorablement accueillie par la population, celle qui
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© DR
Alors que la République centrafricaine est en proie à des violences
intercommunautaires, c’est à une
femme que les députés du parlement
de transition ont confié les destinées
du pays. Une première qui suscite
beacoup beaucoup d’espoir
officiait en tant que maire de la capitale,
Bangui depuis mai 2013, a lancé un vibrant
appel à la fin des tueries et à la réconciliation. « Je lance un appel vibrant à mes enfants anti-balaka (miliciens chrétiens) qui
m’écoutent. Manifestez votre adhésion à
ma nomination en donnant un signal fort
de dépôt des armes » a-t-elle déclaré, suppliant également « mes enfants ex-Séléka
qui m’écoutent aussi, déposez vos armes ».
Décrite comme une femme de caractère qui
refuse les dictats, Catherine Samba-Panza
n’est pas une inconnue de la vie publique
centrafricaine. Certes, elle n’a jamais été
ministre, mais elle est n’est pas déconnectée
des réalités de ca la cité. Parallèlement à ses
occupations professionnelles, elle milite dans
l’Association des femmes juristes de Centrafrique (AFJC), défend la cause des femmes
dans l’accès et soutient ceux et celles qui
sont victimes des turbulences politiques que
le pays a connues. Vice-présidente du dialogue national organisée par l’ancien président
François Bozizé qui avait lui aussi renversé
en mars 2003 son prédécesseur Ange-Félix
Patassé, Catherine Samba-Panza avait joué
un rôle crucial dans la réconciliation des anciens présidents David Dacko (renversé en
1981 par un coup d’État du général André
Kolingba) et le Premier ministre de l’époque
Abel Goumba, qu’une farouche inimité séparait. On peut penser que cet exploit a beaucoup compté dans l’esprit des députés au moment de faire leur choix.
La présente de transition entame sa lourde
mission sous de bons auspices. Elle bénéficie
du soutien massif de la population et l’Union
s’est engagée à lui apporter un appui militaire
pour renforcer la présence des forces africaines et françaises, chargés d’assurer la sécurité dans tout le pays. Autre bonne nouvelle,
l’Union européenne et les Nations Unies se
sont engagés à débloquer près de 500 millions
de dollars pour la Centrafrique en 2014 et à
être aux côtés des autorités pour mettre fin à
crise que connait la Centrafrique.
Après sa prestation de serment le 23 janvier
et la nomination deux jours plus tard d’André Nzapayeké au poste de premier ministre, Cathérine Samba-Panza, le compte à
rebours est désormais lancé. La période de
transition doit être terminée au plus tard à
la fin du premier trimestre 2015 avec l’organisation d’élections générales. Un autre
défi de taille à relever d’autant plus difficile
qu’il faut du temps pour recoller un pays en
lambeaux.
Enjeuxafricains N°11 février-mars 2014
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Politique interview
Anicet Georges Dologuélé
« Je serai
candidat
à l’élection
présidentielle »
Vous n’êtes pas candidat au poste de président par intérim. Vous avez d’autres ambitions ?
Le Désarmement, démobilisation, réinsertion
(DDR) n’a jamais été mené à son terme sous
François Bozizé. Cet échec n’est-il pas aussi
l’une des raisons de la détériorisation de la
situation sécuritaire dans le pays ? Et ne faudrait-il pas le relancer ?
La situation sécuritaire à Bangui comme dans
le reste du pays demeure préoccupante. Que
faut-il faire pour ramener le calme et réconcilier les différentes communautés ?
Il faut dans un premier temps désarmer tous
ceux qui portent illégalement des armes,
de gré ou de force. C’est la seule manière
d’en finir avec l’insécurité. Maintenant,
pour ramener la paix, il faut réapprendre
aux Centrafricains à vivre ensemble, à se
parler à nouveau, ce qui nécessite beaucoup
de pédagogie. Le gouvernement de transition devra s’impliquer 24 heures sur 24 dans
cette tâche.
Mais comment est-on arrivé là ? Qu’est-ce
qui a poussé les communautés à prendre les
armes les unes contre les autres ?
Selon vous, quel serait le profil idéal du président par intérim chargé de conduire la transition qui s’annonce compliquée ?
© D.R.
Il doit d’abord bien connaître les rouages
de l’Etat, ensuite, avoir l’autorité nécessaire pour gérer une période aussi difficile
que celle que nous connaissons. Il doit
être doté d’une réelle faculté d’écoute
pour prendre en compte les avis des uns
et des autres, être à même de parler aux
Centrafricains pour calmer la vive tension
qui règne entre les communautés, n’avoir
pas d’accointances avec les éventuels
candidats pour ne pas tenter de manipuler
le scrutin qui s’annonce, et enfin, être impartial. En clair, ne surtout pas soutenir un
candidat, car cela risque de fausser le jeu.
10
treuses pour notre pays. Et si l’on n’y prend
garde, elle peut se perpétuer de génération
en génératon. Et puis, j’ai vraiment honte
pour la Centrafrique quand je vois tous ces
étrangers obligés de rentrer précipitamment
chez eux par avions entiers.
Je n’ai jamais fait mystère de mes ambitions dans la mesure où j’ai annoncé dès
juin 2013 que je serai candidat à l’élection
présidentielle.
Ministre des Finances puis premier ministre du défunt président
Ange Félix Patassé de 1999 à 2001,
Anicet Dologuélé a présidé en septembre dernier, l’assemblée constituante de son parti, l’Union pour le
Renouveau centrafricain (URCA). A
57 ans et l’élection présidentielle
dans le viseur, ce technocrate, qui
a été aussi président de la Banque
de développement des Etats de
l’Afrique centrale (BDEAC) de 2001
à 2011, jette pour Enjeux africains,
un regard sans concession sur la
crise que vit la République centrafricaine, et lève un coin du voile sur
son programme présidentiel
Quelle serait la durée idéale de cette transition ?
Les élections étaient initialement prévues
pour février 2015, et il est question maintenant de les ramener à fin 2014. En tout cas, la
durée idéale de la transition serait celle qui
permettrait de bien les organiser et à mon avis,
il ne faut pas aller au-delà de février 2015.
Anicet Georges Dologuélé, ancien premier ministre et leader de l’URCA
Les hommes politiques, et en particulier
Michel Djodotia et les Séléka portent une
lourde responsabilité sur ce qui se passe
chez nous. Ils ont pris le pouvoir sans
combattre et parmi les Séléka, il y avait
beaucoup de mercenaires qui, malheureusement ont tendance à déraper. Mais ces
dérapages auraient dû être canalisés au bout
de quelques jours. Or, ils ont continué pendant neuf mois durant lesquels, ils s’en sont
pris aux populations non musulmanes. Ce
qui a provoqué la riposte des anti-Balakas.
[NDLR : Des groupes d’autodéfenses composés de chrétiens]. Mais au lieu de combattre les Sélékas qui terrorisaient les leurs,
ces derniers se sont trompés de cibles et ont
visé toutes les populations musulmanes.
Cette rancœur entre musulmans et chrétiens
risque d’avoir des conséquences désas-
Bien sûr qu’il va falloir le relancer, d’autant
que son financement avait été déjà bouclé
et que les différents combattants avaient été
cantonnés et attendaient l’arme aux pieds
d’être désarmés et démobilisés. Mais cette
opération n’a jamais eu lieu. Résultat, ils
ont conservé leurs armes et les politiciens
peu scrupuleux se sont servis d’eux pour
arriver à leur fin. Certains parmi eux, qui
sont actuellement à Bangui font partie des
Séléka originels, c’est-à-dire, des éléments
des différentes rébellions qui ont secoué la
Centrafrique. Le DDR devrait dans la mesure du possible permettre de les intégrer
dans la future armée centrafricaine. Quant
aux mercenaires étrangers, ils doivent retourner sans délai dans leurs pays.
Justement, parmi les mercenaires étrangers,
il y aurait des Tchadiens. Votre pays a toujours eu des relations très complexes avec le
Tchad. Que faut-il faire pour que vos relations
s’équilibrent et que s’établissent des relations
de respect mutuel ?
Le Tchad est un pays frère avec qui nous
n’avons jamais eu de problème. Qui plus
est, nos deux pays ont beaucoup d’affinités.
Seulement, tout a commencé avec le président Ange-Félix Patassé. Dès que notre pays
avait un souci militaire auquel il était incapable de faire face, il faisait appel au Tchad
qui est une puissance militaire dans la région. C’est ainsi que ce pays a commencé
à mettre pied en République centrafricaine.
Mais François Bozizé a fait pire. Il a supplié Idriss Déby de l’aider à le porter au
pouvoir. De plus, sa garde personnelle était
composée essentiellement de Tchadiens.
Michel Djotodia est parti du Tchad avec ses
hommes pour venir s’emparer du pouvoir.
Donc ce sont les hommes politiques centrafricains qui ont à chaque fois sollicité l’appui du Tchad et pas l’inverse.
Depuis son indépendance, la République centrafricaine n’a jamais vraiment connu la stabilité. Au point que certains parlent de malédiction centrafricaine. Comment expliquez-vous
ces crises récurrentes ?
Je vivais à l’étranger avant d’entrer au
gouvernement. Et pendant les quatre années que j’y ai passé, j’ai constaté que les
hommes politiques centrafricains ont une
étonnante capacité à se détester les uns les
autres. Or, sans un minimum d’harmonie,
il est difficile de construire un pays. En
outre, les Centrafricains ont une mentalité
de fonctionnaires. Tout le monde veut rentrer dans la fonction publique. Rares sont
ceux qui se lancent dans le commerce ou
les affaires, des secteurs d’activité essentiellement occupés par des étrangers. C’est
l’une des raisons pour lesquelles, j’ai exprimé mon inquiétude en voyant ces derniers quitter massivement notre pays. La
Centrafrique est extraordinairement bien
dotée par la nature, mais à cause de notre
mentalité, nous n’arrivons pas en tirer
profit. C’est pour cela que je souhaite me
mettre au service de mon pays et faire de la
politique différemment.
Et comment ?
Le rôle du politique, c’est de créer les
conditions pour que les concitoyens puissent exploiter et bénéficier des richesses de
leur pays. Les paysans qui constituent environ 80% de notre population, se battent au
quotidien pour survivre. Notre pays étant
très vaste, il faut mettre à leur disposition
de plus grandes superficies, les encourager
à produire plus et à commercialiser leurs récoltes, pas seulement en Centrafrique, mais
aussi dans les pays voisins, histoire d’accroître leurs revenus. Il faut également faire
en sorte que les jeunes s’intéressent au commerce, et à tout ce qui n’est pas administration, de manière à ce que chacun trouve
quelque chose à faire. C’est cela aussi, la
richesse d’un pays.
Propos recueillis à Paris
par Valentin Hodonou
Enjeuxafricains N°11 février-mars 2014 11
Politique Actualités
En février 2014, se tient à Garoua, une conférence intitulée « Panser les
mémoires plurielles blessées pour repenser le Cameroun ». Sous cette
formulation inoffensive se cache un sujet qui fâche : Le rapatriement du
corps d’Ahmadou Ahidjo, le premier président du Cameroun, enterré à Dakar depuis sa mort le 30 novembre 1989. Le thème de la conférence est
explicite : « Au-delà des heurts et malheurs historiques liés à l’exercice
du pouvoir, comment la nation peut-elle être reconnaissante à Ahmadou
Ahidjo »?
On annonce la participation à cette conférence de personnalités aussi diverses que
le Cardinal Tumi, l’avocate Alice Nkom,
l’universitaire Owona Nguini, ou les leaders de partis politiques comme Maurice
Kamto, Adamou Ndam Njoya ou Bernard
Muna. Si Aboubakar Ousman Mey ratisse aussi large, c’est pour qu’il soit clair
dans l’esprit de tous que cette conférence
12
« L’axe principal de la régénération de
la nation camerounaise passe par la réhabilitation des principales figures de la
vie politique nationale disparue. Dans ce
cadre, il est indispensable de rapatrier les
dépouilles de ceux de nos compatriotes
morts en exil pour des raisons politiques.
Cette action, qui vise à désamorcer les
tensions, inutilement entretenues autour
de nos morts le long de l’histoire politique
de notre pays, est incontestablement du
domaine de l’Etat », précise un communiqué de presse émanant de Justice Plus.
© D.R.
concerne bien tous les Camerounais et non
pas seulement ceux qui sont originaires de
la région du défunt président. De même,
il souhaite créer un consensus aussi large
que possible sur le rapatriement du corps
d’Ahmadou Ahidjo qui devrait s’inscrire
dans une démarche globale de réhabilitation de la mémoire de tous les anciens
leaders politiques camerounais.
Les organisateurs de la conférence indiquent que des rencontres similaires seront
organisées dans les régions natales d’André-Marie Mbida, Félix-Roland Moumié, Um Nyobè, Ossendé Afana, anciens
leaders du parti politique nationaliste,
l’Union des populations du Cameroun
(UPC) et toutes les autres figures dont les
dépouilles sont encore à l’étranger.
Le gouvernement camerounais s’étant
toujours montré allergique à tout débat
concernant le passé politique du pays et
Si la conférence annoncée à Garoua a effectivement lieu, on pourrait affirmer que
sur le sujet, les lignes ont véritablement
bougé du côté du gouvernement.
© D.R.
A l’origine de la rencontre à laquelle est
invitée une bonne partie de l’élite camerounaise, l’Organisation non gouvernementale (ONG) « Justice plus », impliquée dans la lutte contre l’injustice, la
corruption et tous les maux qui minent
l’unité du pays. Son secrétaire exécutif est
Aboubakar Ousmane Mey, fils de bonne
famille, frère d’un membre du gouvernement et qui se démène comme un beau
diable depuis plusieurs années pour entretenir la mémoire de l’ancien chef d’Etat
dont il lui a consacré un livre. Il a désigné un comité national de suivi en charge
de l’organisation de la conférence dans
lequel on trouve du beau monde : beaucoup d’hommes politiques (Alain Fogué,
Marcel Yondo, Chrétien Tabestsing, Ayah
Paul Abine, Chantal Marie-Roger Tchuilé, Asonganyi Tazoacha) mais aussi des
personnalités de la société civile et de la
presse. Le comité est relayé par des démembrements régionaux et départementaux à l’intérieur du pays, et des structures similaires existent pour la diaspora
en Afrique de l’Ouest, en Europe et en
Amérique du Nord.
Christopher Fomunyoh du NDI,
think thank proche du Parti démocrate américain
© D.R.
Polémique sur le rapatriement du
corps d’Ahmadou Ahidjo
tout ce qui se rattache à Um Nyobé et Ahmadou Ahidjo, la possibilité qu’un souspréfet plus royaliste que le roi vienne
gâcher la fête par un arrêté d’interdiction
n’est pas exclue. Ce ne serait qu’à moitié étonnant. Certes, ces derniers mois, le
régime du président Paul Biya a montré
un signe d’ouverture envers la famille de
l’ancien président. Mohamadou Badjika
Ahidjo, le fils aîné d’Ahmadou Ahidjo
a été nommé ambassadeur itinérant, et
sa fille cadette Aminatou a été accueillie
en fanfare, officiellement rentrée d’exil
à la veille des élections locales et parlementaires du 30 septembre dernier. Mais
est-ce suffisant pour croire que cette fois,
Paul Biya a assoupli sa position sur ce
dossier épineux? Le feuilleton dure depuis le décès de son prédécesseur il y a
plus de 24 ans. Le 30 octobre 2007, sur
la chaîne de télévision française France
24, le Président Biya déclarait à ce sujet: «...Le problème du rapatriement de la
dépouille de l’ancien Président est, selon
moi un problème d’ordre familial (...). Si
la famille de mon prédécesseur décide
de faire transférer les restes du Président
Ahidjo, c’est une décision qui ne dépend
que d’elle. Je n’ai pas d’objection, ni
d’observation à faire». Germaine Ahidjo
(la veuve du disparu) et d’autres leaders
d’opinion ne partagent pas du tout cette
opinion, estimant que c’est au gouvernement de prendre cette initiative. L’ex-président béninois et vieil ami d’Ahmadou
Ahidjo, Emile Derlin Zinsou a rencontré
au moins deux fois le président camerounais pour le convaincre d’impliquer le
gouvernement dans le rapatriement des
restes de son prédécesseur. Sans succès.
« Il a eu plusieurs occasions de mettre en
œuvre ce sur quoi nous nous étions mis
d’accord, sans en saisir aucune. Qu’estce qui le retient de faire ce geste attendu
par la majorité des Camerounais et qui ne
pourrait qu’être en son honneur », s’interroge Emile Derlin Zinsou.
« Je serai à Garoua par devoir patriotique, et
aussi par conviction, car aucun des grands
pays du monde ne s’est construit sur la base
des rancœurs, de la vengeance, ou de l’institutionnalisation des règlements des comptes
entre les acteurs politiques nationaux. Les immenses potentialités humaines dont dispose
notre pays ne pourront être bénéfiques au
peuple si nous ne nous réconcilions pas avec
nous-mêmes, avec notre histoire commune.
Au moment où des pays africains célèbrent
les héros de leur indépendance- HouphouëtBoigny pour la Côte d’Ivoire, Léopold Sédar
Senghor pour le Sénégal, Nelson Mandela
pour l’Afrique du Sud-qu’avons-nous fait, Camerounais, pour notre tout premier président
de la république ? Qu’avons-nous fait avec la
mémoire des autres nationalistes qui l’avaient
précédé? Et que pourrait-on envisager pour
mémoire de son successeur ?
La conférence de Garoua est salutaire à plus d’un titre. C’est à notre génération de mettre
fin à ce cercle infernal d’auto-flagellation en expurgeant de notre édifice social et politique
commun, les germes destructrices et déstabilisatrices ci-dessus évoquées. Nous avons
l’obligation, maintenant et pour toujours, de marquer l’histoire de notre patrie et de forger
l’avenir avec sérénité en tant que dignes fils et filles de ce beau pays de nos ancêtres ».
Germaine Ahidjo, veuve de l’ancien président,
en exil au Sénégal et privée de passeport camerounais.
« Ce n’est pas à moi de décider »
« La décision revient au peuple camerounais.
Moi je reste auprès de la tombe de mon mari.
Je vais m’y incliner régulièrement, pour qu’il
sache que je ne l’ai pas oublié, que je suis
là et que je veille sur sa tombe. C’est mon
devoir. Je tiens à rappeler qu’Ahmadou Ahidjo
était un chef d’Etat. Il n’appartient pas qu’à sa
famille. Il appartient en premier lieu au peuple camerounais. Il n’est pas un simple citoyen.
Il a été président de la République dans son pays, et il a été enterré ici par un président de
la République. Je ne vois pas ce que nous, sa famille, avons à demander. C’est au peuple
camerounais qu’il faut demander s’il veut que son corps soit ramené au pays ou pas »
© D.R.
Cameroun
Jean Vincent Tchienehom,
Correspondant au Cameroun
Enjeuxafricains N°11 février-mars 2014 13
Politique Actualités
Une biométrie et
des questions !
C’était une revendication de l’opposition, mais redoutée par la majorité au pouvoir. Maintes fois remis
à plus tard, la biométrie s’est imposée lors des dernières élections
locales avec des résultats diversement appréciés
L’année 2013 est désormais inscrite en
lettres d’or dans l’histoire politique du
Gabon, avec, pour la première fois, l’organisation le 14 décembre, d’un scrutin basée sur une liste électorale biométrique. Un scrutin destiné à élire les
conseillers municipaux et départementaux, sorte de grands électeurs chargés
à leur tour d’élire au suffrage universel
indirect, les maires, les présidents des
assemblées départementales et les sénateurs. L’issue du scrutin a finalement
plus ou moins donné satisfaction à tous
les concurrents, car pour une première
fois, les vaincus ont reconnu leur défaite et félicité les vainqueurs. Aucune
violence n’a émaillée le déroulement du
scrutin, avant, pendant et après, et fait
notable à souligner, les morts n’ont pas
voté et les votes multiples n’ont pas été
dénoncés comme par le passé.
La machine de la biométrie n’est cependant pas parfaitement huilée, beaucoup de
déchets et d’imperfections ayant fait douter la majorité des leaders de l’opposition,
y compris les citoyens lambda quant à sa
fiabilité.
La principale révolution a été constatée au
niveau de l’enrôlement sur la liste électorale. Dans le passé, un chef de parti, de
quartier ou de famille pouvait à lui seul
inscrire plusieurs électeurs à la fois, en
présentant les pièces d’identité des personnes concernées. Avec la biométrie,
c’était impossible. L’inscription était individuelle car il impliquait la prise d’une
photo numérique, le prélèvement des em14
pruntes digitales ainsi que des données
liées à l’état civile de l’électeur.
Résultat : ceux qui ont tenté de s’inscrire
à plusieurs reprises ont vite été démasqués et au final, le corps électoral qui a
dans le passé plafonné à 950 000 électeurs
a été ramené à moins de 600 000 inscrits,
très exactement à 579 637 électeurs.
Autre nouveauté qui devait être introduite
lors de ce scrutin à la demande l’opposition :
L’identification. Cette technique devait
permettre sur la base d’un clic, d’identifier l’électeur qui se présente devant un
bureau de vote. Toutes les données collectées pendant l’enrôlement s’afficheraient sur l’écran sans laisser planer de
doutes sur son identité. La vérification
ne serait plus manuelle et il devait être
possible de déceler d’éventuelles tentatives de vote multiples dans tout le pays.
De même, le fichier central devait être
accessible partout dans le pays, permettant ainsi à un électeur inscrit à Libreville de voter à Oyem (nord du pays) par
exemple.
Le pouvoir en place a balayé ces exigences,
arguant que le réseau Internet défaillant, et
surtout le manque d’électricité dans tout le
pays étaient des obstacles insurmontables.
« Le scrutin s’est déroulé avec un peu
de biométrie », a reconnu l’ancien premier ministre passé à l’opposition, Jean
Eyeghe Ndong, visiblement pas satisfait
des résultats obtenus après tant d’argent
versé à la société française Gemalto,
choisie par l’Etat gabonais. L’opération
aurait coûtée 12 milliards de FCFA aux
contribuables, 22 milliards de FCFA selon l’opposition. « Le logiciel fourni par
Gemalto est plus utile à la police qu’à
l’amélioration du processus électoral »,
a commenté un universitaire gabonais. A
cause de tous les manquements constatés, les électeurs sont restés dubitatifs.
« Rien n’a changé en dehors de la photo
couleur collée sur la carte d’électeur »,
fulminaient des citoyens ordinaires et des
militants de l’opposition.
Avant pour voter, il fallait présenter une
carte d’électeur, une pièce d’identité,
plonger le doigt dans l’ancre indélébile
après un passage dans l’isoloir et enfin, signer devant son nom sur une liste électorale manuscrite. « C’est quasiment comme
ce qui se faisait avant la biométrie »,
a conclu Jean Eyeghe Ndong, donnant
l’impression que le Gabon a mis en œuvre
une biométrie au rabais.
Serge Noël
Rose Christiane Ossouka Raponda, élue maire
de Libreville
Jusque-là ministère du Budget, des comptes publics
et de la fonction publique, Rose Christiane Ossouka
Raponda ne gérera plus les finances publiques mais
plutôt les finances locales. Candidate du PDG, le parti
au pouvoir, elle a en effet été élue sans surprise le 26
janvier maire de Libreville. Sa mission ne consistera
pas qu’à manier les chiffres, elle va désormais administrer la ville la plus peuplée du Gabon, en s’occupant
notamment du cadre de vie, de l’assainissement de la ville, de la sécurité, bref, de tous
les problèmes que rencontrent les Librevillois au quotidien. Formée à l’Université Omar
Bongo(UOB) et à l’Institut d’économie et de finances(IEF), Rose Christiane Ossouka Raponda, qui s’y connaît aussi en planification, promet de mettre en œuvre un Plan de développement local de la capitale.
© D.R.
Gabon
Politique Chronique
F.K.
Affaire Michel Thierry Atangana : existerait-il
des nationalités supérieures à d’autres ?
Par Guy Rossatanga-Rignault
Professeur à l’université de Libreville-UOB
A suivre la campagne française visant la libération du sieur Michel Thierry Atangana, on est
tenté de croire qu’il existe toujours, au 21ème siècle, des nationalités supérieurs à d’autres.
Si l’on en croit les média français, M. Atangana est, au pire, « Franco-Camerounais », au
mieux, Français, comme on peut le voir dans lexpress.fr (06/12/2013): « Les comités de
soutien à Michel Thierry Atangana, un Français emprisonné au Cameroun, multiplient les
initiatives en faveur de sa libération, mettant à profit le sommet franco-africain qui se tient à
Paris les 6 et 7 décembre ».
Toute nationalité comporte des droits et des
obligations. Les droits que tient M. Atangana de sa nationalité française primeraientils sur les devoirs découlant de sa nationalité camerounaise ? Tout semble l’indiquer.
Ce qui révèle une idée bien particulière de
l’égalité souveraine des Etats.
MM. Titus Edzoa, Thierry Michel Atangana
Abega et Isaac Njiemoun étaient poursuivis
au milieu des années 1990 dans le cadre
de leur gestion des fonds de l’ex-Office
national du cacao et du café camerounais
(ONCC). Ils ont été condamnés en 1996
pour ces faits et reconnus plus tard coupables de détournement de la somme de
1 milliard 136 millions de francs CFA relative à la Taxe spéciale sur les produits pétroliers dans le cadre de l’opération anticorruption dite « opération Epervier »
M. Atangana exerçait-il les hautes fonctions
qui étaient les siennes dans l’appareil d’Etat
camerounais en tant que citoyen camerounais ou en tant que coopérant technique
français ? Citoyen camerounais, est-il oui
ou non justiciable des tribunaux camerounais ? Peut-il être jugé au Cameroun pour les
malversations financières qui lui sont reprochées quand bien même il serait Français ?
Qu’adviendrait-il d’un haut fonctionnaire
français d’origine camerounaise poursuivi
et condamné par la justice française ? Serait-il libéré au motif de sa citoyenneté camerounaise ?
Les réponses à ces questions sont plus
qu’évidentes : l’intéressé a été recruté et a
exercé ses fonctions comme Camerounais.
Il est bel et bien justiciable des tribunaux de
« son » pays. Et, s’il a détourné des fonds
publics camerounais, il doit être jugé par les
tribunaux camerounais, même s’il n’était
que Français.
Certes, on peut toujours estimer que « l’opération Epervier » est un trompe-l’œil visant
à se débarrasser d’adversaires politiques.
Il reste que tous les adversaires politiques
du président camerounais n’ont pas été pris
dans les griffes de l’Epervier.
En réalité, quelque soit le niveau d’indépendance réel des juges camerounais, cette
campagne fait remonter à la surface un impensé d’ordre raciste : des juges africains
ne peuvent qu’être incapables, corrompus
et soumis au pouvoir politique. A écouter le
comité de soutien de M. Atangana, un juge
camerounais sérieux et indépendant devait
faire libérer l’intéressé, qu’il ait ou non
commis les faits qui lui sont reprochés. Des
Français sont emprisonnés aux USA, sans
que qui que ce soit s’en préoccupe véritablement. Pourquoi s’intéresse t-on autant au
cas Atangana ? Parce que tout simplement,
ce qu’on ne fait à personne d’autre ni à aucun autre pays, on peut se le permettre avec
les Africains et les Etats africains. (…)
Il faut croire que la loi française est naturellement supérieure à la loi camerounaise. En
effet, il y a un élément de droit dont on ne
parle presque jamais dans cette affaire, y compris côté camerounais : l’article 31 du Code
de la nationalité camerounaise est explicite :
“ Le Camerounais majeur, qui acquiert ou
conserve volontairement une nationalité
étrangère, perd la nationalité camerounaise ”.
En clair, il n’y a pas, en droit, de double na-
tionalité au Cameroun. En fait, il en va tout
autrement. Tout le monde connaît le célèbre
“ Franco-Camerounais ” ou “ Français ” Yannick Noah. Peu savent qu’il s’est indigné il
y a quelques années qu’on lui demande un
visa pour entrer au Cameroun. De même, le
2 novembre dernier, le musicien camerounais
Ndedi Eyango a vu son élection à la tête de
l’organisme chargé des droits d’auteur annulée par le ministre de la Culture parce qu’il est
de nationalité américaine.
On peut contester la loi camerounaise qui
n’admet pas la double nationalité mais,
c’est la loi camerounaise et tous les Camerounais sont censés la connaître, dura lex,
sed lex ! Encore que le Cameroun ne soit
pas le seul pays au monde à prévoir un tel
système, y compris en Europe.
Du reste, d’autres lois sur la nationalité,
comme celle du Gabon, tout en admettant la
double nationalité, sont claires sur la question :
“ toute personne possédant, en plus de la nationalité gabonaise une autre nationalité, ne
peut se prévaloir au Gabon que de la nationalité gabonaise ”. Autrement dit, celui qui
accepte de vivre au Gabon doit savoir qu’en
cas de conduite délictuelle ou criminelle, il
sera jugé par des juges gabonais et purgera sa
peine dans une prison gabonaise.
En définitive, il serait plus judicieux pour
la cause défendue d’accorder le bénéfice du
doute aux juges camerounais et de critiquer,
en droit pur, leurs décisions. L’agitation politicienne ne produit ni le droit ni l’Etat de
droit. Les législateurs comme les juges ont
besoin d’un minimum de sérénité pour remplir leurs offices respectifs.
Enjeuxafricains N°11 février-mars 2014 15
Dossier spécial
Côte d’Ivoire
Le nouvel envol économique
Réalisé sous la direction de François Katendi
16
Enjeuxafricains N°11 février-mars 2014 17
En couverture Côte d’Ivoire
Les manœuvres
pour 2015 ont
déjà commencé
PDCI qui a vu la victoire écrasante d’Henri
Konan Bédié à la présidence de ce vieux
parti créé par Félix Houphouët-Boigny. A
79 ans, Bédié ne pouvait théoriquement
plus assumer cette charge en raison de la
limite d’âge fixé à 75 ans. Il a donc fallu
dans un premier temps lever cet obstacle
en modifiant les statuts du parti et dans un
deuxième temps, battre ses challengers,
Alphonse Djédjé Mady, alors secrétaire
général et numéro deux du parti et Bertin
Kouadio Konan dit KKB, l’ex président du
mouvement de la jeunesse.
Depuis plusieurs semaines, le président ivoirien Alassane Ouattara
est à l’offensive dans l’optique de
se succéder à lui-même en 2015.
Au PDCI, rien n’est encore officiellement décidé, un flou qui pourrait
pousser certains, comme Charles
Konan Banny, l’ancien gouverneur
de la BCEAO et baron du PDCI, à
tenter l’aventure. Quant au FPI,
après avoir boycotté tous les scrutins depuis la chute de son leader
Laurent Gbagbo, va-t-il à nouveau
boycotter la présidentielle de 2015 ?
Décryptage.
Ces deux figurent du PCDI souhaitent,
comme bon nombre de militants, que leur
formation présente un candidat à l’élection présidentielle de 2015. « Le parti
est coupé en deux. Une bonne moitié des
militants du PDCI frustrés par l’omnipotence du RDR au sein de l’appareil de
l’Etat et dans la gestion du pays, sont du
même avis que Djédjé Mady et Kouadio
Konan », explique le journaliste ivoirien
Clément Yao. La balance penche même
de leur côté. Puisque lors de ce fameux
congrès, le PDCI s’est finalement prononcé pour la présence d’un candidat issu de
ses rangs en 2015.
Le président ivoirien Alassane Ouattara
sera-t-il le candidat unique du RHDP (Rassemblement des houphouëtistes pour la
démocratie et la paix) à l’élection présidentielle de 2015 ? En tout cas, c’est le vœu formulé par le G25, un groupe de députés venant de plusieurs groupes parlementaires.
Ouattara qui a déjà annoncé qu’il briguera
un second mandat en 2015, est déjà en précampagne. Et à l’évidence, l’initiative du
G25 apparait comme le deuxième étage de
la fusée qui devrait lui permettre de parvenir
à ses fins. Le premier étage a été érigé début octobre dernier, lors du 12e congrès du
18
© Thino Kiviti
Le RHDP est composé de quatre partis : le
RDR (Rassemblement des républicains, le
parti d’Alassane Ouattara), l’UDPCI (Union
pour la démocratie en Côte d’Ivoire), le
MFA (Mouvement des forces d’avenir) et
last but not least, le PDCI (Parti démocratique de Côte d’Ivoire, le deuxième poids
lourd de cette coalition). Pour l’instant, seul
le MFA par la voix de son président statutaire Anaky Kobena, a publiquement approuvé l’nitiative du G25.
Le chef de l’Etat ivoirien, Alassane Ouattara
Officiellement, et sans doute pour ménager tout ce beau monde, Henri Konan Bédié entretient un flou artistique sur ses intentions. Témoin ces mots prononcés lors
de son message de vœux aux Ivoiriens
pour l’année 2014 : « Le Rassemblement
des houphouëtistes pour la démocratie et
la paix, notre alliance, doit être entretenue, dépoussiérée, nettoyée et appliquée,
conformément à sa conception initiale ».
Mais personne n’est dupe. Il ne verrait pas
d’un mauvais œil une candidature unique
du RHDP à la présidentielle de 2015, en la
personne du président Alassane Ouattara.
« Vu son âge, Bédié n’aspire plus à diriger la Côte d’Ivoire. Mais il entend rester
maître dans sa cour et n’aimerait pas voir
un jeune loup du parti briguer la magistrature suprême et lui voler ainsi la vedette »,
analyse un autre journaliste ivoirien. Et
d’ajouter : « Bédié pose comme condition la redéfinition des clauses au sein du
RHDP et surtout un partage plus équilibré
©
« Ouattara déjà en précampagne »
Le président du PDCI, Henri Konan Banny
du pouvoir au sein du futur exécutif. Mais
pour la magistrature suprême, c’est un
secret de polichinelle qu’il existe un deal
entre Ouattara et lui pour que ce dernier
soit le candidat unique du RHDP ».
Mais au sein du PDCI, Charles Konan
Banny pourrait venir jouer les trouble
fête. Président de la Commission dialogue
vérité et réconciliation (CDVR) dont il a
présenté officiellement les grandes lignes
de son rapport le 21 novembre dernier au
président Ouattara, cet ancien gouverneur
de la BCEAO (Banque centrale des états
de l’Afrique de l’ouest)- il l’a dirigée
de 1993 à 2005- est aussi un cacique et
membre du bureau politique du PDCI.
Premier ministre de transition du 4 décembre 2005 au 29 mars 2007 sous la
présidence de Laurent Gbagbo, cet économiste de 71 ans à qui l’on prête depuis son
départ de la BECAO des ambitions nationales s’oppose à Henri Konan Bédié et se
lance dans la course au graal présidentiel ?
Pour l’instant il s’exprime peu sur le sujet. Mais ses actes parlent pour lui.
« Charles Konan Banny pourrait jouer les
trouble fêtes »
Le 19 septembre, il a publié dans Fraternité Matin, le quotidien gouvernental, une
Tribune à double détente dans laquelle il
s’est prononcé pour la présence d’un candidat du PDCI à l’élection présidentielle
de 2015 et contre la candidature à la tête
du parti de Bédié. Il a également donné
des coups de griffes récemment à la politique menée par le président Alassane
Ouattara, autant de petites pierres semées
ça et là qui laissent à penser qu’il ne restera pas inactif dans les mois qui viennent.
Au plan économique, les affaires ont repris
depuis l’accession au pouvoir de l’ancien
Premier ministre de Félix HouphouëtBoigny. Le pays bouge. Autoroutes,
ponts, voies urbaines, ouvrages d’adduction d’eau potable, etc., les chantiers
poussent partout dans le pays. Comme à
Abidjan, où près de 1400 salariés de Bouygues construisent le troisème pont de la
ville, un ouvrage d’un kilomètre et demi
avec échangeur qui vise à désengorger la
Enjeuxafricains N°11 février-mars 2014 19
En couverture Côte d’Ivoire
Grues et bétonnières ne chôment pas non
plus à l’intérieur du pays. Le projet de
l’autoroute Abidjan-Grand-Bassam a été
ressuscité et a démarré le 3 août 2012.
Quant à l’autoroute du Nord, elle est terminée et a été inaugurée le 11 décembre
dernier. Un premier tronçon l’avait été
en 1981. Dans le même temps, avec un
taux de croissance qui oscille entre 8 et
10% en moyenne, l’économie ivoirienne
est en pleine renaissance. Et les capitaux
étrangers affluent à nouveau. Comme au
bon vieux temps de Houphouët-Boigny,
une classe moyenne est entrain d’émerger, mais la prospérité ne profite pas à
tout le monde. 46 % des Ivoiriens vivent
avec moins de deux dollars par jour et le
© DR
capitale économique en reliant les boulevards François Mitterrand et Valéry Giscard d’Estaing. La pemière pierre avait
été posée en janvier 1999, mais avec le
coup d’Etat de feu général Robert Guéï et
la crise politique longue de près de dix ans
qui s’en est suivie, tout s’était arrêté.
Le président de la Commission dialogue vérité
et réconciliation (CDVR), Charles Konan Banny
chômage qui a explosé durant la dernière
décennie demeure très important et frappe
surtout les jeunes. Un vivier dans lequel
pourrait puiser Konan Banny s’il se décide
de se lancer dans la course présidentielle.
« Tout laisse à penser qu’il va y aller. A 71
ans, c’est sans doute sa dernière chance de
briguer le fauteuil présidentiel. S’il franchit
le pas, il aura certainement en face des adversaires qui ne lui feront pas de cadeaux.
Ils pourraient notamment s’intéresser de
près au contenu de certains dossiers du
temps où il gouvernait la BCEAO. Mais
d’un autre côté, même sans la caution du
PDCI, il pourrait fédérer de nombreux
militants déçus par la gestion du parti par
Henri Konan Bédié et incarner l’espoir des
partisans du FPI, toujours remontés contre
Alassane Ouattara, au cas où cette formation décidait de boycotter le scrutin »
poursuit le confrère.
Une chose est certaine : Alassane Ouattara part favori pour le rendez-vous de
2015 et il a toutes les chances de signer
un nouveau contrat de cinq ans avec ses
compatriotes. Reste à lui trouver un challenger de taille, sous peine de tomber sous
les critiques de ses contempteurs qui ne
manqueront pas de remettre en cause la
crédibilité de sa réélection.
Valentin Hodonou
Comment Ouattara drague le FPI
Le FPI pourrait-il entrer dans le gouvernement ? C’est ce qu’a laissé entendre le
chef de l’Etat ivoirien lors d’un meeting le 13 décembre à Dédiévi, une petite localité
au centre du pays, lors de sa viste dans la région du Bélier. Franchissant ainsi un
pas de plus dans son opération de charme en direction des partisans de Laurent
Gbagbo. A en croire son ministre de la Défense Paul Koffi Koffi, vingt neuf militaires
proches de l’ancien président réfugiés dans les pays voisins sont rentrés au pays en
décembre dernier. D’autres devraient les imiter. En principe, les exilés militaires et
paramilitaires avaient jusqu’au 30 novembre dernier pour revenir au bercail. Passé
ce délai, ils auraient du être considérés comme des déserteurs et radiés des effectifs
de l’armée de la gendarmerie, de la police nationale et des forces paramilitaires. Or,
cette disposition a été assouplie par un souci « humanitaire en raison des fêtes de
fin d’année », dixit Koffi Koffi.
© Abidjan.net
Un certain nombre de caciques du FPI arrêtés après la chute de Ggbagbo ont par
ailleurs recouvré la liberté. L’universitaire Gilbert Marie Aké Ngbo, son dernier Premier ministre, dès décembre 2012, Michel Gbagbo, son fils et Pascal Affi Nguessan,
président du FPI, le 15 août 2013. Celui-ci, tout en tenant des propos extrêmement
durs à l’encontre du gouvernement ivoirien, a accepté de négocier avec lui, suscitant
parfois des méfiances dans son propre camp. Autre gros clin d’œil en direction du
Le président du FPI, Pascal Affi Nguessan
camp Gbagbo, les autorités ivoiriennes ont opposé une fin de non recevoir au transfèrement de l’ex Première dame, Simone Gbagbo à la Haye comme le réclamait la Cour pénale internationale. Et il se murmure que compte
tenu de son état de santé, elle pourrait même être à son tour élargie. Mais comme le résume cet autre journaliste ivoirien, pas sûr que tous ces
gestes suffisent à convaincre les «gbagboïstes» de rentrer dans les rangs : « Ils ne lâcheront rien tant que leur héros n’aura pas été libéré ».
V.H.
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Enjeuxafricains N°11 février-mars 2014 21
En couverture Côte d’Ivoire
Forte volonté politique, réformes
économiques et large soutien des
bailleurs de fonds.... La Côte d’Ivoire
retrouve le chemin de la croissance.
« L’heure d’un deuxième miracle ivoirien
est venue », évoquait en janvier 2013 Christine Lagarde, directrice générale du FMI.
Les résultats sont là. Le taux de croissance
devrait dépasser à 8,5% en 2013 avec une
inflation modérée et atteindre 9% en 2014.
Selon le FMI, l’exécution budgétaire est
« satisfaisante » et « tous les critères de performance et les repères indicatifs pour fin
juin 2013 au titre de l’accord Facilité élargie
de crédit (FEC) [NDLR : Un soutien financier sous forme de prêt sur une durée initiale
de trois à quatre ans, avec une durée maximale totale de cinq ans] ont été respectés ».
Le président Alassane Ouattara se concentre
sur le projet économique et a obtenu un vote
du parlement en avril dernier lui conférant
des pouvoirs exceptionnels en matière de
gestion économique.
Point négatif hérité de la crise, la dette intérieure, mais qui devrait se résorber avec
l’adoption en novembre dernier du plan
d’apurement des arriérés de l’Etat (2000
à 2010). Un audit a permis de valider un
montant de 152,9 milliards de dette intérieure sur les 356 milliards de dette initiale.
Ces remboursements permettront de soulager un certain nombre de PME. Dans son
budget 2014, le gouvernement s’est focalisé sur le renforcement des infrastructures
sociales de base, la promotion de l’emploi,
l’amélioration de l’offre de santé, l’appui
au développement agricole et au secteur de
l’éducation.
Si l’économie ivoirienne se diversifie, le cacao et le café représentent toujours 40% des
recettes d’exportation du pays, et environ
20% de son PIB. « Les réformes des secteurs
café-cacao, du coton et de l’anacarde contribuent à réduire la pauvreté rurale », observe
22
le FMI qui encourage le gouvernement à
continuer sur cette lancée et à achever la
mise en œuvre de son programme de réformes dans les délais prévus. Depuis celle
opérée en 2012, le Conseil du Café Cacao
(CCC) vend par anticipation 70 à 80% de la
récolte nationale. En août dernier, un million de tonnes de la récolte 2013-14 étaient
déjà prévendues. En garantissant un prix
plancher aux planteurs de cacao, la Côte
d’Ivoire a prouvé sa capacité à mieux répartir les richesses de la filière. Malgré tout, les
rendements diminuent et la transformation
locale plafonne. Les agronomes et les intervenants sur le marché du cacao s’inquiètent
du vieillissement des vergers et de la raréfaction des terres disponibles. Le cacao demeure l’un des principaux contributeurs du
PIB (14 %) et des recettes fiscales (16,3 %).
La restructuration de ce secteur stratégique
afin d’assurer le développement de la filière
reste primordiale.
Pour le coton, le président ivoirien a annoncé en juillet dernier que les producteurs
recevront désormais 60% du prix international du coton et la création d’un fonds spécial de développement de la filière pour porter la production de coton à 600 000 tonnes
en 2016. La Côte d’Ivoire devrait produire
400 000 tonnes de coton en 2013/14, contre
340 000 en 212/13 et 260 000 en 2011/12.
Du côté de l’anacarde, des mesures fiscales
exceptionnelles sont annoncées pour encourager la transformation sur place.
A ce jour, la relance de l’économie passe par
un net effort de l’Etat dans l’investissement
public, dont le taux est passé de 2,9 % à 4,9
% du PIB entre 2011 et 2012, et devrait atteindre 7,8 % en 2013 puis 9 % en 2014.
L’investissement privé n’est pas en reste: de
5,4 % du PIB en 2011 à 8,8 % en 2012, il
devrait atteindre 10,3 % en 2013.
Dans le domaine des infrastructures, de
grands chantiers sont lancés. Une nouvelle
centrale thermique à gaz de 100 mégawatts
a été inaugurée en juillet 2013 sur le site de
Vridi à Abidjan, renforçant ainsi la capacité
de production d’électricité du pays afin satisfaire la forte demande. Cette installation
représente un investissement de 100 millions de dollars. La réalisation d’un deuxième terminal à conteneurs (TC2), attribué
© D.R.
Un dynamisme
économique
retrouvé
au consortium franco-danois (Bolloré, Bouygues, Marks), fait aussi partie des grands
chantiers mis en route.
« Le nouveau terminal dont la fin des travaux est prévue pour 2016 sera d’une profondeur allant jusqu’à 18 mètres, la plus
importante sur la côte ouest-africaine »,
selon l’autorité portuaire. Le TC2 aura un
traitement de 1,5 million de conteneurs par
an, doublant ainsi la capacité du premier terminal à conteneurs d’Abidjan.
Le redressement économique de la Côte
d’Ivoire est aussi largement appuyé par la
communauté financière internationale. Réunis à Paris, en décembre 2012, les bailleurs
de fonds ont accepté de contribuer à hauteur de 6 milliards d’euros au financement
du plan national de développement économique (PND) dont le coût a été évalué
à 11 076 milliards de FCFA sur la période
2012-2015. En janvier 2014, la Banque
africaine de développement (BAD) a réitéré
son engagement. « Nous avons annoncé un
milliard de dollars pour l’année 2014, 300
millions de dollars ont déjà été accordés »
a déclaré le président de l’institution financière panafricaine, Donald Kaberuka qui a
également évoqué le dossier du retour de la
BAD à Abidjan avant la fin de l’année (voir
page …)
Tous ces bons résultats ne doivent pas faire
oublier les défis à relever, en premier lieu
celui de la lutte contre la pauvreté. Si la sécurité s’est améliorée, elle doit encore être
renforcée pour apaiser les tensions sociopolitiques et rassurer davantage les investisseurs.
Le Plan National de Développement élaboré
pour la période 2012-2015 vise une croissance
à deux chiffres à travers cinq axes stratégiques :
• Les populations vivent en harmonie dans une société sécurisée dans laquelle la bonne
gouvernance est assurée,
• La création de richesses est accrue, soutenue et inclusive, et les fruits de la croissance
sont répartis dans l’équité,
• Les populations, en particulier les femmes, les enfants et autres groupes vulnérables ont
accès aux services sociaux de qualité dans l’équité,
• Les populations vivent dans un environnement sain et un cadre de vie adéquat,
• Le repositionnement de la Côte d’Ivoire sur la scène régionale et internationale est effectif.
Anne Lauris
Enjeuxafricains N°11 février-mars 2014 23
En couverture Côte d’Ivoire
Tapis rouge pour
les investisseurs
Face à cette faiblesse relative de l’investissement national, le Cepici s’est fixé pour
priorité d’accompagner l’entrepreneuriat local et son patron rappelle que les entreprises
ivoiriennes ont tout de même traversé dix
ans de crise, qu’elles en ont subi les conséquences et que certaines sont aujourd’hui
essoufflées.
Le climat des affaires s’est nettement amélioré. Le gouvernement
compte bien poursuivre ses efforts
dans le domaine et attirer les investisseurs en s’appuyant notamment
sur le Cepici, l’agence nationale de
promotion des investissements.
Ce sont des signes qui ne trompent pas.
Depuis quelque temps, tous les avions à
destination d’Abidjan sont pleins et les
hôtels affichent complet. Les opérateurs
économiques déjà implantés en Côte
d’Ivoire et qui avaient suspendu leurs
plans de développement durant la crise,
se mettent à nouveau à investir. De nouveaux acteurs arrivent aussi. Du 29 janvier au 1er février 2014, Abidjan accueille
le Forum « Investir en Côte d’Ivoire »
avec 1 500 opérateurs économiques attendus. Pour l’occasion, Air France affrète
pour la première fois vers l’Afrique francophone son avion XXL, l’airbus A 380 !
Il faut dire que le climat des affaires s’est
nettement amélioré et l’activité redémarre.
L’entrée en fonction du tribunal de commerce,
qui rend ses conclusions dans un délai de trois
mois, l’instauration d’un guichet unique pour
la création d’entreprise et l’adoption d’un code
des investissements plus attractif, ont permis à
la Côte d’Ivoire de figurer parmi les dix pays
ayant le plus amélioré la réglementation des
affaires entre 2012 et 2013, selon le rapport
Doing Business 2014, publié par la Banque
mondiale. En un an, l’économie ivoirienne est
passée de la 177e à la 167e place sur les 189
pays évalués. Le mérite de cette progression
revient en grande partie à la mise en place du
guichet unique pour la création d’entreprise,
souligne Emmanuel Esmel Essis, directeur
général du Centre de promotion des investissements en Côte d’Ivoire (Cepici). « Ce guichet unique, opérationnel depuis septembre
2012, permet de créer une entreprise en 24
heures grâce à des facilités procédurales, notamment, des réductions de coût de près de
70% », détaille le directeur général du Cepici,
24
Emmanuel Esmel Essis, directeur général du Centre de promotion des investissements en Côte d’Ivoire (Cepici)
en charge de la mise en œuvre de ce projet.
« Venez nous voir », lance-t-il aux journalistes
tout en se réjouissant de la fréquentation du
guichet unique qui accueille 55 visiteurs par
jour. Et les résultats sont là : 2500 entreprises
ont été créées en 2013, contre seulement 216
en 2012.
Dans une longue présentation à la presse, il
a dressé le bilan de l’année 2013 et les perspectives pour 2014. Les autorités ivoiriennes
n’hésitent pas à placer la barre très haute en se
donnant comme objectif de faire partie du top
50 du classement Doing Business dans les années à venir. Dans ce contexte, Emmanuel Essis Esmel a dévoilé l’objectif de son agence :
créer un environnement des affaires attractif
et compétitif. Il a rappelé que le gouvernement ivoirien avait adopté en 2012 « un nouveau code des Investissements plus attractif »
destiné aussi bien aux investisseurs étrangers
qu’aux entrepreneurs locaux, avant de se projeter dans l’année en cours : « Il s’agit de consolider et de lancer de nouvelles réformes » :
34 ont été identifiées dont 20 à mettre en
œuvre d’ici mai 2014, notamment dans le do-
maine de la création d’entreprise et du transfert de propriété.
Le Cepici reçoit et analyse les dossiers de
projets d’investissement qui sont alors présentés au comité d’agrément. Une fois le
dossier agrée, le projet est enregistré au regard de l’investissement et des emplois projetés. L’agence a enregistré 506 milliards
de FCFA d’intention d’investissement au
cours de l’année 2013, contre 219 milliards pour 2012. Cela représente en 2013,
41,1% des investissements prévus par le
Plan national de développement (PND).
« Les investissements déclarés au CEPICI
ont augmenté donc 131% et représentent
35% des investissements privés globaux
estimés dans l’économie ivoirienne en
2013 (1446 milliards de FCFA) contre
24% en 2012 (912 milliards FCFA) »,
explique Esmel Essis.
Sur ce montant de 506 milliards de FCFA,
374 milliards proviennent des investissements directs étrangers (IDE), soit 74%
(contre 54% l’an dernier).
En répartition sectorielle, le secteur primaire apparait comme le parent pauvre,
avec seulement 13 milliards de FCFA d’investissements agréés, dont 65% destinés aux
activités extractives. Ceci s’explique par le
fait que les gros projets dans les secteurs
pétrolier, gazier ou minier sont discutés
directement au sein des ministères compétents. Quant au secteur secondaire, il prend
en compte 157 milliards de FCFA avec la
fabrication de produits alimentaires (55%),
la fabrication de matériaux minéraux (15%)
et les autres activités industrielles (30%).
Enfin, la plus grosse part, 336 milliards de
FCFA sera investie dans le secteur tertiaire,
dont les télécommunications (43%), les activités de location (29%), les activités de
restauration et hôtellerie (14%) et les autres
activités de services (15%). « L’agro-industrie demeure le potentiel naturel de la Côte
d’Ivoire », souligne le DG du Cepici, indiquant que l’industrialisation doit être l’un
des facteurs déterminants si le pays veut atteindre l’émergence à l’horizon 2020. Outre
l’agro-industrie, les secteurs de l’infrastructure, de l’énergie, des mines, de l’hôtellerie
et surtout des Technologies de l’information
et de la communication (Tic) intéressent les
investisseurs.
Pour l’année en cours, le Cepici table sur un
montant de l’ordre de 600 à 700 milliards
d’investissements agréés et de 1 000 milliards en 2015. Esmel Essis insiste sur la
nécessité de développer l’entreprenariat national d’où le lancement d’une caravane dénommée « Entreprendre en Côte d’Ivoire »
qui a sillonné, du 6 au 11 janvier, les villes
de San Pedro, Bouaké et Yamoussoukro, en
plus du forum « Investir en Côte d’Ivoire »
(ICI 2014) à Abidjan.
La promotion de l’investissement fait bien
évidemment partie des missions de l’agence.
En 2013, elle a rencontré 1462 investisseurs,
dont 972 à l’étranger et 490 en Côte d’Ivoire
Performances de la Côte d’Ivoire - Doing Business 2014
Doing Business 2014 : 167é - Top 10 des pays réformateurs
Validation par SEM le Premier Ministre
de l’Agenda des Réformes 2014
34 projets de réformes identifiées, 20 à court terme et 14 à moyen Terme.
Investissements déclarés et enregistrés au CEPICI
Evolution des IDE/IDN entre 2011 ET 2013 (en milliards FCFA) +131%
Entre 2011 et 2013, les investissements déclarés au CEPICI ont augmenté de 131%
Les investissements enregistrés au CEPICI représentent 35% des investissements privés
globaux estimés dans l’économie ivoirienne en 2013 (1 446 Mds FCFA) contre 24% en 2012
(912 Mds FCFA)
Enjeuxafricains N°11 février-mars 2014 25
En couverture Côte d’Ivoire
et a également négocié quatre accords de coopération, « des ponts entre deux pays afin
de renforcer le courant des affaires », décrit
Esmel Essis qui se garde de dévoiler le nom
des pays concernés. A la fin de l’année 2013,
11 accords de coopération étaient en cours
de négociation. Le DG s’est engagé à faire
du Cepici « une agence de promotion performante, fiable et de renommée internationale ». Pour l’année en cours, les chantiers
engagés concernent la dématérialisation
et la sécurisation des supports de travail,
l’accessibilité des services via internet, et
l’engagement dans la démarche qualité et la
certification ISO 9001/2008. En deux mots,
l’objectif est de pouvoir créer une entreprise
en ligne, de décentraliser les services aux
investisseurs (San Pedro et Bouaké dans un
premier temps) et d’ouvrir le guichet unique
du Cepici à d’autres services.
« L’information économique demeure un outil majeur d’attraction de l’investissement »,
a insisté Emmanuel Esmel Essis. Or, l’information reste difficile à obtenir, peu fiable,
reconnaît-il. Pour palier cette carence, il
compte sur la création d’un centre d’information et la mise en place d’un système de
collecte, d’analyse et de mise à disposition
d’informations fiables sur internet. « Plus
les informations fiables sont disponibles,
plus vite l’investisseur se décide », assènet-il. Bâtir une stratégie d’intelligence et de
veille économique est incontournable dans
la recherche de bons partenaires pour mener
des affaires.
S’il reconnait que le système bancaire n’est
pas adapté aux besoins des PME, il pointe
aussi le manque d’esprit d’entreprise des
Ivoiriens. Les sacrifices nécessaires pour
monter son business sont parfois oubliés
au profit d’un réinvestissement des bénéfices non pas dans l’entreprise, mais dans
les signes extérieurs de réussite (voiture,
costume...), regrette-t-il. L’environnement
des affaires résulte aussi du comportement
de chacun, rappelle Esmel Essis citant en
contre exemple le taximan qui n’est pas attentif au volant ou l’incivisme vis-à-vis du
code de la route qui fait qu’on se retrouve
souvent avec cinq files de voitures alors que
seulement deux sont prévues.
Origine des Investissements agréés
Répartition des IDE enregistrés en 2013 : 374 milliards de FCFA
Répartition sectorielle des Investissements et des emplois
Volume des investissements enregistrés en 2013: 506 Mds FCFA
Attraction et promotion des investissements privés
Répartition des investisseurs contactés par zone géographique : 1 462
Anne Lauris
26
Enjeuxafricains N°11 février-mars 2014 27
En couverture Côte d’Ivoire
Emergence en 2020, le pari fou (?)
du président Ouattara
L’ambition du président ivoirien Alassane Dramane Ouattara est de faire
de la Côte d’Ivoire un pays émergent à l’horizon 2020. Malgré la grande
mobilisation des membres du gouvernement et les acteurs économiques
et sociaux, cette ambition parait-elle réaliste ou démesurée ?
Front populaire ivoirien (FPI) en exil. Reste
que sur ce point précis, la confiance n’a pas
encore gagné l’ensemble des opposants réfugiés hors du pays et les nombreux soutiens civils et militaires de l’ancien président Laurent Gbgabo toujours détenus à la
maison d’arrêt et de correction d’Abidjan
n’est pas de nature à consolider le processus
de réconciliation nationale.
L’émergence, c’est aussi le bien-être social
des citoyens, des indicateurs sociaux assez
satisfaisants (alimentation en quantité suffisante et de qualité, offres de soins et d’éducation accessibles à tous, etc.).
Le gouvernement a fait de la cherté de la vie
une priorité pour l’année 2014 en annonçant
une augmentation des salaires, mais les ménagères ivoiriennes devront encore attendre
avant de pouvoir remplir leur panier à un
prix raisonnable, les commerçants estimant
qu’ils doivent aussi en tirer profit. Amélie
Kogbo et ses consœurs commerçantes du
marché d’Adiaké, une ville située à près de
90km d’Abidjan, en discutaient entre elles.
« Si on a augmenté le salaire des fonctionnaires, nous aussi, on doit sentir les retombés dans nos recettes ».
Une vue du quartier de affaires à Abidjan
Deux ans après la fin de la crise postélectorale, la Côte d’Ivoire est en passe de redevenir la locomotive de la sous-région ouestafricaine tant les résultats économiques
obtenus sont plus qu’encourageants. Selon
les prévisions du Fonds monétaire international (FMI), le pays devrait enregistrer
un taux de croissance à deux chiffres en
2014, contre 9,8% en 2012 et 8,5% en 2013.
Les institutions financières internationales
croient en de bonnes perspectives économiques pour le pays dans les prochaines
années. Le dernier rapport Doing Business
de la Banque mondiale a mis en exergue les
efforts faits par le gouvernement pour améliorer le climat des affaires et sécuriser les
investissements. Le secteur privé, qui est le
principal vecteur de la croissance et la création de richesses, reprend confiance. Après
28
la rencontre du Groupe consultatif pour
la mobilisation des financements nécessaires au Plan national de développement
(PND) tenue en 2012 à Paris, le gouvernement lance fin janvier-début février 2014,
le Forum investir en Côte d’Ivoire (ICI
2014). Ces deux grandes initiatives visent à accroître les investissements directs
étrangers (IDE), condition nécessaire pour
faire de la Côte d’ Ivoire un pays émergent
du même niveau que le Brésil, L’Inde ou
l’Afrique du sud.
Au plan politique, l’émergence passe aussi
nécessairement par une vraie réconciliation
nationale entre Ivoiriens. D’où les initiatives tout azimut prises pour décrisper le
climat sociopolitique à travers les appels
au retour des ex-dirigeants et militants du
Avec la mesure de déblocage des salaires et
de revalorisation du SMIG, les produits de
base risquent de connaître une hausse dans
les prochains mois, et il faut se demander si
le gouvernement a anticipé les effets inflationnistes de sa mesure.
Par ailleurs, dans cette quête d’émergence,
le gouvernement en appelle de ses vœux à
l’avènement d’un ivoirien nouveau, courageux, ayant l’amour du travail bien fait
et recherchant le mérite. Toutes choses
contraires aux pratiques en cours, faites de
corruption, de racket de la part des agents
publics, et les passations de marchés de gré
à gré sans cesse croissantes. Le gouvernement vient de créer le Secrétariat national
à la bonne gouvernance et au renforcement
des capacités et mis sur pied la Haute autorité de la bonne gouvernance, mais ces initiatives sont assez récentes pour emporter la
confiance des citoyens quant à la détermination de l’Etat à éradiquer ces fléaux.
Synthia Boko
Enjeuxafricains N°11 février-mars 2014 29
En couverture Côte d’Ivoire
Retour de la BAD
à Abidjan : Tout s’accélère
Repères
Marrakech
27 au 31 mai 2013
La crise sociopolitique que la Côte d’Ivoire a connue à partir de l’année
1999 et l’insécurité qui y régnait avait eu pour conséquence, la délocalisation de la Banque africaine de développement à Tunis. A présent, les
conditions étant réunies, elle s’apprête à y revenir
Délocalisée à Tunis en raison de la crise que
traversait la Côte d’Ivoire, le processus de
retour de la Banque africaine de développement (BAD) à son siège à Abidjan s’accélère. Si tout se passe bien, le grand retour
devrait avoir lieu être célébré lors du cinquantenaire de l’institution financière panafricaine en novembre 2014.
Durant son dernier séjour à Abidjan avec
les autorités ivoiriennes les 11 et 14 janvier,
Donald Kabéruka, le président de la BAD a
annoncé le retour effectif de l’ensemble du
personnel, y compris le conseil d’administration pour la fin juin 2014. Mais déjà, une
centaine d’agents est en poste à Abidjan et
le 9 octobre dernier, les autorités de la BAD
ont reçu les clés de l’immeuble CCIA réhabilité et offert par le gouvernement ivoirien.
Le retour tant attendu de la BAD à Abidjan
avait été officiellement annoncé le 30 juin
2013 à l’issue du conseil des gouverneurs
de la BAD, réunis à Marrakech au Maroc
dans le cadre des 48èmes assemblées annuelles de la Banque. Cette décision est
fondée sur le retour à la stabilité politique et
des perspectives économiques prometteuses
que présente la Côte d’Ivoire.
Environ 5000 personnes sont attendues à
Abidjan dont 1562 membres du personnel
et 3500 personnes à charges (familles). Le
gouvernement s’est engagé à mettre à la
disposition de la BAD, 500 logements au
mois de juin 2013 et 1000 autres devraient
être disponibles d’ici juin 2014. Les besoins
de la Banque sont eux estimés à 1562 logements dont 55 de standing moyen, 1452
de moyen et haut standing et 55 maisons
de très haut standing. Le gouvernement assure que toutes les dispositions seront prises
pour satisfaire toutes les demandes en met30
Au vu des progrès faits par la Cote d’Ivoire et
des résultats satisfaisants de l’exécution de
la Feuille de route, les Assemblées de Marrakech ont entériné cette feuille de route et
donc pris la décision définitive du retour de la
BAD à son siège à Abidjan à partir de 2013,
pour s’achever avant la cérémonie du cinquantenaire prévue à Abidjan en novembre
2014.
tant en place un plan contre la spéculation
et la surenchère des loyers.
D’après le ministre de la Construction, de
l’assainissement et de l’urbanisme, Mamadou Sanogo, le gouvernement va créer
une base de données de logements locatifs
accessible sur Internet afin de mieux gérer
les demandes de ceux qui feront partie de la
première vague du personnel.
Quant à l’offre de soin, il existe des structures de santé de référence à Abidjan dans le
secteur aussi bien public que privé. A Abidjan, l’administrateur du plan médical de la
Banque dispose d’un réseau de 56 prestataires (pharmacies, hôpitaux, laboratoires et
médecins spécialistes) qui devrait être renforcé dans les mois à venir. Dans le secteur
de l’éducation, Abidjan dispose de plusieurs
structures scolaires répondant aux normes
internationales allant du préscolaire au supérieur dans le système francophone et anglophone. Les besoins immédiats de la Banque
sont estimés à 610 places sur les 1471 disponibles. Pour l’enseignement anglophone,
deux établissements d’une capacité de 600
places existent déjà, l’International Community School of Abidjan (Icsa) et le Morning
Glory International School (MGIS). Les besoins de la BAD sont estimés à 322 et ces
deux établissements ont intégré l’éventuelle
augmentation de leurs effectifs.
Si les autorités ont décidé du retour de la
BAD à son siège historique, c’est qu’elles
estiment que les conditions techniques sont
réunies pour son bon fonctionnement et que
le personnel bénéficiera du même niveau de
confort qu’à Tunis.
Dans cette optique, la Banque s’est dotée
d’un plan intégré de sécurité/continuité vi-
Abidjan
27 février 2013 : Réunion
des Conseils d’Administration
du Groupe de la BAD
La réunion des Conseils a été précédée le 26
février 2013 de rencontres avec les hautes
autorités du pays ainsi que de visites d’immeubles devant accueillir le personnel, notamment le siège de la banque et l’immeuble
CCIA en cours de rénovation et d’autres
infrastructures à réhabiliter (cité BAD et villas de fonction de la haute Direction de la
Banque).
L’immeuble CCIA
Le siège historique de la Bad en réfection
sant à assurer la sécurité des membres du
personnel et de leurs proches et à garantir
la continuité des activités dans toutes les
circonstances. Elle s’est également assurée
de la disponibilité et la fiabilité des infrastructures professionnelles et sociaux économiques (bâtiments pour bureaux, système
d’information et informatique, logements,
écoles, centres de soins, services bancaires,
transports, etc.). Le retour se fera de façon
graduelle, l’ensemble des infrastructures
essentielles devant être opérationnelles
trois mois avant l’arrivée effective de la
1ère vague pour minimiser les impacts de
toute interruption des activités. Enfin, le
bien-être du personnel, qui représente le
principal atout de la Banque en termes de
performance passe par une gestion efficace
du changement, une sensibilisation et une
implication du personnel.
Les services qui reviennent seront relocalisés à l’immeuble CCIA,. D’une capacité de
800 à 1000 agents, il comporte 28 étages,
trois sous-sols de parking de 600 véhicules,
un auditorium de 300 places, de salles de
réunion, salles informatique, d’une bibliothèque, d’un restaurant, etc.
Le gouvernement ivoirien a investi plus
de 33 milliards FCFA dans les travaux de
réhabilitation de l’immeuble confié à l’entreprise PFO Africa Côte d’Ivoire, du célèbre
architecte Pierre Fakhoury. Il a été remis
officiellement aux autorités de la BAD le 9
octobre 2013.
Tokyo
11 octobre 2012 : 15ème
réunion du Comité consultatif
des gouverneurs de la BAD
La réunion du Comité consultatif des gouverneurs de Tokyo a adopté la Feuille de route
avec un chronogramme de mise en œuvre.
Arusha
31 mai 2012
Les Assemblées Annuelles d’Arusha (Tanzanie) ont pris la décision du retour avec la
condition que cela se fasse conformément à
une Feuille de route élaborée d’accord partie par la direction de la BAD et les autorités
ivoiriennes, sous la supervision du conseil
d’administration en vue de son adoption par
le Conseil consultatif des gouverneurs.
Synthia Boko
Enjeuxafricains N°11 février-mars 2014 31
En couverture Côte d’Ivoire
ficit atteindra 1 million de tonnes en 2020.
Eclaircies dans la filière agricole ivoirienne
La Côte d’Ivoire met de l’ordre dans sa filière agricole de « rente », dont la gestion a été pour le moins
bâclée pendant une bonne décennie. Ses diverses composantes – café-cacao, hévéa, huile de palme,
anacarde, pour ne citer que les principales – font l’objet de réformes visant à assurer à l’État des recettes
pérennes tout en encourageant les planteurs à engranger de meilleurs résultats.
Tout ceci ne va pas sans mal. Les producteurs de latex protestent contre l’accumulation de taxes, ceux de
l’anacarde redoutent l’instabilité des prix, les planteurs revendiquent d’être mieux payés et dans le même
temps, il faut renouveler les plantations de caféiers et cacaoyers.
Derrière cet ensemble de refontes se cache un enjeu fondamental en termes de développement du pays :
la transformation, qui reste encore embryonnaire.
© D.R.
Quant aux cultures vivrières, elles ont été « dédaignées par le passé au profit d’autres produits de base destinés
à l’exportation », comme le souligne une étude conjointe du FIDA (Fonds international de développement agricole) et de la FAO, publiée le 18 décembre 2013 et couvrant la région ouest-africaine. Comme les cultures de
rente, les celles vivrières sont très peu transformées sur place. Selon cette étude, « il est essentiel de stimuler
la productivité, d’encourager la compétitivité et d’assurer aux petits agriculteurs un meilleur accès aux marchés
pour permettre à l’Afrique de l’Ouest de réaliser pleinement son potentiel agricole. »
pour les ex principaux responsables de la
filière café-cacao, reconnus coupables de
« détournements de fonds, abus de confiance,
abus de biens sociaux, escroquerie, faux et
usage de faux en écriture privée de banque
ou commerce ». Les intéressés ont décidé de
faire appel.
Filière café-cacao
Dans ce qu’il faut bien appeler le scandale
dans la filière cacao-café, l’enquête a montré que ses principaux avaient mis au point
un système de prédation qui a coûté cher à
la Côte d’Ivoire. Si l’on en croit les résultats
des audits réclamés par le Fonds monétaire
international (FMI) et la Banque mondiale,
370 milliards de F CFA (564 millions d’euros) se sont évaporés entre 2002 et 2008,
siphonnés dans le Fonds de régulation et
de contrôle, le Fonds de développement et
de promotion des activités des producteurs
de café et de cacao, la Bourse du café et du
cacao et l’Autorité de régulation du café et
du cacao.
Après
l’assainissement,
la relance
Le 6 novembre 2013, le verdict est tombé : 20 ans de réclusion (en sus de divers
amendes et autres confiscations de biens)
32
© D.R.
Après une décennie marquée par des
troubles politiques, des malversations
qui ont coûté une fortune à la filière
et le découragement des planteurs,
les autorités ivoiriennes mettent tout
en œuvre pour redonner au pays sa
place parmi les grands producteurs
mondiaux dans un contexte marqué
par l’explosion de la demande
Dès la fin de la crise avec l’arrestation de l’ancien président Laurent Gbagbo en avril 2011,
le Conseil du café cacao (CCC), organe public
de régulation de la filière café-cacao, a été rétabli et le secteur cacaoyer réformé. Il y avait
urgence. Le cacao représente 35 % du total
mondial, près de 70% des exportations de produits primaires de la Côte d’Ivoire et contribue
pour 15 % de son PIB.
Depuis 2012, le CCC vend par anticipation
près de 3/4 de la récolte nationale (1,415
million de tonnes en 2012/13) et des enchères se tiennent deux fois par jour. Les
planteurs ont vu leur prix garanti revalorisé
de 3%, à 750 F CFA le kilo pour la saison
2013/14. Ils peuvent ainsi acheter semences
et intrants pour renouveler leurs vergers
vieillissants et améliorer la productivité.
Le gouvernement ne veut pas s’arrêter là.
Dans sa ligne de mire, la transformation locale du cacao. Seuls 30 % de la production
font aujourd’hui l’objet d’un traitement industriel sur place, dont moins de 1,5 % en
produits finis. Abidjan souhaite porter ce
taux à 75%.
Le contexte actuel marqué par un déficit
mondial de la production pousse les prix de
la fève à la hausse. Ils tournaient autour de 2
700 dollars la tonne à New York le 2 janvier
2014 et de 1 677 livres sterling à Londres.
Selon l’Organisation mondiale du cacao
(ICCO), il a été produit à 3,931 millions de
tonnes de fèves en 2012/13 et consommé
160 000 tonnes de plus. En cause, l’appétence de plus en plus nette des émergents,
Chinois en tête, pour le cacao. Le cabinet
britannique Euromonitor estime que les
ventes en Chine vont progresser de 6,6 %
cette année. Certains, comme l’industriel
Barry Callebaut, prévoient même que le dé-
De même que la production cacaoyère, celle
du café requiert tous les soins des responsables ivoiriens. Il faut dire que cette culture,
autrefois florissante – avec 400 000 tonnes
annuelles, la Côte d’Ivoire trônait au troisième rang mondial et au premier en Afrique
dans les années 70 -, a perdu de son lustre,
et que les planteurs ivoiriens de Robusta, la
variété cultivée dans le pays, se sont laissés
largement distancer par les Vietnamiens. Le
pays pointe à la treizième place mondiale et
a été rétrogradé troisième producteur africain, avec 100 000 tonnes par an, derrière
l’Ethiopie et l’Ouganda. En cause, l’attrait
des planteurs pour des cultures plus rémunératrices, palmier à huile, hévéa, noix de
cajou, d’autant plus prononcé que le prix
mondial du café fléchissait.
La grande réforme 2011 a donc englobé le
café, avec le même mécanisme de ventes par
anticipation, des enchères bi-quotidiennes
et un prix minimum garanti au planteur, de
620 F CFA le kilo en 2012/13. Abidjan, bien
décidé à reconquérir le terrain perdu, a annoncé l’an passé un programme de refonte
du secteur caféier d’un coût de 8,4 milliards
de Franc CFA (12,8 millions d’euros), visant à réhabiliter 75 000 hectares de plantations, à en créer de nouvelles, à renforcer les
capacités des producteurs, via notamment
la distribution de semences sélectionnées
pour, in fine, flirter de nouveau avec les 400 000
tonnes. Les cafés de niche seront encouragés, en
particulier l’Arabusta, croisement de Robusta
et d’Arabica développé au cours de ces mêmes
années 70.
Quatre axes stratégiques ont été dégagés,
explique Edouard Kouassi N’Guessan, directeur général adjoint du CCC chargé de la
production : l’amélioration de la production
et de la qualité, la valorisation des spécificités des cafés « origines Côte d’Ivoire »,
la commercialisation, la transformation et la
consommation. Après une première phase
(2013-2018), la récolte devra s’élever à
200 000 tonnes au minimum. Dans un
deuxième temps, courant jusqu’en 2023,
le pays se repositionnera pour retrouver sa
place auprès des leaders mondiaux.
Marie-Christine Simonet
Enjeuxafricains N°11 février-mars 2014 33
En couverture Côte d’Ivoire
Anacarde
La demande a vraiment décollé dans la décennie 1990, les pays occidentaux s’étant
découvert une appétence certaine pour la
« noix de cajou », improprement nommée,
puisqu’il s’agit d’une amande. Un boum
de la production s’est ensuivi, en Asie, en
Afrique et jusqu’en Amérique latine (au
Brésil). Mais depuis lors, la consommation
et la production plafonnent, malgré l’extension de la zone de consommation à la Chine,
l’Asie du sud-est et la Russie notamment. En
2012, il en a été récolté mondialement plus
de 2,2 millions de tonnes de noix brutes,
soit 440 000 tonnes de « noix de cajou ».
L’Inde est le premier producteur mondial,
avec 600 000 tonnes (chiffres de 2012) de
noix brutes, devant la Côte d’Ivoire, avec
450 000 tonnes, soit 19% du total mondial,
puis du Vietnam, 350 000 tonnes, le Brésil
170 000 tonnes, Guinée Bissau 160 000
tonnes, etc.). Pour cette année-là, la production ouest-africaine a représenté 38% du
total mondial.
Au-dessus de l’Équateur tout comme en
Afrique de l’Ouest, la récolte se fait de février à mai. Sous la ligne équatoriale, elle a
lieu de septembre à décembre.
34
De plus, l’essentiel du tonnage produit est
expédié en Asie pour y être transformé.
Conscients de l’enjeu en termes de création
de valeur autant que d’emplois, les pays
ouest-africains commencent à structurer la
filière. « Sauf grand changement macroéconomique, la production d’anacarde
dans la sous-région devrait (…) continuer
à augmenter légèrement jusque vers 2020,
époque à partir de laquelle le renouvellement des vergers va devenir un enjeu central pour la stabilité et la rentabilité de la
filière », analyse le RONGEAD.
En Côte d’Ivoire, les anacardiers s’étendent
sur 1,3 million ha avec un rendement moyen
de 350 kg/ha et une qualité moyenne (exprimée en KOR*) de 48-50. Sur les 450 000
tonnes de noix brutes produites, 415 000 sont
exportées, à presque 60% en Inde (données
2012), le taux de transformation dans le pays
n’étant que de 4,5%. Trop peu. Quant à la
consommation locale de la « noix de cajou »,
elle s’est établie à 50 tonnes.
En septembre 2013, Yamoussoukro a abrité
un atelier de réflexion sur le développement
et la réforme des filières coton et anacarde,
tous deux cultivés dans les régions Nord,
© D.R.
Dans la région ouest-africaine, le RONGEAD, un organisme dédié au commerce
international et au développement durable
déplore les rendements insuffisants. « Dans
des conditions optimales de culture, souligne
le RONGEAD dans une étude publiée en juin
2013, les variétés peuvent atteindre jusqu’à
plus d’1 tonne de noix par hectare. Pourtant,
la majorité des plantations a des rendements
bien inférieurs, principalement en raison des
pratiques adoptées par les producteurs lors
de l’installation des plantations et du manque
d’entretien des parcelles ».
L’engouement des planteurs ivoiriens pour l’hévéa ferait-il long feu ?
Malgré la hausse de la demande
mondiale, à Tokyo, le cours de la
gomme naturelle pique du nez, tandis qu’à Abidjan, le gouvernement
agace les acteurs du secteur en accumulant les taxes.
Cependant, le vent tourne, moins favorablement à l’hévéaculture. Non seulement
le cours de la gomme naturelle coté sur la
bourse des commodités de Tokyo (Tocom)
a plongé de 9,8% en 2013, mais en Côte
d’Ivoire, le gouvernement a pris des mesures
fiscales que n’apprécient guère les planteurs
réunis au sein de l’Aprocanci (Association
des producteurs de caoutchouc naturel en
Côte d’Ivoire) et les industriels de la SAPH
(Société africaine de plantations d’hévéas,
filiale de Sifca) ou de la SIPH (Société internationale des plantations d’hévéas).
Une industrie
découragée
par les taxes
Augmenter les rendements et accroître la transformation locale, tels sont
les enjeux cruciaux du développement de la filière ivoirienne de la « noix
de cajou ».
L’anacarde est devenue l’un des principaux marchés d’exportation de l’Afrique de
l’Ouest et même une culture de rente aussi
importante que le coton dans la partie sahélienne allant du Sénégal au Nigeria. Forte
mobilisatrice de main d’œuvre, cette culture
pourrait être une source appréciable de revenus supplémentaires pour les producteurs
n’eût été l’instabilité des prix qui caractérise cette matière agricole. Au cours d’une
même campagne, les prix peuvent varier de
plus de 200%, plongeant ainsi tous les protagonistes de la filière dans la plus grande
incertitude.
qui était de 36 600 F CFA par mois avant
novembre 2013, est désormais de 60 000 F
CFA (91,5 euros). La menace est sérieuse :
compte tenu de la croissance démographique, il devient nécessaire de relancer la
culture du manioc, faute de quoi cet aliment
de base de la population ivoirienne pourrait
commencer à manquer.
Est et Centre du pays. Augmenter la transformation de 5% en 2013 à 35% en 2015
est l’objectif affiché par le ministre ivoirien
de l’agriculture Sangafowa Coulibaly. Les
moyens ? La garantie d’un prix fixé à au
moins 60% du prix CAF (coût, assurance &
fret) via un mécanisme établissant un principe d’équité dans la répartition des revenus de la filière et l’évaluation des coûts de
chaque catégorie d’opérateurs de la filière.
Il est aussi prévu la détermination transparente d’une référence du prix CAF et la mise
en place d’un fonds de soutien, et enfin des
mesures d’accompagnement pour soutenir
les industries locales.
* KOR : indique, entre 48-50 une bonne
qualité, entre 50-52, une très bonne qualité,
52-54 une excellente qualité, 54-56, super
qualité, rare et très recherchée. Le barème
va également decrescendo, jusqu’en dessous de 42, c’est-à-dire extrêmement mauvais. La qualité (KOR) au Vietnam grimpe
à 50-56.
Marie-Christine Simonet
De la qualité et des prix
En novembre 2013, selon le Bulletin ivoirien
sur le marché de l’anacarde, le cours de la
noix brute valait : Origine Bénin , KOR* 49 :
1000-1050 $/t (500-525 F CFA/Kg) Origine
Ghana, KOR 48-49 : 950 -1025 $/t (475
-510 F CFA/kg) Origine Côte d’Ivoire , KOR
47-48 : 8 000-950 $/t (400-475 F CFA/kg)
Origine Sénégal ou Guinée Bissau , KOR 50 :
1 200 $/t (610 F CFA/kg ).
Parallèlement au développement des pays
émergents, les besoins mondiaux en caoutchouc vont croissant. Mais à force de parier sur l’appétit chinois, les objectifs vont
parfois trop loin. En 2014, la production
globale devrait dépasser la demande de
366 000 tonnes, après un surplus de
336 000 tonnes l’année précédente, entraînant à la baisse les prix de la gomme naturelle – ils ont déjà reculé de 9,8% en 2013.
Les plus grosses plantations sont en Asie du
sud-est : Thaïlande, Indonésie, Vietnam, ce
dernier pays vient de ravir à la Malaisie le
troisième rang mondial.
En dépit de ses efforts pour récupérer une
place enviable sur le marché international,
l’Afrique est à la peine. Sur les 11,965 millions de tonnes attendues sur la planète en
2014, elle ne représente que 4% à 5% (environ 538 000 tonnes). C’est peu !
Au septième rang mondial et au premier en
Afrique, la Côte d’Ivoire produit la moitié
du caoutchouc africain devant le Liberia, le
Cameroun, le Nigeria et le Ghana.
Les plantations d’hévéas ont profité de
l’engouement des producteurs de cacao
ivoiriens depuis le début des années 2000,
découragés par la désorganisation de la filière, le mauvais rendement au planteur et
les troubles politiques. Facile à produire,
n’importe qui peut se lancer dans l’hévéa-
© D.R.
Une transformation locale
embryonnaire
Hévéaculture
culture surtout qu’elle offre une garantie
de revenu mensuel et donc un complément
financier régulier très appréciable. Aussi,
avec un cours qui est passé de 50 cents au
début de la décennie à une moyenne de 2,50
dollars en 2013, les candidats n’ont pas
manqué : fonctionnaires, enseignants, commerçants… se sont lancés dans l’aventure,
aux côtés des cultivateurs traditionnels. En
2013, la production en Côte d’Ivoire s’est
élevée à de 270 000 tonnes et devrait arriver
à 300 000 tonnes cette année. Le gouvernement ambitionne atteindre 600 000 tonnes à
l’horizon 2020/2025.
Ce dynamisme dans la production de l’hévéa ne va pas sans faire des dégâts collatéraux. Car l’agriculture vivrière perd de son
intérêt. Ainsi du manioc, récolté une fois
par an, au contraire du caoutchouc qui peut
être collecté dix mois sur douze et offre des
revenus supérieurs. Selon Alphonse Gnaoré
Koh, expert auprès de l’Agence nationale
d’appui au développement rural (ANADER) près d’Abidjan, un hectare d’hévéas
peut dégager, quand le cours mondial est
à la hausse, un revenu mensuel brut de
400 000 F CFA (800 dollars). Une fortune,
sachant que le salaire minimum dans le pays
Les taxes s’accumulent. Outre les 25% que
doivent payer à l’État les sociétés agricoles
sur leur bénéfice industriel et commercial,
depuis 2012, les industries du secteur se
sont vu imposer trois nouvelles taxes : une
de 5% sur leur chiffre d’affaires, une taxe
foncière de 7 500 F CFA/ha planté en hévéa
par toute société agro-industrielle, la TVA
lors de l’exportation, laquelle doit leur être
remboursée (la filière est dédiée à l’exportation), ce qui ne se fait pas toujours sans mal,
si l’on en croit les usiniers. Ces mesures ont
un impact direct sur la trésorerie des entreprises et par voie de conséquence, sur leur
capacité à investir… mais aussi sur les délais de paiement aux planteurs, qui s’allongent parfois jusqu’à deux mois, au lieu de
48 heures auparavent.
En septembre 2013, Wadjas Honess, viceprésident de l’Aprocanci, s’alarmait lors
d’une conférence de presse de la reconduction de ces taxes en 2014, qui pousserait
« la filière hévéa (à) tout arrêter », voire à
délocaliser. Le président des Usiniers du
caoutchouc en Côte d’Ivoire, Eugène Malan, a
prévenu : « Les deux pays qui nous entourent
ne mettent pas de taxes sur le caoutchouc. Les
usiniers vont délocaliser, ce n’est pas à nous
que l’Etat fait du tort ».
Marie-Christine Simonet
Enjeuxafricains N°11 février-mars 2014 35
En couverture Côte d’Ivoire
Pétrole
Après dix bonnes années de paralysie due à une crise socio-politique,
l’activité économique a repris dans plusieurs secteurs, y compris celui de
l’énergie. De récentes découvertes et des forages exploratoires laissent
entrevoir un avenir pétrolier très prometteur
La Côte d’Ivoire pousse les feux pétroliers.
En 2019, affirme le premier ministre Daniel
Kablan Duncan, le pays produira 200 000
barils par jour (b/j), contre environ 32 000 à
38 000 b/j actuellement (les estimations varient) et près de 60 000 b/j en 2008. L’objectif est pour le moins ambitieux et les voisins
n’ont qu’à bien se tenir. Le Ghana surtout,
quatrième producteur ouest-africain, dont
la production avoisine avec les 100 000 b/j,
obtenue à la faveur d’une stabilité politique
depuis le tournant des années quatre-vingtdix. Pas en reste, Accra vise les 250 000 b/j
d’ici 2021.
Après l’entreprise britannique Tullow Oil
Plc. qui a découvert du brut léger courant
2012 au bloc CI-103, la firme pétrolière
Vanco Côte d’Ivoire a annoncé quelques
mois plus tard avoir fait le même type de
découverte au large des côtes ivoiriennes au
bloc CI-401. Les deux pétroliers devaient
mettre à profit 2013 et 2014 pour parfaire
les forages et clarifier les réserves.
Tullow Oil et Vanco Côte d’Ivoire ne sont
pas les seuls protagonistes du projet de développement pétrolier et les découvertes se
multiplient. Le français Total SA et l’américain Anadarko Petroleum Corp. sont aussi
de la partie. En juin 2012, la firme new-yorkaise annonçait avoir trouvé du brut léger
au bloc offshore CI-103, et son vice-président, enthousiaste, estimait qu’il s’agissait-là d’une « découverte confirmant que
le système de ventilation du Crétacé supérieur présent au Ghana s’étendait à l’ouest
en Côte d’Ivoire »… Et créait un nouveau
point d’achoppement entre les deux pays
concernés.
En avril 2013, le groupe français découvrait
36
un gisement offshore également proche
des eaux ghanéennes, lors d’un premier
forage exploratoire du bloc-100, d’un brut
de bonne qualité, à 5 000 mètres de profondeur. Pour rappel, en 2010 Total a racheté
60 % de parts à la compagnie ivoirienne privée Yam’s Petroleum (qui en détient 25 % et
PETROCI 15%).
En novembre suivant, la compagnie privée nigériane basée à Londres Taleveras
se voyait accorder le bloc offshore CI-523,
après avoir acquis un intérêt dans le champ
CI-525 de la firme britannique Afren, jouxtant la frontière avec… le Ghana.
Selon le ministre ivoirien des Mines, du pétrole et de l’énergie, Adama Toungara, 26
blocs sur 51 ont été attribués début 2013 et
12 contrats de partage (dont 4 avec Taleveras) signés.
Quant aux réserves prouvées de la Côte
d’Ivoire, elles s’établissaient en janvier
2013 à 100 millions b/j, portant le pays au
70e rang mondial, indique le World Factbook de la Central Intelligence Agency
(CIA) étatsunienne.
La Côte d’Ivoire et le Ghana doivent désormais préciser les limites de leur frontière maritime, appelée bassin de Tano,
dont les gisements pétroliers sont évalués
à 2 milliards de barils, sans compter les
réserves de gaz. L’ampleur du problème a
été révélée en 2007, lorsque le Ghana a découvert, puis mis en exploitation trois ans
plus tard, un vaste champ pétrolifère au
large de ses côtes, dans ce fameux bassin
de Tano. Il n’a fait que s’accroître par la
suite, à mesure que les forages révélaient
des gisements dans les eaux territoriales
© D.R.
Les ambitions pétrolifères
de la Côte d’Ivoire
de l’un et/ou l’autre pays. Ainsi de Total,
qui précisait dans un communiqué « que
le système pétrolifère (du bassin de Tano),
qui contient notamment le champ Jubilee
au Ghana, s’étend jusqu’au bloc CI-100 »,
donc en Côte d’Ivoire.
Choisissant la voie de négociation, les deux
parties ont mis en place en novembre 2013
une commission mixte chargée de régler le
différend. Début janvier 2014, le ministre
ghanéen des terres et ressources naturelles,
Alhaji Inusah Fuseini, a annoncé sur des
ondes radiophoniques ghanéennes qu’un
comité mixte avait récemment visité le litigieux bassin pour tenter d’en définir les
coordonnées géographiques. « Nous n’allons pas chercher au-delà du ciel. Il y a une
limite qui a été respectée par les deux parties
et qui constitue la base des négociations. Et
même si cette limite a été contestée par la
Côte d’Ivoire, elle servira de point de départ
pour les négociations entre les deux pays »,
a expliqué le ministre ghanéen, soulignant
que toute solution concertée devait respecter les règles figurant dans les conventions
internationales relatives au droit maritime.
Un accord consensuel devrait être trouvé
d’ici juin 2014.
La Côte d’Ivoire voit loin. « Faire de la Côte
d’Ivoire la plaque tournante du commerce
des produits pétroliers, un hub à partir duquel tous les pays de la sous région, voire de
toute l’Afrique, seront desservis en énergie
abondante, propre et bon marché, et hisser
Petroci au rang des grandes compagnies pétrolières du monde ». Ces mots du directeur
général de Petroci éclairent toute l’ambition
de la Côte d’Ivoire.
Marie-Christine Simonet
Enjeuxafricains N°11 février-mars 2014 37
En couverture Côte d’Ivoire
Le rapport Doing Business 2014 de la Banque mondiale, publié le 29
octobre 2013 fait état des progrès remarquables enregistrés par la Côte
d’Ivoire, l’inscrivant au rang des dix économies qui ont le plus amélioré
le climat des affaires en Afrique subsaharienne. En pleine reconstruction
après une crise politique qui a duré dix ans, le pays fait également partie
des vingt économies qui ont le plus reformé la règlementation des affaires
depuis 2009, et des trente et un (31) économies qui ont implémenté au
moins une réforme en 2012-2013.
A une autre échelle, la Côte d’Ivoire est l’une
des trois économies africaines ayant effectué la plus forte progression dans différents
domaines, notamment dans l’exécution de
contrats. Ces performances ont permis au pays
de remonter de dix points dans le classement
Doing Business 2014 passant de la 177ème
place à la 167ème. On peut le dire, c’est une
performance que des pays qui ont connu la
même situation que la Côte d’Ivoire n’ont pas
pu atteindre.
En effet, onze réformes ont été opérées par le
gouvernement en l’espace d’une année et cinq
sont en cours d’achèvement, soit au total seize
réformes inscrites au calendrier 2013, portant
sur six indicateurs au nombre des dix que
compte le Doing Business.
Il s’agit notamment de la création d’entreprise,
l’octroi du permis de construire, l’exécution
des contrats, le commerce transfrontalier, le
transfert de propriété et le paiement des taxes
et impôts. Le premier atelier national Doing
Business avait identifié ces seize projets de
réforme comme étant à même d’améliorer le
classement Doing business 2014 de la Côte
d’Ivoire. L’Objectif est donc atteint. Les premières statistiques le confirment également.
A titre d’exemple, fin décembre, selon les
chiffres officiels du Centre de promotion des
investissements en Côte d’Ivoire, en charge
du Guichet unique des formalités d’entreprises (GUFE), 2535 entreprises avaient été
créées pour un volume d’investissements de
506 milliards de FCFA en 2013. Le GUFE
réunit les services de formalité d’entreprise,
des agréments, des terrains industriels et des
formalités administratives.
38
Quand au Tribunal de commerce en charge
de la résolution des litiges dans le monde des
affaires, il comptabilisait 1260 décisions rendues sur ordonnance de requête au 30 avril
2013 et 3021 au registre des dépôts de statut
pour ce qui relève des inscriptions au registre
de commerce au mois de février 2013.
Pour 2014, sur instruction du premier ministre
Daniel Kablan Duncan, trente-quatre projets
de réformes seront menés à court et moyen
terme. Ces réformes visent à améliorer l’ensemble des dix indicateurs du Doing Business,
alors qu’en 2013, le gouvernement avait opté
pour l’amélioration de seulement six indicateurs.
S’il n’est pas opportun pour l’instant de jeter
des fleurs au gouvernement ivoirien, il faut
toutefois souligner l’engagement et la détermination à faire de la Côte d’ivoire une destination privilégiée pour les affaires. Comme
l’indique lui-même le Chef du gouvernement,
« nous avons une forte volonté politique
d’opérer des reformes significatives ». Ce
qui explique, pourquoi se tiennent tous les 15
jours depuis plusieurs mois, dans le cadre du
Doing Business et du Millénium Chalenge
Corporation (MCC), des réunions rassemblant toutes les parties prenantes du secteur
public et privé.
Reste que, pour gagner le pari de rendre
très attractif l’environnement des affaires et
d’attirer les investisseurs, la Côte d’Ivoire
doit d’abord relever le défi de la transparence et de la bonne gouvernance. Si au
niveau structurel, l’Etat a mis en œuvre
les moyens avec la création du Secréta-
© D.R.
Climat des affaires en Côte d’Ivoire :
Ce qui a changé !
Jean Kacou Diagou, président du patronat ivoirien
riat national à la bonne gouvernance et au
renforcement de capacités (SNGRC) et la
Haute autorité à la bonne gouvernance (pas
encore installée), les investisseurs eux, tout
comme les citoyens, attendent des actions
et des décisions fortes suivies d’effets. Les
rackets, la corruption, le favoritisme et les
insuffisances du système judiciaire à régler
les conflits notamment commerciaux, sont
hélas des phénomènes qui perdurent. Sur
ces différents points, on est encore au stade
des tâtonnements car la campagne de lutte
contre la corruption lancée en juillet 2013
par le SNGRC n’a pas apporté grand changement. De gros contrats publics continuent
d’être passés de gré-à-gré et l’attribution du
marché de la construction du 2e terminal à
containers au groupe Bolloré continue de
susciter des controverses.
Le secteur privé ivoirien a d’autres attentes
que le très fougueux président du patronat ivoirien, Jean Kacou Diagou ne s’est
pas gêné de les exprimer publiquement,
même s’il note des avancées significatives
dans l’amélioration du climat des affaires.
« Nous sommes en déphasage avec l’administration fiscale. Le gouvernement qui
aspire à faire de la Côte d’Ivoire un pays
émergent, attractif, n’allège pas les impôts
des entreprises. En le faisant, il chasse les
investisseurs potentiels. Il faut réfléchir à la
fiscalité car trop d’impôts tuent l’impôt. »
Des propos qui traduisent l’impatience des
acteurs économiques, et le chemin qui reste
à faire pour parvenir à un environnement
des affaires sain et attractif.
Synthia Boko
Enjeuxafricains N°11 février-mars 2014 39
En couverture Côte d’Ivoire
Transport aérien
René Decurey, directeur général d’Air Côte d’Ivoire
« Notre vocation est de transporter et d’assister les
personnes et
les biens selon
les standards
internationaux »
Un an après le lancement d’Air
Côte d’Ivoire, son directeur général
dresse un bilan d’étape et dévoile
les ambitions de cette compagnie
nationale créée sur les décombres
d’Air Ivoire.
40
Un Airbus d’Air Côte d’Ivoire
Les difficultés à obtenir certains droits pour
de nouvelles destinations.
La compagnie profite-t-elle du dynamisme de
l’activité économique en Côte d’Ivoire ?
René Decurey, directeur général d’Air Côte d’Ivoire
tats sont encourageants car nos principaux
concurrents faisaient à leur première année
d’exercice moins de 50% de coefficient de
remplissage et de moins de 20 milliards de
FCFA de chiffre d’affaires. Nous prévoyons
pour l’année 2014 d’augmenter le capital à
65 milliards.
A combien s’élève aujourd’hui le capital d’Air
Côte d’Ivoire ? Quelle est la part détenue par
chacun des actionnaires ?
L’actionnariat initial comportait la partici-
© D.R.
Air Côte d’Ivoire a été créée en mai 2012 à
l’initiative du président Alassane Ouattara.
Après douze mois d’activité, les résultats
de la compagnie se résument comme suit :
une flotte de 4 avions avec l’acquisition
d’un nouvel Airbus 319 en novembre 2013,
la couverture de 19 villes, un taux de ponctualité établi à 85%, le transport de 253 000
passagers, l’atteinte de 70 % de coefficient
de remplissage sur les 4 derniers mois de
l’année. Nous avons ouvert par ailleurs des
bureaux dans la quasi-totalité des capitales
de notre réseau, réalisé un chiffre d’affaires
d’environ 28 milliards de FCFA avec un résultat net négatif, ce qui est conforme aux
prévisions de notre plan d’affaires (Business plan). Ce résultat s’améliorera au
fil des années, mais restera négatif sur les
trois années à venir. L’aviation est un secteur budgétivore, cela est connu et la phase
de décollage – très lourde en investissement – est la période la plus délicate. Pour
2013, le montant de la perte n’est pas encore
connu, car les comptes ne sont pas clôturés.
Toutefois les pertes sont en dessous des
prévisions du plan d’affaires. Ces résul-
© D.R.
Comment se porte Air Côte d’Ivoire ? Quel est
le bilan de l’année 2013 en termes financiers,
commerciaux et techniques ?
pation de l’Etat de Côte d’Ivoire, Air France
le partenaire technique, et le groupe Akfed.
En novembre 2013, le capital a été porté
de 2,5 à 25 milliards F CFA. A la faveur
de cette opération, le groupe Akfed s’est
retiré du capital. Un nouveau groupe privé
Ivoirien, Golden Rod, a décidé d’y entrer
à hauteur de 15%. L’Etat de Côte d’Ivoire
reste toujours majoritaire avec 65% et Air
France, partenaire technique, avec 20%.
Quelles sont les difficultés auxquelles est
confrontée la compagnie ?
Sachant que la Côte d’Ivoire connait une relance économique, nous constatons le nombre
important en termes de passagers enregistrés
par la structure Aeria. Cela démontre bien le
dynamisme économique de notre pays et nous
y travaillons pour bâtir une compagnie pérenne. Nous sommes fiers de constater que Air
Côte d’Ivoire occupe le 1er rang des opérateurs de l’Aéroport Felix Houphouët-Boigny.
Quel sera l’impact du retour de la Banque africaine de développement (Bad) à Abidjan sur le
chiffre d’affaires de la compagnie ?
La Bad étant une structure financière de développement assez importante, son retour
en Côte d’Ivoire aura forcément un impact
positif sur l’ensemble du système économique en général et en particulier dans le
transport aérien. Le retour de cette institution contribuera à la réalisation de notre objectif en termes de passager transporté qui
est de 450 000 passagers en 2014.
ou de marché) en octobre 2013 dont le premier vol a eu lieu le 14 novembre 2013. Ce
qui permet à nos passagers de voyager tous
les jours de la semaine.
Comment comptez-vous rendre plus dynamique le hub d’Abidjan pour remplir les vols à
destination notamment de l’Afrique centrale ?
Quel type de clientèle vise Air Côte d’Ivoire ?
Pour l’année 2014, la compagnie compte
renforcer sa flotte, ce qui permettra éventuellement d’offrir aux passagers, une croissance des vols de 47%, donnant plus de possibilité et de choix aussi bien en Afrique de
l’Ouest qu’en Afrique centrale. L’ouverture
de nouvelles destinations depuis décembre
2013 et janvier 2014 et le renforcement des
vols du proche régional y contribueront.
Il existe des synergies avec Air Burkina. Comment travaillez-vous avec cette compagnie du
groupe Agha Kahn ?
Avec Air Burkina, nous avons procédé à la
signature d’un codeshare (partage de code
La compagnie s’est donnée pour vocation
de transporter et d’assister les personnes et
les biens selon les standards internationaux.
Elle veut faciliter la mobilité des populations tant sur le plan national que continental, et participer ainsi au développement
économique et social de la région. Air Côte
d’Ivoire vise l’ensemble des passagers souhaitant se déplacer en Afrique.
A combien s’élèvent les effectifs de la compagnie fin 2013 ?
Les effectifs atteignaient fin décembre 287
personnes dont 28 pilotes, 66 hôtesses et
stewards et 20 techniciens avion.
Propos recueillis par Jean Mathis Foko
Enjeuxafricains N°11 février-mars 2014 41
En couverture Côte d’Ivoire
Interview
Affoussy Bamba Lamine, ministre de la Communication
« Les journalistes doivent faire preuve de modération
et de professionnalisme pour éviter de raviver les
tensions et les rancœurs »
Depuis une dizaine d’années, la
presse ivoirienne est fortement traversée par des clivages politiques
et idéologiques et les journaux ont
joué un grand rôle dans l’exacerbation de la crise que la Côte d’Ivoire
a connue.
En vous nommant ministre de la Communication, quels ont été les objectifs qui vous ont
été assignés par le président de la république
et le premier ministre ?
Les objectifs qui m’ont été assignés par le
Président de la République et le Premier
Ministre découlent des attributions de mon
département ministériel. En effet, conformément au décret portant attributions des
Membres du Gouvernement, le Ministère de
la Communication est chargé de la mise en
oeuvre et du suivi de la politique Du Gouvernement, en matière de communication
sur l’ensemble du territoire national.
A ce titre, sa mission consiste entre autres, à :
- assurer le droit à l’information pour tous
ceux qui vivent en Côte d’Ivoire ;
- promouvoir une information libre, rigoureuse et professionnelle ;
- offrir une meilleure visibilité à l’action
gouvernementale aux plans national et international ;
- contribuer au rayonnement de l’image de
la Côte d’Ivoire à l’extérieur.
La presse ivoirienne est toujours marquée par sa vitalité et sa diversité, même si
42
© D.R.
Quel est l’état des lieux de la presse ivoirienne
aujourd’hui ? Peut-on dire que les journalistes
ont tiré les leçons de la crise et sont résolument engagés dans la politique de réconciliation nationale prônée par les autorités ?
Affoussy Bamba Lamine, ministre de la Communication
le nombre de titres proposés aux lecteurs a
considérablement diminué par rapport à celui
qu’on dénombrait dans les années 90. Cette
période d’éclosion de titres a été qualifiée de
« printemps » de la presse dans notre pays. En
effet, suite à l’avènement du multipartisme
en 1990 en Côte d’Ivoire, on a enregistré à
l’époque plus d’une centaine de titres, toutes
périodicités confondues, contre une vingtaine
de titres aujourd’hui.
Au fil du temps, de nombreux titres ont disparu par le fait de la loi de la concurrence et
ceux qui ont survécu jusqu’à ce jour, participent à leur façon à la promotion de la démocratie. Véritable baromètre de la société,
la presse ivoirienne est également confrontée
aux mêmes difficultés que toutes les presse
du monde, notamment la montée en puissance de la presse en ligne dont le corollaire
est la réduction des ventes. Les crises successives qu’a connues la Côte d’Ivoire ayant
accentué les problèmes précités, le Président
de la République, Son Excellence Monsieur
Alassane OUATTARA et le Gouvernement,
par le biais du Fonds de Soutien et de Développement de la Presse (FSDP), apporte
chaque année à la presse ivoirienne un appui
conséquent aux plans financier, matériel et
de la formation. Concernant le rôle de cette
presse dans les crises vécues par notre pays,
celle-ci en a été à la fois un acteur et une victime. En effet, les journalistes locaux se sont
tristement illustrés par des écrits enflammés
et des dérives langagières qui ont exacerbé la
haine, la division et la fracture entre les ivoiriens. Cette attitude leur a valu la destruction
partielle ou totale de plusieurs rédactions
lors desdites crises. Conscient de leur part
de responsabilité dans ces crises répétées,
les acteurs du secteur des médias ivoiriens
se sont engagés dans le processus de réconciliation nationale, même si certains d’entre
eux continuent de s’adonner à des pratiques
journalistiques éhontées. Cette implication
de nos professionnels de la presse et de la
communication n’étant pas encore totale, je
saisis toutes les occasions pour les exhorter
au respect des règles d’éthique et de déontologie de leur métier et tirer les enseignements
des dix (10) dernières années de crises que
nous avons vécues. A l’instar des autres ivoiriens, nos journalistes doivent prendre une
part active dans la sensibilisation des populations à la paix, la réconciliation nationale et
la cohésion sociale.
Vous qui êtes ministre de la communication,
quel doit être le rôle des médias dans des
Etats en situation de post-conflit comme celle
de la Côte d’Ivoire ?
Outre les actions indiquées ci-dessus, les
journalistes en particulier et les professionnels des médias en général, d’un pays
comme la Côte d’Ivoire qui sort d’un conflit,
doivent faire preuve de modération et d’un
professionnalisme à tous égards, pour éviter
de raviver les tensions et les rancoeurs.
En d’autres termes, ils doivent privilégier
dans leurs écrits et reportages le bon ton,
l’objectivité et l’intérêt de la nation, et non
rechercher le sensationnel et l’affrontement.
Cela est valable aussi pour la Côte d’Ivoire
que pour n’importe quel pays sortant de
crise. Au total, les professionnels de notre
presse et de la communication doivent revenir aux missions traditionnelles qui leur sont
dévolues, à savoir informer, éduquer, divertir les populations ivoiriennes. En agissant
ainsi, ils participeront à la réconciliation
nationale et à la reconstruction, voire au développement de notre pays et contribueront
à redorer son image.
L’association Reporters sans frontières s’est
inquiétée récemment du climat d’intimidation
qui pèse sur les journalistes ivoiriens après
l’assassinat le 14 novembre 2013 de Désiré
OUE, rédacteur en chef de la revue Tomorrow
Magazine et l’enlèvement le 19 novembre
2013 de Dieudonné Tadé, journaliste au quotidien Le Nouveau Réveil. Faut-il craindre pour
la sécurité des journalistes dans votre pays ?
D’emblée, je voudrais réitérer mes regrets à
propos des tristes et douloureux événements
dont vous faites mention. Je rappelle que
dès leur survenance, je me suis rendue dans
la famille du journaliste feu Désiré OUE et
au chevet de Dieudonné TADE, pour présenter au premier cité nos condoléances
et au second pour lui exprimer toute notre
compassion. S’agissant du défunt Désiré
OUE, la famille éplorée et les enquêtes policières confirment la thèse du braquage dont
l’intéressé a été victime. Aucun journaliste
ne fait l’objet d’intimidations de la part du
Gouvernement qui demeure profondément
attaché à la liberté de la presse. Je précise à
toutes fins utiles que le regretté journaliste
faisait partie d’une communauté religieuse
et oeuvrait en faveur des jeunes. A ce titre, il
était très apprécié au point où il a été associé
par le Conseiller du Président de la République chargé de la jeunesse et des sports, à
l’organisation au dernier trimestre de 2013
du forum sur la jeunesse. Sa disparition brutale a été donc un choc tant pour moi que
pour la grande famille des médias. Quant
au second journaliste Dieudonné TADE, il
a été victime d’un enlèvement perpétré par
des inconnus, dans la même période, pour
des raisons non encore élucidées à ce jour
par la Police. Certes, ces actes ont provoqué quelques remous dont la presse en a
fait l’écho, mais fort heureusement, il y a eu
plus de peur que de mal.
La sécurité étant l’une de ses préoccupations
majeures, le Président de la République, a
instruit le Gouvernement afin de tout mettre
en oeuvre pour rassurer la population dans
toutes ses composantes. A cette fin, d’importants moyens ont été mis à la disposition
des forces de défense et de sécurité pour
assurer la protection des populations et leur
permettre ainsi de vaquer paisiblement à
leurs activités professionnelles.
Comparativement à la situation dans les pays
voisins, la Côte d’Ivoire accuse un retard dans
la libéralisation du secteur de la communication ? Comment expliquez-vous un tel retard ?
Avez-vous un agenda dans ce sens ?
Contrairement à ce que vous affirmez, la
Côte d’Ivoire a entamé la libéralisation
du secteur de la Communication depuis
1990. En effet, outre la presse écrite dont
l’éclosion remonte à la date indiquée, le
secteur de l’audio a entamé son processus
de libéralisation en 1992, avec l’ouverture
de la bande FM à de nombreuses radios.
La personnalité ivoirienne qui a procédé à
cette libéralisation, est l’actuel Président
de la République, Son Excellence Monsieur Alassane OUATTARA, lorsqu’il était
Premier Ministre. Aujourd’hui, notre pays
compte au moins une centaine de radios
commerciales, confessionnelles et de proximité. Pour ce qui est de la libéralisation de
l’espace télévisuel, vous conviendrez avec
moi qu’elle n’était pas une urgence sortir de
la crise, mais c’était plutôt la sécurité des
populations, la réhabilitation des centres de
santé, la reconstruction des établissements
d’enseignement détruits. Eu un mot, il s’est
Enjeuxafricains N°11 février-mars 2014 43
Plusieurs associations de journalistes plaident pour la dépénalisation des délits de
presse. Quel est votre avis sur ce sujet ?
A ces associations, je fais observer qu’en
Côte d’Ivoire, l’article 68, alinéa 1 de la loi
n° 2004 – 643 du 14 décembre 2004 portant
régime juridique de la presse dispose que «
la peine d’emprisonnement est exclue pour
les délits de presse ». Cela signifie que depuis 2004, les délits de presse sont dépénalisés en Côte d’Ivoire, à l’exception de ceux
visés à l’article 69 de la même loi. En effet,
les journalistes ne sont pas exemptés de
poursuites ni d’emprisonnement s’ils se rendent coupables de crimes de droit commun.
J’ajoute que pour vulgariser les dispositions
législatives précitées, j’ai pris une circulaire
dans ce sens, dont tous les organes de presse
ont reçu copie.
Quelles sont les mesures prises par votre département pour soutenir les entreprises de presse
et renforcer les capacités des journalistes ?
Mon département ministériel oeuvre pour
le renforcement des capacités des journalistes, pour une plus grande professionnalisation des médias et le développement de
la formation initiale. Dans ce cadre, le Gouvernement, par le canal du Fonds de Soutien
et de Développement de la Presse (FSDP),
a consacré de 2011 à 2013 un milliard cent
quatre-vingt-quatorze millions neuf cent
44
Le siège de la RTI au sortir de la guerre
cinquante et un mille neuf cent soixantedeux (1 194 951 962) FCFA dont sept cent
vingt-six millions (726 000 000) de FCFA
au titre de la seule année 2013. Ces appuis
financiers ont été affectés aux entreprises
de presse, aux organisations professionnelles, au renforcement des capacités des
professionnels des médias et à l’augmentation du fonds de garantie. La formation
initiale a été également prise en compte par
le renforcement des moyens de l’Institut
des Sciences et Techniques de la Communication (ISTC) dont l’amphithéâtre de cinq
cent soixante (560) sera achevé cette année
de 2014. Pour moi, cette formation initiale
permettra d’assurer la relève dans le secteur
des médias dont la qualité en dépendra.
En 2015, aura lieu une élection présidentielle.
Comment comptez-vous accompagner les
médias pour une meilleure couverture médiatique de la campagne, avant, pendant et après
le scrutin ?
Le Ministère de la Communication s’appuie
sur deux (2) organes de régulation qui ont en
la matière une expertise avérée. En effet, en
Côte d’Ivoire, ce sont les organes de régulation du secteur des médias que sont la Haute
Autorité de la Communication Audiovisuelle
(HACA) et le Conseil National de la Presse
(CNP) qui veillent au respect des textes régissant le secteur des médias, en toutes périodes
y compris celle des élections, conformément
aux missions à eux dévolues.
En tant que premier responsable des médias,
considérez-vous que les médias en général et
les médias publics en particulier comme Fraternité Matin et la RTI, accomplissent convenablement leurs missions ?
Les médias d’Etat en Côte d’Ivoire, notamment le quotidien Fraternité Matin,
la Radiodiffusion Télévision Ivoirienne
(RTI) et l’Agence Ivoirienne de Presse
(AIP) sont à placer sous ma tutelle. Aussi,
puis-je affirmer que les trois (3) médias
publics susvisés font d’énormes efforts
pour répondre aux attentes des lecteurs,
auditeurs et téléspectateurs en leur servant des programmes variés et attractifs.
Au regard du bond qualitatif fait par lesdits médias publics, en si peu de temps
depuis l’accession au pouvoir d’Etat en
avril 2011 du Président de la République,
je ne peux que leur marquer ma satisfaction. Cependant, étant donné que beaucoup reste encore à faire pour que ces médias publics deviennent des médias plus
modernes et des médias d’excellence,
à l’instar de ceux des pays développés,
j’invite leurs dirigeants à ne pas dormir
sur leurs lauriers. Mieux, après cinquante
(50) ans d’existence, ils doivent relever
les nombreux défis du professionnalisme,
de la concurrence, du numérique et des innovations technologiques à venir.
En 2015, la télévision analogique disparaitra
au profit de la télévision numérique terrestre
(TNT) et en 2020 pour la radio. La Côte d’Ivoire
sera-t-elle prête pour ce rendez-vous technologique et culturelle ? Pour votre pays, quels
sont les enjeux de l’avènement de la TNT ?
La Côte d’Ivoire s’est résolument engagée à réussir à la date butoir du 17 juin
2015 son passage de l’analogique au numérique. En témoigne le coup d’accélérateur donné au processus de transition, par
la mise en place du Comité National de
Migration vers la Télévision Numérique
de Terre (CNM-TNT) et la nomination du
Secrétaire Exécutif de la TNT. Aussitôt,
des missions d’imprégnation sur la TNT
ont été entreprises par une délégation du
Ministère de la Communication dans un
certain nombre de pays qui ont procédé
et réussi leur processus de passage. Cette
transition vers la TNT en Côte d’Ivoire offrira de nombreuses possibilités techniques
et contribuera au développement de la Télévision dont la qualité des images et du
son seront meilleures.
Propos recueillis par Joachim Vokouma
Mode
Pathé’o,
un styliste
indémodable
Styliste modéliste de renommée internationale, Pathé Ouédraogo, alias
Pathé’O entend profiter du Forum Investir en Côte d’ Ivoire pour séduire
de nouveaux clients et sensibiliser les
pouvoirs publics sur les opportunités
d’emplois que représente le secteur
de la mode.
Dans sa boutique mère de Treichville avenue 19 rue 22 barrée où il est installé depuis 1987, la journée de Pathé Ouédraogo
est sans répit. Le créateur des fabuleuses et
célèbres chemises ont conquis de nombreux
chefs d’Etats africains dont le défunt Nelson
Mandela, Laurent Gbagbo et des personnalités du show-business. Lorsque nous lui
avons rendu visite, il venait de terminer une
séance de travail avec des clients angolais,
venus passer des commandes pour de hauts
responsables du régime.
L’année 2013 a été fructueuse pour lui : de
nombreux voyages et de défilés à travers le
monde, notamment à Dakar et à Montréal
où il a participé au Forum Africa et où il a
reçu une nouvelle distinction.
Passionné par son métier, Pathé milite pour
faire de la mode africaine une activité, non
plus individuelle, artisanale, mais un secteur d’activité industrialisé, à l’image de
ce qui se passe en Occident. « Chez nous,
la mode africaine est strictement réservée
au créateur », se désole t-il, alors qu’elle
devrait être avant tout une activité économique qui intéresse les investisseurs et les
pouvoirs publics.
Bien que très proche des Chefs d’Etats, il
regrette que ces derniers n’aient pas encore pris la pleine mesure de la place que
peut occuper la mode dans la création de
Pathé’o, le créateur des célèbres chemises “présidentielles”
richesses et la lutte contre le chômage des
jeunes. Au même titre que l’agriculture et
les mines, la mode peut aussi rapporter plus
que des dividendes aux Etats parce qu’elle
ne tient pas seulement qu’aux vêtements,
mais prend en compte la maroquinerie, la
parfumerie, les accessoires de beauté, la décoration, etc. Autant de métiers dignes d’un
secteur économique porteur.
Gagner ce pari passe selon lui par un changement en profondeur des mentalités. En
quatre décennies de métier, ce grand styliste est un peu choqué de constater que
les Africains ont un complexe à mettre des
vêtements africains, préférant dépenser
des fortunes pour se mettre aux standards
occidentaux. A commencer par les Chefs
d’Etats, les dirigeants, les chefs d’entreprises, mais aussi la jeunesse africaine
dont la garde robe ne comporte quasiment
aucune pièce africaine. Excepté quelques
figures, la situation n’est pas meilleure
chez les artistes africains qui ont pourtant la
© D.R.
agi de reconstruire tous les systèmes sociaux
de base et c’est ce que nous avons fait. Aujourd’hui, avec le retour à la normalité, nous
préparons le passage au numérique. On ne
peut donc pas en même temps, permettre l’ouverture de l’espace audiovisuel en analogique.
En effet, il est important pour nous d’effectuer
d’abord cette transition au numérique et de
créer toutes les conditions en amont, de sorte
que, dès le basculement, nous enclenchions
en même temps la libéralisation de l’espace
télévisuel. Par conséquent, il ne faut pas faire
de fixation sur la date à laquelle cette libéralisation interviendra, mais plutôt être attentif au
processus devant nous y conduire. Au demeurant, ce processus qui a été déjà entamé avec
la mise en place de la Commission d’appel
d’Offres et d’appel à candidature, sera mené à
terme pour que les populations aient le choix
entre plusieurs chaines de télévision.
© D.R.
En couverture Côte d’Ivoire
chance et l’opportunité de se produire sur la
scène internationale, et donc de valoriser les
productions africaines.
Dans un tel contexte, le Forum ICI 2014
où sont annoncés plus de 2000 investisseurs est une réelle opportunité que Pathé
compte saisir pour vanter l’authenticité de
ses créations, exposées dans son réseau de
boutiques et sur le site du Forum.
Si pour Pathé, l’ambition de faire de la
mode une activité de type industriel semble
pour l’instant hors de portée, elle ne relève cependant pas de la pure fiction. Il
est même convaincu que la Côte d’Ivoire,
qui est un des principaux pays producteur
de coton en Afrique de l’Ouest et dispose
d’unités de transformation, peut donner
l’exemple et être un laboratoire si l’Etat se
décidait à faire baisser les coûts des facteurs de production
Synthia Boko
Enjeuxafricains N°11 février-mars 2014 45
Economie Chronique
L’accord de l’OMC
à Bali : Vers un renouveau du multilatéralisme ?
Hakim Ben Hammouda.
Depuis le lancement du cycle de
Doha en 2001, les négociations
au sein de l’OMC sont restées bloquées, tant les divergences entre
pays membres semblent insurmontables. L’accord de Bali début
décembre est-il un signe annonciateur de nouvelles négociations ?
Tôt dans la matinée du samedi 7 décembre,
à Bali, c’est au terme d’une réunion de la
dernière chance que le nouveau directeur
général de l’Organisation mondiale du
commerce (OMC), le brésilien Roberto
Azevêdo est venu s’exprimer à la cérémonie de clôture avec un large sourire :
« Mesdames et Messieurs, j’ai l’immense
plaisir d’annoncer que pour la première
fois de notre histoire, l’OMC a réellement
tenu ses promesses ». Cette réunion des ministres du commerce avait commencé le 3
décembre dans l’île indonésienne de Bali
et devait se terminer le vendredi à 18h00.
Mais, il a fallu prolonger de quelques heures
afin d’aboutir à l’arraché au premier accord
commercial depuis 1994. Une prolongation
qui s’est avérée utile car elle a permis aux
pays membres de parvenir à un accord qui
donnera un nouveau souffle à l’OMC et relancera un multilatéralisme resté moribond
depuis quelques années. Faut-il le souligner,
l’OMC n’est jamais parvenue à faire des
progrès sur le nouveau cycle de négociation lancé en 2001 à Doha. Ce cycle était
pourtant très important pour les pays en
développement qui en avaient fait un cycle
de développement, car il devait corriger les
inégalités produites par la globalisation et
favoriser une plus grande prise en compte
des critiques et des reproches formulés à
l’encontre de l’ordre global. Ce nouveau
cycle de négociation devait prendre en
compte leurs intérêts sur des questions aussi
importantes que les échanges des produits
agricoles, les produits industriels ou les ser-
46
du cycle de négociation en 2001 et l’état
du monde aujourd’hui. En effet, le pouvoir
des économies développées, même affaibli,
était encore important et ils étaient prêts à
accorder des avantages aux pays en développement. Mais, quelques années plus tard,
la donne avait beaucoup changé avec l’arrivée des pays émergents qui sont devenus de
véritables concurrents des pays développés.
Les inquiétudes face à la globalisation ont
changé de camp. Face à un Occident dont
le poids économique et politique est remis
en cause, on a assisté à l’éruption de pays
émergents beaucoup plus dynamiques qui
deviennent progressivement la locomotive
de la croissance globale.
Ce changement de rapport de forces a été
renforcé par la crise récente qui a touché
de plein fouet les pays développés. Dans
ce contexte, les négociations sont devenues
plus difficiles car les pays développés ont
conditionné leurs concessions dans le secteur agricole à une véritable ouverture des
marchés des pays émergents à leurs impor-
vices. En même temps, il devait renforcer le
traitement spécifique en faveur des pays en
développement et particulièrement les plus
pauvres d’entre eux.
Ce cycle a connu les plus grandes difficultés
depuis son lancement, et de reports aux blocages, de crises en psychodrame, le cycle de
Doha n’a cessé de s’enliser, ce qui remettait
en cause la crédibilité de l’OMC. Faute d’un
accord global, on a assisté à une multiplication des accords régionaux et bilatéraux,
ce qui a progressivement rogné le rôle du
multilatéralisme dans l’ordre global. Mais,
en même temps, les difficultés de parvenir
à un accord rapide sur les questions du développement a été à l’origine d’un déficit
de légitimité de l’OMC auprès des pays en
développement. A ce niveau, l’échec des
négociations sur le coton et leur intégration dans les négociations plus globales et
difficiles à aboutir que sont les questions
agricoles étaient perçus par beaucoup, no-
tamment les ONG et la société civile internationale comme le signe de l’incapacité de
cette institution à défendre les pauvres paysans africains devant les intérêts des grands
exploitants de coton. En particulier aux
Etats-Unis et en Europe où les producteurs
bénéficient de subventions importantes, ce
qui fausse la concurrence internationale et
pénalise les producteurs africains.
Plusieurs raisons expliquent cet échec et
les difficultés que rencontre l’OMC, à commencer par la complexité des sujets de négociation. Il faut également mentionner la
règle de négociation plus connue sous le
nom de « single undertaken », qui signifie
qu’un accord ne peut être atteint sur un dossier tant que les autres dossiers ne sont pas
réglés. Mais, au-delà de ces aspects techniques, c’est aussi la question politique qui
explique cette impasse à l’OMC. A ce niveau, on mentionne un changement majeur
du contexte international entre le lancement
tations des produits manufacturiers. Ces exigences et la fermeté des différents groupes
ont été à l’origine du blocage du cycle de
Doha depuis son lancement en 2001.
Pour ces raisons, la réunion ministérielle de
Bali était importante non seulement pour le
cycle de Doha mais aussi pour l’avenir de
l’OMC et le multilatéralisme en général.
Afin d’assurer les conditions de réussite de
cette conférence, les pays membres ont décidé d’extraire du cycle de négociation une
série de questions sur lesquelles ils étaient
proches d’un accord. Ainsi, le paquet de
Bali ne comprenait que trois questions.
D’abord, la facilitation des échanges avec
l’objectif de simplifier les procédures douanières afin d’accélérer les échanges entre les
pays ; ensuite les propositions touchant les
subventions agricoles, l’idée étant de parvenir à la flexibilité de certaines règles, notamment celles liées à la constitution de stocks
alimentaires. Cette question est au cœur des
préoccupations de certains pays notamment
l’Inde qui en fait un élément essentiel dans
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sa revendication du droit à l’alimentation, et
souhaite par l’introduction de cette flexibilité éviter les différends au sein de l’OMC.
Enfin, les dispositions relatives au développement qui contiennent peu de règles
contraignantes.
Le paquet de Bali ne représente que le
dixième des sujets en négociation dans le
cadre du cycle de Doha. Par ailleurs, il ne
contient que des questions qui font l’objet
d’un important consensus entre les pays
membres. Mais, en dépit de ces précautions,
l’accord n’a pas été facile à trouver et malgré ses limites, il a une importante valeur.
D’abord, il redonne un nouveau souffle à
l’OMC pour reprendre les négociations sur
des questions aussi controversées que l’accès au marché, les échanges agricoles et les
services. Par ailleurs, cet accord redonne
espoir au multilatéralisme en difficulté depuis plusieurs années et permet d’envisager
l’avenir avec plus de confiance sur d’autres
questions, notamment le changement climatique et les migrations.
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Enjeuxafricains N°11 février-mars 2014 47
Economie Commerce
Commerce UE/ACP
l’Ouest et l’Afrique centrale n’ont pas encore atteint ce niveau d’ouverture dans les
négociations. Nous devons étudier en détail l’offre de la CEDEAO avant de tirer
des conclusions sur son contenu. En ce qui
concerne l’Afrique centrale, des progrès
sont attendus dans l’ouverture du marché
des marchandises lors de la prochaine actualisation du mandat de négociation.
En dehors du Cariforum qui a signé un accord complet APE, mais sans Haïti, quel est
l’état actuel des négociations avec les autres
régions de l’Afrique, CEDEAO, CEEAC, SADC,
COMESA ?
L’accord avec la région ESA (Zimbabwe,
Maurice, Madagascar et Seychelles) est ratifié et mis en œuvre, de même qu’avec le
Pacifique y compris par la Papouasie Nouvelle Guinée. Pour le reste, les négociations
se poursuivent et plusieurs d’entre elles
devraient aboutir en 2014. C’est dans cette
optique que le Commissaire De Gucht a effectué en juillet et novembre dernier deux
visites en Afrique.
Les négociations avec la CEDEAO, la
SADC et EAC sont bien avancées. La plupart des questions techniques ont été résolues et des réunions ministérielles seront
organisées prochainement pour faciliter la
conclusion rapide de ces accords.
En Afrique centrale, le président en exercice de la Communauté économique et
monétaire d’Afrique centrale (CEMAC)
48
John Clancy, porte-parole du Commissaire européen chargé du commerce.
et le secrétaire général de la Communauté
économique des Etats d’Afrique centrale
(CEEAC) ont fait savoir récemment à la
commission de l’Union européenne, que la
partie Afrique centrale souhaitait reprendre
les négociations et les faire aboutir rapidement. Cependant, la situation politique en
République centrafricaine perturbe le fonctionnement de la CEMAC et le travail des
responsables de la région en charge des négociations.
Les négociations achoppaient notamment
sur les Services, la protection des droits de
propriété intellectuelle et sur le niveau d’ouverture des marchés ACP aux produits européens. Sur ces différents points, quelles sont
les nouvelles propositions de part et d’autre
qui sont sur la table des négociations?
Pour ce qui concerne les services, la situation varie selon les régions. Par exemple, il
y a une bonne progression dans les négociations avec le COMESA et avec l’Afrique
centrale où le texte est bouclé. Avec la
SADC, les négociations sur les services et
l’investissement viennent de commencer.
Avec la CEDEAO, l’accord en cours de
négociation contient une clause de rendezvous pour les services.
Dans le domaine de la propriété intellec-
tuelle, la situation est très variable selon les
régions. Certaines sont plus préoccupées
que d’autres par cette question. Par exemple,
avec la SADC on vient de conclure les chapitres sur la protection de la propriété intellectuelle, alors qu’en Afrique centrale ou en
Afrique de l’Ouest, le thème de la propriété
intellectuelle n’a pas encore été abordé.
La CEDEAO proposait une ouverture de 60%
de son marché sur 15 ans, alors que l’Union
européenne en réclamait 80% sur 20 ans. A
présent, il semble que la CEDEAO propose
une ouverture à 75%. Quelle est la position de
l’Union européenne sur cette offre?
Le niveau d’ouverture des marchés ACP aux
produits européens doit respecter les règles
de l’Organisation mondiale du commerce
(OMC) qui exigent que les accords de libreéchange couvrent substantiellement tout le
commerce entre les parties. Ce niveau d’ouverture doit être également suffisant pour
avoir un impact positif sur les échanges et
la compétitivité des produits africains. Mais
plus que le niveau d’ouverture, ce qui est
important, c’est le potentiel en matière de
développement des offres qui sont proposées par les pays ACP. Plusieurs partenaires
ACP se sont engagés au-delà de 80%, alors
que certaines régions comme l’Afrique de
Que se passera t-il en cas de non signature
des APE au 31 janvier 2014 pour les pays
classés dans la catégorie Pays moins avancés (PMA), environ une quarantaine sur 79,
qui bénéficiaient du régime “ Tout sauf les
armes ” (TSA) ?
Rien, ils vont continuer à bénéficier du libre
accès au marché européen sur la base du régime « Tout sauf les Armes » qui est une
composante du Système des Préférences
Généralisé (SPG).
Quant aux pays comme la Côte d’Ivoire, le
Ghana, le Cameroun, qui appartiennent à la
catégorie des pays à « revenu moyen inférieur » selon la classification de la banque
mondiale, ils continueront à être couverts
par le SPG à moins qu’ils ne signent et ne
ratifient un APE. Ces pays peuvent aussi
postuler pour le SPG+ s‘ils y sont éligibles
parce qu’il donne des avantages supplémentaires aux pays qui ratifient et mettent
en œuvre 27 conventions internationales sur
le développement durable.
Certains pays ACP se plaignent du fait que
l’Union européenne a unilatéralement fixé une
date butoir pour la signature des APE en janvier 2014, comme ce fut le cas dans le passé.
Que leur répondez-vous ?
Il n’y aucune date butoir sauf celles que
pourraient se fixer les parties d’un commun
accord. Au 1er janvier 2014, le nouveau régime SPG est entré en vigueur. Il concerne
176 pays et n’est en rien lié aux négociations APE. En revanche, le Règlement
n° 1528/2007 qui donne le libre accès au
marché européen aux pays ACP qui ont
paraphé des APE, a été modifié par le Règlement n° 527/2013 qui réserve un tel
accès aux pays qui ont pris les mesures nécessaires pour la ratification de leurs APE.
Cette modification entrera en vigueur le 1er
octobre 2014.
© D.R.
Initialement prévue pour décembre
2007, la signature des Accords de partenariats économiques entre l’Union
européenne et les pays d’Afrique,
des Caraïbes et du Pacifique avait
été reportée à une date ultérieure,
les deux parties n’ayant pas réussi
à surmonter leurs divergences. Début janvier 2014 les négociations ont
repris mais rien ne garantit qu’elles
aboutissent. Etat des lieux avec John
Clancy, porte-parole du Commissaire
européen chargé du commerce.
© Commission union européenne
Les APE
à nouveau
sur la table des
négociations
Les acP redoutent la concurrence des produits européens.
A partir de cette date, les pays qui n’auront
pas ratifié leur accord pourront bénéficier
néanmoins des régimes offerts par l’UE à
ses différents partenaires en fonction de leur
niveau de développement (TSA, SPG).
La crainte des pays africains était motivée
par le fait qu’à leurs yeux, le volet Développement n’était assez pris en compte dans les
négociations et ils redoutaient de perdre des
recettes douanières qui ne seraient pas compensées. Ces inquiétudes vous paraissentelles justifiées ou pas? Les négociations en
cours actuellement tiennent-elles compte de
ces inquiétudes ?
Les négociations en cours actuellement tiennent compte de ces inquiétudes, notamment
par le calibrage asymétrique dans l’ouverture
des marchés et dans la mise en œuvre des accords, par l’exclusion des produits sensibles et
par de nombreuses adaptations spécifiques au
cas des pays ACP notamment en matière de
sauvegardes. Le soutien financier de l’UE en
appui à la préparation et la mise en œuvre des
accords sont une garantie pour que les accords
bénéficient pleinement aux pays et régions qui
feront le choix d’un nouveau partenariat gagnant-gagnant avec l’UE. En outre, à moyen
et long terme, la perte éventuelle des recettes
douanières sera résolue par les mesures
d’adaptation fiscale indispensables à la réussite des APE et par la croissance économique
liée à la mise en œuvre de ces accords.
Le monde rural représente près de 80% de la
population des pays ACP et les organisations
paysannes redoutent que leurs productions
ne soient mises à mal par les exportations européennes comme on a pu le constater avec
les poulets congelés européens subventionnés sur le marché camerounais en 2005. Ces
craintes demeurent. Que leur répondez-vous ?
Ces dernières années, la politique agricole
commune a été largement reformée et il
n’y a quasiment plus de subventions européennes à l’exportation dans le cadre de la
nouvelle politique agricole commune. Avec
les APE, les pays ACP peuvent décider
d’exclure n’importe quel produit alimentaire ou agricole de la libéralisation dans le
cadre des négociations APE. Par ailleurs, les
APE contiennent des clauses de sauvegarde
qui peuvent être très facilement déclenchées
et mises en œuvre en cas de menace ou de
risques de menace sur les produits domestiques. Certains APE vont même loin en
prévoyant des clauses de sauvegarde spécifique en matière de sécurité alimentaire.
Interview réalisée par Joachim Vokouma
Enjeuxafricains N°11 février-mars 2014 49
Economie Entreprise
Younoussa Sanfo,
expert en sécurité
informatique, directeur
général d’Intrapole
Pour les individus, comment se protéger quand
on utilise le téléphone portable et l’Internet ?
En quoi consiste l’expertise en sécurité informatique dont votre société est spécialisée ?
Entreprise spécialisée en sécurité informatique et en investigation électronique,
Intrapole, qui est basé à Ouagadougou, au
Burkina Faso, assiste les entreprises qui
souhaitent se protéger contre les risques
informatiques ; nous faisons aussi de la
formation et la sensibilisation sur la sécurité électronique. Pour la protection des
données, nous mettons en place des outils de protection et formons les gens afin
qu’ils puissent les utiliser efficacement, car
en réalité, 70% des problèmes de sécurité
proviennent des comportements humains.
Nous formons les utilisateurs ordinaires et
même les informaticiens, car contrairement
à ce qu’on peut penser, ces derniers sont
parfois les maillons faibles des entreprises
quant il s’agit de sécurité informatique.
Quant à l’investigation électronique, nous
intervenons en cas de problème pour chercher à savoir ce qui s’est passé ; en gros,
50
© D.R.
Ancien fonctionnaire de police reconverti dans la sécurité informatique, Younoussa Sanfo analyse les
nouvelles menaces nées des technologies de l’information et propose
des solutions pour y faire face
© D.R.
« 70% des
problèmes de
sécurité
proviennent des
comportements
humains »
Younoussa Sanfo, directeur général d’Intrapole
nous faisons sur les ordinateurs, les logiciels et les réseaux, ce que fait la police
quand elle est saisie d’un problème.
Les investigations portent notamment sur
les attaques sur les réseaux locaux, à travers
Internet, les dénis de services, contre les
connexions Wifi, les courriels (e-mails), les
cybercrimes et les atteintes aux personnes
(incidents sur le harcèlement sexuel etc.)
Nous enquêtons aussi sur l’espionnage industriel, la pornographie enfantine et sur
bien d’autres sujets liés aux technologies de
l’information et de la communication.
Quelles sont les menaces contre lesquelles il
faut se protéger ?
Pour se protéger, les entreprises doivent
connaitre les menaces, les vulnérabilités,
car tout le monde n’est pas concerné par les
mêmes menaces. Quand on est en France,
la menace peut être une tempête de neige,
mais pas pays dans un pays sahélien. Quant
à la vulnérabilité, il faut aussi l’identifier,
savoir si on est concerné et comment l’évaluer. Une fois que ce travail est fait, il faut
choisir les dispositifs selon la taille de l’entreprise, ses réalités, des dispositifs qui correspondent à la menace contre l’entreprise.
Par exemple, une banque peut-être la cible
d’une attaque de personnes malveillantes
qui veulent affaiblir le système informatique
et pouvoir faire des opérations indues. Ces
attaques sont de plus en plus fréquentes et
concernent aussi les entreprises qui ont des
bases de données à valeur ajoutée. Il faut
donc se protéger contre l’intrusion, sans oublier d’assurer la disponibilité du système.
Si je demande la position de mon compte
dans ma banque, et qu’on me répond que
le système informatique est en panne ou ne
fonctionne pas, ça me cause un dommage de
même que la banque. Tous les mécanismes
qui permettent au système d’être opérationnels 24h/24 doivent donc être protégés et le
niveau de protection varie : plus le temps de
disponibilité est faible, plus il faut d’avantage de moyens pour respecter ce temps de
disponibilité. Notre expertise s’intéresse à
ce type de problème, parce que les attaques
sont devenues une vraie industrie.
Avant, c’était des personnes isolées qui le
faisaient mais, maintenant, ce sont des organisations criminelles déjà actives dans
la drogue et la prostitution, qui pratiquent
la cybercriminalité en utilisant des moyens
informatiques pour attaquer des structures,
récupérer des informations afin de faire des
opérations et gagner de l’argent. Au lieu de
braquer une banque, les organisations criminelles de type mafia, peuvent à présent pirater la banque et y faire des opérations malveillantes. Il n’y a plus d’effusion de sang,
mais le résultat est le même. En Afrique
de l’Ouest, la plupart des pays ont déjà été
confrontés à ce type d’attaque et des banques
dans certains pays ont perdu de 900 millions
à deux milliards de F CFA
Pour les individus, les entreprises et les Etats,
que représente la cybercriminalité au quotidien ?
Pour les individus, il y a le cas du parent
d’élève en Afrique qui cherche une école
en Occident pour son enfant. Il en trouve
une qui présente toutes les garanties d’un
établissement sérieux. Il inscrit son enfant,
paie la scolarité avant de découvrir qu’il
s’agit d’un établissement fictif. Il a aussi la
jeune fille de 16 ans qui discute sur Internet
avec un inconnu et qui finit dans un réseau
de prostitution, ou le commerçant qui traite
avec un partenaire étranger, qui passe sa
commande, paie et qui ne reçoit jamais la
marchandise !
Pour les Etats, il y a des groupuscules qui
peuvent attaquer les entreprises stratégiques
du pays, comme la distribution d’eau,
d’électricité, pour obtenir la satisfaction de
leurs revendications. Certains n’hésitent pas
à chercher à paralyser toute l’administration
publique et il est fort probable que dans les
prochaines années, les gens ne marcheront
plus dans les rues pour protester, mais attaqueront des cibles stratégiques via Internet
et l’informatique. Je ne veux pas affoler les
gens, mais on pourrait assister à des cyberguerres entre Etats ou entre groupes criminelles et des Etats.
Par exemple, au lieu de prendre en otages
des personnes, on pourrait prendre en otage
des systèmes d’une administration en exigeant le versement d’argent.
Comment contrer ces menaces ? Pensezvous que les pouvoirs publics africains en ont
conscience ?
Bien entendu, il est possible de contrer ces
attaques, mais malheureusement, à l’inverse
de ce qui se passe en Occident, très peu
d’Etats en Afrique disposent de systèmes
bien protégés. Il n’y a pas de véritable politique nationale en matière de cybersécurité,
si ce n’est sur le papier. Quand on évoque
ces menaces qui pourraient arriver dans
cinq ans aux hommes politiques, ils n’écoutent pas. Tant que la menace n’est pas là,
ils ne font rien. Tout au plus, cherchent-ils
des solutions pour surveiller les opposants
ou les citoyens comme cela s’est passé en
Libye sous Kadhafi. Les menaces étant virtuelles, ils ne les prennent pas au sérieux et
les sous estiment.
Il faut comprendre les comportements à
risques et les éviter. La première des choses,
c’est le bon sens. Vous n’avez jamais joué à
une loterie mais vous recevez un message
vous informant que vous êtes le gagnant de
la cagnotte ! En général, c’est nous-mêmes
qui donnons notre mot de passe sans le
savoir. Par exemple quand on veut s’inscrire sur un site, on demande souvent notre
adresse mail et le mot de passe. Il s’agit en
fait du mot de passe qu’on doit mettre pour
accéder au site, mais les gens pensent qu’il
s’agit de leur propre mot de passe de leur
boite mail. C’est ainsi qu’on communique
notre mot de passe à des inconnus sans le
savoir.
Autres précautions à prendre : éviter d’utiliser l’ordinateur de l’hôtel ou se connecter
sur internet via le serveur d’un aéroport
même avec son propre ordinateur, car ces
réseaux ne sont pas protégés et il est facile
de récupérer les informations qui y circulent.
Avez-vous des projets pour l’année 2014 ? Si
oui lesquels ?
En 2000, j’ai créé Intrapole à Caen, puis je
l’avais mise en veilleuse pour aller m’installer au Burkina. A présent, je suis en train
de la réactiver pour proposer des services
assez particuliers qui n’obligent pas à rencontrer le client. Notre projet phare, c’est
la mise en place d’un Datacenter sécurisé.
Nos clients pourront sauvegarder à distance leurs données importantes en choisissant eux-mêmes ce qu’ils veulent sauvegarder. Nous lui mettons à disposition un
système simplifié pour que la synchronisation avec nos serveurs soit transparente.
Toutes les transactions sont cryptées et le
client peut les décrypter à l’aide des clés
connues de lui seul.
En cas de besoin, il récupère ses données
sur nos serveurs sans intervention humaine.
Nous hébergeons toutes ces informations
sur notre Datacenter réparti sur deux pays
européens pour assurer la redondance. Cela
évite au client de perdre définitivement des
données comme c’est régulièrement le cas
dans la plupart des entreprises en Afrique.
Interview réalisée par Joachim Vokouma
Enjeuxafricains N°11 février-mars 2014 51
Economie Entreprise
Challenge entrepreneurial
du Congo : Le RICE
récompense quatre lauréats
En vue d’encourager la création d’entreprise dans leur pays d’origine, les
Congolais de la diaspora récompensent quatre porteurs ou chefs d’entreprises qui se sont illustrés dans des secteurs innovants.
Titulaire d’une licence en Automation-régulation à Bruxelles en 2005, il rentre au pays
et avec son épouse, crée « Africa Solaire »,
une société spécialisée dans l’électrification rurale, l’éclairage public et le pompage
d’eau. Dans les zones urbaines, « Africa
Solaire » installe des systèmes d’accumulation d’énergie pour des particuliers et des
banques et pour sécuriser des réseaux informatiques.
Dans le cadre du Challenge Entrepreneurial,
Sandy Mbaya Mayetela propose la création de stations d’eau potable alimentées
par l’énergie solaire photovoltaïque. Les
stations seront installées dans les quartiers
populaires afin d’offrir une source d’eau potable à la population la plus démunie à un
prix abordable.
Les lauréats du Challenge
Organisée par le Réseau international des
Congolais de l’extérieur (RICE), la première édition du Challenge entrepreneurial
a livré son verdict le 23 novembre dernier
à Brazzaville. (Voir EA N°9 octobre-novembre 2013). Après un rigoureux examen
d’une centaine de dossiers, quinze (15)
meilleurs en avaient été retenus, répondant aux critères suivants : Clarté et pertinence du projet, expérience du promoteur
et de son équipe de management, potentiel
commercial du projet sur le marché local et
international, caractère innovant du projet,
viabilité du projet et retour sur investissement pendant deux mois.
Au final, quatre lauréats -au lieu de cinq
prévus- qui ont brillamment présenté et
défendu leur projet devant un jury de professionnels de l’entreprise ont été récompensés. Chaque lauréat a reçu un chèque
symbolique de 32,2 millions de F CFA
(50 000 euros), une subvention qui leur sera
débloquée en fonction du respect du planning et de la réalisation des étapes prévues
dans leur Business Plan. Ils seront accompagnés par le RICE et le Fonds d’Appui à
Coûts Partagés (projet Banque Mondiale/
gouvernement congolais) afin de les aider à développer leur entreprise ou leur
52
projet. « Cette première édition du Challenge a été un succès, et vu l’engouement
qu’elle a suscité auprès des Congolais et des
autorités du pays, il nous faut absolument
trouver les moyens de continuer cette aventure », confie Edwige-Laure Mombouli,
présidente du RICE.
Zoom sur les lauréats
du Challenge entrepreneurial 2013
Sandy Mbaya Mayetela, patron « d’Africa
Solaire », désigné meilleur projet de développement d’une PME/PMI et destiné
à la création de stations d’eau potable
alimentées par l’énergie solaire photovoltaïque.
de mangue. Avec l’aide du Challenge, Parfait
Kissita souhaite diversifier davantage l’activité de la coopérative afin de proposer des
produits transformés comme la confiture et
les épices moulues. Cette aide financière lui
permettra également d’améliorer la qualité
des emballages afin d’étendre sa clientèle aux
hôtels et aux supermarchés.
Parfait Kissita, directeur général de « Cuba
Libre SARL », une société dédiée à la production et la vente de jus de fruits congolais
Diplômé de l’Institut Polytechnique d’Agronomie de Cuba en 1991, il lance en 1997 à
Brazzaville la Conserverie des produits agricoles du Congo (COPRAC), une petite unité
de transformation et de conservation de produits agricoles en jus de fruits, confitures, sirops et marinades. En 2000, il quitte la capitale pour Pointe-Noire, la deuxième ville du
pays, où il crée la coopérative agricole « Cuba
Libre », qui produit et commercialise des jus
de fruits à base de gingembre, de papaye et
Destiny LOUKAKOU, porteur du projet
« Pousselec », récompensé comme meilleur
Start-Up innovante
Natif de Brazzaville, Destiny Loukakou
est titulaire d’un doctorat et d’un Master2
en Génie électrique et Informatique industrielle de Belfort en France. De retour
au pays, il se lance dans la recherche en
sciences tout en murissant ce projet qui
lui tient à cœur : inventer un engin qui faciliterait le transport de marchandises pour
les couches populaires. Avec trois copains,
tous des ingénieurs, ils mettent au point
POUSSELEC, un pousse-pousse électrique
rechargeable par l’énergie solaire et dont la
traction est assurée par un moteur électrique
intégré dans une roue.
POUSSELEC qui devrait voir le jour en
mars prochain, permettra ainsi aux Brazzavillois d’effectuer plusieurs courses dans la
journée à moindre effort.
L’engin peut rouler jusqu’à 20 km/h avec
une autonomie de 10 km et n’émet aucune pollution atmosphérique. « Pour des
raisons financières, nous avons prévu de
mettre sur le marché dix exemplaires en
location, le temps d’apporter d’éventuels
ajustements techniques », explique Destiny Loukakou
Joachim Vokouma
Jean-Christian Diakanou-Matongo de la
société « APIS Congo », meilleur projet
issu de l’économie informelle
Ingénieur Forestier de l’Institut de développement rural de l’Université Marien Ngouabi
de Brazzaville, il s’intéresse à l’apiculture, la gestion durable de la biodiversité,
la valorisation des produits forestiers non
ligneux (PFNL), le reboisement, la restauration forestière et les études d’impact environnemental et social. APIS Congo vise la
production durable et la commercialisation
de miel, et s’inscrit dans le secteur de l’économie verte que le gouvernement congolais
considère comme étant une des filières de
diversification de l’économie nationale.
APIS Congo dispose de 25 ruches, mais
la production reste encore très insuffisante
face à la demande. Avec le prix Challenge,
Jean-Christian Diakanou-Matongo espère
augmenter la production de miel pour offrir
régulièrement aux consommateurs un produit de très bonne qualité.
Enjeuxafricains N°11 février-mars 2014 53
Economie Banque
« Bâtir une
banque solide
pour rejoindre
le Top 10
en RDC dans
les deux ans »
Travail, intégrité, rigueur, discipline,
humilité… Telles sont les valeurs
que cette banquière a héritées de
son défunt père, un Général dans
l’armée de l’ex-Zaïre. Formée à
Toulouse, elle est la première Kinocongolaise à diriger une banque privée en RDC. Après être passée par
les filiales congolaises de Citi Group
et Standard Bank, elle a pris voici
un an et demi les rênes de Fibank.
Récemment élue vice-présidente de
l’Association congolaise des banques
(ACB), Félicité Singa-Boyenge dévoile les lignes de la politique de la
banque, analyse les structures de
l’économie congolaise et parle de la
place de la femme dans le développement de la RDC.
Comment se porte la filiale de la Fibank ici en
République Démocratique du Congo (RDC) ?
Malgré un environnement toujours difficile et
de concurrence accrue (18 banques), je suis
ravie de constater que la Fibank évolue doucement mais surement en termes de volume
54
© D.R.
Interview
Félicité Singa-Boyenge,
directrice générale
de la Fibank
des dépôts et des crédits accordés à l’économie. En effet le total du bilan de la Fibank a
connu une augmentation d’une année à l’autre
de l’ordre à peu près de 24% en attendant les
chiffres finaux, avec une amélioration au niveau des dépôts de 33%, le crédit à l’économie
a connu une augmentation de 41% et le chiffre
d’affaires une croissance de 80%. Par contre,
nous noterons que les charges et les provisions
sont à contenir pour une meilleure rentabilité.
Nous sommes sur une trajectoire de développement de nos activités, un plan d’expansion
a été lancé pour les 2 prochaines années et je
peux dire que les résultats au terme de cette
période sauront être à la hauteur de nos attentes. Nous avons présenté un budget ambitieux pour 2014. Cela se justifie par l’élan de
notre stratégie commerciale qui a été revue de
manière à répondre à un besoin de développement des différents secteurs et portefeuilles
au sein de la banque : institutions, corporate,
avec un focus sur les PME et les particuliers.
Il y a quand même dans notre pays un peu plus
de 70 millions d’habitants avec seulement 18
banques. Ce qui laisse encore des possibilités
pour les banques les plus dynamiques.
Et comment caractérisez-vous la concurrence
dans le secteur bancaire en RDC ?
Disons que l’industrie bancaire a considérablement évolué depuis une dizaine d’années. Il y
a quatre catégories d’établissements bancaires
opérant en RDC : les banques internationales,
continentales, régionales et locales. Le pays a
vu se développer les banques continentales et
régionales au détriment des banques locales.
Elles offrent pratiquement toutes des produits
et services aux quatre secteurs : les corporates,
les institutions, les PME et les particuliers.
Malgré la taille du pays, le marché reste petit
car le volume d’activité qui est drainé à travers
le système bancaire ne dépasse pas les 30 %,
caractérisé par le faible volume de transactions financières et d’agence à travers le pays.
Les banques se partagent à quelques exceptions près tous, les mêmes clients.
Il faut noter que le pays est encore à la traîne
avec un taux de bancarisation de plus ou
moins 6.5%. Le système bancaire enregistre
aujourd’hui environ 5 millions de comptes
alors que le potentiel est actuellement estimé
à 16 millions.
La situation incertaine et d’instabilité que le
pays a connue durant les années 1990 et l’attentisme des uns et des autres pendant plusieurs années, ont conduit l’industrie bancaire
a se repositionner dans les grands centres
urbains ou l’activité économique s’y était retranchée.
Convaincue aujourd’hui par le potentiel avec
une population de 70 millions d’habitants,
cela fait à peu près cinq ans que le développement des activités du système bancaire
a repris aussi bien dans les quatre grandes
villes que dans les différentes autres villes de
taille moyenne et dans les localités à travers
tout le pays avec l’implantation de nouvelles
agences dans le but de répondre à la demande
toujours plus croissance à venir. Nous avons,
à cette occasion, vu également se développer
le secteur minier dans le Katanga, les 2 Kivu
et la Province orientale. Malheureusement, les
provinces de l’Equateur et du Bandundu n’ont
pas bénéficié de cette même progression et
ont vu s’implanter des agences bancaires bien
plus tard.
L’industrie bancaire a enregistré une performance qui s’explique par un chiffre d’affaires
à fin novembre 2013 de 521 millions de dollars contre 353 millions en 2012 soit une augmentation substantielle de 49%, le volume de
dépôt a atteint 2,9 milliards de dollars contre
2,6 milliards, avec une augmentation de 14%
par rapport à l’année précédente, les crédits
à la clientèle passant de 1,4 milliard à 1,7
milliard de dollars, soit une augmentation de
22%. L’industrie bancaire clôture l’exercice
2013 avec une légère augmentation du total
du bilan de 16% alors qu’elle a depuis plus
de 6 ans toujours enregistré une augmentation
moyenne de 25 à 30%. Les 18 banques bénéficient de l’essor économique. En effet, le dynamisme des banques a fait progresser le marché bancaire congolais. L’implantation des
agences et des guichets automatiques à travers
les villes a facilité l’accessibilité aux services
et produits bancaires qui se sont diversifiés à
la satisfaction de la clientèle.
Que faut-il faire pour améliorer l’offre bancaire et augmenter sa part dans l’activité
économique ?
Nous avons eu un coup de pouce de la part
du gouvernement avec la bancarisation des
agents de l’Etat. Le million de comptes
supplémentaires est composé des fonctionnaires, des agents de l’Etat, la police et
l’armée. Cette bancarisation a été un élément déclencheur en permettant aux fonctionnaires d’avoir un compte en banque et
d’être payé comptant chaque fin de mois.
Certains ont même bénéficié de crédits
adossés par la domiciliation des salaires
mensuels au niveau des banques. Beaucoup
de PME et des particuliers se sont depuis
rapprochés des banques pour leurs transactions bancaires. Ils peuvent de nouveau,
en effet, par ce biais, faire confiance aux
banques opérant en RDC et nous remercions le gouvernement pour cela ainsi que la
Banque centrale du Congo dans sa politique
monétaire et dans son rôle de régulateur et
de supervision des institutions financières.
Une bonne partie des banques y compris la
Fibank accompagne le gouvernement dans
la bancarisation et dans la paie des fonctionnaires. Les banques doivent pouvoir trouver
des ressources, lever des fonds et financer
l’économie à des taux accessibles par tous,
tout en gérant et réduisant les risques inhérents à ces engagements.
Quelles sont vos ambitions dans le court
terme ? Etre dans le Top 10 des banques
congolaises ?
Nous étions au 13e rang dans le classement
des banques congolaises en 2012 et comptons passer après l’analyse des données à
fin 2013, au 11e rang, ce qui est déjà appré-
ciable compte tenu, à partir de février 2014,
des 5 ans d’existence de la Fibank en RDC.
La banque doit innover et répondre aux
attentes des clients, se rapprocher de plus
en plus de ses clients avec une politique
de proximité avec des produits, services et
solutions taillés sur mesure. Accroître les
interventions dans les différents secteurs
d’activité de l’économie par des financements aux entreprises, aux particuliers avec
une attention toute particulière aux PME.
Notre objectif est de bâtir une banque forte
pour accompagner les PME et les particuliers, contribuer au développement du pays
et rejoindre le Top 10 dans les 2 ans.
Quels sont les secteurs d’activité qui tirent
l’économie congolaise ?
Convaincue que la RDC est un pays à grand
potentiel, un pays d’avenir, la stabilité économique enregistrée en 2013 avec un taux
d’inflation de 2%, une croissance de 6%, ne
peuvent que donner un signal positif aux investisseurs. Le PIB est réparti de la manière
suivante : 44% par l’agriculture, 23% par
l’industrie et 33% dans le secteur des services. La production minière dans le secteur
de l’industrie fait, bien entendu, partie d’un
des secteurs en pleine expansion et en plein
essor. Toute la partie est du pays, du nord au
sud, bénéficie directement ou indirectement
de cette manne. Pour revenir à l’agriculture,
nous auront environ 80 millions d’habitants
d’ici 5 à 6 ans et la demande va croître au fil
des ans. La nature nous a tout donné, il est
inconcevable que le pays continue à importer
tout ce qui peut être produit sur place et, de
surcroit, sur l’une des terres les plus arables
d’Afrique. Le déficit de la balance de paiement en est la preuve. Il est grand temps que
les banques commencent à penser à financer
des projets agricoles, des structures d’élevage et des pêcheries destinés exclusivement
à la consommation locale. L’émergence de
l’agro-industrie est le salut qui permettra de
mieux gérer les réserves en devises du pays
et d’arriver à une autosuffisance alimentaire.
Les petites structures existantes devraient
déjà se diriger vers la production à plus
grande échelle et donner une plus-value aux
produits qui sont demandés et couramment
consommés par la population, ce qui in fine
pourra tendra vers une retombée plus équitable du PIB par habitant.
Quel commentaire faites-vous sur le niveau
de représentation de la femme dans la haute
administration congolaise ?
Le niveau est encore faible même si le
gouvernement a fait un grand effort au
niveau des institutions. En effet, nous
voyons beaucoup de femmes évoluer au
niveau de l’Assemblé nationale, des sociétés publiques et des ministères et j’en suis
fière. Mais dans le secteur privé, les choses
prennent un peu plus de temps, les femmes
sont souvent reléguée au second plan. Ce
sont des exemples des quelques femmes
maintenues à des postes de responsabilité
du fait de leur professionnalisme, de leur
performance et de leur bonne gouvernance
qui feront changer les mentalités et bouger
les acquis.
Vous sentez vous concernée par l’éducation
des filles ?
On ne peut pas promouvoir la femme sans
promouvoir l’éducation de la fille. La
femme responsable de demain, c’est la fille
que nous éduquons et formons aujourd’hui
en lui inculquant les bonnes valeurs. Nous
sommes justement en train de penser au regroupement des femmes pour monter une
structure qui pourra avec l’aide du gouvernent et des institutions internationales,
aider les jeunes filles à étudier, acquérir
une formation professionnelles pour les armer de manière à affronter la vie sereinement et obtenir des postes de responsabilité
dans les entreprises et institutions du pays.
Comme nous le constatons jusqu’à présent, à diplôme égal, on a souvent privilégié l’homme à la femme. Mais la tendance
commence à s’inverser. Pour vous donner
un ordre d’idées, à la Fibank, nous avons
33 % de femmes sur un total de 198 employés dont 3 Directrices et 3 responsables
de département, sans compter l’Administrateur Délégué. Ceci devrait inspirer plus
de femmes à oser franchir le pas et ouvrir
les portes. Je souhaiterais que les femmes
qui ont réussi professionnellement ou dans
d’autres domaines, s’impliquent d’avantage
dans des actions pour la promotion de la
femme et que ces actions inspirent les plus
jeunes.
Propos recueillis par F.K.
Enjeuxafricains N°11 février-mars 2014 55
Economie Matières premières
Financement : AGF, mieux faire en 2014
Une enveloppe de 100 millions d’euros
(65,5 milliards de F CFA) pour le coton burkinabè
Jean-Mathis Foko
56
Félix Bikpo est fier de brandir le 2ème trophée reçu par AGF
Initié en 1998, le partenariat
entre la Société burkinabè des
fibres textiles (Sofitex) et un Pool
bancaire international ne cesse
de renforcer au fil du temps. En
témoigne la signature de la 23eme
convention de financement intervenue à la mi-décembre 2013
Par cette convention, le Pool bancaire met
à la disposition de la société burkinabè
spécialisée dans la production et la commercialisation de l’or blanc, une enveloppe
d’un montant de 100 millions d’euros (65
milliards de F CFA), contre 80 millions
en 2012. Vingt-troisième du genre, cette
convention de financement signée en décembre au lieu de janvier, permettra à la
société burkinabè de payer rapidement les
contonculteurs, d’assurer la collecte, l’égrenage et le transport du coton fibre jusqu’aux
ports d’embarquement, et aussi et de préparer la prochaine saison par l’achat des semences et des intrants.
Pour cette campagne, le kg de coton est
payé 235 F, un prix plancher décidé après
concertation avec les producteurs et en tenant compte du cours de l’or blanc sur le
marché international. « C’est en avril que
le prix a été fixé, mais il est prévu un réajustement à la hausse si entre-temps, le cour
du coton évolue positivement », explique le
directeur de la Sofitex, Jean-Paul Sawadogo. Une manière d’anticiper d’éventuelles
revendications des producteurs, désormais
bien accompagnés par des économistes et
mieux informés que par le passé sur le marché de l’or blanc.
Jean-François Lambert de la banque HSBC, Jean-Paul Sawadogo, DG Sofitex et Eric Tiaré ambassadeur du Burkina en France
Cette année, la production a atteint 550 000
tonnes contre 500 000 en 2012, dont 68%
de coton génétiquement modifié. « Ce qu’il
faut savoir, c’est que 98% du coton mondial
est génétiquement modifié », se défend le
parton de la Sofitex, expliquant par ailleurs
que « les OGM permettant de lutter contre
les attaques, d’avoir un meilleur rendement
tout en limitant les risques de toxicité »
Depuis 1998, le concours financier du Pool
bancaire international à la Sofitex s’élève
au total à 1,76 milliards d’euros, selon JeanFrançois Lambert de la banque HSBC, le
chef de file du pool bancaire international
qui compte dans ses rangs la Société générale, BHF Bank, BMCE Bank International,
DZ Bank, Fimbank et Atijariwafa.
© JV
Comme chaque année depuis 1998, la
Société burkinabè des fibres textiles (Sofitex) et un Pool bancaire international,
conduit par la banque HSBC, ont signé le
17 décembre dernier hier, dans les locaux
de l’ambassade du Burkina à Paris, une
convention de financement de la filière cotonnière pour la campagne 2013-2014.
© JV
© D.R.
IFM a récompensé en décembre AGF pour son action en 2013
Les deux dirigeants signent l’accord de partenariat
© D.R.
La cérémonie a eu lieu le 19 novembre à Niamey
© D.R.
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L’AGF a signé en novembre un accord de partenariat avec le Fonds africain de solidarité
© D.R.
Après avoir signé en octobre 2013 un accord
de partenariat avec le Gicam, le patronat camerounais, puis un autre en novembre avec
le Fonds de solidarité africain, le Fonds de
garantie africain (African Guarantee Fund,
AGF) a terminé l’année 2013 en beauté.
L’institution basée à Nairobi, qui garantit à
hauteur de 50% les prêts bancaires accordés aux PME/PMI, s’est vu en effet décerner en décembre un prix par l’International
Finance Magazine pour son action en faveur de la promotion de l’entreprise.
Le directeur général d’AGF, Felix Bikpo, qui
s’est réjoui de ce prix, a entrepris d’accroitre
les ressources de son institution en lançant
un appel à contribution. Le gouvernement
danois est le premier partenaire à avoir répondu à cet appel, en mettant à la disposition
de l’AGF une enveloppe de 16,5 millions de
dollars. Ce soutien supplémentaire – après
le 1er de 20 millions – fait ainsi passer le
capital d’AGF de 50 millions à 66,5 millions de dollars. « Cette opération nous redonne davantage de surface et de marge de
manœuvre », a déclaré Félix Bikpo.
On s’attend maintenant à ce que la Banque
africaine de développement (Bad), autre
actionnaire, apporte, à son tour, 4 millions
de dollars pour maintenir sa part de capital
dans AGF à son niveau initial de 20%. La
part détenue par le gouvernement danois
atteint, elle, 40%. Plus le capital augmente,
plus les garanties accordées par l’AGF progressent et plus importants sont les crédits
alloués in fine aux PME/PMI. Un capital de
50 millions de dollars permet par exemple
de porter le montant maximum des garanties à 150 millions, donc de rendre possible
pour les PME des financements de l’ordre
de 300 millions.
L’objectif de l’AGF est d’approcher les 100
millions de dollars de capital lors des assemblées annuelles de la Bad qui auront lieu
en mai prochain, un événement qui coïncidera avec son 2ème anniversaire. Dans cette
optique, des négociations très avancées ont
lieu en ce moment avec la Grande-Bretagne
(DFID), le Japon (Jica) mais aussi avec
l’Agence suédoise de coopération internationale au développement.
© D.R.
Economie Banque
Quant au pool bancaire national, conduit
par la banque panafricaine Ecobank, il
comprend toutes les banques installées
au Burkina, à l’exception de la Banque de
l’Habitat, soit au total 11. La signature de la
convention avec la Sofitex, d’un montant de
114 millions d’euros (75 milliards de F CFA)
devait intervenir courant janvier. « Depuis
trois ans, nous finançons la filière contonnière
parce qu’elle est équilibrée et bien gérée », explique Cheikh Travaly, Administrateur directeur général d’Ecobank.
Deuxième produit d’exportation derrière
l’or, la culture du coton contribue pour
environ 5% du PIB burkinabè, représente
35% des recettes d’exportation et fait vivre
quatre millions de personnes.
Reste que les pays africains producteurs de
coton, notamment ceux du C4 (Mali, Tchad,
Bénin, Burkina) demeurent d’éternels fournisseurs de matières premières brutes-98%
du coton est exporté-, donc vulnérables à la
fluctuation du cours de l’or blanc sur le marché mondial du cour du dollar par rapport à
l’euro, la monnaie européenne à laquelle est
arrimé le F CFA et des subventions occidentales qui faussent la concurrence.
Joachim Vokouma
Enjeuxafricains N°11 février-mars 2014 57
Economie Développement
RDC/Banque mondiale
loppement économique et sociale et des
risques d’obstruction ou de détournement
des réformes au profit de groupes d’intérêts
influents.
Renforcer la
gouvernance
et diversifier
l’économie
Malgré les belles performances
enregistrées ces dernières années,
l’économie congolaise a encore
besoin d’être encore plus diversifiée pour se renforcer. Cela par
une amélioration de la qualité de
l’éducation et un renforcement de
la gouvernance
© D.R.
C’est un nouvel exercice dans lequel la
Banque mondiale s’est lancée depuis
quelques années. Deux fois par an, elle entreprend de faire point sur la situation économique de certains pays africains dont la
République démocratique du Congo (RDC),
le Kenya, la Tanzanie ou l’Ouganda, en publiant et présentant ses rapports de suivi sur
la « Situation économique et financière »
des pays en question. L’objectif étant d’élargir le débat à un public plus large et ouvrir
le dialogue avec les autorités, les universitaires, la société civile et le secteur privé.
Pour la RDC, le diagnostic est encourageant :
« Forte croissance économique, stabilité des
prix et baisse du taux directeur, stabilité du
taux de change et amélioration des réserves
de change, mais aussi bonnes politiques
macroéconomiques et financières. » La
Banque mondiale identifie aussi trois défis à
relever pour le pays : diversifier l’économie,
augmenter le stock et la qualité du capital
humain, mais aussi mieux utiliser le secteur
minier pour financer la croissance et le développement à long terme.
et les mines, qui ont contribué à eux seuls
pour 48,8% de la croissance sur la même
période. Et sans surprise, le secteur minier
attire l’essentiel des Investissements directs
étrangers (IDE) qui ont atteint 1,6 milliard
de dollars en moyenne entre 2008 et 2012.
Certes, l’économie congolaise a affiché un
taux de croissance de 7 % en moyenne entre
2010 et 2012, mais elle reste cependant très
concentrée sur deux secteurs, l’agriculture
Si la croissance de la production agricole a
permis de réduire les prix de l’alimentation
pour les plus pauvres, le taux de pauvreté,
qui est passé de 71% à 63% entre 2005 et
58
Le siège de la Banque mondiale à Washington
2012, reste élevé. La RDC n’atteindra aucun OMD (Objectifs du millénaire pour le
développement) en 2015.
déficits soutenables, un niveau de réserves
en devises à atteindre et la réduction de la
dollarisation de l’économie.
Pour faire face aux risques externes, notamment la hausse des prix internationaux
des produits alimentaires ou une chute des
cours des produits miniers, la Banque mondiale préconise des réformes comme celles
opérées par la Banque centrale du Congo, et
met l’accent sur la définition d’objectifs de
L’économie reste menacée par le risque sécuritaire, bien réel comme le montrent les
derniers évènements fin décembre, avec
l’attaque de l’aéroport international de
Kinshasa et autres lieux stratégiques. La
Banque mondiale craint un effet d’éviction
des dépenses publiques destinées au déve-
Parmi les principaux défis à relever, l’institution financière met en avant la faiblesse
du capital humain, le manque de compétence étant un obstacle à la croissance économique. Le pays a fortement besoin de
disposer d’une éducation plus performante
qu’elle ne l’est aujourd’hui. Les ménages
dépensent en moyenne un dixième de leurs
revenus pour un enfant au primaire, et un
tiers pour un enfant au secondaire mais, ils
n’exercent aucun contrôle sur la qualité de
l’éducation. Le gouvernement congolais a
engagé une réforme dans ce secteur, faisant
désormais de l’enseignement primaire gratuit,
une obligation et un droit constitutionnel. La
Banque mondiale préconise la mise en place
d’un cadre légal pour les associations des parents d’élèves et une plus grande transparence
dans la gouvernance des établissements d’enseignements et de formation (publication des
budgets des établissements, identification des
ressources et emplois, publication des indicateurs de performance).
Compte tenu de son poids dans l’économie,
le bon fonctionnement du secteur minier
est capital. « Une mauvaise gestion des richesses minières pourrait alimenter tensions
et conflits », prévient la BM, insistant là
aussi sur la nécessité de renforcer la gouvernance et la transparence dans ce secteur
caractérisé par la coexistence de grandes entreprises et de petits prospecteurs. Si les premières peuvent être des sources de revenus
considérables pour le pays, la prospection
artisanale procure une source d’emploi et de
revenus pour nombre de ménages. Face à ce
constat, la BM préconise « la mise en place
d’un cadre règlementaire qui assure la complémentarité entre les deux sous-secteurs et
maximise leur impact positif pour la RDC ».
En matière de gouvernance et de transparence, beaucoup reste à faire. Il s’agit avant
tout de surmonter l’opposition des groupes
d’intérêts et de clarifier la réglementation
des cessions d’actifs par les entreprises
publiques
Rajeunir l’administration
La Banque mondiale a approuvé le 12 décembre un don de 77 millions de dollars pour
soutenir les efforts de la République démocratique du Congo (RDC) dans sa politique
de rajeunissement des effectifs de l’administration. Ce financement vient appuyer
le « Projet de réforme et de rajeunissement
de l’administration publique » qui ciblent les
fonctionnaires éligibles pour la retraite et les
jeunes diplômés aspirant à une carrière dans
la fonction publique.
Dans un premier volet, le projet vise à aider le
gouvernement de la RDC à définir et mettre en
œuvre une gestion efficace de la carrière des
fonctionnaires et à moderniser l’organisation
des ministères des Finances, du Budget, du
Plan, de la Fonction publique, et du Portefeuille
afin d’améliorer leur fonctionnement à travers
le pays. Un appui sera aussi consacré à l’élaboration d’une solide stratégie de communication afin de créer un large consensus en faveur
de la réforme de l’administration publique.
Le deuxième volet vise à faciliter le processus
de rajeunissement des effectifs de l’administration publique à travers des mesures destinées à améliorer la gestion du processus de
retraite (y compris le paiement des allocations
de retraite à environ 6 000 fonctionnaires) et
à développer un cadre juridique et technique
permettant la création d’un système de pension durable. Le projet appuiera le recrutement
de 500 jeunes professionnels dans la fonction
publique. « Ce projet bénéficiera aux employés
actuels et futurs de la fonction publique et se
traduira par une amélioration de la prestation
des services sociaux pour les 71 millions de
citoyens de la RDC, 71,3% d’entre eux vivant
encore avec moins d’un dollar par jour », a déclaré Marco Larizza, co-responsable du projet.
A.L.
Anne Lauris
Enjeuxafricains N°11 février-mars 2014 59
Société média
« La voix de nos médias
est respectée »
A la tête de France Médias Monde qui chapeaute les chaînes France 24
et les radios RFI et Monte Carlo Doualiya (MCD), la patronne de ce groupe
médiatique qui porte un regard français sur le monde à destination des
cinq continents fait le point des réformes engagées et explique ses ambitions pour les prochaines années.
2013 a été l’année qui a permis de commencer la mise en œuvre du plan stratégique et
de nos nouvelles grilles de programmes.
Nous avons imaginé et lancé de nouvelles
signatures pour nos trois chaînes. France
24 a gagné plus de 50 millions de foyers
supplémentaires, dont plus de la moitié en
Inde. Nous avons mené de grandes opérations de délocalisation (comme lors du Tour
du Maghreb avec France 24 ou en Haïti
avec RFI). Nous avons également lancé de
nouveaux sites internet, pour MCD notamment, France 24 s’est dotée d’un nouvel
habillage et nos radios seront prochainement dotées aussi de nouveaux habillages
sonores sur lesquels nous travaillons actuellement. Nous avons relancé les langues
étrangères de RFI qui sont en forte progression. Nous prévoyons de lancer une troisième langue africaine, je crois beaucoup
au dialogue entre les langues africaines et
le français.
Marie-Christine Saragosse, Pdg de France Médias Monde
Comment s’est passée l’année 2013 pour la
maison France Médias Monde, anciennement
l’Audiovisuel extérieur de la France (AEF) ?
A mon arrivée en octobre 2012, nous avons
rapidement organisé une vaste concertation
interne impliquant tous les salariés du groupe
sur la base du volontariat pour définir notre
stratégie des années à venir. Je trouve que les
plans prennent tout leur sens et leur puissance
quand les équipes, qui sont au plus près de la
réalité des médias, racontent leurs rêves, leurs
ambitions ! Après bien sûr, il faut les confronter à la réalité des contraintes budgétaires et
des effectifs.
En mars 2013, ce plan stratégique a été remis à nos tutelles, et un contrat d’objectifs
et de moyens sur trois ans que nous allons
60
© D.R.
Quelles sont les objectifs phares du plan
stratégique ?
signer avec l’Etat, en a été tiré. A l’issue de
ces ateliers, nous avions également décidé de
changer de nom. L’appellation AEF était très
administrative et pas facile à traduire à l’international. Il nous fallait un nom qui soit proche
de notre réalité. Parallèlement, nous avons
repensé nos organigrammes pour les adapter
au nouveau mode de fonctionnement basé
sur une entreprise unique, avec des directions
transverses, mais qui préserve des chaînes
avec une identité affirmée et singulière, et
dont les rédactions ne sont pas fusionnées.
RFI est une radio d’actualité et d’expertise
avec une grande place faite aux magazines,
France 24, une chaîne d’info très continue, en
trois langues. Monte Carlo Doualiya, quant à
elle, est une radio généraliste, avec une info
très référente, en langue arabe.
Nous avons défini plusieurs grands axes.
D’abord, nous mettons l’accent sur les
contenus. A quoi bon avoir des réseaux
mondiaux de diffusion si on n’a rien à dire ?
Nous nous sommes mis d’accord sur un
socle commun de valeurs. Nous défendons
la liberté et le pluralisme de l’information,
les valeurs démocratiques, les droits humains,
le statut des femmes dans le monde, la tolérance, la laïcité et respectons les courants de
pensées, y compris les libres penseurs.
Nous avons ensuite positionné chaque antenne. Pour RFI, son expertise en termes
d’information avec des magazines qui complètent l’information, sur tous les thèmes.
Pour France 24, nous réaffirmons la règle
des 3 R : réactivité, rigueur et recul. Nous
avons réaffirmé que Monte Carlo Doualiya
est la radio de la modernité, de l’universalité
en arabe, voire de l’impertinence.
Nous avons ensuite travaillé sur la distribution en définissant trois types de zones pour
mieux porter les contenus vers les auditeurs :
les zones de consolidation, les zones de
développement et les zones de conquête,
définies selon l’accessibilité de nos médias,
leur notoriété actuelle, leur potentiel d’audience… Concernant les zones de développement par exemple, nous devons y être
Envisagez-vous de nouvelles embauches ?
Compte tenu de notre contrainte budgétaire,
on ne pourra guère procéder à de nouvelles
embauches. Cependant, nous avons une
politique de réduction par intégration de la
proportion de pigistes. Ce sont des intégrations et non des créations de postes.
Peut-on dire aujourd’hui que vous dirigez une
entreprise au climat social apaisé ?
© D.R.
Interview
Marie-Christine Saragosse, Pdg de France Médias Monde
La salle de rédaction de France 24
encore plus présents et y cultiver notre notoriété. En Europe, France 24 est bien distribuée, mais sa notoriété dans un paysage
très éclaté doit être renforcée par des actions
de marketing et de communication. RFI doit
se développer en Afrique anglophone pour
avoir une stratégie totalement panafricaine.
Et pour MCD, nous envisageons un développement dans les pays du Golfe et au Maghreb. S’agissant de l’Afrique francophone,
France 24 et RFI y sont déjà très présentes
et très largement suivies, nous devons donc
consolider notre présence, en fidélisant nos
nombreux auditeurs et nos téléspectateurs.
A cela s’ajoutent les nouveaux médias, qui
ne sont pas analysés comme des médias
substitutifs mais complémentaires. Aujourd’hui, plus personne ne peut faire de
télévision ni de radio sans Internet. Leur
portée n’est toutefois pas la même selon
les zones, mais nos sites doivent être à la
pointe de l’ergonomie et des nouvelles technologies. Les réseaux sociaux sont désormais essentiels, et la mobilité, notamment
pour les amoureux de l’Afrique que nous
sommes, est une grande évolution dans
laquelle nous sommes très présents et très
suivis également.
Autre point important : la cohérence entre
nos valeurs et notre organisation interne.
Pour cela, nous nous engageons en termes
de parité homme-femme, de diversité dans
toutes ses composantes, origines, âge,
orientation sexuelle, sans oublier le handicap. Nous avons la chance d’avoir 66 nationalités représentées parmi nos équipes.
Nos médias s’intéressent à l’ensemble de
l’humanité, nous devons être un échantillon
représentatif de cette humanité.
Notre contrat d’objectifs et de moyens signé
pour la période 2013/2015 nous alloue des
moyens en hausse pendant deux ans, soit
4,4 millions de plus. Notre budget est de
250 millions d’euros, y compris nos recettes
propres pour l’ensemble des médias et des
effectifs de 1700 personnes, équivalents
temps plein.
Et quelle est la proportion homme-femme ?
Pas très loin des 50-50 dans les effectifs et
plus de femmes que d’hommes au comité
exécutif.
Combien ont coûté les plans sociaux ?
Je suis arrivée après les plans de départs.
De mémoire, il s’agit d’une enveloppe de
l’ordre de 60 millions d’euros. Par ailleurs,
les dotations publiques étaient en baisse de
plus de 5% par rapport à l’année précédente
quand je suis arrivée.
Vous savez, quand vous comptez 1000 journalistes et 400 correspondants journalistes
dans le monde, il y aurait un peu d’arrogance à parler d’un climat social « totalement apaisé ». Dans l’ensemble, il y a un
climat constructif. On sait que l’année qui
arrive ne va pas être facile, car il faut inventer un modèle social associant radio et télévision qui n’existe pas en France et dans un
contexte de contrainte budgétaire, avec des
disparités d’habitudes, de cultures et des accords d’entreprises différents à harmoniser.
Il a également fallu constituer des instances
sociales conformes à la structure fusionnée
de la société. Nous avons une importante
mission. La voix de nos médias est respectée. Nous devons réussir.
Qu’est ce qui vous différencie, dans le management, de l’ancien exécutif ? Quelle est la
touche « Saragosse » ?
Je n’agis pas par comparaison, par rapport
au passé. Les séminaires participatifs de
novembre, la restitution aux équipes du
plan stratégique, le fonctionnement pendant
toute l’année 2013 des instances sociales,
alors qu’il y avait trois comités d’entreprises, trois CHST et trois organisations de
délégués du personnel, sont autant d’éléments qui ont marqué 2012-2013. On a essayé de mettre en place un dialogue au sein
de l’entreprise et de créer un esprit d’équipe
au sein du comité exécutif.
La fusion des deux rédactions RFI et France
24 est-elle envisageable ?
La stratégie de fusion des rédactions a été
rejetée par les pouvoirs publics, c’est dans
ce cadre que j’ai proposé ma candidature à
la Présidence du groupe en 2012. A mon arrivée, une phrase a émergé dans le groupe :
Enjeuxafricains N°11 février-mars 2014 61
Société média
Un des studios d’enregistrement de RFI
« Puisqu’on ne fusionne plus, et si on travaillait ensemble ? » Chacun de nos médias a des positionnements forts et une
identité propre. Je n’ai pas non plus fusionné les sites Internet car les internautes
attendent des signatures différentes. Mais
des passerelles naturelles existent entre les
médias. Nous allons développer la promotion croisée, les échanges d’informations,
la mutualisation d’invités et de moyens…
Nous avons des directions transverses
(pôle ressources, nouveaux médias, stratégie, communication...). Mais La radio et
la télévision sont deux médias différents et
complémentaires.
En tant que femme, comment concevez-vous
la gestion des hommes et des femmes au
quotidien?
Est-ce que si vous aviez un homme en face de
vous, vous lui poseriez la même question ?
Je ne fais pas la différence entre l’individu
que je suis et la femme, et je ne sais pas,
par exemple, si l’acceptation d’une part
d’émotion et d’intuition dans le travail est
dû au fait que je suis moi ou que je suis une
femme. Ce que je trouve intéressant, c’est la
mixité : 50% d’hommes et 50% de femmes,
une idée constitutive de l’humanité même,
qui garde toute sa pertinence dans la plupart
des circonstances.
Quand vous allez dans les pays africains et arabophones, vos interlocuteurs sont très souvent
des hommes ; comment ça se passe ?
62
Je n’ai jamais eu le sentiment qu’on me
prendrait moins au sérieux parce que je
suis une femme. Il y a aussi des femmes à
des postes à responsabilités dans les pays
arabophones et africains. Et inversement
en France, on ne voit pas encore assez de
femmes à des postes à responsabilités. A
certains égards, être une femme est même
un atout car je n’établis pas de rapports de
force et le dialogue est facile. Etre femme
me permet aussi d’inciter à la prise de
conscience pour lutter contre toutes les
formes de violences faites aux femmes.
Serez-vous présente à la 2ème édition du
Forum mondial des femmes francophones qui
aura lieu début mars à Kinshasa ?
Oui, avec grand plaisir si mon agenda le
permet, et les trois chaînes de France Médias Monde y seront. J’avais été très impressionnée par sa précédente édition à Paris à
l’initiative de Yamina Benguigui.
Parlons de l’assassinat de Ghislaine Dupont
et Claude Verlon. Quelle a été votre première
réaction ?
L’incrédulité, la colère, la rage et l’indignation. Je crois que j’ai dit à chaud :
« on ne se laissera pas intimider par les barbares. » C’est insupportable que les journalistes soient des cibles et des victimes.
J’ai été très malheureuse quand j’ai vu les
deux familles, leur immense douleur. C’est
une tragédie. Pour les collègues, c’est une
blessure à vif. La gestion du risque est un
souci général qui concerne tous les médias
internationaux. Les risques se diversifient,
même les réseaux sociaux sont sources de
risques. Il faut s’aguerrir, se former et avoir
des techniques de prévention diversifiées.
C’est une grave menace qui plane sur la liberté d’informer. Aucun reportage ne vaut
une vie, mais on sait aussi que le risque zéro
est l’antithèse du journalisme de terrain en
particulier. Il faut donc construire notre chemin entre ces deux frontières.
Etes-vous de ceux qui soutiennent que
l’Afrique est le continent de l’avenir ?
Les taux de croissance à deux chiffres sont
certes encourageants, mais les crises au
Mali, en Centrafrique et au Sud-Soudan
évidemment inquiètent. L’Afrique est un
continent qui m’est cher. Nos médias ont
une relation passionnée à l’Afrique. Tout
en respectant les faits et la déontologie du
journalisme, nous essayons en donnant la
parole à tous de contribuer à l’apaisement
plutôt qu’aux tensions comme actuellement en RCA. Économiquement et culturellement, l’Afrique bouge en tout cas.
Chaque jour à l’antenne, j’entends des
auditeurs africains de RFI qui sont très
réactifs et maîtrisent l’actualité internationale de façon impressionnante. En les
écoutant, je me dis qu’il y a un énorme
potentiel humain en Afrique.
Propos recueillis par FK
Enjeuxafricains N°11 février-mars 2014 63
Culture Peinture
Moké Fils
«Je suis
un peintre
reporter
de l’urbanité»
Moké Fils, de son vrai nom JeanMarie Monsengwo Odia, est une
signature qui n’est pas inconnue
des amateurs et collectionneurs de
la peinture populaire congolaise. A
force de travail, l’artiste-peintre a
fini par imposer son style inspiré
par la peinture de rue congolaise.
Influencé par le travail de son père
Moké auprès de qui il a appris, il
utilise de nouveaux supports pour
donner plus de volume et de relief
à ses œuvres, exposées aussi bien
à Kinshasa, qu’en France et en Belgique. Rencontre.
Vos toiles ont été vendues aux enchères à Paris et la ville de Dijon vous a mis à l’honneur
lors de la Rencontre-Exposition Ville africaine
qui s’est tenue en décembre dernier. Qu’avezvous ressenti ?
Évidemment, en tant qu’artiste, ça me réjouis car cela prouve que mon travail a de
la valeur et qu’il est apprécié. Pour l’exposition à Dijon, j’ai été très honoré de représenter la peinture populaire congolaise. J’ai
également réalisé une prestation sur place
qui a plu au public. Cette reconnaissance
me touche ainsi que la profession que je représente.
Dans quel courant artistique peut-on vous
classer ?
Je suis un artiste peintre reporter de l’urbanité. Mon travail est surtout de reproduire
la réalité de la société, ses évolutions en
bien ou en mal. Dans mes toiles, je fais
64
apparaître les émotions de chacun. La caricature est une forme d’expression qui
permet d’aborder les choses par l’humour,
mais des messages sont véhiculés dans mes
toiles.
En France, Bernard Sexe, qui est un collectionneur, est celui qui détient une des meilleures
collections de mon travail, mais je figure parmi d’autres collections. En Belgique, je suis
exposé dans une Galerie à Geinst.
Comment s’est faite votre rencontre avec la
peinture ?
Comment vous organisez-vous pour exposer à
Kinsasha?
Au début, contrairement à ce qu’on pourrait
croire, rien ne me prédestinait à la peinture,
même si j’en ai été très vite passionné. J’ai
été inondé par les toiles de mon père, mais
en faire ma passion et mon gagne-pain n’a
pas été chose facile. J’ai longtemps été
chauffeur de taxi à Kinshasa. En discutant,
en échangeant avec les gens, j’ai pu observer la société kinoise en particulier son évolution sociologique.
Nous sommes organisés en association et
notre but est de promouvoir notre art par des
expositions de nos jeunes talents, très rigoureusement sélectionnés. D’ailleurs, nous
avons un très bon vivier qui va pouvoir exposer dans des galeries internationales dans
moins de dix ans.
Quand avez-vous réalisé votre première toile ?
C’était en 1994 et elle a été offerte par mon
père en cadeau à André Magnin.
Peut-on dire que vos peintures sont la continuité du travail de votre père Moké ?
Oui, on peut le dire et j’en suis fier. Les débuts
ont été difficiles mais je pense à juste titre
avoir bien perpétué cet art peu connu du grand
public. Je suis le digne héritier de mon père.
Depuis combien de temps vivez-vous de vos
toiles ?
Oh, ça fait exactement huit ans que je vis
pleinement de ma peinture et j’en suis heureux. Je vis entre Paris et Kinshasa où j’ai
un atelier et où j’initie et encadre les enfants
à la peinture.
Quelle est votre technique picturale et quelle
formation avez-vous suivie ?
La peinture populaire ne s’apprend pas à
l’école, elle est innée! Je rejoins ce que André Magnin à dit “Je ne crois pas à l’enseignement de l’art, mais à l’art comme enseignement.” Sauf que je nuance ses propos car
pour moi, seule la peinture académique peut
s’apprendre par méthodologie à l’école.
Où peut-on admirer vos toiles en France et en
Belgique?
Quels sont vos thèmes de prédilection ?
J’aime beaucoup l’art contemporain en
particulier. Les peintres de la Renaissance
m’inspirent aussi par la mise en perspective
et je suis intéressé par la notion de paysage.
Votre musée préféré et le tableau qui vous a le
plus marqué ?
Le musée du Louvre est sans conteste celui
qui m’a le plus marqué jusqu’à présent. J’ai
apprécié les toiles sans fin et le tableau que
je préfère est celui de Véronèse Les Noces
de Cana. Sa technique de l’huile sur toile
démontre qu’il était un visionnaire, et surtout les dimensions de ce tableau qui sont
comme je les aime! 666x990 (HxL)
D’où tirez-vous votre inspiration ?
Je m’inspire beaucoup de l’actualité, de
l’environnement. Je travaille comme un
journaliste. Je décris ma ville comme je
l’observe et reproduis surtout des scènes
de Kinshasa car, comme je l’ai indiqué plus
haut, mon premier métier de chauffeur de
taxi m’a permis de très bien connaître la
ville. Mes toiles reflètent la ville kinoise et
donnent envie aux touristes de la découvrir.
Quand je réside en France, en général, je
m’inspire de l’actualité sociale française.
Quels sont les artistes peintres africains dont
vous appréciez le travail?
Moké (mon père) bien évidemment, Chéri
Samba, Pierre Bodo et bien d’autres encore.
Selon vous, l’art a-t-il de meilleurs horizons en
Afrique ?
Nous souffrons terriblement, nous les artistes peintres africains car nous ne disposons pas de boutiques pour acheter le
simple matériel par exemple. Ce qui est un
véritable obstacle pour la production de nos
œuvres. De plus, nous manquons cruellement de visibilité locale, à notre grand regret. Nous ne sommes pas sollicités pour
exposer dans des galeries, établissements
ou restaurants.
Ce que nous souhaitons, c’est que les pouvoirs nous accordent la même importance
comme pour la musique.
Propos recueillis par Karine Oriot
Enjeuxafricains N°11 février-mars 2014 65
Culture Livre
Preneur d’otages, une affaire très juteuse !
De la Colombie au Sahel en passant par les côtes somaliennes, les prises d’otages de plus
en plus fréquentes, sont l’œuvre de groupes criminels plus motivés par l’argent que par les
revendications politiques et idéologiques
Sur le plateau du JT de 20h de France 2 du
30 octobre dernier, le ministre français de
la Défense, Jean-Yves Le Drian a été catégorique : « La France ne paie pas de rançon », une mise au point destinée à contrer
les affirmations du journal Le Monde. La
veille, le quotidien du soir avait affirmé
qu’une contrepartie financière d’une vingtaine de millions d’euros avait bien été versée pour obtenir la libération, le 29 octobre
des quatre otages d’Arlit, Thierry Dol, Daniel Larribe, Pierre Legrand et Marc Féret,
kidnappés depuis 2010 au Niger alors qu’ils
travaillent pour les groupes Areva et Vinci.
Dès son arrivée au pouvoir en 2012, le président François Hollande a déclaré que la
France ne paiera plus de rançon. Une nouvelle doctrine qui tranche avec celle de ses
prédécesseurs, mais de toute évidence, on
n’est loin des libérations à « titre humanitaire ». Depuis quelques années, la prise
d’otage par les groupes terroristes ou des
pirates sont devenus une activité très lucrative, Al Qaida au Maghreb islamique
(Aqmi) ayant à lui seul, extorqué plus de
100 millions de dollars depuis 2007 !
Journaliste de l’Agence France presse
(AFP) à Bruxelles, puis au Palais de justice
de Paris, Dorothée Moisan vient de publier
« Rançons ; Enquête sur le business des
otages » un livre d’enquête qui décrit les
méthodes mises au point par des rapaces
d’un genre particulier, adeptes du cynisme
et de l’ignominie : gagner de l’argent ou exprimer des revendications politiques en s’en
prenant à la vie d’innocentes personnes.
Certes, les enlèvements de personnes suivis de demande de rançon ne datent pas de
maintenant, et le livre de Moisan en fournit
mille exemples de personnalités ou leurs enfants, kidnappés par des groupes criminels,
puis libérés après que de fortes sommes
d’argent aient été versées. Mais, ce qui est
nouveau, c’est la médiatisation à outrance
et la mise en scène par les preneurs d’otages
de leurs actions et qui leur confèrent un
énorme retentissement.
En janvier 1975, en plein Paris, Maxime
66
Cathalan, fille du PDG des laboratoires
Roussel et âgée de 23 mois, est enlevée.
Prix pour retrouver la liberté, un million et
demie de francs. Le 13 avril 1977, le PDG
de Fiat France, Luchino Revelli-Beaumont
est kidnappé et libéré trois mois plus tard
contre deux millions de dollars. Le 28 février 1986, François Lorber, patron d’une
entreprise de peinture en bâtiment est enlevé par des individus casqués et armés. Ils
exigent le versement d’une rançon de 300
millions de francs et menacent de l’exécuter
si la somme n’est pas versée en coupures
non usagée.
A chaque fois, les voyous parviennent à
leurs fins, les familles ne résistant pas à céder à leurs revendications en dépit parfois
de l’opposition de la police et des services
de renseignements. Mais les pouvoirs publics ne semblent pas encore avoir trouvé le
moyen efficace de faire face à cette criminalité. Accepter sans rechigner le versement
des rançons, c’est encourager involontairement le développement du kidnapping, en
plus de donner aux voyous les moyens de
continuer leur entreprises criminelles. Refuser de payer, comme le fait l’Angleterre,
c’est prendre le risque de précipiter ses
concitoyens à la mort.
Dans le cas des otages d’Arlit, tout laisse
à penser que ce sont Areva et Vinci qui ont
payé la rançon, signe que l’on va vers désormais une gestion « privée des rançons ».
Face au refus de l’Etat de payer, les entreprises satisfont aux revendications des
preneurs d’otages, quitte à se faire rembourser par leurs assurances, du moins,
quant il ne s’agit pas d’otages politiques.
« Payer n’est en soi ni bien ni mal. Mais il
faut être conscient que cela ne fera qu’alimenter le problème », explique Dorothée
Moisan, qui précise que selon la nature de
la prise d’otage, les compensations vont
du versement de numéraires en passant
par les fournitures d’armes, la prise en
charge des frais de santé d’un terroriste,
l’asile accordée à sa famille dans un
pays, voire contre un moteur de bateau,
des sacs de riz,
des maillots de
football !
Au fil des pages
du livre de Dorothée Moisan,
on apprend, stupéfait que les actes de
pirateries qui se sont développés depuis
le début des années 2000 aux larges des
côtes somaliennes ne sont pas l’œuvre de
quelques désœuvrés ou de délinquants
soucieux d’assurer seulement leur quotidien, mais le résultat d’une entreprise aux
acteurs multiples : assureurs, banquiers,
avocats d’affaires, pilotes d’avion, vendeurs d’armes. « Flairant la bonne affaire,
des pilotes se sont spécialisés dans une
nouvelle activité : le pack largage de rançon, facturé 150 000 dollars TTC. L’avion
survole d’abord le navire pour se faire
reconnaître, repasse pour contrôler que
l’équipage est au complet sur le pont et effectue un troisième passage pour effectuer
le drop », c’est-à-dire le largage de billets
de banque destinés à payer les pirates.
Bien que périlleuse, la piraterie s’avère à
l’expérience, une bonne affaire qui prospère depuis 2005. (Voir article sur la piraterie). « En 2011, la petite PME du crime
est devenue une pompe à dollars », écrit
Moisan. On apprend ainsi que les boucaniers du Puntland ont engrangé quelque
160 millions de dollars en 2012, la plus
forte rançon, 13,5 millions de dollars
ayant été versée en avril 2011 pour récupérer le supertanker grec Irene et sa cargaison de 2 millions de barils brut.
De fortes sommes réparties ensuite entre
assureurs, banquiers prêteurs, avocats, vérificateurs de billets, pilotes, villageois et qui
sont ensuite « blanchies » dans des investissements immobiliers et l’achat d’équipements plus performants.
Joachim Vokouma
Dorothée Moisan ; Rançons, enquêtes sur le business
des otages ; édition Fayard ; Paris, 293 pages ; 18 euros
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