Côte d`Ivoire - African Guarantee Fund
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Côte d’Ivoire Le nouvel envol économique Dossier spécial 30 pages Centrafrique Anicet Georges Dologuélé « Je serai candidat à l’élection présidentielle » RDC : Félicité Singa Boyenge, une banquière de choc Cameroun : Polémique sur le rapatriement du corps d’Ahmadou Ahidjo Commerce : Les APE à nouveau sur la table des négociations entre l’UE et les ACP N°11 février-mars 2014 www.enjeuxafricains.com / Zone euro : 3,50 € / Zone franc : 2 000 FCFA Editorial Honneur aux femmes Le mois de mars est depuis longtemps réservé à la célébration de la Journée internationale de la femme, plus précisément le huitième jour du mois. Ce numéro étant disponible jusqu’à fin mars, nous avons pris, nous aussi, le parti de rendre hommage aux femmes. Et pour cause. De plus en plus de femmes s’illustrent dans bien des domaines au même titre que les hommes, voire plus. Un monde où tous les pays seraient dirigés par des femmes, gageons qu’il aurait fière allure. Nul doute aussi qu’un tel monde connaîtrait moins d’arbitraire, moins d’injustices, moins de violences et moins de misère. Dans nombre de pays, un tel scénario redonnerait à coup sûr un peu d’espoir à des populations en perdition. L’actualité nous fournit un bel exemple où une femme porte sur ses épaules les espoirs de toute une nation. Pour la première fois en effet, dans l’histoire de l’Afrique centrale, une femme, Catherine Samba-Panza, est aux commandes d’un Etat depuis le 20 janvier, la République centrafricaine. Elle succède à Michel Djotodia qui a failli dans sa mission de réconcilier les Centrafricains, de pacifier le pays et de sécuriser l’ensemble de la population, toutes communautés confondues. Au moment où tout un pays semblait se faire hara-kiri, les membres du Conseil national de la transition ont sorti de leur chapeau le nom d’une femme pour redonner l’espoir à toute une nation. Tout un symbole ! Ne faisons pas d’angélisme, mais il faut reconnaitre tout de même que depuis l’accession de ce pays à l’indépendance en août 1960, les hommes qui se sont succédés à la tête de l’Etat ont montré de quoi ils étaient capables. Leur bilan n’est pas glorieux : misère, prévarication, népotisme, gabegie financière, corruption et violence, voilà ce que la nouvelle présidente hérite de ses prédécesseurs. Des troubles, des coups d’Etat et des rébellions à répétition ont fait dérailler le train « RCA ». Egoïstes et aveugles, ils ont gouverné ce pays de la pire manière qui soit. Honte à vous les hommes ! Il ne vous reste qu’à faire profil bas dès à présent. Aujourd’hui, l’histoire s’écrit au féminin et on a toutes les raisons d’y croire. A la nouvelle présidente de montrer que ce pays peut être gouverné autrement et n’est pas soumis à la fatalité de l’instabilité chronique et des violences à répétition. Qu’une femme peut redonner le goût de vivre aux Centrafricains et la fierté d’appartenir à une nation qui reste à construire. Mais le temps presse. François Katendi, directeur de la publication Certes, Catherine Samba-Panza pourrait échouer dans sa mission de pacifier le pays et d’organiser des élections crédibles au terme de la transition, début 2015. Tant les obstacles ne manqueront pas de se dresser devant elle, à commencer par les milices qui n’ont pas encore déposé les armes et une administration totalement paralysée. Mais plaçons plutôt le curseur du côté positif. Les qualités tant vantées de cette femme de caractère lui sauront éviter les pièges dans lesquels presque tous ses prédécesseurs sont tombés. La communauté internationale doit aider la nouvelle présidente à réussir la réconciliation des Centrafricains. L’échec n’est pas permis. Le train « RCA » doit être remis sur les rails. Il faut absolument soutenir Catherine Samba-Panza, surtout les pays de la région d’Afrique centrale, en particulier le Congo et le Tchad dont les présidents ont brillé par leur absence à la cérémonie de son investiture le 23 janvier. Enjeuxafricains N°11 février-mars 2014 3 Sommaire Bimestriel international Le magazine économique de l’Afrique www.enjeuxafricains.com Courriel : [email protected] Edité par Emergent Sprl Kinshasa - RDC Courriel : [email protected] Directeur de la Publication : François Katendi REDActeur eN CHEF : Joachim Vokouma Rédaction : Jean-Mathis Foko, Chrizostome Lisasi, Marie Labrune, Serge Noël, Anne Lauris, Brakissa Komara, Yves Laurent Goma, Farida Ayari, Jean-Claude Abalo, Bienvenu Bakwala, Tiego Tiemtore, Alexis Kalambry, Sady Ndiaye, Jean-Vincent Tchienehom, Louis-Philippe Mbadinga, Daniel Bekoutou, Diangadianga Ngongo Mukoma, Senior Mfumu, François Katendi Courriel : [email protected] Chroniqueurs : Elikia M’bokolo, Guy Rossatanga-Rignault Hakim Ben hammouda et Thierry Tené Secrétaire de rédaction : Aina Andrison Photographes : Harouna Traoré, Ons Abid, Thino Kiviti et Athis-Photo Maquette (conception et exécution) : Dominique Bruneton Chargée de mission : Miya Katendi Marketing et communication : Sonia Housez Contact Publicité : publicité@enjeuxafricains.com Béatrice Lumbu Emergent sprl - Kinshasa Tél. : +243 998 20 11 66 Courriel : [email protected] Imprimé en Europe 4 Laser Economie 6André Nzapayeké et Daniel Ona Ondo 7Geneviève Inagosi et Yamina Benguigui 8RCA : Catherine Samba-Panza, l’espoir d’un pays 46 Chronique par Hakim Ben Hammouda : L’accord de l’OMC à Bali : Vers un renouveau du multilatéralisme ? 48 Commerce UE/ACP : Les APE à nouveau sur la table des négociations 50 Younoussa Sanfo, expert en sécurité informatique, directeur général d’Intrapole : « 70% des problèmes de sécurité proviennent des comportements humains » 52 Challenge entrepreneurial du Congo : Le RICE récompense quatre lauréats 54 Interview de Félicité Singa Boyenge, directrice générale de Fibank : « Bâtir une banque solide pour rejoindre le Top 10 en RDC dans les deux ans » 56 Financement : AGF, mieux faire en 2014 57 Une enveloppe de 100 millions d’euros (65,5 milliards de F CFA) pour le coton burkinabè 58RDC/Banque mondiale : Renforcer la gouvernance et diversifier l’économie Anicet Georges Dologuélé page 10 Politique 10Anicet Georges Dologuélé « Je serai candidat à l’élection présidentielle » 12Cameroun : Polémique sur le rapatriement du corps d’Ahmadou Ahidjo 14Gabon : Une biométrie et des questions ! 15Chronique par Guy Rossatanga-Rignault : Affaire Michel Thierry Atangana Daniel Ona Ondo page 6 Emmanuel Esmel Essis, dg du Cepici page 24 En couverture Spécial Côte d’Ivoire 18 Les manœuvres pour 2015 ont déjà commencé 22 Un dynamisme économique retrouvé 24Tapis rouge pour les investisseurs 28Emergence en 2020, le pari fou (?) du président Ouattara 30 Retour de la BAD à Abidjan : Tout s’accélère 32 Eclaircies dans la filière agricole ivoirienne 32 Filière café-cacao : Après l’assainissement, la relance 34 Anacarde : Une transformation locale embryonnaire 35 Hévéaculture : Une industrie découragée par les taxes 36 Pétrole : Les ambitions pétrolifères de la Côte d’Ivoire 38 Climat des affaires en Côte d’Ivoire : Ce qui a changé ! 40Interview de René Decurey, directeur général d’Air Côte d’Ivoire 42Interview d’Affoussy Bamba Lamine, ministre de la Communication 45 Pathé’o, un styliste indémodable Younoussa Sanfo, directeur général d’Intrapole page 50 Société 60Interview de Marie-Christine Saragosse, Pdg de France Médias Monde « La voix de nos médias est respectée » Marie-Christine Saragosse, Pdg de France Médias Monde page 60 Culture 64Moké Fils «Je suis un peintre reporter de l’urbanité» 66Livre : Preneur d’otages, une affaire très juteuse ! Moké Fils page 64 Enjeuxafricains N°11 février-mars 2014 5 Laser © DR Centrafrique : Un technocrate et banquier nommé Premier ministre Deux jours après sa prestation de serment, la nouvelle présidente de la République centrafricaine Catherine Samba-Panza, a nommé André Nzapayeké, 62 ans, au poste de Premier ministre dans un contexte marqué par des violences intercommunautaires, de milliers de déplacés et de retours massifs d’étrangers dans leurs pays d’origine. Vice-président de la Banque de développement des Etats d’Afrique centrale (BDEAC) dont le siège est à Brazzaville, ce techno- crate, sans étiquette politique, a aussi des liens avec la République démocratique du Congo (RDC) du côté de son père. Formé aux Pays-Bas, André Nzapayeké est un polyglotte qui est passé par la Banque africaine de développement (Bad) où il occupait le poste d’administrateur. « J’étais administrateur de la République centrafricaine et de quatre autres pays africains à la Banque africaine de développement. J’ai toujours été en relation avec mon pays dont je connais très bien la situation politique », a déclaré le nouveau chef de l’exécutif centrafricain. Des atouts qui ne seront pas de trop pour épauler la présidente dans la lourde tâche de ramener d’abord la sécurité dans le pays en désarmant les ex-rebelles et autres milices qui sévissent dans tout le pays. Le gouvernement où sans doute siègeront les différentes sensibilités du pays devra très vite s’atteler à réconcilier les Centrafricains par le dialogue, relancer l’administration paralysée par plusieurs mois d’arriérés de salaires, puis organiser des élections dans le premier trimestre 2015. Geneviève Inagosi-Bulo Kasongo © DR André Nzapayeké Yamina Benguigui Gabon 6 C’est celui dont le nom circulait dans la presse gabonaise depuis quelques semaines que le président gabonais Ali Bongo Ondimba a finalement nommé Premier ministre, le 24 janvier, en remplacement de Raymond Ndong Sima, en poste depuis le 27 février 2012. Economiste, professeur agrégé, le nouveau Premier ministre a fait ses études supérieures en France où il a obtenu en 1980, un doctorat en sciences économiques à l’université Paris I Sorbonne. Il est également professeur agrégé des Facultés de droit et de sciences économiques et enseignant à l’université Omar Bongo de Libreville, il a occupé successivement les fonctions de doyen puis de recteur. D’abord conseiller du président Omar Bongo chargé des relations commerciales, industrielles et des participations, il est ensuite entré dans le gouvernement en 1997 en tant que ministre délégué auprès du ministre de la Santé publique et de la population. En 1998, il est nommé ministre de la Culture, des arts et de l’éducation populaire avant de changer de portefeuille en 2002 en tant que ministre de l’Éducation nationale. En 2005, il devient ministre des Postes et télécommunications. Elu député en 2007 au compte du Parti démocratique gabonais, il est choisi par ses pairs pour assumer la vice-présidence de l’Assemblée nationale. Homme à poigne, Daniel Ona Ondo est originaire de la province septentrionale du Gabon, le Woleu Ntem, très peu peuplée en raison de la surface occupée par la forêt équatoriale. Marié et père de sept enfants, sa principale mission sera de poursuivre la mise en œuvre du programme présidentiel, en particulier le Plan stratégique Gabon émergent (PSGE). © DR © DR Daniel Ona Ondo, nouveau Premier ministre La consécration Kinshasa accueillera les 3 et 4 mars 2014 la 2ème édition du Forum mondial des femmes francophones. Près de 700 délégués femmes y sont attendus dont 300 viendront de l’extérieur du pays. Selon la ministre du Genre, de la famille et de l’enfant, Geneviève Inagosi-Bulo Kasongo, cet événement intervient au cours du mandat reçu en octobre 2012 par le président Joseph Kabila dans le cadre de la présidence du Sommet de la francophonie. Cette 2ème édition du forum aura pour thème « femmes actrices du développement ». Cet événement constituera, à n’en pas douter, un des temps forts du travail que Geneviève Inagosi-Bulo Kasongo effectue à la tête d’un ministère qui ne bénéficie souvent de l’attention des médias qu’au mois de mars de chaque année, à l’occasion de la Journée internationale de la Femme. Une injustice pour cette ancienne journaliste qui a fait son entrée en politique en 2011 en se faisant élire député national. La pasionaria Après avoir contribué largement à la création du Forum mondial des femmes francophones dont la 1ère édition a eu lieu en mars 2013 à Paris, la ministre déléguée chargée des Français de l’étranger et de la francophonie se rendra les 3 et 4 mars à Kinshasa pour participer à la 2ème édition de ce forum. Cette Française d’origine méditerranéenne incarne depuis sa nomination, il y a bientôt deux ans, une francophonie solidaire et de proximité. Ses fréquents déplacements sur le terrain ne se passent pas que dans les beaux quartiers, cette ancienne réalisatrice n’hésite jamais à visiter les ONG et les centres de formation pour jeunes filles dans les quartiers sans route asphaltée, loin du centre-ville. Yamina Benguigui mène également un combat contre les violences faites aux femmes dans les zones de conflit. Elle sera au cœur du dispositif du prochain sommet de la francophonie prévu en novembre à Dakar et qui aura pour thème : « Femmes et jeunes dans la francophonie : vecteurs de paix, acteurs de développement ». Enjeuxafricains N°11 février-mars 2014 7 Laser Centrafrique : Catherine Samba-Panza, l’espoir d’un pays Après le Liberia, le Malawi dirigés respectivement par Ellen Johnson Sirleaf depuis 2006, Joyce Banda depuis avril 2006, et la présidente du sénat gabonais Rose Rogomdé qui a assumé la présidence de transition suite au décès d’Omar Bongo Ondimba en juin 2009, un autre Etat africain, la Centrafrique est désormais dirigée par une femme, Catherine Samba-Panza. Elle a été élue le 20 janvier au deuxième tour du scrutin par le Conseil national de transition (le parlement provisoire qui compte 135 membres) par 75 voix contre 53 pour son adversaire, Désiré Kolingba, le fils de l’ancien président André Kolingba. Elle remplace Michel Djotodia qui avait, à la tête d’une rébellion, renversé le président François Bozizé en mars 2013 et qui a été contraint à la démission le 11 janvier par les chefs d’Etats de la Communauté économique des Etats d’Afrique centrale (CEEAC) pour son incapacité à mettre fin aux violences intercommunautaires ayant causé la mort de plusieurs centaines de victimes et le retour dans leurs pays d’origines de milliers d’étrangers. Née le 26 juin 1954 à Fort-Lamy, l’actuel Djamena au Tchad, de père Camerounais et de mère Centrafricaine, cette juriste et patronne d’une société d’assurances, mère de trois enfantas, incarne l’espoir de tout un pays en proie à une instabilité chronique depuis son indépendance en août 1960 et à une pauvreté galopante malgré son immense potentiel minier et agricole. Peu après son élection qui a été favorablement accueillie par la population, celle qui 8 © DR Alors que la République centrafricaine est en proie à des violences intercommunautaires, c’est à une femme que les députés du parlement de transition ont confié les destinées du pays. Une première qui suscite beacoup beaucoup d’espoir officiait en tant que maire de la capitale, Bangui depuis mai 2013, a lancé un vibrant appel à la fin des tueries et à la réconciliation. « Je lance un appel vibrant à mes enfants anti-balaka (miliciens chrétiens) qui m’écoutent. Manifestez votre adhésion à ma nomination en donnant un signal fort de dépôt des armes » a-t-elle déclaré, suppliant également « mes enfants ex-Séléka qui m’écoutent aussi, déposez vos armes ». Décrite comme une femme de caractère qui refuse les dictats, Catherine Samba-Panza n’est pas une inconnue de la vie publique centrafricaine. Certes, elle n’a jamais été ministre, mais elle est n’est pas déconnectée des réalités de ca la cité. Parallèlement à ses occupations professionnelles, elle milite dans l’Association des femmes juristes de Centrafrique (AFJC), défend la cause des femmes dans l’accès et soutient ceux et celles qui sont victimes des turbulences politiques que le pays a connues. Vice-présidente du dialogue national organisée par l’ancien président François Bozizé qui avait lui aussi renversé en mars 2003 son prédécesseur Ange-Félix Patassé, Catherine Samba-Panza avait joué un rôle crucial dans la réconciliation des anciens présidents David Dacko (renversé en 1981 par un coup d’État du général André Kolingba) et le Premier ministre de l’époque Abel Goumba, qu’une farouche inimité séparait. On peut penser que cet exploit a beaucoup compté dans l’esprit des députés au moment de faire leur choix. La présente de transition entame sa lourde mission sous de bons auspices. Elle bénéficie du soutien massif de la population et l’Union s’est engagée à lui apporter un appui militaire pour renforcer la présence des forces africaines et françaises, chargés d’assurer la sécurité dans tout le pays. Autre bonne nouvelle, l’Union européenne et les Nations Unies se sont engagés à débloquer près de 500 millions de dollars pour la Centrafrique en 2014 et à être aux côtés des autorités pour mettre fin à crise que connait la Centrafrique. Après sa prestation de serment le 23 janvier et la nomination deux jours plus tard d’André Nzapayeké au poste de premier ministre, Cathérine Samba-Panza, le compte à rebours est désormais lancé. La période de transition doit être terminée au plus tard à la fin du premier trimestre 2015 avec l’organisation d’élections générales. Un autre défi de taille à relever d’autant plus difficile qu’il faut du temps pour recoller un pays en lambeaux. Enjeuxafricains N°11 février-mars 2014 9 Politique interview Anicet Georges Dologuélé « Je serai candidat à l’élection présidentielle » Vous n’êtes pas candidat au poste de président par intérim. Vous avez d’autres ambitions ? Le Désarmement, démobilisation, réinsertion (DDR) n’a jamais été mené à son terme sous François Bozizé. Cet échec n’est-il pas aussi l’une des raisons de la détériorisation de la situation sécuritaire dans le pays ? Et ne faudrait-il pas le relancer ? La situation sécuritaire à Bangui comme dans le reste du pays demeure préoccupante. Que faut-il faire pour ramener le calme et réconcilier les différentes communautés ? Il faut dans un premier temps désarmer tous ceux qui portent illégalement des armes, de gré ou de force. C’est la seule manière d’en finir avec l’insécurité. Maintenant, pour ramener la paix, il faut réapprendre aux Centrafricains à vivre ensemble, à se parler à nouveau, ce qui nécessite beaucoup de pédagogie. Le gouvernement de transition devra s’impliquer 24 heures sur 24 dans cette tâche. Mais comment est-on arrivé là ? Qu’est-ce qui a poussé les communautés à prendre les armes les unes contre les autres ? Selon vous, quel serait le profil idéal du président par intérim chargé de conduire la transition qui s’annonce compliquée ? © D.R. Il doit d’abord bien connaître les rouages de l’Etat, ensuite, avoir l’autorité nécessaire pour gérer une période aussi difficile que celle que nous connaissons. Il doit être doté d’une réelle faculté d’écoute pour prendre en compte les avis des uns et des autres, être à même de parler aux Centrafricains pour calmer la vive tension qui règne entre les communautés, n’avoir pas d’accointances avec les éventuels candidats pour ne pas tenter de manipuler le scrutin qui s’annonce, et enfin, être impartial. En clair, ne surtout pas soutenir un candidat, car cela risque de fausser le jeu. 10 treuses pour notre pays. Et si l’on n’y prend garde, elle peut se perpétuer de génération en génératon. Et puis, j’ai vraiment honte pour la Centrafrique quand je vois tous ces étrangers obligés de rentrer précipitamment chez eux par avions entiers. Je n’ai jamais fait mystère de mes ambitions dans la mesure où j’ai annoncé dès juin 2013 que je serai candidat à l’élection présidentielle. Ministre des Finances puis premier ministre du défunt président Ange Félix Patassé de 1999 à 2001, Anicet Dologuélé a présidé en septembre dernier, l’assemblée constituante de son parti, l’Union pour le Renouveau centrafricain (URCA). A 57 ans et l’élection présidentielle dans le viseur, ce technocrate, qui a été aussi président de la Banque de développement des Etats de l’Afrique centrale (BDEAC) de 2001 à 2011, jette pour Enjeux africains, un regard sans concession sur la crise que vit la République centrafricaine, et lève un coin du voile sur son programme présidentiel Quelle serait la durée idéale de cette transition ? Les élections étaient initialement prévues pour février 2015, et il est question maintenant de les ramener à fin 2014. En tout cas, la durée idéale de la transition serait celle qui permettrait de bien les organiser et à mon avis, il ne faut pas aller au-delà de février 2015. Anicet Georges Dologuélé, ancien premier ministre et leader de l’URCA Les hommes politiques, et en particulier Michel Djodotia et les Séléka portent une lourde responsabilité sur ce qui se passe chez nous. Ils ont pris le pouvoir sans combattre et parmi les Séléka, il y avait beaucoup de mercenaires qui, malheureusement ont tendance à déraper. Mais ces dérapages auraient dû être canalisés au bout de quelques jours. Or, ils ont continué pendant neuf mois durant lesquels, ils s’en sont pris aux populations non musulmanes. Ce qui a provoqué la riposte des anti-Balakas. [NDLR : Des groupes d’autodéfenses composés de chrétiens]. Mais au lieu de combattre les Sélékas qui terrorisaient les leurs, ces derniers se sont trompés de cibles et ont visé toutes les populations musulmanes. Cette rancœur entre musulmans et chrétiens risque d’avoir des conséquences désas- Bien sûr qu’il va falloir le relancer, d’autant que son financement avait été déjà bouclé et que les différents combattants avaient été cantonnés et attendaient l’arme aux pieds d’être désarmés et démobilisés. Mais cette opération n’a jamais eu lieu. Résultat, ils ont conservé leurs armes et les politiciens peu scrupuleux se sont servis d’eux pour arriver à leur fin. Certains parmi eux, qui sont actuellement à Bangui font partie des Séléka originels, c’est-à-dire, des éléments des différentes rébellions qui ont secoué la Centrafrique. Le DDR devrait dans la mesure du possible permettre de les intégrer dans la future armée centrafricaine. Quant aux mercenaires étrangers, ils doivent retourner sans délai dans leurs pays. Justement, parmi les mercenaires étrangers, il y aurait des Tchadiens. Votre pays a toujours eu des relations très complexes avec le Tchad. Que faut-il faire pour que vos relations s’équilibrent et que s’établissent des relations de respect mutuel ? Le Tchad est un pays frère avec qui nous n’avons jamais eu de problème. Qui plus est, nos deux pays ont beaucoup d’affinités. Seulement, tout a commencé avec le président Ange-Félix Patassé. Dès que notre pays avait un souci militaire auquel il était incapable de faire face, il faisait appel au Tchad qui est une puissance militaire dans la région. C’est ainsi que ce pays a commencé à mettre pied en République centrafricaine. Mais François Bozizé a fait pire. Il a supplié Idriss Déby de l’aider à le porter au pouvoir. De plus, sa garde personnelle était composée essentiellement de Tchadiens. Michel Djotodia est parti du Tchad avec ses hommes pour venir s’emparer du pouvoir. Donc ce sont les hommes politiques centrafricains qui ont à chaque fois sollicité l’appui du Tchad et pas l’inverse. Depuis son indépendance, la République centrafricaine n’a jamais vraiment connu la stabilité. Au point que certains parlent de malédiction centrafricaine. Comment expliquez-vous ces crises récurrentes ? Je vivais à l’étranger avant d’entrer au gouvernement. Et pendant les quatre années que j’y ai passé, j’ai constaté que les hommes politiques centrafricains ont une étonnante capacité à se détester les uns les autres. Or, sans un minimum d’harmonie, il est difficile de construire un pays. En outre, les Centrafricains ont une mentalité de fonctionnaires. Tout le monde veut rentrer dans la fonction publique. Rares sont ceux qui se lancent dans le commerce ou les affaires, des secteurs d’activité essentiellement occupés par des étrangers. C’est l’une des raisons pour lesquelles, j’ai exprimé mon inquiétude en voyant ces derniers quitter massivement notre pays. La Centrafrique est extraordinairement bien dotée par la nature, mais à cause de notre mentalité, nous n’arrivons pas en tirer profit. C’est pour cela que je souhaite me mettre au service de mon pays et faire de la politique différemment. Et comment ? Le rôle du politique, c’est de créer les conditions pour que les concitoyens puissent exploiter et bénéficier des richesses de leur pays. Les paysans qui constituent environ 80% de notre population, se battent au quotidien pour survivre. Notre pays étant très vaste, il faut mettre à leur disposition de plus grandes superficies, les encourager à produire plus et à commercialiser leurs récoltes, pas seulement en Centrafrique, mais aussi dans les pays voisins, histoire d’accroître leurs revenus. Il faut également faire en sorte que les jeunes s’intéressent au commerce, et à tout ce qui n’est pas administration, de manière à ce que chacun trouve quelque chose à faire. C’est cela aussi, la richesse d’un pays. Propos recueillis à Paris par Valentin Hodonou Enjeuxafricains N°11 février-mars 2014 11 Politique Actualités En février 2014, se tient à Garoua, une conférence intitulée « Panser les mémoires plurielles blessées pour repenser le Cameroun ». Sous cette formulation inoffensive se cache un sujet qui fâche : Le rapatriement du corps d’Ahmadou Ahidjo, le premier président du Cameroun, enterré à Dakar depuis sa mort le 30 novembre 1989. Le thème de la conférence est explicite : « Au-delà des heurts et malheurs historiques liés à l’exercice du pouvoir, comment la nation peut-elle être reconnaissante à Ahmadou Ahidjo »? On annonce la participation à cette conférence de personnalités aussi diverses que le Cardinal Tumi, l’avocate Alice Nkom, l’universitaire Owona Nguini, ou les leaders de partis politiques comme Maurice Kamto, Adamou Ndam Njoya ou Bernard Muna. Si Aboubakar Ousman Mey ratisse aussi large, c’est pour qu’il soit clair dans l’esprit de tous que cette conférence 12 « L’axe principal de la régénération de la nation camerounaise passe par la réhabilitation des principales figures de la vie politique nationale disparue. Dans ce cadre, il est indispensable de rapatrier les dépouilles de ceux de nos compatriotes morts en exil pour des raisons politiques. Cette action, qui vise à désamorcer les tensions, inutilement entretenues autour de nos morts le long de l’histoire politique de notre pays, est incontestablement du domaine de l’Etat », précise un communiqué de presse émanant de Justice Plus. © D.R. concerne bien tous les Camerounais et non pas seulement ceux qui sont originaires de la région du défunt président. De même, il souhaite créer un consensus aussi large que possible sur le rapatriement du corps d’Ahmadou Ahidjo qui devrait s’inscrire dans une démarche globale de réhabilitation de la mémoire de tous les anciens leaders politiques camerounais. Les organisateurs de la conférence indiquent que des rencontres similaires seront organisées dans les régions natales d’André-Marie Mbida, Félix-Roland Moumié, Um Nyobè, Ossendé Afana, anciens leaders du parti politique nationaliste, l’Union des populations du Cameroun (UPC) et toutes les autres figures dont les dépouilles sont encore à l’étranger. Le gouvernement camerounais s’étant toujours montré allergique à tout débat concernant le passé politique du pays et Si la conférence annoncée à Garoua a effectivement lieu, on pourrait affirmer que sur le sujet, les lignes ont véritablement bougé du côté du gouvernement. © D.R. A l’origine de la rencontre à laquelle est invitée une bonne partie de l’élite camerounaise, l’Organisation non gouvernementale (ONG) « Justice plus », impliquée dans la lutte contre l’injustice, la corruption et tous les maux qui minent l’unité du pays. Son secrétaire exécutif est Aboubakar Ousmane Mey, fils de bonne famille, frère d’un membre du gouvernement et qui se démène comme un beau diable depuis plusieurs années pour entretenir la mémoire de l’ancien chef d’Etat dont il lui a consacré un livre. Il a désigné un comité national de suivi en charge de l’organisation de la conférence dans lequel on trouve du beau monde : beaucoup d’hommes politiques (Alain Fogué, Marcel Yondo, Chrétien Tabestsing, Ayah Paul Abine, Chantal Marie-Roger Tchuilé, Asonganyi Tazoacha) mais aussi des personnalités de la société civile et de la presse. Le comité est relayé par des démembrements régionaux et départementaux à l’intérieur du pays, et des structures similaires existent pour la diaspora en Afrique de l’Ouest, en Europe et en Amérique du Nord. Christopher Fomunyoh du NDI, think thank proche du Parti démocrate américain © D.R. Polémique sur le rapatriement du corps d’Ahmadou Ahidjo tout ce qui se rattache à Um Nyobé et Ahmadou Ahidjo, la possibilité qu’un souspréfet plus royaliste que le roi vienne gâcher la fête par un arrêté d’interdiction n’est pas exclue. Ce ne serait qu’à moitié étonnant. Certes, ces derniers mois, le régime du président Paul Biya a montré un signe d’ouverture envers la famille de l’ancien président. Mohamadou Badjika Ahidjo, le fils aîné d’Ahmadou Ahidjo a été nommé ambassadeur itinérant, et sa fille cadette Aminatou a été accueillie en fanfare, officiellement rentrée d’exil à la veille des élections locales et parlementaires du 30 septembre dernier. Mais est-ce suffisant pour croire que cette fois, Paul Biya a assoupli sa position sur ce dossier épineux? Le feuilleton dure depuis le décès de son prédécesseur il y a plus de 24 ans. Le 30 octobre 2007, sur la chaîne de télévision française France 24, le Président Biya déclarait à ce sujet: «...Le problème du rapatriement de la dépouille de l’ancien Président est, selon moi un problème d’ordre familial (...). Si la famille de mon prédécesseur décide de faire transférer les restes du Président Ahidjo, c’est une décision qui ne dépend que d’elle. Je n’ai pas d’objection, ni d’observation à faire». Germaine Ahidjo (la veuve du disparu) et d’autres leaders d’opinion ne partagent pas du tout cette opinion, estimant que c’est au gouvernement de prendre cette initiative. L’ex-président béninois et vieil ami d’Ahmadou Ahidjo, Emile Derlin Zinsou a rencontré au moins deux fois le président camerounais pour le convaincre d’impliquer le gouvernement dans le rapatriement des restes de son prédécesseur. Sans succès. « Il a eu plusieurs occasions de mettre en œuvre ce sur quoi nous nous étions mis d’accord, sans en saisir aucune. Qu’estce qui le retient de faire ce geste attendu par la majorité des Camerounais et qui ne pourrait qu’être en son honneur », s’interroge Emile Derlin Zinsou. « Je serai à Garoua par devoir patriotique, et aussi par conviction, car aucun des grands pays du monde ne s’est construit sur la base des rancœurs, de la vengeance, ou de l’institutionnalisation des règlements des comptes entre les acteurs politiques nationaux. Les immenses potentialités humaines dont dispose notre pays ne pourront être bénéfiques au peuple si nous ne nous réconcilions pas avec nous-mêmes, avec notre histoire commune. Au moment où des pays africains célèbrent les héros de leur indépendance- HouphouëtBoigny pour la Côte d’Ivoire, Léopold Sédar Senghor pour le Sénégal, Nelson Mandela pour l’Afrique du Sud-qu’avons-nous fait, Camerounais, pour notre tout premier président de la république ? Qu’avons-nous fait avec la mémoire des autres nationalistes qui l’avaient précédé? Et que pourrait-on envisager pour mémoire de son successeur ? La conférence de Garoua est salutaire à plus d’un titre. C’est à notre génération de mettre fin à ce cercle infernal d’auto-flagellation en expurgeant de notre édifice social et politique commun, les germes destructrices et déstabilisatrices ci-dessus évoquées. Nous avons l’obligation, maintenant et pour toujours, de marquer l’histoire de notre patrie et de forger l’avenir avec sérénité en tant que dignes fils et filles de ce beau pays de nos ancêtres ». Germaine Ahidjo, veuve de l’ancien président, en exil au Sénégal et privée de passeport camerounais. « Ce n’est pas à moi de décider » « La décision revient au peuple camerounais. Moi je reste auprès de la tombe de mon mari. Je vais m’y incliner régulièrement, pour qu’il sache que je ne l’ai pas oublié, que je suis là et que je veille sur sa tombe. C’est mon devoir. Je tiens à rappeler qu’Ahmadou Ahidjo était un chef d’Etat. Il n’appartient pas qu’à sa famille. Il appartient en premier lieu au peuple camerounais. Il n’est pas un simple citoyen. Il a été président de la République dans son pays, et il a été enterré ici par un président de la République. Je ne vois pas ce que nous, sa famille, avons à demander. C’est au peuple camerounais qu’il faut demander s’il veut que son corps soit ramené au pays ou pas » © D.R. Cameroun Jean Vincent Tchienehom, Correspondant au Cameroun Enjeuxafricains N°11 février-mars 2014 13 Politique Actualités Une biométrie et des questions ! C’était une revendication de l’opposition, mais redoutée par la majorité au pouvoir. Maintes fois remis à plus tard, la biométrie s’est imposée lors des dernières élections locales avec des résultats diversement appréciés L’année 2013 est désormais inscrite en lettres d’or dans l’histoire politique du Gabon, avec, pour la première fois, l’organisation le 14 décembre, d’un scrutin basée sur une liste électorale biométrique. Un scrutin destiné à élire les conseillers municipaux et départementaux, sorte de grands électeurs chargés à leur tour d’élire au suffrage universel indirect, les maires, les présidents des assemblées départementales et les sénateurs. L’issue du scrutin a finalement plus ou moins donné satisfaction à tous les concurrents, car pour une première fois, les vaincus ont reconnu leur défaite et félicité les vainqueurs. Aucune violence n’a émaillée le déroulement du scrutin, avant, pendant et après, et fait notable à souligner, les morts n’ont pas voté et les votes multiples n’ont pas été dénoncés comme par le passé. La machine de la biométrie n’est cependant pas parfaitement huilée, beaucoup de déchets et d’imperfections ayant fait douter la majorité des leaders de l’opposition, y compris les citoyens lambda quant à sa fiabilité. La principale révolution a été constatée au niveau de l’enrôlement sur la liste électorale. Dans le passé, un chef de parti, de quartier ou de famille pouvait à lui seul inscrire plusieurs électeurs à la fois, en présentant les pièces d’identité des personnes concernées. Avec la biométrie, c’était impossible. L’inscription était individuelle car il impliquait la prise d’une photo numérique, le prélèvement des em14 pruntes digitales ainsi que des données liées à l’état civile de l’électeur. Résultat : ceux qui ont tenté de s’inscrire à plusieurs reprises ont vite été démasqués et au final, le corps électoral qui a dans le passé plafonné à 950 000 électeurs a été ramené à moins de 600 000 inscrits, très exactement à 579 637 électeurs. Autre nouveauté qui devait être introduite lors de ce scrutin à la demande l’opposition : L’identification. Cette technique devait permettre sur la base d’un clic, d’identifier l’électeur qui se présente devant un bureau de vote. Toutes les données collectées pendant l’enrôlement s’afficheraient sur l’écran sans laisser planer de doutes sur son identité. La vérification ne serait plus manuelle et il devait être possible de déceler d’éventuelles tentatives de vote multiples dans tout le pays. De même, le fichier central devait être accessible partout dans le pays, permettant ainsi à un électeur inscrit à Libreville de voter à Oyem (nord du pays) par exemple. Le pouvoir en place a balayé ces exigences, arguant que le réseau Internet défaillant, et surtout le manque d’électricité dans tout le pays étaient des obstacles insurmontables. « Le scrutin s’est déroulé avec un peu de biométrie », a reconnu l’ancien premier ministre passé à l’opposition, Jean Eyeghe Ndong, visiblement pas satisfait des résultats obtenus après tant d’argent versé à la société française Gemalto, choisie par l’Etat gabonais. L’opération aurait coûtée 12 milliards de FCFA aux contribuables, 22 milliards de FCFA selon l’opposition. « Le logiciel fourni par Gemalto est plus utile à la police qu’à l’amélioration du processus électoral », a commenté un universitaire gabonais. A cause de tous les manquements constatés, les électeurs sont restés dubitatifs. « Rien n’a changé en dehors de la photo couleur collée sur la carte d’électeur », fulminaient des citoyens ordinaires et des militants de l’opposition. Avant pour voter, il fallait présenter une carte d’électeur, une pièce d’identité, plonger le doigt dans l’ancre indélébile après un passage dans l’isoloir et enfin, signer devant son nom sur une liste électorale manuscrite. « C’est quasiment comme ce qui se faisait avant la biométrie », a conclu Jean Eyeghe Ndong, donnant l’impression que le Gabon a mis en œuvre une biométrie au rabais. Serge Noël Rose Christiane Ossouka Raponda, élue maire de Libreville Jusque-là ministère du Budget, des comptes publics et de la fonction publique, Rose Christiane Ossouka Raponda ne gérera plus les finances publiques mais plutôt les finances locales. Candidate du PDG, le parti au pouvoir, elle a en effet été élue sans surprise le 26 janvier maire de Libreville. Sa mission ne consistera pas qu’à manier les chiffres, elle va désormais administrer la ville la plus peuplée du Gabon, en s’occupant notamment du cadre de vie, de l’assainissement de la ville, de la sécurité, bref, de tous les problèmes que rencontrent les Librevillois au quotidien. Formée à l’Université Omar Bongo(UOB) et à l’Institut d’économie et de finances(IEF), Rose Christiane Ossouka Raponda, qui s’y connaît aussi en planification, promet de mettre en œuvre un Plan de développement local de la capitale. © D.R. Gabon Politique Chronique F.K. Affaire Michel Thierry Atangana : existerait-il des nationalités supérieures à d’autres ? Par Guy Rossatanga-Rignault Professeur à l’université de Libreville-UOB A suivre la campagne française visant la libération du sieur Michel Thierry Atangana, on est tenté de croire qu’il existe toujours, au 21ème siècle, des nationalités supérieurs à d’autres. Si l’on en croit les média français, M. Atangana est, au pire, « Franco-Camerounais », au mieux, Français, comme on peut le voir dans lexpress.fr (06/12/2013): « Les comités de soutien à Michel Thierry Atangana, un Français emprisonné au Cameroun, multiplient les initiatives en faveur de sa libération, mettant à profit le sommet franco-africain qui se tient à Paris les 6 et 7 décembre ». Toute nationalité comporte des droits et des obligations. Les droits que tient M. Atangana de sa nationalité française primeraientils sur les devoirs découlant de sa nationalité camerounaise ? Tout semble l’indiquer. Ce qui révèle une idée bien particulière de l’égalité souveraine des Etats. MM. Titus Edzoa, Thierry Michel Atangana Abega et Isaac Njiemoun étaient poursuivis au milieu des années 1990 dans le cadre de leur gestion des fonds de l’ex-Office national du cacao et du café camerounais (ONCC). Ils ont été condamnés en 1996 pour ces faits et reconnus plus tard coupables de détournement de la somme de 1 milliard 136 millions de francs CFA relative à la Taxe spéciale sur les produits pétroliers dans le cadre de l’opération anticorruption dite « opération Epervier » M. Atangana exerçait-il les hautes fonctions qui étaient les siennes dans l’appareil d’Etat camerounais en tant que citoyen camerounais ou en tant que coopérant technique français ? Citoyen camerounais, est-il oui ou non justiciable des tribunaux camerounais ? Peut-il être jugé au Cameroun pour les malversations financières qui lui sont reprochées quand bien même il serait Français ? Qu’adviendrait-il d’un haut fonctionnaire français d’origine camerounaise poursuivi et condamné par la justice française ? Serait-il libéré au motif de sa citoyenneté camerounaise ? Les réponses à ces questions sont plus qu’évidentes : l’intéressé a été recruté et a exercé ses fonctions comme Camerounais. Il est bel et bien justiciable des tribunaux de « son » pays. Et, s’il a détourné des fonds publics camerounais, il doit être jugé par les tribunaux camerounais, même s’il n’était que Français. Certes, on peut toujours estimer que « l’opération Epervier » est un trompe-l’œil visant à se débarrasser d’adversaires politiques. Il reste que tous les adversaires politiques du président camerounais n’ont pas été pris dans les griffes de l’Epervier. En réalité, quelque soit le niveau d’indépendance réel des juges camerounais, cette campagne fait remonter à la surface un impensé d’ordre raciste : des juges africains ne peuvent qu’être incapables, corrompus et soumis au pouvoir politique. A écouter le comité de soutien de M. Atangana, un juge camerounais sérieux et indépendant devait faire libérer l’intéressé, qu’il ait ou non commis les faits qui lui sont reprochés. Des Français sont emprisonnés aux USA, sans que qui que ce soit s’en préoccupe véritablement. Pourquoi s’intéresse t-on autant au cas Atangana ? Parce que tout simplement, ce qu’on ne fait à personne d’autre ni à aucun autre pays, on peut se le permettre avec les Africains et les Etats africains. (…) Il faut croire que la loi française est naturellement supérieure à la loi camerounaise. En effet, il y a un élément de droit dont on ne parle presque jamais dans cette affaire, y compris côté camerounais : l’article 31 du Code de la nationalité camerounaise est explicite : “ Le Camerounais majeur, qui acquiert ou conserve volontairement une nationalité étrangère, perd la nationalité camerounaise ”. En clair, il n’y a pas, en droit, de double na- tionalité au Cameroun. En fait, il en va tout autrement. Tout le monde connaît le célèbre “ Franco-Camerounais ” ou “ Français ” Yannick Noah. Peu savent qu’il s’est indigné il y a quelques années qu’on lui demande un visa pour entrer au Cameroun. De même, le 2 novembre dernier, le musicien camerounais Ndedi Eyango a vu son élection à la tête de l’organisme chargé des droits d’auteur annulée par le ministre de la Culture parce qu’il est de nationalité américaine. On peut contester la loi camerounaise qui n’admet pas la double nationalité mais, c’est la loi camerounaise et tous les Camerounais sont censés la connaître, dura lex, sed lex ! Encore que le Cameroun ne soit pas le seul pays au monde à prévoir un tel système, y compris en Europe. Du reste, d’autres lois sur la nationalité, comme celle du Gabon, tout en admettant la double nationalité, sont claires sur la question : “ toute personne possédant, en plus de la nationalité gabonaise une autre nationalité, ne peut se prévaloir au Gabon que de la nationalité gabonaise ”. Autrement dit, celui qui accepte de vivre au Gabon doit savoir qu’en cas de conduite délictuelle ou criminelle, il sera jugé par des juges gabonais et purgera sa peine dans une prison gabonaise. En définitive, il serait plus judicieux pour la cause défendue d’accorder le bénéfice du doute aux juges camerounais et de critiquer, en droit pur, leurs décisions. L’agitation politicienne ne produit ni le droit ni l’Etat de droit. Les législateurs comme les juges ont besoin d’un minimum de sérénité pour remplir leurs offices respectifs. Enjeuxafricains N°11 février-mars 2014 15 Dossier spécial Côte d’Ivoire Le nouvel envol économique Réalisé sous la direction de François Katendi 16 Enjeuxafricains N°11 février-mars 2014 17 En couverture Côte d’Ivoire Les manœuvres pour 2015 ont déjà commencé PDCI qui a vu la victoire écrasante d’Henri Konan Bédié à la présidence de ce vieux parti créé par Félix Houphouët-Boigny. A 79 ans, Bédié ne pouvait théoriquement plus assumer cette charge en raison de la limite d’âge fixé à 75 ans. Il a donc fallu dans un premier temps lever cet obstacle en modifiant les statuts du parti et dans un deuxième temps, battre ses challengers, Alphonse Djédjé Mady, alors secrétaire général et numéro deux du parti et Bertin Kouadio Konan dit KKB, l’ex président du mouvement de la jeunesse. Depuis plusieurs semaines, le président ivoirien Alassane Ouattara est à l’offensive dans l’optique de se succéder à lui-même en 2015. Au PDCI, rien n’est encore officiellement décidé, un flou qui pourrait pousser certains, comme Charles Konan Banny, l’ancien gouverneur de la BCEAO et baron du PDCI, à tenter l’aventure. Quant au FPI, après avoir boycotté tous les scrutins depuis la chute de son leader Laurent Gbagbo, va-t-il à nouveau boycotter la présidentielle de 2015 ? Décryptage. Ces deux figurent du PCDI souhaitent, comme bon nombre de militants, que leur formation présente un candidat à l’élection présidentielle de 2015. « Le parti est coupé en deux. Une bonne moitié des militants du PDCI frustrés par l’omnipotence du RDR au sein de l’appareil de l’Etat et dans la gestion du pays, sont du même avis que Djédjé Mady et Kouadio Konan », explique le journaliste ivoirien Clément Yao. La balance penche même de leur côté. Puisque lors de ce fameux congrès, le PDCI s’est finalement prononcé pour la présence d’un candidat issu de ses rangs en 2015. Le président ivoirien Alassane Ouattara sera-t-il le candidat unique du RHDP (Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix) à l’élection présidentielle de 2015 ? En tout cas, c’est le vœu formulé par le G25, un groupe de députés venant de plusieurs groupes parlementaires. Ouattara qui a déjà annoncé qu’il briguera un second mandat en 2015, est déjà en précampagne. Et à l’évidence, l’initiative du G25 apparait comme le deuxième étage de la fusée qui devrait lui permettre de parvenir à ses fins. Le premier étage a été érigé début octobre dernier, lors du 12e congrès du 18 © Thino Kiviti Le RHDP est composé de quatre partis : le RDR (Rassemblement des républicains, le parti d’Alassane Ouattara), l’UDPCI (Union pour la démocratie en Côte d’Ivoire), le MFA (Mouvement des forces d’avenir) et last but not least, le PDCI (Parti démocratique de Côte d’Ivoire, le deuxième poids lourd de cette coalition). Pour l’instant, seul le MFA par la voix de son président statutaire Anaky Kobena, a publiquement approuvé l’nitiative du G25. Le chef de l’Etat ivoirien, Alassane Ouattara Officiellement, et sans doute pour ménager tout ce beau monde, Henri Konan Bédié entretient un flou artistique sur ses intentions. Témoin ces mots prononcés lors de son message de vœux aux Ivoiriens pour l’année 2014 : « Le Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix, notre alliance, doit être entretenue, dépoussiérée, nettoyée et appliquée, conformément à sa conception initiale ». Mais personne n’est dupe. Il ne verrait pas d’un mauvais œil une candidature unique du RHDP à la présidentielle de 2015, en la personne du président Alassane Ouattara. « Vu son âge, Bédié n’aspire plus à diriger la Côte d’Ivoire. Mais il entend rester maître dans sa cour et n’aimerait pas voir un jeune loup du parti briguer la magistrature suprême et lui voler ainsi la vedette », analyse un autre journaliste ivoirien. Et d’ajouter : « Bédié pose comme condition la redéfinition des clauses au sein du RHDP et surtout un partage plus équilibré © « Ouattara déjà en précampagne » Le président du PDCI, Henri Konan Banny du pouvoir au sein du futur exécutif. Mais pour la magistrature suprême, c’est un secret de polichinelle qu’il existe un deal entre Ouattara et lui pour que ce dernier soit le candidat unique du RHDP ». Mais au sein du PDCI, Charles Konan Banny pourrait venir jouer les trouble fête. Président de la Commission dialogue vérité et réconciliation (CDVR) dont il a présenté officiellement les grandes lignes de son rapport le 21 novembre dernier au président Ouattara, cet ancien gouverneur de la BCEAO (Banque centrale des états de l’Afrique de l’ouest)- il l’a dirigée de 1993 à 2005- est aussi un cacique et membre du bureau politique du PDCI. Premier ministre de transition du 4 décembre 2005 au 29 mars 2007 sous la présidence de Laurent Gbagbo, cet économiste de 71 ans à qui l’on prête depuis son départ de la BECAO des ambitions nationales s’oppose à Henri Konan Bédié et se lance dans la course au graal présidentiel ? Pour l’instant il s’exprime peu sur le sujet. Mais ses actes parlent pour lui. « Charles Konan Banny pourrait jouer les trouble fêtes » Le 19 septembre, il a publié dans Fraternité Matin, le quotidien gouvernental, une Tribune à double détente dans laquelle il s’est prononcé pour la présence d’un candidat du PDCI à l’élection présidentielle de 2015 et contre la candidature à la tête du parti de Bédié. Il a également donné des coups de griffes récemment à la politique menée par le président Alassane Ouattara, autant de petites pierres semées ça et là qui laissent à penser qu’il ne restera pas inactif dans les mois qui viennent. Au plan économique, les affaires ont repris depuis l’accession au pouvoir de l’ancien Premier ministre de Félix HouphouëtBoigny. Le pays bouge. Autoroutes, ponts, voies urbaines, ouvrages d’adduction d’eau potable, etc., les chantiers poussent partout dans le pays. Comme à Abidjan, où près de 1400 salariés de Bouygues construisent le troisème pont de la ville, un ouvrage d’un kilomètre et demi avec échangeur qui vise à désengorger la Enjeuxafricains N°11 février-mars 2014 19 En couverture Côte d’Ivoire Grues et bétonnières ne chôment pas non plus à l’intérieur du pays. Le projet de l’autoroute Abidjan-Grand-Bassam a été ressuscité et a démarré le 3 août 2012. Quant à l’autoroute du Nord, elle est terminée et a été inaugurée le 11 décembre dernier. Un premier tronçon l’avait été en 1981. Dans le même temps, avec un taux de croissance qui oscille entre 8 et 10% en moyenne, l’économie ivoirienne est en pleine renaissance. Et les capitaux étrangers affluent à nouveau. Comme au bon vieux temps de Houphouët-Boigny, une classe moyenne est entrain d’émerger, mais la prospérité ne profite pas à tout le monde. 46 % des Ivoiriens vivent avec moins de deux dollars par jour et le © DR capitale économique en reliant les boulevards François Mitterrand et Valéry Giscard d’Estaing. La pemière pierre avait été posée en janvier 1999, mais avec le coup d’Etat de feu général Robert Guéï et la crise politique longue de près de dix ans qui s’en est suivie, tout s’était arrêté. Le président de la Commission dialogue vérité et réconciliation (CDVR), Charles Konan Banny chômage qui a explosé durant la dernière décennie demeure très important et frappe surtout les jeunes. Un vivier dans lequel pourrait puiser Konan Banny s’il se décide de se lancer dans la course présidentielle. « Tout laisse à penser qu’il va y aller. A 71 ans, c’est sans doute sa dernière chance de briguer le fauteuil présidentiel. S’il franchit le pas, il aura certainement en face des adversaires qui ne lui feront pas de cadeaux. Ils pourraient notamment s’intéresser de près au contenu de certains dossiers du temps où il gouvernait la BCEAO. Mais d’un autre côté, même sans la caution du PDCI, il pourrait fédérer de nombreux militants déçus par la gestion du parti par Henri Konan Bédié et incarner l’espoir des partisans du FPI, toujours remontés contre Alassane Ouattara, au cas où cette formation décidait de boycotter le scrutin » poursuit le confrère. Une chose est certaine : Alassane Ouattara part favori pour le rendez-vous de 2015 et il a toutes les chances de signer un nouveau contrat de cinq ans avec ses compatriotes. Reste à lui trouver un challenger de taille, sous peine de tomber sous les critiques de ses contempteurs qui ne manqueront pas de remettre en cause la crédibilité de sa réélection. Valentin Hodonou Comment Ouattara drague le FPI Le FPI pourrait-il entrer dans le gouvernement ? C’est ce qu’a laissé entendre le chef de l’Etat ivoirien lors d’un meeting le 13 décembre à Dédiévi, une petite localité au centre du pays, lors de sa viste dans la région du Bélier. Franchissant ainsi un pas de plus dans son opération de charme en direction des partisans de Laurent Gbagbo. A en croire son ministre de la Défense Paul Koffi Koffi, vingt neuf militaires proches de l’ancien président réfugiés dans les pays voisins sont rentrés au pays en décembre dernier. D’autres devraient les imiter. En principe, les exilés militaires et paramilitaires avaient jusqu’au 30 novembre dernier pour revenir au bercail. Passé ce délai, ils auraient du être considérés comme des déserteurs et radiés des effectifs de l’armée de la gendarmerie, de la police nationale et des forces paramilitaires. Or, cette disposition a été assouplie par un souci « humanitaire en raison des fêtes de fin d’année », dixit Koffi Koffi. © Abidjan.net Un certain nombre de caciques du FPI arrêtés après la chute de Ggbagbo ont par ailleurs recouvré la liberté. L’universitaire Gilbert Marie Aké Ngbo, son dernier Premier ministre, dès décembre 2012, Michel Gbagbo, son fils et Pascal Affi Nguessan, président du FPI, le 15 août 2013. Celui-ci, tout en tenant des propos extrêmement durs à l’encontre du gouvernement ivoirien, a accepté de négocier avec lui, suscitant parfois des méfiances dans son propre camp. Autre gros clin d’œil en direction du Le président du FPI, Pascal Affi Nguessan camp Gbagbo, les autorités ivoiriennes ont opposé une fin de non recevoir au transfèrement de l’ex Première dame, Simone Gbagbo à la Haye comme le réclamait la Cour pénale internationale. Et il se murmure que compte tenu de son état de santé, elle pourrait même être à son tour élargie. Mais comme le résume cet autre journaliste ivoirien, pas sûr que tous ces gestes suffisent à convaincre les «gbagboïstes» de rentrer dans les rangs : « Ils ne lâcheront rien tant que leur héros n’aura pas été libéré ». V.H. 20 Enjeuxafricains N°11 février-mars 2014 21 En couverture Côte d’Ivoire Forte volonté politique, réformes économiques et large soutien des bailleurs de fonds.... La Côte d’Ivoire retrouve le chemin de la croissance. « L’heure d’un deuxième miracle ivoirien est venue », évoquait en janvier 2013 Christine Lagarde, directrice générale du FMI. Les résultats sont là. Le taux de croissance devrait dépasser à 8,5% en 2013 avec une inflation modérée et atteindre 9% en 2014. Selon le FMI, l’exécution budgétaire est « satisfaisante » et « tous les critères de performance et les repères indicatifs pour fin juin 2013 au titre de l’accord Facilité élargie de crédit (FEC) [NDLR : Un soutien financier sous forme de prêt sur une durée initiale de trois à quatre ans, avec une durée maximale totale de cinq ans] ont été respectés ». Le président Alassane Ouattara se concentre sur le projet économique et a obtenu un vote du parlement en avril dernier lui conférant des pouvoirs exceptionnels en matière de gestion économique. Point négatif hérité de la crise, la dette intérieure, mais qui devrait se résorber avec l’adoption en novembre dernier du plan d’apurement des arriérés de l’Etat (2000 à 2010). Un audit a permis de valider un montant de 152,9 milliards de dette intérieure sur les 356 milliards de dette initiale. Ces remboursements permettront de soulager un certain nombre de PME. Dans son budget 2014, le gouvernement s’est focalisé sur le renforcement des infrastructures sociales de base, la promotion de l’emploi, l’amélioration de l’offre de santé, l’appui au développement agricole et au secteur de l’éducation. Si l’économie ivoirienne se diversifie, le cacao et le café représentent toujours 40% des recettes d’exportation du pays, et environ 20% de son PIB. « Les réformes des secteurs café-cacao, du coton et de l’anacarde contribuent à réduire la pauvreté rurale », observe 22 le FMI qui encourage le gouvernement à continuer sur cette lancée et à achever la mise en œuvre de son programme de réformes dans les délais prévus. Depuis celle opérée en 2012, le Conseil du Café Cacao (CCC) vend par anticipation 70 à 80% de la récolte nationale. En août dernier, un million de tonnes de la récolte 2013-14 étaient déjà prévendues. En garantissant un prix plancher aux planteurs de cacao, la Côte d’Ivoire a prouvé sa capacité à mieux répartir les richesses de la filière. Malgré tout, les rendements diminuent et la transformation locale plafonne. Les agronomes et les intervenants sur le marché du cacao s’inquiètent du vieillissement des vergers et de la raréfaction des terres disponibles. Le cacao demeure l’un des principaux contributeurs du PIB (14 %) et des recettes fiscales (16,3 %). La restructuration de ce secteur stratégique afin d’assurer le développement de la filière reste primordiale. Pour le coton, le président ivoirien a annoncé en juillet dernier que les producteurs recevront désormais 60% du prix international du coton et la création d’un fonds spécial de développement de la filière pour porter la production de coton à 600 000 tonnes en 2016. La Côte d’Ivoire devrait produire 400 000 tonnes de coton en 2013/14, contre 340 000 en 212/13 et 260 000 en 2011/12. Du côté de l’anacarde, des mesures fiscales exceptionnelles sont annoncées pour encourager la transformation sur place. A ce jour, la relance de l’économie passe par un net effort de l’Etat dans l’investissement public, dont le taux est passé de 2,9 % à 4,9 % du PIB entre 2011 et 2012, et devrait atteindre 7,8 % en 2013 puis 9 % en 2014. L’investissement privé n’est pas en reste: de 5,4 % du PIB en 2011 à 8,8 % en 2012, il devrait atteindre 10,3 % en 2013. Dans le domaine des infrastructures, de grands chantiers sont lancés. Une nouvelle centrale thermique à gaz de 100 mégawatts a été inaugurée en juillet 2013 sur le site de Vridi à Abidjan, renforçant ainsi la capacité de production d’électricité du pays afin satisfaire la forte demande. Cette installation représente un investissement de 100 millions de dollars. La réalisation d’un deuxième terminal à conteneurs (TC2), attribué © D.R. Un dynamisme économique retrouvé au consortium franco-danois (Bolloré, Bouygues, Marks), fait aussi partie des grands chantiers mis en route. « Le nouveau terminal dont la fin des travaux est prévue pour 2016 sera d’une profondeur allant jusqu’à 18 mètres, la plus importante sur la côte ouest-africaine », selon l’autorité portuaire. Le TC2 aura un traitement de 1,5 million de conteneurs par an, doublant ainsi la capacité du premier terminal à conteneurs d’Abidjan. Le redressement économique de la Côte d’Ivoire est aussi largement appuyé par la communauté financière internationale. Réunis à Paris, en décembre 2012, les bailleurs de fonds ont accepté de contribuer à hauteur de 6 milliards d’euros au financement du plan national de développement économique (PND) dont le coût a été évalué à 11 076 milliards de FCFA sur la période 2012-2015. En janvier 2014, la Banque africaine de développement (BAD) a réitéré son engagement. « Nous avons annoncé un milliard de dollars pour l’année 2014, 300 millions de dollars ont déjà été accordés » a déclaré le président de l’institution financière panafricaine, Donald Kaberuka qui a également évoqué le dossier du retour de la BAD à Abidjan avant la fin de l’année (voir page …) Tous ces bons résultats ne doivent pas faire oublier les défis à relever, en premier lieu celui de la lutte contre la pauvreté. Si la sécurité s’est améliorée, elle doit encore être renforcée pour apaiser les tensions sociopolitiques et rassurer davantage les investisseurs. Le Plan National de Développement élaboré pour la période 2012-2015 vise une croissance à deux chiffres à travers cinq axes stratégiques : • Les populations vivent en harmonie dans une société sécurisée dans laquelle la bonne gouvernance est assurée, • La création de richesses est accrue, soutenue et inclusive, et les fruits de la croissance sont répartis dans l’équité, • Les populations, en particulier les femmes, les enfants et autres groupes vulnérables ont accès aux services sociaux de qualité dans l’équité, • Les populations vivent dans un environnement sain et un cadre de vie adéquat, • Le repositionnement de la Côte d’Ivoire sur la scène régionale et internationale est effectif. Anne Lauris Enjeuxafricains N°11 février-mars 2014 23 En couverture Côte d’Ivoire Tapis rouge pour les investisseurs Face à cette faiblesse relative de l’investissement national, le Cepici s’est fixé pour priorité d’accompagner l’entrepreneuriat local et son patron rappelle que les entreprises ivoiriennes ont tout de même traversé dix ans de crise, qu’elles en ont subi les conséquences et que certaines sont aujourd’hui essoufflées. Le climat des affaires s’est nettement amélioré. Le gouvernement compte bien poursuivre ses efforts dans le domaine et attirer les investisseurs en s’appuyant notamment sur le Cepici, l’agence nationale de promotion des investissements. Ce sont des signes qui ne trompent pas. Depuis quelque temps, tous les avions à destination d’Abidjan sont pleins et les hôtels affichent complet. Les opérateurs économiques déjà implantés en Côte d’Ivoire et qui avaient suspendu leurs plans de développement durant la crise, se mettent à nouveau à investir. De nouveaux acteurs arrivent aussi. Du 29 janvier au 1er février 2014, Abidjan accueille le Forum « Investir en Côte d’Ivoire » avec 1 500 opérateurs économiques attendus. Pour l’occasion, Air France affrète pour la première fois vers l’Afrique francophone son avion XXL, l’airbus A 380 ! Il faut dire que le climat des affaires s’est nettement amélioré et l’activité redémarre. L’entrée en fonction du tribunal de commerce, qui rend ses conclusions dans un délai de trois mois, l’instauration d’un guichet unique pour la création d’entreprise et l’adoption d’un code des investissements plus attractif, ont permis à la Côte d’Ivoire de figurer parmi les dix pays ayant le plus amélioré la réglementation des affaires entre 2012 et 2013, selon le rapport Doing Business 2014, publié par la Banque mondiale. En un an, l’économie ivoirienne est passée de la 177e à la 167e place sur les 189 pays évalués. Le mérite de cette progression revient en grande partie à la mise en place du guichet unique pour la création d’entreprise, souligne Emmanuel Esmel Essis, directeur général du Centre de promotion des investissements en Côte d’Ivoire (Cepici). « Ce guichet unique, opérationnel depuis septembre 2012, permet de créer une entreprise en 24 heures grâce à des facilités procédurales, notamment, des réductions de coût de près de 70% », détaille le directeur général du Cepici, 24 Emmanuel Esmel Essis, directeur général du Centre de promotion des investissements en Côte d’Ivoire (Cepici) en charge de la mise en œuvre de ce projet. « Venez nous voir », lance-t-il aux journalistes tout en se réjouissant de la fréquentation du guichet unique qui accueille 55 visiteurs par jour. Et les résultats sont là : 2500 entreprises ont été créées en 2013, contre seulement 216 en 2012. Dans une longue présentation à la presse, il a dressé le bilan de l’année 2013 et les perspectives pour 2014. Les autorités ivoiriennes n’hésitent pas à placer la barre très haute en se donnant comme objectif de faire partie du top 50 du classement Doing Business dans les années à venir. Dans ce contexte, Emmanuel Essis Esmel a dévoilé l’objectif de son agence : créer un environnement des affaires attractif et compétitif. Il a rappelé que le gouvernement ivoirien avait adopté en 2012 « un nouveau code des Investissements plus attractif » destiné aussi bien aux investisseurs étrangers qu’aux entrepreneurs locaux, avant de se projeter dans l’année en cours : « Il s’agit de consolider et de lancer de nouvelles réformes » : 34 ont été identifiées dont 20 à mettre en œuvre d’ici mai 2014, notamment dans le do- maine de la création d’entreprise et du transfert de propriété. Le Cepici reçoit et analyse les dossiers de projets d’investissement qui sont alors présentés au comité d’agrément. Une fois le dossier agrée, le projet est enregistré au regard de l’investissement et des emplois projetés. L’agence a enregistré 506 milliards de FCFA d’intention d’investissement au cours de l’année 2013, contre 219 milliards pour 2012. Cela représente en 2013, 41,1% des investissements prévus par le Plan national de développement (PND). « Les investissements déclarés au CEPICI ont augmenté donc 131% et représentent 35% des investissements privés globaux estimés dans l’économie ivoirienne en 2013 (1446 milliards de FCFA) contre 24% en 2012 (912 milliards FCFA) », explique Esmel Essis. Sur ce montant de 506 milliards de FCFA, 374 milliards proviennent des investissements directs étrangers (IDE), soit 74% (contre 54% l’an dernier). En répartition sectorielle, le secteur primaire apparait comme le parent pauvre, avec seulement 13 milliards de FCFA d’investissements agréés, dont 65% destinés aux activités extractives. Ceci s’explique par le fait que les gros projets dans les secteurs pétrolier, gazier ou minier sont discutés directement au sein des ministères compétents. Quant au secteur secondaire, il prend en compte 157 milliards de FCFA avec la fabrication de produits alimentaires (55%), la fabrication de matériaux minéraux (15%) et les autres activités industrielles (30%). Enfin, la plus grosse part, 336 milliards de FCFA sera investie dans le secteur tertiaire, dont les télécommunications (43%), les activités de location (29%), les activités de restauration et hôtellerie (14%) et les autres activités de services (15%). « L’agro-industrie demeure le potentiel naturel de la Côte d’Ivoire », souligne le DG du Cepici, indiquant que l’industrialisation doit être l’un des facteurs déterminants si le pays veut atteindre l’émergence à l’horizon 2020. Outre l’agro-industrie, les secteurs de l’infrastructure, de l’énergie, des mines, de l’hôtellerie et surtout des Technologies de l’information et de la communication (Tic) intéressent les investisseurs. Pour l’année en cours, le Cepici table sur un montant de l’ordre de 600 à 700 milliards d’investissements agréés et de 1 000 milliards en 2015. Esmel Essis insiste sur la nécessité de développer l’entreprenariat national d’où le lancement d’une caravane dénommée « Entreprendre en Côte d’Ivoire » qui a sillonné, du 6 au 11 janvier, les villes de San Pedro, Bouaké et Yamoussoukro, en plus du forum « Investir en Côte d’Ivoire » (ICI 2014) à Abidjan. La promotion de l’investissement fait bien évidemment partie des missions de l’agence. En 2013, elle a rencontré 1462 investisseurs, dont 972 à l’étranger et 490 en Côte d’Ivoire Performances de la Côte d’Ivoire - Doing Business 2014 Doing Business 2014 : 167é - Top 10 des pays réformateurs Validation par SEM le Premier Ministre de l’Agenda des Réformes 2014 34 projets de réformes identifiées, 20 à court terme et 14 à moyen Terme. Investissements déclarés et enregistrés au CEPICI Evolution des IDE/IDN entre 2011 ET 2013 (en milliards FCFA) +131% Entre 2011 et 2013, les investissements déclarés au CEPICI ont augmenté de 131% Les investissements enregistrés au CEPICI représentent 35% des investissements privés globaux estimés dans l’économie ivoirienne en 2013 (1 446 Mds FCFA) contre 24% en 2012 (912 Mds FCFA) Enjeuxafricains N°11 février-mars 2014 25 En couverture Côte d’Ivoire et a également négocié quatre accords de coopération, « des ponts entre deux pays afin de renforcer le courant des affaires », décrit Esmel Essis qui se garde de dévoiler le nom des pays concernés. A la fin de l’année 2013, 11 accords de coopération étaient en cours de négociation. Le DG s’est engagé à faire du Cepici « une agence de promotion performante, fiable et de renommée internationale ». Pour l’année en cours, les chantiers engagés concernent la dématérialisation et la sécurisation des supports de travail, l’accessibilité des services via internet, et l’engagement dans la démarche qualité et la certification ISO 9001/2008. En deux mots, l’objectif est de pouvoir créer une entreprise en ligne, de décentraliser les services aux investisseurs (San Pedro et Bouaké dans un premier temps) et d’ouvrir le guichet unique du Cepici à d’autres services. « L’information économique demeure un outil majeur d’attraction de l’investissement », a insisté Emmanuel Esmel Essis. Or, l’information reste difficile à obtenir, peu fiable, reconnaît-il. Pour palier cette carence, il compte sur la création d’un centre d’information et la mise en place d’un système de collecte, d’analyse et de mise à disposition d’informations fiables sur internet. « Plus les informations fiables sont disponibles, plus vite l’investisseur se décide », assènet-il. Bâtir une stratégie d’intelligence et de veille économique est incontournable dans la recherche de bons partenaires pour mener des affaires. S’il reconnait que le système bancaire n’est pas adapté aux besoins des PME, il pointe aussi le manque d’esprit d’entreprise des Ivoiriens. Les sacrifices nécessaires pour monter son business sont parfois oubliés au profit d’un réinvestissement des bénéfices non pas dans l’entreprise, mais dans les signes extérieurs de réussite (voiture, costume...), regrette-t-il. L’environnement des affaires résulte aussi du comportement de chacun, rappelle Esmel Essis citant en contre exemple le taximan qui n’est pas attentif au volant ou l’incivisme vis-à-vis du code de la route qui fait qu’on se retrouve souvent avec cinq files de voitures alors que seulement deux sont prévues. Origine des Investissements agréés Répartition des IDE enregistrés en 2013 : 374 milliards de FCFA Répartition sectorielle des Investissements et des emplois Volume des investissements enregistrés en 2013: 506 Mds FCFA Attraction et promotion des investissements privés Répartition des investisseurs contactés par zone géographique : 1 462 Anne Lauris 26 Enjeuxafricains N°11 février-mars 2014 27 En couverture Côte d’Ivoire Emergence en 2020, le pari fou (?) du président Ouattara L’ambition du président ivoirien Alassane Dramane Ouattara est de faire de la Côte d’Ivoire un pays émergent à l’horizon 2020. Malgré la grande mobilisation des membres du gouvernement et les acteurs économiques et sociaux, cette ambition parait-elle réaliste ou démesurée ? Front populaire ivoirien (FPI) en exil. Reste que sur ce point précis, la confiance n’a pas encore gagné l’ensemble des opposants réfugiés hors du pays et les nombreux soutiens civils et militaires de l’ancien président Laurent Gbgabo toujours détenus à la maison d’arrêt et de correction d’Abidjan n’est pas de nature à consolider le processus de réconciliation nationale. L’émergence, c’est aussi le bien-être social des citoyens, des indicateurs sociaux assez satisfaisants (alimentation en quantité suffisante et de qualité, offres de soins et d’éducation accessibles à tous, etc.). Le gouvernement a fait de la cherté de la vie une priorité pour l’année 2014 en annonçant une augmentation des salaires, mais les ménagères ivoiriennes devront encore attendre avant de pouvoir remplir leur panier à un prix raisonnable, les commerçants estimant qu’ils doivent aussi en tirer profit. Amélie Kogbo et ses consœurs commerçantes du marché d’Adiaké, une ville située à près de 90km d’Abidjan, en discutaient entre elles. « Si on a augmenté le salaire des fonctionnaires, nous aussi, on doit sentir les retombés dans nos recettes ». Une vue du quartier de affaires à Abidjan Deux ans après la fin de la crise postélectorale, la Côte d’Ivoire est en passe de redevenir la locomotive de la sous-région ouestafricaine tant les résultats économiques obtenus sont plus qu’encourageants. Selon les prévisions du Fonds monétaire international (FMI), le pays devrait enregistrer un taux de croissance à deux chiffres en 2014, contre 9,8% en 2012 et 8,5% en 2013. Les institutions financières internationales croient en de bonnes perspectives économiques pour le pays dans les prochaines années. Le dernier rapport Doing Business de la Banque mondiale a mis en exergue les efforts faits par le gouvernement pour améliorer le climat des affaires et sécuriser les investissements. Le secteur privé, qui est le principal vecteur de la croissance et la création de richesses, reprend confiance. Après 28 la rencontre du Groupe consultatif pour la mobilisation des financements nécessaires au Plan national de développement (PND) tenue en 2012 à Paris, le gouvernement lance fin janvier-début février 2014, le Forum investir en Côte d’Ivoire (ICI 2014). Ces deux grandes initiatives visent à accroître les investissements directs étrangers (IDE), condition nécessaire pour faire de la Côte d’ Ivoire un pays émergent du même niveau que le Brésil, L’Inde ou l’Afrique du sud. Au plan politique, l’émergence passe aussi nécessairement par une vraie réconciliation nationale entre Ivoiriens. D’où les initiatives tout azimut prises pour décrisper le climat sociopolitique à travers les appels au retour des ex-dirigeants et militants du Avec la mesure de déblocage des salaires et de revalorisation du SMIG, les produits de base risquent de connaître une hausse dans les prochains mois, et il faut se demander si le gouvernement a anticipé les effets inflationnistes de sa mesure. Par ailleurs, dans cette quête d’émergence, le gouvernement en appelle de ses vœux à l’avènement d’un ivoirien nouveau, courageux, ayant l’amour du travail bien fait et recherchant le mérite. Toutes choses contraires aux pratiques en cours, faites de corruption, de racket de la part des agents publics, et les passations de marchés de gré à gré sans cesse croissantes. Le gouvernement vient de créer le Secrétariat national à la bonne gouvernance et au renforcement des capacités et mis sur pied la Haute autorité de la bonne gouvernance, mais ces initiatives sont assez récentes pour emporter la confiance des citoyens quant à la détermination de l’Etat à éradiquer ces fléaux. Synthia Boko Enjeuxafricains N°11 février-mars 2014 29 En couverture Côte d’Ivoire Retour de la BAD à Abidjan : Tout s’accélère Repères Marrakech 27 au 31 mai 2013 La crise sociopolitique que la Côte d’Ivoire a connue à partir de l’année 1999 et l’insécurité qui y régnait avait eu pour conséquence, la délocalisation de la Banque africaine de développement à Tunis. A présent, les conditions étant réunies, elle s’apprête à y revenir Délocalisée à Tunis en raison de la crise que traversait la Côte d’Ivoire, le processus de retour de la Banque africaine de développement (BAD) à son siège à Abidjan s’accélère. Si tout se passe bien, le grand retour devrait avoir lieu être célébré lors du cinquantenaire de l’institution financière panafricaine en novembre 2014. Durant son dernier séjour à Abidjan avec les autorités ivoiriennes les 11 et 14 janvier, Donald Kabéruka, le président de la BAD a annoncé le retour effectif de l’ensemble du personnel, y compris le conseil d’administration pour la fin juin 2014. Mais déjà, une centaine d’agents est en poste à Abidjan et le 9 octobre dernier, les autorités de la BAD ont reçu les clés de l’immeuble CCIA réhabilité et offert par le gouvernement ivoirien. Le retour tant attendu de la BAD à Abidjan avait été officiellement annoncé le 30 juin 2013 à l’issue du conseil des gouverneurs de la BAD, réunis à Marrakech au Maroc dans le cadre des 48èmes assemblées annuelles de la Banque. Cette décision est fondée sur le retour à la stabilité politique et des perspectives économiques prometteuses que présente la Côte d’Ivoire. Environ 5000 personnes sont attendues à Abidjan dont 1562 membres du personnel et 3500 personnes à charges (familles). Le gouvernement s’est engagé à mettre à la disposition de la BAD, 500 logements au mois de juin 2013 et 1000 autres devraient être disponibles d’ici juin 2014. Les besoins de la Banque sont eux estimés à 1562 logements dont 55 de standing moyen, 1452 de moyen et haut standing et 55 maisons de très haut standing. Le gouvernement assure que toutes les dispositions seront prises pour satisfaire toutes les demandes en met30 Au vu des progrès faits par la Cote d’Ivoire et des résultats satisfaisants de l’exécution de la Feuille de route, les Assemblées de Marrakech ont entériné cette feuille de route et donc pris la décision définitive du retour de la BAD à son siège à Abidjan à partir de 2013, pour s’achever avant la cérémonie du cinquantenaire prévue à Abidjan en novembre 2014. tant en place un plan contre la spéculation et la surenchère des loyers. D’après le ministre de la Construction, de l’assainissement et de l’urbanisme, Mamadou Sanogo, le gouvernement va créer une base de données de logements locatifs accessible sur Internet afin de mieux gérer les demandes de ceux qui feront partie de la première vague du personnel. Quant à l’offre de soin, il existe des structures de santé de référence à Abidjan dans le secteur aussi bien public que privé. A Abidjan, l’administrateur du plan médical de la Banque dispose d’un réseau de 56 prestataires (pharmacies, hôpitaux, laboratoires et médecins spécialistes) qui devrait être renforcé dans les mois à venir. Dans le secteur de l’éducation, Abidjan dispose de plusieurs structures scolaires répondant aux normes internationales allant du préscolaire au supérieur dans le système francophone et anglophone. Les besoins immédiats de la Banque sont estimés à 610 places sur les 1471 disponibles. Pour l’enseignement anglophone, deux établissements d’une capacité de 600 places existent déjà, l’International Community School of Abidjan (Icsa) et le Morning Glory International School (MGIS). Les besoins de la BAD sont estimés à 322 et ces deux établissements ont intégré l’éventuelle augmentation de leurs effectifs. Si les autorités ont décidé du retour de la BAD à son siège historique, c’est qu’elles estiment que les conditions techniques sont réunies pour son bon fonctionnement et que le personnel bénéficiera du même niveau de confort qu’à Tunis. Dans cette optique, la Banque s’est dotée d’un plan intégré de sécurité/continuité vi- Abidjan 27 février 2013 : Réunion des Conseils d’Administration du Groupe de la BAD La réunion des Conseils a été précédée le 26 février 2013 de rencontres avec les hautes autorités du pays ainsi que de visites d’immeubles devant accueillir le personnel, notamment le siège de la banque et l’immeuble CCIA en cours de rénovation et d’autres infrastructures à réhabiliter (cité BAD et villas de fonction de la haute Direction de la Banque). L’immeuble CCIA Le siège historique de la Bad en réfection sant à assurer la sécurité des membres du personnel et de leurs proches et à garantir la continuité des activités dans toutes les circonstances. Elle s’est également assurée de la disponibilité et la fiabilité des infrastructures professionnelles et sociaux économiques (bâtiments pour bureaux, système d’information et informatique, logements, écoles, centres de soins, services bancaires, transports, etc.). Le retour se fera de façon graduelle, l’ensemble des infrastructures essentielles devant être opérationnelles trois mois avant l’arrivée effective de la 1ère vague pour minimiser les impacts de toute interruption des activités. Enfin, le bien-être du personnel, qui représente le principal atout de la Banque en termes de performance passe par une gestion efficace du changement, une sensibilisation et une implication du personnel. Les services qui reviennent seront relocalisés à l’immeuble CCIA,. D’une capacité de 800 à 1000 agents, il comporte 28 étages, trois sous-sols de parking de 600 véhicules, un auditorium de 300 places, de salles de réunion, salles informatique, d’une bibliothèque, d’un restaurant, etc. Le gouvernement ivoirien a investi plus de 33 milliards FCFA dans les travaux de réhabilitation de l’immeuble confié à l’entreprise PFO Africa Côte d’Ivoire, du célèbre architecte Pierre Fakhoury. Il a été remis officiellement aux autorités de la BAD le 9 octobre 2013. Tokyo 11 octobre 2012 : 15ème réunion du Comité consultatif des gouverneurs de la BAD La réunion du Comité consultatif des gouverneurs de Tokyo a adopté la Feuille de route avec un chronogramme de mise en œuvre. Arusha 31 mai 2012 Les Assemblées Annuelles d’Arusha (Tanzanie) ont pris la décision du retour avec la condition que cela se fasse conformément à une Feuille de route élaborée d’accord partie par la direction de la BAD et les autorités ivoiriennes, sous la supervision du conseil d’administration en vue de son adoption par le Conseil consultatif des gouverneurs. Synthia Boko Enjeuxafricains N°11 février-mars 2014 31 En couverture Côte d’Ivoire ficit atteindra 1 million de tonnes en 2020. Eclaircies dans la filière agricole ivoirienne La Côte d’Ivoire met de l’ordre dans sa filière agricole de « rente », dont la gestion a été pour le moins bâclée pendant une bonne décennie. Ses diverses composantes – café-cacao, hévéa, huile de palme, anacarde, pour ne citer que les principales – font l’objet de réformes visant à assurer à l’État des recettes pérennes tout en encourageant les planteurs à engranger de meilleurs résultats. Tout ceci ne va pas sans mal. Les producteurs de latex protestent contre l’accumulation de taxes, ceux de l’anacarde redoutent l’instabilité des prix, les planteurs revendiquent d’être mieux payés et dans le même temps, il faut renouveler les plantations de caféiers et cacaoyers. Derrière cet ensemble de refontes se cache un enjeu fondamental en termes de développement du pays : la transformation, qui reste encore embryonnaire. © D.R. Quant aux cultures vivrières, elles ont été « dédaignées par le passé au profit d’autres produits de base destinés à l’exportation », comme le souligne une étude conjointe du FIDA (Fonds international de développement agricole) et de la FAO, publiée le 18 décembre 2013 et couvrant la région ouest-africaine. Comme les cultures de rente, les celles vivrières sont très peu transformées sur place. Selon cette étude, « il est essentiel de stimuler la productivité, d’encourager la compétitivité et d’assurer aux petits agriculteurs un meilleur accès aux marchés pour permettre à l’Afrique de l’Ouest de réaliser pleinement son potentiel agricole. » pour les ex principaux responsables de la filière café-cacao, reconnus coupables de « détournements de fonds, abus de confiance, abus de biens sociaux, escroquerie, faux et usage de faux en écriture privée de banque ou commerce ». Les intéressés ont décidé de faire appel. Filière café-cacao Dans ce qu’il faut bien appeler le scandale dans la filière cacao-café, l’enquête a montré que ses principaux avaient mis au point un système de prédation qui a coûté cher à la Côte d’Ivoire. Si l’on en croit les résultats des audits réclamés par le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale, 370 milliards de F CFA (564 millions d’euros) se sont évaporés entre 2002 et 2008, siphonnés dans le Fonds de régulation et de contrôle, le Fonds de développement et de promotion des activités des producteurs de café et de cacao, la Bourse du café et du cacao et l’Autorité de régulation du café et du cacao. Après l’assainissement, la relance Le 6 novembre 2013, le verdict est tombé : 20 ans de réclusion (en sus de divers amendes et autres confiscations de biens) 32 © D.R. Après une décennie marquée par des troubles politiques, des malversations qui ont coûté une fortune à la filière et le découragement des planteurs, les autorités ivoiriennes mettent tout en œuvre pour redonner au pays sa place parmi les grands producteurs mondiaux dans un contexte marqué par l’explosion de la demande Dès la fin de la crise avec l’arrestation de l’ancien président Laurent Gbagbo en avril 2011, le Conseil du café cacao (CCC), organe public de régulation de la filière café-cacao, a été rétabli et le secteur cacaoyer réformé. Il y avait urgence. Le cacao représente 35 % du total mondial, près de 70% des exportations de produits primaires de la Côte d’Ivoire et contribue pour 15 % de son PIB. Depuis 2012, le CCC vend par anticipation près de 3/4 de la récolte nationale (1,415 million de tonnes en 2012/13) et des enchères se tiennent deux fois par jour. Les planteurs ont vu leur prix garanti revalorisé de 3%, à 750 F CFA le kilo pour la saison 2013/14. Ils peuvent ainsi acheter semences et intrants pour renouveler leurs vergers vieillissants et améliorer la productivité. Le gouvernement ne veut pas s’arrêter là. Dans sa ligne de mire, la transformation locale du cacao. Seuls 30 % de la production font aujourd’hui l’objet d’un traitement industriel sur place, dont moins de 1,5 % en produits finis. Abidjan souhaite porter ce taux à 75%. Le contexte actuel marqué par un déficit mondial de la production pousse les prix de la fève à la hausse. Ils tournaient autour de 2 700 dollars la tonne à New York le 2 janvier 2014 et de 1 677 livres sterling à Londres. Selon l’Organisation mondiale du cacao (ICCO), il a été produit à 3,931 millions de tonnes de fèves en 2012/13 et consommé 160 000 tonnes de plus. En cause, l’appétence de plus en plus nette des émergents, Chinois en tête, pour le cacao. Le cabinet britannique Euromonitor estime que les ventes en Chine vont progresser de 6,6 % cette année. Certains, comme l’industriel Barry Callebaut, prévoient même que le dé- De même que la production cacaoyère, celle du café requiert tous les soins des responsables ivoiriens. Il faut dire que cette culture, autrefois florissante – avec 400 000 tonnes annuelles, la Côte d’Ivoire trônait au troisième rang mondial et au premier en Afrique dans les années 70 -, a perdu de son lustre, et que les planteurs ivoiriens de Robusta, la variété cultivée dans le pays, se sont laissés largement distancer par les Vietnamiens. Le pays pointe à la treizième place mondiale et a été rétrogradé troisième producteur africain, avec 100 000 tonnes par an, derrière l’Ethiopie et l’Ouganda. En cause, l’attrait des planteurs pour des cultures plus rémunératrices, palmier à huile, hévéa, noix de cajou, d’autant plus prononcé que le prix mondial du café fléchissait. La grande réforme 2011 a donc englobé le café, avec le même mécanisme de ventes par anticipation, des enchères bi-quotidiennes et un prix minimum garanti au planteur, de 620 F CFA le kilo en 2012/13. Abidjan, bien décidé à reconquérir le terrain perdu, a annoncé l’an passé un programme de refonte du secteur caféier d’un coût de 8,4 milliards de Franc CFA (12,8 millions d’euros), visant à réhabiliter 75 000 hectares de plantations, à en créer de nouvelles, à renforcer les capacités des producteurs, via notamment la distribution de semences sélectionnées pour, in fine, flirter de nouveau avec les 400 000 tonnes. Les cafés de niche seront encouragés, en particulier l’Arabusta, croisement de Robusta et d’Arabica développé au cours de ces mêmes années 70. Quatre axes stratégiques ont été dégagés, explique Edouard Kouassi N’Guessan, directeur général adjoint du CCC chargé de la production : l’amélioration de la production et de la qualité, la valorisation des spécificités des cafés « origines Côte d’Ivoire », la commercialisation, la transformation et la consommation. Après une première phase (2013-2018), la récolte devra s’élever à 200 000 tonnes au minimum. Dans un deuxième temps, courant jusqu’en 2023, le pays se repositionnera pour retrouver sa place auprès des leaders mondiaux. Marie-Christine Simonet Enjeuxafricains N°11 février-mars 2014 33 En couverture Côte d’Ivoire Anacarde La demande a vraiment décollé dans la décennie 1990, les pays occidentaux s’étant découvert une appétence certaine pour la « noix de cajou », improprement nommée, puisqu’il s’agit d’une amande. Un boum de la production s’est ensuivi, en Asie, en Afrique et jusqu’en Amérique latine (au Brésil). Mais depuis lors, la consommation et la production plafonnent, malgré l’extension de la zone de consommation à la Chine, l’Asie du sud-est et la Russie notamment. En 2012, il en a été récolté mondialement plus de 2,2 millions de tonnes de noix brutes, soit 440 000 tonnes de « noix de cajou ». L’Inde est le premier producteur mondial, avec 600 000 tonnes (chiffres de 2012) de noix brutes, devant la Côte d’Ivoire, avec 450 000 tonnes, soit 19% du total mondial, puis du Vietnam, 350 000 tonnes, le Brésil 170 000 tonnes, Guinée Bissau 160 000 tonnes, etc.). Pour cette année-là, la production ouest-africaine a représenté 38% du total mondial. Au-dessus de l’Équateur tout comme en Afrique de l’Ouest, la récolte se fait de février à mai. Sous la ligne équatoriale, elle a lieu de septembre à décembre. 34 De plus, l’essentiel du tonnage produit est expédié en Asie pour y être transformé. Conscients de l’enjeu en termes de création de valeur autant que d’emplois, les pays ouest-africains commencent à structurer la filière. « Sauf grand changement macroéconomique, la production d’anacarde dans la sous-région devrait (…) continuer à augmenter légèrement jusque vers 2020, époque à partir de laquelle le renouvellement des vergers va devenir un enjeu central pour la stabilité et la rentabilité de la filière », analyse le RONGEAD. En Côte d’Ivoire, les anacardiers s’étendent sur 1,3 million ha avec un rendement moyen de 350 kg/ha et une qualité moyenne (exprimée en KOR*) de 48-50. Sur les 450 000 tonnes de noix brutes produites, 415 000 sont exportées, à presque 60% en Inde (données 2012), le taux de transformation dans le pays n’étant que de 4,5%. Trop peu. Quant à la consommation locale de la « noix de cajou », elle s’est établie à 50 tonnes. En septembre 2013, Yamoussoukro a abrité un atelier de réflexion sur le développement et la réforme des filières coton et anacarde, tous deux cultivés dans les régions Nord, © D.R. Dans la région ouest-africaine, le RONGEAD, un organisme dédié au commerce international et au développement durable déplore les rendements insuffisants. « Dans des conditions optimales de culture, souligne le RONGEAD dans une étude publiée en juin 2013, les variétés peuvent atteindre jusqu’à plus d’1 tonne de noix par hectare. Pourtant, la majorité des plantations a des rendements bien inférieurs, principalement en raison des pratiques adoptées par les producteurs lors de l’installation des plantations et du manque d’entretien des parcelles ». L’engouement des planteurs ivoiriens pour l’hévéa ferait-il long feu ? Malgré la hausse de la demande mondiale, à Tokyo, le cours de la gomme naturelle pique du nez, tandis qu’à Abidjan, le gouvernement agace les acteurs du secteur en accumulant les taxes. Cependant, le vent tourne, moins favorablement à l’hévéaculture. Non seulement le cours de la gomme naturelle coté sur la bourse des commodités de Tokyo (Tocom) a plongé de 9,8% en 2013, mais en Côte d’Ivoire, le gouvernement a pris des mesures fiscales que n’apprécient guère les planteurs réunis au sein de l’Aprocanci (Association des producteurs de caoutchouc naturel en Côte d’Ivoire) et les industriels de la SAPH (Société africaine de plantations d’hévéas, filiale de Sifca) ou de la SIPH (Société internationale des plantations d’hévéas). Une industrie découragée par les taxes Augmenter les rendements et accroître la transformation locale, tels sont les enjeux cruciaux du développement de la filière ivoirienne de la « noix de cajou ». L’anacarde est devenue l’un des principaux marchés d’exportation de l’Afrique de l’Ouest et même une culture de rente aussi importante que le coton dans la partie sahélienne allant du Sénégal au Nigeria. Forte mobilisatrice de main d’œuvre, cette culture pourrait être une source appréciable de revenus supplémentaires pour les producteurs n’eût été l’instabilité des prix qui caractérise cette matière agricole. Au cours d’une même campagne, les prix peuvent varier de plus de 200%, plongeant ainsi tous les protagonistes de la filière dans la plus grande incertitude. qui était de 36 600 F CFA par mois avant novembre 2013, est désormais de 60 000 F CFA (91,5 euros). La menace est sérieuse : compte tenu de la croissance démographique, il devient nécessaire de relancer la culture du manioc, faute de quoi cet aliment de base de la population ivoirienne pourrait commencer à manquer. Est et Centre du pays. Augmenter la transformation de 5% en 2013 à 35% en 2015 est l’objectif affiché par le ministre ivoirien de l’agriculture Sangafowa Coulibaly. Les moyens ? La garantie d’un prix fixé à au moins 60% du prix CAF (coût, assurance & fret) via un mécanisme établissant un principe d’équité dans la répartition des revenus de la filière et l’évaluation des coûts de chaque catégorie d’opérateurs de la filière. Il est aussi prévu la détermination transparente d’une référence du prix CAF et la mise en place d’un fonds de soutien, et enfin des mesures d’accompagnement pour soutenir les industries locales. * KOR : indique, entre 48-50 une bonne qualité, entre 50-52, une très bonne qualité, 52-54 une excellente qualité, 54-56, super qualité, rare et très recherchée. Le barème va également decrescendo, jusqu’en dessous de 42, c’est-à-dire extrêmement mauvais. La qualité (KOR) au Vietnam grimpe à 50-56. Marie-Christine Simonet De la qualité et des prix En novembre 2013, selon le Bulletin ivoirien sur le marché de l’anacarde, le cours de la noix brute valait : Origine Bénin , KOR* 49 : 1000-1050 $/t (500-525 F CFA/Kg) Origine Ghana, KOR 48-49 : 950 -1025 $/t (475 -510 F CFA/kg) Origine Côte d’Ivoire , KOR 47-48 : 8 000-950 $/t (400-475 F CFA/kg) Origine Sénégal ou Guinée Bissau , KOR 50 : 1 200 $/t (610 F CFA/kg ). Parallèlement au développement des pays émergents, les besoins mondiaux en caoutchouc vont croissant. Mais à force de parier sur l’appétit chinois, les objectifs vont parfois trop loin. En 2014, la production globale devrait dépasser la demande de 366 000 tonnes, après un surplus de 336 000 tonnes l’année précédente, entraînant à la baisse les prix de la gomme naturelle – ils ont déjà reculé de 9,8% en 2013. Les plus grosses plantations sont en Asie du sud-est : Thaïlande, Indonésie, Vietnam, ce dernier pays vient de ravir à la Malaisie le troisième rang mondial. En dépit de ses efforts pour récupérer une place enviable sur le marché international, l’Afrique est à la peine. Sur les 11,965 millions de tonnes attendues sur la planète en 2014, elle ne représente que 4% à 5% (environ 538 000 tonnes). C’est peu ! Au septième rang mondial et au premier en Afrique, la Côte d’Ivoire produit la moitié du caoutchouc africain devant le Liberia, le Cameroun, le Nigeria et le Ghana. Les plantations d’hévéas ont profité de l’engouement des producteurs de cacao ivoiriens depuis le début des années 2000, découragés par la désorganisation de la filière, le mauvais rendement au planteur et les troubles politiques. Facile à produire, n’importe qui peut se lancer dans l’hévéa- © D.R. Une transformation locale embryonnaire Hévéaculture culture surtout qu’elle offre une garantie de revenu mensuel et donc un complément financier régulier très appréciable. Aussi, avec un cours qui est passé de 50 cents au début de la décennie à une moyenne de 2,50 dollars en 2013, les candidats n’ont pas manqué : fonctionnaires, enseignants, commerçants… se sont lancés dans l’aventure, aux côtés des cultivateurs traditionnels. En 2013, la production en Côte d’Ivoire s’est élevée à de 270 000 tonnes et devrait arriver à 300 000 tonnes cette année. Le gouvernement ambitionne atteindre 600 000 tonnes à l’horizon 2020/2025. Ce dynamisme dans la production de l’hévéa ne va pas sans faire des dégâts collatéraux. Car l’agriculture vivrière perd de son intérêt. Ainsi du manioc, récolté une fois par an, au contraire du caoutchouc qui peut être collecté dix mois sur douze et offre des revenus supérieurs. Selon Alphonse Gnaoré Koh, expert auprès de l’Agence nationale d’appui au développement rural (ANADER) près d’Abidjan, un hectare d’hévéas peut dégager, quand le cours mondial est à la hausse, un revenu mensuel brut de 400 000 F CFA (800 dollars). Une fortune, sachant que le salaire minimum dans le pays Les taxes s’accumulent. Outre les 25% que doivent payer à l’État les sociétés agricoles sur leur bénéfice industriel et commercial, depuis 2012, les industries du secteur se sont vu imposer trois nouvelles taxes : une de 5% sur leur chiffre d’affaires, une taxe foncière de 7 500 F CFA/ha planté en hévéa par toute société agro-industrielle, la TVA lors de l’exportation, laquelle doit leur être remboursée (la filière est dédiée à l’exportation), ce qui ne se fait pas toujours sans mal, si l’on en croit les usiniers. Ces mesures ont un impact direct sur la trésorerie des entreprises et par voie de conséquence, sur leur capacité à investir… mais aussi sur les délais de paiement aux planteurs, qui s’allongent parfois jusqu’à deux mois, au lieu de 48 heures auparavent. En septembre 2013, Wadjas Honess, viceprésident de l’Aprocanci, s’alarmait lors d’une conférence de presse de la reconduction de ces taxes en 2014, qui pousserait « la filière hévéa (à) tout arrêter », voire à délocaliser. Le président des Usiniers du caoutchouc en Côte d’Ivoire, Eugène Malan, a prévenu : « Les deux pays qui nous entourent ne mettent pas de taxes sur le caoutchouc. Les usiniers vont délocaliser, ce n’est pas à nous que l’Etat fait du tort ». Marie-Christine Simonet Enjeuxafricains N°11 février-mars 2014 35 En couverture Côte d’Ivoire Pétrole Après dix bonnes années de paralysie due à une crise socio-politique, l’activité économique a repris dans plusieurs secteurs, y compris celui de l’énergie. De récentes découvertes et des forages exploratoires laissent entrevoir un avenir pétrolier très prometteur La Côte d’Ivoire pousse les feux pétroliers. En 2019, affirme le premier ministre Daniel Kablan Duncan, le pays produira 200 000 barils par jour (b/j), contre environ 32 000 à 38 000 b/j actuellement (les estimations varient) et près de 60 000 b/j en 2008. L’objectif est pour le moins ambitieux et les voisins n’ont qu’à bien se tenir. Le Ghana surtout, quatrième producteur ouest-africain, dont la production avoisine avec les 100 000 b/j, obtenue à la faveur d’une stabilité politique depuis le tournant des années quatre-vingtdix. Pas en reste, Accra vise les 250 000 b/j d’ici 2021. Après l’entreprise britannique Tullow Oil Plc. qui a découvert du brut léger courant 2012 au bloc CI-103, la firme pétrolière Vanco Côte d’Ivoire a annoncé quelques mois plus tard avoir fait le même type de découverte au large des côtes ivoiriennes au bloc CI-401. Les deux pétroliers devaient mettre à profit 2013 et 2014 pour parfaire les forages et clarifier les réserves. Tullow Oil et Vanco Côte d’Ivoire ne sont pas les seuls protagonistes du projet de développement pétrolier et les découvertes se multiplient. Le français Total SA et l’américain Anadarko Petroleum Corp. sont aussi de la partie. En juin 2012, la firme new-yorkaise annonçait avoir trouvé du brut léger au bloc offshore CI-103, et son vice-président, enthousiaste, estimait qu’il s’agissait-là d’une « découverte confirmant que le système de ventilation du Crétacé supérieur présent au Ghana s’étendait à l’ouest en Côte d’Ivoire »… Et créait un nouveau point d’achoppement entre les deux pays concernés. En avril 2013, le groupe français découvrait 36 un gisement offshore également proche des eaux ghanéennes, lors d’un premier forage exploratoire du bloc-100, d’un brut de bonne qualité, à 5 000 mètres de profondeur. Pour rappel, en 2010 Total a racheté 60 % de parts à la compagnie ivoirienne privée Yam’s Petroleum (qui en détient 25 % et PETROCI 15%). En novembre suivant, la compagnie privée nigériane basée à Londres Taleveras se voyait accorder le bloc offshore CI-523, après avoir acquis un intérêt dans le champ CI-525 de la firme britannique Afren, jouxtant la frontière avec… le Ghana. Selon le ministre ivoirien des Mines, du pétrole et de l’énergie, Adama Toungara, 26 blocs sur 51 ont été attribués début 2013 et 12 contrats de partage (dont 4 avec Taleveras) signés. Quant aux réserves prouvées de la Côte d’Ivoire, elles s’établissaient en janvier 2013 à 100 millions b/j, portant le pays au 70e rang mondial, indique le World Factbook de la Central Intelligence Agency (CIA) étatsunienne. La Côte d’Ivoire et le Ghana doivent désormais préciser les limites de leur frontière maritime, appelée bassin de Tano, dont les gisements pétroliers sont évalués à 2 milliards de barils, sans compter les réserves de gaz. L’ampleur du problème a été révélée en 2007, lorsque le Ghana a découvert, puis mis en exploitation trois ans plus tard, un vaste champ pétrolifère au large de ses côtes, dans ce fameux bassin de Tano. Il n’a fait que s’accroître par la suite, à mesure que les forages révélaient des gisements dans les eaux territoriales © D.R. Les ambitions pétrolifères de la Côte d’Ivoire de l’un et/ou l’autre pays. Ainsi de Total, qui précisait dans un communiqué « que le système pétrolifère (du bassin de Tano), qui contient notamment le champ Jubilee au Ghana, s’étend jusqu’au bloc CI-100 », donc en Côte d’Ivoire. Choisissant la voie de négociation, les deux parties ont mis en place en novembre 2013 une commission mixte chargée de régler le différend. Début janvier 2014, le ministre ghanéen des terres et ressources naturelles, Alhaji Inusah Fuseini, a annoncé sur des ondes radiophoniques ghanéennes qu’un comité mixte avait récemment visité le litigieux bassin pour tenter d’en définir les coordonnées géographiques. « Nous n’allons pas chercher au-delà du ciel. Il y a une limite qui a été respectée par les deux parties et qui constitue la base des négociations. Et même si cette limite a été contestée par la Côte d’Ivoire, elle servira de point de départ pour les négociations entre les deux pays », a expliqué le ministre ghanéen, soulignant que toute solution concertée devait respecter les règles figurant dans les conventions internationales relatives au droit maritime. Un accord consensuel devrait être trouvé d’ici juin 2014. La Côte d’Ivoire voit loin. « Faire de la Côte d’Ivoire la plaque tournante du commerce des produits pétroliers, un hub à partir duquel tous les pays de la sous région, voire de toute l’Afrique, seront desservis en énergie abondante, propre et bon marché, et hisser Petroci au rang des grandes compagnies pétrolières du monde ». Ces mots du directeur général de Petroci éclairent toute l’ambition de la Côte d’Ivoire. Marie-Christine Simonet Enjeuxafricains N°11 février-mars 2014 37 En couverture Côte d’Ivoire Le rapport Doing Business 2014 de la Banque mondiale, publié le 29 octobre 2013 fait état des progrès remarquables enregistrés par la Côte d’Ivoire, l’inscrivant au rang des dix économies qui ont le plus amélioré le climat des affaires en Afrique subsaharienne. En pleine reconstruction après une crise politique qui a duré dix ans, le pays fait également partie des vingt économies qui ont le plus reformé la règlementation des affaires depuis 2009, et des trente et un (31) économies qui ont implémenté au moins une réforme en 2012-2013. A une autre échelle, la Côte d’Ivoire est l’une des trois économies africaines ayant effectué la plus forte progression dans différents domaines, notamment dans l’exécution de contrats. Ces performances ont permis au pays de remonter de dix points dans le classement Doing Business 2014 passant de la 177ème place à la 167ème. On peut le dire, c’est une performance que des pays qui ont connu la même situation que la Côte d’Ivoire n’ont pas pu atteindre. En effet, onze réformes ont été opérées par le gouvernement en l’espace d’une année et cinq sont en cours d’achèvement, soit au total seize réformes inscrites au calendrier 2013, portant sur six indicateurs au nombre des dix que compte le Doing Business. Il s’agit notamment de la création d’entreprise, l’octroi du permis de construire, l’exécution des contrats, le commerce transfrontalier, le transfert de propriété et le paiement des taxes et impôts. Le premier atelier national Doing Business avait identifié ces seize projets de réforme comme étant à même d’améliorer le classement Doing business 2014 de la Côte d’Ivoire. L’Objectif est donc atteint. Les premières statistiques le confirment également. A titre d’exemple, fin décembre, selon les chiffres officiels du Centre de promotion des investissements en Côte d’Ivoire, en charge du Guichet unique des formalités d’entreprises (GUFE), 2535 entreprises avaient été créées pour un volume d’investissements de 506 milliards de FCFA en 2013. Le GUFE réunit les services de formalité d’entreprise, des agréments, des terrains industriels et des formalités administratives. 38 Quand au Tribunal de commerce en charge de la résolution des litiges dans le monde des affaires, il comptabilisait 1260 décisions rendues sur ordonnance de requête au 30 avril 2013 et 3021 au registre des dépôts de statut pour ce qui relève des inscriptions au registre de commerce au mois de février 2013. Pour 2014, sur instruction du premier ministre Daniel Kablan Duncan, trente-quatre projets de réformes seront menés à court et moyen terme. Ces réformes visent à améliorer l’ensemble des dix indicateurs du Doing Business, alors qu’en 2013, le gouvernement avait opté pour l’amélioration de seulement six indicateurs. S’il n’est pas opportun pour l’instant de jeter des fleurs au gouvernement ivoirien, il faut toutefois souligner l’engagement et la détermination à faire de la Côte d’ivoire une destination privilégiée pour les affaires. Comme l’indique lui-même le Chef du gouvernement, « nous avons une forte volonté politique d’opérer des reformes significatives ». Ce qui explique, pourquoi se tiennent tous les 15 jours depuis plusieurs mois, dans le cadre du Doing Business et du Millénium Chalenge Corporation (MCC), des réunions rassemblant toutes les parties prenantes du secteur public et privé. Reste que, pour gagner le pari de rendre très attractif l’environnement des affaires et d’attirer les investisseurs, la Côte d’Ivoire doit d’abord relever le défi de la transparence et de la bonne gouvernance. Si au niveau structurel, l’Etat a mis en œuvre les moyens avec la création du Secréta- © D.R. Climat des affaires en Côte d’Ivoire : Ce qui a changé ! Jean Kacou Diagou, président du patronat ivoirien riat national à la bonne gouvernance et au renforcement de capacités (SNGRC) et la Haute autorité à la bonne gouvernance (pas encore installée), les investisseurs eux, tout comme les citoyens, attendent des actions et des décisions fortes suivies d’effets. Les rackets, la corruption, le favoritisme et les insuffisances du système judiciaire à régler les conflits notamment commerciaux, sont hélas des phénomènes qui perdurent. Sur ces différents points, on est encore au stade des tâtonnements car la campagne de lutte contre la corruption lancée en juillet 2013 par le SNGRC n’a pas apporté grand changement. De gros contrats publics continuent d’être passés de gré-à-gré et l’attribution du marché de la construction du 2e terminal à containers au groupe Bolloré continue de susciter des controverses. Le secteur privé ivoirien a d’autres attentes que le très fougueux président du patronat ivoirien, Jean Kacou Diagou ne s’est pas gêné de les exprimer publiquement, même s’il note des avancées significatives dans l’amélioration du climat des affaires. « Nous sommes en déphasage avec l’administration fiscale. Le gouvernement qui aspire à faire de la Côte d’Ivoire un pays émergent, attractif, n’allège pas les impôts des entreprises. En le faisant, il chasse les investisseurs potentiels. Il faut réfléchir à la fiscalité car trop d’impôts tuent l’impôt. » Des propos qui traduisent l’impatience des acteurs économiques, et le chemin qui reste à faire pour parvenir à un environnement des affaires sain et attractif. Synthia Boko Enjeuxafricains N°11 février-mars 2014 39 En couverture Côte d’Ivoire Transport aérien René Decurey, directeur général d’Air Côte d’Ivoire « Notre vocation est de transporter et d’assister les personnes et les biens selon les standards internationaux » Un an après le lancement d’Air Côte d’Ivoire, son directeur général dresse un bilan d’étape et dévoile les ambitions de cette compagnie nationale créée sur les décombres d’Air Ivoire. 40 Un Airbus d’Air Côte d’Ivoire Les difficultés à obtenir certains droits pour de nouvelles destinations. La compagnie profite-t-elle du dynamisme de l’activité économique en Côte d’Ivoire ? René Decurey, directeur général d’Air Côte d’Ivoire tats sont encourageants car nos principaux concurrents faisaient à leur première année d’exercice moins de 50% de coefficient de remplissage et de moins de 20 milliards de FCFA de chiffre d’affaires. Nous prévoyons pour l’année 2014 d’augmenter le capital à 65 milliards. A combien s’élève aujourd’hui le capital d’Air Côte d’Ivoire ? Quelle est la part détenue par chacun des actionnaires ? L’actionnariat initial comportait la partici- © D.R. Air Côte d’Ivoire a été créée en mai 2012 à l’initiative du président Alassane Ouattara. Après douze mois d’activité, les résultats de la compagnie se résument comme suit : une flotte de 4 avions avec l’acquisition d’un nouvel Airbus 319 en novembre 2013, la couverture de 19 villes, un taux de ponctualité établi à 85%, le transport de 253 000 passagers, l’atteinte de 70 % de coefficient de remplissage sur les 4 derniers mois de l’année. Nous avons ouvert par ailleurs des bureaux dans la quasi-totalité des capitales de notre réseau, réalisé un chiffre d’affaires d’environ 28 milliards de FCFA avec un résultat net négatif, ce qui est conforme aux prévisions de notre plan d’affaires (Business plan). Ce résultat s’améliorera au fil des années, mais restera négatif sur les trois années à venir. L’aviation est un secteur budgétivore, cela est connu et la phase de décollage – très lourde en investissement – est la période la plus délicate. Pour 2013, le montant de la perte n’est pas encore connu, car les comptes ne sont pas clôturés. Toutefois les pertes sont en dessous des prévisions du plan d’affaires. Ces résul- © D.R. Comment se porte Air Côte d’Ivoire ? Quel est le bilan de l’année 2013 en termes financiers, commerciaux et techniques ? pation de l’Etat de Côte d’Ivoire, Air France le partenaire technique, et le groupe Akfed. En novembre 2013, le capital a été porté de 2,5 à 25 milliards F CFA. A la faveur de cette opération, le groupe Akfed s’est retiré du capital. Un nouveau groupe privé Ivoirien, Golden Rod, a décidé d’y entrer à hauteur de 15%. L’Etat de Côte d’Ivoire reste toujours majoritaire avec 65% et Air France, partenaire technique, avec 20%. Quelles sont les difficultés auxquelles est confrontée la compagnie ? Sachant que la Côte d’Ivoire connait une relance économique, nous constatons le nombre important en termes de passagers enregistrés par la structure Aeria. Cela démontre bien le dynamisme économique de notre pays et nous y travaillons pour bâtir une compagnie pérenne. Nous sommes fiers de constater que Air Côte d’Ivoire occupe le 1er rang des opérateurs de l’Aéroport Felix Houphouët-Boigny. Quel sera l’impact du retour de la Banque africaine de développement (Bad) à Abidjan sur le chiffre d’affaires de la compagnie ? La Bad étant une structure financière de développement assez importante, son retour en Côte d’Ivoire aura forcément un impact positif sur l’ensemble du système économique en général et en particulier dans le transport aérien. Le retour de cette institution contribuera à la réalisation de notre objectif en termes de passager transporté qui est de 450 000 passagers en 2014. ou de marché) en octobre 2013 dont le premier vol a eu lieu le 14 novembre 2013. Ce qui permet à nos passagers de voyager tous les jours de la semaine. Comment comptez-vous rendre plus dynamique le hub d’Abidjan pour remplir les vols à destination notamment de l’Afrique centrale ? Quel type de clientèle vise Air Côte d’Ivoire ? Pour l’année 2014, la compagnie compte renforcer sa flotte, ce qui permettra éventuellement d’offrir aux passagers, une croissance des vols de 47%, donnant plus de possibilité et de choix aussi bien en Afrique de l’Ouest qu’en Afrique centrale. L’ouverture de nouvelles destinations depuis décembre 2013 et janvier 2014 et le renforcement des vols du proche régional y contribueront. Il existe des synergies avec Air Burkina. Comment travaillez-vous avec cette compagnie du groupe Agha Kahn ? Avec Air Burkina, nous avons procédé à la signature d’un codeshare (partage de code La compagnie s’est donnée pour vocation de transporter et d’assister les personnes et les biens selon les standards internationaux. Elle veut faciliter la mobilité des populations tant sur le plan national que continental, et participer ainsi au développement économique et social de la région. Air Côte d’Ivoire vise l’ensemble des passagers souhaitant se déplacer en Afrique. A combien s’élèvent les effectifs de la compagnie fin 2013 ? Les effectifs atteignaient fin décembre 287 personnes dont 28 pilotes, 66 hôtesses et stewards et 20 techniciens avion. Propos recueillis par Jean Mathis Foko Enjeuxafricains N°11 février-mars 2014 41 En couverture Côte d’Ivoire Interview Affoussy Bamba Lamine, ministre de la Communication « Les journalistes doivent faire preuve de modération et de professionnalisme pour éviter de raviver les tensions et les rancœurs » Depuis une dizaine d’années, la presse ivoirienne est fortement traversée par des clivages politiques et idéologiques et les journaux ont joué un grand rôle dans l’exacerbation de la crise que la Côte d’Ivoire a connue. En vous nommant ministre de la Communication, quels ont été les objectifs qui vous ont été assignés par le président de la république et le premier ministre ? Les objectifs qui m’ont été assignés par le Président de la République et le Premier Ministre découlent des attributions de mon département ministériel. En effet, conformément au décret portant attributions des Membres du Gouvernement, le Ministère de la Communication est chargé de la mise en oeuvre et du suivi de la politique Du Gouvernement, en matière de communication sur l’ensemble du territoire national. A ce titre, sa mission consiste entre autres, à : - assurer le droit à l’information pour tous ceux qui vivent en Côte d’Ivoire ; - promouvoir une information libre, rigoureuse et professionnelle ; - offrir une meilleure visibilité à l’action gouvernementale aux plans national et international ; - contribuer au rayonnement de l’image de la Côte d’Ivoire à l’extérieur. La presse ivoirienne est toujours marquée par sa vitalité et sa diversité, même si 42 © D.R. Quel est l’état des lieux de la presse ivoirienne aujourd’hui ? Peut-on dire que les journalistes ont tiré les leçons de la crise et sont résolument engagés dans la politique de réconciliation nationale prônée par les autorités ? Affoussy Bamba Lamine, ministre de la Communication le nombre de titres proposés aux lecteurs a considérablement diminué par rapport à celui qu’on dénombrait dans les années 90. Cette période d’éclosion de titres a été qualifiée de « printemps » de la presse dans notre pays. En effet, suite à l’avènement du multipartisme en 1990 en Côte d’Ivoire, on a enregistré à l’époque plus d’une centaine de titres, toutes périodicités confondues, contre une vingtaine de titres aujourd’hui. Au fil du temps, de nombreux titres ont disparu par le fait de la loi de la concurrence et ceux qui ont survécu jusqu’à ce jour, participent à leur façon à la promotion de la démocratie. Véritable baromètre de la société, la presse ivoirienne est également confrontée aux mêmes difficultés que toutes les presse du monde, notamment la montée en puissance de la presse en ligne dont le corollaire est la réduction des ventes. Les crises successives qu’a connues la Côte d’Ivoire ayant accentué les problèmes précités, le Président de la République, Son Excellence Monsieur Alassane OUATTARA et le Gouvernement, par le biais du Fonds de Soutien et de Développement de la Presse (FSDP), apporte chaque année à la presse ivoirienne un appui conséquent aux plans financier, matériel et de la formation. Concernant le rôle de cette presse dans les crises vécues par notre pays, celle-ci en a été à la fois un acteur et une victime. En effet, les journalistes locaux se sont tristement illustrés par des écrits enflammés et des dérives langagières qui ont exacerbé la haine, la division et la fracture entre les ivoiriens. Cette attitude leur a valu la destruction partielle ou totale de plusieurs rédactions lors desdites crises. Conscient de leur part de responsabilité dans ces crises répétées, les acteurs du secteur des médias ivoiriens se sont engagés dans le processus de réconciliation nationale, même si certains d’entre eux continuent de s’adonner à des pratiques journalistiques éhontées. Cette implication de nos professionnels de la presse et de la communication n’étant pas encore totale, je saisis toutes les occasions pour les exhorter au respect des règles d’éthique et de déontologie de leur métier et tirer les enseignements des dix (10) dernières années de crises que nous avons vécues. A l’instar des autres ivoiriens, nos journalistes doivent prendre une part active dans la sensibilisation des populations à la paix, la réconciliation nationale et la cohésion sociale. Vous qui êtes ministre de la communication, quel doit être le rôle des médias dans des Etats en situation de post-conflit comme celle de la Côte d’Ivoire ? Outre les actions indiquées ci-dessus, les journalistes en particulier et les professionnels des médias en général, d’un pays comme la Côte d’Ivoire qui sort d’un conflit, doivent faire preuve de modération et d’un professionnalisme à tous égards, pour éviter de raviver les tensions et les rancoeurs. En d’autres termes, ils doivent privilégier dans leurs écrits et reportages le bon ton, l’objectivité et l’intérêt de la nation, et non rechercher le sensationnel et l’affrontement. Cela est valable aussi pour la Côte d’Ivoire que pour n’importe quel pays sortant de crise. Au total, les professionnels de notre presse et de la communication doivent revenir aux missions traditionnelles qui leur sont dévolues, à savoir informer, éduquer, divertir les populations ivoiriennes. En agissant ainsi, ils participeront à la réconciliation nationale et à la reconstruction, voire au développement de notre pays et contribueront à redorer son image. L’association Reporters sans frontières s’est inquiétée récemment du climat d’intimidation qui pèse sur les journalistes ivoiriens après l’assassinat le 14 novembre 2013 de Désiré OUE, rédacteur en chef de la revue Tomorrow Magazine et l’enlèvement le 19 novembre 2013 de Dieudonné Tadé, journaliste au quotidien Le Nouveau Réveil. Faut-il craindre pour la sécurité des journalistes dans votre pays ? D’emblée, je voudrais réitérer mes regrets à propos des tristes et douloureux événements dont vous faites mention. Je rappelle que dès leur survenance, je me suis rendue dans la famille du journaliste feu Désiré OUE et au chevet de Dieudonné TADE, pour présenter au premier cité nos condoléances et au second pour lui exprimer toute notre compassion. S’agissant du défunt Désiré OUE, la famille éplorée et les enquêtes policières confirment la thèse du braquage dont l’intéressé a été victime. Aucun journaliste ne fait l’objet d’intimidations de la part du Gouvernement qui demeure profondément attaché à la liberté de la presse. Je précise à toutes fins utiles que le regretté journaliste faisait partie d’une communauté religieuse et oeuvrait en faveur des jeunes. A ce titre, il était très apprécié au point où il a été associé par le Conseiller du Président de la République chargé de la jeunesse et des sports, à l’organisation au dernier trimestre de 2013 du forum sur la jeunesse. Sa disparition brutale a été donc un choc tant pour moi que pour la grande famille des médias. Quant au second journaliste Dieudonné TADE, il a été victime d’un enlèvement perpétré par des inconnus, dans la même période, pour des raisons non encore élucidées à ce jour par la Police. Certes, ces actes ont provoqué quelques remous dont la presse en a fait l’écho, mais fort heureusement, il y a eu plus de peur que de mal. La sécurité étant l’une de ses préoccupations majeures, le Président de la République, a instruit le Gouvernement afin de tout mettre en oeuvre pour rassurer la population dans toutes ses composantes. A cette fin, d’importants moyens ont été mis à la disposition des forces de défense et de sécurité pour assurer la protection des populations et leur permettre ainsi de vaquer paisiblement à leurs activités professionnelles. Comparativement à la situation dans les pays voisins, la Côte d’Ivoire accuse un retard dans la libéralisation du secteur de la communication ? Comment expliquez-vous un tel retard ? Avez-vous un agenda dans ce sens ? Contrairement à ce que vous affirmez, la Côte d’Ivoire a entamé la libéralisation du secteur de la Communication depuis 1990. En effet, outre la presse écrite dont l’éclosion remonte à la date indiquée, le secteur de l’audio a entamé son processus de libéralisation en 1992, avec l’ouverture de la bande FM à de nombreuses radios. La personnalité ivoirienne qui a procédé à cette libéralisation, est l’actuel Président de la République, Son Excellence Monsieur Alassane OUATTARA, lorsqu’il était Premier Ministre. Aujourd’hui, notre pays compte au moins une centaine de radios commerciales, confessionnelles et de proximité. Pour ce qui est de la libéralisation de l’espace télévisuel, vous conviendrez avec moi qu’elle n’était pas une urgence sortir de la crise, mais c’était plutôt la sécurité des populations, la réhabilitation des centres de santé, la reconstruction des établissements d’enseignement détruits. Eu un mot, il s’est Enjeuxafricains N°11 février-mars 2014 43 Plusieurs associations de journalistes plaident pour la dépénalisation des délits de presse. Quel est votre avis sur ce sujet ? A ces associations, je fais observer qu’en Côte d’Ivoire, l’article 68, alinéa 1 de la loi n° 2004 – 643 du 14 décembre 2004 portant régime juridique de la presse dispose que « la peine d’emprisonnement est exclue pour les délits de presse ». Cela signifie que depuis 2004, les délits de presse sont dépénalisés en Côte d’Ivoire, à l’exception de ceux visés à l’article 69 de la même loi. En effet, les journalistes ne sont pas exemptés de poursuites ni d’emprisonnement s’ils se rendent coupables de crimes de droit commun. J’ajoute que pour vulgariser les dispositions législatives précitées, j’ai pris une circulaire dans ce sens, dont tous les organes de presse ont reçu copie. Quelles sont les mesures prises par votre département pour soutenir les entreprises de presse et renforcer les capacités des journalistes ? Mon département ministériel oeuvre pour le renforcement des capacités des journalistes, pour une plus grande professionnalisation des médias et le développement de la formation initiale. Dans ce cadre, le Gouvernement, par le canal du Fonds de Soutien et de Développement de la Presse (FSDP), a consacré de 2011 à 2013 un milliard cent quatre-vingt-quatorze millions neuf cent 44 Le siège de la RTI au sortir de la guerre cinquante et un mille neuf cent soixantedeux (1 194 951 962) FCFA dont sept cent vingt-six millions (726 000 000) de FCFA au titre de la seule année 2013. Ces appuis financiers ont été affectés aux entreprises de presse, aux organisations professionnelles, au renforcement des capacités des professionnels des médias et à l’augmentation du fonds de garantie. La formation initiale a été également prise en compte par le renforcement des moyens de l’Institut des Sciences et Techniques de la Communication (ISTC) dont l’amphithéâtre de cinq cent soixante (560) sera achevé cette année de 2014. Pour moi, cette formation initiale permettra d’assurer la relève dans le secteur des médias dont la qualité en dépendra. En 2015, aura lieu une élection présidentielle. Comment comptez-vous accompagner les médias pour une meilleure couverture médiatique de la campagne, avant, pendant et après le scrutin ? Le Ministère de la Communication s’appuie sur deux (2) organes de régulation qui ont en la matière une expertise avérée. En effet, en Côte d’Ivoire, ce sont les organes de régulation du secteur des médias que sont la Haute Autorité de la Communication Audiovisuelle (HACA) et le Conseil National de la Presse (CNP) qui veillent au respect des textes régissant le secteur des médias, en toutes périodes y compris celle des élections, conformément aux missions à eux dévolues. En tant que premier responsable des médias, considérez-vous que les médias en général et les médias publics en particulier comme Fraternité Matin et la RTI, accomplissent convenablement leurs missions ? Les médias d’Etat en Côte d’Ivoire, notamment le quotidien Fraternité Matin, la Radiodiffusion Télévision Ivoirienne (RTI) et l’Agence Ivoirienne de Presse (AIP) sont à placer sous ma tutelle. Aussi, puis-je affirmer que les trois (3) médias publics susvisés font d’énormes efforts pour répondre aux attentes des lecteurs, auditeurs et téléspectateurs en leur servant des programmes variés et attractifs. Au regard du bond qualitatif fait par lesdits médias publics, en si peu de temps depuis l’accession au pouvoir d’Etat en avril 2011 du Président de la République, je ne peux que leur marquer ma satisfaction. Cependant, étant donné que beaucoup reste encore à faire pour que ces médias publics deviennent des médias plus modernes et des médias d’excellence, à l’instar de ceux des pays développés, j’invite leurs dirigeants à ne pas dormir sur leurs lauriers. Mieux, après cinquante (50) ans d’existence, ils doivent relever les nombreux défis du professionnalisme, de la concurrence, du numérique et des innovations technologiques à venir. En 2015, la télévision analogique disparaitra au profit de la télévision numérique terrestre (TNT) et en 2020 pour la radio. La Côte d’Ivoire sera-t-elle prête pour ce rendez-vous technologique et culturelle ? Pour votre pays, quels sont les enjeux de l’avènement de la TNT ? La Côte d’Ivoire s’est résolument engagée à réussir à la date butoir du 17 juin 2015 son passage de l’analogique au numérique. En témoigne le coup d’accélérateur donné au processus de transition, par la mise en place du Comité National de Migration vers la Télévision Numérique de Terre (CNM-TNT) et la nomination du Secrétaire Exécutif de la TNT. Aussitôt, des missions d’imprégnation sur la TNT ont été entreprises par une délégation du Ministère de la Communication dans un certain nombre de pays qui ont procédé et réussi leur processus de passage. Cette transition vers la TNT en Côte d’Ivoire offrira de nombreuses possibilités techniques et contribuera au développement de la Télévision dont la qualité des images et du son seront meilleures. Propos recueillis par Joachim Vokouma Mode Pathé’o, un styliste indémodable Styliste modéliste de renommée internationale, Pathé Ouédraogo, alias Pathé’O entend profiter du Forum Investir en Côte d’ Ivoire pour séduire de nouveaux clients et sensibiliser les pouvoirs publics sur les opportunités d’emplois que représente le secteur de la mode. Dans sa boutique mère de Treichville avenue 19 rue 22 barrée où il est installé depuis 1987, la journée de Pathé Ouédraogo est sans répit. Le créateur des fabuleuses et célèbres chemises ont conquis de nombreux chefs d’Etats africains dont le défunt Nelson Mandela, Laurent Gbagbo et des personnalités du show-business. Lorsque nous lui avons rendu visite, il venait de terminer une séance de travail avec des clients angolais, venus passer des commandes pour de hauts responsables du régime. L’année 2013 a été fructueuse pour lui : de nombreux voyages et de défilés à travers le monde, notamment à Dakar et à Montréal où il a participé au Forum Africa et où il a reçu une nouvelle distinction. Passionné par son métier, Pathé milite pour faire de la mode africaine une activité, non plus individuelle, artisanale, mais un secteur d’activité industrialisé, à l’image de ce qui se passe en Occident. « Chez nous, la mode africaine est strictement réservée au créateur », se désole t-il, alors qu’elle devrait être avant tout une activité économique qui intéresse les investisseurs et les pouvoirs publics. Bien que très proche des Chefs d’Etats, il regrette que ces derniers n’aient pas encore pris la pleine mesure de la place que peut occuper la mode dans la création de Pathé’o, le créateur des célèbres chemises “présidentielles” richesses et la lutte contre le chômage des jeunes. Au même titre que l’agriculture et les mines, la mode peut aussi rapporter plus que des dividendes aux Etats parce qu’elle ne tient pas seulement qu’aux vêtements, mais prend en compte la maroquinerie, la parfumerie, les accessoires de beauté, la décoration, etc. Autant de métiers dignes d’un secteur économique porteur. Gagner ce pari passe selon lui par un changement en profondeur des mentalités. En quatre décennies de métier, ce grand styliste est un peu choqué de constater que les Africains ont un complexe à mettre des vêtements africains, préférant dépenser des fortunes pour se mettre aux standards occidentaux. A commencer par les Chefs d’Etats, les dirigeants, les chefs d’entreprises, mais aussi la jeunesse africaine dont la garde robe ne comporte quasiment aucune pièce africaine. Excepté quelques figures, la situation n’est pas meilleure chez les artistes africains qui ont pourtant la © D.R. agi de reconstruire tous les systèmes sociaux de base et c’est ce que nous avons fait. Aujourd’hui, avec le retour à la normalité, nous préparons le passage au numérique. On ne peut donc pas en même temps, permettre l’ouverture de l’espace audiovisuel en analogique. En effet, il est important pour nous d’effectuer d’abord cette transition au numérique et de créer toutes les conditions en amont, de sorte que, dès le basculement, nous enclenchions en même temps la libéralisation de l’espace télévisuel. Par conséquent, il ne faut pas faire de fixation sur la date à laquelle cette libéralisation interviendra, mais plutôt être attentif au processus devant nous y conduire. Au demeurant, ce processus qui a été déjà entamé avec la mise en place de la Commission d’appel d’Offres et d’appel à candidature, sera mené à terme pour que les populations aient le choix entre plusieurs chaines de télévision. © D.R. En couverture Côte d’Ivoire chance et l’opportunité de se produire sur la scène internationale, et donc de valoriser les productions africaines. Dans un tel contexte, le Forum ICI 2014 où sont annoncés plus de 2000 investisseurs est une réelle opportunité que Pathé compte saisir pour vanter l’authenticité de ses créations, exposées dans son réseau de boutiques et sur le site du Forum. Si pour Pathé, l’ambition de faire de la mode une activité de type industriel semble pour l’instant hors de portée, elle ne relève cependant pas de la pure fiction. Il est même convaincu que la Côte d’Ivoire, qui est un des principaux pays producteur de coton en Afrique de l’Ouest et dispose d’unités de transformation, peut donner l’exemple et être un laboratoire si l’Etat se décidait à faire baisser les coûts des facteurs de production Synthia Boko Enjeuxafricains N°11 février-mars 2014 45 Economie Chronique L’accord de l’OMC à Bali : Vers un renouveau du multilatéralisme ? Hakim Ben Hammouda. Depuis le lancement du cycle de Doha en 2001, les négociations au sein de l’OMC sont restées bloquées, tant les divergences entre pays membres semblent insurmontables. L’accord de Bali début décembre est-il un signe annonciateur de nouvelles négociations ? Tôt dans la matinée du samedi 7 décembre, à Bali, c’est au terme d’une réunion de la dernière chance que le nouveau directeur général de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), le brésilien Roberto Azevêdo est venu s’exprimer à la cérémonie de clôture avec un large sourire : « Mesdames et Messieurs, j’ai l’immense plaisir d’annoncer que pour la première fois de notre histoire, l’OMC a réellement tenu ses promesses ». Cette réunion des ministres du commerce avait commencé le 3 décembre dans l’île indonésienne de Bali et devait se terminer le vendredi à 18h00. Mais, il a fallu prolonger de quelques heures afin d’aboutir à l’arraché au premier accord commercial depuis 1994. Une prolongation qui s’est avérée utile car elle a permis aux pays membres de parvenir à un accord qui donnera un nouveau souffle à l’OMC et relancera un multilatéralisme resté moribond depuis quelques années. Faut-il le souligner, l’OMC n’est jamais parvenue à faire des progrès sur le nouveau cycle de négociation lancé en 2001 à Doha. Ce cycle était pourtant très important pour les pays en développement qui en avaient fait un cycle de développement, car il devait corriger les inégalités produites par la globalisation et favoriser une plus grande prise en compte des critiques et des reproches formulés à l’encontre de l’ordre global. Ce nouveau cycle de négociation devait prendre en compte leurs intérêts sur des questions aussi importantes que les échanges des produits agricoles, les produits industriels ou les ser- 46 du cycle de négociation en 2001 et l’état du monde aujourd’hui. En effet, le pouvoir des économies développées, même affaibli, était encore important et ils étaient prêts à accorder des avantages aux pays en développement. Mais, quelques années plus tard, la donne avait beaucoup changé avec l’arrivée des pays émergents qui sont devenus de véritables concurrents des pays développés. Les inquiétudes face à la globalisation ont changé de camp. Face à un Occident dont le poids économique et politique est remis en cause, on a assisté à l’éruption de pays émergents beaucoup plus dynamiques qui deviennent progressivement la locomotive de la croissance globale. Ce changement de rapport de forces a été renforcé par la crise récente qui a touché de plein fouet les pays développés. Dans ce contexte, les négociations sont devenues plus difficiles car les pays développés ont conditionné leurs concessions dans le secteur agricole à une véritable ouverture des marchés des pays émergents à leurs impor- vices. En même temps, il devait renforcer le traitement spécifique en faveur des pays en développement et particulièrement les plus pauvres d’entre eux. Ce cycle a connu les plus grandes difficultés depuis son lancement, et de reports aux blocages, de crises en psychodrame, le cycle de Doha n’a cessé de s’enliser, ce qui remettait en cause la crédibilité de l’OMC. Faute d’un accord global, on a assisté à une multiplication des accords régionaux et bilatéraux, ce qui a progressivement rogné le rôle du multilatéralisme dans l’ordre global. Mais, en même temps, les difficultés de parvenir à un accord rapide sur les questions du développement a été à l’origine d’un déficit de légitimité de l’OMC auprès des pays en développement. A ce niveau, l’échec des négociations sur le coton et leur intégration dans les négociations plus globales et difficiles à aboutir que sont les questions agricoles étaient perçus par beaucoup, no- tamment les ONG et la société civile internationale comme le signe de l’incapacité de cette institution à défendre les pauvres paysans africains devant les intérêts des grands exploitants de coton. En particulier aux Etats-Unis et en Europe où les producteurs bénéficient de subventions importantes, ce qui fausse la concurrence internationale et pénalise les producteurs africains. Plusieurs raisons expliquent cet échec et les difficultés que rencontre l’OMC, à commencer par la complexité des sujets de négociation. Il faut également mentionner la règle de négociation plus connue sous le nom de « single undertaken », qui signifie qu’un accord ne peut être atteint sur un dossier tant que les autres dossiers ne sont pas réglés. Mais, au-delà de ces aspects techniques, c’est aussi la question politique qui explique cette impasse à l’OMC. A ce niveau, on mentionne un changement majeur du contexte international entre le lancement tations des produits manufacturiers. Ces exigences et la fermeté des différents groupes ont été à l’origine du blocage du cycle de Doha depuis son lancement en 2001. Pour ces raisons, la réunion ministérielle de Bali était importante non seulement pour le cycle de Doha mais aussi pour l’avenir de l’OMC et le multilatéralisme en général. Afin d’assurer les conditions de réussite de cette conférence, les pays membres ont décidé d’extraire du cycle de négociation une série de questions sur lesquelles ils étaient proches d’un accord. Ainsi, le paquet de Bali ne comprenait que trois questions. D’abord, la facilitation des échanges avec l’objectif de simplifier les procédures douanières afin d’accélérer les échanges entre les pays ; ensuite les propositions touchant les subventions agricoles, l’idée étant de parvenir à la flexibilité de certaines règles, notamment celles liées à la constitution de stocks alimentaires. Cette question est au cœur des préoccupations de certains pays notamment l’Inde qui en fait un élément essentiel dans OLELA AUTO Location de véhicules avec ou sans chauffeur (toutes marques) Assistance aéroport Localisation : Le Méridien Re-Ndama Hôtel BP 2942 Libreville Contact : Ismaël Olela Tél. : +241 07 97 36 57 / 06 03 77 45 / 06 62 81 10 sa revendication du droit à l’alimentation, et souhaite par l’introduction de cette flexibilité éviter les différends au sein de l’OMC. Enfin, les dispositions relatives au développement qui contiennent peu de règles contraignantes. Le paquet de Bali ne représente que le dixième des sujets en négociation dans le cadre du cycle de Doha. Par ailleurs, il ne contient que des questions qui font l’objet d’un important consensus entre les pays membres. Mais, en dépit de ces précautions, l’accord n’a pas été facile à trouver et malgré ses limites, il a une importante valeur. D’abord, il redonne un nouveau souffle à l’OMC pour reprendre les négociations sur des questions aussi controversées que l’accès au marché, les échanges agricoles et les services. Par ailleurs, cet accord redonne espoir au multilatéralisme en difficulté depuis plusieurs années et permet d’envisager l’avenir avec plus de confiance sur d’autres questions, notamment le changement climatique et les migrations. L O C A T I O N SEVERIN Location de véhicules avec chauffeur Peugeot 607 et Toyota BP 2534 Libreville Tél. : +241 0618 04 88 Enjeuxafricains N°11 février-mars 2014 47 Economie Commerce Commerce UE/ACP l’Ouest et l’Afrique centrale n’ont pas encore atteint ce niveau d’ouverture dans les négociations. Nous devons étudier en détail l’offre de la CEDEAO avant de tirer des conclusions sur son contenu. En ce qui concerne l’Afrique centrale, des progrès sont attendus dans l’ouverture du marché des marchandises lors de la prochaine actualisation du mandat de négociation. En dehors du Cariforum qui a signé un accord complet APE, mais sans Haïti, quel est l’état actuel des négociations avec les autres régions de l’Afrique, CEDEAO, CEEAC, SADC, COMESA ? L’accord avec la région ESA (Zimbabwe, Maurice, Madagascar et Seychelles) est ratifié et mis en œuvre, de même qu’avec le Pacifique y compris par la Papouasie Nouvelle Guinée. Pour le reste, les négociations se poursuivent et plusieurs d’entre elles devraient aboutir en 2014. C’est dans cette optique que le Commissaire De Gucht a effectué en juillet et novembre dernier deux visites en Afrique. Les négociations avec la CEDEAO, la SADC et EAC sont bien avancées. La plupart des questions techniques ont été résolues et des réunions ministérielles seront organisées prochainement pour faciliter la conclusion rapide de ces accords. En Afrique centrale, le président en exercice de la Communauté économique et monétaire d’Afrique centrale (CEMAC) 48 John Clancy, porte-parole du Commissaire européen chargé du commerce. et le secrétaire général de la Communauté économique des Etats d’Afrique centrale (CEEAC) ont fait savoir récemment à la commission de l’Union européenne, que la partie Afrique centrale souhaitait reprendre les négociations et les faire aboutir rapidement. Cependant, la situation politique en République centrafricaine perturbe le fonctionnement de la CEMAC et le travail des responsables de la région en charge des négociations. Les négociations achoppaient notamment sur les Services, la protection des droits de propriété intellectuelle et sur le niveau d’ouverture des marchés ACP aux produits européens. Sur ces différents points, quelles sont les nouvelles propositions de part et d’autre qui sont sur la table des négociations? Pour ce qui concerne les services, la situation varie selon les régions. Par exemple, il y a une bonne progression dans les négociations avec le COMESA et avec l’Afrique centrale où le texte est bouclé. Avec la SADC, les négociations sur les services et l’investissement viennent de commencer. Avec la CEDEAO, l’accord en cours de négociation contient une clause de rendezvous pour les services. Dans le domaine de la propriété intellec- tuelle, la situation est très variable selon les régions. Certaines sont plus préoccupées que d’autres par cette question. Par exemple, avec la SADC on vient de conclure les chapitres sur la protection de la propriété intellectuelle, alors qu’en Afrique centrale ou en Afrique de l’Ouest, le thème de la propriété intellectuelle n’a pas encore été abordé. La CEDEAO proposait une ouverture de 60% de son marché sur 15 ans, alors que l’Union européenne en réclamait 80% sur 20 ans. A présent, il semble que la CEDEAO propose une ouverture à 75%. Quelle est la position de l’Union européenne sur cette offre? Le niveau d’ouverture des marchés ACP aux produits européens doit respecter les règles de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) qui exigent que les accords de libreéchange couvrent substantiellement tout le commerce entre les parties. Ce niveau d’ouverture doit être également suffisant pour avoir un impact positif sur les échanges et la compétitivité des produits africains. Mais plus que le niveau d’ouverture, ce qui est important, c’est le potentiel en matière de développement des offres qui sont proposées par les pays ACP. Plusieurs partenaires ACP se sont engagés au-delà de 80%, alors que certaines régions comme l’Afrique de Que se passera t-il en cas de non signature des APE au 31 janvier 2014 pour les pays classés dans la catégorie Pays moins avancés (PMA), environ une quarantaine sur 79, qui bénéficiaient du régime “ Tout sauf les armes ” (TSA) ? Rien, ils vont continuer à bénéficier du libre accès au marché européen sur la base du régime « Tout sauf les Armes » qui est une composante du Système des Préférences Généralisé (SPG). Quant aux pays comme la Côte d’Ivoire, le Ghana, le Cameroun, qui appartiennent à la catégorie des pays à « revenu moyen inférieur » selon la classification de la banque mondiale, ils continueront à être couverts par le SPG à moins qu’ils ne signent et ne ratifient un APE. Ces pays peuvent aussi postuler pour le SPG+ s‘ils y sont éligibles parce qu’il donne des avantages supplémentaires aux pays qui ratifient et mettent en œuvre 27 conventions internationales sur le développement durable. Certains pays ACP se plaignent du fait que l’Union européenne a unilatéralement fixé une date butoir pour la signature des APE en janvier 2014, comme ce fut le cas dans le passé. Que leur répondez-vous ? Il n’y aucune date butoir sauf celles que pourraient se fixer les parties d’un commun accord. Au 1er janvier 2014, le nouveau régime SPG est entré en vigueur. Il concerne 176 pays et n’est en rien lié aux négociations APE. En revanche, le Règlement n° 1528/2007 qui donne le libre accès au marché européen aux pays ACP qui ont paraphé des APE, a été modifié par le Règlement n° 527/2013 qui réserve un tel accès aux pays qui ont pris les mesures nécessaires pour la ratification de leurs APE. Cette modification entrera en vigueur le 1er octobre 2014. © D.R. Initialement prévue pour décembre 2007, la signature des Accords de partenariats économiques entre l’Union européenne et les pays d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique avait été reportée à une date ultérieure, les deux parties n’ayant pas réussi à surmonter leurs divergences. Début janvier 2014 les négociations ont repris mais rien ne garantit qu’elles aboutissent. Etat des lieux avec John Clancy, porte-parole du Commissaire européen chargé du commerce. © Commission union européenne Les APE à nouveau sur la table des négociations Les acP redoutent la concurrence des produits européens. A partir de cette date, les pays qui n’auront pas ratifié leur accord pourront bénéficier néanmoins des régimes offerts par l’UE à ses différents partenaires en fonction de leur niveau de développement (TSA, SPG). La crainte des pays africains était motivée par le fait qu’à leurs yeux, le volet Développement n’était assez pris en compte dans les négociations et ils redoutaient de perdre des recettes douanières qui ne seraient pas compensées. Ces inquiétudes vous paraissentelles justifiées ou pas? Les négociations en cours actuellement tiennent-elles compte de ces inquiétudes ? Les négociations en cours actuellement tiennent compte de ces inquiétudes, notamment par le calibrage asymétrique dans l’ouverture des marchés et dans la mise en œuvre des accords, par l’exclusion des produits sensibles et par de nombreuses adaptations spécifiques au cas des pays ACP notamment en matière de sauvegardes. Le soutien financier de l’UE en appui à la préparation et la mise en œuvre des accords sont une garantie pour que les accords bénéficient pleinement aux pays et régions qui feront le choix d’un nouveau partenariat gagnant-gagnant avec l’UE. En outre, à moyen et long terme, la perte éventuelle des recettes douanières sera résolue par les mesures d’adaptation fiscale indispensables à la réussite des APE et par la croissance économique liée à la mise en œuvre de ces accords. Le monde rural représente près de 80% de la population des pays ACP et les organisations paysannes redoutent que leurs productions ne soient mises à mal par les exportations européennes comme on a pu le constater avec les poulets congelés européens subventionnés sur le marché camerounais en 2005. Ces craintes demeurent. Que leur répondez-vous ? Ces dernières années, la politique agricole commune a été largement reformée et il n’y a quasiment plus de subventions européennes à l’exportation dans le cadre de la nouvelle politique agricole commune. Avec les APE, les pays ACP peuvent décider d’exclure n’importe quel produit alimentaire ou agricole de la libéralisation dans le cadre des négociations APE. Par ailleurs, les APE contiennent des clauses de sauvegarde qui peuvent être très facilement déclenchées et mises en œuvre en cas de menace ou de risques de menace sur les produits domestiques. Certains APE vont même loin en prévoyant des clauses de sauvegarde spécifique en matière de sécurité alimentaire. Interview réalisée par Joachim Vokouma Enjeuxafricains N°11 février-mars 2014 49 Economie Entreprise Younoussa Sanfo, expert en sécurité informatique, directeur général d’Intrapole Pour les individus, comment se protéger quand on utilise le téléphone portable et l’Internet ? En quoi consiste l’expertise en sécurité informatique dont votre société est spécialisée ? Entreprise spécialisée en sécurité informatique et en investigation électronique, Intrapole, qui est basé à Ouagadougou, au Burkina Faso, assiste les entreprises qui souhaitent se protéger contre les risques informatiques ; nous faisons aussi de la formation et la sensibilisation sur la sécurité électronique. Pour la protection des données, nous mettons en place des outils de protection et formons les gens afin qu’ils puissent les utiliser efficacement, car en réalité, 70% des problèmes de sécurité proviennent des comportements humains. Nous formons les utilisateurs ordinaires et même les informaticiens, car contrairement à ce qu’on peut penser, ces derniers sont parfois les maillons faibles des entreprises quant il s’agit de sécurité informatique. Quant à l’investigation électronique, nous intervenons en cas de problème pour chercher à savoir ce qui s’est passé ; en gros, 50 © D.R. Ancien fonctionnaire de police reconverti dans la sécurité informatique, Younoussa Sanfo analyse les nouvelles menaces nées des technologies de l’information et propose des solutions pour y faire face © D.R. « 70% des problèmes de sécurité proviennent des comportements humains » Younoussa Sanfo, directeur général d’Intrapole nous faisons sur les ordinateurs, les logiciels et les réseaux, ce que fait la police quand elle est saisie d’un problème. Les investigations portent notamment sur les attaques sur les réseaux locaux, à travers Internet, les dénis de services, contre les connexions Wifi, les courriels (e-mails), les cybercrimes et les atteintes aux personnes (incidents sur le harcèlement sexuel etc.) Nous enquêtons aussi sur l’espionnage industriel, la pornographie enfantine et sur bien d’autres sujets liés aux technologies de l’information et de la communication. Quelles sont les menaces contre lesquelles il faut se protéger ? Pour se protéger, les entreprises doivent connaitre les menaces, les vulnérabilités, car tout le monde n’est pas concerné par les mêmes menaces. Quand on est en France, la menace peut être une tempête de neige, mais pas pays dans un pays sahélien. Quant à la vulnérabilité, il faut aussi l’identifier, savoir si on est concerné et comment l’évaluer. Une fois que ce travail est fait, il faut choisir les dispositifs selon la taille de l’entreprise, ses réalités, des dispositifs qui correspondent à la menace contre l’entreprise. Par exemple, une banque peut-être la cible d’une attaque de personnes malveillantes qui veulent affaiblir le système informatique et pouvoir faire des opérations indues. Ces attaques sont de plus en plus fréquentes et concernent aussi les entreprises qui ont des bases de données à valeur ajoutée. Il faut donc se protéger contre l’intrusion, sans oublier d’assurer la disponibilité du système. Si je demande la position de mon compte dans ma banque, et qu’on me répond que le système informatique est en panne ou ne fonctionne pas, ça me cause un dommage de même que la banque. Tous les mécanismes qui permettent au système d’être opérationnels 24h/24 doivent donc être protégés et le niveau de protection varie : plus le temps de disponibilité est faible, plus il faut d’avantage de moyens pour respecter ce temps de disponibilité. Notre expertise s’intéresse à ce type de problème, parce que les attaques sont devenues une vraie industrie. Avant, c’était des personnes isolées qui le faisaient mais, maintenant, ce sont des organisations criminelles déjà actives dans la drogue et la prostitution, qui pratiquent la cybercriminalité en utilisant des moyens informatiques pour attaquer des structures, récupérer des informations afin de faire des opérations et gagner de l’argent. Au lieu de braquer une banque, les organisations criminelles de type mafia, peuvent à présent pirater la banque et y faire des opérations malveillantes. Il n’y a plus d’effusion de sang, mais le résultat est le même. En Afrique de l’Ouest, la plupart des pays ont déjà été confrontés à ce type d’attaque et des banques dans certains pays ont perdu de 900 millions à deux milliards de F CFA Pour les individus, les entreprises et les Etats, que représente la cybercriminalité au quotidien ? Pour les individus, il y a le cas du parent d’élève en Afrique qui cherche une école en Occident pour son enfant. Il en trouve une qui présente toutes les garanties d’un établissement sérieux. Il inscrit son enfant, paie la scolarité avant de découvrir qu’il s’agit d’un établissement fictif. Il a aussi la jeune fille de 16 ans qui discute sur Internet avec un inconnu et qui finit dans un réseau de prostitution, ou le commerçant qui traite avec un partenaire étranger, qui passe sa commande, paie et qui ne reçoit jamais la marchandise ! Pour les Etats, il y a des groupuscules qui peuvent attaquer les entreprises stratégiques du pays, comme la distribution d’eau, d’électricité, pour obtenir la satisfaction de leurs revendications. Certains n’hésitent pas à chercher à paralyser toute l’administration publique et il est fort probable que dans les prochaines années, les gens ne marcheront plus dans les rues pour protester, mais attaqueront des cibles stratégiques via Internet et l’informatique. Je ne veux pas affoler les gens, mais on pourrait assister à des cyberguerres entre Etats ou entre groupes criminelles et des Etats. Par exemple, au lieu de prendre en otages des personnes, on pourrait prendre en otage des systèmes d’une administration en exigeant le versement d’argent. Comment contrer ces menaces ? Pensezvous que les pouvoirs publics africains en ont conscience ? Bien entendu, il est possible de contrer ces attaques, mais malheureusement, à l’inverse de ce qui se passe en Occident, très peu d’Etats en Afrique disposent de systèmes bien protégés. Il n’y a pas de véritable politique nationale en matière de cybersécurité, si ce n’est sur le papier. Quand on évoque ces menaces qui pourraient arriver dans cinq ans aux hommes politiques, ils n’écoutent pas. Tant que la menace n’est pas là, ils ne font rien. Tout au plus, cherchent-ils des solutions pour surveiller les opposants ou les citoyens comme cela s’est passé en Libye sous Kadhafi. Les menaces étant virtuelles, ils ne les prennent pas au sérieux et les sous estiment. Il faut comprendre les comportements à risques et les éviter. La première des choses, c’est le bon sens. Vous n’avez jamais joué à une loterie mais vous recevez un message vous informant que vous êtes le gagnant de la cagnotte ! En général, c’est nous-mêmes qui donnons notre mot de passe sans le savoir. Par exemple quand on veut s’inscrire sur un site, on demande souvent notre adresse mail et le mot de passe. Il s’agit en fait du mot de passe qu’on doit mettre pour accéder au site, mais les gens pensent qu’il s’agit de leur propre mot de passe de leur boite mail. C’est ainsi qu’on communique notre mot de passe à des inconnus sans le savoir. Autres précautions à prendre : éviter d’utiliser l’ordinateur de l’hôtel ou se connecter sur internet via le serveur d’un aéroport même avec son propre ordinateur, car ces réseaux ne sont pas protégés et il est facile de récupérer les informations qui y circulent. Avez-vous des projets pour l’année 2014 ? Si oui lesquels ? En 2000, j’ai créé Intrapole à Caen, puis je l’avais mise en veilleuse pour aller m’installer au Burkina. A présent, je suis en train de la réactiver pour proposer des services assez particuliers qui n’obligent pas à rencontrer le client. Notre projet phare, c’est la mise en place d’un Datacenter sécurisé. Nos clients pourront sauvegarder à distance leurs données importantes en choisissant eux-mêmes ce qu’ils veulent sauvegarder. Nous lui mettons à disposition un système simplifié pour que la synchronisation avec nos serveurs soit transparente. Toutes les transactions sont cryptées et le client peut les décrypter à l’aide des clés connues de lui seul. En cas de besoin, il récupère ses données sur nos serveurs sans intervention humaine. Nous hébergeons toutes ces informations sur notre Datacenter réparti sur deux pays européens pour assurer la redondance. Cela évite au client de perdre définitivement des données comme c’est régulièrement le cas dans la plupart des entreprises en Afrique. Interview réalisée par Joachim Vokouma Enjeuxafricains N°11 février-mars 2014 51 Economie Entreprise Challenge entrepreneurial du Congo : Le RICE récompense quatre lauréats En vue d’encourager la création d’entreprise dans leur pays d’origine, les Congolais de la diaspora récompensent quatre porteurs ou chefs d’entreprises qui se sont illustrés dans des secteurs innovants. Titulaire d’une licence en Automation-régulation à Bruxelles en 2005, il rentre au pays et avec son épouse, crée « Africa Solaire », une société spécialisée dans l’électrification rurale, l’éclairage public et le pompage d’eau. Dans les zones urbaines, « Africa Solaire » installe des systèmes d’accumulation d’énergie pour des particuliers et des banques et pour sécuriser des réseaux informatiques. Dans le cadre du Challenge Entrepreneurial, Sandy Mbaya Mayetela propose la création de stations d’eau potable alimentées par l’énergie solaire photovoltaïque. Les stations seront installées dans les quartiers populaires afin d’offrir une source d’eau potable à la population la plus démunie à un prix abordable. Les lauréats du Challenge Organisée par le Réseau international des Congolais de l’extérieur (RICE), la première édition du Challenge entrepreneurial a livré son verdict le 23 novembre dernier à Brazzaville. (Voir EA N°9 octobre-novembre 2013). Après un rigoureux examen d’une centaine de dossiers, quinze (15) meilleurs en avaient été retenus, répondant aux critères suivants : Clarté et pertinence du projet, expérience du promoteur et de son équipe de management, potentiel commercial du projet sur le marché local et international, caractère innovant du projet, viabilité du projet et retour sur investissement pendant deux mois. Au final, quatre lauréats -au lieu de cinq prévus- qui ont brillamment présenté et défendu leur projet devant un jury de professionnels de l’entreprise ont été récompensés. Chaque lauréat a reçu un chèque symbolique de 32,2 millions de F CFA (50 000 euros), une subvention qui leur sera débloquée en fonction du respect du planning et de la réalisation des étapes prévues dans leur Business Plan. Ils seront accompagnés par le RICE et le Fonds d’Appui à Coûts Partagés (projet Banque Mondiale/ gouvernement congolais) afin de les aider à développer leur entreprise ou leur 52 projet. « Cette première édition du Challenge a été un succès, et vu l’engouement qu’elle a suscité auprès des Congolais et des autorités du pays, il nous faut absolument trouver les moyens de continuer cette aventure », confie Edwige-Laure Mombouli, présidente du RICE. Zoom sur les lauréats du Challenge entrepreneurial 2013 Sandy Mbaya Mayetela, patron « d’Africa Solaire », désigné meilleur projet de développement d’une PME/PMI et destiné à la création de stations d’eau potable alimentées par l’énergie solaire photovoltaïque. de mangue. Avec l’aide du Challenge, Parfait Kissita souhaite diversifier davantage l’activité de la coopérative afin de proposer des produits transformés comme la confiture et les épices moulues. Cette aide financière lui permettra également d’améliorer la qualité des emballages afin d’étendre sa clientèle aux hôtels et aux supermarchés. Parfait Kissita, directeur général de « Cuba Libre SARL », une société dédiée à la production et la vente de jus de fruits congolais Diplômé de l’Institut Polytechnique d’Agronomie de Cuba en 1991, il lance en 1997 à Brazzaville la Conserverie des produits agricoles du Congo (COPRAC), une petite unité de transformation et de conservation de produits agricoles en jus de fruits, confitures, sirops et marinades. En 2000, il quitte la capitale pour Pointe-Noire, la deuxième ville du pays, où il crée la coopérative agricole « Cuba Libre », qui produit et commercialise des jus de fruits à base de gingembre, de papaye et Destiny LOUKAKOU, porteur du projet « Pousselec », récompensé comme meilleur Start-Up innovante Natif de Brazzaville, Destiny Loukakou est titulaire d’un doctorat et d’un Master2 en Génie électrique et Informatique industrielle de Belfort en France. De retour au pays, il se lance dans la recherche en sciences tout en murissant ce projet qui lui tient à cœur : inventer un engin qui faciliterait le transport de marchandises pour les couches populaires. Avec trois copains, tous des ingénieurs, ils mettent au point POUSSELEC, un pousse-pousse électrique rechargeable par l’énergie solaire et dont la traction est assurée par un moteur électrique intégré dans une roue. POUSSELEC qui devrait voir le jour en mars prochain, permettra ainsi aux Brazzavillois d’effectuer plusieurs courses dans la journée à moindre effort. L’engin peut rouler jusqu’à 20 km/h avec une autonomie de 10 km et n’émet aucune pollution atmosphérique. « Pour des raisons financières, nous avons prévu de mettre sur le marché dix exemplaires en location, le temps d’apporter d’éventuels ajustements techniques », explique Destiny Loukakou Joachim Vokouma Jean-Christian Diakanou-Matongo de la société « APIS Congo », meilleur projet issu de l’économie informelle Ingénieur Forestier de l’Institut de développement rural de l’Université Marien Ngouabi de Brazzaville, il s’intéresse à l’apiculture, la gestion durable de la biodiversité, la valorisation des produits forestiers non ligneux (PFNL), le reboisement, la restauration forestière et les études d’impact environnemental et social. APIS Congo vise la production durable et la commercialisation de miel, et s’inscrit dans le secteur de l’économie verte que le gouvernement congolais considère comme étant une des filières de diversification de l’économie nationale. APIS Congo dispose de 25 ruches, mais la production reste encore très insuffisante face à la demande. Avec le prix Challenge, Jean-Christian Diakanou-Matongo espère augmenter la production de miel pour offrir régulièrement aux consommateurs un produit de très bonne qualité. Enjeuxafricains N°11 février-mars 2014 53 Economie Banque « Bâtir une banque solide pour rejoindre le Top 10 en RDC dans les deux ans » Travail, intégrité, rigueur, discipline, humilité… Telles sont les valeurs que cette banquière a héritées de son défunt père, un Général dans l’armée de l’ex-Zaïre. Formée à Toulouse, elle est la première Kinocongolaise à diriger une banque privée en RDC. Après être passée par les filiales congolaises de Citi Group et Standard Bank, elle a pris voici un an et demi les rênes de Fibank. Récemment élue vice-présidente de l’Association congolaise des banques (ACB), Félicité Singa-Boyenge dévoile les lignes de la politique de la banque, analyse les structures de l’économie congolaise et parle de la place de la femme dans le développement de la RDC. Comment se porte la filiale de la Fibank ici en République Démocratique du Congo (RDC) ? Malgré un environnement toujours difficile et de concurrence accrue (18 banques), je suis ravie de constater que la Fibank évolue doucement mais surement en termes de volume 54 © D.R. Interview Félicité Singa-Boyenge, directrice générale de la Fibank des dépôts et des crédits accordés à l’économie. En effet le total du bilan de la Fibank a connu une augmentation d’une année à l’autre de l’ordre à peu près de 24% en attendant les chiffres finaux, avec une amélioration au niveau des dépôts de 33%, le crédit à l’économie a connu une augmentation de 41% et le chiffre d’affaires une croissance de 80%. Par contre, nous noterons que les charges et les provisions sont à contenir pour une meilleure rentabilité. Nous sommes sur une trajectoire de développement de nos activités, un plan d’expansion a été lancé pour les 2 prochaines années et je peux dire que les résultats au terme de cette période sauront être à la hauteur de nos attentes. Nous avons présenté un budget ambitieux pour 2014. Cela se justifie par l’élan de notre stratégie commerciale qui a été revue de manière à répondre à un besoin de développement des différents secteurs et portefeuilles au sein de la banque : institutions, corporate, avec un focus sur les PME et les particuliers. Il y a quand même dans notre pays un peu plus de 70 millions d’habitants avec seulement 18 banques. Ce qui laisse encore des possibilités pour les banques les plus dynamiques. Et comment caractérisez-vous la concurrence dans le secteur bancaire en RDC ? Disons que l’industrie bancaire a considérablement évolué depuis une dizaine d’années. Il y a quatre catégories d’établissements bancaires opérant en RDC : les banques internationales, continentales, régionales et locales. Le pays a vu se développer les banques continentales et régionales au détriment des banques locales. Elles offrent pratiquement toutes des produits et services aux quatre secteurs : les corporates, les institutions, les PME et les particuliers. Malgré la taille du pays, le marché reste petit car le volume d’activité qui est drainé à travers le système bancaire ne dépasse pas les 30 %, caractérisé par le faible volume de transactions financières et d’agence à travers le pays. Les banques se partagent à quelques exceptions près tous, les mêmes clients. Il faut noter que le pays est encore à la traîne avec un taux de bancarisation de plus ou moins 6.5%. Le système bancaire enregistre aujourd’hui environ 5 millions de comptes alors que le potentiel est actuellement estimé à 16 millions. La situation incertaine et d’instabilité que le pays a connue durant les années 1990 et l’attentisme des uns et des autres pendant plusieurs années, ont conduit l’industrie bancaire a se repositionner dans les grands centres urbains ou l’activité économique s’y était retranchée. Convaincue aujourd’hui par le potentiel avec une population de 70 millions d’habitants, cela fait à peu près cinq ans que le développement des activités du système bancaire a repris aussi bien dans les quatre grandes villes que dans les différentes autres villes de taille moyenne et dans les localités à travers tout le pays avec l’implantation de nouvelles agences dans le but de répondre à la demande toujours plus croissance à venir. Nous avons, à cette occasion, vu également se développer le secteur minier dans le Katanga, les 2 Kivu et la Province orientale. Malheureusement, les provinces de l’Equateur et du Bandundu n’ont pas bénéficié de cette même progression et ont vu s’implanter des agences bancaires bien plus tard. L’industrie bancaire a enregistré une performance qui s’explique par un chiffre d’affaires à fin novembre 2013 de 521 millions de dollars contre 353 millions en 2012 soit une augmentation substantielle de 49%, le volume de dépôt a atteint 2,9 milliards de dollars contre 2,6 milliards, avec une augmentation de 14% par rapport à l’année précédente, les crédits à la clientèle passant de 1,4 milliard à 1,7 milliard de dollars, soit une augmentation de 22%. L’industrie bancaire clôture l’exercice 2013 avec une légère augmentation du total du bilan de 16% alors qu’elle a depuis plus de 6 ans toujours enregistré une augmentation moyenne de 25 à 30%. Les 18 banques bénéficient de l’essor économique. En effet, le dynamisme des banques a fait progresser le marché bancaire congolais. L’implantation des agences et des guichets automatiques à travers les villes a facilité l’accessibilité aux services et produits bancaires qui se sont diversifiés à la satisfaction de la clientèle. Que faut-il faire pour améliorer l’offre bancaire et augmenter sa part dans l’activité économique ? Nous avons eu un coup de pouce de la part du gouvernement avec la bancarisation des agents de l’Etat. Le million de comptes supplémentaires est composé des fonctionnaires, des agents de l’Etat, la police et l’armée. Cette bancarisation a été un élément déclencheur en permettant aux fonctionnaires d’avoir un compte en banque et d’être payé comptant chaque fin de mois. Certains ont même bénéficié de crédits adossés par la domiciliation des salaires mensuels au niveau des banques. Beaucoup de PME et des particuliers se sont depuis rapprochés des banques pour leurs transactions bancaires. Ils peuvent de nouveau, en effet, par ce biais, faire confiance aux banques opérant en RDC et nous remercions le gouvernement pour cela ainsi que la Banque centrale du Congo dans sa politique monétaire et dans son rôle de régulateur et de supervision des institutions financières. Une bonne partie des banques y compris la Fibank accompagne le gouvernement dans la bancarisation et dans la paie des fonctionnaires. Les banques doivent pouvoir trouver des ressources, lever des fonds et financer l’économie à des taux accessibles par tous, tout en gérant et réduisant les risques inhérents à ces engagements. Quelles sont vos ambitions dans le court terme ? Etre dans le Top 10 des banques congolaises ? Nous étions au 13e rang dans le classement des banques congolaises en 2012 et comptons passer après l’analyse des données à fin 2013, au 11e rang, ce qui est déjà appré- ciable compte tenu, à partir de février 2014, des 5 ans d’existence de la Fibank en RDC. La banque doit innover et répondre aux attentes des clients, se rapprocher de plus en plus de ses clients avec une politique de proximité avec des produits, services et solutions taillés sur mesure. Accroître les interventions dans les différents secteurs d’activité de l’économie par des financements aux entreprises, aux particuliers avec une attention toute particulière aux PME. Notre objectif est de bâtir une banque forte pour accompagner les PME et les particuliers, contribuer au développement du pays et rejoindre le Top 10 dans les 2 ans. Quels sont les secteurs d’activité qui tirent l’économie congolaise ? Convaincue que la RDC est un pays à grand potentiel, un pays d’avenir, la stabilité économique enregistrée en 2013 avec un taux d’inflation de 2%, une croissance de 6%, ne peuvent que donner un signal positif aux investisseurs. Le PIB est réparti de la manière suivante : 44% par l’agriculture, 23% par l’industrie et 33% dans le secteur des services. La production minière dans le secteur de l’industrie fait, bien entendu, partie d’un des secteurs en pleine expansion et en plein essor. Toute la partie est du pays, du nord au sud, bénéficie directement ou indirectement de cette manne. Pour revenir à l’agriculture, nous auront environ 80 millions d’habitants d’ici 5 à 6 ans et la demande va croître au fil des ans. La nature nous a tout donné, il est inconcevable que le pays continue à importer tout ce qui peut être produit sur place et, de surcroit, sur l’une des terres les plus arables d’Afrique. Le déficit de la balance de paiement en est la preuve. Il est grand temps que les banques commencent à penser à financer des projets agricoles, des structures d’élevage et des pêcheries destinés exclusivement à la consommation locale. L’émergence de l’agro-industrie est le salut qui permettra de mieux gérer les réserves en devises du pays et d’arriver à une autosuffisance alimentaire. Les petites structures existantes devraient déjà se diriger vers la production à plus grande échelle et donner une plus-value aux produits qui sont demandés et couramment consommés par la population, ce qui in fine pourra tendra vers une retombée plus équitable du PIB par habitant. Quel commentaire faites-vous sur le niveau de représentation de la femme dans la haute administration congolaise ? Le niveau est encore faible même si le gouvernement a fait un grand effort au niveau des institutions. En effet, nous voyons beaucoup de femmes évoluer au niveau de l’Assemblé nationale, des sociétés publiques et des ministères et j’en suis fière. Mais dans le secteur privé, les choses prennent un peu plus de temps, les femmes sont souvent reléguée au second plan. Ce sont des exemples des quelques femmes maintenues à des postes de responsabilité du fait de leur professionnalisme, de leur performance et de leur bonne gouvernance qui feront changer les mentalités et bouger les acquis. Vous sentez vous concernée par l’éducation des filles ? On ne peut pas promouvoir la femme sans promouvoir l’éducation de la fille. La femme responsable de demain, c’est la fille que nous éduquons et formons aujourd’hui en lui inculquant les bonnes valeurs. Nous sommes justement en train de penser au regroupement des femmes pour monter une structure qui pourra avec l’aide du gouvernent et des institutions internationales, aider les jeunes filles à étudier, acquérir une formation professionnelles pour les armer de manière à affronter la vie sereinement et obtenir des postes de responsabilité dans les entreprises et institutions du pays. Comme nous le constatons jusqu’à présent, à diplôme égal, on a souvent privilégié l’homme à la femme. Mais la tendance commence à s’inverser. Pour vous donner un ordre d’idées, à la Fibank, nous avons 33 % de femmes sur un total de 198 employés dont 3 Directrices et 3 responsables de département, sans compter l’Administrateur Délégué. Ceci devrait inspirer plus de femmes à oser franchir le pas et ouvrir les portes. Je souhaiterais que les femmes qui ont réussi professionnellement ou dans d’autres domaines, s’impliquent d’avantage dans des actions pour la promotion de la femme et que ces actions inspirent les plus jeunes. Propos recueillis par F.K. Enjeuxafricains N°11 février-mars 2014 55 Economie Matières premières Financement : AGF, mieux faire en 2014 Une enveloppe de 100 millions d’euros (65,5 milliards de F CFA) pour le coton burkinabè Jean-Mathis Foko 56 Félix Bikpo est fier de brandir le 2ème trophée reçu par AGF Initié en 1998, le partenariat entre la Société burkinabè des fibres textiles (Sofitex) et un Pool bancaire international ne cesse de renforcer au fil du temps. En témoigne la signature de la 23eme convention de financement intervenue à la mi-décembre 2013 Par cette convention, le Pool bancaire met à la disposition de la société burkinabè spécialisée dans la production et la commercialisation de l’or blanc, une enveloppe d’un montant de 100 millions d’euros (65 milliards de F CFA), contre 80 millions en 2012. Vingt-troisième du genre, cette convention de financement signée en décembre au lieu de janvier, permettra à la société burkinabè de payer rapidement les contonculteurs, d’assurer la collecte, l’égrenage et le transport du coton fibre jusqu’aux ports d’embarquement, et aussi et de préparer la prochaine saison par l’achat des semences et des intrants. Pour cette campagne, le kg de coton est payé 235 F, un prix plancher décidé après concertation avec les producteurs et en tenant compte du cours de l’or blanc sur le marché international. « C’est en avril que le prix a été fixé, mais il est prévu un réajustement à la hausse si entre-temps, le cour du coton évolue positivement », explique le directeur de la Sofitex, Jean-Paul Sawadogo. Une manière d’anticiper d’éventuelles revendications des producteurs, désormais bien accompagnés par des économistes et mieux informés que par le passé sur le marché de l’or blanc. Jean-François Lambert de la banque HSBC, Jean-Paul Sawadogo, DG Sofitex et Eric Tiaré ambassadeur du Burkina en France Cette année, la production a atteint 550 000 tonnes contre 500 000 en 2012, dont 68% de coton génétiquement modifié. « Ce qu’il faut savoir, c’est que 98% du coton mondial est génétiquement modifié », se défend le parton de la Sofitex, expliquant par ailleurs que « les OGM permettant de lutter contre les attaques, d’avoir un meilleur rendement tout en limitant les risques de toxicité » Depuis 1998, le concours financier du Pool bancaire international à la Sofitex s’élève au total à 1,76 milliards d’euros, selon JeanFrançois Lambert de la banque HSBC, le chef de file du pool bancaire international qui compte dans ses rangs la Société générale, BHF Bank, BMCE Bank International, DZ Bank, Fimbank et Atijariwafa. © JV Comme chaque année depuis 1998, la Société burkinabè des fibres textiles (Sofitex) et un Pool bancaire international, conduit par la banque HSBC, ont signé le 17 décembre dernier hier, dans les locaux de l’ambassade du Burkina à Paris, une convention de financement de la filière cotonnière pour la campagne 2013-2014. © JV © D.R. IFM a récompensé en décembre AGF pour son action en 2013 Les deux dirigeants signent l’accord de partenariat © D.R. La cérémonie a eu lieu le 19 novembre à Niamey © D.R. © D.R. L’AGF a signé en novembre un accord de partenariat avec le Fonds africain de solidarité © D.R. Après avoir signé en octobre 2013 un accord de partenariat avec le Gicam, le patronat camerounais, puis un autre en novembre avec le Fonds de solidarité africain, le Fonds de garantie africain (African Guarantee Fund, AGF) a terminé l’année 2013 en beauté. L’institution basée à Nairobi, qui garantit à hauteur de 50% les prêts bancaires accordés aux PME/PMI, s’est vu en effet décerner en décembre un prix par l’International Finance Magazine pour son action en faveur de la promotion de l’entreprise. Le directeur général d’AGF, Felix Bikpo, qui s’est réjoui de ce prix, a entrepris d’accroitre les ressources de son institution en lançant un appel à contribution. Le gouvernement danois est le premier partenaire à avoir répondu à cet appel, en mettant à la disposition de l’AGF une enveloppe de 16,5 millions de dollars. Ce soutien supplémentaire – après le 1er de 20 millions – fait ainsi passer le capital d’AGF de 50 millions à 66,5 millions de dollars. « Cette opération nous redonne davantage de surface et de marge de manœuvre », a déclaré Félix Bikpo. On s’attend maintenant à ce que la Banque africaine de développement (Bad), autre actionnaire, apporte, à son tour, 4 millions de dollars pour maintenir sa part de capital dans AGF à son niveau initial de 20%. La part détenue par le gouvernement danois atteint, elle, 40%. Plus le capital augmente, plus les garanties accordées par l’AGF progressent et plus importants sont les crédits alloués in fine aux PME/PMI. Un capital de 50 millions de dollars permet par exemple de porter le montant maximum des garanties à 150 millions, donc de rendre possible pour les PME des financements de l’ordre de 300 millions. L’objectif de l’AGF est d’approcher les 100 millions de dollars de capital lors des assemblées annuelles de la Bad qui auront lieu en mai prochain, un événement qui coïncidera avec son 2ème anniversaire. Dans cette optique, des négociations très avancées ont lieu en ce moment avec la Grande-Bretagne (DFID), le Japon (Jica) mais aussi avec l’Agence suédoise de coopération internationale au développement. © D.R. Economie Banque Quant au pool bancaire national, conduit par la banque panafricaine Ecobank, il comprend toutes les banques installées au Burkina, à l’exception de la Banque de l’Habitat, soit au total 11. La signature de la convention avec la Sofitex, d’un montant de 114 millions d’euros (75 milliards de F CFA) devait intervenir courant janvier. « Depuis trois ans, nous finançons la filière contonnière parce qu’elle est équilibrée et bien gérée », explique Cheikh Travaly, Administrateur directeur général d’Ecobank. Deuxième produit d’exportation derrière l’or, la culture du coton contribue pour environ 5% du PIB burkinabè, représente 35% des recettes d’exportation et fait vivre quatre millions de personnes. Reste que les pays africains producteurs de coton, notamment ceux du C4 (Mali, Tchad, Bénin, Burkina) demeurent d’éternels fournisseurs de matières premières brutes-98% du coton est exporté-, donc vulnérables à la fluctuation du cours de l’or blanc sur le marché mondial du cour du dollar par rapport à l’euro, la monnaie européenne à laquelle est arrimé le F CFA et des subventions occidentales qui faussent la concurrence. Joachim Vokouma Enjeuxafricains N°11 février-mars 2014 57 Economie Développement RDC/Banque mondiale loppement économique et sociale et des risques d’obstruction ou de détournement des réformes au profit de groupes d’intérêts influents. Renforcer la gouvernance et diversifier l’économie Malgré les belles performances enregistrées ces dernières années, l’économie congolaise a encore besoin d’être encore plus diversifiée pour se renforcer. Cela par une amélioration de la qualité de l’éducation et un renforcement de la gouvernance © D.R. C’est un nouvel exercice dans lequel la Banque mondiale s’est lancée depuis quelques années. Deux fois par an, elle entreprend de faire point sur la situation économique de certains pays africains dont la République démocratique du Congo (RDC), le Kenya, la Tanzanie ou l’Ouganda, en publiant et présentant ses rapports de suivi sur la « Situation économique et financière » des pays en question. L’objectif étant d’élargir le débat à un public plus large et ouvrir le dialogue avec les autorités, les universitaires, la société civile et le secteur privé. Pour la RDC, le diagnostic est encourageant : « Forte croissance économique, stabilité des prix et baisse du taux directeur, stabilité du taux de change et amélioration des réserves de change, mais aussi bonnes politiques macroéconomiques et financières. » La Banque mondiale identifie aussi trois défis à relever pour le pays : diversifier l’économie, augmenter le stock et la qualité du capital humain, mais aussi mieux utiliser le secteur minier pour financer la croissance et le développement à long terme. et les mines, qui ont contribué à eux seuls pour 48,8% de la croissance sur la même période. Et sans surprise, le secteur minier attire l’essentiel des Investissements directs étrangers (IDE) qui ont atteint 1,6 milliard de dollars en moyenne entre 2008 et 2012. Certes, l’économie congolaise a affiché un taux de croissance de 7 % en moyenne entre 2010 et 2012, mais elle reste cependant très concentrée sur deux secteurs, l’agriculture Si la croissance de la production agricole a permis de réduire les prix de l’alimentation pour les plus pauvres, le taux de pauvreté, qui est passé de 71% à 63% entre 2005 et 58 Le siège de la Banque mondiale à Washington 2012, reste élevé. La RDC n’atteindra aucun OMD (Objectifs du millénaire pour le développement) en 2015. déficits soutenables, un niveau de réserves en devises à atteindre et la réduction de la dollarisation de l’économie. Pour faire face aux risques externes, notamment la hausse des prix internationaux des produits alimentaires ou une chute des cours des produits miniers, la Banque mondiale préconise des réformes comme celles opérées par la Banque centrale du Congo, et met l’accent sur la définition d’objectifs de L’économie reste menacée par le risque sécuritaire, bien réel comme le montrent les derniers évènements fin décembre, avec l’attaque de l’aéroport international de Kinshasa et autres lieux stratégiques. La Banque mondiale craint un effet d’éviction des dépenses publiques destinées au déve- Parmi les principaux défis à relever, l’institution financière met en avant la faiblesse du capital humain, le manque de compétence étant un obstacle à la croissance économique. Le pays a fortement besoin de disposer d’une éducation plus performante qu’elle ne l’est aujourd’hui. Les ménages dépensent en moyenne un dixième de leurs revenus pour un enfant au primaire, et un tiers pour un enfant au secondaire mais, ils n’exercent aucun contrôle sur la qualité de l’éducation. Le gouvernement congolais a engagé une réforme dans ce secteur, faisant désormais de l’enseignement primaire gratuit, une obligation et un droit constitutionnel. La Banque mondiale préconise la mise en place d’un cadre légal pour les associations des parents d’élèves et une plus grande transparence dans la gouvernance des établissements d’enseignements et de formation (publication des budgets des établissements, identification des ressources et emplois, publication des indicateurs de performance). Compte tenu de son poids dans l’économie, le bon fonctionnement du secteur minier est capital. « Une mauvaise gestion des richesses minières pourrait alimenter tensions et conflits », prévient la BM, insistant là aussi sur la nécessité de renforcer la gouvernance et la transparence dans ce secteur caractérisé par la coexistence de grandes entreprises et de petits prospecteurs. Si les premières peuvent être des sources de revenus considérables pour le pays, la prospection artisanale procure une source d’emploi et de revenus pour nombre de ménages. Face à ce constat, la BM préconise « la mise en place d’un cadre règlementaire qui assure la complémentarité entre les deux sous-secteurs et maximise leur impact positif pour la RDC ». En matière de gouvernance et de transparence, beaucoup reste à faire. Il s’agit avant tout de surmonter l’opposition des groupes d’intérêts et de clarifier la réglementation des cessions d’actifs par les entreprises publiques Rajeunir l’administration La Banque mondiale a approuvé le 12 décembre un don de 77 millions de dollars pour soutenir les efforts de la République démocratique du Congo (RDC) dans sa politique de rajeunissement des effectifs de l’administration. Ce financement vient appuyer le « Projet de réforme et de rajeunissement de l’administration publique » qui ciblent les fonctionnaires éligibles pour la retraite et les jeunes diplômés aspirant à une carrière dans la fonction publique. Dans un premier volet, le projet vise à aider le gouvernement de la RDC à définir et mettre en œuvre une gestion efficace de la carrière des fonctionnaires et à moderniser l’organisation des ministères des Finances, du Budget, du Plan, de la Fonction publique, et du Portefeuille afin d’améliorer leur fonctionnement à travers le pays. Un appui sera aussi consacré à l’élaboration d’une solide stratégie de communication afin de créer un large consensus en faveur de la réforme de l’administration publique. Le deuxième volet vise à faciliter le processus de rajeunissement des effectifs de l’administration publique à travers des mesures destinées à améliorer la gestion du processus de retraite (y compris le paiement des allocations de retraite à environ 6 000 fonctionnaires) et à développer un cadre juridique et technique permettant la création d’un système de pension durable. Le projet appuiera le recrutement de 500 jeunes professionnels dans la fonction publique. « Ce projet bénéficiera aux employés actuels et futurs de la fonction publique et se traduira par une amélioration de la prestation des services sociaux pour les 71 millions de citoyens de la RDC, 71,3% d’entre eux vivant encore avec moins d’un dollar par jour », a déclaré Marco Larizza, co-responsable du projet. A.L. Anne Lauris Enjeuxafricains N°11 février-mars 2014 59 Société média « La voix de nos médias est respectée » A la tête de France Médias Monde qui chapeaute les chaînes France 24 et les radios RFI et Monte Carlo Doualiya (MCD), la patronne de ce groupe médiatique qui porte un regard français sur le monde à destination des cinq continents fait le point des réformes engagées et explique ses ambitions pour les prochaines années. 2013 a été l’année qui a permis de commencer la mise en œuvre du plan stratégique et de nos nouvelles grilles de programmes. Nous avons imaginé et lancé de nouvelles signatures pour nos trois chaînes. France 24 a gagné plus de 50 millions de foyers supplémentaires, dont plus de la moitié en Inde. Nous avons mené de grandes opérations de délocalisation (comme lors du Tour du Maghreb avec France 24 ou en Haïti avec RFI). Nous avons également lancé de nouveaux sites internet, pour MCD notamment, France 24 s’est dotée d’un nouvel habillage et nos radios seront prochainement dotées aussi de nouveaux habillages sonores sur lesquels nous travaillons actuellement. Nous avons relancé les langues étrangères de RFI qui sont en forte progression. Nous prévoyons de lancer une troisième langue africaine, je crois beaucoup au dialogue entre les langues africaines et le français. Marie-Christine Saragosse, Pdg de France Médias Monde Comment s’est passée l’année 2013 pour la maison France Médias Monde, anciennement l’Audiovisuel extérieur de la France (AEF) ? A mon arrivée en octobre 2012, nous avons rapidement organisé une vaste concertation interne impliquant tous les salariés du groupe sur la base du volontariat pour définir notre stratégie des années à venir. Je trouve que les plans prennent tout leur sens et leur puissance quand les équipes, qui sont au plus près de la réalité des médias, racontent leurs rêves, leurs ambitions ! Après bien sûr, il faut les confronter à la réalité des contraintes budgétaires et des effectifs. En mars 2013, ce plan stratégique a été remis à nos tutelles, et un contrat d’objectifs et de moyens sur trois ans que nous allons 60 © D.R. Quelles sont les objectifs phares du plan stratégique ? signer avec l’Etat, en a été tiré. A l’issue de ces ateliers, nous avions également décidé de changer de nom. L’appellation AEF était très administrative et pas facile à traduire à l’international. Il nous fallait un nom qui soit proche de notre réalité. Parallèlement, nous avons repensé nos organigrammes pour les adapter au nouveau mode de fonctionnement basé sur une entreprise unique, avec des directions transverses, mais qui préserve des chaînes avec une identité affirmée et singulière, et dont les rédactions ne sont pas fusionnées. RFI est une radio d’actualité et d’expertise avec une grande place faite aux magazines, France 24, une chaîne d’info très continue, en trois langues. Monte Carlo Doualiya, quant à elle, est une radio généraliste, avec une info très référente, en langue arabe. Nous avons défini plusieurs grands axes. D’abord, nous mettons l’accent sur les contenus. A quoi bon avoir des réseaux mondiaux de diffusion si on n’a rien à dire ? Nous nous sommes mis d’accord sur un socle commun de valeurs. Nous défendons la liberté et le pluralisme de l’information, les valeurs démocratiques, les droits humains, le statut des femmes dans le monde, la tolérance, la laïcité et respectons les courants de pensées, y compris les libres penseurs. Nous avons ensuite positionné chaque antenne. Pour RFI, son expertise en termes d’information avec des magazines qui complètent l’information, sur tous les thèmes. Pour France 24, nous réaffirmons la règle des 3 R : réactivité, rigueur et recul. Nous avons réaffirmé que Monte Carlo Doualiya est la radio de la modernité, de l’universalité en arabe, voire de l’impertinence. Nous avons ensuite travaillé sur la distribution en définissant trois types de zones pour mieux porter les contenus vers les auditeurs : les zones de consolidation, les zones de développement et les zones de conquête, définies selon l’accessibilité de nos médias, leur notoriété actuelle, leur potentiel d’audience… Concernant les zones de développement par exemple, nous devons y être Envisagez-vous de nouvelles embauches ? Compte tenu de notre contrainte budgétaire, on ne pourra guère procéder à de nouvelles embauches. Cependant, nous avons une politique de réduction par intégration de la proportion de pigistes. Ce sont des intégrations et non des créations de postes. Peut-on dire aujourd’hui que vous dirigez une entreprise au climat social apaisé ? © D.R. Interview Marie-Christine Saragosse, Pdg de France Médias Monde La salle de rédaction de France 24 encore plus présents et y cultiver notre notoriété. En Europe, France 24 est bien distribuée, mais sa notoriété dans un paysage très éclaté doit être renforcée par des actions de marketing et de communication. RFI doit se développer en Afrique anglophone pour avoir une stratégie totalement panafricaine. Et pour MCD, nous envisageons un développement dans les pays du Golfe et au Maghreb. S’agissant de l’Afrique francophone, France 24 et RFI y sont déjà très présentes et très largement suivies, nous devons donc consolider notre présence, en fidélisant nos nombreux auditeurs et nos téléspectateurs. A cela s’ajoutent les nouveaux médias, qui ne sont pas analysés comme des médias substitutifs mais complémentaires. Aujourd’hui, plus personne ne peut faire de télévision ni de radio sans Internet. Leur portée n’est toutefois pas la même selon les zones, mais nos sites doivent être à la pointe de l’ergonomie et des nouvelles technologies. Les réseaux sociaux sont désormais essentiels, et la mobilité, notamment pour les amoureux de l’Afrique que nous sommes, est une grande évolution dans laquelle nous sommes très présents et très suivis également. Autre point important : la cohérence entre nos valeurs et notre organisation interne. Pour cela, nous nous engageons en termes de parité homme-femme, de diversité dans toutes ses composantes, origines, âge, orientation sexuelle, sans oublier le handicap. Nous avons la chance d’avoir 66 nationalités représentées parmi nos équipes. Nos médias s’intéressent à l’ensemble de l’humanité, nous devons être un échantillon représentatif de cette humanité. Notre contrat d’objectifs et de moyens signé pour la période 2013/2015 nous alloue des moyens en hausse pendant deux ans, soit 4,4 millions de plus. Notre budget est de 250 millions d’euros, y compris nos recettes propres pour l’ensemble des médias et des effectifs de 1700 personnes, équivalents temps plein. Et quelle est la proportion homme-femme ? Pas très loin des 50-50 dans les effectifs et plus de femmes que d’hommes au comité exécutif. Combien ont coûté les plans sociaux ? Je suis arrivée après les plans de départs. De mémoire, il s’agit d’une enveloppe de l’ordre de 60 millions d’euros. Par ailleurs, les dotations publiques étaient en baisse de plus de 5% par rapport à l’année précédente quand je suis arrivée. Vous savez, quand vous comptez 1000 journalistes et 400 correspondants journalistes dans le monde, il y aurait un peu d’arrogance à parler d’un climat social « totalement apaisé ». Dans l’ensemble, il y a un climat constructif. On sait que l’année qui arrive ne va pas être facile, car il faut inventer un modèle social associant radio et télévision qui n’existe pas en France et dans un contexte de contrainte budgétaire, avec des disparités d’habitudes, de cultures et des accords d’entreprises différents à harmoniser. Il a également fallu constituer des instances sociales conformes à la structure fusionnée de la société. Nous avons une importante mission. La voix de nos médias est respectée. Nous devons réussir. Qu’est ce qui vous différencie, dans le management, de l’ancien exécutif ? Quelle est la touche « Saragosse » ? Je n’agis pas par comparaison, par rapport au passé. Les séminaires participatifs de novembre, la restitution aux équipes du plan stratégique, le fonctionnement pendant toute l’année 2013 des instances sociales, alors qu’il y avait trois comités d’entreprises, trois CHST et trois organisations de délégués du personnel, sont autant d’éléments qui ont marqué 2012-2013. On a essayé de mettre en place un dialogue au sein de l’entreprise et de créer un esprit d’équipe au sein du comité exécutif. La fusion des deux rédactions RFI et France 24 est-elle envisageable ? La stratégie de fusion des rédactions a été rejetée par les pouvoirs publics, c’est dans ce cadre que j’ai proposé ma candidature à la Présidence du groupe en 2012. A mon arrivée, une phrase a émergé dans le groupe : Enjeuxafricains N°11 février-mars 2014 61 Société média Un des studios d’enregistrement de RFI « Puisqu’on ne fusionne plus, et si on travaillait ensemble ? » Chacun de nos médias a des positionnements forts et une identité propre. Je n’ai pas non plus fusionné les sites Internet car les internautes attendent des signatures différentes. Mais des passerelles naturelles existent entre les médias. Nous allons développer la promotion croisée, les échanges d’informations, la mutualisation d’invités et de moyens… Nous avons des directions transverses (pôle ressources, nouveaux médias, stratégie, communication...). Mais La radio et la télévision sont deux médias différents et complémentaires. En tant que femme, comment concevez-vous la gestion des hommes et des femmes au quotidien? Est-ce que si vous aviez un homme en face de vous, vous lui poseriez la même question ? Je ne fais pas la différence entre l’individu que je suis et la femme, et je ne sais pas, par exemple, si l’acceptation d’une part d’émotion et d’intuition dans le travail est dû au fait que je suis moi ou que je suis une femme. Ce que je trouve intéressant, c’est la mixité : 50% d’hommes et 50% de femmes, une idée constitutive de l’humanité même, qui garde toute sa pertinence dans la plupart des circonstances. Quand vous allez dans les pays africains et arabophones, vos interlocuteurs sont très souvent des hommes ; comment ça se passe ? 62 Je n’ai jamais eu le sentiment qu’on me prendrait moins au sérieux parce que je suis une femme. Il y a aussi des femmes à des postes à responsabilités dans les pays arabophones et africains. Et inversement en France, on ne voit pas encore assez de femmes à des postes à responsabilités. A certains égards, être une femme est même un atout car je n’établis pas de rapports de force et le dialogue est facile. Etre femme me permet aussi d’inciter à la prise de conscience pour lutter contre toutes les formes de violences faites aux femmes. Serez-vous présente à la 2ème édition du Forum mondial des femmes francophones qui aura lieu début mars à Kinshasa ? Oui, avec grand plaisir si mon agenda le permet, et les trois chaînes de France Médias Monde y seront. J’avais été très impressionnée par sa précédente édition à Paris à l’initiative de Yamina Benguigui. Parlons de l’assassinat de Ghislaine Dupont et Claude Verlon. Quelle a été votre première réaction ? L’incrédulité, la colère, la rage et l’indignation. Je crois que j’ai dit à chaud : « on ne se laissera pas intimider par les barbares. » C’est insupportable que les journalistes soient des cibles et des victimes. J’ai été très malheureuse quand j’ai vu les deux familles, leur immense douleur. C’est une tragédie. Pour les collègues, c’est une blessure à vif. La gestion du risque est un souci général qui concerne tous les médias internationaux. Les risques se diversifient, même les réseaux sociaux sont sources de risques. Il faut s’aguerrir, se former et avoir des techniques de prévention diversifiées. C’est une grave menace qui plane sur la liberté d’informer. Aucun reportage ne vaut une vie, mais on sait aussi que le risque zéro est l’antithèse du journalisme de terrain en particulier. Il faut donc construire notre chemin entre ces deux frontières. Etes-vous de ceux qui soutiennent que l’Afrique est le continent de l’avenir ? Les taux de croissance à deux chiffres sont certes encourageants, mais les crises au Mali, en Centrafrique et au Sud-Soudan évidemment inquiètent. L’Afrique est un continent qui m’est cher. Nos médias ont une relation passionnée à l’Afrique. Tout en respectant les faits et la déontologie du journalisme, nous essayons en donnant la parole à tous de contribuer à l’apaisement plutôt qu’aux tensions comme actuellement en RCA. Économiquement et culturellement, l’Afrique bouge en tout cas. Chaque jour à l’antenne, j’entends des auditeurs africains de RFI qui sont très réactifs et maîtrisent l’actualité internationale de façon impressionnante. En les écoutant, je me dis qu’il y a un énorme potentiel humain en Afrique. Propos recueillis par FK Enjeuxafricains N°11 février-mars 2014 63 Culture Peinture Moké Fils «Je suis un peintre reporter de l’urbanité» Moké Fils, de son vrai nom JeanMarie Monsengwo Odia, est une signature qui n’est pas inconnue des amateurs et collectionneurs de la peinture populaire congolaise. A force de travail, l’artiste-peintre a fini par imposer son style inspiré par la peinture de rue congolaise. Influencé par le travail de son père Moké auprès de qui il a appris, il utilise de nouveaux supports pour donner plus de volume et de relief à ses œuvres, exposées aussi bien à Kinshasa, qu’en France et en Belgique. Rencontre. Vos toiles ont été vendues aux enchères à Paris et la ville de Dijon vous a mis à l’honneur lors de la Rencontre-Exposition Ville africaine qui s’est tenue en décembre dernier. Qu’avezvous ressenti ? Évidemment, en tant qu’artiste, ça me réjouis car cela prouve que mon travail a de la valeur et qu’il est apprécié. Pour l’exposition à Dijon, j’ai été très honoré de représenter la peinture populaire congolaise. J’ai également réalisé une prestation sur place qui a plu au public. Cette reconnaissance me touche ainsi que la profession que je représente. Dans quel courant artistique peut-on vous classer ? Je suis un artiste peintre reporter de l’urbanité. Mon travail est surtout de reproduire la réalité de la société, ses évolutions en bien ou en mal. Dans mes toiles, je fais 64 apparaître les émotions de chacun. La caricature est une forme d’expression qui permet d’aborder les choses par l’humour, mais des messages sont véhiculés dans mes toiles. En France, Bernard Sexe, qui est un collectionneur, est celui qui détient une des meilleures collections de mon travail, mais je figure parmi d’autres collections. En Belgique, je suis exposé dans une Galerie à Geinst. Comment s’est faite votre rencontre avec la peinture ? Comment vous organisez-vous pour exposer à Kinsasha? Au début, contrairement à ce qu’on pourrait croire, rien ne me prédestinait à la peinture, même si j’en ai été très vite passionné. J’ai été inondé par les toiles de mon père, mais en faire ma passion et mon gagne-pain n’a pas été chose facile. J’ai longtemps été chauffeur de taxi à Kinshasa. En discutant, en échangeant avec les gens, j’ai pu observer la société kinoise en particulier son évolution sociologique. Nous sommes organisés en association et notre but est de promouvoir notre art par des expositions de nos jeunes talents, très rigoureusement sélectionnés. D’ailleurs, nous avons un très bon vivier qui va pouvoir exposer dans des galeries internationales dans moins de dix ans. Quand avez-vous réalisé votre première toile ? C’était en 1994 et elle a été offerte par mon père en cadeau à André Magnin. Peut-on dire que vos peintures sont la continuité du travail de votre père Moké ? Oui, on peut le dire et j’en suis fier. Les débuts ont été difficiles mais je pense à juste titre avoir bien perpétué cet art peu connu du grand public. Je suis le digne héritier de mon père. Depuis combien de temps vivez-vous de vos toiles ? Oh, ça fait exactement huit ans que je vis pleinement de ma peinture et j’en suis heureux. Je vis entre Paris et Kinshasa où j’ai un atelier et où j’initie et encadre les enfants à la peinture. Quelle est votre technique picturale et quelle formation avez-vous suivie ? La peinture populaire ne s’apprend pas à l’école, elle est innée! Je rejoins ce que André Magnin à dit “Je ne crois pas à l’enseignement de l’art, mais à l’art comme enseignement.” Sauf que je nuance ses propos car pour moi, seule la peinture académique peut s’apprendre par méthodologie à l’école. Où peut-on admirer vos toiles en France et en Belgique? Quels sont vos thèmes de prédilection ? J’aime beaucoup l’art contemporain en particulier. Les peintres de la Renaissance m’inspirent aussi par la mise en perspective et je suis intéressé par la notion de paysage. Votre musée préféré et le tableau qui vous a le plus marqué ? Le musée du Louvre est sans conteste celui qui m’a le plus marqué jusqu’à présent. J’ai apprécié les toiles sans fin et le tableau que je préfère est celui de Véronèse Les Noces de Cana. Sa technique de l’huile sur toile démontre qu’il était un visionnaire, et surtout les dimensions de ce tableau qui sont comme je les aime! 666x990 (HxL) D’où tirez-vous votre inspiration ? Je m’inspire beaucoup de l’actualité, de l’environnement. Je travaille comme un journaliste. Je décris ma ville comme je l’observe et reproduis surtout des scènes de Kinshasa car, comme je l’ai indiqué plus haut, mon premier métier de chauffeur de taxi m’a permis de très bien connaître la ville. Mes toiles reflètent la ville kinoise et donnent envie aux touristes de la découvrir. Quand je réside en France, en général, je m’inspire de l’actualité sociale française. Quels sont les artistes peintres africains dont vous appréciez le travail? Moké (mon père) bien évidemment, Chéri Samba, Pierre Bodo et bien d’autres encore. Selon vous, l’art a-t-il de meilleurs horizons en Afrique ? Nous souffrons terriblement, nous les artistes peintres africains car nous ne disposons pas de boutiques pour acheter le simple matériel par exemple. Ce qui est un véritable obstacle pour la production de nos œuvres. De plus, nous manquons cruellement de visibilité locale, à notre grand regret. Nous ne sommes pas sollicités pour exposer dans des galeries, établissements ou restaurants. Ce que nous souhaitons, c’est que les pouvoirs nous accordent la même importance comme pour la musique. Propos recueillis par Karine Oriot Enjeuxafricains N°11 février-mars 2014 65 Culture Livre Preneur d’otages, une affaire très juteuse ! De la Colombie au Sahel en passant par les côtes somaliennes, les prises d’otages de plus en plus fréquentes, sont l’œuvre de groupes criminels plus motivés par l’argent que par les revendications politiques et idéologiques Sur le plateau du JT de 20h de France 2 du 30 octobre dernier, le ministre français de la Défense, Jean-Yves Le Drian a été catégorique : « La France ne paie pas de rançon », une mise au point destinée à contrer les affirmations du journal Le Monde. La veille, le quotidien du soir avait affirmé qu’une contrepartie financière d’une vingtaine de millions d’euros avait bien été versée pour obtenir la libération, le 29 octobre des quatre otages d’Arlit, Thierry Dol, Daniel Larribe, Pierre Legrand et Marc Féret, kidnappés depuis 2010 au Niger alors qu’ils travaillent pour les groupes Areva et Vinci. Dès son arrivée au pouvoir en 2012, le président François Hollande a déclaré que la France ne paiera plus de rançon. Une nouvelle doctrine qui tranche avec celle de ses prédécesseurs, mais de toute évidence, on n’est loin des libérations à « titre humanitaire ». Depuis quelques années, la prise d’otage par les groupes terroristes ou des pirates sont devenus une activité très lucrative, Al Qaida au Maghreb islamique (Aqmi) ayant à lui seul, extorqué plus de 100 millions de dollars depuis 2007 ! Journaliste de l’Agence France presse (AFP) à Bruxelles, puis au Palais de justice de Paris, Dorothée Moisan vient de publier « Rançons ; Enquête sur le business des otages » un livre d’enquête qui décrit les méthodes mises au point par des rapaces d’un genre particulier, adeptes du cynisme et de l’ignominie : gagner de l’argent ou exprimer des revendications politiques en s’en prenant à la vie d’innocentes personnes. Certes, les enlèvements de personnes suivis de demande de rançon ne datent pas de maintenant, et le livre de Moisan en fournit mille exemples de personnalités ou leurs enfants, kidnappés par des groupes criminels, puis libérés après que de fortes sommes d’argent aient été versées. Mais, ce qui est nouveau, c’est la médiatisation à outrance et la mise en scène par les preneurs d’otages de leurs actions et qui leur confèrent un énorme retentissement. En janvier 1975, en plein Paris, Maxime 66 Cathalan, fille du PDG des laboratoires Roussel et âgée de 23 mois, est enlevée. Prix pour retrouver la liberté, un million et demie de francs. Le 13 avril 1977, le PDG de Fiat France, Luchino Revelli-Beaumont est kidnappé et libéré trois mois plus tard contre deux millions de dollars. Le 28 février 1986, François Lorber, patron d’une entreprise de peinture en bâtiment est enlevé par des individus casqués et armés. Ils exigent le versement d’une rançon de 300 millions de francs et menacent de l’exécuter si la somme n’est pas versée en coupures non usagée. A chaque fois, les voyous parviennent à leurs fins, les familles ne résistant pas à céder à leurs revendications en dépit parfois de l’opposition de la police et des services de renseignements. Mais les pouvoirs publics ne semblent pas encore avoir trouvé le moyen efficace de faire face à cette criminalité. Accepter sans rechigner le versement des rançons, c’est encourager involontairement le développement du kidnapping, en plus de donner aux voyous les moyens de continuer leur entreprises criminelles. Refuser de payer, comme le fait l’Angleterre, c’est prendre le risque de précipiter ses concitoyens à la mort. Dans le cas des otages d’Arlit, tout laisse à penser que ce sont Areva et Vinci qui ont payé la rançon, signe que l’on va vers désormais une gestion « privée des rançons ». Face au refus de l’Etat de payer, les entreprises satisfont aux revendications des preneurs d’otages, quitte à se faire rembourser par leurs assurances, du moins, quant il ne s’agit pas d’otages politiques. « Payer n’est en soi ni bien ni mal. Mais il faut être conscient que cela ne fera qu’alimenter le problème », explique Dorothée Moisan, qui précise que selon la nature de la prise d’otage, les compensations vont du versement de numéraires en passant par les fournitures d’armes, la prise en charge des frais de santé d’un terroriste, l’asile accordée à sa famille dans un pays, voire contre un moteur de bateau, des sacs de riz, des maillots de football ! Au fil des pages du livre de Dorothée Moisan, on apprend, stupéfait que les actes de pirateries qui se sont développés depuis le début des années 2000 aux larges des côtes somaliennes ne sont pas l’œuvre de quelques désœuvrés ou de délinquants soucieux d’assurer seulement leur quotidien, mais le résultat d’une entreprise aux acteurs multiples : assureurs, banquiers, avocats d’affaires, pilotes d’avion, vendeurs d’armes. « Flairant la bonne affaire, des pilotes se sont spécialisés dans une nouvelle activité : le pack largage de rançon, facturé 150 000 dollars TTC. L’avion survole d’abord le navire pour se faire reconnaître, repasse pour contrôler que l’équipage est au complet sur le pont et effectue un troisième passage pour effectuer le drop », c’est-à-dire le largage de billets de banque destinés à payer les pirates. Bien que périlleuse, la piraterie s’avère à l’expérience, une bonne affaire qui prospère depuis 2005. (Voir article sur la piraterie). « En 2011, la petite PME du crime est devenue une pompe à dollars », écrit Moisan. On apprend ainsi que les boucaniers du Puntland ont engrangé quelque 160 millions de dollars en 2012, la plus forte rançon, 13,5 millions de dollars ayant été versée en avril 2011 pour récupérer le supertanker grec Irene et sa cargaison de 2 millions de barils brut. De fortes sommes réparties ensuite entre assureurs, banquiers prêteurs, avocats, vérificateurs de billets, pilotes, villageois et qui sont ensuite « blanchies » dans des investissements immobiliers et l’achat d’équipements plus performants. Joachim Vokouma Dorothée Moisan ; Rançons, enquêtes sur le business des otages ; édition Fayard ; Paris, 293 pages ; 18 euros Enjeuxafricains N°11 février-mars 2014 67