Le Web 2.0 et l`école
Transcription
Le Web 2.0 et l`école
Le Web 2.0 et l’école Sommaire, n° 482, juin 2010 Bloc-notes, Philippe Watrelot Actualités éducatives .......................................................................... 1 ............................................................................................. 2 Patrice Bride : Gribouille à la Sorbonne Françoise Lorcerie : Des annonces qui méritent d’être mises en œuvre Dominique Gelin : Pratiques de classe et autorité Xavier Dejemeppe : La constante toujours macabre DOSSIER : Le Web 2.0 et l’école ............................................................. 9 Caroline d’Atabekian et Caroline Jouneau-Sion Éditorial ....................................................................................................................... 10 1- Apprendre, enseigner : de nouvelles postures ? Caroline d’Atabekian : Au travail, Narcisse ! ..................................... 11 Hubert Guillaud : Enseigner à l’heure du 2.0, c’est d’abord enseigner ................................................................................... 14 Jacques Crinon : Communication numérique et pédagogie . . 16 2- Écrire en mode collaboratif Christelle Guillot : Blog, radio, vidéo : tout est bon pour faire écrire ...................................................................... 19 Yaël Boublil, Loig Le Brouder, Annie Weinachter : Trois blogs de classe, trois expériences singulières .................... 21 Stéphanie de Vanssay : Le blog pour réconcilier avec l’école ..................................................... 23 Hervé Muller : Un wiki pour mutualiser les écrits ........................ 25 Mario Asselin : Internet forme, l’éducation se transforme ..... 26 3- Des outils divers : microblogging, podcast, réseau social Laurence Juin : « Tweeter » en classe, au CDI, en conseil de classe, en stage… ............................................................... 29 Marie-Lyne Soulié : Un podcast pour préparer son bac . .......... 31 Olivier Leguay : Netvibes : un univers à portée de main .......... 33 Jean-Michel Le Baut : Facebook, des liens entre générations d’élèves ............................ 34 David Cordina : Des liens pour mieux apprendre, mieux s’intégrer ...................... 36 4- Identité numérique et « amis » sur la Toile Sylvie Grau : Peut-on être « ami » avec ses élèves ? ................... 38 Christine Bolou-Chiaravalli : Une carte de visite sur Internet ................................................................ 40 Benoit Drunat : Deux jeux de vie .............................................................. 42 pédagogiques 5- Ce que ça change pour les usagers de l’école Françoise Cahen : Blogs pédagogiques et conditions de travail . .................................. 44 Collectif : Le Web 2.0 et les profs ........................................................... 46 Jacob et Mathieu : Le blog des délégués de 6e D ......................... 49 Gilles Teyssèdre : Un blog au service de la liaison classe-familles ........................... 50 Serge Pouts-Lajus : Déléguer la direction de publication ....... 51 changer la société pour changer l’école, changer l’école pour changer la société Michel Bézard : Les Tice 2.0 dépassent les bornes .................... 53 Lexique ....................................................................................................................... 55 Articles à consulter sur notre site : Lyonel Kaufmann : Blogs pédagogiques : du discours sur leurs usages à la réalité dans leurs pratiques • Audrey GuilbaudVarachaud : Facebook, quelle aventure… Carnet de bord d’une enseignante-documentaliste stagiaire • Jean-Michel Le Baut : La littérature dans les bourrasques des pratiques numériques • François Jourde : Twitter en philo : des gazouillis dans le vent ? • Hee-Kyung Kim, François Mangenot : Apprentissage nomade : des Coréens apprennent le français avec leur téléphone portable Et chez toi, ça va ? 57 Agnès Berthe : C’est à nous de vivre maintenant ......................... 57 Florence Castincaud : Dix principes, quatre axes, deux tensions dialectiques… ...................................................................... 58 Monique Ferrerons : La date de naissance de Mouloud ........... 58 Hélène Eveleigh : Les instants précieux .............................................. 59 Michèle Amiel : Carte postale de vacances d’une proviseure .................................... 59 Faits et idées ............................................................................................................... 60 Éric de Saint-Denis : Parole d’une d’élève sur le microlycée (chronique) .................... 60 Prisque Barbier : La compétence de communication en didactique des langues ............................................................................ 62 Sylvie Menet : Mettre en commun ses cours, jusqu’à en faire un manuel .......................................................................... 64 Le Web 2.0 et l’école CAHIERS PÉDAGOGIQUES – n° 482 – juin 2010 : Le Web 2.0 et l’école Billet du mois : Hervé Hamon : Un réac peut en cacher un autre Il y a 30 ans dans les Cahiers ......................................................................... 65 Louis Porcher, Sylvain Roumette : La télévision et le monde scolaire Regards de pédagogues ....................................................................................... 67 Maëliss Rousseau : Ivan Illich (1929-2002). Peut-on faire confiance à l’école pour favoriser la promotion sociale ? Le Livre du mois . ...................................................................................................... 69 Bénédicte Duvin-Parmentier : Pour enseigner l’histoire des arts, regards interdisciplinaires Couverture et illustrations : Borris <hippoetje.canalblog.com> N° 482 - juin 2010 CRAP-Cahiers pédagogiques, 10, rue Chevreul, 75011 Paris. Tél. : 01‑43‑48‑22‑30 - Fax : 01‑43‑48‑53‑21 http://www.cahiers-pedagogiques.com - [email protected] Cercle de Recherche et d’Action Pédagogiques 3 782829 107708 04820 64e année- 7,70 Actualités éducatives Après les états généraux de la sécurité à l’école Il y a 30 ans dans les Cahiers La télévision et le monde scolaire Regards de pédagogues Ivan Illich : l’école peut-elle favoriser la promotion sociale ? Le livre du mois Pour enseigner l’histoire des arts Le Web 2.0 et l’école Sommaire, n° 482, juin 2010 Bloc-notes, Philippe Watrelot Actualités éducatives .......................................................................... 1 ............................................................................................. 2 Patrice Bride : Gribouille à la Sorbonne Françoise Lorcerie : Des annonces qui méritent d’être mises en œuvre Dominique Gelin : Pratiques de classe et autorité Xavier Dejemeppe : La constante toujours macabre DOSSIER : Le Web 2.0 et l’école ............................................................. 9 Caroline d’Atabekian et Caroline Jouneau-Sion Éditorial ....................................................................................................................... 10 1- Apprendre, enseigner : de nouvelles postures ? Caroline d’Atabekian : Au travail, Narcisse ! ..................................... 11 Hubert Guillaud : Enseigner à l’heure du 2.0, c’est d’abord enseigner ................................................................................... 14 Jacques Crinon : Communication numérique et pédagogie . . 16 2- Écrire en mode collaboratif Christelle Guillot : Blog, radio, vidéo : tout est bon pour faire écrire ...................................................................... 19 Yaël Boublil, Loig Le Brouder, Annie Weinachter : Trois blogs de classe, trois expériences singulières .................... 21 Stéphanie de Vanssay : Le blog pour réconcilier avec l’école ..................................................... 23 Hervé Muller : Un wiki pour mutualiser les écrits ........................ 25 Mario Asselin : Internet forme, l’éducation se transforme ..... 26 3- Des outils divers : microblogging, podcast, réseau social Laurence Juin : « Tweeter » en classe, au CDI, en conseil de classe, en stage… ............................................................... 29 Marie-Lyne Soulié : Un podcast pour préparer son bac . .......... 31 Olivier Leguay : Netvibes : un univers à portée de main .......... 33 Jean-Michel Le Baut : Facebook, des liens entre générations d’élèves ............................ 34 David Cordina : Des liens pour mieux apprendre, mieux s’intégrer ...................... 36 4- Identité numérique et « amis » sur la Toile Sylvie Grau : Peut-on être « ami » avec ses élèves ? ................... 38 Christine Bolou-Chiaravalli : Une carte de visite sur Internet ................................................................ 40 Benoit Drunat : Deux jeux de vie .............................................................. 42 pédagogiques 5- Ce que ça change pour les usagers de l’école Françoise Cahen : Blogs pédagogiques et conditions de travail . .................................. 44 Collectif : Le Web 2.0 et les profs ........................................................... 46 Jacob et Mathieu : Le blog des délégués de 6e D ......................... 49 Gilles Teyssèdre : Un blog au service de la liaison classe-familles ........................... 50 Serge Pouts-Lajus : Déléguer la direction de publication ....... 51 changer la société pour changer l’école, changer l’école pour changer la société Michel Bézard : Les Tice 2.0 dépassent les bornes .................... 53 Lexique ....................................................................................................................... 55 Articles à consulter sur notre site : Lyonel Kaufmann : Blogs pédagogiques : du discours sur leurs usages à la réalité dans leurs pratiques • Audrey GuilbaudVarachaud : Facebook, quelle aventure… Carnet de bord d’une enseignante-documentaliste stagiaire • Jean-Michel Le Baut : La littérature dans les bourrasques des pratiques numériques • François Jourde : Twitter en philo : des gazouillis dans le vent ? • Hee-Kyung Kim, François Mangenot : Apprentissage nomade : des Coréens apprennent le français avec leur téléphone portable Et chez toi, ça va ? 57 Agnès Berthe : C’est à nous de vivre maintenant ......................... 57 Florence Castincaud : Dix principes, quatre axes, deux tensions dialectiques… ...................................................................... 58 Monique Ferrerons : La date de naissance de Mouloud ........... 58 Hélène Eveleigh : Les instants précieux .............................................. 59 Michèle Amiel : Carte postale de vacances d’une proviseure .................................... 59 Faits et idées ............................................................................................................... 60 Éric de Saint-Denis : Parole d’une d’élève sur le microlycée (chronique) .................... 60 Prisque Barbier : La compétence de communication en didactique des langues ............................................................................ 62 Sylvie Menet : Mettre en commun ses cours, jusqu’à en faire un manuel .......................................................................... 64 Le Web 2.0 et l’école CAHIERS PÉDAGOGIQUES – n° 482 – juin 2010 : Le Web 2.0 et l’école Billet du mois : Hervé Hamon : Un réac peut en cacher un autre édition numérique au format PDF Il y a 30 ans dans les Cahiers ......................................................................... 65 Louis Porcher, Sylvain Roumette : La télévision et le monde scolaire Regards de pédagogues ....................................................................................... 67 Maëliss Rousseau : Ivan Illich (1929-2002). Peut-on faire confiance à l’école pour favoriser la promotion sociale ? Le Livre du mois . ...................................................................................................... 69 Bénédicte Duvin-Parmentier : Pour enseigner l’histoire des arts, regards interdisciplinaires Couverture et illustrations : Borris <hippoetje.canalblog.com> N° 482 - juin 2010 CRAP-Cahiers pédagogiques, 10, rue Chevreul, 75011 Paris. Tél. : 01‑43‑48‑22‑30 - Fax : 01‑43‑48‑53‑21 http://www.cahiers-pedagogiques.com - [email protected] Cercle de Recherche et d’Action Pédagogiques 3 782829 107708 04820 64e année- 7,70 Actualités éducatives Après les états généraux de la sécurité à l’école Il y a 30 ans dans les Cahiers La télévision et le monde scolaire Regards de pédagogues Ivan Illich : l’école peut-elle favoriser la promotion sociale ? Le livre du mois Pour enseigner l’histoire des arts Les hors-série numériques des Cahiers pédagogiques Billet du mois Billet du mois, billet d’humeur… Pour ouvrir chaque numéro, un texte qui réagit, qui peut faire réagir, par un auteur qui s’engage, qui engage la discussion. Un réac peut en cacher un autre Quand je naviguais à bord de l’Abeille Flandre, autour d’Ouessant, et que nous prêtions assistance aux bateaux qui abordaient ce qu’on nomme « le Rail », j’ai pu observer à quel point chaque situation réclamait de l’équipage un sens aigu de l’improvisation. Dans les cas les plus complexes, Carlos, le capitaine, faisait monter tous les hommes à la passerelle et chacun pouvait – et même devait – dire ce qu’il pensait de la situation, suggérer telle ou telle tactique. Sans considération de hiérarchie pyramidale. En mer, m’expliquait Carlos, la bonne manœuvre, finalement, c’est la manœuvre qui réussit. Cette culture-là, cette culture qui réussit, est malheureusement décriée par une bonne partie de nos élites. Notamment lorsqu’il s’agit de l’école. Au lieu de s’appuyer sur le savoir-faire des maitres qui ont patiemment appris à enseigner, et de valoriser cette maitrise, l’idéologie actuellement au pouvoir ne cesse de décrier l’expérience et considère que la formation se résume en la possession de savoirs académiques – que l’on transmettra ensuite. L’élève est un contenant vide que le professeur doit emplir de sa science. Et, bien sûr, les jeunes enseignants n’ont nul besoin d’initiation pédagogique puisqu’ils ont atteint, en réussissant les concours, un état de transcendance ontologique qui leur suffit amplement. Hervé Hamon Passons sur l’étroitesse culturelle, sur le manque d’ampleur d’une telle vision. L’agressivité contre la pédagogie est une spécialité – faut-il dire une anomalie ? – bien française. La valorisation des acquis de l’expérience, chez nous, c’est tout juste bon pour l’enseignement professionnel, pour les maçons qui sont rétifs aux mathématiques. Ainsi se ferme-t-on à mille sources de connaissance, à mille talents divers. Ainsi envoie-t-on au casse-pipe maints brillants esprits issus des classes prépas qui, sur un terrain nouveau et mouvant, se retrouvent, soudain, fort désemparés. Il y a plus. Au discours réactionnaire habituel viennent se mêler d’étranges voix qu’on aurait cru d’une tout autre inspiration. Le style « gaucho réac ». On était habitué au langage du Snalc. On l’était moins à ce que d’ardents disciples de la vulgate révolutionnaire s’en viennent clamer urbi et orbi que la défense de l’agrégation et des classes préparatoires est l’alpha et l’oméga de la résistance au « libéralisme ». Selon cette vulgate intransigeante, se réclamer de l’expérience, du savoir-faire, c’est se réclamer – plus ou moins explicitement – de l’esprit d’entreprise et de ses effroyables bidouillages. C’est se réclamer d’une culture du résultat intolérable et forcément funeste. L’ascenseur social consiste à propulser quelques élus aux portes de Normale supérieure, pas à chercher des passerelles entre le bac pro et le BTS. Décidément, ces temps-ci, il faut se battre sur tous les fronts. Des heures de vie de classe, pour quoi faire ? • Le socle commun… Mais comment faire ? • Les rythmes scolaires • Travailler sur la presse écrite à l’école • Les PPRE, nouveau visage de l’aide individualisée • L’école ailleurs… (Belgique, Italie, Finlande, Angleterre, Québec, Suisse et Maghreb) • Mai 68 et l’école, vus par les Cahiers pédagogiques • Face aux classes difficiles • Quelques outils et réflexions pour (bien) débuter • La formation des enseignants • Le nouveau cadre européen de référence pour les langues • Socle commun et travail par compétences Balises et boussole Le travail par compétences, le socle commun : de nouvelles modes pédagogiques sans lendemains, ou de réelles occasions d’améliorer les apprentissages des élèves ? De simples ravalements de ce qu’on fait déjà, ou de véritables opportunités pour revoir nos pratiques d’évaluation, de différenciation, de remédiation ? Ce numéro s’efforce d’indiquer des repères pour une mise en œuvre utile à partir d’expériences concrètes, dans le quotidien de la classe et de l’établissement. Ce dossier est vendu en ligne sur notre site et à télécharger au format PDF. www.cahiers-pedagogiques.com 5 euros pour les particuliers. Tarifs avec droits de diffusion : 10 euros pour les établissements scolaires et 15 euros pour les médiathèques Enseigner les langues vivantes avec le Cadre européen Nouvelle édition Les Cahiers pédagogiques est une revue indépendante éditée par le Cercle de recherche et d’action pédagogiques (Crap), association loi 1901 engagée dans la réflexion sur les pratiques quotidiennes de l’enseignement tout comme dans les combats en faveur d’une école plus juste et plus efficace. Ses membres exercent dans tous les secteurs de l’école, de la maternelle à l’université. Les Cahiers pédagogiques éditent sous forme de fichiers au format pdf des numéros portant sur des thèmes d’actualité, téléchargeables sur notre site www.cahiers-pedagogiques.com Quelles évolutions de l’enseignement des langues depuis les premiers pas du CECRL ? Les interrogations qui se manifestaient en 2005 ont-elles trouvé des pistes de réponse ? La réflexion, la formation ont-elles réussi à outiller les enseignants ? Des points de vue contrastés, complémentaires souvent, parfois contradictoires, représentatifs du débat bien réel sur la question de l’enseignement des langues. Ce hors-série est présenté sous une nouvelle édition augmentée d’une partie consacrée aux compétences et groupes de compétences. Il comprend une version adaptée à la lecture à l’écran et une version destinée à l’impression. Ce dossier est vendu en ligne sur notre site et à télécharger au format PDF. Une société qui a peur de sa jeunesse Selon un sondage commandé par l’Afev et l’Observatoire de la jeunesse solidaire, 49 % des Français ont une image négative des jeunes « au travers de leurs comportements, de leurs actions dans la société ». Ils ne sont que 38 % à les juger « actifs » et capables de se prendre en main. Un peu plus rassurant pour l’entente entre générations, les sondés jugent tout de même les jeunes « créatifs et inventifs » à 72 %. de Philippe Watrelot Le site du mois AidoProfs est un site et surtout une association qui s’est donné pour mission la défense et la promotion des secondes carrières pour les enseignants. Parce qu’enseigner est un métier qui s’apprend et où l’on développe des compétences qu’on peut avoir envie de réinvestir ailleurs… www.aideauxprofs.org Le chiffre du mois En campagne 7 %, c’est le taux d’absentéisme dans le secondaire, soit à peu près 280 000 élèves qui ont cumulé plus de quatre demi-journées d’absence non justifiées au cours d’un mois. Et ce chiffre est très politique, car c’est celui qui sert aujourd’hui à justifier les mesures annoncées par le président de la République et le projet de loi de suppression des allocations. Mais il est plus facile de s’appuyer sur des chiffres que sur un débat de fond. Car la plupart des experts considèrent que cette mesure est injuste – elle touche surtout les parents les plus pauvres – et inefficace – elle ne garantit pas que leurs enfants retournent en classe. Le 5 mai 2010, Nicolas Sarkozy a prononcé un nouveau discours sur l’éducation ou plutôt sur la violence scolaire et l’absentéisme. « Il n’y a qu’une seule politique possible s’agissant des crimes et délits commis dans les établissements scolaires : être intraitable », a-t-il déclaré, en promettant de « rétablir l’ordre et réhabiliter l’autorité ». Une promesse qu’il a dû déjà prononcer des dizaines de fois… Luc Ferry, ancien ministre, dans Le Parisien du 5 mai 2010 : « Quand vous allez à un congrès de l’UMP, il suffit que l’orateur dise que l’on va remettre à l’ordre du jour l’effort et le travail pour que toute la salle applaudisse […]. C’est une connerie ! Juste des mots qui ne veulent absolument rien dire ! » La citation du mois « On a beau avoir bac + 8, on ne s’improvise pas prof de collège. » C’est la conclusion de Jacques Fossey, chercheur en chimie au CNRS. Il a notamment étudié la réactivité des radicaux libres et celle des cations en phase gazeuse. Aujourd’hui à la retraite et devant l’insistance de la direction du collège de son fils, constatant l’absence non remplacée de la professeure de technologie attitrée, il devient professeur remplaçant pendant deux mois. « Un inspecteur du rectorat m’a embauché un vendredi, après un entretien d’une heure, se souvient-il. Le lundi matin, j’étais en poste. On m’a dit : ta salle, c’est la 17, voilà les clés. » Le début des ennuis avec des élèves qui cherchent à le tester. « J’en étais à penser que les gens n’éduquent pas leurs enfants quand j’ai réalisé que les miens étaient pareils, plaisante-t-il. J’ai failli écrire un mot pour les parents dans le carnet de correspondance de mon propre fils ! » Son témoignage recueilli d’abord par Le Parisien (20 janvier 2010) a fait ensuite l’objet d’un reportage dans l’émission « Sept à Huit » sur TF1 en avril 2010. Il nous permet de rappeler utilement, alors que se profile la réforme de la formation, qu’enseigner est un métier qui s’apprend. Repenser les rythmes scolaires En France, les enfants de primaire travaillent théoriquement 144 jours (quatre jours pendant trente-six semaines). La moyenne européenne est, elle, de 185 jours. Le volume de travail hebdomadaire est donc l’un des plus importants d’Europe. Selon les travaux réalisés avec François Testu, il faudrait l’ajuster selon l’âge des élèves : 21 h 30 jusqu’au CE2, 23 h 30 jusqu’en CM 2, entre 24 et 26 heures au collège, et entre 26 et 30 heures au lycée. Cela équivaudrait à baisser cette durée hebdomadaire d’environ 10 % par rapport à aujourd’hui. Mais cela obligerait aussi à récupérer ce temps sur la durée des vacances d’été… On touche là à un tabou. Le ministre a promis la tenue d’une conférence sur les rythmes scolaires qui devrait se tenir au mois de juin. Saura-t-elle dépasser les intérêts particuliers ? L’école de Charb Cahiers pédago… geeks ? Il y a deux dangers dans l’usage du numérique et des Tice. Le premier est de les diaboliser en considérant qu’il ne faut surtout pas qu’ils entrent à l’intérieur de l’école. Le second danger, inverse, consiste à mythifier l’outil informatique, en estimant qu’il peut bouleverser à lui tout seul les pratiques pédagogiques. Ce qui a malheureusement été défendu et souvent illustré par les plans gouvernementaux et régionaux divers et variés. Mais tout autant que d’outils ou de techniques, les Tice ont besoin d’une vraie réflexion pédagogique : ça tombe bien, voici tout un cahier pour ça… Les Cahiers pédagogiques n° 482, juin 2010 1 A C T U A L I T É S É D U C AT I V E S À lire sur notre site www.cahiers-pedagogiques.com Tout a été redit, rien ne sera fait Un retour de Patrice Bride suite à sa participation aux états généraux de la sécurité à l’école. Durant ces deux journées, le ministre a eu l’occasion d’entendre les contributions des chercheurs les plus qualifiés en la matière, de suivre des ateliers regroupant des acteurs de l’école dans toute leur diversité, de disposer de synthèses de ces débats remarquables par leur densité et leur qualité. Au vu des mesures qu’il a annoncées, au mieux insipides, au pire très contestables, on doit bien constater qu’il ne suffit pas d’entendre pour comprendre. www.cahiers-pedagogiques.com/ spip.php?rubrique6 Une école en sécurité ? Le point de vue du Crap-Cahiers pédagogiques à l’occasion de la tenue des états généraux de la sécurité à l’école. www.cahiers-pedagogiques.com/ spip.php?rubrique6 Les revues de presse Chaque jour, Philippe Watrelot fait part de sa lecture attentive et critique de la presse quotidienne sur l’actualité éducative. Cette revue de presse complète, introduite par une synthèse et l’analyse des grandes questions traitées par les journaux, constitue un instrument indispensable pour rester informé. www.cahiers-pedagogiques.com/ spip.php?rubrique31 La bande dessinée à l’école Un bon dossier de L’École des Lettres (nº 7, 2009-2010) sur le « neuvième art ». Christian Poslaniec et Joëlle Thébault s’efforcent de montrer que la BD garde une place effective dans les programmes, même s’il faut parfois les lire entre les lignes. En tout cas, ils se livrent à un plaidoyer fort convaincant pour sa participation à l’éveil littéraire et artistique des enfants. De nombreuses pistes de lecture sont proposées, autour d’auteurs souvent peu connus. On trouvera également des compléments en ligne, en particulier sur l’adaptation des classiques ou sur la BD dans les médias. www.ecoledeslettres.fr La violence, une fatalité ? Un numéro spécial du Nouvel Éducateur, n ° 198, avril 2010. Un dossier de l’Icem qui tombe en pleine actualité pour réfléchir à des alternatives aux mesures gouvernementales inefficaces, elles-mêmes 2 Gribouille à la Sorbonne Patrice Bride Deux semaines après la tenue des états généraux de la sécurité à l’école1, il y a de quoi revenir sur cet évènement assez singulier : d’abord sur l’étrangeté de cette manifestation médiatique aux allures de colloque pédagogique et aux conclusions de meeting UMP ; ensuite sur les annonces, pas claires du tout, d’un nouveau programme pour les établissements les plus en difficulté. Le sentiment d’un grand décalage entre, d’une part, les contenus et la qualité des interventions et des débats, tant en séance plénière que dans les ateliers, et, d’autre part, les annonces ministérielles finales a été largement partagé, accompagné même d’une relative déception. Ce n’était pourtant pas le discours du ministre qui était la surprise : nous2 avions peut-être oublié que celui-ci est également porte-parole du gouvernement, et c’est probablement autant à ce titre que celui de ministre de l’Éducation qu’il a repris les antiennes présidentielles sur la suppression des allocations familiales aux parents fautifs, la mise à l’écart des trublions, les dispositifs de sécurité dans les enceintes des établissements. On ne pouvait pas non plus être surpris par les propos d’Éric Debarbieux, des autres membres de l’équipe qui ont constitué le comité scientifique de ces états généraux, animé les ateliers, réalisé des synthèses d’une grande valeur : les travaux de l’Observatoire international de la violence à l’école, les livres d’Éric Debarbieux lui-même sont largement diffusés, ont inspiré bien des formations, même si celles-ci restent insuffisantes en nombre. La vaine recherche d’une cohérence ? Ambiance donc très particulière lors de ces états généraux : depuis les doutes initiaux sur l’intérêt de participer, les appréhensions de s’y compromettre dans une manœuvre sarkozyste de plus, jusqu’à la déception finale, en étant passé par la satisfaction de participer à des débats roboratifs, puis par la douche froide du discours sécuritaire du ministre de l’Intérieur venu faire un tour. Au final, reste une énigme : pourquoi le pouvoir en place, qui a fait des questions de sécurité un axe majeur de sa politique de communication sur le registre de la répression, a-t-il confié les clés d’un tel évènement à des personnalités qu’on situera plutôt dans le camp d’en face ? Car si le « comité scientifique » n’avait pas de scientifique que le nom, était incontestable par la compétence de ses membres, j’ose avancer que la grande majorité d’entre eux accepterait l’étiquette de « militants pédagogiques », je suis même certain que c’est avec grand plaisir que nous accueillerions leurs contributions dans nos colonnes, ce que nous avons déjà fait fréquemment pour Éric Debarbieux lui-même. Que leurs travaux soient pris en Les Cahiers pédagogiques n° 482, juin 2010 compte, c’était bien le moins. Mais pourquoi personne pour donner la réplique ? Les seuls propos dissonants que j’ai entendus durant ces deux journées ont été les remontées de bile de Jean-Pierre Chevènement contre « les pédagogistes » et la loi de 1989, les leçons de « tenue de classe » et de « cours de politesse » simplement navrantes de Sébastien Clerc3, les incantations vaines au retour à « l’autorité » de SOS Éducation, à coups de pitoyables « zéros de conduite ». Où étaient les penseurs de la « droite sécuritaire », les théoriciens de la dissuasion et de la répression, les chercheurs capables de présenter des études sur l’efficacité des caméras, des portiques, des sanctions financières ? Comment comprendre que le ministre qui affirme qu’il faut « tendre vers la tolérance zéro » la veille4 donne sans contrepartie une demi-heure au chercheur américain Russel J. Skiba pour démontrer point par point l’inefficacité de ce principe, qui, appliqué aux États-Unis, n’a abouti qu’à remplir les prisons sans diminuer la délinquance ? Ce n’est certainement pas une question de « brouillage des frontières idéologiques », les oppositions sont nettes et indiscutables entre les prises de position des mouvements pédagogiques et, par exemple, les annonces de Nicolas Sarkozy à Bobigny le 20 avril5. C’est peut-être une affaire de communication, quoiqu’on peut douter que ces états généraux aient redoré le blason du ministère actuel auprès des enseignants ou des associations, si tel était le but. C’est sans doute aussi l’illustration, une fois de plus, qu’entre des mesures qu’on pourrait qualifier de raisonnables comme une formation de qualité des enseignants, une réorganisation du fonctionnement des établissements et des services favorisant le travail en équipe, tout ce qu’on sait bien efficace et même indispensable, et ce que le pouvoir en place choisit de mettre effectivement en œuvre, en prenant en compte d’autres contraintes, il y a bien souvent un gouffre. Mais Xavier Darcos ne s’est pas donné la peine de réunir des états généraux sur les rythmes scolaires avant d’annoncer la suppression du samedi matin aboutissant à la généralisation de la semaine de quatre jours… La démarche choisie par Luc Chatel rend particulièrement visible ce grand écart, et c’est peut-être bien le point positif à retenir de ces deux jours : l’en- A C T U A L I T É S É D U C AT I V E S semble des responsables du ministère, des acteurs concernés par ces questions de prévention de la violence à l’école ont pu ainsi travailler sur des perspectives qui tournent le dos aux choix politiques du gouvernement. Comment se décide une réforme ? Autre surprise parmi les annonces du ministre, la cinquième orientation annonçant la création de nouveaux programmes « que nous pourrions baptiser Clair »6. On pourrait débattre longuement, mais de façon un peu vaine vu le peu que l’on en sait pour l’instant, des « trois innovations majeures » de ce nouveau programme : qu’une meilleure stabilité des équipes, dont la nécessité fait l’unanimité, passe par le choix des enseignants par les chefs d’établissement est très discutable ; que le projet pédagogique soit restreint à la seule validation du socle commun, et donc si l’on comprend bien sans tenir compte des programmes ordinaires, laisse fortement prise à la crainte souvent dénoncée d’un pauvre socle pour les écoles de pauvres, les autres ayant droit à toute la richesse des programmes ; la nouvelle fonction de « préfet des études », si elle émiette encore plus les responsabilités pédagogiques et éducatives, n’aura pas de désuète que le nom ; l’intitulé même du programme, excluant les écoles primaires, est parfaitement incohérent avec la logique de réseau affirmée depuis de nombreuses années dans l’éducation prioritaire, et bien sûr avec celle du socle commun sur l’ensemble de la scolarité obligatoire. Mais c’est surtout la méthode qui interroge. D’abord, à quoi bon réunir des états généraux pour sortir de son chapeau de telles mesures APP EL À C O N T R IB UT ION S… n’ayant absolument pas fait l’objet de discussions en plénière ou dans les ateliers ? Ensuite, le ministre a déploré l’enchevêtrement et le manque d’évaluation des dispositifs d’aide et de soutien aux établissements en difficulté, en laissant d’ailleurs entendre que difficultés scolaires et exposition à la violence vont nécessairement de pair ; mais c’est alors que l’évaluation des réseaux « Ambition réussite » est encore en cours qu’il annonce déjà un nouveau dispositif, sans savoir ce qu’il va remplacer, en quoi il va tenir compte des résultats de l’évaluation. Enfin, comment envisager sérieusement des expérimentations « dès la rentrée 2010 dans une centaine d’établissements » dans une annonce faite le 8 avril, même pas mentionnées, et pour cause, dans la circulaire de rentrée signée le 16 mars ? Peut-être faudrait-il des « états généraux de l’innovation pédagogique » pour expliquer au ministre que le bal des éducateurs ne se mène pas en claquant des doigts. Patrice Bride 1 Ce texte, comme celui de Françoise Lorcerie, page 4, a été rédigé le 22 avril 2010. 2 Je me permets d’amalgamer dans ce « nous » les partenaires réguliers ou occasionnels du Crap dans nos interventions publiques, avec lesquels j’ai eu l’occasion d’échanger lors de ces états généraux. 3 Voir Bruno Robbes, «Sauvons notre école… des professeurs « teneurs de classes », Cahiers pédagogiques n° 472 et sur notre site. 4 Interview parue dans Le Parisien le 6 avril 2010. 5 Le communiqué est disponible sur le site de l’Élysée. 6 Collèges et lycées pour l’ambition, l’innovation et la réussite. APPEL À CO NTRIBUTIO NS… Aider et accompagner les élèves, dans et hors l’école Un dossier de la collection des hors-séries numériques De nombreux dispositifs sont mis en place depuis quelques années pour accompagner l’élève : dès la maternelle, « aide personnalisée » en primaire, « éducatif » au collège, « accompagnement personnalisé » dans la nouvelle réforme du lycée, et même au supérieur. Il s’agit d’individualiser l’enseignement, mais avec le risque de reporter les modalités de l’aide sur des contextes extérieurs à la classe et au groupe ; l’objectif est de contribuer à l’appropriation de compétences, mais l’enseignement dans les classes reste pour l’essentiel fondé sur la sélection sur les savoirs. On peut refuser ces dualités ou travailler avec elles. – Comment mettez-vous en œuvre un accompagnement des élèves ? À l’échelle de la classe, dans des dispositifs spécifiques, dans le cadre d’un projet collectif global ? – Quelles représentations de l’apprentissage motivent ces mises en œuvre ? Comment ça se passe concrètement ? Nous recherchons donc des témoignages sur la façon dont vous organisez l’aide, en fonction de votre contexte, avec une double perspective : donner des idées, proposer des outils, mais aussi susciter la réflexion sur l’intérêt et les limites des dispositifs. Nous lançons la préparation de cette publication en même temps que celle de notre colloque sur le même thème, qui se déroulera à Paris les 25 et 26 octobre prochain, à la mairie du 20e. N’hésitez pas à prendre contact et à proposer votre regard, votre expérience. Contact : Sylvie Grau, [email protected] R encontres 2010 du Crap-Cahiers pédagogiques Apprendre, enseigner : entre libertés et contraintes, quelle marge de manœuvre ? Une semaine d’échanges pour tous les acteurs de l’école, du mardi 17 au lundi 23 aout 2010 dans la Dombes (région lyonnaise). Les Rencontres du Crap, ce n’est pas vraiment un stage. D’abord parce que c’est l’activité d’un mouvement, organisée par des bénévoles ; ensuite parce que si les différents temps sont préparés et animés par des membres du Crap, l’esprit des Rencontres repose sur l’idée que ce sont avant tout les échanges entre des participants d’horizons divers dans le monde éducatif qui font avancer. Elles sont donc ouvertes à tous, débutants dans le métier ou plus expérimentés, enseignants de la maternelle à l’université, CPE, chefs d’établissement, formateurs, éducateurs, etc. Les Rencontres s’articulent autour d’ateliers : des ateliers « thèmes » : pour travailler collectivement une question pédagogique, par exemple cette année la place de la parole des élèves, le travail par compétences, la créativité, l’autorité et les sanctions, les façons d’apprendre. des ateliers « activités » : de l’improvisation théâtrale à des « randonnées philo » en passant par la découverte du patrimoine naturel et historique de la région. Mais cette semaine est aussi un moment de vie partagée : échanges informels, discussions à table ou dans les couloirs, soirées, autant d’occasions de confronter pratiques et idées autour de valeurs communes, en toute convivialité. Renseignements et inscription : crap@ cahiers-pedagogiques.com Les Cahiers pédagogiques n° 482, juin 2010 3 A C T U A L I T É S É D U C AT I V E S violentes, et pour témoigner de ce qui ne saurait être une fatalité. Il regroupe des éléments d’analyse, des récits et des projets d’établissements avec entre autres des contributions d’Éric Debarbieux, Claude Lelièvre, Laurent Ott et Sylvain Connac. www.icem-pedagogie-freinet.org Contenus et programmes scolaires : comment lire les réformes curriculaires ? La loi de 2006 sur le socle commun de connaissances et de compétences a marqué le passage d’une logique d’adaptation des programmes scolaires à celle d’une réforme plus générale qui touche à la fois les contenus d’enseignement, les objectifs de la scolarité obligatoire et les modalités d’évaluation. Le dossier d’actualité de la VST n° 53, Contenus et programmes scolaires : comment lire les réformes curriculaires ? s’attache à présenter la notion de curriculum, souvent utilisée au niveau international pour analyser et qualifier ce type de changements. Veille scientifique et technologique, INRP. www.inrp.fr/vst Soigner ceux que le monde oublie Médecins du Monde édite un outil pédagogique pour les classes de CM1 et CM2 sous la forme d’un DVD et CD-ROM pour faire travailler les élèves sur des notions essentielles telles que la solidarité, les droits fondamentaux, le droit à la santé. Il s’agit de comprendre l’action de Médecins du Monde, d’écouter des témoignages de personnes travaillant dans l’humanitaire, d’être sensibilisé aux conditions de vie dans différents pays et de réfléchir aux actions que chacun peut mener à son échelle. Des activités prêtes à l’emploi sont mises à la disposition des enseignants et permettent d’organiser des débats participatifs dans les classes. www.medecinsdumonde.org L’école pirate, un an dans un lycée autogéré Un documentaire sonore d’Arte Radio. Septembre 2008, Limerlé, petit village des Ardennes. Le premier lycée expérimental en Belgique Des annonces qui méritent d’être mises en œuvre Françoise Lorcerie Françoise Lorcerie, membre du comité de rédaction des Cahiers pédagogiques, et invitée à participer au comité scientifique de ces états généraux, nous propose également sa réaction. Je me retrouve dans les propos de Patrice. C’est bien comme cela que se sont déroulés ces deux jours, où un parterre de cadres de différents ministères, certains en uniforme, a applaudi des chercheurs québécois et américains expliquant que la « tolérance zéro » produit des effets contraires à ceux qu’on annonce vouloir, ou encore que la stabilité des équipes et la qualité de la pédagogie sont la clé de relations scolaires harmonieuses, ou qu’une formation approfondie des professionnels est indispensable. Alors que le discours du gouvernement va dans l’autre sens, alors qu’on supprime la formation initiale des professeurs, alors que les fonctionnements du système excluent des équipes stables dans l’éducation prioritaire… Pour ma part, j’avais accepté de faire partie du conseil scientifique de ces états généraux, par confiance à l’égard d’Éric Debarbieux, qui me le proposait tout en sachant que je ne suis nullement spécialiste de la violence à l’école (comme la quasi-totalité des chercheurs français, je ne place pas la violence parmi mes objets prioritaires), mais il avait envie que la possible dimension ethnoraciale de la violence scolaire soit représentée dans cette instance. De mon côté, j’avais la même idée. Et je me préparais à un happening qui se terminerait par un discours du ministre où l’on reviendrait à la plate réalité. C’est bien ce qu’on a eu, mais avec un vrai bon moment dédié au débat à partir de connaissances vérifiées. Le dossier spécial de Diversité, les fiches scientifiques mises à disposition étaient de qualité et peuvent être acquis par chacun aujourd’hui. Sur le moment, le contentement d’ensemble était palpable. Ce n’est pas si fréquent. Quant au discours du ministre et au retour obligé à la case départ, mises à part quelques annonces ponctuelles, j’avoue que je Colloque du Crap-Cahiers pédagogiques suis intriguée par son codicille, le programme Clair. Il ne traite pas de violence, il traite d’une réinterprétation de la politique d’éducation prioritaire dans les cent collèges « les plus difficiles ». Dans ces établissements, on mettrait en place une gestion des ressources humaines permettant autant que faire se peut la constitution d’équipes stables. On sait bien que les chefs d’établissement ne peuvent pas faire la pluie et le beau temps à cet égard. Ils ne peuvent constituer des équipes qu’avec des candidats. S’il n’y en a pas ou pas assez, la possibilité est vaine. On l’a bien vu dans certains RAR pour l’affectation des professeurs référents. Mais si cela se fait, alors est réalisée une des conditions les mieux connues (grâce à Pisa notamment) pour être un facteur d’efficacité dans les apprentissages des élèves. Si en plus, les équipes constituées ont une certaine autonomie pour concevoir et mener les parcours d’apprentissage, dans un cadre existant, mais souple, alors est réalisée une autre des conditions les mieux connues pour être un facteur d’efficacité des apprentissages. Ce serait le cas si ces équipes étaient mises à même de sortir du carcan des « programmes » et pouvaient décliner le « socle » – qui ne me parait pas être un pauvre socle. Si enfin un rôle est institué pour favoriser la coordination pédagogique et éducative à chaque niveau, alors les essais de coordination qui ont lieu déjà dans beaucoup d’établissements difficiles se concrétiseront plus facilement. Bref ces annonces, j’aimerais qu’elles se réalisent. Il se disait au cabinet qu’il y avait eu des négociations en ce sens avec les partenaires sociaux. Plaise au ciel ! Françoise Lorcerie CNRS-Iremam, (Aix-en-Provence) 25 et 26 octobre 2010, Paris (mairie du 20e arrondissement) Aider et accompagner les élèves dans et hors l’école Comment aider à apprendre, et apprendre à se passer d’aide ? Comment aider utilement à l’extérieur de la classe voire de l’école, sans renoncer à le faire dans les cours ordinaires ? Qu’est-ce qu’un accompagnement utile, efficace, aux différents niveaux de la scolarité ? Conférence, tables rondes et ateliers, avec la participation, entre autres, de Jean-Paul Delahaye, Éric de Saint-Denis, André Ouzoulias, Jean-Michel Zakhartchouk, Mina Puustinen, Agnès Paon, Anne-Charlotte Keller, Antoine Evennou, Christophe Paris. Françoise Clerc. En partenariat avec Éducation & Devenir et la mairie du 20e arrondissement de Paris. 4 Les Cahiers pédagogiques n° 482, juin 2010 A C T U A L I T É S É D U C AT I V E S Pratiques de classe et autorité Dominique Gelin La sixième conférence de consensus organisée par l’IUFM de Créteil a voulu faire le point sur ce que les chercheurs peuvent dire sur cette question, avec le souci d’être utile aux enseignants en montrant la complexité des pratiques et des enjeux, la vanité des solutions simples1. Les formateurs intervenant auprès des enseignants du second degré, en formation initiale et continue, avaient été fortement interpelés en ce début d’année scolaire 2009 par la mise en place par le rectorat de Créteil de formations à la tenue de classe à l’intention des enseignants nouveaux titulaires, d’où le thème retenu pour cette conférence de consensus 20102. Certes, les situations d’urgence rencontrées par ces enseignants, notamment les débutants, confrontés aux discours de la société civile et des médias sur l’école et sur les insuffisances de la formation dispensée jusque-là peuvent les pousser à solliciter des réponses immédiates. Dans ce premier temps de l’urgence, elles peuvent les conduire à être plus réceptifs à l’image d’une conception du métier dans laquelle l’autorité serait conquise indépendamment de la relation pédagogique et des conditions de transmission des savoirs. Cependant, installer son autorité dans la durée suppose du professeur la capacité de s’interroger sur les présupposés et l’implication qui la fondent. C’est pourquoi l’IUFM de l’académie de Créteil a engagé depuis de nombreuses années une réflexion sur ces questions de gestion de classe, de gestion des conflits, de prévention des phénomènes de violence qui sont inscrites dans les plans de formation initiale et continue. Si les formateurs et les responsables de la formation ont très vite perçu la nécessité de ne pas laisser les enseignants sans réponses face aux difficultés rencontrées dans les classes et les établissements, ils ont simultanément choisi d’adapter ces réponses à la complexité des situations en mobilisant – pour les articuler – des cadres de référence et des dispositifs diversifiés : entrées sociologique, philosophique psychanalytique, didactique et pédagogique ; conférences, formations plus impliquantes, jeux de rôle, analyse de pratiques, etc. Que répondre à la demande de « recettes » ? En tant qu’institut de formation il nous a semblé primordial de rappeler à tous les formateurs – qu’ils interviennent auprès des enseignants du premier ou du second degré – la nécessité de fonder théoriquement les réponses données en formation, tout en affirmant parallèlement que la demande de « recettes » pour tenir la classe est légitime et qu’il est essentiel d’apporter des réponses aux formés, même si ces réponses sont provisoires et mises à l’épreuve de la réalité des diverses situations d’enseignement. C’est pourquoi nous avons fait le choix d’aborder la question des pratiques de classe et de l’autorité dans le cadre d’une conférence de consensus. C’est dans cet esprit que les conférenciers ont été sollicités (Jacques Pain, Jean Houssaye, Erick Prairat, Christine Passerieux, Dominique Ottavi) et le jury constitué (Bernard Rey, des formateurs intervenant dans le premier et le second degré, un inspecteur général, un chef d’établissement, une CPE, les responsables de la formation et de la formation de formateurs de l’IUFM). Il ne s’agira pas ici de rendre compte de chaque conférence ou d’en faire une analyse exhaustive3, mais plutôt d’extraire quelques lignes de force et quelques questionnements de cette journée. Un métier sous tension Tous les conférenciers ont, chacun avec une entrée différente, interrogé la notion de l’autorité et la façon dont elle est posée et vécue actuellement à l’école, notamment en collège. Leurs analyses, en appui sur leurs propres recherches ou celles de leurs collègues sociologues de l’éducation (Anne Barrère, François Dubet, Marie Duru-Bellat) ont toutes mis la situation présente – ressentie comme particulièrement complexe, notamment par les enseignants débutants – en perspective avec l’évolution du système éducatif, l’arrivée de nouveaux publics dans le second degré, et paradoxalement la perte de crédit et de confiance de l’institution scolaire comme instrument de promotion. Elles mettent en lumière les tensions très fortes qui traversent l’école et auxquelles sont confrontés les enseignants : le manque d’évidence pour de nombreux élèves des raisons d’apprendre (« Le lieu école n’est plus un lieu émancipateur », « Le savoir ne fait plus autorité »), le ressenti par les enseignants d’une certaine impuissance éducative, vécue comme une violence qui leur est faite, la tentation, relayée par la société civile, de rabattre les questions d’autorité sur des questions de violence et de chercher des solutions extérieures à la classe et déconnectées de la conduite des apprentissages. ouvre ses portes. « Pédagogie nomade » compte sur l’autogestion et l’autonomie pour redonner l’envie d’apprendre. Fabienne Laumonier et Christophe Rault ont suivi cette première année, les cours, les assemblées générales, au plus près des enseignants comme des ados. Éveil d’une utopie. 84 minutes d’écoute sur www.arteradio.com Le site.tv a fait peau neuve Le site de vidéos pédagogiques à la demande, développé par France Télévisions et le Scérén/ CNDP, est un outil de travail pour préparer un cours, rechercher des ressources documentaires ou apprendre à décrypter l’image. Il dispose d’une vidéothèque de plus de 2 700 séquences à télécharger, classées par discipline, par niveau et par point-clé du programme scolaire pour l’école, le collège et le lycée. La présentation du site et son ergonomie ont été revues et désormais le site.tv propose aux professeurs des écoles, d’histoire-géographie et de SVT de s’abonner directement de manière à disposer d’une vidéothèque adaptée à chacun. www.lesite.tv Journées du e-learning à Lyon La 5e édition des Journées du e-learning, organisée par les universités lyonnaises, a cette année pour thème : « Au-delà des plateformes : la e-pedagogie ». Ce colloque propose une réflexion sur le contexte dans lequel s’inscrivent ces plateformes. Une plateforme implique à la fois l’usage d’outils et de matériaux pédagogiques, mais est également le mode de mise en œuvre de l’élément premier du e-learning réussi : la pédagogie. Les 24 et 25 juin à l’université Lumière Lyon 2. www.lyon-elearning.com À contrevoie. Philippe Meirieu pédagogue Un film de Thierry Kübler, Doriane Films, 82 min. Philippe Meirieu, cible privilégiée des antipédagogues, se retrouve ici mis en scène dans un théâtre. Le film en dresse un portrait fait d’entretiens en profondeur, rythmés par l’avancée d’un train électrique et par la lecture d’une lettre à une maitresse d’école… En militant engagé pour la réforme de système scolaire, Philippe Meirieu pose les enjeux fondamentaux de l’éducation. Ce que l’on apprend aujourd’hui dessine la société de demain ; la manière dont on apprend modèle les futurs citoyens. On peut commander le DVD sur le site de Doriane Films. www.dorianefilms.com Les Cahiers pédagogiques n° 482, juin 2010 5 A C T U A L I T É S É D U C AT I V E S Stage national techniques Freinet-pédagogie institutionnelle L’intitulé « Mise en place de techniques et d’institutions au service des apprentissages et de la vie en commun » donne la tonalité de ce stage qui s’adresse au public large des enseignants et des éducateurs. Il s’agit donc d’apprendre à mettre en place une technique Freinet (ou une technique de production coopérative) et une institution, qui pourront être le point de départ de la transformation de sa classe ou de son groupe. Ce stage se veut aussi un lieu de paroles et d’échanges sur les expériences et pratiques de chacun. Du 9 au 15 juillet, à Grans-enProvence (Bouches-du-Rhône). http://pig.asso.free.fr/Stages.dir/ InfoTFPI.htm La bande dessinée : un art sans mémoire ? Un colloque pour répondre à la question suivante : quelles valeurs et quelles formes acquiert pour la bande dessinée l’inscription dans un passé ? L’objectif est de s’intéresser aux initiatives visant à faire de la bande dessinée le témoin privilégié d’une histoire de l’art et de l’évolution de nos sociétés, mais également aux efforts de professionnels de la chaine du livre pour administrer des collections ou faire valoir un « fonds ». Colloque international organisé par le Labsic (université Paris 13) et Médiadix (université Paris OuestNanterre-La Défense) le jeudi 10 juin 2010. Pôle des métiers du livre de Saint-Cloud (Hauts-de-Seine). http://mediadix.u-paris10.fr La formation initiale des enseignants en Europe : convergences, divergences, évolutions Colloque de l’Iréa (Institut de recherches, d’études et d’animation du Sgen-Cfdt). Les systèmes éducatifs des pays de l’Union européenne présentent des organisations, des finalités et des objectifs encore très différents ; les statuts des enseignants y sont très divers ; plusieurs modèles de formation initiale des enseignants peuvent être identifiés. En mettant en perspective systèmes scolaires et modèles de formation des maitres, on se demandera si les choix nationaux mettent en adéquation ces deux axes ou s’ils répondent à d’autres références, plutôt fruits d’histoires locales, de traditions intellectuelles ou autres. Les tendances et transformations qui se jouent actuellement ont-elles pour effet de rapprocher les pays européens ? Le 16 juin à Paris. http://irea-sgen-cfdt.fr 6 Des réponses en permanente élaboration Les éléments de réponses que donnent les conférenciers se situent toujours du côté de la réflexion, de l’élaboration et de la construction collective, soit au niveau du groupe, de la classe ou de l’établissement. Ils sont pour certains, comme Eirick Prairat ou Dominique Ottavi, plus philosophiques, pour d’autres plus pédagogiques ou/et didactiques. Ils impliquent tous un important travail de déconstruction des évidences et de construction permanente de la part des enseignants : mise en place de règles pour vivre et apprendre ensemble au sein de la classe et au sein de l’établissement, en appui sur la pédagogie institutionnelle pour Jacques Pain ; efforts pour accueillir et mettre en œuvre au sein de l’école les valeurs démocratiques, tout en continuant à garantir la place de chacun et la place du savoir pour Eirick Prairat, qui insiste sur les inévitables tensions que cela entraine dans la conduite de la classe. Tous les conférenciers présents ce jour-là mettent en évidence ces tensions extrêmes : urgence des besoins et des demandes des élèves (« Le sacre du présent »), temps nécessaire à la mise en place des apprentissages avec les élèves ; urgence de la gestion de la classe pour les enseignants, nécessité d’une certaine lenteur en pédagogie qui requiert une analyse préalable des situations ; tentation de recourir à des méthodes expéditives ou simplifiées, tant sur le plan de la discipline que de l’enseignement. Ils tombent tous d’accord sur la nécessité, en ces temps complexes, d’un attachement visible à quelques grands principes moraux et intellectuels et à une organisation collective du travail dans les établissements, sans laquelle les efforts isolés de certains pédagogues sont voués à l’échec. On sait que les conditions actuelles d’affectation des jeunes enseignants dans le second degré rendent ce travail collectif très fragile : première affectation éloignée de l’académie d’origine dans des académies et des établissements déficitaires – délaissés par les titulaires plus aguerris, mais las –, faible nombre de postes définitifs en banlieue dans certaines disciplines, mobilité extrême et forcée des jeunes titulaires. Inquiétude sur la formation des enseignants À de nombreuses reprises, au cours de cette journée, est apparu en filigrane le projet de réforme de la formation des maitres qui, en prenant effet à la rentrée prochaine, va renforcer les difficultés d’exercice de ces jeunes enseignants : stagiaires à temps plein, sans formation réelle en alternance, néotitulaires sur des postes de plus en plus précaires. Les établissements, qui devront aider ces jeunes enseignants à résoudre en priorité des difficultés de gestion de classe, risquent d’être confrontés à des situations d’urgence qui ne permettront pas l’apprentissage du métier de pédagogue. Les risques de découragement et de recours à des méthodes expéditives seront beaucoup plus grands, ainsi que les malentendus entre élèves, familles et enseignants. On peut seulement espérer que la mise en place de masters qui incluent la dimension d’apprentissage réflexif du métier permette aux promotions suivantes d’étudiants d’envisager ce métier comme il mérite de l’être. Les pistes réflexives, impliquant une culture philosophique et pédagogique, commune aux futurs éducateurs, ouvertes par les conférenciers, auraient alors toute leur place et représenteraient un grand progrès pour la formation des enseignants du second degré, jusqu’ici centrée sur les savoirs disciplinaires. Malheureusement, cette mise en place tarde pour les masters second degré, elle sera au mieux très diversifiée, selon les disciplines et les universités. Et pourtant le temps presse ! Dominique Gelin Directrice adjointe de l’IUFM de l’université Paris-Est Créteil 1 Cette contribution reflète le point de vue de l’auteure, en s’efforçant de ne pas mordre sur les prérogatives du jury de la conférence de consensus, présidé par Bernard Rey, chargé de la rédaction d’un texte de synthèse. 2 Ces conférences de consensus, inspirées du modèle médical, réunissent plusieurs conférenciers sur un même thème. Un « jury » constitué de formateurs et d’experts est chargé au cours de cette journée, qui se déroule devant un public de formateurs et de professeurs stagiaires, de soulever des questions spécifiques de la formation et de rédiger par la suite un texte de synthèse qui fera l’objet d’une publication. 3 On se reportera à la synthèse qui fera l’objet d’une publication dans un numéro de la collection « Professeur Aujourd’hui », Scérén, et qui sera ensuite en ligne sur le site formation de formateurs de l’IUFM de Créteil. On ne peut que recommander les compte-rendus complets des conférences précédentes, avec des vidéos des interventions, disponibles sur le site de l’IUFM de Créteil. 2009 - La mixité à l’école : filles et garçons 2008 - Scolariser les élèves en situation de handicap 2007 - Enseigner dans les écoles de la périphérie 2006 - L’analyse des pratiques dans la formation des enseignants 2005 - La motivation des élèves Les Cahiers pédagogiques n° 482, juin 2010 A C T U A L I T É S É D U C AT I V E S La constante toujours macabre Xavier Dejemeppe André Antibi poursuit ses efforts pour dénoncer les injustices persistantes des évaluations scolaires qui restent avant tout sélectives. Le correspondant du CRAPCahiers pédagogiques en Belgique nous propose un écho de son intervention lors d’un colloque sur la réussite scolaire à Bruxelles. Le 21 janvier 2010, nous avons eu le plaisir d’entendre André Antibi, professeur à l’université Paul Sabatier de Toulouse et auteur du livre La constante macabre (éd. Math’aurore, 2003). Il intervenait, avec d’autres invités, à l’occasion d’une formation programmée dans le cadre du centenaire du Centre d’enseignement Notre-Dame des Champs et organisée en partenariat avec l’Institut de coaching scolaire de Bruxelles. Lors de sa conférence suivie par une centaine d’enseignants, ce docteur en mathématiques et en sciences de l’éducation a d’abord démonté les mécanismes de ce qu’il appelle la « constante macabre » : sous la pression de la société, des parents, dans l’idée souvent de rester crédibles, les professeurs se sentent plus ou moins consciemment obligés de mettre une proportion constante de mauvaises notes indépendamment de la réussite effective des élèves. Ce qui fait qu’on retrouve dans toutes les classes, bon an mal an, un tiers de « bons » élèves, un tiers de « moyens » et un dernier tiers de « mauvais ». Pendant plus de vingt ans, André Antibi lui-même était persuadé d’avoir donné un bon sujet d’examen lorsque la moyenne de sa classe tournait APP EL À C O N T RIB UT ION S… autour de 10/20, c’est-à-dire avec une moitié d’élèves en échec. Nous sommes encore trop souvent, a martelé l’orateur, dans une logique de classement et de sélection, alors que notre rôle d’enseignants est de former. Tout élève qui a compris, étudié et intégré un cours doit normalement réussir les tests et les examens. Or les professeurs – par tradition, fidélité à la courbe de Gauss, préjugés, etc. – perpétuent ce dysfonctionnement qui pourrit le système éducatif. La plupart des enseignants reconnaissent d’ailleurs le phénomène et veulent que ça change. Mais cela ne sera possible qu’avec l’aide des parents et des élèves qui doivent accepter qu’une évaluation crédible ne génère pas ce tiers d’échecs artificiels. C’est pourquoi André Antibi a fait de cette lutte contre cette constante macabre un combat permanent et un engagement militant1. Comment en sortir ? Ne pas piéger les élèves, accepter la transparence et instaurer un climat de confiance, tels sont les grands principes du système évaluation par contrat de confiance (EPCC) proposé par le conférencier. Cette procédure, qui ne prétend pas être révolutionnaire, consiste à APPEL À CO NTRIBUTIO NS… « Cyber dépendances et Adolescence » Conférence organisée par l’École des Parents et des Éducateurs dans le cadre du séminaire « Les dépendances à l’adolescence ». C’est au travers des difficultés rencontrées par l’apprentissage de l’autonomie et la construction d’une identité propre que l’adolescent s’expose parfois à des conduites de dépendance, en raison d’un sentiment de sécurité interne qui lui fait défaut. Il s’agit d’aider à mieux appréhender, au-delà de l’expression classique d’une crise adolescente, les symptômes d’une problématique de dépendance et sa prise en charge. La conférence sera présentée par Serge Tisseron, psychiatre et psychanalyste, directeur de recherches à l’université Paris Ouest Nanterre. Le 17 juin 2010 à Paris. www. reso77.asso.fr/spip.php?article382 Habiter : l’ancrage territorial comme support pour l’éducation à l’environnement L’idée de ce colloque organisé par l’Ifrée (Institut de formation et de recherche en éducation à l’environnement) vient du constat généralement partagé que l’information ne mène pas forcément à l’action. L’engagement dans l’action fait appel à l’affectif, au sentiment d’affiliation à un groupe, d’appartenance à un territoire, au fait d’avoir tissé des liens avec un lieu, en somme, d’« habiter ». Bien que la notion d’ha- A PPEL À CON TR I BU TI O N Faire du français, sans exclure Ce dossier aimerait interroger la dimension démocratique de l’enseignement du français, dans et hors le cours de français. Comment faisonsnous pour que chaque élève, même parmi les moins à l’aise avec la langue, prenne la parole, à l’oral ou à l’écrit, dans une classe et un établissement ? Pour que chacun, même parmi les plus éloignés de la culture scolaire, s’approprie la langue et la littérature pour apprendre, acquérir un pouvoir sur le monde, envisager un avenir, élargir son horizon et rencontrer l’autre ? Dans le cours de français… - Sur quelles idées fortes (concepts, convictions) propres à votre discipline vous appuyez-vous pour exercer votre liberté pédagogique et transmettre l’essentiel aux élèves d’aujourd’hui ? - Quels moyens utilisez-vous pour mobiliser le maximum d’élèves dans les apprentissages ? Quelles questions vives ? Quels usages des Tice ? Quelles pratiques de lecture ? D’écriture ? - Comment favoriser l’entrée dans la culture scolaire écrite ? Quelles pratiques de l’oral ? Quelle place pour l’apprentissage de la langue ? - Quels sont, de votre point de vue, les facteurs d’exclusion dans le cours de français ? Comment y remédier ? - En quoi le travail par compétences, les pratiques d’évaluation, les dispositifs de différenciation peuvent-ils permettre à chacun d’apprendre à sa manière ? - Comment faciliter l’entrée dans les œuvres littéraires et la culture pour tous ? et ailleurs - Comment travaillez-vous sur la langue dans les autres disciplines ? Dans d’autres dispositifs comme l’accompagnement, les projets interdisciplinaires ? Le socle commun permet-il de modifier les pratiques ? - Comment, dans le premier degré, faire lire et écrire dans toutes les disciplines ? - Comment les parents, les élèves, les professeurs principaux perçoiventils l’enseignement du français ? - Comment faire pour que la maitrise de la langue soit explicitement liée à l’apprentissage de la démocratie à l’école ? Si vos préoccupations et pratiques d’enseignement rejoignent l’une de ces questions, n’hésitez pas à prendre contact avec nous pour discuter d’une éventuelle contribution. Agnès Berthe, [email protected] Nathalie Bineau, [email protected] Les Cahiers pédagogiques n° 482, juin 2010 7 A C T U A L I T É S É D U C AT I V E S biter suscite un vif intérêt dans des disciplines scolaires et universitaires comme la géographie ou la philosophie, ce colloque mettra l’accent sur l’ensemble des pratiques éducatives qui cherchent à faire prendre conscience, à utiliser et à développer le lien avec l’environnement, qu’il soit proche ou plus lointain. Les 24 et 25 juin 2010 à l’université de La Rochelle, organisé en partenariat avec l’IUFM de Poitou-Charentes. http://ifree.asso.fr/ Une société fâchée avec sa jeunesse ? Pour la deuxième année consécutive, l’observatoire de la jeunesse solidaire créé par l’Afev a interrogé les Français sur la place des jeunes dans notre société. Ce sondage fait ressortir un regard très ambivalent : des sondés qui disent apprécier à 83 % la relation avec les jeunes, mais les jugent aussi « pas lucides » et pas « réalistes » (près de six Français sur dix). Une défiance, une personne sur deux déclarant avoir un regard négatif sur la jeunesse, qui surprend à l’heure où les jeunes sont les premières victimes de la crise, notamment dans l’accès à l’emploi. Dans le même temps, les Français plébiscitent aux trois-quarts la distribution d’aides directes aux jeunes quand ils deviennent majeurs, alors que notre système actuel fait la part belle aux familles. Résultats complets et analyses à télécharger sur le site de l’Afev. www.afev.fr donner aux élèves une semaine à l’avance une liste de questions parmi lesquelles l’enseignant puisera celles de l’examen. Avec l’aide du professeur, les élèves répondent à ces questions et peuvent demander toutes les explications qu’ils veulent. Les 4/5e de l’examen porteront alors sur une douzaine de questions que les élèves auront déjà corrigées en classe. Les élèves savent d’emblée que s’ils travaillent ces sujets, ils réussiront. L’avantage de ce système est de limiter l’échec injuste, celui qui engendre précisément une perte de confiance en soi. Les élèves, remis en confiance, travaillent beaucoup plus. Les premières expérimentations françaises font apparaitre très clairement les points suivants : la constante macabre est supprimée, les échecs artificiels disparaissent, les élèves font leur révision, ils reprennent confiance en eux, les moyennes de classe augmentent de deux à trois points et les élèves qui n’obtiennent toujours pas de bons résultats sont mis devant leur propre responsabilité (manque de travail, poids des lacunes antérieures, etc.). De nombreuses questions dans le débat Beaucoup d’interrogations ont porté sur la compatibilité du système EPCC avec une approche par compétences inscrite dans les programmes officiels belges. Si on voit bien l’intérêt de l’EPCC pour des sujets délimités (exercices sur un chapitre, orthographe, vocabulaire, etc.), cela devient plus délicat pour des questions sur des compétences qui demandent une mobilisation des savoirs pour faire face à des situations plus ou moins iné- Qualité, équité et diversité dans A P PE L À C ON T RIB UTIO NS… l’éducation préscolaire La question de l’éducation des très jeunes enfants a gagné en importance et en visibilité un peu partout dans le monde. Ce dossier s’intéresse au travail mené par certains courants de recherche autour des notions et valeurs de qualité, d’équité et de diversité dans le préscolaire. À travers ce prisme, les auteurs issus des cinq continents interrogent le sens accordé à l’éducation des jeunes enfants dans divers pays. Ils s’efforcent de répondre à la question de la qualité de vie quotidienne des jeunes enfants dans les structures éducatives, à celles des pratiques pédagogiques, des dispositifs, des collaborations, des partenariats nécessaires pour l’assurer, à celle des réponses apportées aux nouveaux besoins des familles et des sociétés. Revue internationale d’éducation de Sèvres n° 53, mai 2010. Numéro coordonné par Sylvie Rayna, INRP, université Paris 13 www.ciep.fr/ries/ries53.php 8 dites, avec manipulation de documents par exemple. Une autre question intéressante concernait la progression des apprentissages et la façon dont le système en tient compte. André Antibi a consacré du temps à chacun et répondu avec un enthousiasme communicatif à toutes les questions. On retiendra que ce qu’il préconise a l’avantage de braquer le projecteur sur les élèves, de les faire travailler, de leur donner des méthodes de travail en classe et de leur redonner confiance en eux, ce qui est un élément moteur pour grandir. Quant aux enseignants, ils retiendront peut-être que si la réussite dépend de nombreux paramètres il en existe certains qui dépendent d’eux, de ce qu’ils mettent réellement en place au cœur de la classe pour faire réussir un maximum d’élève. Parmi ces dispositifs, l’évaluation doit devenir un levier pour aider les élèves en difficulté à réussir, et non un moyen de les sélectionner. En théorisant tout cela, le professeur Antibi a donné du sens et une cohérence à un ensemble de pratiques visant à lutter contre l’échec scolaire qui était la thématique de l’ensemble de cette journée de formation. Xavier Dejemeppe Enseignant en lycée et formateur 1 Le mouvement contre la constante macabre (MCLCM) est soutenu par trente-sept associations, dont Les Cahiers pédagogiques, et est reconnu par le ministère de l’Éducation nationale depuis mars 2009. Plus d’infos : mclcm.fr A PPEL À CO NTRIBUTIO NS… APPEL À Filles et garçons à l’école En 1979 et 1999 sont parus deux dossiers des Cahiers pédagogiques intitulés : « Filles et femmes à l’école ». En juin dernier, les journées d’étude du Climope avaient pour thème : « Filles et garçons : où en sommes-nous ? ». C’est aussi la question à la laquelle nous voulons répondre dans ce nouveau dossier prévu pour mars 2011. Les trois grands thèmes que nous voudrions aborder sont les suivants : • Où en est-on de la mixité ? L’école mixte est régulièrement mise en cause, accusée de desservir tour à tour les filles ou les garçons. Ces débats sur la mixité se prolongent sous une autre forme avec la question de la féminisation du corps enseignant. Qu’estce que la mise en œuvre de la mixité aujourd’hui ? Quels sont les parcours professionnels des enseignants et enseignantes ? • Violence et décrochage : la question des violences sexistes et homophobes commence à être mieux identifiée. Elle est à mettre en lien avec le décrochage scolaire, dans le sens où leurs auteurs (majoritairement des garçons, mais aussi des filles) sont Les Cahiers pédagogiques n° 482, juin 2010 souvent ceux et celles que l’on retrouve en l’échec. Que pouvez-vous observer dans vos classes ? Quelle est votre analyse ? • Co-éducation et pédagogie de l’équité : Les rapports sociaux entrecroisés de sexe, de classe et d’origine ethnique s’invitent malgré nous ou à notre insu dans l’école. Comment faire vivre une vraie co-éducation ? Que sont des pratiques pédagogiques justes pour des garçons et des filles de tous milieux, de toutes origines ? Nous attendons : - Des propositions de contributions qui vous semblent liées à l’un de ces thèmes : - Des témoignages, même brefs - Des récits d’expérience et des outils permettant de travailler ces questions dans les établissements. Isabelle Collet : [email protected] Geneviève Pezeu : [email protected] Dossier Le Web 2.0 et l’école Caroline d’Atabekian et Caroline Jouneau-Sion La nature est un temple où de vivants piliers Laissent parfois sortir de confuses paroles ; L’homme y passe à travers des forêts de symboles Qui l’observent avec des regards familiers. Charles Baudelaire, Les fleurs du mal, Correspondance, 1857. Éditorial Un pas de côté… Caroline d’Atabekian, Caroline Jouneau-Sion Web 2.0… Cette expression mystérieuse envahit les médias, et maintenant même une couverture des Cahiers pédagogiques. Elle sonne pourtant comme un logo publicitaire, comme un gadget dédié à la futilité, une mode qui passera très vite dans un monde de consommation. Le Web 2.0, c’est une jungle : un enchevêtrement de sites et de réseaux, gratuits, mais pleins de publicité, un écosystème foisonnant, mais superficiel et volatil, un monde dangereux aussi peut-être, pour nos données personnelles collectées au fil de la navigation, pour nos enfants qui y font des rencontres malsaines, pour notre vie qui pourrait s’écouler devant l’écran d’un ordinateur dont on ne saurait décoller. Qu’a donc à faire l’école avec le Web 2.0 ? En réalité, le Web 2.0, c’est le principe d’horizontalité appliqué à Internet. Loin de la passivité du téléspectateur, l’internaute devient acteur sur le Web. Il participe à l’élaboration des données qu’il consulte, publie, partage ses données, échange via les réseaux sociaux, participe à des travaux collectifs. Il devient « utilisacteur ». Rien de réellement révolutionnaire, mais la facilité de prise en main entraine une massification de ces pratiques. Lequel de nos élèves n’a pas son blog et sa page Facebook ? Même le ministère de l’Éducation nationale a son compte Twitter. L’école doit donc se préoccuper du Web 2.0 parce qu’elle forme les enfants d’aujourd’hui, dans ce mondeci, tel qu’il est, imprégné de ces technologies qui permettent d’écrire, de publier, de partager textes, images et sons, qui permettent d’échanger en temps réel et qui conserve les traces de tout, mais aussi de n’importe quoi. Pourtant, nous n’avons pas intitulé ce dossier « Le Web 2.0 à l’école », mais « Le Web 2.0 et l’école ». C’est d’abord une question de lieu : en effet, le Web 2.0 fait sortir les apprentissages du cadre purement scolaire et fait entrer d’autres espaces, dans la sphère éducative. C’est aussi une question de mise en relation. Les différents acteurs de l’école doivent inventer leurs usages, leurs règles de fonctionnement dans cet environnement de plus en plus interactif, hors des rapports sociaux sur lesquels l’école s’est construite. Beaucoup de questions émergent des articles de ce numéro, qui montrent que les enseignants cherchent leur place dans ce nouveau contexte. Mais on y voit aussi une inventivité incroyable dans l’utilisation des outils du Web 2.0 pour rendre les apprentissages plus faciles, plus efficaces, pour individualiser sans jamais renoncer aux contenus. 10 Les Cahiers pédagogiques n° 482, juin 2010 Ce dossier s’interroge sur l’utilité de ces usages du Web 2.0, sur leur pertinence et leur pérennité. La réflexion portera d’abord sur les postures mises en œuvre. Quel est le rôle de l’enseignant face à des adolescents déjà très utilisateurs de Web 2.0 ? Qu’y a-t-il à leur apprendre en la matière ? Est-ce vraiment efficace en terme d’apprentissages ? La deuxième partie met en avant des pratiques de classe qui visent à donner du sens à la lecture et à l’écriture en les mettant en œuvre dans des situations de communication authentiques : bloguer son livre préféré, partager les compétences sur un wiki et s’améliorer encore grâce aux retours des lecteurs. Viennent ensuite des exemples de détournements éducatifs d’outils divers, de Twitter à Netvibes ou Facebook, dans l’objectif toujours de renforcer les savoir-faire et de développer les savoirs. Le quatrième chapitre de ce dossier interroge la question de l’identité numérique : quelle image doit-on donner de soi sur la Toile, en tant que jeune, adulte ou enseignant ? Comment gérer l’imbrication entre vie privée et vie professionnelle dans le cadre des réseaux sociaux ? Nous verrons enfin ce que le Web 2.0 change pour les usagers de l’école : des élèves prennent confiance et gagnent en autonomie, des enseignants s’enrichissent du travail en réseau, des parents s’investissent dans la classe… Ces témoignages parfois enthousiastes sont pourtant parsemés de points d’interrogation : les auteurs racontent ce qui ressemble parfois à une aventure collective, mais qui est souvent de l’ordre de l’expérimentation isolée. On les voit faire ici un pas de côté pour s’observer, enseigner et analyser ces pratiques nouvelles. Caroline d’Atabekian, Caroline Jouneau-Sion Pour réagir à ce dossier, dans son ensemble ou à un article en particulier, vous pouvez contacter la rédaction en chef à l’adresse [email protected]. Dans le monde numérique, beaucoup de termes récents et peutêtre peu familiers à nos lecteurs : un lexique page 55 en définit les plus courants. 1- Apprendre, enseigner : de nouvelles postures ? Au travail, Narcisse ! Caroline d’Atabekian Tout enseignant, même mal à l’aise avec la technique, a un monde à faire découvrir à ses élèves avec le Web, même à ceux qui tiennent à jour leur page Facebook ou qui sont capables de « programmer des satellites depuis leur montre à quartz1 ». S i le néophyte se laisse facilement intimider par l’élève qui, en un clin d’œil, maitrise les subtilités d’un mur Facebook, zappe d’un lien à l’autre, s’exerce à un jeu vidéo complexe ou discute par chat avec ses copains, un regard attentif montre que ce même adolescent en apparence si à l’aise avec les usages du Web qui lui sont familiers se trouve brutalement dépourvu dès lors qu’on lui demande d’utiliser une messagerie électronique, de s’y retrouver sur un site d’information en ligne, ou de pratiquer tout autre usage courant chez les adultes. Ce même néophyte qui, chaque jour, envoie des messages électroniques, met en page ses cours sur traitement de texte et, peut-être, récupère sur son ordinateur ses photographies numériques est déjà bien plus savant qu’il ne croit. Ainsi, ceux qui ont eu l’occasion d’échanger quelques courriels avec leurs élèves ont mesuré combien l’exercice est difficile pour ces derniers : comment utiliser la messagerie ? Comment s’adresser à l’enseignant ? Comment commencer un message, comment l’achever ? Quel niveau de langue employer ? Comment vérifier l’orthographe du texte ? Comment envoyer un devoir en pièce jointe ? Les enseignants sont beaucoup plus à l’aise que les élèves avec les nouvelles technologies lorsqu’il s’agit de faire face à toutes sortes de situations de communication aussi nouvelles qu’authentiques, que ces derniers ne maitrisent pas. Si les ados ont une attitude décomplexée face aux technologies, il n’en va pas de même face à l’information et à la communication proprement dites. Voilà deux domaines que les enseignants, même peu à l’aise avec la technique, ont à leur faire découvrir. les commentaires (« Lâchez vos coms ! »), bref, où ils font l’épreuve de leur relation aux autres. Plus rarement, ils nouent des relations en ligne avec des adolescents qu’ils ne connaissent pas autour d’un thème de prédilection commun. Dans tous les cas, ils font d’Internet un « laboratoire social », « égocentré », où se construit leur identité, sorte de miroir numérique où ils modèlent leur propre image. La communication y a pour but de forger sa personnalité. L’adolescent y part à la découverte de soi. Les adultes utilisent désormais eux aussi massivement Internet, mais pour un usage surtout professionnel, qui englobe au minimum le ou les logiciels qu’ils utilisent dans le cadre de leur tra- Entre les usages de loisir qui sont ceux des ados, et les usages pratiques qui sont ceux des adultes, toute une éducation est à faire, dont il appartient à l’école de s’emparer. Des usages d’ados aux usages d’adultes Les usages des adolescents se caractérisent par leur aspect ludique ou de loisir. Quand ils ne jouent pas en ligne, ils se retrouvent entre eux, généralement avec des camarades de classe ou qu’ils connaissent réellement, sur un chat, un blog ou un réseau social où ils se confrontent à leurs « amis », guettent vail (pour les enseignants : gestion des notes, des bulletins, voire des évaluations, ENT, iProf, etc.), mais aussi le courrier électronique, le traitement de texte et le navigateur. Autant d’usages centrés non plus vers soi, mais vers la production de documents, l’information, l’échange ; Internet est une fenêtre ouverte sur le monde, qui permet d’interagir et de collaborer à distance. Entre Les Cahiers pédagogiques n° 482, juin 2010 11 Dossier Le Web 2.0 et l’école ces usages de loisir qui sont ceux des ados, et ces usages pratiques qui sont ceux des adultes, toute une éducation est à faire, dont il appartient à l’école de s’emparer. L’Internet des adolescents et celui des adultes sont ainsi comme des sphères qui évoluent dans le même univers sans jamais se croiser. Comment accompagner les jeunes dans ce passage d’un Internet-miroir à un Internet-fenêtre ouverte sur le monde ? Quels compétences, savoirs, savoir-faire inculquer ? Sur quels acquis s’appuyer ? Du chat au courrier électronique Si les jeunes méconnaissent souvent la messagerie électronique, l’un des outils les plus prisés par eux est MSN, qui permet d’échanger en direct par écrit avec n’importe quel correspondant à travers une fenêtre de chat. Beaucoup d’adolescents, à peine rentrés chez eux après l’école, ouvrent MSN pour rester en contact avec leurs copains. Les échanges sont souvent assez indigents, même s’ils sont très investis affectivement. La nécessité d’écrire au clavier, et rapidement, a développé ce que nous appelons, nous autres adultes, le « langage SMS » (« Lol ! », « mdr ! », etc.). MSN constitue donc une première forme de communication via Internet, encore rustique, mais qui est pour eux le premier modèle de cette communication plus élaborée qu’est le courrier électronique. Il y a là quelque chose à enseigner pour les accompagner dans ce passage, en dehors de la seule technique de l’outil : comment adapter le contenu de son message et son expression écrite à ses destinataires ? Le « Cordialement », par exemple, ne s’invente pas. Et il n’est pas très naturel sous le clavier d’un ado. Pour cela, il est nécessaire de placer les élèves dans des situations de communication authentiques, en prise avec le cadre scolaire (c’est-à-dire en dehors de leur cercle intime), avec un objectif donné ; d’abord par chat (échanges avec une classe distante, des correspondants anglais par exemple) puis par courriel (échanges avec l’enseignant au cours de l’année, avec le propriétaire d’un site, avec l’auteur d’une information en ligne, avec un ayant-droit pour demander l’autorisation de reproduction d’une image, d’un texte, etc.). Apprendre aux adolescents à entrer dans le monde numérique, ce n’est donc pas seulement les initier à un outil, c’est d’abord leur faire découvrir qu’Internet ne sert pas qu’au loisir, mais également à échanger, 12 au-delà du narcissisme, en vue d’atteindre un objectif commun. Du forum à la liste de discussion Beaucoup d’enseignants partagent des informations sur les listes de discussion professionnelles, généralement disciplinaires. Pour discuter sur un sujet donné, les adolescents préfèrent le forum de discussion, moins contraignant. Sur un forum, les messages ne s’échangent pas par courrier électronique, ils sont directement affichés sur une page web. Il suffit de passer par là et de laisser un message ; l’anonymat est la règle générale. Sur une liste de discussion, au contraire, on est davantage impliqué : on s’inscrit en donnant son adresse électronique, on apparait généralement avec son vrai nom, s’engageant ainsi d’une part à recevoir tous les messages échangés, d’autre part à assumer la responsabilité de ce que l’on écrit, et (ce qui n’est pas propre au Web) pour savoir se diriger directement vers les grands sites repères (médias en ligne, blogs influents, services publics, encyclopédies, dictionnaires, bases de données, etc.). Où chercher, par exemple, les tableaux du Louvre évoquant des scènes des Métamorphoses d’Ovide ? Pas dans Google… mais sur le site du ministère de la Culture, dans la base Joconde 2. Il existe de nombreuses bases de données sur le Web auxquelles Google n’a pas accès, et qu’il ne propose donc pas. Il faut les connaitre, et c’est encore une chose que tout enseignant peut apprendre à ses élèves à l’occasion d’une recherche sur Internet. Quelques activités en salle ordinaire ou en salle informatique permettent de fixer des habitudes, des repères : observer la première page de Google lors d’une requête, par exemple, en se Faire passer les élèves d’un usage Facebook où l’on se pâme sur sa page, à un usage Wikipédia où l’on travaille ensemble vers un but commun, où l’on argumente, est un défi que tout enseignant pourrait souhaiter relever. qui sera conservé dans les archives de la liste. Écrire sur une liste en assumant son identité et ses propos n’est pas une démarche naturelle pour nos élèves, qui préfèrent rester derrière un confortable anonymat. Là encore, c’est à l’école d’apprendre à chacun à assumer la responsabilité de ses écrits. De Google au Web invisible Ce qui est dit sur la communication vaut également pour l’information. Sa maitrise sollicite trois compétences importantes et difficiles, qui s’acquièrent tout au long de la scolarité et doivent donc être abordées tôt : il s’agit d’apprendre à trouver l’information, à en évaluer la fiabilité puis à la synthétiser pour en faire son miel. Ainsi, pour trouver les horaires du Paris-Lille du lundi matin, certains tapent « horaires train Paris-Lille » dans Google, d’autres vont directement sur le site de la SNCF. Ceux pour qui Google est l’unique porte d’entrée sur le Web, comme c’est le cas de la plupart des élèves, risquent de perdre du temps et de passer à côté de l’essentiel, car la démarche de recherche d’informations est le contraire du zapping facile et parfois illusoire de Google. Elle demande en effet une connaissance suffisante des grandes institutions ou organisations Les Cahiers pédagogiques n° 482, juin 2010 demandant quel lien risque d’être le plus pertinent, en fonction des informations données sur la page de résultats de la recherche3. Le mieux est de le faire en salle de classe ordinaire, en distribuant la page sous forme imprimée, puis d’en débattre oralement. Pour évaluer la fiabilité des informations, il faut systématiquement inviter les élèves à vérifier les sources, les croiser, mais surtout s’interroger, lorsqu’on visite un site, sur l’identité de son éditeur, sur la légitimité de l’auteur de l’article qu’on lit, etc. Un exemple d’activité en 6e consiste à lancer une recherche documentaire sur le dahu. On trouve sur Internet de nombreux sites d’allure très scientifique sur la question, des photos de dahus, etc. Bien souvent, également, le fait de proposer une activité de publication en ligne aux élèves suffit à leur faire comprendre que n’importe qui peut, techniquement, publier n’importe quoi, et que l’information sur le Web doit donc être considérée avec circonspection4. Pour apprendre à synthétiser l’information, on peut faire réaliser aux élèves un diaporama qui devra servir de support à un exposé oral, en cinq diapositives maximum, comportant chacune une image et une phrase. Le but est que les élèves ne retirent de leur recherche que les cinq informations les 1- Apprendre, enseigner : de nouvelles postures ? plus importantes, les résument chacune en une phrase courte, mais sachent les étayer à l’oral lors de leur exposé. Des Skyblogs aux blogs du Monde.fr Le blog est un usage adolescent bien connu. Bien connu ? En fait, on sait que les ados en publient, mais on sait moins ce qu’ils y écrivent exactement, et on ne sait pas toujours non plus que le blog est aussi, et même surtout, une pratique d’adulte : blogs journalistiques, artistiques, littéraires ou politiques abondent sur le Net, dont les plus influents nourrissent même désormais les médias traditionnels et le débat public. Il y a donc, à côté des blogs d’adolescents avec leur abondance d’images et leur indigence de mots, toute une blogosphère visibles par tous les autres amis. Il y a là un usage social orienté vers la publication et l’échange avec les autres, mais son but reste toujours purement narcissique. Non loin de là sur le continent Internet, une autre plateforme de publication se nourrit du travail de ses utilisateurs : il s’agit de Wikipédia. Cette fois, le but n’a rien de narcissique, puisque les échanges et le travail commun sont centrés vers la réalisation d’une gigantesque encyclopédie en ligne, dont il faut certes apprendre à se méfier par certains aspects, mais dont il faut aussi savoir reconnaitre l’excellence et l’utilité. Faire passer les élèves d’un usage Facebook où l’on se pâme sur sa page, à un usage Wikipédia où l’on travaille ensemble vers un but commun, où l’on aux élèves, c’est donc à maitriser l’ensemble de ces questions : que puis-je faire d’autre sur Internet que de parler avec mes copains ? Quelle est la fiabilité de telle ou telle page publiée ? Où trouver telle ou telle information ? Puis-je publier n’importe quoi ? Faut-il garder l’anonymat dans tous les cas ? Comment assumer ce que j’écris ? Comment gérer mon identité numérique ? Voilà quelques-unes des véritables questions que l’école doit se poser, et apprendre aux élèves à se poser, pour former les citoyens de demain. Le rôle des enseignants face à ces technologies est désormais d’aider l’élève Narcisse à se jeter à l’eau et à découvrir l’autre là où il ne voyait que lui. Tout cela n’est qu’un rapide tour d’horizon. Au-delà des compétences hachées du B2i, peut-être faudrait-il définir, avec la liberté d’un texte en prose, l’ensemble des connaissances, compétences et savoir-faire que l’on pourrait souhaiter voir acquérir par nos élèves en termes de culture numérique, dans chaque discipline. Un projet que l’on pourrait mener ensemble sur un wiki ? Caroline d’Atabekian Professeure de français, présidente de WebLettres Remerciements à Annick Anglade citoyenne, qui s’affiche sur lemonde. fr et autres grands sites de médias, en méconnaissant totalement les Skyblogs d’adolescents qui évoluent dans un autre univers où ils tournent indéfiniment sur eux-mêmes. Là encore, l’école a un rôle à jouer pour faire découvrir aux élèves le sens que peut prendre la publication d’un blog lorsqu’il s’agit de défendre une cause, de présenter un thème, ou toute activité de publication autre que la seule mise à l’épreuve de soi avec l’autre. Cela peut se faire en travaillant à partir d’un blog d’adulte sur un thème donné, ou encore en proposant aux élèves de tenir un blog de classe, ce qui aujourd’hui ne nécessite aucune connaissance technique. De Facebook à Wikipédia Facebook est une plateforme toujours plus élaborée et interactive pour la mise en avant de soi et l’échange avec des « amis » ; photos, vidéos, humeurs de l’heure et du jour, et même intervention des amis sur sa propre page sont discute de ses écrits, où l’on argumente, est un défi que tout enseignant pourrait souhaiter relever. On peut, par exemple, au lycée, proposer aux élèves de rédiger ou d’enrichir un article de Wikipédia sur un thème donné (d’actualité, de préférence). Cela permet en outre d’aborder toutes les questions relatives à la publication en ligne, à la responsabilité de celui qui publie, à l’esprit critique de celui qui lit. Au collège, on peut de la même manière rédiger un article dans Wikimini, l’encyclopédie collaborative des enfants. Du miroir à la fenêtre Les enseignants ont tout à faire découvrir aux élèves sur Internet, parce que les véritables enjeux ne sont pas liés à la technique. Ils sont liés à ce que l’on connait depuis longtemps, mais qui prend des formes nouvelles : la publication et, notamment, le fait que tout un chacun puisse aujourd’hui publier n’importe quoi n’importe quand. Ce que les enseignants doivent apprendre 1 Selon une expression de Jean-Noël Lafargue sur Ecrans.fr le 11 mars 2010, « Les jeunes ne sont plus intéressés par l’outil-ordi », interview d’Astrid Girardeau. 2 Base de données des œuvres du Louvre, sur le site du ministère de la Culture. 3 Voir Jalons pour la poésie, de Ronsard au multimédia, p. 63-67 : étude en classe de la page de résultats de la recherche dans Google sur le mot-clé « Baudelaire », WebLettres-CNDP, coll. WebLettres in Folio, juin 2007. 4 D’autres exemples dans le n° 57 des Dossiers de l’ingénierie éducative, avril 2007, « La maitrise de l’information » (disponible sur Internet). Les Cahiers pédagogiques n° 482, juin 2010 13 Dossier Le Web 2.0 et l’école Enseigner à l’heure du 2.0, c’est d’abord enseigner Hubert Guillaud Journaliste spécialiste d’Internet, l’auteur propose des pistes pour accompagner les jeunes dans l’univers numérique, sans diabolisation, sans naïveté non plus, en assumant pleinement le rôle de parent ou d’enseignant. A ccompagner les enfants sur Internet est une mission difficile. Difficile, parce que les enfants ont déjà leurs propres pratiques, parfois plus expertes que ceux qui sont censés les leur enseigner1. Difficile parce qu’Internet est un espace complexe et hétérogène, qui a tendance à introduire l’espace intime dans l’espace public, qui brouille les notions qu’on pensait maitriser jusqu’à présent en introduisant de nouvelles métriques nécessitant de nouveaux apprentissages. Difficile parce qu’on ne cesse de nous répéter qu’Internet est un terrain dangereux – virus, spamming, happy slapping, sexting, mais également violence, sexe, vol et pédophilie comme le suggérait la campagne démagogique de la secrétaire d’État à la famille de la fin de l’année 2008 – au point qu’on pourrait le croire plus dangereux que l’espace physique. Bien des collèges ne sontils pas plus en émoi avec des histoires liées à Internet qu’avec le réel ? Difficile, enfin, parce qu’emmener les enfants sur le net supposent de les faire entrer dans le panoptique des réseaux : d’un coup, ils auront une identité, produiront des données qui pourront être surveillées, tracées, volées, détournées, fliquées. La société numérique est ambivalente. Elle construit à la fois de nouvelles libertés et de nouvelles surveillances. Beaucoup de professeurs rechignent pour ces raisons à accompagner leurs élèves, à aller plus loin que ce que le B2I les oblige. Seule une faible proportion d’entre eux cherchent à innover avec Internet pour construire de nouveaux rapports à la connaissance2. On préfère interdire les téléphones mobiles à l’école plutôt que chercher à exploiter ces puissances de calcul et de communication disponibles dans les poches de chaque élève (alors qu’on essaye désespérément et à grands frais d’équiper 14 les classes en ordinateurs, en tableaux blancs interactifs…)3. Pourtant, quand on lit les propos des experts en science de l’information, on entend partout le même constat : le besoin criant d’accompagnement des plus jeunes pour que ceux-ci soient armés à mieux comprendre cette nouvelle phase de l’industrialisation de la culture et de la connaissance dans laquelle ils vont grandir, qui n’a rien à voir avec celle qu’on construit les médias de masse au xxe siècle. Apprendre à gérer le risque et à perdre le contrôle Il va pourtant bien falloir s’y acclimater. Comme dans la vie réelle, il n’y a aucune de mal à percevoir les risques posés par la « société de surveillance » qu’ils ont eux-mêmes grandi en étant constamment surveillé par ceux qui, parents et enseignants notamment, affectent, dirigent ou contrôlent directement leur vie privée : « Leur panoptique personnel (administré par des personnes qu’ils connaissent et voient quotidiennement) est bien plus intrusif, menaçant, direct et traumatique que ne pourraient l’être des panoptiques gouvernementaux ou contrôlés par des entreprises privées. L’érosion de la vie privée commence à la maison, pas au niveau gouvernemental ou marchand. Et tant que nous ne trouverons pas un moyen d’offrir plus de vie privée à ces jeunes, dans leur vie intime, ils n’aspireront pas à plus de vie privée dans leurs vies publiques 5. » Le numérique exacerbe tout, au moins parce qu’il inscrit et mémorise ce qui bien souvent, avant lui, relevait de formes orales. Internet garde trace de « La tentation de l’hypercontrôle constitue une antiéducation qui renforce le clivage entre les générations, conduit les adolescents à refuser tout contact avec les adultes, et leur apprend à mentir. » solution technologique à la sécurité en ligne des mineurs 4. Heureusement, car la tentation de l’hypercontrôle n’est en rien une solution. Comme le souligne Danah Boyd, spécialiste des pratiques numériques adolescentes : « Ainsi, angoissés par ces messages à répétition, les parents sont tentés de vouloir surveiller les activités de leurs enfants sur ces réseaux, de les décourager ou pire, de les empêcher, toutes choses qui aboutissent à une seule chose : encourager ces adolescents à dissimuler leurs pratiques. » Elle porte un message politique fort : « La tentation de l’hypercontrôle constitue une antiéducation qui renforce le clivage entre les générations, conduit les adolescents à refuser tout contact avec les adultes, et leur apprend à mentir. » En 2006 déjà, Danah Boyd remarquait aussi que les adolescents étaient d’autant plus « blasés » par la notion de vie privée, et qu’ils avaient d’autant plus Les Cahiers pédagogiques n° 482, juin 2010 tout, même les réflexions les plus idiotes. Pour autant, ce n’est pas cet aspect d’Internet que les enfants ont besoin de découvrir. Celui-ci, ils le maitrisent souvent très bien. Mais il faut leur montrer l’intelligence du système : la force des liens qui conduisent d’une idée l’autre, d’un concept à sa source, d’une connaissance à une idée ; le décryptage des phénomènes agrégatifs, les phénomènes commerciaux. Dans ce schémalà, les professeurs n’ont rien à perdre de leurs savoirs. Ils peuvent au contraire montrer combien ces outils permettent de partager le savoir, de comprendre, et aussi de surveiller : ainsi, les lectures ne sont plus anonymes, elles laissent une trace qui peut par exemple permettre de savoir si les élèves ont bien cliqué sur le lien indiqué par leur professeur, comme le démontrait récemment JeanMichel Salaün6. 1- Apprendre, enseigner : de nouvelles postures ? Apprendre à construire ses identités numériques La vie privée se transforme sous nos yeux. Une nouvelle identité nous compose. Multiple. Active. La notion « d’identité numérique » désigne l’expression dans le monde numérique de l’identité civile et sociale d’un individu. Les deux ne coïncident pas : d’une part, ce qu’on montre de soi sur Internet n’est pas nécessairement fidèle à ce qu’on est pour son entourage physique ; d’autre part, les manifestations numériques participent de la construction continue d’une identité qui n’est plus seulement l’identité civile, mais un « récit de soi », à la fois mise en scène, enracinement et production de sens. « Comme d’autres “identités” conventionnelles, l’identité numérique, ou les identités numériques, acquièrent une autonomie et commencent à jouer un rôle à part entière dans la pro- les éduque à se comporter en société, il faut les accompagner dans l’utilisation des outils numériques. Il faut en particulier aider les enfants à comprendre que ce qu’ils font sur Internet a des conséquences et que c’est à eux d’en être maitres. Si l’information qu’ils postent aujourd’hui sur le Web ou qu’ils envoient à leurs amis leur semble insignifiante ou amusante, il n’en sera peut-être pas de même dans quelques années, comme l’explique Lidija Davis en rappelant que ces outils ne proposent pas vraiment de bouton « effacer » 9. Et pour le comprendre, comme le répète depuis longtemps Mario Asselin, il faut s’y confronter10. Leur montrer les pièges, les chausses-trappes dans lesquels ils vont glisser s’ils n’y prennent pas garde, leur expliquer, par la pratique, les conséquences de l’acte d’être en ligne, d’être connecté, de publier, d’être en réseau. Ce n’est pas l’outil qui est dangereux, c’est de laisser les enfants l’utiliser seuls. De la même manière qu’on les éduque à se comporter en société, il faut les accompagner dans l’utilisation des outils numériques. duction des identités personnelles et collectives. Pour les plus conscients et outillés des individus en tout cas, le numérique présente en particulier certains avantages lorsqu’il s’agit de jongler avec des identités diverses, de dire, masquer ou travestir certaines informations, de négocier de l’information en échange de contreparties, etc. Le numérique transformerait en quelque sorte les bricolages identitaires traditionnels en constructions explicites, outillées, évaluables. On apprend alors à se mettre en scène sous certaines formes ; à cloisonner différents mondes ; à négocier ses données ; à mentir de manière crédible ; à bâtir des identités “spécialisées”, parfois denses et solvables… Le tout contribuant, toujours, et sauf pathologie, à la construction continue de sa propre identité 7. » Il faut apprendre aux enfants à composer avec ces multiples identités. Or, bien souvent, ceux-ci en savent plus que leurs ainés sur la gestion des pseudonymes, hétéronymes, de l’anonymat, sur les procédures d’identification. Souvent, ils se retrouvent seuls à comprendre et gérer cette complexité, sans en saisir parfaitement les enjeux. La défenseure des enfants, DominiqueVersini, souligne que « les jeunes déplorent l’ignorance des adultes sur Internet 8 ». Ce n’est pas l’outil qui est dangereux, c’est de laisser les enfants l’utiliser seuls. De la même manière qu’on Coconstruire plutôt qu’enseigner ? Les professeurs ne sont pas confrontés à une perte de contrôle, ils font face à un changement de ce qui est contrôlable, mesurable. Leurs anciennes métriques ne sont plus adaptées, de nouvelles prennent place qu’il leur faut apprendre à maitriser. À l’heure de la connexion permanente, apprendre par cœur et de régurgiter de mémoire suffit moins que jamais ; l’important est la capacité d’analyse, de compréhension et de synthèse des élèves, la capacité à chercher des informations sur Internet, à les vérifier, à s’assurer de leur validité. La parentalité numérique, c’est d’abord de la parentalité, pas de la technologie. Comme le rappelle André Gunthert11, « aucune solution technique ne peut exonérer d’une démarche éducative et sociale ». C’est à nous de nous intéresser à ce que font nos enfants. Pas tant pour les fliquer, les surveiller ou les « empêcher », mais pour leur apprendre les limites de leur liberté. Ce n’est pas tant l’enfant qui doit être protégé que l’adulte qui doit savoir l’accompagner, qui doit savoir lui donner quelques règles pour utiliser ces outils. La règle n’est pas nécessairement de lui fournir un téléphone mobile à son entrée en 6e, ou un accès à Internet dans sa chambre, mais bien d’expliquer à son enfant comment Internet fonctionne non pas techniquement (ils le savent souvent mieux que nous), mais socialement et culturellement (et là, ils ont tout à apprendre). De la même manière, l’enseignement numérique, c’est de l’enseignement. Certes avec des outils et des pratiques renouvelées, mais d’abord de l’enseignement. Et les outils numériques ont un formidable potentiel pour cela. Ce sont des outils pour raconter des histoires, pour mémoriser, pour se confronter au monde… En connaissez-vous beaucoup d’autres ? Hubert Guillaud Rédacteur en chef d’InternetActu.net http://www.internetactu.net Les adresses Internet complètes des articles référencés sont indiquées sur la page de notre site présentant ce dossier « Le Web 2.0 et l’école ». 1 Parfois. De nombreuses études montrent pourtant bien que leurs pratiques ne sont pas si assurées et expertes que cela, par exemple : Brigitte Simonnot, « De l’usage des moteurs de recherche par les étudiants », in L’entonnoir, C&F éditions 2009, dirigé par Brigitte Simonnot et Gabriel Gallezot. 2 Cf. Julie Chupin et Aurélie Sobocinski, Quand l’école innove, édition Autrement, 2009. Voir également le Forum des enseignants innovants organisé par l’équipe du Café Pédagogique. 3 Hubert Guillaud, Rallumons les téléphones mobiles dans les classes, www.internetactu.net ; Nicholas Bramble, Éducation, Facebook doit entrer à l’école, www.slate.fr ; Jean-Marc Manhach, Et si on autorisait les bacheliers à se connecter à l’Internet, www.internetactu.net ; Jean-March Manhach, Les cours en ligne plus efficaces que les salles de classe, www.internetactu.net 4 Se reporter à Il n’y a pas de solution imparable pour protéger les enfants sur Internet, Comment les jeunes vivent-ils et apprennent-ils avec les nouveaux médias ?, et Sur Internet les enfants ne s’éduquent pas seuls, www.internetactu.net 5 Cité par Jean-Marc Manach in La vie privée, le point de vue des petits cons, article faisant suite à La vie privée : un problème de vieux cons ?, www. internetactu.net 6 Jean-Michel Salaun, L’anonymat de la lecture, blogues.ebsi.umontreal.ca 7 Définition de l’identité numérique par le groupe de travail de la Fondation Internet Nouvelle génération sur les identités actives, à compléter par un lexique des termes de l’identité numérique : www. identitesactives.net 8 Citée par Hubert Guillaud dans Il n’y a pas de solution imparable pour protéger les enfants sur l’internet, www.internetactu.net 9 Voir les initiatives de la CNIL comme www. jepubliejereflechis.net et le jeu en ligne www.2025exmachina.net 10 Voir par exemple Mario Asselin, Le défi des natifs de l’internet, www.internetactu.net 11 André Gunthert, Le filtrage d’Internet, ou comment rejouer le fiasco des DRM, www.arhv.lhivic.org Les Cahiers pédagogiques n° 482, juin 2010 15 Dossier Le Web 2.0 et l’école Communication numérique et pédagogie Jacques Crinon Les outils de communication numérique rencontrent des pratiques pédagogiques anciennes en favorisant des modalités d’apprentissage par coopération, par interactions, dans des situations complexes. Pour quelle efficacité ? D ès lors que l’usage des technologies de la communication se développe dans la vie sociale et professionnelle, il serait paradoxal que l’école ne les adopte pas. La première raison qui justifie la présence croissante dans les classes des divers outils dont il est question dans ce dossier est bien celle-là : intégrer les outils de communication actuels au quotidien de la classe, c’est initier à leur usage efficace et critique et contribuer à cette « littéracie numérique » qui est devenue un objectif en soi pour le système scolaire. Les supports numériques prennent donc leur place parmi les supports d’enseignement, à côté du tableau noir, des cahiers ou des manuels. Est-ce pourtant suffisant pour convaincre les enseignants hésitants d’adopter de tels outils ? Car l’effort n’est pas mince : s’adapter à des produits qui évoluent sans cesse, tenir compte des caprices des machines et des connexions, se battre pour obtenir les équipements… Cela, pour beaucoup, ne se justifie que si les résultats, sur le plan des acquis des élèves dans les disciplines d’enseignement, sont au moins égaux à ceux que l’on obtient avec des supports plus simples à mettre en œuvre. Apprend-on, et qu’apprend-on, avec des outils de communication électronique ? Trois grandes idées sous-tendent, de manière explicite ou implicite, les pratiques avec ces outils et les recherches qui y sont consacrées : la préférence pour des démarches coopératives plutôt que pour la compétition, le choix de proposer aux élèves des situations complexes et surtout un accent porté sur le rôle des interactions dans les apprentissages. • Coopérer En France, les pionniers de l’ordinateur à l’école ont souvent été des tenants des pédagogies coopératives. En fournissant des alternatives plus performantes 16 à des techniques comme l’imprimerie ou la correspondance scolaire, l’ordinateur s’inscrit alors dans des pratiques portées par des valeurs d’ouverture sur le monde et qui favorisent le respect des autres et l’entraide entre les élèves plutôt que la compétition1. Des chercheurs américains, tels David et Roger Johnson, ont, dans le sillage du psychosociologue Kurt Lewin, théorisé les apprentissages coopératifs ; la théorie de l’interdépendance sociale cherche à décrire les effets des apprentissages en groupe. Plus que sur des effets proprement cognitifs, les recherches conduites dans ce cadre mettent en évidence plonger les élèves dans des situations globales et complexes, plutôt que de s’attacher à des programmations linéaires. Apprendre une langue étrangère, c’est alors avoir des échanges réels avec des partenaires d’un autre pays sur des sujets qui engagent des enjeux personnels et culturels autant que des apprentissages linguistiques2. Apprendre à écrire des textes, dans sa langue comme dans une autre langue, conduit à gérer des projets qui vont jusqu’à la publication et qui suscitent des réactions de lecteurs et des négociations avec des équipiers3. Apprendre en sciences, c’est alimenter des bases de données collaboratives, échanger à ce propos avec des scientifiques, s’approprier la démarche scientifique en pratiquant les sciences « pour de bon », au sein de « communautés » dont les démarches de discussion En fournissant des alternatives plus performantes à des techniques comme l’imprimerie ou la correspondance scolaire, l’ordinateur s’inscrit dans des pratiques portées par des valeurs d’ouverture sur le monde et qui favorisent le respect des autres et l’entraide entre les élèves plutôt que la compétition l’investissement dans la tâche, la qualité des relations ou la « santé psychologique » des apprenants. Et lorsque ce travail en commun se fait à distance, les chercheurs ont observé des phénomènes spécifiques par rapport au travail de groupe en face à face. Ils signalent d’une part la difficulté plus grande qu’en face à face à créer la « communauté d’intérêts » nécessaire à la constitution effective du groupe de travail, d’autre part des effets positifs d’égalisation de statut, permis par l’éloignement, le passage par l’écrit, voire par l’anonymat. La participation aux échanges est moins liée à l’origine sociale, au sexe et au niveau scolaire que dans le contexte scolaire habituel. • Apprendre dans la complexité Une deuxième caractéristique forte des situations d’apprentissage fondées sur les outils de communication est de Les Cahiers pédagogiques n° 482, juin 2010 et de validation des savoirs ressemblent à celles des communautés disciplinaires de référence4. • La nature sociale des apprentissages cognitifs De fait, les notions qui ont sans doute le plus influencé les recherches sur les apprentissages avec l’ordinateur depuis une quinzaine d’années sont celles de « communauté d’apprentissage » et d’« apprentissages collaboratifs médiés par ordinateur ». Citons France Henri et Karin LundgrenCayrol5 : « L’apprentissage collaboratif est une démarche par laquelle l’apprenant travaille à la construction de ses connaissances. Le formateur y joue un rôle de facilitateur des apprentissages alors que le groupe y participe comme source d’information, comme agent de motivation, comme moyen d’entraide et de soutien mutuel et comme lieu privilégié d’inte- 1- Apprendre, enseigner : de nouvelles postures ? raction pour la construction collective des connaissances. La démarche collaborative reconnait le caractère individuel et réflexif de l’apprentissage de même que son ancrage social en le raccrochant aux interactions de groupe. » Dans un travail en collaboration avec des partenaires, l’espace de l’échange est le lieu de transformations conceptuelles où les interprétations personnelles convergent en une connaissance partagée. Les interactions permettent aux apprenants de s’appuyer les uns sur les autres ou sur quelqu’un de plus avancé. Les échanges et les négociations peuvent alors prendre différentes formes : de l’acquiescement du sujet à la proposition du partenaire à la confrontation qui contribue à ébranler les certitudes et oblige à argumenter et à reconsidérer les données de l’expérience. Cette conception de l’apprentissage trouve ses racines dans la psychologie vygotskienne qui met l’accent sur la nature sociale des apprentissages cognitifs. Apprentissages sociaux au sens où les connaissances se construisent, se structurent, s’approprient grâce aux interactions langagières avec d’autres ; en des termes plus techniques, l’interpsychique précède l’intrapsychique. Apprentissages sociaux aussi au sens où les apprentissages sont médiés par des instruments cognitifs, essentiellement langagiers, qui sont le fruit d’une construction sociale historique. À cet égard, on peut considérer que l’une des caractéristiques des situa- tions d’apprentissage utilisant les outils de communication électroniques est d’accroitre le recours au langage écrit. Or l’écriture n’est pas un redoublement de la parole, mais un « transformateur cognitif ». Communiquer par écrit signifie qu’on se prive du feedback immédiat d’un interlocuteur et de la régulation que constituent ses réactions et ses questions (« et ensuite ?… »). L’écrit exige donc un effort particulier pour expliciter ses références hors de la situation d’énonciation, pour construire avec des mots le monde de référence lui-même. Ce nécessaire effort de construction, par le langage, de représentations du monde qui puissent être communiquées suppose une élaboration conjointe de la pensée et du discours. Si l’écrit n’est certes pas la condition de la pensée, les situations d’écriture sont ainsi des relance de la réflexion. L’écriture transforme le temps en espace. La réorganisation des écrits dans l’espace (tableaux, concordances, etc.) donne des moyens pour comparer ou donner une signification nouvelle aux données antérieures. Ainsi, se construisent peu à peu des concepts et plus généralement des connaissances à travers des échanges aboutissant à restructurer progressivement le savoir antérieur, d’« expliquer à sa manière » pour approcher petit à petit les savoirs sociaux admis, en s’enrichissant des représentations et des formulations que les autres se font des notions. Écrire permet ainsi de mutualiser les apports de chacun à la construction des connaissances, mais concourt aussi à la compréhension des situations et à la régulation de l’activité d’apprentissage, c’est-à-dire à l’acquisition de métaconnaissances. C’est un point commun à Ce serait une illusion de croire qu’avec ou sans ordinateurs, il suffit de faire échanger les élèves pour qu’ils apprennent. situations privilégiées d’élaboration de la pensée. En outre, l’écrit constitue une prothèse de la mémoire. C’est parce que les écrits restent que les savoirs ont pu être, historiquement, accumulés, synthétisés, commentés, réexaminés… Dans le cadre de la coopération à distance, les écrits produits peuvent être repris et confrontés, ils fournissent le point de départ d’une toutes les recherches sur les apprentissages collaboratifs médiés par ordinateurs que de souligner la dimension « méta » (métalinguistique, métacognitive, métastratégique) des interactions qui se produisent dans ces environnements. Les élèves commentent leur activité au cours des projets de travail à distance, formalisent des règles d’action, explicitent les buts et les procé- Les Cahiers pédagogiques n° 482, juin 2010 17 Dossier Le Web 2.0 et l’école dures, procèdent à des bilans partiels, toutes activités qui concourent à rendre leurs apprentissages plus « intentionnels ». C’est sur quoi ont insisté Marlene Scardamalia et Carl Bereiter à propos du projet CSILE : il y a apprentissage intentionnel lorsque « l’élève essaie activement d’atteindre un objectif cognitif, et non pas simplement de bien faire des tâches scolaires ». Or la compréhension par les élèves des buts et des enjeux cognitifs des tâches scolaires est un aspect particulièrement important pour leur réussite6. Un autre bénéfice de la communication à distance par ordinateur est de permettre de faire « d’une pierre deux coups », de concourir à une meilleure « maitrise du langage » à l’intérieur même du curriculum. En faisant des comptes rendus, en décrivant, en élaborant des explications, en argumentant, les élèves apprennent dans les disciplines de référence visées, mais ils apprennent en même temps les conduites discursives ainsi pratiquées et se constituent une culture du débat. • Des situations d’apprentissage efficaces ? Certaines recherches se sont efforcées d’évaluer les apprentissages ainsi obtenus : par exemple, dans le cadre du projet CSILE, en comparant les résultats de classes participantes et de classes extérieures, sur différents critères allant des compétences de lecture au niveau de résolution de problèmes mathématiques ou à la qualité des explications en sciences, on a mis en évidence la supériorité des élèves des classes engagées dans le projet. Ou encore, dans le domaine de la production de textes, on a montré les effets du tutorat par les pairs et du travail collaboratif sur la qualité des textes produits, en L1 et en L2, avec des élèves de différents âges et dans différents genres. Cela ne signifie pas que ces situations didactiques fonctionnent « toutes seules ». Michaël Baker et ses collègues7, étudiant des interactions épistémiques médiées par ordinateurs dans le cadre de la physique au lycée, montrent que ce type de travail est particulièrement exigeant et ne donne de résultats que dans la longue durée ; ils mettent en valeur le rôle des connaissances préalables des élèves et l’importance de l’enseignant qui vient en aide aux élèves engagés dans ce travail. Car ce serait une illusion de croire qu’avec ou sans ordinateurs, il suffit de faire échanger les élèves pour qu’ils apprennent. Les élèves n’acquièrent pas de connaissances par génération spontanée, si l’enseignant ne les place pas dans des situations de communication structurées en fonction d’objec- tifs précis, ne met pas à leur disposition les données qui leur permettent de construire ensemble des savoirs ou des savoir-faire nouveaux et ne leur apporte pas les étayages nécessaires. Des situations que l’enseignant croit favorables à la collaboration parce qu’il laisse la parole aux élèves ne sont parfois que des « conversations à bâtons rompus » qui apportent peu ; elles mettent en outre particulièrement en difficulté les élèves qui ne bénéficient pas, dans leur milieu familial, d’un accompagnement pouvant compenser l’absence d’un enseignement structuré à l’école. Jacques Crinon Professeur en sciences de l’éducation à l’IUFM de Créteil (université de Paris 12) 1 Voir Alain Baudrit, Apprentissage coopératif et entraide à l’école, Note de synthèse, Revue française de pédagogie, n° 153, 2005, p. 121-149. 2 Discussions en ligne au moyen de logiciels dédiés, échanges par courriels, participations communes à l’élaboration de pages Web ont été souvent utilisés depuis une vingtaine d’années en didactique des langues étrangères. Pour des synthèses, voir par exemple : Richard Kern, La communication médiatisée par ordinateur en langues : recherches et applications récentes aux USA. Le Français dans le monde, Recherches et applications, Les échanges en ligne dans l’apprentissage et la formation, 2006, pp. 17-29. François Mangenot, L’apprentissage des langues. In D. Legros et J. Crinon, Psychologie des apprentissages et multimédia, Amand Colin, 2002, p. 128-153. 3 Voir par exemple : Jacques Crinon, Brigitte Marin et Annick Cautela, Comprendre la révision collaborative : élaborer ou utiliser des critiques. Communication au Congrès mondial de linguistique française (CMLF). Paris, 9-12 juillet 2008 En ligne : http://www.linguistiquefrancaise.org. 4 Parmi les projets phares qui ont fait l’objet d’études, citons, en français, « Le monde de Darwin » : http://darwin.cyberscol.qc.ca/ 5 Apprentissage collaboratif à distance, Presses de l’Université de Québec, p. 42. Voir aussi Jacques Crinon, François Mangenot et Patrice Georget, Communication écrite, collaboration et apprentissages. In D. Legros et J. Crinon, Psychologie des apprentissages et multimédia, Armand Colin, 2002, p. 63-83. 6 Comme cela a été mis en évidence, dans une perspective de sociologie de l’éducation, par les travaux de l’équipe Escol. Voir Élisabeth Bautier et Patrick Rayou, Les inégalités d’apprentissage, PUF, 2009. 7 M. Baker, E. de Vries, K. Lund et M. Quignard, Interactions épistémiques médiatisées par ordinateur : la coélaboration de notions scientifiques. In C. Daudelin et T. Nault, Collaborer pour apprendre et faire apprendre, Presses de l’Université de Québec, 2003, p. 121-134. 18 Les Cahiers pédagogiques n° 482, juin 2010 2- Écrire en mode collaboratif Blog, radio, vidéo : tout est bon pour faire écrire Christelle Guillot Le blog, une version moderne de l’imprimerie Freinet ? Des outils assez simples permettent d’aller même plus loin en créant des montages sonores ou vidéos de productions d’élèves, avec des effets importants sur les écrits réalisés en amont. J ’utilise depuis deux ans les blogs comme mode de publication avec les élèves. Au départ, cela m’est apparu comme le prolongement idéal des textes libres de mes élèves. Le blog était mon « imprimerie moderne Freinet ». Au fur et à mesure de ma pratique avec les élèves, je me suis rendue compte que la succession de textes libres sur une page de blog n’incitait pas vraiment à la lecture. L’internaute est vite découragé devant une page remplie de textes, comme l’attestent les articles qu’on lit ici ou là sur cette nouvelle lecture-écran induite par Internet. Je me suis interrogée sur la nature et la forme des textes que nous publiions sur notre blog de classe. Cette question de la mise en forme est d’ailleurs une réflexion intéressante à mener avec des élèves. Le blog, au départ, est fait pour des textes courts, ce que j’avais un peu oublié. En outre, ce qui accrochait mon œil de blogueuse sur les autres blogs de classe de WebLettres1, c’étaient les textes avec photos ou bandes-son. Je me suis donc intéressée à la place de l’écrit dans notre blog et par conséquent au proces- sus de création en classe. Je peux dire maintenant que c’est cette pratique qui a fait évoluer mon enseignement de l’écrit. Dorénavant, les écrits de mes élèves peuvent donner lieu à des films, des livres audios, des livres numériques facilement publiables en ligne. La multiplicité des supports est un moyen d’éviter l’ennui du lecteur, mais aussi de préserver l’enthousiasme des élèves dans l’acte d’écriture en variant les étapes et les prolongements. Ainsi, plutôt faire enregistrer par leurs auteurs euxmêmes ou par leurs camarades. L’idée de retravailler son texte s’impose puisque l’on va le mettre en voix. Le travail de réécriture va de soi, prend du sens. Il n’est pas rare de voir les élèves modifier leur propre texte au fur et à mesure de leur enregistrement. Ainsi, une élève de 4e a pris conscience du manque de ponctuation de son texte en écoutant les silences sur sa bande-son. Elle a donc ajouté des points sur sa version écrite, que l’on garde toujours et qui fait l’objet d’une évaluation au même titre que l’enregistrement. Ces lectures de textes sont écoutées en classe entière, commentées, sélec- L’idée de retravailler son texte s’impose puisque l’on va le mettre en voix. Il n’est pas rare de voir les élèves modifier leur propre texte au fur et à mesure de leur enregistrement. que de mettre leurs textes les uns à la suite des autres, on les met en scène et, du même coup, on leur redonne envie d’écrire. Voici quelques idées testées en classe pour exploiter l’écrit autrement, pour lui donner une autre dimension. Concevoir un recueil de textes sonores Une autre façon de donner vie aux textes des élèves est, par exemple, de les tionnées pour figurer ensuite dans un recueil sonore mis en ligne sur le blog. Fabriquer livre audio, un livre numérique En 6e, les élèves ont créé un catalogue d’objets magiques. Les textes écrits sur papier ont ensuite été enregistrés. Puis j’ai scanné les textes illustrés et réalisé un montage sur le logiciel Photorécit2. Les Cahiers pédagogiques n° 482, juin 2010 19 Dossier Le Web 2.0 et l’école Ainsi, plutôt que de lire les textes des élèves les uns à la suite des autres, on peut les voir défiler et les écouter. Ce montage vidéo donne l’impression de consulter un livre audio. D’autres applications existent pour créer des livres numériques : le logiciel libre Didapages3 et le site Calaméo4, plateforme de diffusion de livres numériques sous licence Creative Commons. Un livre numérique réalisé sur Calaméo peut aussi être publié sur un blog très facilement. Animer une webradio Quand on enregistre les élèves régulièrement, le projet de mettre en place une petite radio devient réalisable. Or, la radio, c’est d’abord de l’écrit, et surtout de l’écrit. Avec une classe de 4e, nous avons réalisé quelques émissions de radio sur un projet de développement durable. Celles-ci sont publiées sur le blog de la classe, mais aussi sur le site du collège. À chaque sortie ou rencontre d’intervenants extérieurs, les élèves ont réalisé une prise de son. Ici, la finalité est encore l’oral, mais l’écrit est une étape à soigner. En français, les idées ne manquent pas pour imaginer des émissions littéraires ou des interviews fictives d’auteurs célèbres, quand on travaille sur leur biographie par exemple. Travail mené en classe par binôme : les élèves sont obligés de retravailler la biographie pour en faire une interview construite. Ils s’approprient ainsi la vie de l’auteur, tout en la retravaillant par écrit, puis à l’oral. La production finale reçoit le regard de la classe entière et peut être mise en ligne sur le blog. Exploiter la vidéo Comme la radio, l’émission de télé doit aussi donner lieu à une phase d’écrit. C’est ainsi que l’année dernière, avec une classe de 6e, nous avons décidé de créer l’émission littéraire Un livre, une minute inspirée de l’émission Un jour, un livre. Les élèves se sont rendu compte de l’importance de l’écrit pour parvenir à une émission efficace. Ici, un simple appareil photo numérique suffit. La contrainte de temps a été posée par le blog lui-même, qui ne supportait pas de vidéo de plus de trois minutes. Les élèves étaient en autonomie lors de la phase d’enregistrement. Cette activité a été menée pendant un mois par des élèves en avance sur le travail mené en classe entière. Je ne l’ai pas retentée cette année, car le profil de la classe est 20 différent, mais c’est une activité tout à fait facile à réaliser. Le projet que je mène actuellement est la réalisation par des élèves de 3e, pour leur blog de classe, d’un film documentaire sur Auschwitz où nous sommes allés au mois de janvier. Les élèves, après avoir vu Nuit et Brouillard d’Alain Resnais et quelques extraits de Shoah de Claude Lanzmann, doivent à leur tour imaginer un film qui rende compte de ce qu’ils ont vu en Pologne. On sent déjà des prises de position différentes chez les uns et les autres (prendre le spectateur par les sentiments ou au contraire faire preuve de la plus grande objectivité). Les élèves ont au préalable écrit et sélectionné les photos soit dans la banque d’images de la classe, soit sur le moteur de recherche Search creative commons qui recense des images, des vidéos ou des sons libres de droits. Un autre projet vidéo a été mené en 4e autour des Travailleurs de la mer de Victor Hugo. Les élèves, après avoir écrit et enregistré leur résumé, ont visité le site de la BNF qui propose une exposition virtuelle autour de l’œuvre de Victor Hugo. Ils ont alors utilisé les dessins de l’écrivain pour illustrer leur résumé. Ces quelques réalisations permettent de voir qu’il est possible d’exploiter de multiples manières les écrits des élèves. L’écrit, grâce au Web, entretient des relations de plus en plus étroites avec l’image ou l’audio. Il acquiert ainsi une nouvelle dimension, intéressante à exploiter de temps en temps en classe. Christelle Guillot Professeure de français au collège à Guérande (Loire-Atlantique) 1 www.weblettres.net/blogs 2 http://tinyurl.com/photorecit - logiciel gratuit, mais non libre. 3 www.fruitsdusavoir.org 4 http://fr.calameo.com Pour fabriquer un livre audio 1. Faire écrire les élèves sur support papier, les faire illustrer chez eux. 2. Avec un micro, les faire enregistrer les textes en salle multimédia sur le logiciel libre Audacity. 3. Scanner les textes. 4. Les intégrer dans le logiciel Photorécit, choisir la transition avec les enregistrements des élèves. On peut aussi faire enregistrer les élèves directement sur Photorécit. Chacun aurait alors la possibilité de se créer son propre livre audio. 5. Sur le logiciel gratuit Super, changer le format de la vidéo, la passer en .flv (format vidéo qui passe le plus facilement sur Internet). 6. Télécharger cette vidéo .flv sur le blog et l’intégrer dans un billet (en copiant/collant le morceau de code donné par le logiciel). Les Cahiers pédagogiques n° 482, juin 2010 2- Écrire en mode collaboratif Trois blogs de classe, trois expériences singulières Yaël Boublil, Loig Le Brouder, Annie Weinachter Trois professeurs d’un même collège, de disciplines différentes, racontent leur expérience avec un blog de classe, avec diverses modalités d’usage et des bilans contrastés. – Loig Le Brouder : Tout a commencé l’an dernier quand j’ai conçu un blog en stage PLC2, sur Scolablog. J’ai mené ma petite recherche sur Internet et choisi ce fournisseur parce qu’il était gratuit et que son interface me paraissait très simple. J’ai fait signer aux parents une autorisation dont le modèle était proposé sur Scolablog et j’ai prévenu le principal de la mise en place de ce blog. En guise de séance de prise en main, j’ai accueilli les élèves par demi-groupes en salle informatique sur des heures de vie de classe. Je leur ai dit que mon objectif était qu’ils communiquent entre eux et avec moi, et d’accompagner nos projets sur l’année. Ils ont été immédiatement enthousiastes et à l’aise avec l’outil. Je leur ai d’abord demandé de publier des articles « coucou » ou « test » pour voir si tout fonctionnait bien. Ensuite ils devaient se mettre par groupe de deux et de rédiger un article sur un sujet de leur choix. Par la suite, les élèves se sont connectés sur le blog en dehors de la salle informatique. Deux d’entre eux seulement ont eu besoin de recourir au CDI (l’un n’a pas d’équipement, l’autre a un filtre parental trop tatillon…). Les autres se connectent depuis chez eux. J’ai organisé des temps de travail sur le blog à trois ou quatre reprises en demi-groupes pour les inciter à mettre en ligne leurs articles. Chaque fois, ils pouvaient discuter librement de leurs textes et les mettre en page ensemble. Les articles sont courts et portent sur des sujets qui leur plaisent : l’actualité (en particulier sportive), la vie de la classe, celle de l’établissement. J’espérais ainsi lancer une dynamique qui fonctionnerait ensuite en dehors de la classe et de ma présence. Pour ma part j’insère des articles sur l’organisation pratique du collège (dossiers et documents à rendre, devoirs communs, etc.). La fonction « commentaire » n’existe pas sur Scolablog, mais les élèves s’autorisent des fils de discussion sauvages en répondant dans un autre article à un article précédent. En ce qui concerne la correction de la langue, je corrige toutes les fautes avant de publier. Le travail n’est pas trop accablant, car je jette un coup d’œil très régulièrement pour ne pas être débordé. Du point de vue des droits, ils mettent assez peu d’images, ce qui me permet de vérifier systématiquement si elles sont libres de droits. Si ce n’est pas le cas, je supprime l’image et la remplace par un lien vers le site sur lequel elle a été trouvée. (des 5e) qui m’ont demandé de créer un blog, une semaine avant la Toussaint. Après de vains essais, sur les conseils de Loig, j’ai opté pour Scolablog. Pour moi, il s’agit d’abord d’un outil de communication avant d’être un projet pédagogique formalisé. J’ai présenté le blog en classe « ordinaire », comme un bon moyen de communication entre eux et moi. Les élèves étaient ravis que je fasse quelque chose pour eux, rien que pour eux… Au départ, la plupart s’y connaissaient mieux que moi. Beaucoup ont Internet à la maison, seuls deux ou trois sur une classe de vingt-et-un élèves dépendent des ordinateurs du CDI. J’avais une très vague idée de ce qu’est un blog. Je les ai laissé publier leurs premiers articles et j’ai répondu aux questions qu’ils posaient, en rédigeant moi-même des articles. Je n’ai pas réussi à les amener à un usage pleinement autonome et, à partir du moment où les séances de travail en classe ont cessé, le blog est peu à peu tombé en déshérence. J’ai l’impression que le blog a contribué à donner une meilleure atmosphère dans cette classe agitée. Il a suscité une collaboration entre les élèves et, pour certains, a permis de trouver des affinités. Malheureusement, je n’ai pas réussi à les amener à un usage pleinement autonome et, à partir du moment où les séances de travail en classe ont cessé, le blog est peu à peu tombé en déshérence. Si c’était à refaire, avec l’expérience de cette année, je changerais de fournisseur et d’objectifs. Ce serait davantage mon blog, j’y proposerais un cahier de textes en ligne, des liens vers des ressources intéressantes en mathématiques. Enfin, je créerais des comptes pour tous les collègues de la classe afin qu’ils puissent l’utiliser eux aussi. Mais ce ne sera pas tout de suite, j’ai d’autres projets plus disciplinaires pour l’année prochaine… – Annie Weinachter : Ce sont les élèves dont je suis la professeure principale J’ai eu du mal à m’organiser, même si j’avais prévu d’utiliser les heures de vie de classe, en groupe. Le blog a servi à préparer les sorties pédagogiques et à rester en contact en janvier quand j’ai eu un arrêt de deux semaines après un accident. Il s’organise sous forme de questions/réponses. Question orthographe, je suis professeure d’anglais, mais effarée par toutes ces fautes de français et je préfère ne rien corriger ! On fait de la correspondance, pas du français ! (Sorry…) Quant aux images, ils n’y ont pas droit ! De toute façon, je vérifie toujours avant de publier. Le blog a renforcé la relation de confiance que nous avions. Les élèves ont senti que j’étais capable de me mobiliser quitte à prendre des risques, puisque je manquais de compétences techniques, pour établir un lien fort avec eux. La classe s’est bien pacifiée à cette occasion. Pour la suite, j’ai besoin Les Cahiers pédagogiques n° 482, juin 2010 21 Dossier Le Web 2.0 et l’école qu’on m’explique ce que je pourrais faire sur le plan de la communication, mais aussi pour le cours d’anglais. – Yaël Boublil : J’ai vu que WebLettres proposait un outil pour créer son blog et je me suis dit que c’était peut-être une piste à exploiter pour mes élèves. Je l’utilise avec mes deux classes de 6e, celle dont je suis professeur principal et l’autre. J’inscris également les élèves volontaires des autres classes que la documentaliste me signale. Initialement, je pensais en faire un portfolio pour les travaux des élèves et mettre en ligne leurs rédactions. Cela me semblait une bonne stratégie pour les pousser à corriger leurs textes et à suivre leur évolution dans les pratiques d’écriture sur l’année. J’espérais que le fait d’être lus par les autres les inciterait à soigner davantage leur production. J’avais fait signer aux parents en début d’année une autorisation globale pour publier les travaux (écrits et oraux) des élèves sur mon site personnel. Celle-ci couvrait l’exploitation des textes, des photos et des vidéos prises lors de travaux en classe. Puis j’ai préparé un document pour que les élèves puissent naviguer sur le blog en autonomie, et je les ai assistés en classe entière en salle informatique pour leur première utilisation de mon tutoriel et du blog luimême. Je leur ai expliqué qu’il s’agissait d’un espace de publication de ce qu’ils écrivaient, qui allait les mettre dans la situation d’un auteur qui veut toucher un public. Ils ont été surpris par l’esthétique très sobre du blog, qui contrastait fortement avec ceux auxquels ils étaient habitués. Du coup, ils ont bien identifié qu’il s’agit d’un blog de classe et non d’un blog personnel. Ma première consigne était : « Choisissez-vous un pseudonyme littéraire pour vous identifier sur le site. » Ensuite je leur ai demandé de rédiger leur premier article en présentant leurs gouts littéraires. Certains se sont beaucoup investis dans cet exercice, ce qui a donné envie aux autres de lire l’ensemble des articles. L’échange ayant été très positif, j’ai décidé de modifier mon projet pour le recentrer autour de la lecture cursive. La plupart des élèves disposent d’une connexion Internet à la maison (vingt sur vingt-cinq dans une classe et dixsept sur vingt-trois dans l’autre classe). Les autres arrivent à se connecter au CDI, lors de l’aide aux devoirs ou dans les associations de quartier qui proposent du soutien scolaire. Je consacre certaines des séances hebdomadaires en salle informatique à la saisie d’articles préparés à l’avance. Au début j’ai trois séances consécutives d’une heure, puis une séance d’une heure par mois. Chaque fois, les élèves ont d’abord lu à la maison le livre qu’ils souhaitent présenter. S’ils le veulent (et le peuvent), ils ont déjà proposé un article ou ils profitent de la séance pour le saisir. Je passe à côté de chacun et je donne des conseils pour améliorer les articles en particulier du point de vue orthographique en les invitant à utiliser des ressources en ligne (dictionnaires, grammaire en ligne, bréviaire d’orthographe…). Chaque mois, je leur demande de proposer la présentation d’un livre qu’ils ont aimé, selon une grille de critères que nous avons élaborée ensemble. C’est un travail noté de lecture cursive qu’ils apprécient beaucoup et qu’ils ont voulu présenter dans le journal du collège. Les élèves aiment signaler qu’ils ont lu également les livres présentés. Il a été nécessaire d’expliquer à l’une des deux classes un peu trop moqueuse quelques notions de « netiquette ». Je propose régulièrement des séances de co-corrections où des binômes reprennent l’ensemble des textes produits, mais j’ai été débordée par le nombre d’articles à corriger et de très, très (trop) nombreuses fautes subsistent. Quant aux images, je n’en autorise l’insertion que si une légende en précise la source. Dans le cas d’une image non libre de droits, je ne valide pas l’article et je demande à l’élève de la retirer. Le fait d’être lu, dont ils ont pris conscience grâce aux commentaires, a renforcé l’attention des élèves sur la qualité rédactionnelle et orthographique de leurs présentations. Beaucoup se sont à cette occasion inscrits au CDI où la documentaliste les a orientés vers des ouvrages susceptibles de leur plaire. Un prêt interne s’est mis en place dans une des classes où les élèves ont échangé leurs propres ouvrages entre eux. Les élèves ont pu valider l’ensemble des items du B2i école (que la plupart n’avaient pas validé) et une bonne partie de ceux du collège. Ils sont beaucoup plus à l’aise avec l’informatique, selon mes collègues de technologie qui ont senti une vraie progression dans ces deux classes. L’an prochain, j’aimerais être assez talentueuse pour créer une charte graphique un peu moins sobre. Je pense me renseigner sur les outils proposés par mon académie pour essayer de l’intégrer dans le site du collège et le rendre plus officiel. Yaël Boublil Professeure de français Loig Le Brouder Professeur de mathématiques Annie Weinachter Professeure d’anglais En collège dans le XXe arrondissement de Paris Le blog de Loig Le Brouder : c64y.scolablog.net Le blog de Yaël Boublil : www.weblettres. net/blogs/?w=En6eaJBC 22 Les Cahiers pédagogiques n° 482, juin 2010 2- Écrire en mode collaboratif Le blog pour réconcilier avec l’école Stéphanie de Vanssay La création d’un blog personnel par des élèves de cycle 3 ayant une mauvaise maitrise de la langue peut être un support décisif pour une aide dans le cadre du Rased, conjuguant des progrès à l’écrit et dans la confiance en soi, ainsi qu’une relation différente à l’enseignant. D epuis 2005, j’accompagne dans la création d’un blog personnel des élèves de cycle 3 rencontrant des difficultés dans la maitrise de la langue écrite. Il peut s’agir d’élèves non francophones arrivés quelques années auparavant en France, d’élèves rencontrant des difficultés en production d’écrit (syntaxe, orthographe grammaticale et lexicale) ou d’élèves en grande difficulté dans le domaine de la lecture. Il est hors de question de reprendre avec eux une méthode de lecture « classique », car ils se sentiraient traités « comme des petits ». Une opportunité pour des élèves en grande difficulté Quand je travaille avec un petit groupe d’élèves en difficulté (ou exceptionnellement en individuel), c’est dans le cadre d’une prise en charge du Rased1 comme enseignante spécialisée à dominante pédagogique. Ces interventions se font à la demande de l’enseignant de la classe, avec l’accord des parents sur le temps scolaire. Généralement il s’agit de deux séances de quarante-cinq minutes par semaine. Le but de cette aide est de mettre l’élève en confiance, de lui montrer ce qu’il sait afin qu’il puisse s’appuyer sur ses compétences pour dépasser ses difficultés. Pour cela, j’utilise le « détour pédagogique », c’est-à-dire que je m’appuie sur d’autres supports que ceux de la classe pour relancer la motivation des élèves et redonner du sens aux contenus enseignés. Je suis donc perpétuellement à la recherche de situations motivantes et vraies, au sens où ces situations doivent permettre la mise en œuvre des contenus scolaires, non pour eux-mêmes, mais parce que les situations l’exigent. Ceci afin de contourner les obstacles cognitifs et de faire évoluer les représentations « bloquantes » des élèves. L’utilisation de l’ordinateur renforce leur motivation et change du travail habituel de la classe. Ils ont en effet appris à utiliser un traitement de texte à l’école et, au mieux, ont eu quelques séances nécessitant de faire des recherches sur Internet. De plus, dans le cadre du très petit groupe (deux élèves) et plus encore d’une prise en charge individuelle, l’ordinateur sert de tiers dans la relation pédagogique et allège le poids du tête-à-tête élève/enseignant qui peut être difficile à supporter pour des élèves déjà fragilisés. À chacun son blog Dans un premier temps, je montre aux élèves quelques blogs traitant d’un thème, dont ceux faits précédemment par mes élèves, comme celui de Tiger sur Dragon Ball2, celui de Maria sur le foot3 ou celui de Valentin sur Naruto4. Ils sont généralement fort impressionnés de découvrir que tel blog a été fait par un élève ou un ancien élève de Il faut ensuite créer une adresse électronique pour chaque élève, avant l’étape de la création du blog proprement dit. Pour cela je fournis aux élèves un mode d’emploi que j’ai rédigé afin qu’ils puissent être en vraie situation de « lire pour faire », ce qui n’empêche pas l’accompagnement de l’adulte, car les élèves de primaire sont peu familiers des formulaires à remplir en ligne. Une fois que le blog est créé, il est important que l’élève se l’approprie en rédigeant une présentation ou son premier article, toujours guidé par un « pasà-pas » écrit qui lui permet d’ajouter le texte et l’illustration qu’il a choisie. Un document intitulé « Comment mettre une image sur un blog » a été rédigé par mes deux premiers élèves blogueurs Tiger et Maria. Bien sûr j’ai veillé à quelques points importants : – ne pas mettre le nom de l’enfant, seulement son prénom, – ne citer ni le nom de l’école, ni celui de la ville, Ils sont généralement fort impressionnés de découvrir que tel blog a été fait par un élève ou un ancien élève de l’école qu’ils connaissent. l’école qu’ils connaissent. Je glisse aussi parmi les blogs à visiter un des miens5, et découvrir que la maitresse aussi a un blog ne manque pas de les surprendre ! Après avoir échangé sur ces blogs, je leur propose de choisir un thème pour en fabriquer un à leur tour. Pour les y aider, j’ai fait un petit questionnaire6 sur leurs centres d’intérêt (ce qu’ils aiment faire, leurs sujets de discussion favoris…) qu’ils remplissent tout en échangeant entre eux et avec moi autour de ce qui les intéresse. Il s’agit d’aider chaque élève à choisir un sujet qu’il aime, qu’il connaisse, qu’il a envie de partager avec d’autres. Il est essentiel que le thème choisi lui tienne à cœur, peu importe qu’il plaise ou non à l’enseignant ! – ne mettre aucune photo d’élève, – mettre en place une modération des commentaires passant par mon adresse électronique, – et bien entendu veiller au contenu publié. Un support pour un accompagnement personnalisé J’accompagne chaque élève en fonction de ses difficultés particulières : certains écrivent, puis nous corrigeons ensemble l’orthographe et la syntaxe ; d’autres ont besoin d’aide pour formuler leurs idées d’abord à l’oral avant de passer à l’écrit ; d’autres ont besoin d’aide pour encoder. Je leur laisse un maximum d’initiative et tente de leur Les Cahiers pédagogiques n° 482, juin 2010 23 Dossier Le Web 2.0 et l’école proposer un étayage sur mesure. Une fois l’activité lancée, les choses s’enchainent, l’élève continue, complète, enrichit, explique. Il répond aux éventuels commentaires de son enseignant de classe, d’autres élèves ou d’inconnus. En cours de travail, l’utilisation d’Internet vient logiquement au secours de l’élève qui recherche un élément qui lui manque, qui veut vérifier une information, trouver une image adaptée à son propos. C’est une excellente occasion d’utiliser en situation réelle la recherche sur Internet, d’apprendre à utiliser un moteur de recherche, déterminer les mots clés pertinents. Les élèves ont aussi recours à d’autres supports pour rédiger leurs articles : livres documentaires, bandes dessinées, images du héros choisi, revues. Depuis cette année, j’utilise aussi l’excellent ouvrage d’Astrid de Roquemaurel Mais non, je blogue ! 7 au fur et à mesure des besoins. ment dénié à l’élève, dont on attend qu’il soit plutôt un consommateur déférent du savoir, au bout de la chaine de transposition didactique 8. » Cette activité de création d’un blog personnel donne une merveilleuse occasion de placer l’élève dans une position différente, ce qui est particulièrement précieux dans le cas d’élèves en difficulté ayant très souvent une image dévalorisée d’eux-mêmes. En effet, dans la situation ainsi proposée il y a d’une certaine manière un « renversement des rôles » : l’élève devient l’expert, celui qui connait son sujet et l’enseignant prend la position du « candide » qui pose des questions, demande des éclaircissements. Mettre dans cette position un élève en difficulté est particulièrement intéressant pour restaurer son estime de soi et sa confiance en lui. Les interactions enseignant-élève se déroulent dans les deux sens où « celui qui sait » n’est pas toujours le même. Le blog est une occasion pour l’élève en difficulté de produire quelque chose de valorisant permettant de retrouver de la confiance en soi. Il permet à l’élève de s’exprimer sur un sujet qui lui tient à cœur, de créer un lien entre son « monde personnel » et ce qu’il apprend à l’école, ce qui lui donne une occasion de s’investir davantage comme « personne » et non seulement comme « élève ». Stéphanie de Vanssay Enseignante spécialisée à dominante pédagogique en RRS (Réseau de réussite scolaire) dans les Hauts-de-Seine L’enseignant se met en quelque sorte au service de l’élève, de l’auteur, l’aidant à préciser sa pensée et à la mettre en forme. Ce livre, adapté aux enfants et joliment illustré, est une mine d’informations sur la création et la gestion d’un blog, le respect de la Netiquette. Non seulement les élèves sont amenés à produire de l’écrit, mais aussi à en lire. Ils travaillent la lecture ciblée sur un but précis, font des synthèses, des reformulations de choses lues sur Internet ou ailleurs. On n’imagine pas, avant de se lancer dans ce travail, tout ce qu’il permet de faire travailler aux élèves, qui en plus le font volontiers, car ils savent dans quel but ils fournissent ce travail. Une nouvelle posture pour l’enseignant Je crains, hélas, que beaucoup d’élèves en difficulté aient le sentiment, comme le dit le sociologue Philippe Perrenoud, qu’« à l’école, on apprend que le savoir est une ressource pour exercer le pouvoir, pour “river son clou à l’autre”, de dire “c’est comme ça parce que je sais”. L’asymétrie du rapport entre le maitre et l’élève condamne ce dernier, pendant neuf ou quinze ans de sa vie, à être privé de parole devant quelqu’un qui parle “parce qu’il sait”. À l’école obligatoire, on est constamment dans une situation de violence symbolique, la connaissance est présentée comme finie, sure, incontestable et comme venant d’ailleurs. Le statut de constructeur de savoir est assez large24 Il s’agit de l’élève quand il élabore le contenu de ce qu’il veut communiquer, et du maitre quand il s’agit de vérifier la cohérence, de respecter la syntaxe, l’orthographe et d’utiliser l’interface d’édition. L’enseignant se met alors en quelque sorte au service de l’élève, de l’auteur, l’aidant à préciser sa pensée et à la mettre en forme. Comme le dit le Groupe d’aide à l’utilisation de logiciels éducatifs, l’usage de l’ordinateur permet de « passer du “face à face” au “côte à côte”, de passer de ce que les élèves présentent souvent comme un “conflit rituel” à de la complicité maitre-élève… 9 » Dans cette situation c’est l’enseignant qui accompagne l’élève dans la réalisation de son projet. L’élève est associé à l’élaboration de ses savoirs, même si c’est l’enseignant qui propose le projet, car, pour que l’élève adhère, il va lui laisser une part d’initiative, un espace de liberté, des décisions à prendre. L’élève peut déterminer le thème qu’il veut traiter, comment il va le traiter, et aussi certains aspects de la forme : type de textes, habillage du blog et choix des illustrations. L’élève progresse dans sa maitrise de la langue parce qu’il en a besoin pour mener à bien son projet de blog, parce qu’il veut communiquer sur un sujet qui lui tient à cœur et qu’il tient à sa mise en valeur : il veut être compris, présenter un texte sans faute et impeccablement mis en forme. Les Cahiers pédagogiques n° 482, juin 2010 Les adresses Internet complètes des articles référencés sont indiquées sur la page de notre site présentant ce dossier « Le Web 2.0 et l’école ». 1 Réseau d’aide spécialisée aux élèves en difficulté, composé d’enseignants spécialisés intervenant dans les écoles maternelles et élémentaires. 2 dragonballgt12.blogspot.com 3 mariaaimelefoot.blogspot.com 4 naruto92290.blogspot.com 5 Situations motivantes, lewebpedagogique.com/ devanssay et Aventures mathématiques, aventuresmathematiques.blogspot.com 6 Vous trouverez sur mon blog Situations motivantes des liens vers tous les documents utilisés (rubrique Français puis Cycle 3). 7 Astrid de Roquemaurel, Mais non, je blogue !, Milan jeunesse, 2008. 8 Philippe Perrenoud, Métier d’élève et sens du travail scolaire, ESF, 1994, page 156. 9 Groupe Gaulé (1994). L’ordinateur, les lettres et les sciences humaines – 2e partie : l’élève et l’ordinateur. N° 76 de la Revue de l’EPI (Enseignement Public et Informatique), 1994, pp. 77-95. 2- Écrire en mode collaboratif Un wiki pour mutualiser les écrits Hervé Muller Dans le cadre d’une consigne commune d’écriture, les wikis permettent de façon commode de donner accès aux textes de tous pour que chacun améliore sa production. A u cours d’un travail dans une classe de CM1, nous avons voulu observer la progression dans l’écriture et la révision de textes écrits avec un wiki. Nous avons utilisé le wiki d’une façon un peu détournée ; il ne s’agissait pas de créer un texte unique par un travail collaboratif, ce qui est le principe originel de fonctionnement de cet outil, mais plutôt de mettre en commun le savoir-faire et les idées de tous pour que chacun puisse aller plus loin dans l’écriture de son propre texte. Nous avons fait l’hypothèse qu’en ayant la possibilité de consulter les productions de leurs camarades sur le wiki, les élèves sauraient en extraire des informations pertinentes de tous ordres et les intégrer à leur propre texte pour l’améliorer. Ces informations peuvent se rattacher au fond ou à la forme : un élément de récit, une formulation codifiée (« et la chevillette cherra »), une forme syntaxique… Les élèves apprennent de leurs pairs et pas uniquement de l’enseignant. Allers et retours entre son texte et celui des autres Nous avons demandé aux élèves d’écrire un texte « à la manière de ». Il s’agissait d’imaginer un épisode appartenant à pages des autres élèves. La quatrième séance avait pour but la révision de l’orthographe et de la ponctuation. une histoire dont la structure narrative est récurrente. Nous sommes partis d’un album d’Arnold Lobel, Le magicien des couleurs, dans lequel un magicien invente successivement les trois couleurs primaires et repeint le monde. Chacun de ces épisodes est écrit sur le même modèle, tant du point de vue de la succession des actions que des phrases qui le composent. Le maitre a lu oralement l’histoire en occultant l’épisode « rouge », que les élèves devaient écrire en reprenant la structure des épisodes précédents. Pendant la première séance, chaque élève a écrit son « épisode rouge » sur sa propre page sans confrontation avec les productions des autres. La seconde séance a commencé par la lecture individuelle sur le wiki d’un extrait du texte d’Arnold Lobel qui a ensuite été effacé. Puis les élèves ont été invités à compléter leur texte. Pour finir, il leur a été demandé une lecture critique des textes des autres. Au cours de la troisième séance, ils lisaient d’abord les textes de leurs camarades pour repérer des éléments qui leur auraient échappé, puis retravaillaient leur propre texte. Ils avaient cette fois la possibilité de revenir autant qu’ils le souhaitaient sur les Des améliorations surtout de forme La possibilité de reprendre des éléments de récit vus ailleurs va dans le sens d’une amélioration et d’une uniformisation des productions : une majorité des élèves trient efficacement dans les productions de leurs camarades pour s’approprier ce qui complètera leur propre travail. Le bénéfice a été d’autant plus important qu’ils avaient un bon niveau de compréhension en lecture. Deux élèves, dont le texte était très abouti, ont introduit peu de modifications. À l’inverse, l’incapacité à repérer les informations pertinentes ou à les intégrer de manière logique a révélé chez certains des difficultés qui ont fait l’objet d’un travail ultérieur. D’après ce que nous avons pu observer, l’effet modélisant de cette démarche pédagogique est plus sensible sur la forme que sur le fond, car des élèves reprennent chez leurs camarades des formulations syntaxiques ou des formulations typiques, mais conservent leurs idées originales. Par exemple, peindre en rouge « les vaches et les écureuils », emprunté à Lobel, a été repris par des élèves après avoir consulté les textes de leurs camarades : on le retrouve dans plus de la moitié des textes après la troisième séance. Mais ce qui rend le « monde en rouge » Un exemple de production : le texte de Miguel à chacune des étapes du travail (en gras les éléments modifiés1) Séance 1 le magicien descendit donc en trébuchant l’escalier de sa cave puis il mijotat un peut de cessi un peut de cella et au fond de sa marmite il trouve une couleure il l’appela rouge. Les voisin dit q’est que c’est ? C’est du rouge répond le magicien. Séance 2 (après une lecture individuelle du texte de Lobel) le magicien descendit donc en trébuchant l’escalier de sa cave puis il mijotat un peut de cessi un peut de cella et au fond de sa marmite il trouve une couleure il l’appela rouge. Les voisin dit q’est que c’est ? C’est du rouge répond le magicien. Le magicien leur demande si il s’en veule ? Les voisin lui réponde oui. Lui dise que le rouge n’est pas si merveilleux Commentaire d’un autre élève : sa ne veut rien dire Séance 3 (après avoir lu les textes des camarades) le magicien descendit donc en trébuchant l’escalier de sa cave puis il mijotat un peut de cessi un peut de cella et au fond de sa marmite il trouve une couleure il l’appela rouge. Les voisin dit q’est que c’est ? C’est du rouge répond le magicien. Le magicien leur demande si il s’en veule ? Les voisin lui réponde oui. les personnes peigne tout en rouge. Les vaches les écureuils. Mes tous ce rouge se n’étter pas ci merveilleux sa faisai mal a la tête. Séance 4 (orthographe et ponctuation) Le magicien descendit donc en trébuchant l’escalier de sa cave puis il mijotat un peut de cessi un peut de rien de celas et au fond de sa marmite il trouva une couleure. Il l’appela rouge. Les voisins dit q’est que c’est ? C’est du rouge répond le magicien. Le magicien leur demande si ils s’en veulent ? Les voisins lui réponde oui. les personnes peigne tout en rouge. Les vaches les écureuils. Mes tous ce rouge se n’étter pas ci merveilleux sa faisai mal a la tête. 1 L’orthographe et la ponctuation de l’élève ont été conservées. Les Cahiers pédagogiques n° 482, juin 2010 25 Dossier Le Web 2.0 et l’école insupportable était divers et l’est resté : « Il trouve cette couleur terible. Moi aussi je la trouve ignoble ; tout le monde croiai qu’il allait avoir la fin du monde ; Les gens avait l impression qu-il y avait du sang. Les enfant pleurait même les parent pleurait et méme moi… » Cette uniformisation de la forme va dans le sens de la consigne puisqu’il s’agissait d’écrire « à la manière de ». Il semble aussi que des élèves peuvent trouver dans d’autres textes une amorce qu’ils vont ensuite développer à leur façon. Un bilan à confirmer Nous avons aussi demandé à chacun de rédiger un court commentaire en forme de critique positive ou négative sur le texte d’un camarade. Les élèves n’ont pas hésité à ajouter leurs remarques, favorables ou négatives. Mais beaucoup n’étaient pas pertinentes (jugement global sans justification, propositions orthographiques erronées…), et on peut se poser la question de l’intérêt pédagogique de ce procédé, du moins s’il n’est pas l’objet d’une préparation spécifique. Autre entrée qui intéresse directement l’enseignant : la possibilité de reconstituer l’historique de la production du texte. Les différentes versions étant archivées à mesure de leur écriture, il est possible de reconstituer l’évolution du travail. L’enseignant peut aussi intervenir sur le wiki pour donner des consignes individualisées. Sur ces quelques séances, le bilan est nuancé : l’utilisation de la machine est dans un premier temps une contrainte qui nécessite de prendre le temps… Mais au final, la qualité des productions est relativement homogène : on peut espérer qu’il y a eu un transfert de compétences entre élèves (ce qu’il faudra vérifier). De fait, la confrontation avec les textes des autres a entrainé les élèves dans une réflexion sur leur propre travail. D’autres projets d’écriture peuvent utiliser les wikis. Les récits écrits à plusieurs mains semblent tout indiqués : écriture de feuilleton par plusieurs classes, chacune étant responsable d’un ou deux chapitres, écriture d’un conte par un groupe d’élèves, etc. Hervé Muller Formateur Tice en Seine-Saint-Denis Internet forme, l’éducation se transforme Mario Asselin À travers des dispositifs comme le courrier électronique, les messages textes, les blogs, les wikis, les réseaux sociaux et le chat, les jeunes d’aujourd’hui occupent l’espace public différemment de leurs ainés au même âge. Les apprentissages sont-ils toujours au rendez-vous ? L a capacité des apprenants à devenir eux-mêmes des producteurs de contenu – à diffuser tout genre de textes/sons/images/ vidéos sans intermédiaire et sans connaitre les langages de programmation – contribue à résoudre l’équation de l’accès aux connaissances dans un mode distribué1. Connecter, échanger et contribuer, devenir plus responsables de ses apprentissages, voilà l’essentiel des ingrédients de ce mode plus collaboratif, d’où l’utilisation du terme « Web 2.0 » pour désigner cet Internet devenu bidirectionnel. La publication à portée de tous Chris Anderson1 a bien expliqué comment le marché quasi monopolistique des gros producteurs traditionnels s’est fait rattraper, voire dépasser, par 26 une multitude de petits producteurs ou de relayeurs de contenu. L’économie de la connaissance s’en trouve radicalement transformée quand on applique ce raisonnement à l’éducation : les réseaux prennent maintenant toute leur importance et les grands relayeurs, les enseignants, n’ont plus le monopole de la transmission. « L’apprenant 2.0 » ne se limite pas à utiliser Internet pour consulter des pages Web ; s’il a commencé par échanger du courriel et des messages textes, il exploite maintenant les possibilités qu’offre le « World Wide Web » dans les deux sens, consultation et diffusion. Celui qui fait quelques apprentissages peut immédiatement reproduire ce qu’il veut diffuser et l’offrir directement à un réseau d’internautes, après l’avoir modifié – adapté – ou non. Les Cahiers pédagogiques n° 482, juin 2010 Que les adultes formateurs le veuillent ou non, cette prise de parole s’exerce. Depuis qu’il n’est plus nécessaire de convaincre un éditeur pour produire et diffuser de la musique, des images ou du texte, ni de connaitre les langages de programmation pour publier du contenu (quelle que soit sa qualité) dans le « réseau des réseaux », les apprenants ont massivement investi Internet pour s’exprimer. Mais une question se pose : les situations d’écriture dans le Web participatif favorisent-elles autant d’apprentissages pour les élèves ? Des apprentissages motivés par la quête d’identité Je suis de ceux qui croient que la pratique carnetière (l’utilisation des blogs) et les autres formes de publication web participent au repérage et à la construction d’une identité numérique de plus en plus affirmée. Celle-ci est au cœur des enjeux de formation d’un adolescent, et c’est pourquoi les dispositifs qui permettent aux utilisateurs d’Internet 2- Écrire en mode collaboratif de générer du contenu agissent tels des leviers qui motivent les apprenants dans de multiples domaines d’apprentissage. Si apprendre est un acte social, apprendre par le Web l’est d’autant plus, et le Web procure à chacun le moyen de ses ambitions ! Dans un récent sondage administré à ses cinquante-six élèves âgés de quatorze ou quinze ans, le professeur Martin Bélanger dont l’école utilise les blogs depuis quelques années dans un contexte d’apprentissage scolaire rapporte3 les constats suivants : • 93 % des élèves affirment que bloguer est une excellente façon de s’exercer à mieux écrire. • 93 % des élèves affirment que le blog est un outil technologique qui aide à apprendre. Pour ce qui est des sites de réseaux sociaux ou ceux qui permettent de partager différents formats de fichiers (photos, vidéos, etc.), ils permettent surtout d’échanger avec des personnes qu’on aura triées sur le volet (nos contacts). Les expériences en contexte d’apprentissage commencent à poindre et bousculent déjà l’encadrement des collectivités, plus portées, souvent, à interdire l’accès à ces sites que d’en favoriser l’utilisation4. Même en ce qui concerne la présence des téléphones portables, on est de plus en plus On peut dire que beaucoup de données et d’informations circulent sur Internet, mais y a-t-il autant de savoirs qu’on le pense ? • 100 % des élèves admettent faire des efforts pour mieux écrire dans les billets qu’ils bloguent que dans leurs travaux scolaires. • 64 % des élèves disent faire des efforts supplémentaires dans leurs travaux scolaires, car ils savent qu’ils pourront éventuellement les bloguer. • 76 % des élèves soutiennent qu’un blog est un bon support à la métacognition, c’est-à-dire qu’il permet de garder des traces des apprentissages et qu’il aide les élèves à nommer leurs forces et leurs faiblesses afin de s’améliorer éventuellement. porté à croire qu’il convient de les utiliser enfin comme des « machines pour apprendre » plutôt que de les considérer « comme des outils de distraction5 ». Les blogs pour mieux écrire Les pressions que subit l’éducation sont énormes dans ce contexte où il est devenu plus facile de produire du contenu numérique, de le diffuser sur le Web et de contribuer ainsi, de façon originale et performante, à sa formation. Ceci mérite d’être regardé de plus près. On peut prendre l’exemple d’une école qui tient un site Web de classe sous forme de blog sur lequel l’enseignant publie ses consignes et le contenu des exercices à faire. Dans certaines écoles, on va jusqu’à fournir à chaque élève un site du même genre, un blog, où il publie ses travaux et ses réflexions. Les parents, les copains ou le professeur utilisent l’espace prévu pour les commentaires pour échanger sur les apprentissages réalisés, en public. S’y ajoutent les internautes qui surgissent au hasard d’un lien fourni par un moteur de recherche qui a indexé le contenu produit par l’apprenant. N’est-ce pas motivant de faire son travail pour tout un groupe de personnes plutôt que pour un enseignant, seulement ? Du point de vue pédagogique, à l’école que je dirigeais encore en 2002, l’Institut St-Joseph, nous étions convaincus que les « traces d’apprentissage » étaient très importantes, et que pour bien évaluer les apprentissages, il ne fallait pas se préoccuper seulement du résultat, mais aussi du processus. Nous utilisions des « cahiers de traces » (portfolios) où celles-ci sont commentées, objectivées, et sélectionnées – avec des « coups de cœur », des « défis », etc. Nous nous sommes demandé comment remplacer ces portfolios imprimés par un dispositif numérique qui présenterait notamment l’avantage d’être facilement consultable, à l’école ou à la maison. Ainsi est née notre première « ferme de blogs ». Au bout d’une année d’expérimentation, nos élèves lisaient et écrivaient beaucoup plus et beaucoup mieux. J’ai déjà eu l’occasion de mettre en évidence6 une forme de désinhibition (notamment du côté des garçons, qui ont souvent des difficultés à « se mettre en mots » et à parler de leurs émotions) qui les aidait à mieux intervenir et à exprimer leurs points de vue, ou à poser leurs questions. Certains affirmaient que pour la première fois, ils pouvaient dire des choses sans être interrompus… Les professeurs ont vite remarqué l’instauration d’un nouveau rapport, plus égalitaire, dans la classe – les élèves les plus lents s’enhardissant. La relation au clavier semblait modifier la donne ; quand ils écrivent avec un crayon, m’ont souvent dit les élèves, ils doivent faire très attention, car chaque erreur coute cher. Ils sont obligés d’effacer, ce n’est pas propre… Leurs idées sortent plus vite que le temps qu’il leur faut pour les écrire. Sur le clavier, ils ont moins à faire attention : ils sont portés à tout écrire d’un coup, et à y revenir après. Les Cahiers pédagogiques n° 482, juin 2010 27 Dossier Le Web 2.0 et l’école D’autres outils que le blog Le blog n’est pas le seul dispositif qui semble favoriser des apprentissages. Par exemple, sur Twitter, une enseignante de lettres-histoire géo et ECJS en lycée professionnel documente presque au jour le jour son expérience pédagogique avec une classe de terminale bac pro commerce7. Elle achemine certaines consignes en 140 caractères, maximum, pour produire du contenu ou hyperlier vers une ressource. Cette dernière affirme « précéder ses élèves d’un petit mois dans sa connaissance de Twitter », mais ça ne l’empêche pas d’apprécier beaucoup ce « moyen différent et plus conforme à [s]es attentes pour valoriser le potentiel de cette classe ». Elle les encourage à lire et à écrire, surtout… elle encourage chacun à échanger des points de vue divergents et à se donner beaucoup de feedback. Quand on connait l’importance des feedbacks pour l’amélioration de l’écriture, en particulier, on comprend vite tous les avantages qu’en retirent les apprenants liés à l’abondance de cette attention. À condition, bien entendu que ces rétroactions mènent vers l’acquisition de connaissances et portent vers la compétence. Données, informations, connaissances, compétences On entend souvent dire que c’est en écrivant qu’on devient écrivain et que c’est en lisant qu’on devient lecteur, mais pour devenir « compétent » en ces domaines, il faut plus que la simple pratique répétitive. Développer les « savoir agir » à partir de ce que l’on sait exige de nombreuses occasions de recevoir du feedback. Les rétroactions permettent d’attirer l’attention sur les erreurs autant que sur les réussites. Ici encore, répartir sur la communauté « la charge » de ces rétroactions permet d’en donner suffisamment pour encourager l’amélioration et la persévérance. L’enseignant qui encourage la production, s’il est seul à rétroagir, ne se condamne-t-il pas lui-même à crouler sous la tâche ?Voilà pourquoi les dispositifs comme les blogs ou Twitter et Facebook peuvent être envisagés, à certaines conditions, comme des outils multipliant les occasions d’apprendre. On peut dire que beaucoup de données et d’informations circulent sur Internet, mais y a-t-il autant de savoirs qu’on le pense ? S’il arrive souvent que les correcteurs orthographiques obligent les jeunes à penser, il faut admettre que les apprenants sont souvent à la recherche 28 « Si on fait des fautes, Google ne nous trouvera jamais ! » Je ne comprenais pas pourquoi les élèves utilisant un blog ne faisaient jamais de faute d’orthographe dans leurs titres, très peu dans leurs billets, alors que dans leurs commentaires, c’était horrible. Quand je posais la question, ils avaient tendance à répondre, comme une évidence : « Si on fait des fautes, Google ne nous trouvera jamais ! » Ces élèves avaient une connaissance intuitive des algorithmes qui sous-tendent le fonctionnement des moteurs de recherche et s’y étaient parfaitement adaptés. Tous les éducateurs le pressentent : le levier principal de développement de l’individu, c’est la quête d’identité. Or, les réseaux sociaux répondent parfaitement à cette quête… « J’existe, et je sais que j’existe dans la mesure où j’obtiens un écho fréquent de mon existence. Savoir que je suis important pour quelqu’un, plusieurs fois dans la même journée, me construit. » Parce qu’ils voulaient être fiers de l’image qu’ils projetaient sur leur site Web personnel, ils apprenaient à affiner les stratégies de vérification de leurs textes et étaient beaucoup plus soucieux d’apprendre les règles de grammaire. Pour commenter de façon plus pertinente, ils apprenaient à bien décoder les intentions d’écriture de ceux qui commentaient leurs billets. Motivés à mieux argumenter, les élèves lisaient avec plus d’attention puisqu’une réponse bien envoyée leur assurait d’autres commentaires et ainsi… plus de notoriété. L’écriture et la lecture ainsi placées dans des contextes signifiants pour chacun devenaient des activités motivantes. Ils étaient portés à s’améliorer pour être reconnus comme de bons lecteurs et de bons auteurs. Ils comprenaient davantage que c’est par la répétition et le raffinement de leur processus de lecture et d’écriture qu’ils arriveraient à atteindre des hauts standards de réussite. des solutions faciles sur le Web ou dans les technologies de la communication et de l’information. Le rôle central joué par les moteurs de recherche est au cœur de la dynamique qui préside à la construction de l’identité numérique. Avez-vous déjà « Googlisé » quelqu’un, tapé son nom dans le célèbre moteur de recherche ? Les jeunes ne laissent pas Google (ni aucun autre moteur de recherche, YouTube étant le plus populaire auprès des 12 à 17 ans8) décider à leur place de l’image qui pourrait émerger d’une requête portant leur nom. Ils connaissent le fonctionnement de ces moteurs de recherche et en tiennent compte dans leurs publications, en utilisant les mots-clefs dans les titres de leurs billets, dans les tags des photos. Entouré de gens qui sont là pour apprendre, muni de l’accès à de nombreux dispositifs de production de contenu et en contact constant avec des moteurs de recherche qui offrent des « réponses » à toutes ses questions au moment où elles surviennent, l’apprenant n’en possède souvent pas les clefs de lecture. Données, informations et opinions ne veulent pas dire connaissances. Pas étonnant que nous restions vigilants à ce qu’il exerce son jugement critique ! L’expertise indispensable de l’enseignant Si l’enseignant demeure une voie importante de diffusion du savoir et si son expertise demeure essentielle pour contextualiser tout ce qui circule directement vers les apprenants, les autres canaux sont accessibles et il n’est plus possible pour un pourvoyeur Les Cahiers pédagogiques n° 482, juin 2010 de connaissances de faire comme s’ils n’existaient pas. Un enseignant voulant absolument que tout passe par lui va droit dans le mur, alors que les dispositifs de production de contenu et les rétroactions qu’elles permettent offrent à l’apprenant de grandes possibilités d’apprentissages. Mario Asselin Directeur général de Opossum Les adresses Internet complètes des articles référencés sont indiquées sur la page de notre site présentant ce dossier Le Web 2.0 à l’école. 1 C’est-à-dire dans lequel la production de contenu est déconcentrée et la responsabilité distribuée. 2 Chris Anderson, longtail.typepad.com 3 Martin Bélanger, Ce que mes élèves pensent des TIC, cogitoergoblogo.wordpress.com 4 Sur ce sujet, un de mes billets sur Mario tout de go a fait l’objet de beaucoup de discussions… Ma C.S. bloque l’accès aux sites Internet du Web participatif : cinq façons de les convaincre de se montrer plus responsable, carnets.opossum.ca 5 Hervé Guillaud, Vers la richesse des réseaux, www. internetactu.net 6 L’intégrale de l’entrevue constitue un article dans un livre souvenir qui traite de l’initiative du Conseil général des Landes « Un collégien, un ordinateur portable » ; elle peut être consultée sur le blog carnets.opossum.ca 7 frompennylane.blogspace.fr, lire aussi p. 29. 8 Selon la dernière enquête du Céfrio : Réjean Roy Génération C : Les 12-24 ans – Moteurs de transformation des organisations, 2009, disponible sur www.cefrio.qc.ca 2- Écrire en mode collaboratif 3- Des outils divers : microblogging , podcast, réseau social « Tweeter » en classe, au CDI, en conseil de classe, en stage… Laurence Juin Développer une communauté d’apprentissage au sein d’une classe, un idéal d’enseignant ? La concision des messages du « microblogging » peut être un atout dans les échanges entre professeurs et élèves, en favorisant la circulation des informations. U tiliser Twitter est une expérience que je mène au jour le jour avec une classe de bac pro commerce que je suis pendant deux ans. À la fin de leur année de 1re, nous avons commencé à échanger via Facebook. J’y ai vu la possibilité de transmettre des informations complémentaires à la vie de classe et à mes cours. Mais les limites ont été vite atteintes : Facebook fait rapidement sortir du cadre pédagogique pour toucher la sphère privée. Twitter m’a semblé être l’outil idéal pour poursuivre ces échanges. C’est un service web de microblogging avec des fonctionnalités de réseau social. Sa spécificité, qui fait aussi sa force, est que les messages (les « tweets », c’est-à-dire « gazouillis ») ne peuvent contenir plus de 140 caractères : des messages concis, simplifiés, qui peuvent être lus rapidement, éventuellement complétés par des liens hypertextes. À la différence de Facebook ou d’un blog, on ne peut ajouter de commentaires au message rédigé. Utiliser Twitter ne nécessite pas des pratiques informatiques complexes. Seule fantaisie, on peut joindre des liens hypertextes vers des sites, des photos, qu’un élève ou un enseignant « tweete », tous les élèves et les professeurs abonnés ont le message. des vidéos. Twitter est une tribune de notre propre activité, qui permet aussi de suivre en temps réel l’activité des autres personnes dont on reçoit les messages. On se crée ainsi au fur et à mesure un réseau d’individus dont on suit les activités (nos « abonnements »), et qui suivent la nôtre (les « abonnés »). Sauf à protéger son compte, Twitter est une interface publique : tout le monde peut nous lire et on peut lire tout le monde. Mais n’apparaissent dans notre liste des tweets que les actualités de nos « abonnements », de notre propre réseau librement choisi. Je teste donc les utilisations et applications possibles, en complément de mes outils pédagogiques habituels. Aucun de mes élèves ne connaissait ni ne pratiquait Twitter, mais ils ont été curieux de découvrir et pratiquer ce service. J’ai créé un compte Twitter spécifique pour la classe, @laderniereannee, et j’ai demandé à chaque élève de la classe, ainsi qu’aux enseignants intéressés de se créer un compte, puis de s’abonner à tous ceux de la communauté-classe. Ainsi, le réseau est formé : à chaque fois En classe, apprendre à synthétiser et à travailler ensemble Twitter est utilisé pour favoriser l’interactivité dans certains cours. Je mets les élèves en situation de veille sur des recherches documentaires au CDI, sur des présentations orales de leurs camarades, lors de conférences, lorsqu’ils regardent une vidéo, en leur demandant de relever l’essentiel ou de communiquer leurs réactions. Ils travaillent donc la prise de notes : sur Twitter, la production d’écrit doit être synthétique puisqu’on ne dispose que de 140 caractères. Je demande que chaque tweet respecte les règles de communication, de grammaire, de syntaxe et d’orthographe, comme pour une production classique en cours de français. Le niveau de langue doit être courant et je n’accepte que les abréviations classiques : le langage SMS est proscrit. Chacun doit s’exprimer, mais doit aussi apprendre à réguler son débit et à ne « tweeter » que l’essentiel pour que ces notes puissent servir de trace écrite collective et de base à la rédaction d’une synthèse. J’évalue ainsi également leur attention, leur niveau de compréhension et d’implication. Je peux ainsi interagir en Les Cahiers pédagogiques n° 482, juin 2010 29 temps réel en leur demandant de préciser, compléter, se recentrer, corriger. Cela me permet de personnaliser et d’individualiser la relation prof/élève. Je travaille par ailleurs avec Twitter la construction collective de savoir. Lors d’une recherche au CDI, chacun « tweete » les informations ou les données trouvées, critique celles qui sont envoyées par les autres ou les étoffent de leurs propres trouvailles. La documentaliste, qui a aussi un compte Twitter, peut intervenir pour les aiguiller dans leurs recherches documentaires. Enfin, nous avons également construit avec Twitter un échange à distance, de manière simple et efficace, entre notre classe et des étudiants chinois de David Cordina, enseignant FLE à l’université de Lille 11. Quelques règles de communication sont nécessaires pour rendre la conversation lisible par tous : ne Cette communauté comprend aussi la vie scolaire. Des informations de vie de classe sont diffusées en temps réel, avec l’autorisation préalable des intéressés : je « tweete » les notes et commentaires au fur et à mesure de la correction des évaluations, et les élèves y répondent souvent, s’impliquant alors au-delà de la note. Le conseil de classe a décidé de « tweeter » les informations générales : date des examens, des stages et procédure postbac. Grâce au service de messagerie privée de Twitter, j’ai envoyé en temps réel à chaque élève la synthèse de son bilan semestriel. Les élèves ont réagi à ce commentaire et y ont apporté des précisions quand nécessaire. Twitter a également joué un rôle très important durant les longues périodes de stage, renforçant la communautéclasse, maintenant la communication entre enseignants et élèves, et entre les Twitter est un moyen de faire réfléchir à la présence de chacun sur le net, et de faire saisir la différence entre un réseau « professionnel » et un réseau privé. discuter qu’avec deux partenaires à la fois, définir un sujet de conversation qui fasse de cette conversation une activité éducative. Mais cette expérience a fait réfléchir sur la personnalité qu’on se construit au travers des outils de communication numérique : comment se présenter sur un espace public, quel est l’impact de l’avatar dans l’image que l’on donne de soi, quel est le rôle de l’orthographe et de la syntaxe dans la communication écrite. Il faut souligner également la fierté qu’ont pu ressentir mes élèves de bac pro à échanger de manière aussi constructive avec des étudiants, chinois qui plus est. Hors classe, un réseau de soutien et d’entraide Sorti du strict cadre de la classe, Twitter favorise le soutien scolaire lorsque l’élève en est demandeur. Ce soutien est pris en charge par toute la classe : un élève pose des questions sur les devoirs et les exercices qu’il a à rédiger seul, et l’enseignant comme les camarades « tweetent » en retour des pistes de réflexion. D’autre part, Twitter est utilisé comme agrégateur de savoirs et d’ouverture culturelle : élèves et enseignants y envoient des liens complémentaires au cours ou évoquent des faits d’actualité, des informations ou des critiques de film. Cela construit une réelle communauté autour du savoir et de la culture. 30 élèves eux-mêmes. On a ainsi évité le sentiment de rupture brutale que ressentent les élèves lorsqu’ils sont immergés dans le milieu professionnel. Tout enseignant d’éducation civique, juridique et sociale est tenu d’éduquer aux médias, et notamment aux médias du net. Notre usage de Twitter nous situe en plein dans cette démarche. Un outil d’éducation au média Internet Que peut-on dire ? Comment le dire ? Quelles images peut-on diffuser ? Au-delà de la pratique informatique et d’Internet qui consolide la validation du B2i, on touche avec Twitter aux notions de liberté et de publication sur les médias du net, y compris les limites, les contraintes et les dangers qui s’y jouent. Twitter est également un moyen de faire réfléchir à la présence de chacun sur le net, et de faire saisir la différence entre un réseau « professionnel » comme Twitter et un réseau privé comme Facebook, et les utilisations distinctes qui en découlent. Nous avons donc bien sûr rédigé ensemble une charte d’utilisation de Twitter2, mais aussi pris du recul et observé l’impact qu’un réseau de microblogging peut avoir dans les médias et dans la vie politique aujourd’hui, que ce soit en Iran ou lors du procès Clearstream. L’expérience n’est pas terminée au Les Cahiers pédagogiques n° 482, juin 2010 moment ou s’écrit cet article. On peut cependant d’ores et déjà faire quelques constats. Une continuité pédagogique renforcée D’abord, il faut rappeler que Twitter n’est pas un outil qui a vocation à remplacer tous les autres, il n’est qu’un complément, et exige des prérequis. S’il ne nécessite pas de compétences particulières en informatique, il faut en effet une classe équipée de matériel informatique connecté à Internet, être connecté souvent, et savoir aussi contrôler le temps passé à répondre aux sollicitations du réseau. Il faut aussi quelques compétences en matière de gestion et d’animation d’une communauté, en relançant des sujets de débat et de conversations, en organisant la discussion écrite. Enfin, cette activité repose sur une confiance réciproque entre les enseignants et les élèves, sur le pari que tous respecteront les règles dans l’usage de cet outil ouvert sur l’Internet. Cependant, la démarche autour de Twitter a créé une véritable identité dans le groupe classe entre les élèves et l’équipe pédagogique, renforçant la continuité pédagogique entre l’école et le reste du monde. Enfin, les élèves contrôlent leur image publique, y compris dans leurs interactions avec les enseignants et avec leurs camarades. Ils maitrisent donc plusieurs des compétences les plus importantes exigées par le B2i – lycée, que ce soit dans le domaine 2 (connaitre la charte, protéger sa vie privée, mettre ses compétences informatiques au service des autres) ou le domaine 5 (choisir les outils de communication adaptés à ses besoins). Si les élèves avaient tous accès à Internet personnellement – quatre élèves n’ont pas cette chance – on pourrait développer une interaction plus forte avec des exercices, des pistes de réflexion ou de recherche plus importante entre cours et travail personnel. Ce point est à prendre en compte dans toute communication hors classe via Twitter. Twitter doit être un facteur de cohésion de groupe, et surtout pas facteur « d’e-exclusion ». Laurence Juin Professeure de lettres-histoire-géographie en lycée professionnel à La Rochelle 1 Voir l’article de David Cordina page 36. 2 Disponible sur frompennylane.blogspace.fr 3- Des outils divers : microblogging, podcast, réseau social Un podcast pour préparer son bac Marie-Lyne Soulié Des élèves de 1re découvrent la technique de l’oral de l’épreuve anticipée de français au bac en podcastant et en critiquant leurs propres prestations d’entrainements. C haque semaine, depuis la fin du mois d’octobre, mes élèves de 1re préparent assidument la première partie de l’épreuve orale de l’EAF. Je mets à disposition des futurs candidats des baladeurs MP3 afin de réaliser des enregistrements d’explications de textes. Les enregistrements sont ensuite podcastés par mes soins et peuvent ainsi faire l’objet d’un abonnement sur l’iTunes Store (boutique en ligne de téléchargement accessible via le logiciel iTunes d’Apple). Toutes les semaines, selon un planning préalablement établi, quatre élèves profitent de la pause méridienne pour répondre à une question que je leur soumets sur un des textes de leur programme. Avant chaque entrainement, ils ont pour consigne de réviser les cinq à sept textes d’une séquence. Je choisis au début de l’épreuve un texte et propose une question initiale qui devra orienter l’explication de l’élève. Dans les conditions de l’examen, les élèves préparent leur exposé pendant Grille d’évaluation orale. Date : trente minutes, puis enregistrent leur prestation sur le baladeur pendant dix minutes. Je récupère ensuite les enregistrements. À mon domicile, j’effectue l’acquisition des fichiers sur un logiciel d’enregistrement audio numérique comme Audacity sur PC ou Garageband sur Mac. J’écoute ensuite les prestations, les évalue en suivant une grille précise (voir ci-dessous) et enregistre une correction. Chaque prestation orale est ensuite envoyée sous forme de podcast sur l’iTunes Store, dans la rubrique « Podcast, enseignement primaire et secondaire ». Texte : Question initiale : Acquis Consignes pour la prestation orale de Podcastonbac 1. Préparez vos explications en relisant vos cours. N’apprenez rien par cœur. Retrouvez le sens général de chaque texte. Appuyez votre analyse sur un relevé précis d’indices et de procédés. 2. Prenez connaissance des critères de réussite de la grille d’évaluation orale. 3. Pendant la préparation, gérez vos notes personnelles. Ne rédigez pas complètement votre analyse. Notez quelques éléments d’introduction et de conclusion. Préparez un plan très détaillé. Surligner quelques passages de votre texte. 4. Pendant l’enregistrement : présentez le texte et le contexte, formulez votre problématique et annoncez vos axes. Lisez distinctement. Orientez votre analyse afin de répondre à la question posée. 5. Écoutez en ligne votre prestation en vous aidant de la grille. Écoutez la correction. 6. Après plusieurs essais, réécoutez tous vos épisodes puis mesurez vos progrès. A. Qualités de présentation et d’organisation En cours Non acquis à d’acquisition ce jour A1. Qualité de la lecture à haute voix Maitrise du débit Qualité de l’intonation Clarté de l’articulation, de la prononciation, des liaisons A2. Aptitude à organiser le propos Présentation : auteur, contexte, situation de l’extrait. Annonce du plan : réponse construite avec ordre et clarté Conclusion (récapitulation) Gestion du temps imparti A3. Qualité de l’expression Maitrise de la langue française, niveau de langue Qualité de communication et conviction B. Capacités de réflexion et d’analyse B1. Compréhension Compréhension littérale du texte Compréhension de la question, prise en compte de la question B2. Qualité du contenu de l’exposé Réponse argumentée et pertinente Références précises au texte (le texte est bien cité) Savoirs linguistiques et littéraires, termes d’analyse littéraire Connaissances culturelles en lien avec le texte. Document réalisé à partir d’une fiche proposée sur le site www.neoprof.com Les Cahiers pédagogiques n° 482, juin 2010 31 Dossier Le Web 2.0 et l’école Mes élèves peuvent ensuite écouter les prestations de leurs camarades, ce qui constitue une base de données précieuse lors de leurs révisions. Ils peuvent également écouter leurs corrections et mesurer ainsi leurs progrès tout au long de l’année, grâce à la grille d’évaluation remise en début d’année. Enfin, je reprends en classe chaque semaine un enregistrement proposé par un élève volontaire. Un échange s’engage, toujours orienté autour du repérage des points positifs. Pour faciliter le dialogue, les élèves se réfèrent à la grille d’évaluation. Les élèves apprécient la fréquence de l’entrainement, cela les oblige, disentils, à travailler plus régulièrement. Certains vont même jusqu’à avancer leur « rendez-vous ». Même si l’écoute de leur prestation leur a été parfois insupportable au début, le fait de met- tre en ligne tous les oraux leur a fait prendre conscience que l’épreuve était difficile pour tout le monde, mais pas insurmontable. Les élèves relèvent surtout un avantage essentiel : la dédramatisation de l’épreuve et, je dirais même, pour aller plus loin, la dédramatisation de l’erreur. L’échange en classe est important, car il met en avant les points positifs, mais également les enjeux et les difficultés de cet oral. Les remarques bienveillantes, mais pertinentes de leurs camarades les aident à accepter leurs réussites, mais aussi leurs erreurs. Les parents peuvent en outre s’abonner au podcast afin de mieux percevoir les modalités de l’épreuve. Mon objectif est que chaque élève prenne en charge son évaluation grâce à des critères bien définis et qu’il réfléchisse aux attentes de l’épreuve afin de se donner les moyens d’y répon- dre. Seules la mise en ligne, l’écoute régulière des épisodes et leur réexploitation peuvent me permettre d’atteindre ces objectifs. Enfin, le gain de temps est considérable puisque, chaque semaine, on peut organiser une épreuve avec autant de candidats que de baladeurs. De plus, l’usage du baladeur rend l’épreuve moins impressionnante pour l’élève qui n’est pas face à un adulte. Cependant, cette méthode, même si elle est attrayante et facile à organiser, ne doit pas priver l’élève d’un véritable entrainement dans les conditions de l’examen et demande également une certaine pratique de l’outil informatique. Marie-Lyne Soulié Professeure de français en lycée à Orthez (Pyrénées-Atlantiques) Les Cahiers pédagogiques et le Web 2.0 Collaboration, mutualisation, réseau, autant de notions qui sont constitutives de notre revue, de l’association qui l’édite : en décembre 1945, c’est pour échanger autour de leurs pratiques que les enseignants des « classes nouvelles » écrivent dans un « bulletin de liaison » qui deviendra les Cahiers pédagogiques en 1948 ; en 1963, c’est pour débattre des transformations de l’école que l’équipe des Cahiers fonde une association, le Cercle de recherche et d’action pédagogiques, qui organise dès cette année-là des Rencontres estivales, en dehors du temps scolaire… La publication dès les pages d’ouverture des appels à contribution pour les prochains dossiers n’a jamais été un geste formel, mais bien le signe de l’ambition que les lecteurs de la revue en soient ses premiers auteurs. Nous nous sommes efforcés de tirer parti des possibilités ouvertes par le développement des communications numériques, en créant un site Internet en 1997, en diffusant des publications numériques depuis 2005. À notre échelle, ce sont des atouts considérables pour la diffusion de nos publications, comme pour entrer en contact avec des auteurs potentiels. Mais cela reste des échanges surtout « verticaux » : chaque auteur discute de son texte avec les coordonnateurs du dossier, la rédaction en chef s’occupant de la mise au point finale ; la revue parvient à ses lecteurs, qui en général gardent pour eux-mêmes leurs réactions. Nous essayons de créer des occasions de rencontres entre auteurs et lecteurs à l’occasion de réunions, avec d’inévitables difficultés matérielles. Les outils du Web 2.0, avec leurs propres contraintes, peuvent permettre de multiplier les échanges horizontaux, et nous y venons peu à peu : outils collaboratifs pour la préparation des dossiers, liste de diffusion électronique pour les adhérents de l’association, et, depuis quelques mois, des forums accessibles sur notre site. Un forum est consacré à ce dossier : n’hésitez pas à venir présenter vos réactions à tel ou tel article ou à l’ensemble du dossier, en débattre avec les auteurs, les coordinatrices, ou d’autres lecteurs. 32 Les Cahiers pédagogiques n° 482, juin 2010 3- Des outils divers : microblogging, podcast, réseau social Netvibes : un univers à portée de main Olivier Leguay Orienter les élèves vers des sites adaptés à leurs besoins est une opération très délicate à réaliser pendant un cours, par manque de temps, en raison d’une trop grande complexité ou de la nécessaire individualisation des contenus. L’univers public Netvibes permet de regrouper de façon modulaire sous différents onglets, des sites, des blogs, des adresses Internet ainsi que des flux RSS. A gnant ou par les élèves, l’ouverture vers d’autres univers, le regroupement de plusieurs univers d’un même établissement scolaire. La page privée est également très utile : l’enseignant peut y inclure une revue de presse plus spécialisée liée à un usage personnel, agréger des flux RSS issus de sites institutionnels, ou tester le contenu d’un onglet qu’il basculera ensuite sur la page publique. J’ai noté qu’une solution Tice pérenne est une solution simple à utiliser par les élèves qui doivent trouver rapidement ce dont ils ont besoin, comme par l’enseignant qui alimente régulièrement le tout. Netvibes offre ce double avantage. La création d’onglets et de contenus est immédiate et l’enseignant peut utiliser sa page privée de façon optimale. Il se trouve donc aux commandes d’un Univers « double face » au pilo- limenter un blog peut s’avérer être un moyen très efficace de produire de l’information à destination des élèves, de susciter leur motivation ou de les faire participer. Cependant, le blog reste le menu, et non la carte. Il ne permet guère d’avoir une vue synthétique ou de présenter de façon claire et intuitive la diversité des contenus que le professeur souhaiterait mettre à disposition de ses élèves. Il est difficile de regrouper toute l’information que l’on voudrait transmettre, de disposer d’un espace qui réponde aux exigences des spécificités disciplinaires et à l’énorme diversité des supports d’informations. clos, seuls des liens préalablement sélectionnés par le professeur y figurent, ce qui permet de cibler l’information mise à disposition. L’élève pourra, par exemple, à partir de l’univers Netvibes « Les maths au Lycée1 » : – se rendre sur les espaces numériques de la classe pour consulter le cahier de textes en ligne, aller sur les blogs « classe » à partir de leurs flux et contacter l’enseignant sur le forum, – s’exercer en ligne grâce à des exerciseurs, des exercices corrigés, des QCM Regrouper des informations Une solution Tice pérenne est une solution simple à utiliser par les élèves qui doivent trouver rapidement ce dont ils ont besoin, comme par l’enseignant qui alimente régulièrement le tout. Créer un univers Netvibes est très simple et permet de répondre en grande partie à ce problème. Chaque univers est composé d’une page privée, consultable uniquement par le propriétaire, et d’une page publique ouverte à tous, que l’on peut dédier à un public particulier, par exemple ses propres élèves. Sur ces pages, on ajoute des widgets qui permettent d’insérer un texte, une image ou de la musique, d’afficher les flux RSS, c’est-à-dire les actualités des blogs et des sites vers lesquels on veut orienter les élèves, de publier une adresse ou d’insérer directement du code HTML. L’offre de « widgets » est très variée, et toujours gratuite. Une page publique Netvibes peut être pensée comme un environnement disciplinaire. Pour prendre le cas particulier des mathématiques au lycée, on concentre ainsi en un même endroit des objets numériques de natures très différentes. Le professeur oriente les élèves vers cette unique adresse pour des besoins très divers qu’il aura préalablement identifiés. De plus, l’univers étant ou des annales, et même se divertir avec des jeux mathématiques, – trouver des cours mis à disposition par d’autres enseignants, des vidéos éducatives, des sites d’information, – calculer en ligne à l’aide de modules de calcul formel (factoriser, développer, dériver, intégrer…), accéder à une calculatrice de fonctions, tracer des courbes en ligne, – se cultiver en ayant accès à des actualités mathématiques ou à des sites de référence (biographies de mathématiciens, chronologie, encyclopédies des courbes et des nombres), – consulter la liste des logiciels téléchargeables gratuitement. tage très naturel. Nous pouvons dire que Netvibes offre la simplicité d’un contenu modulaire qui se prête à merveille à une utilisation régulière dans le cadre de l’enseignement de chaque discipline, tout en permettant ouverture et interdisciplinarité. Olivier Leguay Professeur de mathématiques en lycée à Orléans (Loiret) Un espace personnalisable Il y a bien d’autres possibilités à découvrir, par exemple la création temporaire d’un onglet thématique par l’ensei- 1 www.netvibes.com/inclassablesmathematiques Les Cahiers pédagogiques n° 482, juin 2010 33 Dossier Le Web 2.0 et l’école Facebook, des liens entre générations d’élèves Jean-Michel Le Baut Une tentative originale d’utilisation pédagogique de Facebook pour entretenir un réseau de communication, d’information et d’entraide entre lycéens de classes littéraires, anciens, actuels, et même simplement potentiels. F acebook, site web de réseau social, remporte un succès considérable, en particulier chez les jeunes : c’est un espace convivial et dynamique où ils aiment nouer des contacts, exprimer leurs humeurs, publier des photos ou des textes personnels, s’amuser à des tests d’identité, communiquer par chat. Pourquoi, alors, ne pas exploiter ce réseau communautaire et son pouvoir d’attraction à des fins pédagogiques ? C’est à partir de ce constat et de cette question qu’est né le projet Littéraires Iroise : un espace d’échanges sur Facebook où tous les littéraires du lycée, anciens, actuels, potentiels, sont invités à se retrouver. Cette expérience inédite s’est donné plusieurs objectifs. Aider à se construire dans son identité et son parcours Le mot facebook désigne à l’origine un trombinoscope : de nombreuses photos de classes des 1res et terminales L du lycée de l’Iroise sont ainsi publiées sur le site. Les anciens y viennent avec plaisir et parfois nostalgie pour retrouver un peu de leur passé et éventuellement renouer des liens avec des camarades perdus de vue. À plusieurs reprises, d’anciens élèves ont témoigné de leur fierté d’appartenir à ce cercle, ce qui est une grande satisfaction tant on sait combien le « littéraire » peut se sentir dévalorisé dans la hiérarchie scolaire actuelle et dans l’image que lui renvoie la société. L’espace Littéraires Iroise permet ainsi de créer du lien social, il aide celui qui le souhaite à se construire dans son identité et son parcours. Verbatim Lucie : ah la la qu’est-ce-que c’était bon cette époque… (avec du recul ^^) 34 Les Cahiers pédagogiques n° 482, juin 2010 Gwendoline : oui ct qd mm pas mal le lycée ! Gaël : et puis toute expérience est bonne à prendre. étant parti pour une formation de professeur, je me suis tourné vers la traduction, puis j’ai été libraire, et me voici au service relation clientèle d’une grande entreprise. est-ce que c’est là que je me voyais il y a dix ans ? non ! est-ce que je suis malheureux pour autant ? pas du tout. alors, au lieu de vous enfermer dès le plus jeune âge dans les sections scientifiques qui enferment dans un carcan, ouvrez-vous l’esprit et les portes de la vie : rejoignez la section littéraire ! Littéraires Iroise : remercie les trois anciennes de L, aujourd’hui en école d’infirmières, qui sont venues à l’Iroise lundi 1er décembre animer le combat contre le sida Julie : on a vraiment eu plaisir à revenir à l’Iroise… ça a bien changé par contre on voulait remercier aussi l’infirmière scolaire qui nous a gentiment accueillies. Bonne continuation à tous ! Enrichir et affiner son projet d’orientation Facebook offre la possibilité de créer des groupes dans lesquels chacun peut s’inscrire selon son gré et Littéraires Iroise se décline en différents réseaux selon les études et les professions sur lesquelles la série L peut déboucher, par exemple : « lettres, langues », « commerce, droit », « santé, social », « écoles post bac », « arts, culture », « sciences humaines et sociales », « communication », « fonctions publiques », « tourisme, loisirs », etc. Ainsi, les élèves aujourd’hui en 1re et terminale L peuvent découvrir combien, contrairement aux idées reçues, la série 3- Des outils divers : microblogging, podcast, réseau social L permet d’emprunter après le bac des chemins variés. Le site montre les nombreux débouchés de la voie littéraire, les témoignages et les CV publiés peuvent donner des idées, des parcours atypiques illustrent la possibilité de rebondir. Les lycéens de l’Iroise peuvent aussi, s’ils le souhaitent, prendre directement contact avec les anciens pour s’informer sur les études postbac et les voies professionnelles qu’ils ont choisies : Facebook devient ainsi un précieux lieu de conseil à l’orientation. Verbatim Anne : Je suis prête et très motivée pour répondre aux questions concernant les métiers du livre et les débouchés… parce qu’il y en a plein, et que ça vaut vraiment le coup de faire un tour par ce genre de formations souvent méconnues ! Stéphanie : Je suis à la fois dans le domaine de la communication et de la culture… Après mon bac L en 2001, j’ai fait un deug de lettres modernes à Brest puis je suis partie à Avignon, visiter le Sud et voir du pays… et aussi faire un deug d’IUP « métiers des arts et de la culture ». Puis j’ai continué mon parcours à Avignon en faisant une Licence « sciences de l’information et de la communication », et un master « culture et communication » dans une spécialité recherche sur les publics (festival(s), cinéma)… C’est un parcours un peu atypique, mais qui c’était une formation réellement passionnante… si vous avez des questions… @ bientôt ! Valentine : Et ben pour info, les L sont très appréciés dans ce domaine pour les langues évidement (quoiqu’un niveau très élevé ne soit pas indispensable), mais aussi d’un point de vue rédactionnel, et oui en BTS AGTL (Animation et gestion touristiques locales) le français est toujours là, et on gratte pas mal aussi dans les autres matières… Gwendoline : J’ai eu mon bac L en 2007. Je suis en double cursus psycho et lettres modernes. La psycho parce que je pense passer le concours d’éducatrice spé à ma licence et les lettres parce que je ne peux pas m’en passer ! En ce qui concerne le concours, ils demandent pas mal d’expérience, donc je fais du soutien scolaire, je suis bénévole à l’Afev, cad que je suis une jeune de 14 ans 2 heures par semaine et normalement je serai bientôt pionne ! Voilà ! Découvrir la vitalité de la série L Les élèves de 2de du lycée sont eux aussi conviés à s’inscrire sur Littéraires Iroise pour découvrir la série L. L’espace est utilisé pour publier des articles, des liens, des images qui rendent compte des nombreuses activités qu’on y mène ou qu’on y a menées : expositions de travaux au CDI, voyages scolaires, sorties pédagogiques au théâtre, au cinéma ou au musée, articles de presse, blogs de classe, projets pédagogiques innovants, récompenses diverses. Chaque établissement connait les difficultés actuelles de recrutement en série L et un rapport de l’Inspection générale de 2006 a tenté d’en analyser les causes et de proposer une rénovation de la filière. Littéraires Iroise participe d’une telle démarche : Facebook est instrumentalisé aussi pour valoriser l’image d’une série que l’on sait fragile, en affichant son dynamisme. Extrait d’un article publié sur le site Les 1res L 2008-2009 à la Une du Télégramme : Le 16 décembre 2008, les 1res L ont eu l’honneur de faire la Une de l’édition de Brest du Télégramme. Morceaux choisis : « Ils sont jeunes, créatifs et talentueux. Ils œuvrent au lycée de l’Iroise, à Brest. Une armée de plumes, aiguisées autour d’un projet : s’approprier la poésie, jouer avec ses auteurs et offrir à la pédagogie un nouvel écrin. En vers, et contre tous. Les valeurs prônées par cette expérience sont les mêmes que celles que diffusent les lettres : questionnement du monde et de soi, créativité, façonnage de l’esprit critique qui construit des citoyens libres. Une initiative rafraichissante dans le monde de l’enseignement, parfois sclérosé. Son but est de prouver que la réunion de la littérature, d’Internet, et de la pédagogie peut aider chacun, au contact des autres, à enrichir son humanité. » Littéraires Iroise est une expérience originale et récente, qui reste à enrichir et affiner, mais dont on peut déjà souligner les nombreux intérêts et la réussite incontestable. Celle-ci s’évalue au nombre d’« amis » qui se sont inscrits et font vivre le réseau communautaire (environ 500 en quelques mois de fonctionnement). Les échos chez les élèves sont très positifs, comme l’illustrent certains témoignages reçus : « Félicitations ! » (Romane), « Je suis curieuse de savoir ce que chacun fait… » (Elsa), « Un petit mot pour vous féliciter pour votre travail » (Marina), « Quel plaisir de vous lire ! » (Aurélie), « Internet est définitivement un objet fabuleux ! Comment vous (te) dire… mon émotion, oui, je crois que cela s’appelle ainsi. » (Damien)… Il est d’ailleurs particulièrement encourageant de voir des élèves se manifester spontanément pour proposer des améliorations du site et de son fonctionnement ; c’est dire si cet espace est devenu le leur, à la fois miroir d’eux-mêmes et lieu d’échange avec autrui. L’adolescent d’aujourd’hui déploie son identité dans les liens virtuels qu’il ne cesse de tisser sur la Toile : il revient peut-être à l’école de savoir exploiter pédagogiquement ce désir pour devenir à sa façon « réseau communautaire » et développer le bonheur de vivre ensemble. Jean-Michel Le Baut Professeur de français au lycée de l’Iroise à Brest Les Cahiers pédagogiques n° 482, juin 2010 35 Dossier Le Web 2.0 à l’école Des liens pour mieux apprendre, mieux s’intégrer David Cordina Proposer la participation à un espace communautaire exploitant les outils du Web 2.0 pour à la fois créer du lien entre étudiants expatriés et encourager l’apprentissage du français et des langues vivantes : objectif atteint pour le site foreignerinlille.ning.com X ujiao, étudiante chinoise, résume bien les usages du site : « Pendant six mois, j’ai profité d’un site pour améliorer mon français, Foreigners in Lille. C’est tout simplement un réseau français surtout pour les étrangers. Selon moi, c’est un lieu très pratique pour émettre des opinions personnelles sur n’importe quel sujet, d’exprimer des émotions de la vie. Écrire, écrire, écrire… tout ce que vous devez faire est d’écrire. Peu importe que vos articles soient longs ou courts, rigolos ou littéraires, politiques ou artistiques. Même une image magnifique peut attirer les yeux ! Le but de ce réseau est d’encourager les étudiants étrangers d’écrire en français et de communiquer […] De temps en temps, s’il y a quelqu’un qui provoque une polémique dans le forum, vous pourrez inconditionnellement donner vos idées […] » Bien des raisons d’écrire À leur inscription, les étudiants complètent leur page personnelle et écrivent leur premier billet de blog, généralement sur leurs origines : des villes du Pérou aux capitales européennes en passant par les grandes métropoles de Chine, Foreigners in Lille prend souvent l’allure d’un grand atlas collectif. Autre exemple dans une discussion intitulée « Promenade sur les marchés du monde » : les étudiants décrivent les marchés de leur pays, ceux du Viet Nam ou du Brésil côtoyant les bazars de Turquie et les souks de Palestine. Les étudiants deviennent par l’écriture de leur blog des reporters francophones témoignant de leur vie d’expatrié à Lille. Toute sortie est un prétexte : les visites de musées de la région, le carnaval de Dunkerque, les sorties touristiques en Belgique (le récit de la visite de Bruges est un classique), ou bien cette année, les festivités de Lille 3 000. La programmation lilloise Europe XXL de 36 2009 offre de belles occasions de sorties et, donc, de témoignages interculturels sur ces évènements. Les étudiants choisissent parfois des évènements autobiographiques plus anodins qui, écrits en langue étrangère, prennent toujours valeur d’exercice de production écrite. Le premier plat que je cuisine, mes impressions après deux mois passés en France, une rencontre avec un voisin, des surprises interculturelles sur les rites de politesse français (les bises, par exemple) sont des thèmes fréquents des blogs. « Le site est très connu là-bas. Je me suis inscrit avant d’arriver à Lille » écrit Chine, des chanteurs pop de tous les pays, etc. Débattre incite à s’exprimer ! Sous l’impulsion des enseignants, les usagers de Foreigners in Lille discutent de nombreux sujets : de la place des jeunes ou des femmes dans la société, du racisme, de l’ethnocentrisme, etc. Les conflits ou les polémiques surgissent parfois : une discussion sur la consommation des drogues chez les jeunes a montré les différences culturelles sur l’appréhension de ce problème. Le football et le chauvinisme ont dérivé sur une discussion où chaque intervenant a dû clarifier fermement ses positions. École de langue française, école de citoyenneté et de relativisme culturel, Foreigners in Lille encourage la modération et l’écoute de l’autre. Mais du point de vue linguistique, la polémique Du point de vue linguistique, la polémique a des avantages : l’écriture argumentative prend tout son sens et les efforts déployés pour convaincre le lecteur développent les capacités linguistiques des étudiants. Tong qui vient d’arriver à Lille depuis l’université de Hohai de Nankin. L’inscription au site est une première étape pour ces étudiants chinois qui viennent suivre un semestre de préparation linguistique à Lille 1 avant de commencer leur formation universitaire. Le site accompagne en amont et en aval leur expérience de l’apprentissage du français. Pilar, étudiante Erasmus espagnole, profite de sa page personnelle pour partager sa passion de la photographie. Tous ses clichés sont des occasions d’échanger en langue française. Son exemple a permis de créer une catégorie du forum de discussions intitulée « Le cabinet de curiosités » où chaque inscrit peut présenter ses coups de cœur : une école artistique roumaine, des mangas japonais, phénomène d’édition en Les Cahiers pédagogiques n° 482, juin 2010 a des avantages : l’écriture argumentative prend tout son sens et les efforts déployés pour convaincre le lecteur développent les capacités linguistiques des étudiants. Le site accueille aussi des personnes extérieures à Lille 1, notamment des Français amoureux de l’étranger et intéressés par les questions interculturelles. Un étudiant français qui apprend depuis deux ans le chinois écrit régulièrement sur le site en mandarin. Les étudiants chinois qui apprennent le français viennent le corriger et lui, réciproquement, apporte commentaires et corrections. La logique « gagnant-gagnant » de ce tandem est valorisée. De multiples intérêts pédagogiques D’abord, bien sûr, le développement des compétences de langue écrite – cel- 3- Des outils divers : microblogging, podcast, réseau social les décrites par les niveaux B1, B2, C1 et C2 du Cadre européen commun de référence pour les langues. Par l’écriture des blogs et des contributions aux forums, le site a généré près de 1 600 articles, discussions ou commentaires depuis un an. Le taux d’activités et les temps de visite sont donc élevés et sont significatives de l’intégration de l’outil dans les activités d’apprentissage des étudiants. Le site s’enrichit d’une production de contenus textuels : les apprenants écrivent des essais, des exposés, des discussions argumentatives, des comptes-rendus en rapport aux leçons et à leur vie à Lille. Ensuite, l’animation d’une communauté interculturelle d’apprentissage autour de la langue française et de l’expatriation, favorisant le dialogue inter- équipe enseignante (un animateur principal et une dizaine d’enseignants tuteurs) anime le site. Le rôle des enseignants s’apparente à une enzyme qui catalyse les participations des étudiants. Toutes les contributions ne se génèrent pas en effet de façon spontanée. Il faut des objectifs communs, des projets, des tâches qui dépassent la simple inscription au site. Les textes proviennent le plus souvent d’activités menées en classe, mais leur médiatisation rend possible les interactions avec les autres inscrits de la communauté. Les enseignants doivent désinhiber et encourager l’acte d’écriture, de surcroit en langue étrangère. L’enquête sur les usages du site révèle que ce point est le plus délicat pour les étudiants qui n’osent pas écrire de peur de montrer Les enseignants doivent désinhiber et encourager l’acte d’écriture. L’enquête sur les usages du site montrent que des étudiants n’osent pas écrire de peur de montrer publiquement leurs erreurs. culturel. Les forums et leurs thèmes aident à une meilleure compréhension mutuelle des cultures. Un étudiant bulgare s’interroge par exemple sur le statut de la minorité turcophone dans son pays. Les étudiants des autres pays viennent commenter son texte, relativisent ses propos et présentent le statut des Roms en Roumanie ou encore des Ouïgours en Chine. Le site recherche des échanges de type « e-tandems » qui sont en cours avec l’université de León en Espagne et d’An Najjah de Naplouse en Palestine. Enfin proposer une nouvelle forme d’accompagnement pédagogique. Une publiquement leurs erreurs. Le tutorat correctif joue ici, un très grand rôle. Ce dernier fonctionne par un système d’estampilles, système inspiré des travaux canadiens de Mario Asselin sur les carnets portfolio1. Les estampilles (de petites images à insérer dans le texte) utilisées par les enseignants et les étudiants sont de trois sortes : « texte non corrigé », « texte en construction », « texte à lire ». Ces estampilles résolvent le problème de la publication du texte erroné en rendant visible son statut à l’étudiant rédacteur, à la communauté et à l’internaute visiteur. Dans un deuxième temps, l’en- seignant insère ses corrections linguistiques dans les commentaires. Un site qui fonctionne aussi grâce à ses animateurs Par des enquêtes qualitatives sur les usages, nous améliorons l’offre pédagogique pour évaluer au mieux les progrès en matière d’apprentissage. Les taux d’activités écrites des étudiants sont en essor. Lorsqu’ils publient leurs textes dans un espace ouvert, ils trouvent satisfaction en donnant un sens à l’enseignement de la communication écrite. Comme pour une compétition sportive ou lors d’un concert d’une école de musique, ils affichent au vu et au su de tout le monde le développement de leurs compétences. C’est un moteur énorme à la motivation qui entraine l’envie d’apprendre et l’envie d’enseigner. Support idéal de projets informels (tandems, sorties, sociabilité entre apprenants) Foreigners in Lille permet d’entamer la réflexion sur les apports pédagogiques des réseaux sociaux. Il semble que la transparence et la motivation soient des aspects importants qui devront être analysés. De même, nous chercherons à comprendre comment les réseaux sociaux dédiés aux langues étrangères aident les apprenants à co-construire l’expression de leur identité. David Cordina Professeur de lettres modernes et de français langue étrangère, université de Lille 1 Adresse du site : http://foreignerinlille.ning.com Contexte : Le français langue étrangère et les TIC à Lille1 L’université des sciences et des technologies de Lille 1 propose une animation pédagogique en ligne à partir d’un outil Internet, un site social à objectifs linguistiques. Il permet aux 550 étudiants inscrits de créer leurs pages personnelles, d’écrire en langue française leurs blogs ou encore de participer aux forums de discussions du site. Chaque étudiant peut construire son propre environnement d’apprentissage par l’addition de textes, d’images, de photographies, ou encore de nouveaux outils Web 2.0. Bien que cette expérience pédagogique se déroule dans l’enseignement supérieur et la formation continue pour le français langue étrangère, elle est facilement transférable à des publics collégiens ou lycéens concernés par l’apprentissage des langues étrangères. 1 http://carnets.opossum.ca Les Cahiers pédagogiques n° 482, juin 2010 37 Dossier Le Web 2.0 à l’école 4- Identité numérique et « amis » sur la Toile Peut-on être « ami » avec ses élèves ? Sylvie Grau S’il est illusoire de penser établir une frontière étanche entre vie scolaire et vie privée, les réseaux sociaux sur Internet bousculent fortement les limites établies, posent de nouveaux problèmes bien délicats. J ’ai toujours considéré que les élèves ne peuvent apprendre qu’une fois qu’ils ont réussi à laisser leurs soucis à la porte de l’établissement. Si ces soucis sont d’ordre personnel, je n’ai pas à les connaitre, pourtant il faut bien que l’élève puisse se décharger des problèmes graves, sinon il risque de se voir en difficulté soit par son attitude en classe, soit par ses résultats scolaires. Et parfois des choses anodines pour nous sont des problèmes graves pour les élèves. De l’écoute bienveillante… On me reproche de trop tenir cas de ce que disent les élèves. Mais écouter les élèves n’est pas non plus les croire systématiquement, c’est simplement offrir une oreille bienveillante, laisser s’exprimer un sentiment ou un ressenti, une réflexion afin de permettre à l’élève de s’en détacher. Autoriser l’élève à avoir des sentiments et lui apprendre soit à les dominer soit à les exprimer fait aussi partie de l’éducation. Savoir quel est le ressenti face à une situation n’est pas juger la situation par elle-même. Pour permettre cette parole, j’ai mis depuis plusieurs années en place une 38 fiche de suivi. Sur cette fiche, outre une autoévaluation sur le type d’apprenant qu’est l’élève, un suivi du projet d’orientation, quelques renseignements administratifs, j’écris tous mes commentaires et conseils à chaque devoir, organisés par type : connaissances, savoir-faire numérique, raisonnements, expression. À chaque devoir l’élève a au bout de la ligne de commentaires un espace où il peut mettre son ressenti, son bilan, ses pistes de travail pour la suite, etc. Un autre espace « communication » est laissé à l’élève pour écrire tout ce qui peut me permettre de mieux comprendre ses difficultés d’apprentissage. Depuis cette année l’espace de parole est pratiquement vierge. Pourquoi ? J’ai deux réponses : la première est que de plus en plus les élèves mélangent public et privé et ne protègent plus autant leur intimité (mais étant donné que c’est aussi le cas de nos hommes politiques, on ne peut pas leur en vouloir), la seconde est que les élèves ont trouvé un autre biais pour me mettre au courant quand ils le souhaitent : Facebook. Les Cahiers pédagogiques n° 482, juin 2010 Les choses ont commencé par une demande d’un élève sur ma messagerie professionnelle : « voulez-vous être mon amie ? » J’avoue avoir découvert le site à cette occasion. … y compris par le biais d’Internet… J’ai réfléchi à mon profil et choisi de m’afficher sous un aspect personnel, mais aussi public, c’est-à-dire par un de mes loisirs : la musique. Je suis chanteuse dans un groupe et j’ai trouvé que cet aspect de ma vie pouvait être révélé aux élèves puisque beaucoup m’avaient déjà vue en concert, et donnait une entrée mesurée sur ma personnalité. Très vite j’ai eu beaucoup d’amis, mais peu d’échanges réels. À la fin de l’année scolaire, j’ai cessé de me connecter et l’année scolaire suivante j’ai décidé de ne plus répondre aux demandes, car je n’avais pas trouvé d’intérêt à savoir qu’il y avait eu la fête chez Corentin samedi dernier et que Lucie ne sortait plus avec Martin depuis hier. Jusqu’à ce qu’un matin en plein cours de maths, un élève lève la main pour me demander : « Vous pouvez me dire pourquoi vous n’avez pas accepté d’être mon ami sur Facebook ? » J’avoue avoir été un peu désorientée par la question… Je ne sais plus ce que j’ai répondu sur le coup, tout en me demandant pour- quoi c’était si important pour lui. Le soir même il me refaisait la demande et là j’ai accepté, par curiosité. Cet élève que j’avais eu en 2de l’année précédente avait vécu une histoire amoureuse tapageuse qui avait fait grand bruit au lycée et qui avait compromis sérieusement un voyage scolaire. Il s’était mutilé et nous avions été très inquiets pour lui. Il venait donc par ce biais me montrer qu’il allait mieux, il était en photo avec sa nouvelle copine et affichait le sourire béat de l’adolescent heureux. J’ai alors compris que l’espace de communication changeait et prenait une nouvelle forme, plus interactive, mais aussi plus intrusive. Depuis j’ai une bonne partie de mes élèves comme « amis », car les nouvelles vont vite sur ce type de site ! Ayant accordé mon amitié à l’un, j’étais coincée et devais l’accorder aux autres. J’ai d’être son amie et je crois qu’il n’avait pas bien compris que, dans ce réseau, tout le monde a accès à tout et donc qu’en me connectant les photos étaient affichées sur mon profil, sans que j’aille les chercher. Comme quoi le fonctionnement de ce type de site échappe aux jeunes qui se connectent. Une autre fois, alors que je me connecte tard dans la nuit, un élève m’envoie un message par le chat en direct. J’ai eu réellement le sentiment qu’il s’était introduit dans mon bureau ! Quelques mots anodins et une injonction à aller se coucher m’ont placée dans une posture délicate. Je n’étais plus dans mon rôle. De nouvelles formes de relations à gérer L’avantage pourtant est que lorsqu’un élève change brutalement d’attitude face au travail, je trouve souvent une explication sur Facebook. Un mot en Bien sûr je n’ai pas leur accord, mais en même temps je suis sur un espace rendu public, alors ? pu avoir des nouvelles des anciens partis dans d’autres villes ou d’autres établissements. J’ai été avertie des projets de blocus, les élèves me signalent les grands évènements : leur permis, les accidents… Ils me posent des questions au sujet d’un cours ou d’un travail à rendre, ils reviennent sur un évènement vécu au lycée, demandent des explications ou des conseils. Tout cela passe par ma messagerie professionnelle. … aux excès de la familiarité numérique Par contre, j’ai aussi accès à leur profil et ça, ça me gêne énormément. J’ai le sentiment de m’introduire dans leur vie. Pourtant, eux de leur côté ne semblent pas être gênés le moins du monde. La grande différence avec ma fiche de suivi, c’est que les messages étaient alors clairement personnels ; maintenant, si je suis amie, j’ai accès à tout ce qu’ils affichent sur leur mur, que le message s’adresse à moi ou non. J’ai ainsi eu la très mauvaise surprise de tomber sur des photos prises lors d’une fête… dans ma salle à manger. En effet un de mes garçons avait invité un ancien élève. Il m’a fallu du temps pour digérer la chose. J’en ai parlé à mon fils pour lui expliquer qu’il me mettait dans une position très délicate et qu’il devait réfléchir à ce qui pouvait ou non être public. Ce fut une bonne occasion pour le mettre face à ce questionnement. Sa première réaction a été : « Tu n’as qu’à pas aller voir ! » Pas faux, sauf que lui aussi m’a demandé classe peut parfois permettre à l’élève de revenir à ses apprentissages. Je glisse un « je sais que ça doit être difficile pour toi en ce moment, maintenant essaye de te consacrer à ton travail pour pouvoir regarder les choses plus sereinement ensuite ». Bref un « je sais » et « je sais que tu sais » qui permet de se sentir en sécurité. Un message envoyé à un élève absent régulièrement permet de lui montrer qu’on est inquiet et qu’il est important au sein de l’institution scolaire. Un autre envoyé à un élève malade permet de lui donner quelques pistes pour rattraper le cours. Lorsque je suis inquiète pour un élève, comme récemment pour une addiction à la drogue et une suspicion de racket, un tour sur Facebook me donne une idée de l’entourage ou de l’emploi du temps. Peut-être que je me trompe, peut-être que c’est indécent ? En même temps, si ça peut éviter un entretien où, par des questions qui se veulent les moins intrusives possible, on entre malgré tout dans la vie intime de l’élève, je me dis que c’est mieux. Bien sûr je n’ai pas leur accord, mais en même temps je suis sur un espace rendu public, alors ?.. La difficulté est aussi d’avoir un regard qui reste le plus bienveillant possible. J’ai appris à ne pas juger ce qui s’écrit ou se dit sur cet espace, les propos ne sont d’ailleurs pas toujours sincères. L’écart entre la personnalité du jeune et l’image qu’il souhaite partager peut être important. Aujourd’hui je me connecte environ une fois par semaine ou quand j’ai un nouveau message. À les lire, j’ai parfois le sentiment d’être devenue veilleur, ou voyeur ? Pas de réponses simples, mais il faut bien répondre Je reste avec ces questions à la fois de société et professionnelles. Notre mission est de moins en moins claire dans une société où l’école n’a plus le même statut. Il s’agit de permettre aux enfants à la fois d’apprendre et de devenir des adultes responsables. Est-il possible d’intéresser les élèves à leurs apprentissages scolaires sans intégrer ces connaissances à leur vie privée ? Comment leur montrer que l’apprentissage peut-être source de plaisir si on n’a pas conscience du type de plaisir recherché, des questions fortes que se posent les jeunes que nous formons ? Peut-on leur imposer des points de vues sans partir de leur vision ? J’ai besoin dans mon enseignement de mieux connaitre mes élèves pour mieux approcher leurs questions et montrer en quoi le savoir scolaire peut apporter des réponses et du réconfort. Mais peut-être que je me trompe puisqu’une institution est justement un espace où l’individu n’existe qu’au sein d’un collectif. Il y a là un paradoxe qui me mine : comment avoir un regard différencié au sein d’une institution ? Cette année, j’ai voulu mettre en place un blog pour permettre aux élèves de s’exprimer dans un espace clairement identifié comme lieu d’échange entre élèves et professeurs. Le projet n’a eu aucun écho, les élèves n’ont absolument pas vu l’intérêt puisqu’entre le téléphone, MSN et Facebook ils ont tout l’espace voulu. J’ai donc envie de travailler cet aspect l’an prochain en vie de classe : comment privilégier une communication ciblée qui protège l’intimité et serve les apprentissages ? Vaste programme, donnez-moi vos idées ! Sylvie Grau Professeure de mathématiques en lycée à Orvault (Loire-Atlantique) Les Cahiers pédagogiques n° 482, juin 2010 39 Dossier Le Web 2.0 et l’école Une carte de visite sur Internet Christine Bolou-Chiaravalli Que dire, que montrer de soi sur Internet ? Répondre « rien » n’est guère possible alors que c’est devenu un moyen sans pareil d’obtenir des stages, voire un emploi. Un bel objet de travail pour des classes de BTS et licence professionnelle. « Les abeilles pilotent deçà delà les fleurs, mais elles en font après le miel, qui est tout leur, ce n’est plus thym ni marjolaine, ainsi les pièces empruntées d’autrui, il les transformera et les confondra, pour en faire un ouvrage tout sien : à savoir son jugement ». I Montaigne, Les Essais. l faut profiter de l’enthousiasme de la rentrée – je parle de celui des professeurs – pour se réconcilier avec les classes qui, d’habitude, sont rétives à l’écriture. Un détour intéressant est de proposer à des classes « techniques » une activité encore peu répandue : mettre en ligne leur CV en créant un blog qui ira au-delà d’une simple feuille A4, bref de poster « leur carte de visite » professionnelle sur Internet. On attrape mieux avec du miel Comment faire écrire mes élèves de BTS quand le coefficient de ma matière les motive peu à s’investir sincèrement et quand l’examen n’intervient qu’en deuxième année ? En ne leur disant surtout pas que nous allons travailler leur expression, la cohérence d’un document, l’impact d’une présentation claire, mais que nous allons créer un blog. J’étais naïvement persuadée qu’une telle offre allait susciter une réaction enthousiaste de leur part pour plusieurs raisons : ils ont l’habitude de surfer, connaissent l’univers des blogs et aiment le monde numérique. Je me suis heurtée en fait à une grande frilosité de leur part. Ma classe de maintenance industrielle a écouté poliment mon plan d’attaque, mais la première question après la traditionnelle « c’est noté ? » a été « on est vraiment obligé de le faire ? ». J’ai eu du mal à saisir leurs réactions, mais je me suis aperçue lors du cours suivant, en posant des questions précises, que quatre élèves sur dix-huit n’avaient pas Internet à la maison, qu’un seul avait déjà son blog et, surtout, qu’ils n’avaient aucune idée de ce qu’ils pourraient bien mettre dedans. Enfin, il y avait un pas énorme à franchir entre consulter ou jouer sur Internet et créer un minisite personnel. 40 Mettre les abeilles au travail La première étape a donc consisté à les rassurer et à leur préciser que j’étais moi aussi novice et que l’entraide était de mise entre nous. De fait, j’avais déjà créé deux blogs pendant l’été 2008, mais mon expérience s’arrêtait là. La deuxième étape a consisté à les convaincre de l’utilité de ce projet : dans six mois, ils devraient chercher un employeur pour leur stage de deuxième année et pourraient contacter en ligne des entreprises, déposer un CV numérique – ou l’adresse de leur blog – sur leur site, voire, par la suite, sur des sites d’offres d’emploi. J’ai demandé à la responsable d’une agence d’intérim de notre ville, Laëtitia Funfschilling, de venir nous rencontrer une fois avant l’élaboration du blog – pour échanger autour du contenu d’un CV – et une fois après, quatre semaines plus tard, pour criti- réussite notée sur 20, puis à retourner dans la salle informatique noter le travail des autres. Chacun a pu consulter environ six blogs de ses camarades. Les remarques et critiques qui fusaient pendant cette heure ont été beaucoup plus efficaces que les miennes. La majorité a modifié, soit immédiatement, soit dans la semaine qui suivait, les points critiqués : « Toi tu as fait un stage de huit semaines chez XX, où ça ? », « la photo, c’est dans ta cuisine ? », « Je comprends rien à ta dernière phrase dans la rubrique Loisirs ». Les notes obtenues étaient majoritairement bonnes ou très bonnes, c’était la première fois pour certains dans cette matière, et ils ont été fortement valorisés par cette activité ainsi que, plus tard, par le retour d’une professionnelle sur leur travail. De la larve à l’abeille travailleuse J’avais prévu de leur montrer le blog réalisé via mon opérateur téléphonique, mais l’idée du modèle ne m’a plus semblé pertinente en salle informatique lorsqu’ils étaient sur leur ordinateur : cela pouvait les décourager avant même Il y avait un pas énorme à franchir entre consulter ou jouer sur Internet et créer un minisite personnel. quer notre travail. L’expérience était très intéressante pour elle aussi. Son intervention a renforcé le sentiment qu’ils ont eu tout de même assez rapidement que « cela pouvait servir à quelque chose ». La troisième étape a consisté à réfléchir ensemble, à partir d’une version imprimée de leur CV, puis d’une réflexion au brouillon : que voulaientils faire figurer dans leur blog ? Était-ce pertinent ? Nous avons passé les trois cours suivants en salle informatique. Pour la quatrième étape, j’ai simplement indiqué des sites hébergeurs de blogs, mais ils étaient libres de choisir celui qu’ils voulaient, du moment que le pare-feu du lycée les y autorisait. J’ai montré quelques manipulations de base : comment s’inscrire, choisir un fond, créer des rubriques. Mais ils se sont très vite approprié les fonctionnalités et s’aidaient entre eux. La cinquième étape a consisté à élaborer en classe une grille de critères de Les Cahiers pédagogiques n° 482, juin 2010 de commencer. Même si le résultat est de facture classique, personne n’a eu le sentiment d’être bridé. J’étais en position d’accompagnatrice, de tutorat actif, mais ils m’ont dit ne pas avoir eu l’impression d’être en train de travailler. L’émulation est venue en fait très vite après une phase de résistance et de passivité chez certains. Seul un rebelle n’a rien fait de valable : une page de garde avec son nom et cinq lignes de CV. Les autres ont été très motivés par le sentiment d’être acteurs de leur travail. L’élève le plus faible est parvenu à un résultat tout à fait satisfaisant, en se faisant aider certes, mais en suggérant aussi des pistes. Il a voulu donner une coloration chaude et orientale à son blog1, et terminer par une petite vidéo de lui et d’un ami se faisant mouiller pour montrer qu’il savait insérer des films et était débrouillard. Laëtitia Funfschilling, dont c’était la première expérience de blog à finalité 4- Identité numérique et « amis » sur la Toile professionnelle, a trouvé que l’on devinait très vite la personnalité de celui ou celle qui le rédigeait. Elle était très sensible aux photos mises en ligne, qui devaient être à la fois neutres et engageantes. Il était intéressant pour moi qu’elle parle de la correction grammaticale : les fautes récurrentes et énormes la gênaient. Elle s’est arrêtée sur le blog de Guillaume qui, peu à l’aise avec les nouvelles technologies et avec le français, est parvenu néanmoins à mettre en avant son gout du travail en équipe à travers un article et la description de son activité de sapeur-pompier. Il était très soucieux de la présentation et a retravaillé plusieurs fois son site pour parvenir à un résultat satisfaisant. Dernier exemple, Damien avait déjà son blog2 avant que je ne propose l’exercice ; il est allé bien au-delà de ce que je demandais. Il a ajouté un livre d’or, a scanné les diplômes qu’il avait obte- Il n’a pas été le seul et même Guillaume, dont le site avait été tant admiré, n’a pas conservé le sien3. Ils étaient un peu plus âgés que les BTS et plus au fait de l’usage des nouvelles technologies, mais, qualitativement, on ne peut considérer le résultat comme meilleur : la mise en page, le choix de la présentation, la charte graphique étaient comparables4. Le contenu en revanche est plus riche, moins fautif, et Plusieurs ont invoqué leur droit à l’anonymat sur Internet. J’ai dû les autoriser dans un premier temps à utiliser des pseudonymes, pour surmonter leur réticence. nus, créé une rubrique « mon actualité », ajouté des flux RSS, un compteur de visites (1 000 personnes ont visité ses pages en un an). Un frelon dans un nid de guêpes Forte de mon expérience heureuse avec les BTS, j’ai voulu renouveler l’expérience avec une classe de licence professionnelle en option qualité. La résistance a été très grande et les déconvenues multiples. Je me suis heurtée à deux problèmes majeurs. Plusieurs ont invoqué leur droit à l’anonymat sur Internet. J’ai dû les autoriser dans un premier temps à utiliser des pseudonymes, puis leur démontrer qu’ils existaient déjà sur la Toile, pour surmonter leur réticence. L’usage des pseudonymes détournait l’exercice et en faussait aussi l’intérêt, ce qu’ils ont finalement reconnu, et tous sont revenus aux consignes données initialement. Le devenir du blog posait problème à une petite minorité, qui a choisi un hébergeur proposant l’option « effacer le blog », ce qui n’est pas le cas de tous, et je leur ai assuré qu’une fois l’exercice terminé ils pourraient le faire. Cela a été le cas pour Maxime qui, le lendemain de la dernière séance sur ce sujet, a supprimé le blog qui lui avait demandé une dizaine d’heures de travail, mais dont la photo avait été plusieurs fois critiquée. les débats sont allés plus loin : ces blogs allaient-ils être intégrés sur la plateforme du lycée, constituer la base d’un annuaire des anciens ? Un débat qui n’est pas à l’heure actuelle résolu. Quelques ours mal léchés dans la webforêt En complément des heures passées en salle informatique, nous avons étudié un texte sur l’e-réputation de Cécile Maillard5. Les discussions sont allées bon train et la réflexion a été profonde. Nous avons parlé d’éthique, de droit à l’image, de confidentialité. Ils ont pris pleinement conscience de la notion de traçabilité. La mémoire d’Internet est énorme et effacer ses traces n’est pas toujours facile. La classe de licence qui, quelques mois plus tard, serait sur le marché de l’emploi y était très sensible. S’inscrire sous leur vrai nom leur posait problème, mais les photos en posaient encore plus. Certains sont très à l’aise avec leur image, d’autres pas du tout. Au départ, deux ou trois ont demandé à mettre un avatar, un personnage fictif qui « prendrait leur place ». J’ai confirmé que la photo n’était pas obligatoire et qu’ils pouvaient – ou non – en faire figurer une selon le principe du CV anonyme. Au final, tout le monde a mis sa photo. Mais ils voulaient une pose avantageuse : devant une belle voiture, à la plage, avec leur copine et, là encore, après quelques remarques entre eux, ils ont éliminé rapidement les plus anecdotiques, mais pas toutes. De même, ceux qui avaient pris une photo d’eux avec un appareil à basse définition l’ont effacée et remplacée d’eux-mêmes. Ils étaient très soucieux du rendu esthétique de leur blog, tout en étant moins exigeants sur le fond. Cela coule de source En bilan de ces deux expériences, je peux dire que les productions ont été à la hauteur de mes attentes et que la satisfaction de la grande majorité des étudiants était nette. Ils ont pris plaisir à créer un blog, même à partir de structures préinstallées, et à faire lire leur contribution, à soigner leurs réalisations. Ils ont joué sérieusement et utilement. Il n’est pas besoin d’être spécialiste pour se lancer dans cette aventure et, pour le professeur de français, les intérêts pédagogiques sont évidents : des compétences sociales et scolaires sont mises en jeu et les impliquent fortement dans le cours ainsi proposé. Enfin, créer un blog s’inscrit dans une logique de coconstruction du savoir : le professeur dispense et reçoit tout comme l’élève. Notre travail trouve son accomplissement lorsqu’ils prennent leur envol et vont au-delà de l’endroit où nous les avons initialement emmenés. Christine Bolou-Chiaravalli Professeure de lettres modernes en lycée à Guebwiller (Haut-Rhin) 1 karatasmuhammed.unblog.fr 2 damien-mosteiro.kazeo.com 3 soulliereguillaume.unblog.fr/ 4 En voici un exemple : damienpinna.unblog.fr 5 Le Nouvel Observateur (n° 2211, 22 mars 2007). Les Cahiers pédagogiques n° 482, juin 2010 41 Dossier Le Web 2.0 et l’école Deux jeux de vie Benoit Drunat Un point de vue de psychanalyste sur les relations monde scolaire/sphère privée à l’ère numérique. Pour lui, l’école doit se garder de faire intrusion dans un champ que les adolescents se sont approprié pour interroger ce qui change en eux. E n 1910, Sigmund Freud achevait l’introduction d’un colloque devant des enseignants par ces mots : « [l’école] ne doit pas vouloir être plus qu’un jeu de vie1. » Ainsi, il faisait de l’institution scolaire, un des lieux où la vie s’éprouve avec tout le sérieux nécessaire au déroulement de la partie. Il n’était pas sans savoir que l’élève y joue sa partie combinée à celles des autres, dans une microsociété dont les règles se doivent d’être conformes aux lois de la Cité. Mais l’école n’est pas le point d’accueil de tous les jeux de vie notamment, précise-t-il, parce qu’elle « ne doit jamais oublier qu’elle a affaire à des individus encore immatures…2 » Cette dernière expression surannée insiste à sa manière sur « la plus délicate des transitions, l’adolescence » selon l’énoncé hugolien3. Or, l’elliptique formule de Freud n’est pas sans poser problème si l’on envisage de la transposer, cent ans plus tard, dans l’actualité de l’école, à l’heure où les programmes scolaires font une place grandissante aux technologies de l’information et de la communication dans l’enseignement (Tice). Le motif invoqué de cette inflexion des programmes est multiple : volonté politique de réduire la « fracture numérique », lutte contre l’échec scolaire, développement de l’esprit critique des élèves, explication des méfaits du piratage et du respect de la propriété intellectuelle, voire protection contre des intentions malveillantes. Soit ! L’école étant de surcroit un lieu d’éducation, on admettra sans ambages qu’elle joue là une part de son rôle. Pour autant qu’elle s’y tienne : « dans l’enseignement ». Mais voilà, cette orientation dans l’école s’accompagne d’une autre : les adolescents recourent à d’autres technologies d’information et de communication, qui recèlent d’autres enjeux d’éducation, étrangers à ceux qui incombent à l’école. 42 Un autre « jeu de vie » trouve à s’y développer, essentiel, premier, dont il n’est pas inutile d’essayer de dire quelque chose, du point de vue de la psychanalyse, pour répondre à la simple question de savoir de quel jeu il s’agit et d’en tirer quelques conséquences, notamment pour préciser en quoi l’école et plus spécifiquement l’adulte enseignant se doivent d’y rester étrangers. Des joueurs Certains – nommons-les : les comportementalistes, dont l’idéologie n’est pas étrangère à ce qui s’élabore dans l’école – aimeraient réduire l’adolescence à cette étape obligée dans la conquête d’une « estime de soi » normée. D’où par exemple la recrudescence, notamment au collège, de dispositifs visant à promouvoir le « savoir-être » où l’hygiénisme tient un engagement de choix d’objet (quel partenaire ?) et de choix de vie (quelles pratiques ?). Aussi l’adolescent estil confronté à une aventure4 : celle qui le pousse, face aux transformations de son anatomie et à l’effraction d’un corps nouveau, dans un sentiment d’étrangeté, à rencontrer un impossible à dire, à se confronter aux idéaux parentaux, à s’identifier à ses semblables. On comprend mieux dès lors pourquoi le message d’alerte reste lettre morte : ce n’est pas son problème. Ou plus exactement, ce n’est pas à ce niveau des interdits que cela se joue. Ce dont il s’agit pour l’adolescent, c’est de cerner l’étrangeté pulsionnelle qui l’assaille, que la langue commune ne suffit pas à dire et qu’il met à l’épreuve de la série des pairs dont il s’entoure pour vérifier que ce qui lui arrive n’est pas hors-sens. Devant la puissance de la pulsion, l’adolescent vacille et, dans une forme de l’urgence, se coltine l’identification première au désir parental qu’il met en Les adolescents bricolent donc dans la langue et c’est là que la partie se noue, notamment sur les blogs et dans les réseaux informatiques communautaires. lieu de règle commune et tend à enrayer ce que les comportementalistes nomment « troubles du comportement » ou « comportements à risque ». Au nombre des dispositifs supposés prévenir ces risques, il est désormais fréquent que soient proposées aux élèves des actions en lien avec l’utilisation d’Internet, au motif que l’école doit promouvoir une « pédagogie de la vigilance ». Pour autant que l’on admette que ces actions soient légitimes, à qui s’adressent-elles ? L’adolescent ne saurait être réduit à ses comportements, ni la puberté à une montée hormonale. Qui donc sont les joueurs ? La psychanalyse, qui n’a pas d’autre substrat que la langue, enseigne que ce qui se joue à l’adolescence réside dans une ré-actualisation de la libido (quel désir pour quelle jouissance ?), dans Les Cahiers pédagogiques n° 482, juin 2010 question de façon inédite et radicale. Or, à cette fin, il ne dispose pas de mots tels qu’ils puissent exprimer la nouveauté. C’est ainsi qu’il innove et crée une nouvelle langue vivante, propre à le dire. À ce titre, l’adolescent est celui qui rompt avec cette langue commune : elle ne sait pas dire l’inéluctable transition que mentionne Hugo. Dans sa langue5 donc, langue nouvelle, communautaire, parfois locale, toujours temporaire – et que l’adulte est prompt à signaler comme empreinte de provocation, ce qui indique assez le malentendu –, le joueur choisit d’interroger ce qui advient en lui : la distance inédite qui s’institue avec l’adulte et l’émergence du désir sexuel. Il utilise à cette fin des vecteurs de cette langue nouvelle dont il n’est pas inutile de rappeler qu’elle s’inscrivit, un temps, sur les murs des villes, sous la forme de tags 4- Identité numérique et « amis » sur la Toile et autres graffitis ou sur les tables des collèges et des lycées. En effet, dans la partie qui se joue, pas sans la langue, le recours à l’écriture est décisif. Une partie Beaucoup d’adolescents s’écrivent, dans une langue que les exilés de l’adolescence peinent à comprendre : n’est-il pas commun à bon nombre d’enseignants de déplorer le jaillissement, dans les productions scolaires de leurs élèves, de cette langue vivante étrangère, tombée au champ de l’écrit, qu’ils ne comprennent parfois qu’à la condition de l’articuler à voix haute ? Les adolescents bricolent donc dans la langue et c’est là que la partie se noue, notamment sur les blogs et dans les réseaux informatiques communautaires : avec la langue – Jacques Lacan une instance de questionnement de l’Idéal. Qu’est-ce à dire ? Rimbaud, cité par Philippe Lacadée, en offre, lorsqu’il achève « Vagabonds », une métaphore, « énoncé paradigmatique de la quête de tout adolescent7 » : « moi pressé de trouver le lieu et la formule 8. » Le jeu consiste donc à trouver le point (le lieu) à partir duquel un équilibre (la formule) propre à chacun s’établit entre les idéaux parentaux, les identifications subjectives et les exigences de la pulsion et du désir notamment. À la recherche de l’Idéal perdu, tel pourrait donc être le nom du jeu. Jeu qui interroge des territoires aux frontières inconnues, dans lequel le joueur doit s’aventurer sur un no man’s land inhospitalier, ne retrouve pas l’Idéal perdu, mais aboutit devant une porte. Pour D’où le sentiment d’« inquiétante étrangeté » éprouvé par tel ou tel enseignant devant l’accueil qui lui est réservé : on ne devient pas « ami » (ou pas) impunément. aurait écrit lalangue pour signaler le rapport indéfectible entre le sujet et l’emploi qu’il fait de la langue –, pas sans l’image du corps6, mais à distance des corps. Tout est là : produire un acte qui vise à garder l’autre à distance, à être identifié et s’identifier comme semblable, à interroger chez l’autre, comme en miroir, le mystère de la transition, dans une série d’enjeux pulsionnels et inconscients. Mais alors, que s’agit-il d’écrire ? Rien d’autre que l’énigme de la jouissance, au sens de la psychanalyse : à distance du corps de l’autre, dans une proximité imaginaire néanmoins, l’adolescent questionne cet « en-trop » qui le déborde. L’écriture vient alors border le mystère et scander ses manifestations. Que disent d’autre les blogs des adolescents ? Que montrent-ils ? À quoi consacrent-ils leurs échanges sur les sites communautaires ? Les règles de la partie sont simples : elles se limitent aux modalités de l’identification et de la reconnaissance. Via l’écrit, dans une langue qui leur appartient, ils constituent un réseau d’« amis » pour jouer une partie d’un jeu que l’on peut tenter de nommer. Le jeu L’écriture en question n’est pas autre chose qu’une tentative de traduction, un décodage. En d’autres termes, on pourrait proposer la formule suivante : franchir la dernière étape du jeu, le joueur doit pousser la porte. À ses risques et périls. La société contemporaine offre aux adolescents un nouveau terrain pour pratiquer ce jeu intime : le huis clos d’une chambre appareillée d’un ordinateur connecté à Internet. Seuls sont admis sur le terrain les pairs. Le passage par une écriture codée en est à la fois le mot de passe et le login, tel un sumbolon, un signe de reconnaissance. On peut donc enseigner les moyens de comprendre les outils informatiques de communication et les « préventions » utiles contre tel ou tel « danger ». Mais l’école doit se garder de considérer qu’elle pourrait avoir une fonction quelconque dans l’aventure en jeu, qui relève de la pure expérience subjective. Ainsi, Philippe Lacadée rappelle, avec sérieux et vigueur que l’école ne doit pas céder au « mirage… qui prône l’efficacité ou la contention, et de ce fait, nivèle les différences subjectives…9 » Ainsi, l’enjeu pédagogique qui se noue dans l’enseignement des technologies d’information et de communication ne saurait ni recouvrir ni suppléer ni empêcher la dimension intime qui s’éprouve entre pairs. Il est une part de l’adolescent qui ne concerne pas le professeur et dont la frontière s’établit au point où s’éprouvent l’éveil et l’exil du sujet en question. Benoit Drunat Psychanalyste, membre de l’Association de la cause freudienne (VLB) et du Centre interdisciplinaire sur l’enfant (CIEN : www.champfreudien.org/cien) Intrus et avatars Voilà pourquoi l’irruption d’adultes dans ce jeu n’est ni souhaitée ni souhaitable. Ce serait une intrusion qui ne pourrait pas être sans conséquence sur l’intrus même. Car il y trouve ce qu’il vient y chercher : la preuve qu’il n’y a pas sa place en tant que tel. D’où le sentiment d’« inquiétante étrangeté » éprouvé par tel ou tel enseignant devant l’accueil qui lui est réservé : on ne devient pas « ami » (ou pas) impunément. Nous le disions en introduction, et ce point ne fait pas débat : que l’école prenne à sa charge la dimension pédagogique des Tice (à condition de ne pas oublier que l’acronyme comporte le E d’Enseignement) constitue sans doute une part de son rôle. Mais il en va autrement si, sur ce motif et ce terrain, on cherche à instituer je ne sais quelle connivence. L’adulte habite d’autres espaces, où il doit accueillir l’adolescent. 1 Sigmund Freud, « Pour introduire la discussion sur le suicide » (1910), in Résultats, Idées, Problèmes, vol. 1, Ed. P.U.F, 1984, p. 132. 2 Op. cit., p. 132 3 Victor Hugo, Les Travailleurs de la Mer (1866). 4 À entendre au sens étymologique du participe futur latin « adventurum », dérivé de advinere, « ce qui doit/va/peut arriver ». 5 Langue à la syntaxe renouvelée, au signifiant torturé, à la voyelle abolie, réduite parfois au signe, souvent polysémique et constituée d’emprunts détournés. Voir Le Lexik des Cités (Ouvrage collectif, Ed. Fleuve noir, 2007). 6 Les autoportraits photographiques y tiennent une large place. 7 Philippe Lacadée (psychiatre, psychanalyste, membre de l’École de la Cause freudienne), L’Éveil et l’Exil, Enseignements psychanalytiques de la plus délicate des transitions : l’adolescence, Ed. Cécile Defaut, 2007, p. 128. Nous ne saurions trop conseiller la lecture de cet ouvrage aux professeurs. 8 Arthur Rimbaud, « Vagabonds », in Illuminations (1873 – 1875) 9 Philippe Lacadée, op. cit., p. 23. Les Cahiers pédagogiques n° 482, juin 2010 43 5- Ce que ça change pour les usagers de l’école Blogs pédagogiques et conditions de travail Françoise Cahen Les blogs de classe ou les sites pédagogiques remettent en cause certains repères classiques de notre métier d’enseignant. Le cadre bien défini de la relation professeur-élèves dans une classe, avec un horaire déterminé et limité, explose. Mine de rien, il s’agit d’une petite révolution. V os élèves consultent des documents à distance à n’importe quel moment, ils vous posent une question en plein weekend via un commentaire, ils se mettent ensemble à construire un débat argumenté depuis chez eux sur une question du programme… Certains parents avouent regarder chaque semaine l’avancement du travail. Les élèves d’autres établissements consultent eux aussi les conseils que vous donnez à votre classe sur le blog pour préparer l’oral et vous en remercient… L’eau contenue dans la casserole du cours déborde sur Internet, hors du temps, hors les murs : est-ce dangereux ? Dans les salles des profs, certains enseignants considèrent même le collègue qui tient un blog comme une véritable menace, quand ils n’essaient pas de dissuader les élèves de l’utiliser… Une remise en cause de l’exercice du métier enseignant ? Il faut avouer que certaines situations posent question. Vous êtes absent pour maladie, votre remplaçant n’arrive pas tout de suite, vos élèves doivent prépa44 rer le bac : vous déposez dans l’urgence des documents sur le blog pour qu’ils continuent de travailler. L’arrêt de travail qu’on vous a imposé est-il encore respecté ? « Tu comprends, tu crées un précédent. Moi, si je suis malade, après on pourra me reprocher de ne rien faire pour mes élèves » : ce sont les propos qu’a tenus un collègue pour expliquer sa prise de position dans la classe que nous partageons, contre mes consignes de travail sur le blog. est accessible à tout public, cela signifie aussi que votre travail est disponible pour tous gratuitement, ce qui choque parfois. Certains ont en effet une conception de l’enseignement plus « publique » que d’autres, qui considèrent qu’un rapport strictement exclusif avec ses élèves est de mise, mais aussi que notre production mériterait une rétribution des droits d’auteurs comme n’importe quelle autre publication. De plus, un collègue qui a donné un commentaire à ses élèves à rédiger chez eux sur le même texte à l’autre bout de la France va être bien surpris de retrouver dans la classe plusieurs devoirs iden- L’eau contenue dans la casserole du cours déborde sur Internet, hors du temps, hors les murs : est-ce dangereux ? Dans certains établissements, le recours pédagogique à Internet sous des formes diverses (sites de professeurs, blogs, ENT) est vu avant tout comme un moyen de contrôle du travail des professeurs, et ceux qui tentent malgré cela l’expérience sont parfois considérés comme de douteux collaborateurs… Lorsque vous déposez sur votre blog un corrigé de devoir, par exemple un commentaire de texte, et que celui-ci Les Cahiers pédagogiques n° 482, juin 2010 tiques, copiés-collés sur Internet. On peut ne pas être d’accord avec cette libre circulation des travaux pédagogiques, qui certes favorise la fraude des élèves. Limites et auto-défenses à créer et à respecter Le blog ne doit pas devenir un substitut des cours. Si l’on met intégralement des cours sur Internet, quel est l’intérêt ensuite pour l’élève de prendre correctement des notes et même de suivre 5- Ce que ça change pour les usagers de l’école votre cours au lycée ? En revanche, s’il y retrouve des repères, le cahier de textes, des travaux d’autres élèves, des documents complémentaires, des liens utiles, cet outil sera un « plus » qui l’aidera. On ne doit pas accepter non plus un véritable télétravail. Libre à nous de ne pas répondre le weekend aux commentaires des élèves. On peut fixer, par exemple, des horaires pour répondre aux questions. Il convient de ne pas se laisser envahir, au risque de devenir un professeur « no life », comme disent les élèves, qui abandonne sa vie privée pour son écran d’ordinateur. Mais qui dit qu’un professeur ne doit jamais travailler à la maison ? En outre, chacun reste libre de fixer les limites qu’il désire : on peut tout à fait limiter la consultation du site aux seuls élèves de la classe. Chacun dispose d’un code pour y accéder. On peut aussi faire en sorte qu’un blog ne soit pas référencé sur les moteurs de recherche. Ainsi, son adresse restera confidentielle. Avant de créer son blog, il convient de réfléchir à tous ces paramètres. Mais on peut encore les modifier plus tard, si on s’aperçoit qu’on est gêné par les visites des gens de l’extérieur. Lorsqu’on donne maintenant un sujet de devoir à la maison à des élèves, il convient aussi d’être prudent et de vérifier systématiquement qu’il n’existe pas un corrigé type directement accessible sur Internet. Dans le cas où ce corrigé existe, pour une dissertation ou un commentaire de texte, par exemple, si l’on ne veut pas modifier le sujet, il faut alors demander aux élèves d’adopter un autre plan, montrer que l’on connait l’existence de cette ressource, mais surtout pas se voiler la face et faire comme si personne n’allait la consulter. Généralement, un premier zéro accompagné de l’adresse Web du document que l’élève a reproduit dans sa copie vaccine définitivement toute la classe contre cette tentation de fraude. Il est d’ailleurs très simple de vérifier l’authenticité des devoirs : il suffit de taper dans un moteur de recherche une ou deux expressions-clés suspectes, et on tombe vite sur le document incriminé. Et si les blogs amélioraient nos conditions de travail ? Souvent, les collègues qui pensent qu’un site ou un blog nécessitent un surcroit de travail vertigineux ignorent qu’en un simple clic, le document qu’ils ont préparé pour leur cours, ou le devoir qu’un élève a saisi en classe peut être mis en ligne sur le blog. Le temps pour créer un article n’est pas forcément long. Les plateformes associatives qui hébergent les blogs pédagogiques, comme WebLettres, sont très faciles d’utilisation, même pour un novice. Si j’écris au fil de l’année mon descriptif des textes étudiés en vue du bac français de 1re sous forme interactive, il me suffit à la fin de l’année d’en « copier/coller » les différents éléments pour avoir, sous forme d’un fichier à imprimer, le descriptif définitif. Mes textes numérisés y sont tous : pour les retrouver au début du mois de juin, inutile de se lancer dans des fouilles archéologiques dans un tiroir poussiéreux envahi par les vieilles photocopies. Les élèves aussi les ont à disposition immédiate s’ils les ont perdus… Internet fait peut-être parfois perdre du temps, mais il en fait aussi gagner ! vous évite d’avoir dix élèves qui vous reposent la même question au cours de l’année. Certains élèves trouvent un attrait supplémentaire à la matière quand ils peuvent pratiquer par exemple des exercices interactifs, et vous touchez tout à coup un public qui restait récalcitrant face à une pratique plus classique. Il faut certainement créer avec une équipe pédagogique un climat de confiance, et idéalement une dynamique de travail commune pour développer ensemble ces nouveaux outils de travail. Un lien entre le site du collègue de mathématiques et le blog de français favorise chez les élèves le recours à Internet dans les deux matières. En revanche, si l’on sent un collègue ouvertement « allergique » à cette pratique, peut-être vaut-il mieux éviter de partager une classe avec lui… Enfin, essayons de partager le bilan de ces expériences Il faut certainement créer avec une équipe pédagogique un climat de confiance, et idéalement une dynamique de travail commune pour développer ensemble ces nouveaux outils de travail. Dire que le recours à Internet revient à accepter l’existence d’une sorte de Big Brother qui surveille notre travail est sans doute excessif. Nous devons de toute façon remplir un cahier de textes « papier », mais celui-ci est souvent perdu en cours d’année, ou peu accessible pour les élèves. Tout à coup, en cas d’inspection, on se souvient qu’il faut le remplir, et c’est à cette occasion qu’il est brutalement actualisé. C’est totalement artificiel. Si, prudents, nous limitons l’accès du blog aux élèves de la classe grâce à des codes, nous rendons enfin disponibles aux élèves les données d’un cahier de textes fortement amélioré. L’an passé, toute ma classe de 2de a pu communiquer par l’intermédiaire du blog avec un élève qui a dû rester immobilisé longtemps chez lui suite à un accident, et celui-ci a pu télécharger tous les documents du cours chez lui. Comment ne pas parler de progrès dans ce cas ? Un bon blog améliore aussi les conditions de travail en classe. Il crée une ambiance conviviale quand il est devenu véritablement interactif et que les élèves s’en sont emparés. Ils se sentent aidés, soutenus, ils sont tout simplement contents. Une question qui a donné lieu à une réponse sur le blog de classe est consultable par tous et cela avec tous, car n’est-ce pas avant tout l’inconnu qui fait peur ? La moindre des choses serait tout de même de respecter les méthodes de travail des autres, les plus traditionnelles comme les plus novatrices. On peut comprendre que tout ce qui change les habitudes puisse déranger, mais combien de temps encore les enseignants vont-ils pouvoir faire l’impasse sur des outils massivement utilisés par tous ? S’en emparer au plus tôt, pour expérimenter les possibilités pédagogiques d’Internet, mais aussi tester ses limites et ses risques, c’est la seule façon d’avancer. Françoise Cahen Professeure de français en lycée à Alfortville (Val-de-Marne) Les Cahiers pédagogiques n° 482, juin 2010 45 Dossier Le Web 2.0 et l’école Le Web 2.0 et les profs Collectif Dix-sept auteurs pour se demander comment le Web 2.0 transforme le travail enseignant : on peut déjà dire, en ce qui les concerne, qu’il leur permet d’engager le dialogue et de partager leur plume, en s’affranchissant de l’unité de temps et de lieu d’une réunion à l’ancienne, pour échanger et même accorder leurs points de vue. L es possibilités offertes par le Web 2.0 ne sont pas nouvelles, et les pistes d’exploitation qui émergent datent parfois même d’avant Internet1. Cependant, la grande facilité d’utilisation des dernières applications favorise la massification et l’intensification de ces usages. S’informer et se former Les associations d’enseignants en ligne telles que Les Clionautes, WebLettres, Sésamath ou Docs pour Docs ont été le premier signe, dans notre profession, de l’émergence du Web 2.0. Pour la première fois, les collègues étaient mis en relation les uns avec les autres hors de toute hiérarchie et de toute décision institutionnelle : les listes de discussion disciplinaires ou transversales, les espaces d’échange et de mutualisation de cours ou de signets ont été le moteur d’une diffusion horizontale des idées et des contenus pédagogiques partagés par les enseignants. Aujourd’hui encore, elles sont la plateforme où se croisent les pratiques, où émergent les usages : d’un côté, elles font connaitre des pratiques isolées, de l’autre elles offrent des services Web 2.0 (blogs, Ning, Twitter, Facebook propres à telle ou telle association, etc.). Les listes de discussion et les sites Internet permettaient déjà de s’informer et de se former, tant techniquement que sur le plan scientifique. Désormais, les lieux de veille sont à la fois nombreux, différents et interconnectés. Sur Diigo ou Delicious, le partage des signets se fait en réseau, dans des communautés d’intérêts auxquelles on s’inscrit. Les liens sont également diffusés sur les réseaux sociaux comme Twitter ou Facebook, où ils sont commentés. L’agrégation de ces flux se fait via des portails Netvibes ou Symbaloo2 que l’on mutualise. Sylvain Perot, webmestre d’un site académique, présente son portail Netvibes : « Il me fallait un outil simple qui me permette de rester en 46 contact avec l’actualité pédagogique. J’ai donc créé plusieurs onglets correspondants à mes thématiques. Devenu la page d’accueil de mon navigateur, Netvibes me tient informé rapidement et me permet de relayer les infos sur le site académique. J’ai également rendu publique une partie de mon Netvibes pour les collègues que je forme3. » Les réseaux sociaux sont devenus de véritables sources de documentation, éléments nécessaires des veilles pédagogiques. Des organismes institutionnels académiques ou nationaux y sont d’ailleurs de plus en plus présents et y diffusent leurs informations. Échanger pour se former Le Web 2.0 rend le travail et les échanges plus aisés, plus rapides, plus directs, mais il ne change pas la posture des utilisateurs. Les outils d’écriture partagée permettent de publier sans compétence technique particulière et d’intervenir sur les publications des autres. Les enseignants les utilisent donc pour échanger dans un réseau bien plus large qu’une salle de professeurs, avec des enseignants d’autres disciplines, dans d’autres contextes, mais aussi avec des professionnels d’autres horizons. Avec les réseaux sociaux, et notamment Twitter, on parle de « sérendipité » pour évoquer les heureux hasards, les rencontres qui nous font faire un pas de côté et nous donnent du recul pour envisager notre enseignement sous un angle inhabituel. Il est ainsi plus facile de confronter ses usages avec ceux des autres pour enrichir sa pratique professionnelle, trouver des idées pour varier la forme de son enseignement. « Dès ma préparation au concours, j’ai utilisé ces différents outils pour m’organiser et échanger avec d’autres étudiants et des collègues D’où parlez-vous ? Cet article est un exemple de la puissance du Web 2.0 dans le domaine de l’éducation. Après un appel lancé sur Twitter pour écrire un article à plusieurs mains sur le thème « Le Web 2.0 et les profs », plus d’une quinzaine d’enseignants ont cliqué sur le lien Etherpad inclus dans le tweet. Ils ont proposé des idées, des formulations, des questions dans la page principale, tout en échangeant dans l’espace de chat sur la méthode à employer dans cette démarche nouvelle. Après avoir isolé les idées principales et ordonné le texte, nous nous sommes retrouvés à cinq sur Skype pour discuter du plan et rédiger les intertitres. Quelques relecteurs, prévenus via Twitter, sont venus relire cette première mouture. Dernière étape, les deux coordinatrices ont rédigé introduction et conclusion, et procédé à quelques retouches finales. Cette démarche d’écriture est aussi le reflet d’une forme de concession que doit faire le « prof 2.0 ». Le Web 2.0 a comme effet de modifier la posture du professeur dans son enseignement : celui-ci n’a plus à vouloir faire passer par sa propre tête tous les savoirs devant être intégrés par ses élèves. Le passage du one-to-many à many-to-many commence quand le professeur laisse entrer des experts des domaines abordés en classe, qui peuvent s’adresser directement aux élèves par les dispositifs numériques. Ensuite, le professeur devient « passeur » de clés de lecture pour aider ses élèves à mieux décoder les flux de données qui circulent venant de sources multiples. Les professeurs demeurent d’importantes sources de connaissances avec le Web 2.0, mais apprennent à ne pas toujours être la source, comme dans ce texte que vous êtes en train de lire, où la perspective de chacun a été soupesée. En bons « passeurs », ils voient la « concession » comme une valeur ajoutée, avec le temps, à leur mission d’enseignants. Cette expérience est l’un des usages les plus aboutis du Web 2.0, et a mis en évidence les difficultés du travail collaboratif à distance : prendre en compte la parole de l’autre, mais aussi l’amender, la compléter, la supprimer parfois ; trouver des espaces de discussion pour échanger autour des méthodes, des modifications à faire sans blesser personne ; trouver la place de chacun dans le collectif, et éviter l’appropriation par l’un du travail des autres. Dix-sept auteurs ont voulu montrer ainsi ce que le Web 2.0 apportait à leur pratique professionnelle en dehors de la présence des élèves. Les Cahiers pédagogiques n° 482, juin 2010 5- Ce que ça change pour les usagers de l’école déjà en poste. Effectivement, cela abolit les frontières géographiques et hiérarchiques. Un avantage supplémentaire du Web 2.0, c’est peut-être de rester en situation d’apprentissage et de ce fait de rester plus proche des obstacles cognitifs rencontrés par les élèves. » (Armelle Mourtada4, professeure documentaliste) Les réseaux sociaux comme Facebook et Twitter mêlent la publication d’informations d’ordre professionnel et privé. Dans ce contexte, la légitimité n’est plus garantie par l’autorité ou les diplômes, mais par les compétences des uns ou des autres telles qu’elles sont reconnues par leurs pairs, ce qui facilite la prise de contact avec des « spécialistes » pour demander une aide scientifique ou technique et assure ainsi un gain notable en terme de qualité de l’information. « Pour préparer le cours d’éducation civique sur les partis politiques en 3e, j’ai demandé de l’aide sur Twitter pour définir la droite et la gauche. Puis j’ai pu entrer en relation avec des hommes et femmes politiques pour trouver des programmes synthétiques de ces partis. » (Géraldine Duboz5, enseignante d’histoire-géographie) Si le Web 2.0 demande peu de formation technique, il impose un changement d’attitude. Des codes se construisent peu à peu, qui prennent leur importance lorsqu’on utilise ces outils pour travailler ensemble. Etherpad, par exemple, comme les wikis, autorise à modifier ou exploiter le travail de l’autre à condition de respecter certaines règles éthiques essentielles. Il y a un apprentissage à faire. Ces outils permettent d’ailleurs d’obtenir des formations : « J’ai découvert Etherpad par Twitter et trouvé aussi des copains avec qui tester en quelques minutes ; on a réfléchi à ce qu’il était possible de faire avec. Idem pour Google Wave. J’ai ensuite à mon tour aidé des correspondants à utiliser ces outils. » (Géraldine Duboz) Expérimenter ensemble, pour à la fois apprendre à utiliser l’outil et concevoir des situations d’apprentissage adaptées. Construire ensemble Parce qu’il facilite les échanges synchrones et asynchrones, le Web participatif est de plus en plus utilisé pour co-élaborer des ressources pédagogiques, voire même construire ensemble une façon d’enseigner : « Je voulais utiliser des cartes mentales comme support d’évaluation : on en a discuté d’abord sur Twitter, puis on a continué dans GoogleWave. J’ai proposé mes évaluations, on en a parlé, j’ai changé certaines choses puis mis des photos d’évaluation d’élèves pour montrer ce que cela Les associations d’enseignants ont été le moteur de l’évolution de la profession vers le Web 2.0 avec l’émergence progressive de la mutualisation, du travail coopératif, puis du travail collaboratif. Images de Soph’© WebLettres Les Cahiers pédagogiques n° 482, juin 2010 47 Dossier Le Web 2.0 et l’école a donné. Et on a aussi discuté de la correction. » (Géraldine Duboz) À l’ère du Web 2.0, l’enseignant passe insensiblement d’un mode de travail hiérarchique à un mode de travail réticulaire. La méthode perturbe assurément le système. L’un des principaux apports du Web 2.0 est peut-être que les enseignants hésitent moins à publier un work in progress pour demander l’aide du réseau afin de le peaufiner, voire même de coconstruire une séquence avec des élèves pour aboutir à des activités plus ouvertes qui s’enrichissent de leurs retours. Certaines expériences de travail collaboratif sont plus structurées. Dans ce qui apparait comme l’une des productions les plus spectaculaires des enseignants, Sésamath a réuni plusieurs dizaines, voire centaines de collègues autour d’un travail collaboratif sur la création de manuels de mathématiques en ligne et imprimés libres de droits (gratuitement accessibles en ligne avec leurs prolongements interactifs), ainsi que la mise au point de logiciels de mathématiques à exploiter en classe ou à la maison, tou- jours gratuits et libres de droits, dont les plus emblématiques sont Mathenpoche et Kidimath. Du plaisir de la mise en réseau Que ce soit pour s’informer, échanger pour se former, construire ensemble, bien des enseignants ont su mesurer les possibilités de la mise en réseau. Ils utilisent des applications du Web 2.0 pour s’enrichir des expériences de leurs pairs et pour promouvoir leurs propres initiatives. Les enjeux professionnels ne sont pas à négliger, et les questions de temps et de reconnaissance institutionnelle sont importantes. Mais pour les enseignants qui ont gouté à ces nouveaux outils, la plus-value est telle qu’ils ne se passent plus désormais du plaisir de travailler ensemble, de s’améliorer dans l’échange, de participer à la production de ressources de qualité. S’il est vrai qu’ils s’enrichissent à titre personnel et professionnel, il est important de noter que l’usage du Web 2.0 modifie également leur démarche d’enseignant. Ces « profs 2.0 » acceptent de devenir à leur tour simples « passeurs » pour conduire leurs élèves vers un usage autonome du Web et un accès plus direct aux sources de connaissances. Et c’est bien là un des enjeux du numérique. Cet article a été rédigé à plusieurs mains, grâce à des outils collaboratifs (Etherpad pour l’écrit et Skype pour l’oral) par des enseignants sollicités sur Twitter. Merci donc à Mario Asselin, David Cordina, Caroline d’Atabekian, Cyril Delabruyère, Claire Egalon, Géraldine Duboz, Emmanuel Gunther, François Jourde, Caroline Jouneau-Sion, David Landry, Marc Lohez, Ostiane Mathon, Emmanuel Maugard, Jean-Paul Moiraud, Armelle Mourtada, Pascal Nodenot, Virginie Paillas, Sylvain Perot, Jerôme Staub, Guillaume Touzé, Pierre Travers. 1 Jean Valérien, responsable du centre audiovisuel de l’ENS, en témoigne dans une interview à propos du développement des nouvelles technologies dans l’École des années 1960 : www.canal-u.tv 2 Pour exemple le portail de Lyne Fichet : www. symbaloo.com 3 Sylvain Perot, Humanidades ensino – História – Geografia : www.netvibes.com/sylvain_perot 4 @Aristide_12 sur Twitter. 5 @gduboz sur Twitter. Des enjeux professionnels sensibles La massification de la présence enseignante sur Internet pose quelques questions essentielles liées à notre identité professionnelle. L’identité numérique des enseignants L’identité numérique, c’est justement l’image qu’on donne à voir de soi sur Internet. De plus en plus d’enseignants, à l’image de ce qui se passe dans la société, se retrouvent sur Facebook, postent des commentaires sur des blogs ou s’inscrivent sur des forums. De cette manière, les enseignants se montrent sur Internet, s’y exposent parfois. Dans ces pratiques nouvelles pour la plupart d’entre eux, il est difficile de se positionner : les identités personnelles et professionnelles risquent à chaque instant de se mélanger, il faut surveiller ce que l’on publie, veiller à vider ses poubelles numériques. Quelques récentes affaires, en France ou ailleurs, nous le rappellent1. Cependant, cette identité numérique est également un immense atout pour les enseignants souvent isolés dans leur classe. Fini le temps où l’inspection, tous les cinq ou six ans, était le seul moment où l’enseignant partageait son travail. Désormais les professeurs peuvent faire connaitre leur travail sur Internet, être reconnus pour leurs compétences, parfois invités à faire des formations, des conférences, à écrire des articles2 et en tout cas à donner une autre dimension à leur carrière. La dérégulation du temps et de l’espace Le constat est quasi unanime : le Web 2.0 est chronophage. Peut-être parce qu’il permet la constitution d’un deuxième réseau professionnel en plus de la « vie réelle » et donc démultiplie les expérimentations et les envies d’essayer. Les flux d’informations sont pléthoriques et le tri devient difficile, se fait parfois au détriment de la lecture des articles repérés, ou de la vérification des informations reçues. Il faut accepter de ne pouvoir tout suivre. C’est une nouvelle logique de veille qui est à construire. Un autre bouleversement est à l’œuvre, car l’école n’est plus l’unique lieu d’apprentissage et l’emploi du temps est éclaté : « Testant actuellement un outil de travail collaboratif avec des élèves d’option “Découverte professionnelle”, je demande à mes élèves de se donner rendez-vous sur l’agenda partagé et de me communiquer leur lien Etherpad ou leur Google Doc. Ceci suppose de me rendre disponible et la gestion du temps est 48 Les Cahiers pédagogiques n° 482, juin 2010 complexe. On ne peut plus tenir compte uniquement du temps passé devant les élèves » (Emmanuel Maugard). L’école ne peut plus fermer les yeux sur cette évidence. Le World Wide Web s’est emparé de la question du temps et de l’espace si compliqué, voire impossible pour certains, à traiter dans le cadre de l’établissement traditionnel tel qu’il existe et tel qu’il a évolué depuis la promulgation de la loi Guizot en 1833. La « maison d’école obligatoire dans chaque village de France » n’est plus uniquement ce lieu incarné par une instance centrale suprême. Avec l’apparition d’Internet puis du Web 2.0, l’institution-école s’est élargie en une communauté de pratiques planétaire qui a fait éclater les murs de l’enceinte scolaire et les cadres traditionnels de l’instruction et de l’éducation. Les murs de la classe tombent, les parents s’insèrent dans la relation élève/enseignants, sans l’interface de l’école. Difficile de trouver là-dedans sa juste place d’enseignant, de professionnel… Mais n’est-ce pas également une chance ? Car finalement l’éducation est bien l’affaire de l’ensemble des membres de la société. Nous sommes donc face à un paradoxe, entre une institution qui raisonne, à propos du travail des enseignants, en temps face aux élèves alors même que beaucoup se joue désormais hors de ce temps-là. Et ceci aura sans doute tendance à s’accentuer avec la généralisation des ENT. Temps de préparation, temps d’enseignement, temps de formation, ce temps passé sur le Web peut-il être intégré par l’institution dans notre mission ? L’université ouvre la voie en intégrant officiellement le temps numérique dans des textes entrés en vigueur en juillet 20093. Qui sait ? La généralisation des espaces numériques de travail, outil institutionnel qui banalisera le numérique chez les professeurs, pourrait entrainer de tels changements dans le primaire et le secondaire aussi ? 1 Tel ce professeur critiquant un joueur de foot décédé (www.lavoixdunord.fr, 28 janvier 2010), cet enseignant qui se montre fumant de la marijuana (matin. branchez-vous.com, 3 juin 2009) ou cette collègue qui, malade, écrit sur Facebook (www.20min.ch, 23 avril 2009). 2 Dans ce numéro : Laurence Juin, David Cordina et quelques autres ont été repérés via Twitter. 3 Décret n° 2009-460 du 23 avril 2009. 5- Ce que ça change pour les usagers de l’école Le blog des délégués de 6e D Jacob et Mathieu Entretien avec deux élèves de onze ans, délégués d’une classe de 6e qui ont pris l’initiative d’ouvrir, quelque temps après leur élection, un « blog des délégués » afin de « garder le contact avec la classe ». – Pourquoi ce blog ? – Jacob : L’idée était d’abord de mettre à disposition des élèves de la classe toutes les informations que nous avions à leur transmettre. On voulait aussi que chacun puisse y publier des articles, mais on n’a pas trouvé l’occasion de distribuer des codes à tout le monde pour cela. – Mathieu : C’est pour les aider autrement que les professeurs ne pourraient le faire. On y met aussi les devoirs de la semaine dans toutes les disciplines, pour ceux qui n’auraient pas pu les noter. – Comment l’idée du blog vous est-elle venue ? – Jacob : Notre prof de français a ouvert un blog pour son cours. L’idée nous a plu, on lui a demandé comment faire. – Que trouve-t-on sur votre blog ? – Jacob : En plus des devoirs, des informations que les professeurs nous ont données et qu’on n’a pas toujours pu transmettre. Par exemple, dans la rubrique « Info cours », il y a un article à propos du cours de musique, qui transmet une demande du professeur indiquant qu’on peut apporter notre instrument le 14 décembre s’il est facile à transporter et qu’on pourra en jouer. – Mathieu : Il y a aussi des informations à propos des sorties, en général tous les élèves les attendent avec impatience. Et puis il y a des liens. – Qu’avez-vous ouvert comme rubriques ? – Jacob : Il y a une rubrique « Conseils de classe » dans laquelle on met les comptes rendus, une rubrique « Divers » où l’on met tout ce qui ne rentre pas ailleurs. Par exemple, un camarade ayant demandé comment faire une BD de « birds dessinés », nous avons écrit un article pour donner le lien du site qui permet de le faire. Dans la rubrique « Le coin administratif », nous avons créé un article pour demander à nos camarades de nous indiquer leurs suggestions à faire suivre aux délégués du conseil d’administration en vue d’une prochaine réunion, ou encore nous avons fait suivre une demande de notre professeur prin- cipal, qui voulait récolter les adresses électroniques des parents d’élèves pour la CPE. On a récupéré quelques adresses en commentaires. Il y a aussi une rubrique « Le blog », qui signale les nouveaux liens, une rubrique « Le coin info » du collège, pour signaler, par exemple, les dates des réunions parentsprofesseurs ou les absences ou retours d’un professeur. Les devoirs sont dans la rubrique « Cahier de textes ». Il y avait une rubrique « Rugby », qui est devenue un nouveau blog ; c’est ce qui est arrivé également à la rubrique « Deutsch » à l’occasion du voyage en Allemagne. – Vous avez ouvert deux autres blogs en plus du blog des délégués, de quoi s’agit-il ? – Jacob : Il y a le blog FranceDeutschland 6D1 qu’on a ouvert à l’occasion du voyage en Allemagne. On a mis des informations sur le voyage, un diaporama et on a proposé aux autres de nous donner leurs photos pour qu’on les mette en ligne. Avec la prof d’allemand, on est en train de trouver un système pour centraliser les photos pour faire un diaporama plus complet. – Mathieu : Et puis il y a le blog des sports, qu’on a créé pour faire connaitre ce qui se passe avec les sports au collège : nous avons trois AS de sport (rugby, pingpong, volley). – Recevez-vous via le blog beaucoup de messages ou de commentaires de vos camarades ? – Jacob : Quand on fait appel à eux oui, ils répondent, mais sinon pas trop. Il n’y a pas beaucoup d’échanges, à part quelques commentaires que l’on supprime parce qu’ils sont personnels. Mais on sait qu’ils le consultent, ils en parlent de temps en temps en classe. Par exemple, un camarade qui est lent en classe nous a dit qu’il était content qu’on ait mis les devoirs en ligne, car il n’a jamais le temps de les noter. Lui, il va voir le blog tous les soirs. – Mathieu : Des fois, certains nous font des suggestions sur la gestion ou le contenu du blog, pour créer de nouvelles rubriques, des liens. – Qu’est-ce que vous attendriez que les autres écrivent dans votre blog ? – Mathieu : En commentaire, leurs impressions. – Jacob : Pour le blog des sports, par exemple, ceux qui font volley ou pingpong pourraient écrire des articles pour donner les résultats de leurs matchs, quand il y a des compétitions. – À propos du blog des délégués, avez-vous des statistiques de visite ? – Jacob : Le blog a été ouvert il y a à peu près deux mois et a compté, depuis, 1 254 visiteurs uniques et 5 437 pages vues. – Êtes-vous satisfaits du blog et de son fonctionnement actuel ? – Jacob et Mathieu : Oui ! Ce serait bien qu’il y ait des moments réservés, par exemple en vie de classe, pour parler du blog et donner aux autres leurs codes. Mais on est contents comme ça, on referait pareil l’an prochain. Jacob et Mathieu Élèves du collège Georges Braque (Paris XIVe) Le blog est accessible à l’adresse : www. weblettres.net/blogs/?w=Leblogdesdel 1 www.weblettres.net/blogs/?w=deutsch Les Cahiers pédagogiques n° 482, juin 2010 49 Dossier Le Web 2.0 et l’école Un blog au service de la liaison classe-familles Gilles Teyssèdre Un blog tourné vers la communication école-famille : quel impact sur la pratique de l’enseignant dans son travail de liaison avec les familles ? La mise à disposition de l’outil ne suffit pas en tout cas à en assurer l’usage. J ’ai mis en place, dans une classe de CM1-CM2, un blog volontairement tourné vers la communication écolefamille, avec deux questions : – Quelle utilité pour la classe ? Et incidemment, quel objectif pour le maitre ? – Quelles contraintes cela va-t-il imposer (maitrise à minima de l’interface, temps de travail…) ? Après une courte prise en main favorisée par l’interface relativement intuitive de l’hébergeur académique, j’ai commencé par insérer une banque minimale d’informations et de ressources qui soit utile et exploitable immédiatement par les familles : exerciseurs, aides en ligne (tables d’additions et de multiplications, exercices de maths et de français, vidéos sur le conseil de classe, sur l’histoire ou sur la digestion, clip d’une chanson apprise en classe), et informations diverses. Depuis cette rentrée, l’objectif est double : – Proposer un espace de communication supplémentaire classe-familles ouvert sur les questions éducatives et pédagogiques. Partant de l’idée que le blog sera d’autant plus consulté qu’il est utile et facilite le suivi parental, j’ai choisi de prendre appui sur cette part de l’école qui entre, bon gré, mal gré, dans la famille : les leçons et devoirs. – Proposer un espace de socialisation valorisant certains évènements et productions de classe. une posture plus prudente l’année précédente, quand avait été lancée l’idée de le « personnaliser » davantage (photographies des activités, œuvres et textes des élèves) selon une proposition du conseil des élèves. Le blog alors mis à disposition par un hébergeur gratuit était uniquement accessible avec identifiant et mot de passe. Les réactions ont été plutôt positives, les parents s’intéressant particulièrement au suivi et à l’information (pourtant très partielle) sur le travail de classe, à la vérification du travail à faire à la maison (leçons et devoirs) ainsi qu’à l’aide et aux ressources (une dimension souvent citée, dans laquelle l’enseignant est vu comme un « filtre » qui garantit l’intérêt des ressources proposées). La fréquentation, bien que modeste, montre que trois familles au moins consultent le blog quotidiennement. Les interactions avec les utilisateurs Des consultations, mais peu d’interaction Lors de la présentation à la réunion de début d’année, les parents avaient posé quelques questions sur l’accès, le droit à l’image, l’utilité, les interactions possibles. Après quelques mois de mise en ligne, le blog, libre d’accès, mais ne dévoilant aucune donnée personnelle, semble perçu comme sûr. J’avais choisi 50 Les Cahiers pédagogiques n° 482, juin 2010 demeurent marginales (moins de deux commentaires par mois) et ne donnent lieu à aucun échange long (pas plus d’un échange du type commentaireréponse à chaque fois). On notera toutefois, que la plupart des commentaires n’a pas trait aux informations courantes du blog, les leçons ou les aides au travail (fiche mémento, sites de ressources ou exerciseurs en ligne), mais portent sur des pages attachées à des évènements particuliers de la vie de la classe : la bourse aux jouets et aux livres, le carnaval du quartier, le voyage d’une élève au Brésil, la publication d’un nouveau numéro de notre magazine en ligne, évènements qui font en outre l’objet d’un suivi en classe. L’impact du blog demeure relativement limité au regard des relations habituelles que les parents entretiennent avec l’enseignant (un à deux entretiens de trente à quarante minutes par an avec chaque famille, et un à deux échanges rapides à la grille de l’école chaque jour avec un parent ou un autre). En effet, si le blog facilite une information rapide, 5- Ce que ça change pour les usagers de l’école force est de constater qu’il reste cantonné à cet usage, au détriment d’une plus grande communication. Donner la main aux élèves ? Les parents réagissent plus volontiers lorsqu’on expose des évènements de la vie de la classe. Ils se sentent davantage concernés et probablement plus « autorisés » à donner un avis, à faire partager une information ou des ressources qu’ils ont parfois contribué à créer (un papa a ainsi informé les parents de la classe qu’il avait ouvert un blog privatif temporaire pour leur permettre de télécharger les photos du carnaval qu’il avait prises). C’est donc avec l’idée de favoriser cet objectif de communication qu’a été envisagée cette année une prise en main accrue du blog par les élèves, notamment par l’information et la présentation des évènements de classe ouverts aux parents, ainsi que par la « socialisation » de certaines productions. Cette ouverture, qui parait pertinente et nécessaire, n’est cependant pas exempte d’une arrière-pensée plus concrète : mon temps de travail. J’ai évalué qu’avec de l’habitude, la maintenance du blog me demande une quinzaine de minutes par jour ; un investissement raisonnable effectué en général juste après la sortie des élèves. Ce temps sera largement augmenté s’il faut que je me charge de présentations et de mises en forme plus complexes que celles composées quasi exclusivement de textes et d’hypertextes. Inclure les élèves dans la tenue et l’enrichisse- ment d’une rubrique dédiée à la vie de la classe (tâche comprise dans le plan de travail individualisé et intitulée : « être le journaliste du blog de classe ») devrait ainsi tout à la fois permettre de donner un nouveau souffle à la communication avec les familles, et ouvrir les activités de classe sur d’autres compétences pointées par le B2i. Gilles Teyssèdre IPEMF à l’IUFM de Poitiers, doctorant à l’université de Bordeaux 2, laboratoire Laces Le blog est consultable à l’adresse : blogs17.ac-poitiers.fr/palissy-larochelle Déléguer la direction de publication Serge Pouts-Lajus La réalisation de publication par les élèves dans le cadre scolaire soulève des questions d’ordre règlementaires et juridiques qui ne doivent pas être ignorés ni pris à la légère, car leur pouvoir de blocage est important. Le rôle des chefs d’établissements est sur ce point essentiel. L e site Web de l’établissement est le lieu naturel de publication des travaux scolaires. Il épargne aux enseignants d’avoir à en chercher un, mais, surtout, il permet aux classes ou aux groupes d’inscrire leurs publications dans une dynamique commune, celle de la communauté éducative locale. Or, la loi prévoit que toute publication, quel qu’en soit le support, qu’il soit matériel ou immatériel, doit être placée sous la responsabilité d’une personne physique : le directeur de publication. Dans le cas d’un établissement scolaire, ce sera le chef d’établissement : proviseur ou principal dans le secondaire, directeur d’école ou inspecteur de circonscription dans le primaire1. Cercle vicieux légal Le cadre juridique de la publication est constitué d’un ensemble complexe de dispositions relatives au respect de la propriété intellectuelle, de la vie privée et du droit à l’image, à la diffusion d’informations non vérifiées, non autorisées ou dangereuses, mais également, dans le contexte scolaire, au respect du service public, à la neutralité politique, religieuse ou syndicale et à la publicité commerciale. Pour en savoir davantage sur ces règles et sur la façon dont elles s’appliquent dans le contexte de la publication scolaire en ligne, on peut se référer aux conventions et aux chartes par lesquelles les services académiques qui hébergent les sites d’établissements spécifient leurs propres responsabilités et celles des chefs d’établissements2. Quelle que soit la façon dont ces textes sont rédigés, que l’on y évoque ou non les amendes et les peines de prison auxquelles le directeur de publi- cation s’expose en cas de délit, ils sont perçus comme des alarmes préventives et conduisent beaucoup de chefs d’établissements à mettre en place des dispositifs de protection et de contrôle qui, souvent, inhibent la dynamique de publication et dissuadent les enseignants et les élèves de s’en emparer. Avec le temps, la situation a plutôt tendance à se dégrader. Les enseignants qui avaient pris le parti de travailler avec leurs élèves sur des sites hébergés hors du cadre institutionnel et d’en assurer eux-mêmes la direction sont incités à y renoncer. Parallèlement, la conscience des enjeux de la responsabilité éditoriale augmente chez les chefs d’établissement ce qui les conduit naturellement à renforcer leur contrôle sur le processus de publication. Internet et la pédagogie Il est tentant d’établir un parallèle entre ces deux situations : d’une part, celle qui met face à face dans les établissements scolaires, les logiques et les acteurs du champ administratif avec ceux du Les Cahiers pédagogiques n° 482, juin 2010 51 Dossier Le Web 2.0 et l’école champ pédagogique3 ; d’autre part, dans le monde de la communication, celle qui confronte les nouveaux médias en ligne avec les médias traditionnels de masse. La souplesse et la liberté réclamées par les pédagogues dans leurs écoles font écho à celles que les acteurs de la publication en ligne revendiquent dans les médias. Les uns et les autres contrarient de la même façon la rationalité des positions et des législations établies. Le fonctionnement des blogs permet d’illustrer cette similitude. L’expérience montre que les blogs dont les billets doivent être préalablement validés ou dont les commentaires sont modérés à priori sont en général moins réputés et moins actifs que ceux où le contrôle est fait à postériori. La confiance, la responsabilité et la liberté de l’expression individuelle sont la marque de fabrique du Web et la condition de ce qui fait son intérêt propre : l’abondance des biens communs qu’il produit et diffuse. Dans le domaine pédagogique, de façon similaire, le contrôle, la validation ou la correction ne doivent intervenir qu’après-coup. Pour apprendre, pour s’élever, il faut s’engager, au risque de se tromper, sans être systématiquement contrarié ni corrigé dans le cours de son expression. C’est à cette condition que l’apprentissage a les meilleures chances de se produire et c’est en définitive sur cette dimension « libertaire » ou « anarchique » pour reprendre l’expression de Tardif et Lessard, que repose le potentiel pédagogique de la pratique du blog. Attribution de droits de publication Pour des raisons pratiques, les chefs d’établissements confient souvent la charge de l’animation du site de l’établissement et attribuent du même coup des droits de publication importants à des personnes qui en sont capables et en qui ils ont confiance. Sur le plan strictement juridique, cet arrangement n’exonère pas le chef d’établissement de ses responsabilités. Mais ni lui ni le webmestre auquel il confie « les clés du site » ne peuvent se sentir protégés par un accord qui reste le plus souvent tacite et informel. Le webmestre, soucieux de se protéger lui-même et de protéger son supérieur, sera tenté de distribuer les droits de publication avec une prudence renforcée par le caractère flou de ses responsabilités. La voie du compromis Une telle situation n’est évidemment pas satisfaisante. Pour en sortir, une solution simple et facile à appliquer 52 consiste à formaliser, par une convention, un cadre raisonnable d’attribution de droits à des personnes physiques qui peuvent être des enseignants, des parents d’élèves, des élèves. Cette convention propose des principes et des règles de fonctionnement acceptables à la fois par le chef d’établissement, responsable légal, et, par exemple, par les enseignants qui souhaitent exploiter le site de l’établissement à des fins pédagogiques avec la souplesse et l’autonomie requises. Elle doit également permettre au bénéficiaire du droit de publication, s’il le souhaite, d’en attribuer lui-même d’autres de même nature, par exemple à des élèves, en formalisant ou non cette attribution par la signature d’une convention (voir ci-dessous). Les débats juridiques sont toujours intéressants, mais, conduits de façon abstraite et peu experte, ils peuvent conduire à des impasses ou à des blocages. Or, la loi est toujours en position d’avoir le dernier mot et personne ne peut le regretter. La voie du compromis qui oblige les représentants des deux composantes, administrative et pédagogique, qui cohabitent au sein de l’institution scolaire, est une voie raisonnable, clairement préconisée ici. Serge Pouts-Lajus Éducation & Territoires 1 Bien qu’une école ne soit pas un établissement, le ministère recommande que le directeur soit considéré comme le directeur de la publication (lettre de la DAJ B1 N°380 du 20 novembre 2001). 2 Par exemple, celle de l’académie de Versailles : tice.ac-versailles.fr 3 « L’école, en tant qu’organisation, oscille entre deux pôles extrêmes : une bureaucratie rationnelle et une organisation anarchique […] L’indépendance est maximale entre les agents. Les administrateurs peuvent donner des conseils, mais pas des ordres. En fait, une large portion de qui se fait réellement échappe complètement à leur contrôle […] Cette réalité signifie que les organisations scolaires ne doivent pas être conçues suivant l’une ou l’autre logique, et certainement pas selon une logique strictement instrumentale et bureaucratique, car les facteurs humains y prédominent. » (Maurice Tardif et Claude Lessard, Le travail enseignant au quotidien, les presses de l’université Laval, 1999) Modèle de convention d’attribution d’un droit de publication sur un site Internet d’établissement scolaire (extrait). Objet de la convention La convention vise à décrire les conditions d’attribution et d’exercice d’un droit de publication accordé par le chef d’établissement au bénéficiaire sur le site de l’établissement accessible par Internet. Article 1 Le chef d’établissement, directeur de publication du site, accorde par la présente convention, un droit de publication au bénéficiaire dans des conditions fixées ci-dessous. Le bénéficiaire assume à titre personnel la pleine responsabilité de ce droit, qu’il soit ou non l’auteur des textes et documents publiés dans le cadre de la présente convention. Article 2 Cet article décrit la zone et la rubrique pour laquelle les droits sont accordés. Article 3 Cet article décrit le contenu éditorial prévu pour la rubrique et auquel le bénéficiaire est invité à se conformer. Article 4 Le chef d’établissement concède au bénéficiaire, dans la zone de publication décrite à l’article 2, un droit de publication l’autorisant à mettre en ligne et sans contrôle préalable tout document conforme aux règles éditoriales décrites à l’article 3. Par ailleurs, le bénéficiaire s’engage à respecter les règles générales de publication concernant notamment : – Le respect du droit d’auteur, – Le respect de la vie privée et du droit à l’image, – La diffusion d’informations non vérifiées, non autorisées ou dangereuses, – Les dispositions de la loi informatique et libertés, – La prévention de la fraude informatique et la protection des logiciels, – Le respect du service public, – La neutralité politique, religieuse ou syndicale, – La publicité commerciale. Article 5 La convention s’applique à partir de la date de signature et jusqu’au dernier jour de l’année scolaire en cours. Article 6 En cas de manquement par le bénéficiaire à l’une des conditions décrites précédemment, le chef d’établissement, après l’en avoir informé, pourra, s’il l’estime nécessaire et sans autre préavis, suspendre le droit de publication accordé au bénéficiaire par la présente convention. Les Cahiers pédagogiques n° 482, juin 2010 Les Tice 2.0 dépassent les bornes Michel Bézard Une relecture de ce dossier, attentive à l’appropriation des divers outils du Web 2.0 par les enseignants qui ont pris la plume pour présenter leurs pratiques dans la revue. Si ce numéro des Cahiers reste classique par sa facture, il est bien collaboratif dans son esprit… À la lecture du titre « Le Web 2.0 et l’école », la première idée que l’on se fait d’un numéro des Cahiers pédagogiques sur ce thème correspond à peu près à ceci : « L’architecture et les outils du Web 2.0 ont permis de passer d’un média unidirectionnel à une plateforme participative sur laquelle les utilisateurs sont à la fois contributeurs et bénéficiaires. Voici donc quelques premières expériences traversées de flux indéterminés et d’échanges modulables entre enseignants, entre élèves, entre classes – et pour le plus grand bénéfice des pédagogies actives à l’aise avec les blogs et les wikis, avec Twitter, Facebook et iTunes, avec les baladeurs, les smartphones et bientôt l’iPad. » À la lecture des articles publiés, on comprend comment ce programme a été à la fois rempli et détourné par ses initiateurs et les auteurs, si l’on considère le contenu de leurs témoignages, leur liberté de parole et le mode de diffusion de leurs idées. Inventer En matière de dispositifs de communication organisés pour que puisse s’y exercer une forme d’intelligence collective, rien ne se passe comme prévu ; une fois qu’ils sont maitrisés, ce sont ces dispositifs qui commencent à apprendre de leurs premiers utilisateurs. Dans l’espace éducatif, les enseignants concernés par ces questions – et les réseaux dans lesquels ils évoluent – sont d’abord des inventeurs suffisamment maitres de leurs pratiques pour oublier la doxa parfois encombrante du Web 2.0 ; ils sont aussi des agents médiateurs empruntant des canaux dont le fonctionnement a peu à voir avec celui de l’institution. Une double liberté conquise au confluent de l’Internet global et des Tice officielles. L’inattendu peut surgir au détour d’une histoire singulière vécue dans un groupe. Trois exemples recentrés autour de leur micro-évènement. Commençons par un détail « qui ne s’invente pas », une observation ponctuelle faite par une enseignante dans sa classe branchée : les silences de la bande-son qu’une élève vient d’enregistrer attirent l’attention de celle-ci sur l’utilité de la ponctuation, dont on se doute qu’elle ne lui était pas apparue jusqu’alors. Élargissons au contexte : la découverte se produit dans le cadre d’un projet de webradio et de livre audio au franchissement des frontières de l’intimité, création d’une situation embarrassante. Nous voici loin des deux clichés complémentaires : les adolescents se construisent en ligne un monde inaccessible aux adultes ; les adultes n’ont pas la légitimité pour faire intrusion dans le monde nécessairement secret de ces mêmes ados. Vie publique, vie privée dans le 2.0 ; quelle relation y établir avec les élèves ? Enfin, voici de l’étrange caché derrière de l’exotique. Des étudiantes coréennes éprouvent de fortes réticences à commenter les performances de leurs condisciples, mais aussi à montrer leur visage et à faire entendre le grain de leur voix. Dans quel cadre ? Celui de vidéos participatives où les téléphones portables sont l’objet d’un détournement Une forme de mise en public laisse ainsi de la place à une forme de collaboration publique rendue possible par l’apparition de dispositifs d’échanges et d’appareils mobiles. cours duquel les élèves sont enregistrés. Élargissons encore : les difficultés à surmonter ou les stratégies mises en place pour progresser dans la qualité des textes, les étapes à franchir dans la chaine de production sont décrites, toujours dans le détail. L’enseignante note que les bonnes idées viennent parfois d’ailleurs, que le format d’une émission littéraire à la radio ou le mode d’écriture en vogue dans les sites tenus par des collectifs d’écrivains peuvent être repris et adaptés pour une exploitation en classe. Poursuivons avec l’aveu d’un incident. Une enseignante découvre sur Internet une vidéo dans laquelle certains de ses élèves ont été filmés à son insu dans sa propre salle à manger. Élargissons à nouveau. Cette circulation incontrôlée de l’image est l’aboutissement d’un tourbillon dans lequel elle s’est trouvée emportée à la suite d’une première acceptation de sa part de devenir l’« amie », façon Facebook, de certains élèves. Sensation d’être prise au piège, pédagogique pour enseigner le français, détournement fondé sur des tentatives de théâtralisation propices à une certaine forme de répétition et d’apprentissage. Aux difficultés créées par « la petitesse de l’écran, la qualité du son, la lenteur de connexion, le clavier » et le cout d’accès à Internet… s’ajoute le choc avec les habitus. Ces trois micro-récits – qui entretiennent des rapports plus ou moins étroits avec le Web 2.0 au sens strict – peuvent évidemment être reçus en fonction des préférences pédagogiques de chacun ou confrontés avec l’actualité diffusée par les médias sur les réseaux sociaux. Ils peuvent aussi être interrogés sous l’angle du cheminement matériel des données, de la construction intellectuelle de l’outil ou des conditions sociales des échanges. Mais, dans tous les cas, ces trois situations d’apprentissage recontextualisées s’insèrent heureusement aussi mal dans le discours dominant du Web 2.0 que dans celui des Tice. Les Cahiers pédagogiques n° 482, juin 2010 53 Dossier Le Web 2.0 et l’école Avancer Un point à noter. Sachant mieux que la plupart des commentateurs et des décideurs quels sont les obstacles à surmonter dans le quotidien de la classe, les enseignants qui s’expriment ici paraissent fort peu intéressés par le thème de la dispersion de l’attention des élèves due à Internet, ils ne cherchent pas à démontrer que l’usage des réseaux sociaux augmente l’efficacité de leur enseignement, ils ne prétendent pas non plus que leurs élèves ont basculé dans le Web 2.0. En revanche, ils n’éludent pas les difficultés rencontrées : ils ne masquent pas le caractère chronophage du travail sur Internet pour le professeur, ni la correction interminable des textes d’élèves à mettre et à remettre en ligne, ni l’empiètement de la messagerie sur leur vie moins privée qu’auparavant, Third Life dans laquelle l’absence d’avatar domestique descendu des univers virtuels se fait désagréablement sentir ; ils ne cachent pas que la complexité de l’outil peut être un vrai fardeau, que la maitrise du clavier est parfois rude à faire acquérir ; l’une des auteures raconte drôlement, loin de la formule rituelle sur la motivation des élèves boostée par les Tice, comment une proposition d’activité d’écriture en ligne est fraichement accueillie par le bien connu « C’est noté ? ». Cette capacité à déplacer les lignes, dans leurs pratiques comme dans le compte rendu qu’ils en donnent, fait d’eux des inventeurs, et non des pionniers, au sens où l’entend l’institution. Même si la plupart d’entre eux sont en relation étroite avec celle-ci, l’idée de « généralisation » leur est plutôt étrangère et ils n’ont pas d’ENT à nourrir. Les avantages qu’apporte, par exemple, l’ouverture des blogs seraient annihilés dès lors que cette activité se poserait en modèle, le plaisir se changerait en objectif de rationalisation de la vie scolaire comme dans le cas du cahier de textes électronique. À ce mouvement de « désinstitutionnalisation » – présent dans les gènes du Web 2.0 – s’ajoute la rapide transformation des modes de communication sur lesquels surfent ces enseignants. On sait que, dans l’Internet global, les « amateurs » qui dynamisent les réseaux sont pourvus d’un capital culturel confortable et porteurs d’une haute compétence dans le domaine qu’ils ont eux-mêmes ouvert. Or les experts sont déjà passés à 54 autre chose lorsque le gros des troupes commence à s’approprier les techniques et les modes d’échanges qui motivaient les premiers cinq ans auparavant. Ainsi, les enseignants qui ont déjà abandonné le monde virtuel où ils emmenaient leurs élèves l’an dernier et qui ont intégré un nouveau réseau ont peu en commun avec ceux qui s’essaient à naviguer sur le Web et n’utilisent que les fonctionnalités de base de leur messagerie. Se montrer Dans la mesure où les leadeurs n’ont pas intérêt à laisser leurs collègues sur les rives du Net, ils doivent faire connaitre auprès du plus grand nombre leurs pratiques pédagogiques hybridées avec Internet, par des voies de diffusion malaisées à contrôler ou par le support imprimé dont c’est la revanche paradoxale. En préalable, il faut remarquer que le désir de communication n’est pas transformé en principe intangible et qu’il est inutile d’invoquer la transparence impudique et l’extimité obligée, sans oublier le panopticon. Il nous est, par exemple, raconté comment, pendant une expérience de publication sur le Web, plusieurs élèves invoquent leur droit à l’anonymat et songent à remplacer leur photo par une image de leur avatar, comment d’autres effaceront le blog qu’ils avaient ouvert dès que ce qui est resté pour eux un exercice scolaire est terminé. Toutefois, l’objectif dominant est bien de rapporter des expériences positives et Les Cahiers pédagogiques n° 482, juin 2010 qui font preuve d’ouverture : comment la fonctionnalité d’archivage des modifications successives d’un texte dans un wiki est exploitée dans une expérience d’écriture en classe de CM1 ; comment un professeur de lettres utilise un réseau communautaire sur Facebook pour faire découvrir aux élèves la diversité des débouchés d’une série L où les heures de cours sont portées par tout un univers extérieur au périmètre scolaire ; comment les délégués d’une classe de 6e informent leurs camarades à l’aide du blog qu’ils conduisent seuls… Mais surtout la prise de parole de ce Cahier pédagogique entretient des liens originaux avec le monde du 2.0. Sur l’Internet éducatif comme sur l’Internet global, les pratiques contributives reprennent, englobent, dépassent la simple publication qui s’est développée autour des sites web de la période précédente. Dans les expériences qui nous intéressent ici, une forme de mise en public laisse ainsi de la place à une forme de collaboration publique rendue possible par l’apparition de dispositifs d’échanges et d’appareils mobiles vers lesquels convergent des réseaux auparavant séparés. Mais la forme publication retrouve aussi son rôle à travers le présent numéro, dont le projet d’imprimé traditionnel s’insère dans le projet plus vaste du Web éducatif 2.0. D’abord, on partage les données et les idées, puis on fait connaitre les bonnes pratiques à un plus grand nombre de collègues, et pour finir on diffuse les pratiques des lieux de partage dans des systèmes de communication qui se complètent et interagissent. Pour le dire autrement, les auteurs contribuent sur le Web 2.0 et ils prennent la parole ici pour dire leur mode de contribution. Interaction d’une communauté numérique, plus parole éditoriale de référence. Michel Bézard Chargé d’édition-Tice au CRDP de Paris LEXIQUE Agrégateur : outil qui permet de rassembler sur une page Web personnelle les fils RSS de différents sites, et de pouvoir suivre ainsi les dernières informations que ces sites ont mises en ligne sans avoir besoin de les visiter. Netvibes en est un exemple cité dans ce dossier. Asynchrone (communication) : désigne des échanges qui se font sans contact simultané. C’est le cas du courrier postal, contrairement à une conversation téléphonique. Dans le Web 2.0, les forums ou les listes de discussion permettent des échanges asynchrones, tandis que le chat met en contact des personnes qui communiquent en direct. Avatar : image qu’un utilisateur utilise pour se représenter sur les sites sociaux ; dans les mondes virtuels, un avatar est le personnage animé qui représente l’utilisateur. B2i : Brevet informatique et Internet, diplôme qui valide une liste de compétences dans ces deux domaines, que les élèves doivent acquérir au cours de leur scolarité. Blog : outil de publication sur Internet dans lequel les articles sont publiés à la suite les uns des autres et peuvent être commentés par les lecteurs. Des plateformes de blogs permettent assez simplement et gratuitement à chaque internaute de créer son blog personnel, Skyblog étant une plateforme particulièrement prisée des adolescents. Buzz : rumeur qui se répand sur Internet. Clavardage (souvent désigné par le terme anglais chat) : discussion écrite en direct sur Internet, utilisant une messagerie simultanée. Digital native : personne de moins de vingt-quatre ans qui a grandi en étant intensément exposée à la technologie et au numérique. Etherpad : outil d’écriture partagée et synchrone en ligne. Flickr : réseau social centré sur le partage de photos. Geek : personne passionnée par un domaine précis, et notamment l’informatique. Happy slapping : pratique qui consiste à filmer des actes de violence extrême et à les diffuser sur Internet. Identité numérique : ensemble des informations qu’une personne donne à voir d’elle-même sur Internet. Licences Creative Commons : licences autorisant sous certaines conditions l’exploitation publique et la rediffusion des œuvres, dans des modalités plus souples que le droit d’auteur ordinaire, plus adaptées à la diffusion numérique. Lol (mdr pour les francophones) : abréviation pour Laughing Out Loud (mort de rire), utilisée sur MSN et dans les SMS. Microblogging : service qui permet de publier en moins de 140 caractères à un réseau d’abonnés, le plus connu étant Twitter. Monde virtuel : univers artificiel créé sur support informatique et dans lequel les utilisateurs, représentés par leur avatar, peuvent se déplacer et communiquer entre eux. Nerd : personne socialement handicapée, sinon isolée, passionnée par un sujet unique dans le domaine de l’informatique ou de la science. Nétiquette : ensemble des règles de courtoisie qui sont en vigueur sur Internet. Netvibes : outil qui permet d’agréger des flux RSS. Podcast : moyen de diffuser des fichiers sons ou vidéo en permettant aux utilisateurs de les télécharger et de les écouter immédiatement ou ultérieurement. Réseau social : ensemble d’individus ou d’organisations reliés entre eux par leurs interactions directes ou indirectes, autour d’intérêts communs. Facebook est aujourd’hui le plus connu. RSS (fil) : pour Really Simple Syndication, il s’agit d’informations succinctes diffusées par un site Internet, généralement pour tenir informé des nouvelles publications. Spam, spammer, spamming : un spam, ou pourriel, est une publication numérique non sollicitée, souvent diffusée par courrier électronique, généralement dans un but de publicité. L’auteur est un spammer, la pratique est appelée spamming. Synchrone (communication) : échanges qui se font en temps réel, ainsi le téléphone ou le chat sur Internet. Tag : balise, mot clé qui permet d’identifier une ressource et de la rendre identifiable par les moteurs de recherche. Tic, Tice : Technologies de l’information et de la communication, appliquées à l’enseignement. Twitter, tweet : Twitter est un outil de microblogging qui permet de publier des messages de 140 caractères maximum, des tweets, à destination des personnes abonnées à votre flux de messages. Web invisible : bases de données sur le Web auxquelles les moteurs de recherche comme Google n’ont pas accès (par exemple les archives d’un journal) Webinaire : Séminaire sur le Web avec des spécialistes d’un sujet, auquel les internautes inscrits peuvent assister et participer via le chat par exemple. Widget : application qui permet d’afficher une information sur l’écran de son bureau (actualité d’un site par exemple) ou un outil (horloge, calculatrice, etc.). Wiki : gestionnaire de contenu en ligne qui autorise la modification de ses propres pages Web par tous les visiteurs autorisés. Les modifications successives sont archivées automatiquement. L’utilisateur peut relire, effacer, modifier, ajouter, déplacer des parties de sa production sans altérer la présentation. Wikipédia : encyclopédie participative sur Internet, qui utilise un wiki comme support. Si d’autres termes vous échappent, une ressource possible : le Wiktionnaire, branche du projet Wikipédia. Les Cahiers pédagogiques n° 482, juin 2010 55 D’autres articles de ce dossier en libre accès sur notre site • Blogs pédagogiques : du discours sur leurs usages à la réalité dans leurs pratiques Lyonel Kaufmann Présentation d’une recherche par des étudiants sur des blogs d’enseignants, pour interroger les démarches : quels sont les choix pédagogiques ? Quels liens avec les activités en classe ? Quels impacts sur les apprentissages ? Quelles variations selon les disciplines ? Bien des questions encore largement ouvertes. • Facebook, quelle aventure… Carnet de bord d’une enseignante-documentaliste stagiaire Audrey Guilbaud-Varachaud Peut-on trouver un intérêt pédagogique à Facebook ? Une professeure documentaliste enquête sur les pratiques personnelles de ses élèves sur ce réseau social, puis monte un projet mobilisant à la fois histoire et techniques documentaires. Les apprentissages sont au rendez-vous, ainsi qu’une véritable éducation aux médias. • La littérature dans les bourrasques des pratiques numériques Jean-Michel Le Baut Comment enseigner à la génération de l’écran, de l’ordinateur et d’Internet cette littérature qui appartient au « monde d’avant », au monde du livre ? Et si les nouvelles technologies, plutôt qu’un obstacle, devenaient un précieux adjuvant, en misant sur la créativité et la sensibilité des élèves d’aujourd’hui ? • Twitter en philo : des gazouillis dans le vent ? François Jourde L’utilisation pédagogique de Twitter comme outil de microblogging et de réseau social est stimulante, notamment par son architecture ouverte et asymétrique, même si la briéveté des messages et l’interface austère restent des obstacles à la conversation. • Apprentissage nomade : des Coréens apprennent le français avec leur téléphone portable Hee-Kyung Kim, François Mangenot Afin d’amener ses élèves à pratiquer le français, Hee-Kyung Kim leur a demandé de se filmer à l’aide de leur téléphone portable. Cet objet technologique très intégré dans les pratiques quotidiennes des jeunes peut être un support pour travailler l’oral, échanger entre pairs, développer des situations de communication proche du réel. • Également sur notre site : - une sitographie - une page reprenant l’ensemble des liens complets indiqués dans les notes des articles - un forum de discussion dédié à ce dossier. N o tre pr o chain D o ssier N° 483, à paraitre fin septembre 2010 : Les consignes Il y a plus de vingt ans, l’ouvrage Lecture d’énoncés et consignes, publié par le CRDP d’Amiens, avait ouvert la voie d’une réflexion de fond sur le difficile problème de la compréhension des consignes par les élèves. Coordonné par l’auteur de ce livre, notre prochain dossier le prolonge, en prenant en compte tous les niveaux de la scolarité, de l’école maternelle à l’université, et en s’élargissant au monde adulte. De plus, il inscrit cette problématique dans le cadre du socle commun, où elle apparait à la fois dans le pilier « Maitrise de la langue » et dans « l’autonomie et l’initiative ». Des éclairages divers sont donnés par des enseignants de terrain et des chercheurs, pour aborder de nombreux sujets : – Les consignes dans l’utilisation des Tice – Le rôle des consignes dans l’accompagnement des élèves, dans et hors la classe – Les consignes comme rituels dans les pratiques d’enseignement – Apprendre à se débrouiller de consignes, ainsi de la distinction entre « je dois » et « je peux » – L’articulation entre consignes orales et écrites Une question centrale est posée tout le long du dossier : comment les consignes peuvent-elles jouer un rôle positif dans l’apprentissage ? Il semble pertinent, gage d’efficacité de les penser comme un tiers médiateur : – évitant d’être trop cadrantes, trop contraignantes, empêchant alors de voir ce qui se cache sous la tâche technique apparente ; – servant de point d’appui pour rendre l’élève finalement plus autonome. La réflexion porte aussi sur la manière dont nous, enseignants, élaborons les consignes, selon les objectifs que l’on poursuit, soucieux des compétences à développer chez le lecteur de consignes plutôt que de la confection utopique d’une « consigne idéale », limpide, grâce à laquelle les élèves ne pourraient pas se tromper… Loin d’être une question technique, le problème des consignes accompagne l’élève tout le long de son parcours scolaire ; on n’a jamais fini d’apprendre à comprendre les consignes. Coordonné par Jean-Michel Zakhartchouk Pour parler du métier tel qu’on le vit, avec ses moments de crise ou de plaisir, avec le quotidien de la classe et l’extraordinaire qui, parfois, nous surprend, avec des jeunes et des adultes qui aiment ou détestent l’école mais y passent ensemble leurs journées. Pour raconter cela avec passion, avec humour. Pour rêver par écrit. Pour saisir un moment sur le vif et le partager. ? Et chez toi ça va ? C’est à nous de vivre maintenant H ier, nous sommes allés visiter une exposition d’art contemporain. Des installations… Pas facile… Les élèves, des troisièmes, ont fabriqué des carnets d’exposition avec leur prof d’arts plastiques. Comme d’habitude, ils semblent ne pas écouter, ils volètent, caquètent, râlent, ils cherchent la limite, mais ils croquent aussi, notent fièrement (les filles surtout) et mitraillent (les garçons surtout). L’aprèsmidi semble plutôt positive… Mais au retour, le chauffeur du car nous appelle pour se plaindre de multiples dégradations dans le car. Déception. Aussi, ce matin, je ne suis pas tendre avec eux. Ils sont debout, ils protestent, mon sermon est un peu ridicule peut-être, injuste, maladroit, naïf. Mais pourquoi ? Moi j’ai passé un bon moment avec eux, alors pourquoi détruire, casser, encore et encore ? Et puis, nous écrivons. Je fournis le papier, blanc, je veux dire sans ligne d’écolier à suivre. Et pour cause : nous écrivons de la poésie. Ils doivent se débrouiller pour que leur texte soit beau, à voir, entendre, imaginer. Qu’il soit fort, émouvant, surprenant. Bref, un poème. Avec des mots en chair et en os, pas ceux de tous les jours… Les mots du poète… « Ils doivent, ils doivent »… ça ce sont les mots du prof… La contrainte : partir d’une œuvre vue hier. D’ailleurs, je les répartis arbitrairement dans la classe. Comme d’habitude, je déploie une énergie phénoménale pour étouffer les tentatives de diversion, intercepter les circulations d’objets, recentrer l’attention sur la tâche, calmer les ardeurs et les inquiétudes (Madame, c’est noté ?), offrir un bout de solitude à des collégiens turbulents. Épuisant, le silence en ligne de mire… Ça ne dure pas longtemps, il ne faut pas, je passe à autre chose, de plus scolaire, de plus rassurant. Machinalement, je ramasse, au compte-goutte pendant le reste de l’heure, les feuilles blanches qu’ils ont habitées, à leur façon… Je connais bien le conformisme adolescent, les jugements à l’emportepièce et la sentimentalité à l’eau de rose de leur âge… Plus tard, dans le métro, je regarde. Et je m’émerveille… Ben non, ce n’est ni mièvre ni banal. Je reconnais chacun et chacun m’étonne. Que s’est-il passé ? Les plus gêneurs, les plus dyslexiques, les plus têtes-de-turc, les plus réfractaires, les plus handicapés du stylo ne sont pas en reste… « Forme parfaite Sphère, boule ou ballon Une fête ? Ou un long voyage dans ma tête… […] Adieu rouge sanglant C’est à nous de vivre maintenant » Élisa « J’ai dû côtoyer le pavé pas à pas je me dis c’est pas vrai papa maman les gars désolé Je ressens comme une envie de m’isoler. » Matthew « […] Les chaises attendent Elles sont collection pour leur créateur elles sont tendres et pour les autres des chiens elles sont et l’homme s’en va » Léo « […] pour résumer mes pensées ces points blancs sur ce fond bleuté m’ont aidé à me libérer de cette réalité ratée… » Tangui « La nature a donné la vie à l’Homme Et l’Homme a donné la vie à la science. La science s’est emparée d’une boite de cire pour donner vie à du polystyrène. » Marie « Œuvre qui ne s’arrêtera que quand je vais partir De ce monde où la gaité ne fait que s’amoindrir » Lucas « […] La douce vie citadine qui doucement s’évapore. » Emma « […] Vous avez laissé votre trace ! Au fur et à mesure qui s’efface. » Sarah Mais ces poèmes ne sont-ils émouvants que pour moi qui me bats tous les jours avec eux ? Qui me heurte à leurs difficultés, d’être, d’apprendre, de dire ? Dites-moi, suis-je la seule à être sensible à ces mots d’ados ? Agnès Berthe Professeure de français en collège (Seine-et-Marne) Les Cahiers pédagogiques n° 482, juin 2010 57 E Et chez toi ça va ? Pour parler du métier tel qu’on le vit, avec ses moments de crise ou de plaisir, avec le quotidien de la classe et l’extraordinaire qui, parfois, nous surprend, avec des jeunes et des adultes qui aiment ou détestent l’école mais y passent ensemble leurs journées. Pour raconter cela avec passion, avec humour. Pour rêver par écrit. Pour saisir un moment sur le vif et le partager. Dix principes, quatre axes, deux tensions dialectiques… J e lis le livre de Bruno Robbes, L’autorité éducative dans la classe (ESF 2010) qui analyse, en deuxième partie, après une solide définition de l’autorité, douze situations racontées par des enseignants comme autant de moments où ils ont eu le sentiment de faire preuve d’autorité. Situés entre maternelle et lycée, ces récits sont d’abord étonnants de familiarité : bruit, refus, conflits individuels ou semi-collectifs, à propos du travail ou des comportements ou des règles de vie collective, tout un matériau d’analyse que nous partageons tous (du moins tous ceux qui veulent bien en parler sur fond de valeurs communes). Analyse ? C’est quand même bien ce qui nous manque, collectivement (soupir). Ensuite, j’ai la surprise de voir que Bruno Robbes trouve intéressantes et cohérentes des façons de réagir bien humbles : se donner du temps pour penser, même dans le feu de l’action, n’avoir pas pour but la défaite de l’élève, garder pour objectif la remise au travail, proposer des portes de sortie, exclure sans humilier… Rien de « m’as-tu-vu » dans ces situations, rien de triomphaliste. Un effort pour garder l’autorité en sachant qu’elle sera régulièrement remise en jeu, avec appui sur quel- ques certitudes et principes d’action. Bruno Robbes les formule, justement : au fil des pages, on rencontre trois significations de l’autorité, deux tensions dialectiques, dix principes, quatre axes… tout ça. Il y a tout ça dans nos années de vie avec nos classes, dans le parcours de neuf mois que nous faisons chaque année avec elles. C’est bien de se le redire, grâce à des livres comme celui-là, qui prend pour matériau le grain fin de nos actions pour nous aider à garder le cap. De récentes discussions sur la liste de discussion des adhérents du Crap l’ont bien montré : on avance aussi en prenant un de ces grains (que fais-tu quand un élève ne rend pas un devoir ? Quand des élèves demandent, en entrant, de repousser le devoir parce qu’ils n’ont rien compris ? Quand… ?) et en regardant quelles réponses on apporte, et au nom de quoi. Des réponses à renouveler par chacun : pour Bruno Robbes, l’autorité ne s’accomplit que dans un mouvement créateur ! Florence Castincaud Professeure de français en collège (Oise) La date de naissance de Mouloud D ans la classe, un nouvel élève : Mouloud, qui semble connaitre des difficultés scolaires… Ce qui m’en pose à moi : il faut trouver comment minimiser ce que ne semble pas savoir Mouloud… par exemple, sa date de naissance. En effet, après avoir vu la première fois Mouloud, je signale à la secrétaire qu’il y a eu erreur au moment de l’inscription, que l’élève ne s’appelle pas Mouroub mais Mouloud, comme il me l’a dit lui-même. « Il ne sait même pas sa date de naissance, pas sûr qu’il sache mieux son prénom » me répond-elle, pensant que s’il n’a pas su lui donner sa date de naissance, il est fort probable qu’il n’ait pas les connaissances de base sur sa propre personne. Soit. La première fois où il doit se connecter sur le réseau, comme ses camarades, il doit inscrire son prénom puis son nom et sa date de naissance : la connexion ne fonctionne pas, il doit y avoir une erreur. Cela arrive souvent lors de la première connexion. Chaque élève étant sur son ordinateur, le fait passe inaperçu pour le groupe d’élèves. Il a écrit Mouloud, or il est inscrit chez nous comme Mouroub. J’essaie avec ce prénom, il met son nom et sa date de naissance. La connexion s’établit. Lui est tout déconfit de voir apparaitre le prénom « Mouroub » sur l’écran. Il dit « c’est pas moi ». Moi je suis contente de pouvoir aller dire à l’infirmière qu’il connait sa date de naissance. Une équipe préparatoire à une équipe de suivi de scolarisation va se réunir pour imaginer des aménagements pédagogiques à mettre en place, face aux réelles difficultés de ce jeune homme. Sans parler vraiment de test – mais cette tâche qu’il 58 Les Cahiers pédagogiques n° 482, juin 2010 a accomplie devant moi était bien pour moi une évaluation de ce qu’on m’avait dit de lui –, je redécouvre l’affirmation de Binet : « Un test particulier… ne vaut pas grand-chose. Ce qui donne une force démonstrative, c’est un faisceau de tests. » Cet élève connait sans doute de nombreux blocages, le médecin scolaire qui l’a rencontré en préparation de l’équipe éducative a été impressionné par son mutisme. Mais le fait qu’il ne nous donne pas les réponses que nous attendons de lui au moment où nous les attendons ne doit pas nous amener à tirer des conclusions hâtivement. Il ne dit pas sa date de naissance à la secrétaire ne signifie pas qu’il ne sait pas sa date de naissance. Forte de cette expérience, j’en reste au fait quand il ne sait pas que le matériau que je lui tends s’appelle un plastique ou que la figure que je dessine s’appelle un triangle. Il s’agit d’indices observables liés à un moment précis, dans un contexte particulier. L’histoire de la date de naissance montre qu’il serait très maladroit de tirer des conclusions d’après un seul indicateur. Un faisceau d’indices peut éventuellement interroger, mais le doute reste le principe de base. Pour le moment, j’ai réussi à masquer les silences de Mouloud, en attendant que les élèves de la classe connaissent d’autres traits de sa personnalité, pour pouvoir l’accepter, avec ses manques. Monique Ferrerons Professeure de technologie, candidate au certificat compémentaire d’aptitude aux situations de handicap (2CA-SH) ? Et chez toi ça va ? Les instants précieux N e jamais les oublier… c’est ce que je me disais en achevant, en force, ma dernière heure de cours du trimestre : pas fière d’avoir cloué le bec à Jérémy dont je trouvais l’argument peu recevable, d’avoir fait semblant de ne pas entendre les propos désagréables de Fatiha parce que je ne voulais pas entrer en conflit une fois de plus, d’avoir été obligée de faire du chantage « à la récréation » pour donner le travail à faire pendant les vacances… impression de gâchis, de perte de temps, de fatigue (celle des élèves, la mienne) ; impression qu’il est impossible de « négocier » correctement nos rythmes, de se séparer sereinement pour les vacances… pour des questions un peu stupides de calendrier, de réunion qui a supprimé telle ou telle heure de cours et parce qu’il faut bien boucler certaines choses. On aurait alors envie de s’en vouloir et de leur en vouloir de ce « gâchis ». Donc, ne pas oublier ! car le trimestre a été fait aussi d’instants précieux… Ne pas oublier Mahamadou découvrant le plaisir d’aller au théâtre et écrivant au metteur en scène : « Madame quel chefd’œuvre ! le théâtre, c’est vraiment votre truc ; la mise en scène était parfaite et somptueuse. Pour mon baptême du feu au théâtre ce fut un succès total ! » Ne pas oublier Fatou et Aïssata qui sont venues finalement, après mon coup de fil à leurs parents, et qui n’osaient pas dire « oui » quand j’ai proposé de les raccompagner. Ne pas oublier Mana qui, avec le même grand sourire qu’elle a en classe pour s’excuser d’avoir encore bavardé m’a dit : « Vous m’avez redonné le gout de lire. » Ne pas oublier les efforts de Rime qui, à force de travail, a obtenu la moyenne au dernier devoir. Ne pas oublier Oumar… non ne pas l’oublier, lui, que j’ai perdu au Louvre lors de la sortie du premier trimestre et qui n’a jamais pu expliquer pourquoi il n’a pas rejoint le groupe à l’accueil ni pourquoi il ne s’est signalé à aucun gardien. Qui m’a fait très peur mais que je n’ai pas sanctionné. Et ne pas oublier que depuis, on ne l’entend pas davantage, mais qu’il est passé de 05 à 11 de moyenne ! Mystère de ces instants précieux : réussites qui tiennent à eux, à des intervenants, à la magie du spectacle, au plaisir d’un livre, à ce que j’ai dit ou proposé aussi. Des rencontres en somme. Hélène Eveleigh Professeure de français en lycée (Seine-Saint-Denis) Carte postale de vacances d’une proviseure I l y a de bons moments dans la vie d’un chef d’établissement. Je suis seule dans mon lycée à travailler pendant les vacances de printemps, seule… avec 170 lycéens qui participent à un stage d’entrainement à l’oral en anglais, un assistant d’éducation et treize enseignants. Rappelez-vous, le président de la République trouvant que les petits Français parlaient mal les langues étrangères, avait décrété des stages de vacances gratuits. C’est au tour du lycée Paul-Langevin de Suresnes de coordonner le dispositif pour les lycées du bassin de formation : quinze heures de renforcement de l’apprentissage de l’oral réparties sur trois jours, avec des enseignants et des élèves volontaires. J’attendais 20 % de déperdition par rapport aux inscrits : ils sont quasiment tous présents. « Et j’espère qu’on ne dira pas que les STG sont tous des fainéants » me lance un STG mercatique rigolard. Certes, il y a les retardataires maladifs, mais ils sont là quand même. Et il faut les entendre à la pause : « Ça, c’est de l’anglais facile à digérer… – Au retour, je vais épater mon prof, et ça, c’est trop cool ! – Enfin, je comprends l’anglais pour la première fois de ma vie. » Quant aux professeurs : très peu d’enseignants de lycée – essentiellement des professeurs de collège ou de lycée professionnel, deux locuteurs natifs, des très jeunes, des têtes aux cheveux blancs. En une demi-journée, après l’observation polie d’usage, leur salle de travail devient un groupe Crap. Ils travaillent ensemble sur des exercices que les uns et les autres ont mis au point, échangent des élèves pour tester des dispositifs. Ils sont radieux, trouvent les élèves adorables, bien élevés, attentifs, intéressés. Certes, le chef d’établissement ne ménage pas ses efforts pour lier la sauce, à coup de café, de jus d’orange, de petits gâteaux et de galopades pour trouver la bonne télécommande du lecteur de CD. Je lis leurs appréciations de fin de stage : « Ils sont plutôt motivés et participent activement… Groupe volontaire et agréable… Timides au début, puis chacun a essayé… Tous ont fait un effort, même ceux qui étaient le moins à l’aise… Initiatives personnelles… » L’enthousiasme des élèves est au diapason de celui des professeurs ; ainsi, Joanna déclare : « Ce stage fut très bénéfique. Ces trois jours m’ont appris à gérer mes émotions et à mieux m’exprimer. Le professeur a réussi à me donner plus de plaisir à parler anglais… Le seul point négatif est à mon avis que la période du stage est trop courte. » Bon, nous nous sommes donné rendez-vous pour le prochain stage. Michèle Amiel Proviseure de lycée Les Cahiers pédagogiques n° 482, juin 2010 59 F Faits & idées Chronique du microlycée du Val-de-Marne Un microlycée est une structure expérimentale publique de petite taille destinée à accueillir des jeunes déscolarisés. Avec la reprise d’école, l’objectif affiché est de réussir le baccalauréat et d’offrir aussi un temps et un espace de reconstruction du projet scolaire et personnel du jeune, un lieu de reconstruction de l’image de soi. Le premier microlycée, à Sénart (Seine-et-Marne) a été ouvert en 2000 et le second, à Vitry-sur-Seine (Val-de-Marne) en 2008. Un troisième, en Seine-Saint-Denis, est en gestation. Parole d’une élève sur le microlycée Éric de Saint-Denis Le dernier texte de cette chronique présente le témoignage d’une élève, rédigé dans le cadre d’une modalité d’accompagnement individuel. Le microlycée comme tremplin qui aide à rebondir, en interdisant le surplace. L a procédure d’inscription des élèves au microlycée commence toujours par un appel de l’élève lui-même. Si un parent, un éducateur, un collègue enseignant ou chef d’établissement appelle d’abord, l’enseignant qui décroche l’écoute, parfois longuement, le renseigne, mais demande à ce que l’élève téléphone lui-même. Une façon de marquer une volonté d’inscription même si, le plus souvent, celleci appartient davantage à l’ordre du désir que de la volonté. Un premier entretien de positionnement mutuel a lieu avec l’élève seul, puis un second avec un adulte référent de son choix, le plus souvent un parent. À la fin de ce deuxième entretien de confirmation, l’élève est laissé seul, durant un temps déterminé par lui-même, face à une page blanche où il est écrit : « Le microlycée, c’est… » À lui de remplir la suite comme il l’entend, sans consigne particulière. Ce qui est écrit là est le plus souvent court et stéréotypé. L’intérêt de cet exercice est de permettre à l’élève de refaire le même écrit plusieurs mois après et de mesurer avec lui les écarts entre le premier texte et le second. Première impression positive Marion est une élève exemplaire. Âgée de 21 ans, ce qui est dans la moyenne d’âge des élèves du microlycée, elle fait partie des élèves les plus présents, particulièrement en terminale STG, où la régularité est difficile pour les élèves. Elle assiste à la totalité des cours, sans faille aucune, là où la majorité des élèves accumule les difficultés pour venir en cours. J’avais fait le premier entretien de Marion avec une collègue et j’avais trouvé une élève mature et qui semblait prête à reprendre ses études avec plus de volonté que de désir. Cependant, après dix ans d’entretiens de ce type, il m’est toujours impossible de savoir à l’avance si un élève sera ou non investi avec succès dans sa reprise de scolarité. Beaucoup semblent solides à l’entretien et s’écroulent ensuite, confrontés semaine après semaine, mois après mois, à la réalité des efforts à fournir pour aller jusqu’au bac avec quelques chances de succès, surtout 60 Les Cahiers pédagogiques n° 482, juin 2010 lorsqu’il s’agit de supprimer la chance et de la remplacer par un travail patient et régulier. Marion ne s’est pas écroulée. En septembre 2009, lors de son second entretien, face à la feuille blanche, elle n’écrit que deux lignes : « Le microlycée c’est… l’opportunité de pouvoir recommencer une scolarité dans un cadre qui m’est plus adapté et avec une structure plus petite. Une nouvelle chance m’est offerte pour réaliser mon projet professionnel. » Travailler la confiance en soi Au mois de février, sans qu’il ne soit question d’une quelconque utilisation dans le cadre d’une publication, nous reprenons son texte de septembre, très conventionnel et je lui demande de le réécrire. Nous faisons alors cinq ou six échanges de mail et chaque semaine, au moment de ce que nous appelons « la référence », nous parlons ensemble de ce texte Trop souvent, les jeunes en rupture scolaire ont souffert d’une absence de reconnaissance de ce qu’ils étaient au sein de l’école. qui s’élabore. La référence, que l’on pourrait appeler le tutorat, est un moment prévu à l’emploi du temps de l’élève qui permet de faire un point sur l’inscription de l’élève dans sa scolarité. Une approche plus éducative que cognitive, même si ce positionnement est source de multiples interrogations au sein de l’équipe éducative. Avec Marion, la référence sert à affiner son projet personnel et à revenir sur son passé scolaire pour tenter de mieux comprendre ce qui pourrait l’aider aujourd’hui. Elle fait partie de ceux dont on pourrait penser qu’ils n’ont pas trop besoin d’être aidés puisqu’ils sont très présents et semblent réussir leur rescolarisation. Et pourtant, chaque semaine elle fait part de ses doutes et chaque fois mon rôle est d’abord celui d’un miroir de confiance. F Faits & idées L’un des principaux axes de l’accompagnement des élèves en rupture scolaire consiste à travailler sur les mécanismes de mésestime de soi, source de souffrance et de déscolarisation. Ces mécanismes se travaillent en classe, dans les rapports au savoir, dans une attention accrue au caractère constructif de l’évaluation, qu’elle soit notée ou non, mais aussi lors de cet accompagnement éducatif individualisé. L’écoute, le dialogue sont alors des instruments majeurs de la reconnaissance de l’autre comme interlocuteur à part entière. Trop souvent, les jeunes en rupture scolaire ont souffert d’une absence de reconnaissance de ce qu’ils étaient au sein de l’école. Marion en parle très bien dans ce texte qu’elle a accepté de voir publié aujourd’hui. Il est le résultat de la référence hebdomadaire, un exemple possible du travail d’accompagnement qui s’y construit, en sachant que je n’ai pas Marion en classe. « Lorsqu’on m’a téléphoné pour me dire que j’étais acceptée au microlycée, je savais que cela allait changer quelque chose dans ma vie, mais je ne savais pas comment. Or le microlycée et certains évènements douloureux, en particulier le décès de mon grand-père, m’ont fait prendre conscience que tout pouvait être encore possible. Cela m’a donné envie de me battre pour réaliser mon projet qui est de devenir psychologue en gériatrie. Finalement, je me dis que moi aussi je peux y arriver si je me donne les moyens d’y parvenir. J’ai eu une scolarité un peu chaotique même si je n’ai jamais eu de problèmes visibles à l’école. En fait, je détestais l’école. J’avais l’impression de ne pas y avoir de place. J’avais vraiment l’impression de ne rien apprendre, de ne rien pouvoir apprendre. Et plus j’avançais, plus j’avais l’impression de m’enfoncer même si j’ai rencontré certains professeurs qui m’ont permis de ne pas sombrer totalement. Le primaire et le collège représentent la pire période de ma vie. Cela reste encore quelque chose de très lourd et, en même temps, cela m’a permis de me forger une carapace. J’allais à l’école pour me faire casser par les profs, et aussi par les autres élèves. Jusqu’à pas longtemps, j’avais vraiment du mal à en parler. Plus maintenant. Du primaire au collège, j’ai enduré pas mal de choses. Aucune réussite, un calvaire. Complètement invisible pour les profs, même en sports où j’avais des capacités. Même là, je n’y arrivais pas. Et puis, il fallait entrer dans une certaine ligne surtout quand je suis passé dans le privé. Je n’y parvenais pas. Il fallait absolument faire du rendement pour la bonne image de ces “merveilleux lycées”, donc pas de place pour des élèves qui ont un mode d’emploi un peu plus compliqué que la majeure partie des élèves. En même temps, il ne faut pas faire de généralités, car mon frère est dans l’établissement auquel je pense et cela lui convient bien. Donc, à la fin de ma première terminale, je suis allé au bac, mais j’étais très loin de la moyenne et en dessous de l’accès au second tour. À la fin de ma deuxième année de terminale, j’ai repassé le bac, je suis allé au rattrapage et j’ai obtenu 09 de moyenne. Encore un échec ! Après, j’ai arrêté un an. J’avais besoin de me poser, de laisser un peu le travail scolaire. Je ne suis pas restée à rien faire. Je me suis détournée de l’école pour m’occuper de mes grands-parents malades. Je suis hyper anxieuse et j’avais besoin de m’occuper d’eux. J’ai arrêté l’école, mais cette année-là a été très remplie. J’ai travaillé comme une auxiliaire de vie et plus encore. Vingt-quatre heures sur vingtquatre, sept jours sur sept ! Cela a été vraiment très important pour moi et très enrichissant. Aujourd’hui, j’ai repris l’école, une nouvelle fois en terminale. Après un second trimestre bien entamé et l’orientation qui se profile, je sais maintenant que le microlycée m’a apporté beaucoup : la structure, les professeurs et l’ambiance qui y règne. L’ensemble. J’associerai le microlycée à une rampe de lancement, à un tremplin sur lequel on prend appui pour essayer d’aller plus loin en étant mieux armée, avec plus de confiance en soi. Disons qu’avant, lorsque je parlais avec mes parents et mes amis, il m’arrivait de dire “j’aurais aimé faire telles ou telles études…”, un peu comme si plus rien n’était devenu possible. Éric de Saint-Denis Professeur d’histoire-géographie À 21 ans j’ai enfin trouvé le gout d’apprendre, et cela même en maths ou en anglais, car ici au microlycée on a des professeurs qui donnent beaucoup pour nous faire aimer leur matière. L’anglais et moi, c’est une histoire un peu compliquée et cela depuis longtemps. Mais cette année, je vois cette matière sous un autre angle. J’ai envie de m’y mettre pour moi, mais aussi pour rendre ce que l’on m’apporte dans les cours. Je n’aurais jamais cru que cela existait des profs qui ne bossent pas qu’avec les meilleurs. Le microlycée, c’est aussi reprendre le gout de travailler, ne plus en avoir peur, et voir que finalement on peut y trouver du plaisir grâce à une équipe éducative très présente pour les élèves. Cela nous donne confiance en nous. Quand je rentre chez moi, j’ai davantage compris qu’avant. Donc, je prends du plaisir à travailler. C’est aussi nouveau pour moi. Avant, je rentrais et j’allumais la télé ou je dessinais, mais je ne travaillais pas. Aujourd’hui, non, je me mets au travail et assez facilement. Ici j’ai aussi redécouvert le monde scolaire et je me suis rendu compte qu’il n’était pas si moche que je le pensais. En tout cas, il me parait beaucoup plus accessible qu’avant. Le monde scolaire, je le redécouvre. Je ne le voyais pas comme cela. Avant, il n’y avait que les forts qui y arrivaient. Aujourd’hui, c’est un monde qui s’est ouvert à moi aussi. Je peux réussir. Il était fermé, surtout pour moi. Aujourd’hui, je peux apprendre des choses qui ne m’étaient pas destinées. C’est plutôt positif pour la suite des études. Mais il faut faire attention à ne pas trop s’habituer au confort que le microlycée nous apporte. Pour des gens pas assez motivés, on peut se laisser aller à la routine ou ne pas venir, penser qu’être absent, ce n’est pas si grave. On peut finir par se complaire dans cette espèce de confort : on n’est pas trop embêté quand on a été absent, on n’a pas peur de venir à l’école, on peut discuter avec les profs, c’est sympa. Il faut une certaine motivation pour garder le cap. Le microlycée est à double tranchant. Il peut vraiment bien aider, il donne envie, mais il peut aussi laisser les élèves s’installer dans une situation où on peut oublier ses objectifs. Le plus difficile, c’est de bien prendre conscience de la suite, car, pour les études supérieures, cela ne se passe pas comme cela. On a pas envie de partir du microlycée, mais un jour ou l’autre, il faudra le quitter, mais en étant plus fort. Cela m’a apporté tant de choses… Les profs nous donnent confiance, ils croient en nous. Pour moi, c’est le plus important. » Marion Chauvet-Bordenave, élève de terminale STG Les Cahiers pédagogiques n° 482, juin 2010 61 FLa compétence de communication Faits & idées en didactique des langues Prisque Barbier La didactique communicative, qui s’est inscrite dans une optique « pragmatique » de l’enseignement des langues, s’appuie sur le concept de « compétence de communication ». Quelles en sont les caractéristiques ? L ’utilisation de la notion de compétence de communication en didactique des langues étrangères date des années 1970. Des branches de la linguistique en Europe mieux adaptées aux préoccupations des spécialistes de l’enseignement/apprentissage des langues sont explorées, comme les recherches sur l’analyse du discours et les recherches des philosophes du langage sur l’intention de communiquer. Enseigner une langue, c’est également enseigner à communiquer avec celle-ci, et il parait donc préférable de se référer à des domaines mettant l’accent sur la sociolinguistique, aux interactions verbales dans des situations langagières, et aux corrélations entre des paramètres sociologiques et des variations linguistiques. Par exemple, en français, lorsqu’il y a échange verbal entre deux personnes, leur façon de communiquer varie en fonction de leur âge, de leur statut social, et des relations qu’ils entretiennent. Ils utiliseront soit la deuxième personne du pluriel, si la situation est formelle (avec un inconnu, une personne plus âgée, un supérieur hiérarchique), comme forme de politesse verbale : Est-ce que je peux vous aider monsieur Durand (ou Monsieur le directeur) ?, soit la deuxième personne du singulier, lorsqu’ils seront entre amis, jeunes, ou en famille : Est-ce que je peux t’aider Valérie (ou maman) ? L’approche communicative C’est l’ensemble de ces constats qui ont mené la didactique des langues à emprunter aux sociolinguistes nord-américains la notion de compétence de communication. Les recherches prennent deux directions : soit la description de cette compétence dans le cadre des interactions en classe, soit la construction de sa modélisation. Sandra Savignon1 propose de se pencher sur la compétence de communication telle qu’elle se donne à voir dans la salle de classe. Elle définit l’approche communicative et décrit des situations d’apprentissage aussi authentiques que possible pour en finir avec le caractère artificiel de la méthode audiovisuelle. Il s’agit d’opérer un changement radical en donnant la priorité non plus au montage d’une hypothétique compétence linguistique, mais bien à la mise en œuvre d’un savoir-faire communicatif. Elle insiste sur le fait que la compétence de communication est dynamique, qu’elle est relative et sujette à variation, enfin qu’elle est fortement liée aux conditions d’énonciation et à la coopération qui s’établit entre les partenaires de l’échange. Cette problématique didactique conduit donc à une réflexion sur la définition des composantes de la compétence de communication. Pour Sophie Moirand2, la compétence de communication repose sur la combinaison de quatre composantes : 62 Les Cahiers pédagogiques n° 482, juin 2010 • Une composante linguistique, à savoir la connaissance et l’appropriation (la capacité de les utiliser) des modèles phonétiques, lexicaux, grammaticaux et textuels du système de la langue ; • Une composante discursive : la connaissance et l’appropriation des différents types de discours (par exemple un exposé) et de leur organisation ou de leur macrostructure, en fonction des paramètres de la situation de communication dans laquelle ils sont produits et interprétés. Notamment, la présentation d’un exposé selon le modèle français doit comprendre, dans l’ordre : une thèse, une antithèse, et une synthèse (alors que ce n’est pas ce qui est attendu selon le mode anglosaxon) ; • Une composante référentielle : la connaissance des domaines d’expérience et des objets du monde et de leurs relations ; • Une composante socioculturelle : la connaissance et l’appro- Il s’agit d’opérer un changement radical en donnant la priorité non plus au montage d’une hypothétique compétence linguistique, mais bien à la mise en œuvre d’un savoir-faire communicatif. priation des règles sociales et des normes d’interaction entre les individus et les institutions, la connaissance de l’histoire culturelle et des relations entre les objets sociaux. Claude Springer3 propose également une définition à quatre composantes : • Une composante linguistique : connaissance des divers systèmes de règles syntaxique, lexical, sémantique, phonologique qui permet de créer et reconnaitre une grande variété de messages ; • Une composante socioculturelle, qui permet de reconnaitre et interpréter différents systèmes culturels et de les mettre en relation avec son propre univers mental ; • Une composante pragmatique, qui traite de la connaissance que l’utilisateur/apprenant a des principes selon lesquels les messages sont : – organisés, structurés et adaptés (ou compétence discursive : elle permet de mettre en œuvre des stratégies pour construire et interpréter différentes variétés de discours) ; F Faits & idées – utilisés pour la réalisation de fonctions communicatives (ou compétence fonctionnelle : elle permet de mettre en œuvre des stratégies pour construire et participer à différents discours), comme se présenter, s’informer sur un lieu ou sur un moment, exprimer ses sentiments… ; – segmentés selon des schémas interactionnels et transactionnels (c’est la compétence conversationnelle : elle permet de mettre en œuvre des stratégies interactives pour construire et gérer les discours dialogiques), par exemple le respect des tours de parole. • Une composante stratégique, qui traite les opérations mises en œuvre dans la communication et l’apprentissage de type cognitif et métacognitif (comme la planification, l’exécution, le contrôle, et la remédiation). Ainsi, alors que Sophie Moirand cherche à modéliser la compétence de communication en en décrivant ses composantes, Claude Springer propose d’opérationnaliser ces composantes, afin de permettre à l’apprenant de mettre en œuvre des stratégies de communication et d’apprentissage. Le Cadre européen Le Cadre européen commun de référence pour les langues (CERCL) s’appuie sur ces différentes composantes de la compétence de communication pour décrire les capacités langagières, les savoirs mobilisés pour les développer, et les situations et domaines dans lesquels on peut être amené à utiliser une langue étrangère pour communiquer. Le Cadre pose que la compétence à communiquer dans une langue étrangère n’est pas un ensemble indissociable, mais qu’elle est constituée d’éléments distincts, parmi lesquels trois composantes englobantes sont retenues : • Une composante linguistique : étendue et qualité des connaissances en langue (elle a trait aux savoirs et savoir-faire relatifs au lexique, à la phonétique, à la syntaxe et aux autres dimensions du système d’une langue). • Une composante sociolinguistique, qui renvoie aux paramètres socioculturels de l’utilisation de la langue (règles d’adresse et de politesse, régulation des rapports entre générations, sexes, statuts, groupes sociaux, codification par le langage de nombre de rituels fondamentaux dans le fonctionnement d’une communauté). • Une composante pragmatique, qui recouvre l’utilisation fonctionnelle des ressources de la langue (réalisation de fonctions langagières, d’actes de parole) en s’appuyant sur des scénarios ou des scripts d’échanges interactionnels. Elle renvoie également à la maitrise du discours, à sa cohésion et à sa cohérence, au repérage des types et genres textuels, des effets d’ironie, de parodie… (pour s’excuser, pour donner son opinion…). En fonction de ces trois composantes ou dimensions considérées dans la description d’une compétence langagière (la dimension linguistique renvoyant à la forme et au sens des différentes unités de la langue, la dimension culturelle renvoyant aux paramètres culturels de l’utilisation de la langue, et la dimension pragmatique renvoyant aux actes de parole et à leur mobilisation dans une situation de communication donnée), le Cadre fournit une série de points de référence (niveaux ou échelons) permettant d’élaborer les progrès de l’apprentissage. Le niveau de compétence d’un apprenant sera défini en fonction du plus ou moins grand nombre de tâches qu’il réalise de façon linguistiquement et pragmatiquement correcte. Pour ce faire, chaque compétence est détaillée dans toutes les possibilités d’utilisation de la langue : utilisation familiale, quotidienne ou professionnelle. Plusieurs échelles sont alors décrites en fonction des compétences : • Les compétences langagières, c’est-à-dire la communication orale et écrite, sont décrites en termes de réception, d’interaction, de production et de médiation. • Les compétences de performance langagières sont détaillées selon des critères d’étendue, de correction, d’aisance, d’interaction et de cohérence. Ainsi, comme le souligne Beacco4, « Le Cadre européen commun de référence pour les langues […] n’a pas pour objet de proposer une nouvelle méthodologie, mais de remettre sur le devant de la scène l’approche par compétences, stratégie d’enseignement qui est au cœur de l’approche communicative. » Prisque Barbier Dipralang 739, université de Montpellier III 1 Sandra Savignon, Communicative Competence : Theory and Classroom Practice, Addison-Wesley, Stern H.H., Fundamental Concepts of Language Teaching, Oxford University Press, 1983. 2 Sophie Moirand, Enseigner à communiquer en langue étrangère, Hachette, 1990. 3 Claude Springer, « Que signifie aujourd’hui devenir compétent en langues à l’école ? », Langues modernes n° 3, 1999. 4 Jean-Claude Beacco, L’approche par compétence dans l’enseignement des langues, Didier, 2007. Les Cahiers pédagogiques n° 482, juin 2010 63 F Faits & idées Mettre en commun ses cours, jusqu’à en faire un manuel Sylvie Menet Un groupe d’enseignants de mathématiques en collège coopèrent pour élaborer et tester des activités, regroupées au final dans un manuel complet. Où il est question de pratiques efficaces, porteuses de sens pour les élèves, et de coformation pour les enseignants. À la base du fonctionnement du groupe, des valeurs communes : tout élève est capable d’apprendre et de progresser et doit être acteur de sa formation ; son activité doit être privilégiée, la recherche de sens est primordiale. Les activités de mathématiques mises au point doivent convenir à tous, par exemple au travers de débats entre pairs, cherchent à être « des mathématiques pour grandir ». À l’origine, la collaboration entre une enseignante expérimentée en collège, Hélène Staïner, et un professeur en classes préparatoires, Jean-Philippe Rouquès. Celui-ci a décidé d’enseigner dans un collège difficile. Comment a-t-il pu négocier ce changement ? Leur rencontre fut déterminante. Elle accepte de l’aider en lui transmettant ses activités et en explicitant les éléments de mise en œuvre. Les échanges se font par courriel et oralement. Plus Jean-Philippe avance, plus il a besoin de détails et d’analyse experte, pour comprendre ce qui se passe en classe. Une écriture détaillée apparait un bon moyen non seulement de combler le manque d’outil utile à un débutant, mais aussi de diffuser une pratique efficace et porteuse de sens. Une dynamique de travail collectif Leur coopération s’est ensuite élargie à d’autres enseignants. Le groupe des testeurs profite des compétences individuelles de chacun, notamment dans l’utilisation du vidéoprojecteur et des logiciels de géométrie dynamique (nous avons notre spécialiste GeoGebra !). Chacun travaillant dans un environnement différent, ZEP ou collège de banlieue aisée, les échanges portent aussi sur l’adaptation de la pratique décrite en fonction du type d’élèves. Le travail ne se limite pas à « se passer des activités ». Les leçons, fournies par les auteurs au fur et à mesure de leur écriture, sont testées en classe par tous les membres de l’équipe, puis analysées collectivement. Internet favorise les réactions spontanées, les idées ou les corrections proposées pouvant être réinvesties directement par les collègues. En réunion, les échanges sont très riches. Les travaux d’élèves sont analysés. Ce sont des objets d’études, non seulement en classe avec les élèves qui débattent en plénière pour en constituer les traces sur les cahiers, mais aussi pour les testeurs qui s’en nourrissent et améliorent les activités. Des échantillons de ces supports précieux sont présents dans le livre. 64 Les Cahiers pédagogiques n° 482, juin 2010 Grâce à ce travail collectif, les auteurs améliorent les séquences : apports de précisions sur la mise en œuvre, reformulation d’un énoncé, rhabillage d’un problème, ajout d’une illustration GeoGebra (logiciel libre de géométrie dynamique). Plus de travail pour chacun, mais aussi plus d’énergie pour tous Nous expérimentons à notre manière les principes défendus dans le livre. Le travail collectif nous permet de continuer à apprendre individuellement notre métier. Un apport bénéfique, voire salutaire pour un métier le plus souvent solitaire, dans un contexte où on veut nous faire croire qu’il suffit de savoir pour transmettre. Malgré la charge de travail, chacun dégage quand même du temps pour ces échanges. C’est une respiration, de l’oxygène, du carburant pour continuer à avancer, de l’énergie pour surmonter les difficultés, une manière de rester optimistes dans ce difficile métier, de continuer à y croire… et j’ajouterai le plaisir du partage de valeurs communes, et d’échanges constructifs, en profondeur, dans un travail collectif. Les manuels sont disponibles ! Le livre concernant le niveau 4e, testé et finalisé l’année dernière, vient d’être édité par le CRDP des Pays de Loire. Il est intitulé « Des maths ensemble et pour chacun1 ». La première partie détaille les principes fondamentaux de la pratique. Suivent douze séquences du programme de 4e, avec les différentes phases d’apprentissage, les questions ouvertes qui permettent à chacun d’entrer dans l’activité, le travail en équipe, les plénières dans lesquelles les débats sont organisés à partir des travaux des élèves, les entrainements. Ce n’est pas fini. Le livre pour le niveau 5e paraitra fin 2010. Les échanges se sont élargis sur l’espace consacré aux livres sur le site du CRDP de Nantes, par l’intermédiaire d’un forum, avec des mises en ligne de documents. Sylvie Menet Professeure de mathématiques en collège à Nantes 1 Lire sur notre site la recension de cet ouvrage, dans la rubrique Des livres pour nous. Questions d’aujourd’hui, réponses d’hier ; questions d’hier, réponses pour aujourd’hui ; cette rubrique noue le dialogue entre les générations sans nostalgie ni déférence, avec notre passion de transmettre. La télévision et le monde scolaire 30 Il y a 30 ans dans les Cahiers Septembre 1967 : la France compte 50 millions d’habitants et 7,5 millions de téléviseurs. 80 % des enfants scolarisés la regardent régulièrement, sur l’une des deux chaines en noir et blanc (la couleur fait son apparition en octobre 1967 sur la seconde chaine, mais les récepteurs sont rares). La « massification » est en route, parallèle à celle que connait l’enseignement secondaire au même moment. Nombre d’enseignants s’inquiètent de ses effets néfastes, nombre d’intellectuels se déchainent contre cette machine à abrutir. Les Cahiers pédagogiques contribuent au débat et proposent mille-et-une façons de prendre en compte ce fait social. « La télévision, fait social », tel est le thème du dossier n° 69, qui s’ouvre par un article de deux enseignants convaincus de l’intérêt du « mass-média ». Oh bien sûr la « tévé » de 67 n’a pas grand-chose à voir avec la nôtre et nous pouvons sourire de la naïveté de ces pionniers. Mais il ne faut pas un gros effort d’imagination pour transposer leur propos à la révolution médiatique encore plus déstabilisante pour l’école que nous vivons aujourd’hui. Leurs arguments prennent alors une actualité revigorante. La télévision, fait social « La tévé, c’est de l’actualité qui se congèle en histoire », dit Cidrolin dans Les fleurs bleues de Raymond Queneau. La télévision se pose éventuellement en concurrente de l’information scolaire habituelle : il arrive, en effet, qu’elle aborde des sujets qui recoupent les programmes de l’enseignement ; elle est alors un rival redoutable dans la mesure où, pour traiter tel sujet particulier, elle peut faire appel, sans difficulté et immédiatement, aux spécialistes les plus éminents de la question. L’enseignement qu’elle donne, sans volonté pédagogique délibérée, est à la fine pointe de l’actualité, elle nous livre vraiment l’état actuel des connaissances en un domaine précis ; l’enseignant, aussi brillant et consciencieux soit-il, ne peut s’offrir, par lui-même, ce luxe. Par la force des choses, son information est toujours en retard. Il y a, pourrait-on dire, une désacralisation de l’école et de l’enseignant : on apprend autant hors du temple que dans le temple. Il s’ensuit, bien sûr, une modification de la situation pédagogique : du point de vue des élèves, l’école et le maitre ne sont plus les uniques tenants des connaissances : la frontière s’amincit entre ceux qui savent et ceux qui ne savent pas. Nous voguons, de plus en plus, tous sur la même galère. Il y a, pourrait-on dire, une désacralisation de l’école et de l’enseignant : on apprend autant hors du temple que dans le temple. Le danger, peut-être, est que l’on risque d’apprendre autrement : reste à porter, ici, un jugement de valeur pédagogique et cela sortirait du cadre du présent article. Du point de vue du maitre, l’arrivée de la télévision est ressentie souvent comme une intrusion, dans la mesure où elle dépossède l’enseignant à ses propres yeux d’une de ses fonctions essentielles d’intercesseur culturel. Un rival a surgi, contre lequel nous ne sommes pas aptes à lutter à armes égales. Pourtant, le problème n’a même pas encore atteint sa véritable acuité : il se révèlera profondément, comme dit Margaret Mead, lorsque deux générations très différentes entreront en contact pédagogique et que nous serons en présence d’enfants qui n’auront jamais connu un monde sans télévision. C’est pourquoi il est urgent de bien prendre conscience des questions qui se posent. Le développement de la télévision est inéluctable : refuser de l’admettre serait choisir la politique de l’autruche. Il est ins- crit dans le contexte même de notre civilisation industrielle, technique, préoccupée du loisir et de l’image. Cette expansion ne dépend plus de nous, elle est la force des choses : si nous la refusons, elle se fera malgré nous, donc contre nous. Critiquer un système de l’extérieur, c’est se donner bonne conscience et mettre faussement en question, au nom d’hypothétiques valeurs universelles, l’esprit du temps. Il faut pénétrer dans le système pour le maitriser et le comprendre. C’est en acceptant la télévision comme un fait que nous pourrons poser, à son propos, les véritables problèmes. On s’apercevra alors qu’il serait stupide de renoncer à tant de possibilités offertes : pour éviter que la télévision ne soit ressentie et vécue par l’élève comme le concurrent du maitre, il faut qu’elle soit au service du maitre, dans l’école et hors de l’école. En somme, il faut, disons-le, que la télévision entre à l’école sur notre propre initiative. C’est à ce moment que doivent commencer les études prudentes et méthodiques sur un tel sujet. Quelles sont les procédures d’exploitation possible de l’information télévisuelle, comment peut-on intégrer ses bénéfices à l’intérieur même de l’exercice pédagogique, quels sont les dangers prévisibles de l’usage pédagogique de la télévision ? La télévision fait alors apparaitre un rôle nouveau du pédagogue : celui d’organiser les connaissances recueillies de façon disparate par l’élève, celui d’être le médiateur entre l’individu et l’information technique. Il récupère ainsi sa fonction d’intercesseur, mais elle ne s’exerce plus au même niveau : la matière enseignée est désormais relativement indépendante de l’enseignant, mais il reste à lui donner forme. Ce n’est pas là déchéance du pédagogue, mais au contraire, promotion : dégagés des nécessités vitales de l’intendance, nous aurons le loisir de nous consacrer aux tâches, plus attirantes d’éclairer les esprits. Il s’ensuit, évidemment, une transformation du rapport maitre-élève, transformation bénéfique et libératrice pour tous ; dans la mesure où le maitre n’est plus le seul dépositaire du savoir, sphinx veillant terriblement sur ses palais endormis, sa fonction change de sens, et sa présence, aux yeux de l’élève, prend une autre couleur. Inversement, et pour la même raison, l’élève ne joue plus, pour le maitre, son rôle ancien. Loin de perturber la classe, comme on le dit trop souvent, la télévision permet au contraire de resserrer des liens entre maitre et élèves par la participation commune à un message unique. Le travail du maitre n’en est pas diminué, mais acquiert une importance nouvelle : en effet, c’est à lui d’exploiter l’émission que tous viennent de voir, c’est à lui d’apprendre aux élèves à méditer les informations qui viennent de leur être apportées. La télévision n’est pas une panacée et n’a jamais cru l’être, elle Les Cahiers pédagogiques n° 482, juin 2010 65 30 Il y a 30 ans dans les Cahiers n’est pas une machine à transmettre tel quel le savoir ; mais, à la façon même dont sera organisée la réception des émissions, l’élève aura l’impression (justifiée) de participer véritablement à l’exploitation du document pédagogique. Le fait est là : les centres d’intérêt qui requièrent les jeunes — comme on dit à Salut les copains — désertent de plus en plus le monde scolaire, qui risque à plus ou moins longue échéance de faire figure de monde parallèle peuplé de la rumeur du passé, de vaste reliquaire où se maintiendraient, en atmosphère artificielle, des espèces rares en voie de disparition : sentiments, notions morales, concepts, tout le magasin pittoresque de l’humanisme universitaire. Il est impossible, et impensable, que l’école ne réagisse pas devant l’expansion illimitée de formes de savoir incontrôlées (c’est-à-dire non contrôlées par elle), ou plus exactement de formes non élaborées de ce composé nouveau d’information et de connaissance si caractéristique de la télévision. En effet, celle-ci livre à domicile un matériau brut, dont l’extrême variété renvoie moins à un éclectisme qu’à une nouvelle vision du monde qui pourrait se définir par le nivèlement et l’aplatissement. Tout est mis sur le même plan, et la juxta- Ce n’est pas là déchéance du pédagogue, mais au contraire, promotion : dégagés des nécessités vitales de l’intendance, nous aurons le loisir de nous consacrer aux tâches, plus attirantes, d’éclairer les esprits. position de commentaires non concertés contribue à rendre plus difficile encore une vision hiérarchisée. Les coulisses de l’exploit et celles de l’histoire figurent au sommaire des mêmes magazines, et il devient naturel de passer de considérations diététiques à propos de J.-C. Killy à des réflexions sur la révolution yéménite. À l’échelle d’une soirée, ce télescopage devient véritablement anesthésiant : entre 20 heures 20 et 23 heures, un spectateur moyennement motivé recevra une masse d’informations répartie entre Madagascar, la CIA, Claude Lelouch, la marée noire, l’école de commerce du secteur tertiaire, Michèle Arnaud, et la fatigue des jambes. La disparité des sujets est multipliée par celle des styles. À l’impressionnisme des reportages (qui tend à devenir le style passepartout de la télévision) succède le didactisme, puis le direct des variétés, etc. Si, après comparaison des bénéfices et des inconvénients, nous acceptons de faire entrer, comme il se doit, la télévision dans la classe, nous modifierons, pour peu que nous le voulions, le 66 Les Cahiers pédagogiques n° 482, juin 2010 public de la télévision en général. Ceci peut nous fournir un argument décisif : si, à l’école, la télévision est présente et utilisée, l’enfant sera vite familiarisé avec elle et en garde contre ses pièges éventuels ; il sera d’autant plus exigeant à son égard qu’il la connaitra mieux, il saura éviter de se laisser prendre aux trompeuses séductions de la facilité télévisuelle. Donc, d’une part la télévision fait accéder le public scolaire à la véritable existence, en tant que consommateur dont il faut tenir compte, d’autre part et réciproquement ce public scolaire va bouleverser le sens même de la télévision. À la fois moyen et matière d’une éducation civique réelle, la télévision nous offre la chance unique de former pleinement le citoyen de demain, en lui montrant quelle conduite tenir vis-à-vis de l’instrument typique de notre civilisation de consommation massive, instrument neutre en lui-même, comme toutes les machines, et dont la valeur sera ce que la fera notre façon de l’utiliser. En contribuant à la formation d’un téléspectateur expérimenté, l’école serait directement l’éducatrice du public ; ce public éclairé pourra à son tour mettre en œuvre ses compétences acquises en faisant pression sur les organismes responsables. Un pouvoir de décision, de choix, de clairvoyance, est donc à créer chez le téléspectateur. C’est aussi notre travail. La question est celle de la conception de notre métier, et de notre place dans la société. Si l’enseignement consiste à faire partager un certain savoir-faire, et éventuellement à distribuer aux plus méritants des invitations pour cette exposition permanente de la culture éternelle dont nous sommes les guides et les conservateurs brevetés, alors, il est vrai, nous n’avons pas besoin de la télévision, ou plutôt nous pouvons continuer de faire comme si elle n’existait pas. Mais si notre métier consiste aussi à aider les adolescents à s’éveiller à la vie civique et sociale et à prendre la mesure de leur place dans le monde et des devoirs qui les y attendent, alors, nous avons besoin de la télévision. Et peut-être la télévision a-t-elle besoin de nous. Louis Porcher Professeur de philosophie Sylvain Roumette Professeur de lettres Stagiaires en 1966-1967 au centre audiovisuel de Saint-Cloud. R Regards de pédagogues Cette rubrique propose des aperçus du patrimoine des écrits pédagogiques à travers l’histoire et à travers le monde. Nous voudrions mieux faire connaître des textes et des auteurs souvent méconnus, et pourtant bien utiles pour considérer d’un regard différent nos problèmes pédagogiques de ce début de xxie siècle. Ivan Illich (1929-2002) Peut-on faire confiance à l’école pour favoriser la promotion sociale ? Autrichien, prêtre de 1950 à 1969, il exerce d’abord aux États-Unis, puis en Amérique du Sud où il fonde le Cidoc (Centre interculturel de documentation) dans le but de former les missionnaires adhérant à la théologie de la libération. Il en fait un laboratoire de l’éducation « déscolarisée », avant de rompre avec l’Église. Il est l’auteur de nombreux ouvrages dénonçant la « surcroissance économique ». Pour Illich, l’école fait partie intégrante de l’outil capitaliste et il faut « déscolariser » la société. Par Maëliss Rousseau, professeure des écoles et doctorante en sciences de l’éducation M érite scolaire et démocratie La promotion sociale au mérite, qui fait régulièrement l’actualité du débat politique, bénéficie d’un relatif consensus chez les politiques, comme l’a montré le débat sur le quota d’élèves boursiers dans les grandes écoles : la conférence des grandes écoles qui refuse ce quota a fait l’unanimité contre elle. Une partie de la gauche regrette toutefois que les mesures qui visent à établir l’égalité des chances ne concernent que le recrutement de l’élite. Les mesures de discrimination positive visant à améliorer le niveau général des élèves sont bien plus anecdotiques : le busing, par exemple, pour des élèves de quartiers défavorisés que l’on emmène en bus dans une école au recrutement social plus hétérogène. L’ensemble du dispositif concerne aujourd’hui quelques dizaines d’élèves seulement. Dans le même temps, les zones d’éducation prioritaires ont vu leurs dotations revues à la baisse. Malgré quelques ajustements au gré des alternances entre gouvernements de droite et de gauche, les projets politiques font confiance à l’égalité des chances pour assurer la promotion sociale des individus en se fondant sur leur mérite individuel et non sur leur origine sociale. Les mesures qui visent à réduire l’échec scolaire demeurent des dispositifs de compensation timides, en marge du système. Restent les acteurs, mouvements pédagogiques, syndicats d’enseignants, d’élèves et d’étudiants pour dénoncer l’hypocrisie d’un slogan, « égalité des chances », érigé en horizon indépassable de l’école démocratique, choisissant la méritocratie contre la réussite de tous1. Promotion sociale : l’école en échec Ivan Illich éclaire le problème d’un point de vue singulier qui est marginal dans l’histoire du débat sur l’école, et pour cause : il remet en question les fondements mêmes de l’institution scolaire. Sans être contre l’éducation, Illich prône la « déscolarisation2 » de la société. Pour Ivan Illich, c’est le principe même de l’institution scolaire que de trier les élèves et de les labelliser sans rapport avec leur mérite et leurs capacités. « Comme les éducateurs ne conçoivent pas l’enseignement sans le certificat de garantie, il s’ensuit que le système scolaire ne conduit pas à l’éducation et ne sert pas la justice sociale ; au cours de la scolarité, on confond l’instruction et le rôle que l’on jouera dans la société. Pourtant, apprendre ne signifie-t-il pas acquérir quelque compétence ou quelque savoir nouveau, tandis que la promotion sociale se fonde sur des opinions que d’autres se font de vous ? Ainsi, s’instruire dépend souvent de quelque instruction reçue, mais la sélection pour un rôle social, pour un emploi sur le marché du travail, dépend de plus en plus de la seule durée des “études”. […] Nous pourrions constater que le rang dans la société fut de tout temps assigné par une sorte de “programme” dont la société reconnaissait les mérites. […] Le programme se présentait parfois sous la forme d’un rite, d’une suite de cérémonies initiatiques, ou exigeait quelque haut fait, quelque faveur du prince. Par le système de la scolarité universelle, on espérait rompre avec les traditions, ne plus faire dépendre la place future dans la société que des mérites de chacun placé au départ avec des chances égales. Beaucoup continuent à croire, à tort, que l’école mérite la confiance publique, qu’elle remplit ce rôle, alors même qu’elle n’est plus que la détentrice d’un monopole et que, loin d’égaliser les chances, elle en assure la répartition. » Une société sans école, 1971. Ainsi, l’école en tant qu’institution légitime les différences sociales en faisant croire qu’il s’agit de différences scolaires. Elle distribuent les rôles dans la société en faisant croire qu’ils ne dépendent plus de la naissance. Beaucoup continuent à croire, à tort, que l’école mérite la confiance publique, qu’elle remplit ce rôle, alors même qu’elle n’est plus que la détentrice d’un monopole et que, loin d’égaliser les chances, elle en assure la répartition. L’école elle-même serait une « fiction nécessaire », selon l’expression de François Dubet. Le résultat est la création de nouveaux déshérités que l’on rend responsables de leur malheur : « Chaque besoin auquel on trouve une réponse institutionnelle permet l’invention d’une nouvelle catégorie de déshérités et introduit une définition nouvelle de la pauvreté 3. » L’aide ensuite apportée aux déshérités sous forme de compensations ne fait que renforcer leur dépendance face à l’institution. Ainsi, à la défaillance Les Cahiers pédagogiques n° 482, juin 2010 67 R Regards de pédagogues d’autres individus qui ont le même désir d’apprentissage que lui. Illich prônait le recours à des réseaux qui permettraient aux individus de se rencontrer avec le savoir pour projet et non la compétition scolaire pour les meilleures places. DR de l’école, incapable de permettre à chacun d’acquérir les savoirs, on répond toujours par plus d’école. C’est en cela qu’Illich compare l’école au système capitaliste et l’accuse d’en être le cheval de Troie. Certaines critiques d ’Illich sont partagées par les sociologues de l’école. Plusieurs ouvrages parus cette année et recensés dans les Cahiers invitent à réfléchir sur notre conception du mérite et à s’interroger sur la capacité de notre système à fonctionner en respectant le principe de justice 4. L’étude comparative des résultats des enquêtes Pisa par Christian Baudelot et Roger Establet montre que l’école française fait preuve pour le moins de complaisance à l’égard des différences sociales, contribue à les reproduire. Marie Duru-Bellat met en avant d’autres études françaises récentes à l’appui de ce constat qui est bien connu des sociologues depuis Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron5. Elle invite à remettre en question l’objectif d’élévation générale du niveau. La concurrence toujours plus élevée qu’il occasionne pousse chacun à investir dans des études de plus en plus longues sans changer véritablement le résultat à l’arrivée : les étudiants pouvant compter sur un réseau développé par la famille sont toujours ceux qui s’insèrent le mieux sur le marché du travail. Plus d’école ne produirait pas plus de réussite, mais produirait… plus d’école ! Déscolariser la société ? Comme le montre l’extrait d’Une société sans école, Illich va au-delà d’une critique du rôle social de l’école, c’est son rôle éducatif lui-même qu’il remet en question. C’est que, dit-il, l’école est 68 une église qui endoctrine les masses, les enseignants en sont les pasteurs. Elle est elle-même sa propre religion : plus on la fréquente et plus on est persuadé du bien-fondé de ses classements, prévient Illich. L’école prêche sa propre vision de la vérité et de la justice et cela fonctionne si bien que même ceux qu’elle exclut ont confiance dans son jugement. Or, poursuit Illich, ce qui compte à l’école, c’est la réussite au diplôme et non l’acquisition de connaissances ou de compétences. Avoir obtenu un « certificat de garantie » de la part de l’école n’est pas une preuve de compétences. À l’appui de sa thèse, Illich cite l’exemple de l’apprentissage des langues : pour enseigner une langue, être un natif serait une garantie plus efficace qu’un diplôme universitaire en langue vivante. Les enseignants sont coupés de la vie productive, ils sont donc coupés du sens du savoir. Comment pourraientils le transmettre ? On apprendrait bien plus efficacement hors de programmes scolaires qui didactisent et hiérarchisent inutilement les savoirs, leur faisant perdre toute leur saveur. Les réformes et les innovations pédagogiques ne pourront pas venir à bout de ce clivage entre l’école et la « vraie » vie, celle qui donne du sens aux connaissances. Pour Illich, seule une école qui ne serait pas scolaire peut sauver l’école. Une école où l’initiative de l’apprentissage appartient à celui qui s’instruit, car lui seul, pense Illich, peut savoir ce qu’il a besoin d’apprendre. Il peut alors l’apprendre dans la rencontre directe avec un objet culturel ou par la médiation d’un tiers qui sera un guide d’autant plus efficace qu’il ne sera pas un enseignant. Il peut surtout apprendre en rencontrant Les Cahiers pédagogiques n° 482, juin 2010 On le voit, Illich va loin dans la charge contre l’institution et l’alternative qu’il propose nécessiterait une nouvelle révolution copernicienne de l’éducation : après « l’élève au centre du système scolaire », ce serait « celui qui désire apprendre au cœur de l’éducation ». S’autoriserait-on, trente ans après mai 68, à rêver si loin ? On peut avoir l’impression que le temps où l’on discutait des fondements de l’institution est bien passé. Il n’est pas certain, d’ailleurs, que les moyens proposés par Illich sont cohérents avec les fins qu’il se fixe : donner l’initiative de l’apprentissage à l’élève risque de renforcer considérablement le clivage entre ceux qui disposent d’un « capital culturel » élevé et les autres. Pourtant, plusieurs remarques d’Illich trouvent un écho dans le débat sur l’égalité : n’y a-t-il pas d’autres lieux que l’école pour acquérir des savoirs (les associations, les entreprises, les voyages, par exemple) et ne devraiton pas replacer le diplôme à sa juste valeur ? Ne pourrait-on déscolariser les savoirs en rappelant qu’ils peuvent être discutables, sont discutés, en leur rendant leur histoire et leur fonction ? Et nous, les enseignants ? Ne devraiton pas nous déscolariser au moins quelques années de notre vie afin de diminuer cette fracture entre l’école et la société ? Si nous pouvions exercer d’autres fonctions, sans doute cela nous aiderait-il à guider leurs élèves dans leur intégration sociale et nous permettrait de relativiser certaines normes de l’institution… Maëliss Rousseau 1 Cahiers pédagogiques n° 467, Égalité des chances ou école démocratique ? 2 Le titre original d’Une société sans école est « Deschooling Society ». 3 I. Illich, Ibid. 4 Marie Duru-Bellat, Le mérite contre la justice, PUF, 2009. C. Baudelot, R. Establet, Élitisme républicain. L’école française à l’épreuve des comparaisons internationales, Seuil, La République des Idées, 2009. F. Dubet, Les places et les chances, repenser la justice sociale, Seuil, La République des idées, 2010. 5 Bourdieu, Passeron, Les héritiers, les étudiants et la culture, Éditions de Minuit, 1964. Le Livre du mois Pour enseigner l’histoire des arts, regards interdisciplinaires Bénédicte Duvin-Parmentier Coll. Repères pour agir second degré, série « Dispositifs », CRDP d’Amiens et Crap-Cahiers pédagogiques C omme toute injonction nouvelle, l’introduction de l’histoire des arts dans les programmes officiels a fait dire à plus d’un qu’on chargeait la barque en donnant à l’école une nouvelle mission impossible, une énième « éducation à » que tout le monde, c’està-dire personne, serait chargé de mener à bien. Mais ce livre a tout pour ôter aux grincheux leur ironie : difficile, après l’avoir lu, de prétendre qu’on ne peut pas, qu’il faut attendre, qu’on n’a pas les bons collègues, les structures adéquates, la formation nécessaire ou les moyens suffisants. Ce qui est dit ici donne envie. Mobilisation générale Quelles disciplines ? Quelles ressources ? Quels arts ? Et quels élèves ? La réponse est sans appel : toutes, tous. Rectifions : tout est envisageable, tout n’est pas possible sans doute et les contraintes ne manquent pas. Avant de parler de généralisation à tous les niveaux, il faudra un temps d’exploration, d’aventure, qui ne date pas d’aujourd’hui, certes, mais dont les acquis doivent être mieux analysés, mieux diffusés. C’est ce à quoi s’emploie ce livre. On lit évidemment avec un intérêt redoublé, puisqu’il s’agit d’un enseignement pour tous, les chapitres qui témoignent de rencontres entre des élèves « en difficulté » et ce qu’on appelle des chefsd’œuvre. Les enseignants qui racontent leur pratique ne sont jamais triomphalistes, témoignent de vraies découvertes, fondées sur la sensibilité, mais aussi la réflexion, sur les représentations des élèves et sur les savoirs qui permettent de les dépasser, loin du spontanéisme ou de la rencontre magique. Prise de risques Si l’une des contributions s’intitule explicitement « une rencontre à risques », la plupart des chapitres mentionnent, chacun à sa manière, les écueils d’une entreprise d’enseignement d’histoire des arts. Il ne s’agit donc pas que l’enthousiasme, dont ce livre regorge, dispense d’une réflexion sur les choix pédagogiques que l’on fait, leurs dérives possibles, le sens du parcours que l’on propose aux élèves. Car il s’agit bien de cela, d’une évolution du regard qui ne se décrète pas, mais se fera (ou non) grâce aux situations proposées. La difficulté de l’entreprise pourrait alors encourager certains à la déléguer à des spécialistes, et il est vrai que les partenariats avec des associations, structures ou artistes sont souvent très riches – un chapitre du livre leur est consacré. Mais ce sont les enseignants qui doivent rester les pilotes et garder le cap, sans laisser, par exemple, l’objectif de réalisation d’une œuvre dévorer le temps de la réflexion ou prendre le pas sur l’acquisition d’une certaine autonomie par les élèves. Risque aussi, bien sûr, dans ces rencontres artistiques dont les contenus peuvent parfois heurter la sensibilité, les croyances, religieuses ou non, des élèves. Et on sait gré à certains chapitres du livre de présenter des expériences de « médiation » vers et par l’objet d’art, par l’écriture, l’oral, les recherches avec les Tice, la réalisation personnelle et collective… tout ce qui peut permettre de fructueux allers-retours entre le personnel et l’universel. Un remède contre la timidité Le livre donne de nombreux exemples, de nombreuses pistes, mais au-delà invite évidemment chacun à chercher de son côté comment et avec qui se lancer, sans naïveté, avec beaucoup d’idées et avec la conscience plus claire des écueils à éviter. Pour cela, le lecteur se voit proposer régulièrement des « repères », condensés historiques ou listes de ressources ou modes d’emploi. Encadrés, tableaux ou fiches aident régulièrement à voir comment passer à la pratique, dans la réalité des établissements et des classes. L’interpellation finale, c’est la règle du jeu, met en lumière les difficultés de l’entreprise telles que tout enseignant se les formule : il serait imprudent de les juger négligeables. Mais c’est le livre tout entier qui plaide pour qu’on se lance dans l’aventure avec une pensée et un regard aiguisés. Deux postfaces, en clôture (un artiste, Didier Lockwood, une historienne de l’art, Nadeije Laneyrie-Dagen), plaident, chacune à leur manière, pour qu’on ne verse pas dans le formalisme, et qu’on garde bien des espaces d’initiation à l’art par l’art, par des espaces et des temps de pratiques artistiques que rien ne remplacera. Florence Castincaud Questions à Bénédicte Duvin-Parmentier — Dans ce livre, il est bien question d’enseigner l’histoire « des arts » et non « de l’art ». En quoi ce pluriel est-il important ? — Enseigner l’histoire de l’art, ce serait ne considérer que les beauxarts, la peinture, la sculpture et oublier toutes les autres formes artistiques. L’histoire des arts, en revanche, permet d’apporter une culture générale et une vision plus large plutôt que de faire de nos élèves des spécialistes. Entre autres, il importe de montrer que les différentes sources artistiques s’enrichissent mutuellement quand on les fait dialoguer entre elles. C’est là, me semble-t-il, ce qui fait sa force et son intérêt. On pourrait citer des exemples à l’infini, en voici deux : la mise en relation entre la musique baroque et les pas de danse de la même époque qui nous permettent de mieux saisir l’une et l’autre et l’une par l’autre ; la comparaison d’un tableau et d’un film expressionnistes qui nous aide à construire une réelle dialectique. Ce Les Cahiers pédagogiques n° 482, juin 2010 69 Le Livre du mois qui compte, c’est de faire de nos élèves des individus capables d’établir des ponts entre les arts, d’avoir ainsi une approche continue plutôt que fragmentée et sans cohérence. — Vous montrez tous les aspects novateurs possibles de cet enseignement, mais des enseignants de disciplines artistiques craignent que ce nouvel enseignement ne remplacent le leur, que la pratique par les élèves soit abandonnée. — En effet, l’histoire des arts a d’abord suscité de grosses inquiétudes, mais il semble que la situation commence à changer. Beaucoup de professeurs des matières artistiques en ont compris l’enjeu : l’histoire des arts peut apporter une nouvelle dimension à leur enseignement et leur donner un rôle fondamental à jouer en en devenant de véritables acteurs (ne serait-ce que par leur implication dans la nouvelle épreuve du brevet des collèges). Dans de nombreux établissements, ils sont devenus le lien indispensable autour duquel gravitent des projets. Enfin, le débat autour de l’arrivée de la théorie qui ne serait qu’un frein à la pratique s’est assez vite essoufflé, chacun comprenant qu’elles ne sont pas antinomiques, mais complémentaires. — En rassemblant les contributions pour ce livre, qu’est-ce qui vous a semblé marquant, et qu’est-ce qui peut rendre optimiste pour l’avenir de cet enseignement ? — Ce qui ressort des contributions, c’est que beaucoup de professeurs font déjà de l’histoire des arts depuis de nombreuses années et que cette dernière permet vraiment d’affiner leur regard sur leur discipline. Tous sont animés par l’envie de faire partager une passion, tous ont la certitude qu’il y a nécessité à travailler ensemble en interdisciplinarité avec des collègues qui enseignent des matières à priori peu compatibles. Chacun avec ses compétences et sans se poser en spécialiste parvient à donner une nouvelle dimension à sa discipline et à faire évoluer ses pratiques. Ce qui nous permet d’espérer, c’est de voir comment tous ces projets présentés, du plus ambitieux au plus modeste, pariant sur l’implication de chacun, professeurs et élèves, ont abouti. — Comment franchir les obstacles qui empêcheraient cette innovation de périr dans le cimetière désespérant des occasions perdues ? — Le pire des scénarios serait qu’il n’y ait pas d’histoire des arts et que chacun, se retranchant derrière le poids des programmes, l’absence de moyens financiers ou l’inertie de certains établissements, se lasse ou n’essaye même pas. Cependant, je ne crois pas qu’il en sera ainsi. Dans les stages sur l’enseignement de l’histoire des arts que j’anime, je constate un très net chan- gement depuis quelque temps : je rencontre des collègues de plus en plus soucieux de se former, tentant des expériences ou prenant des contacts avec les musées ou la Daac par exemple. L’épreuve au brevet des collèges et les enseignements d’exploration dès la rentrée prochaine au lycée devraient renforcer cette tendance. Peut-être prend-on aussi conscience que quand il n’y a plus grand-chose, il y encore et toujours l’art. Bénédicte Duvin-Parmentier Professeure de lettres au lycée polyvalent de Mirepoix (Ariège). Formatrice pour le second degré à l’IUFM Midi-Pyrénées, elle anime des stages concernant la relation aux arts. Des comptes-rendus d’ouvrages à lire sur notre site http://www.cahiers-pedagogiques.com/spip.php?rubrique1 La Geste Formation – Gestes professionnels et Analyse des pratiques Réussir à apprendre Sous la direction de Gaëtane Chapelle et Marcel Crahay. Christian Alin. PUF, coll. Apprendre, 2009. 240 pages L’Harmattan, Savoir et Formation, 2010. 240 pages Un ouvrage contenant des contributions souvent stimulantes ou riches d’informations, autour des questions d’apprentissage, mais dans un ensemble quelque peu disparate. Dans ce livre, Christian Alin nous montre que les analyses de pratiques sont l’instrument par excellence d’une formation aux gestes professionnels de l’enseignant et de toute personne soucieuse d’éducation. Les nombreux récits, vifs, enjoués et significatifs, viennent renforcer les effets d’un ouvrage qui oppose à la froideur des techniques managériales l’efficacité d’une approche esthétique, éthique et poétique, d’une geste formation vécue sur le ton d’un héroïsme quotidien. La fabrique des savoirs scolaires Isabelle Harlé. Petit dictionnaire énervé des profs et de l’école Olivier Rollot. Éditions de l’opportun, 2010. 223 pages Le ton du pamphlet et de la dénonciation est-il vraiment le mode le plus adéquat pour parler de l’école ? Cependant, contrairement à ce que le titre pourrait laisser penser, le contenu est progressiste et certains développements de ce « dictionnaire » plutôt justes. Flaubert est un blaireau La Dispute, 2010. 160 pages Alain Chopin. Éditions-dialogues.fr, 2010. 201 pages Un ouvrage qui aborde la question de la « fabrication » des savoirs scolaires en utilisant à la fois l’histoire, la sociologie et la didactique et qui part de trois exemples : les mathématiques, les SES et la technologie. Les chroniques d’un enseignant de LP, maintenant retraité. À mille lieues de la déploration et du mépris des jeunes. Des portraits savoureux et quelques aperçus du travail imaginatif d’un « passeur culturel ». 70 Les Cahiers pédagogiques n° 482, juin 2010 pédagogiques 10, rue Chevreul, 75011 Paris. Tél. : 01 43 48 22 30 Fax : 01 43 48 53 21 E-mail : [email protected] changer la société pour changer l’école, changer l’école pour changer la société Site Internet : http://www.cahiers-pedagogiques.com Les Cahiers pédagogiques se veulent lieu de réflexion collective - sans simplismes, parce que les raccourcis sur le niveau qui monte ou qui baisse, ou sur l’école d’antan n’ont jamais fait avancer d’un iota les pratiques enseignantes ; - sans tabous, parce qu’on doit pouvoir discuter sans réserves de tout ce qui pose problème dans le champ professionnel, des réformes en cours, du fonctionnement de l’école dans toutes ses dimensions ; - sans dogmatisme, car c’est le croisement des réflexions et des pratiques de chacun, chercheurs, formateurs, enseignants du secondaire et du primaire, éducateurs, qui peut être utile à chacun ; Directeur de publication : Laurent Nembrini - sans déférence, car c’est le partage des expériences des uns et des autres, quelle que soit son ancienneté, dans le respect des points de vue, qui ouvre à d’autres possibles, qui fait progresser. Ces principes qui animent l’équipe des Cahiers pédagogiques sont également ceux du Cercle de recherche et d’action pédagogiques (Crap), l’association qui les publie. Adhérer au Crap-Cahiers pédagogiques, c’est donc soutenir la revue, c’est aussi participer, par des rencontres, des échanges par une liste de diffusion électronique, à la vie d’une association d’enseignants soucieux de faire évoluer leurs pratiques, de réfléchir sur les problèmes de l’école pour mieux la faire progresser. Rejoignez-nous ! Comité de rédaction : Michèle Amiel • Patrice Bride • Élisabeth Bussienne • Florence Castincaud • Marie-Christine Chycki Françoise Colsaët • Jacques Crinon • Richard Étienne Hélène Eveleigh • Vincent Guédé • Sylvie Grau • Régis Guyon Anne Hiribarren • Françoise Lorcerie • François Malliet Pierre Madiot • Yannick Mevel • Laurent Nembrini Raoul Pantanella • Nicole Priou • Michel Tozzi • Christine Vallin Jean-Michel Zakhartchouk Rédacteur en chef chargé de la revue : Patrice Bride Rédacteur en chef chargé du site : François Malliet Responsables de rubriques : - Communiqués et Actualités éducatives : Nicole Priou - Des livres pour nous : Jean-Michel Zakhartchouk Bureau du Crap : Président : Philippe Watrelot Trésorier : Jean-Michel Faivre. Autres membres : Jean-Michel Zakhartchouk, Régis Guyon, Philippe Pradel, Florence Castincaud - Et chez toi ça va ? : Hélène Eveleigh - Faits & idées : Élisabeth Bussienne - Il ya 30 ans dans les Cahiers : Yannick Mével Correspondants académiques du Crap : Aix-Marseille : Alain Zamaron • Amiens : Rémi Duvert • Besançon : Xavier Pichetti • Bordeaux : Marie-France Ravier • Clermont-Ferrand : Réjane Lenoir • Grenoble : Évelyne Chevigny • Lille : Véronique Vanhaesebrouck • Lyon : Roxane Caty-Leslé • Montpellier : Brigitte Cala • Nancy : Gilles Gosserez • Nantes : Florence Daniaud • Nice : Hervé Dupont • Paris : Nicole Priou • Poitiers : Nathalie Bineau • Reims : Régis Guyon • Rennes : Chantal Picarda • Strasbourg : Robert Guichenuy • Versailles Nord : Annie Di Martino • Versailles Sud : Florence Grouasil • Belgique : Xavier Dejemeppe pour envoyer un courrier électronique, écrire à : [email protected] Parmi les numéros disponibles (prix TTC hors frais de port) Voir bulletin de commande au verso 438 440 441 443 444 445 449 450 452 453 456 459 469 470 471 473 474 475 476 477 478 479 480 481 L’évaluation des élèves ................................................................................ 7,20 Orthographe . ...................................................................................................... 7,20 L’EPS, embarras et inventions ................................................................. 7,20 La culture scientifique ................................................................................. 5,00 Décrocheurs. comment raccrocher ? . .................................................. 7,20 Où en sont les ZEP ? ..................................................................................... 7,20 Qu’est-ce qui fait changer l’école ?....................................................... 5,00 Images ................................................................................................................... 5,00 L’esprit d’équipe – L’école en Suisse ................................................... 5,00 Étudier la langue ............................................................................................. 5,00 L’école maternelle aujourd’hui ................................................................ 7,50 L’école à l’épreuve du handicap. ............................................................. 7,50 Faire des sciences physiques et chimiques ..................................... 7,50 Les élèves et la documentation .............................................................. 7,50 Apprendre l’histoire ....................................................................................... 7,50 Enfants d’ailleurs, élèves en France .................................................... 7,50 Aider à mémoriser .......................................................................................... 7,50 L’entrée en 6e .................................................................................................... 7,70 Travailler par compétences ........................................................................ 7,70 Questions sensibles et sujets tabous ................................................... 7,70 L’éducation au développement durable : comment faire ? ....... 7,70 Les apprentissages fondamentaux à l’école primaire ................. 7,70 Travailler avec les élèves en difficulté ................................................ 7,70 La classe, pour apprendre et vivre ensemble .................................. 7,70 Depuis le n° 360, les numéros épuisés sont disponibles au format pdf en téléchargement sur notre site (5,00 euros). Dossiers hors-série numériques téléchargeables sur www.cahiers-pedagogiques.com • Quelles alternatives au redoublement ? - 5,00 € • Enseigner les langues vivantes avec le cadre européen - 5,00 € • Quelle formation pour les enseignants ? - 5,00 € • Face aux classes difficiles - 5,00 € • Le socle commun, comment faire ? - 5,00 € • Quelques outils et réflexions pour (bien) débuter - 5,00 € • Des heures de vie de classe, pour quoi faire ? - 5,00 € • Les PPRE, nouveau visage de l’aide individualisée - 5,00 € Pour accéder au catalogue complet, consulter notre secrétariat ou notre site Internet http://www.cahiers-pedagogiques.com PAO : Marc Pantanella • Photogravure‑et impression : Groupe Horizon (Gémenos). N° d’inscription à la CPPAP : 0707G81944 • ISSN 008-042 X • Tirage : 5 700 exemplaires. Abonnement aux Cahiers pédagogiques Nous proposons également des formules d’abonnement au format numérique (revue en PDF disponible en téléchargement), ou encore au double format numérique/papier : consulter notre site. ✄ Tarifs 1er abonnement aux Cahiers pédagogiques, incluant une remise de 12 e : cochez la case correspondant à votre choix Individuels Établissements scolaires, médiathèques 1 abonnement France métropolitaine 40 euros 46 euros 1er abonnement Outre-mer 49 euros 55 euros 1er abonnement UE 56 euros 62 euros 1 abonnement hors UE 72 euros 78 euros er er Programmation 2009-2010 : Sept.-oct. : L’entrée en 6e • Nov. : Travailler par compétences • Déc. : Les questions sensibles à l’école • Jan. : L’éducation au développement durable : comment faire ? • Fév. : Le cycle 2 et les apprentissages fondamentaux • Mars : Dans nos classes, des élèves en difficulté • Avril-mai : Faire vivre le groupe classe • Juin : Internet et pratiques collaboratives Veuillez nous indiquer (en bas, à gauche) un numéro de téléphone et/ou une adresse électronique pour vous contacter. J’autorise l’établissement teneur de mon compte à prélever sur ce dernier tous les prélèvements ordonnés par le créancier désigné ci-dessous. En cas de litige sur un prélèvement, je pourrai en faire suspendre l’exécution sur simple demande à l’établissement teneur de mon compte. Je réglerai le différend avec le créancier. Nom et adresse du créancier : Crap-Cahiers Pédagogiques, 10, rue Chevreul, 75011 Paris. Réf : DK.444110.06041.28882940 TITULAIRE DU COMPTE À DÉBITER : NOM : ……………………………………………………………………………….………………….............. PRENOM : ………………………………………………………………………….……………….............…. ADRESSE : …………………………………………………………………………………………............….. …………………………………………………………………………………………………………............. CODE POSTAL : ………………...........…. VILLE : ……………………….....……………………….............. NOM ET ADRESSE DE L’ÉTABLISSEMENT TENEUR DU COMPTE À DÉBITER : NOM : ……………………………………………………………………………….………………….............. ADRESSE : …………............………………………………………………………………………………….. …………………………………..........………………………………………………………………………... CODE POSTAL : ………………...........…. VILLE : ……………………….....……………………….............. Remplir impérativement cette partie qui sera expédiée à votre banque. DÉSIGNATION DU COMPTE À DÉBITER : N’oubliez pas de joindre un RIB ou un RIP Adhésion au Crap J’adhère au Crap-Cahiers pédagogiques et verse la somme de 25 € par chèque. Offre adhésion + abonnement : 65 € (France métropolitaine). Signature : Modalités de paiement : • Chèque postal ou par chèque bancaire en Euro (sauf Eurochèques) à l’ordre du Crap-Cahiers pédagogiques. • Virement administratif (pour établissements et institutions). • Mandat postal international ou virement à notre compte bancaire CCM Paris pour les commandes hors U.E. • Par carte de crédit sur notre site Internet : www.cahiers-pedagogiques.com • Par prélèvement : pour la France métropolitaine seulement (voir formulaire ci-contre). Je m’abonne pour un an (8 numéros). Prélèvement trimestriel sur mon compte bancaire ou postal. Je remplis l’autorisation ci-dessous et je joins un RIB ou un RIP. L’abonnement sera renouvelé par tacite reconduction pour un an. Si je ne veux pas poursuivre mon abonnement, j’écrirai au CrapCahiers pédagogiques deux mois avant l’échéance. Pour commander des numéros : (Cf. catalogue, page précédente) ✄ AUTORISATION DE PRÉLÈVEMENT N° ÉMETTEUR NATIONAL : 444 110 N° et titre :....................................................... UE : 81,00 • DOM-TOM : 74,00 • Hors UE : 97,00 ..................................................................... Je ne souhaite pas adhérer, mais je voudrais recevoir par courriel la Lettre d’information mensuelle du Crap-Cahiers pédagogiques. ..................................................................... ..................................................................... ..................................................................... Merci de remplir le formulaire ci-dessous et de l’envoyer avec votre réglement à : Crap-Cahiers pédagogiques, 10, rue Chevreul, 75011 Paris. ..................................................................... Nom :.................................................................................. Prénom :.............................................................................. Adresse postale :................................................................... .......................................................................................... .......................................................................................... .......................................................................................... .......................................................................................... Adresse électronique :........................................................... Téléphone :.......................................................................... Montant : .......... x (..........) = ......................... Frais de port par exemplaire : France : de 1 à 3 : 1,60 – plus de 3 : 1,00 Outre-mer, UE : de 1 à 3 : 3,60 – plus de 3 : 2,60 Hors UE : de 1 à 3 : 4,80 – plus de 3 : 3,40 Frais de port : .......... x (..........) = ................... TOTAL (montant + frais de port) : ......................... N’oubliez pas d’indiquer, ci-contre, vos coordonnées. Les hors-série numériques des Cahiers pédagogiques Billet du mois Billet du mois, billet d’humeur… Pour ouvrir chaque numéro, un texte qui réagit, qui peut faire réagir, par un auteur qui s’engage, qui engage la discussion. Un réac peut en cacher un autre Quand je naviguais à bord de l’Abeille Flandre, autour d’Ouessant, et que nous prêtions assistance aux bateaux qui abordaient ce qu’on nomme « le Rail », j’ai pu observer à quel point chaque situation réclamait de l’équipage un sens aigu de l’improvisation. Dans les cas les plus complexes, Carlos, le capitaine, faisait monter tous les hommes à la passerelle et chacun pouvait – et même devait – dire ce qu’il pensait de la situation, suggérer telle ou telle tactique. Sans considération de hiérarchie pyramidale. En mer, m’expliquait Carlos, la bonne manœuvre, finalement, c’est la manœuvre qui réussit. Cette culture-là, cette culture qui réussit, est malheureusement décriée par une bonne partie de nos élites. Notamment lorsqu’il s’agit de l’école. Au lieu de s’appuyer sur le savoir-faire des maitres qui ont patiemment appris à enseigner, et de valoriser cette maitrise, l’idéologie actuellement au pouvoir ne cesse de décrier l’expérience et considère que la formation se résume en la possession de savoirs académiques – que l’on transmettra ensuite. L’élève est un contenant vide que le professeur doit emplir de sa science. Et, bien sûr, les jeunes enseignants n’ont nul besoin d’initiation pédagogique puisqu’ils ont atteint, en réussissant les concours, un état de transcendance ontologique qui leur suffit amplement. Hervé Hamon Passons sur l’étroitesse culturelle, sur le manque d’ampleur d’une telle vision. L’agressivité contre la pédagogie est une spécialité – faut-il dire une anomalie ? – bien française. La valorisation des acquis de l’expérience, chez nous, c’est tout juste bon pour l’enseignement professionnel, pour les maçons qui sont rétifs aux mathématiques. Ainsi se ferme-t-on à mille sources de connaissance, à mille talents divers. Ainsi envoie-t-on au casse-pipe maints brillants esprits issus des classes prépas qui, sur un terrain nouveau et mouvant, se retrouvent, soudain, fort désemparés. Il y a plus. Au discours réactionnaire habituel viennent se mêler d’étranges voix qu’on aurait cru d’une tout autre inspiration. Le style « gaucho réac ». On était habitué au langage du Snalc. On l’était moins à ce que d’ardents disciples de la vulgate révolutionnaire s’en viennent clamer urbi et orbi que la défense de l’agrégation et des classes préparatoires est l’alpha et l’oméga de la résistance au « libéralisme ». Selon cette vulgate intransigeante, se réclamer de l’expérience, du savoir-faire, c’est se réclamer – plus ou moins explicitement – de l’esprit d’entreprise et de ses effroyables bidouillages. C’est se réclamer d’une culture du résultat intolérable et forcément funeste. L’ascenseur social consiste à propulser quelques élus aux portes de Normale supérieure, pas à chercher des passerelles entre le bac pro et le BTS. Décidément, ces temps-ci, il faut se battre sur tous les fronts. Des heures de vie de classe, pour quoi faire ? • Le socle commun… Mais comment faire ? • Les rythmes scolaires • Travailler sur la presse écrite à l’école • Les PPRE, nouveau visage de l’aide individualisée • L’école ailleurs… (Belgique, Italie, Finlande, Angleterre, Québec, Suisse et Maghreb) • Mai 68 et l’école, vus par les Cahiers pédagogiques • Face aux classes difficiles • Quelques outils et réflexions pour (bien) débuter • La formation des enseignants • Le nouveau cadre européen de référence pour les langues • Socle commun et travail par compétences Balises et boussole Le travail par compétences, le socle commun : de nouvelles modes pédagogiques sans lendemains, ou de réelles occasions d’améliorer les apprentissages des élèves ? De simples ravalements de ce qu’on fait déjà, ou de véritables opportunités pour revoir nos pratiques d’évaluation, de différenciation, de remédiation ? Ce numéro s’efforce d’indiquer des repères pour une mise en œuvre utile à partir d’expériences concrètes, dans le quotidien de la classe et de l’établissement. Ce dossier est vendu en ligne sur notre site et à télécharger au format PDF. www.cahiers-pedagogiques.com 5 euros pour les particuliers. Tarifs avec droits de diffusion : 10 euros pour les établissements scolaires et 15 euros pour les médiathèques Enseigner les langues vivantes avec le Cadre européen Nouvelle édition Les Cahiers pédagogiques est une revue indépendante éditée par le Cercle de recherche et d’action pédagogiques (Crap), association loi 1901 engagée dans la réflexion sur les pratiques quotidiennes de l’enseignement tout comme dans les combats en faveur d’une école plus juste et plus efficace. Ses membres exercent dans tous les secteurs de l’école, de la maternelle à l’université. Les Cahiers pédagogiques éditent sous forme de fichiers au format pdf des numéros portant sur des thèmes d’actualité, téléchargeables sur notre site www.cahiers-pedagogiques.com Quelles évolutions de l’enseignement des langues depuis les premiers pas du CECRL ? Les interrogations qui se manifestaient en 2005 ont-elles trouvé des pistes de réponse ? La réflexion, la formation ont-elles réussi à outiller les enseignants ? Des points de vue contrastés, complémentaires souvent, parfois contradictoires, représentatifs du débat bien réel sur la question de l’enseignement des langues. Ce hors-série est présenté sous une nouvelle édition augmentée d’une partie consacrée aux compétences et groupes de compétences. Il comprend une version adaptée à la lecture à l’écran et une version destinée à l’impression. Ce dossier est vendu en ligne sur notre site et à télécharger au format PDF.