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CAHIERS DE CHAILLOT - NUMERO 43 L’intégration européenne et la défense : l’ultime défi ? Jolyon Howorth Institut d’Etudes de Sécurité Union de l’Europe occidentale Paris - Novembre 2000 CAHIERS DE CHAILLOT - NUMERO 43 (Traduit de l’anglais ; une version anglaise est également disponible) Institut d’Etudes de Sécurité de l’Union de l’Europe occidentale Directeur : Nicole Gnesotto © Institut d’Etudes de Sécurité de l’UEO 2000. Tous droits de traduction, d’adaptation et de reproduction par tous procédés réservés pour tous pays. ISSN 1017-7574 Publié par l’Institut d’Etudes de Sécurité de l’Union de l’Europe occidentale et imprimé à Alençon (France) par l’Imprimerie Alençonnaise. Sommaire Préface v Introduction Plan général 1 6 Chapitre Un : D’où vient la PECSD ? Hégémonie et pilier européen La PESC : un « autre » système de sécurité européenne ? De l’IESD à la PECSD 9 9 14 23 Chapitre Deux : Où en est la PECSD ? Le cadre institutionnel Capacité militaire : le headline goal d’Helsinki La question des ressources Les points de vue nationaux et les chances d’une PESD « à Quinze » Les obstacles sur la route de Feira… et de Nice… ? Les perceptions américaines de la PECSD 33 34 40 43 47 59 66 Chapitre Trois : Où va la PECSD ? Quelle sorte de puissance militaire l’UE deviendra-t-elle ? Objectif géographique et scénarios La PECSD et l’évolution institutionnelle de l’Union européenne Normes, valeurs et légitimité politique 75 75 80 85 91 Conclusion : La PECSD dans le nouvel ordre mondial 97 Sigles 103 Bibliographie sélective 105 Annexes 107 Jolyon Howorth est professeur de civilisation française et professeur Jean Monnet de politique européenne à l’université de Bath (Royaume-Uni). Il enseignait auparavant aux universités de Paris III-Sorbonne Nouvelle, Madison-Wisconsin et Aston. Il a été professeur invité à l’université de Harvard (Center for European Studies), à l’Institut français des relations internationales (IFRI – Paris) et à l’université de Washington (European Union Center et Jackson School of International Studies). Le présent Cahier de Chaillot a été écrit en mai-juin 2000, alors qu’il était chercheur invité à l’IES-UEO. Il est l’auteur de nombreuses publications sur l’histoire de la France et de l’Europe, et notamment sur la politique de défense et de sécurité. Ses ouvrages les plus récents comprennent : Europeans on Europe: transnational visions of a new continent (Macmillan, 1992) et The European Union and National Defence Policy (Routledge, 1997) – avec Anand Menon. Il participe actuellement à un programme collectif de recherche sur « Security Governance in the New NATO », financé par l’Economic and Social Research Council britannique, dans le cadre du programme « One Europe or Several? ». Il écrit également une étude approfondie sur les relations entre la PECSD et la gouvernance. iv Préface Depuis Saint-Malo, trois révolutions sont en cours dans les affaires militaires européennes : la première concerne la Grande-Bretagne, la seconde le processus d’intégration politique européenne, la troisième la gestion même de la sécurité dans le monde de l’après-guerre froide. Telle est la ligne directrice de ce Cahier de Chaillot, dont l’auteur, Jolyon Howorth – professeur à l’université de Bath et senior visiting fellow de l’Institut au printemps 2000 –, est sans conteste l’un des meilleurs historiens et spécialistes des questions de sécurité européenne. Si l’évolution radicale du Royaume-Uni à l’égard d’une légitimité de l’Union en matière de défense ne fait plus de doute, les deux autres questions méritaient en revanche un examen sérieux. Et il fallait rien moins que les compétences, l’originalité et la créativité de Jolyon Howorth pour aborder dans cet essai deux des débats les plus fondamentaux que l’Union, comme acteur international, devra éclaircir collectivement dans les mois et les années à venir. La défense européenne est-elle, d’une part, l’ultime tremplin vers davantage d’intégration politique entre les pays membres de l’Union ? Le processus de SaintMalo conduira-t-il nécessairement à un certain partage de souveraineté dans ces domaines les plus traditionnellement réservés que sont la politique étrangère et la défense ? Au contraire, la défense sera-t-elle l’ultime garde-fou contre l’intégration politique, dans la mesure où son régime intergouvernemental permettrait aux Etats membres de maintenir, voire de renforcer leur contrôle national sur le fonctionnement et l’orientation de l’Union ? Les récents débats européens sur l’Europe fédérale, l’avant-garde, le noyau dur, le groupe pionnier et autre formule future pour l’efficacité d’une Europe à trente ignoraient très largement à ce jour l’impact de la dimension défense sur le fonctionnement et la finalité de l’Union. C’est l’un des grands mérites de ce Cahier de Chaillot que de vouloir relire le débat sur la finalité politique de l’Europe à la lumière des avancées aussi récentes que spectaculaires enregistrées en matière de défense. Il ne fait guère de doute pour l’auteur que – en dépit de toutes les réticences et contorsions prévisibles des Etats membres – l’inclusion d’une capacité de défense dans les compétences générales de l’Union v européenne sera également porteuse, à moyenne échéance, d’une dynamique d’intégration supplémentaire. Existe-t-il, d’autre part, une façon spécifiquement européenne de gérer les questions de sécurité ? Confrontés à une crise donnée, les Européens feront-ils la même chose que les autres organisations internationales ou Etats individuels, simplement avec des moyens européens, ou existe-t-il dans la pratique, la culture, le fonctionnement de l’Union une valeur ajoutée irréductible qui modifiera en profondeur le concept même et la pratique de gestion des crises ? Pour Jolyon Howorth, cette seconde révolution est également en cours. Certes, de multiples questions restent à résoudre pour mettre en œuvre un fonctionnement optimal de la PESD : ce Cahier de Chaillot en dresse d’ailleurs un inventaire sans complaisance. Toutefois, parce que l’Union possédera à terme toute la gamme des moyens disponibles dans une gestion de crise – des plus économiques aux plus militaires –, parce que la cohérence de ses différents moyens d’action sera véritablement la valeur ajoutée de l’Union comme acteur international, les Européens sont en train d’inventer un nouveau modèle de gestion de crises plus adapté à la complexité du XXIème siècle que le seul interventionnisme militaire. A charge pour l’Union de montrer que la légitimité politique va de pair avec l’efficacité opérationnelle, que la prévention se nourrit de dissuasion et que la cohérence des stratégies peut s’accommoder de la diversité des acteurs et des moyens engagés. Ce que l’après-Nice devra aussi démontrer. Nicole Gnesotto Paris, novembre 2000 vi Introduction L’histoire de l’intégration européenne a commencé avec la défense. Les Traités de Dunkerque (1947) et surtout de Bruxelles (1948) avaient essentiellement pour but de forger une communauté de sécurité écartant tout risque de guerre. Mais les exigences en matière de souveraineté et la complexité des problèmes de sécurité de l’Europe, notamment la nécessité de réarmer rapidement l’Allemagne et le besoin d’une alliance transatlantique, firent capoter la première tentative faite dans les années 50 d’intégrer la défense avec la Communauté européenne de Défense. Ensuite, pendant près de cinquante ans, la défense fut un sujet tabou dans un contexte purement européen. Mais aujourd’hui, l’Union européenne (UE) envisage d’inaugurer en 2001 un nouvel ensemble permanent d’institutions de défense et de sécurité et de parvenir progressivement à un headline goal substantiel de forces militaires. Ces deux processus furent considérés par le Conseil européen d’Helsinki en décembre 1999 (voir annexe A) comme les piliers jumeaux de la Politique européenne commune de Sécurité et de Défense (PECSD). L’UE entame également avec l’OTAN (et, à travers l’OTAN, avec les Etats-Unis) un dialogue structuré sur certaines questions déterminantes pour l’avenir de la sécurité européenne. La nature des relations futures de l’UE avec l’OTAN et les Etats-Unis suscite toutes sortes de spéculations et d’analyses. Certains pensent que l’évolution actuelle conduira à la désintégration de l’Alliance et à un écart accru entre les deux rives de l’Atlantique ; pour d’autres, au contraire, le processus actuel de rééquilibrage débouchera sur un partenariat transatlantique encore plus fort1 . L’Europe se trouve aujourd’hui à un tournant décisif de son histoire. D’où l’opportunité d’évaluer les progrès et les perspectives du processus de mise sur pied d’une politique et d’une capacité de sécurité et de défense véritablement européennes, sous les feux de la rampe depuis le sommet franco-britannique tenu à Saint-Malo en décembre 1998 (voir annexe B). Les principales décisions furent alors les suivantes : le Conseil européen était chargé d’élaborer une politique de sécurité et de défense commune dans le cadre de la Politique étrangère et de Sécurité commune (PESC) de 1 Pour une évaluation récente et concise des enjeux, voir Philip H. Gordon, « Their Own Army? Making European Defense Work », Foreign Affairs, vol. 79, n. 4, juillet/août 2000, pp. 12-17 ; pour une analyse des attitudes américaines à l’égard de la PECSD, voir Stanley R. Sloan, « Les Etats-Unis et la défense européenne », Cahiers de Chaillot, n. 39, Institut d’Etudes de Sécurité de l’UEO, Paris, avril 2000. 2 L’intégration européenne et la défense : l’ultime défi ? l’Union européenne ; l’UE aurait désormais la capacité de mener une action autonome, tout en renforçant l’Alliance atlantique ; de nouveaux mécanismes décisionnels et des projets concernant la création de moyens militaires significatifs – mis à la disposition de l’UE – allaient être élaborés. Les questions soulevées par Saint-Malo (notamment la polémique sur l’autonomie de l’Europe en matière de sécurité) constituent le nouveau défi auquel est confrontée l’Europe dans le domaine de la défense. Dans le passé, l’Europe a, à plusieurs occasions, fait des propositions concernant une entité de sécurité et de défense, mais aucune n’a porté ses fruits. L’une des principales conclusions de la présente étude est que, cette fois, le résultat sera positif. Reste à savoir ce que sera précisément une PECSD et quelles en seront les incidences. L’objectif est donc également ici d’évaluer les principaux facteurs impliqués dans le développement d’un projet viable. Avant Saint-Malo, le Royaume-Uni exerçait un veto efficace sur tout lien structuré entre la CEE/CE/UE en tant qu’institution et la défense européenne. Toutes les initiatives – habituellement françaises – aspirant à établir une relation de ce type furent ainsi systématiquement condamnées à l’impuissance ou à l’inutilité2 . Le principal obstacle pour la PESC comme pour la PECSD fut l’incapacité de la Grande-Bretagne et de la France de s’entendre sur l’essentiel. Cette mésentente, qui remonte à la négociation des Traités de Dunkerque et de Bruxelles, était liée aux attitudes respectives des deux pays à l’égard de l’impact de la PECSD sur Washington. Alors que Paris a toujours considéré que l’émergence d’une PECSD puissante consoliderait l’Alliance atlantique en la rendant plus équilibrée – donc plus forte –, Londres craignait que ne se produise l’inverse : autrement dit que, si l’Europe se montrait véritablement capable de gérer ses propres affaires de sécurité, Washington ne s’enferme dans son isolationnisme et que l’OTAN ne finisse par se désintégrer3 . Cette position – formulée pour la première 2 3 Exemples du blocage par le Royaume-Uni (ou par des partenaires européens atlantistes du Royaume-Uni) d’initiatives concernant la politique de défense ou de sécurité de l’UE : Union occidentale (1947) ; CED (1950-1954) ; Plan Fouchet (1962) ; fusion de l’UE et de l’UEO (1997). John W. Young, Britain, France and the Unity of Europe, Leicester University Press, Leicester, 1984, chapitre V, « The Making of the Treaty of Dunkirk » ; le Général de Gaulle a toujours été convaincu que les alliances les plus fortes sont celles où les partenaires ont des positions à peu près équivalentes et que ce dont l’OTAN avait le plus besoin était un équilibre entre les deux rives de l’Atlantique : Daniel Colard & Gérard Daille, « Le général de Gaulle et les Alliances », dans [Institut Charles de Gaulle dir.], De Gaulle en son Siècle, Tome 4: La sécurité et l’indépendance de la Introduction 3 fois à Whitehall au début de 1947 – était encore plus ou moins le point de vue général à l’été 19974 . Ce que Saint-Malo a (apparemment) fait est de la consigner dans l’histoire. A cause du « veto » britannique, les questions liées à la défense européenne ont toujours été considérées comme de la seule compétence de l’OTAN. Point à la ligne. L’Union de l’Europe occidentale (UEO) avait, dès 1949, laissé à l’OTAN l’entière responsabilité de la défense collective. Avant la fin des années 80, les concepts de sécurité collective étaient la chasse gardée d’une minorité de spécialistes des relations internationales 5 . Tout au long des années 60 et 70, il a été régulièrement proposé, sous différentes formes, que les alliés européens jouent un plus grand rôle dans les activités de l’OTAN en créant un discret « pilier européen ». Du côté américain, ces suggestions avaient plutôt pour origine les querelles liées à l’aspect budgétaire et au partage du fardeau ; du côté européen, les projets (le plus souvent sous la houlette française) prônaient l’amélioration de l’équilibre en matière d’influence et de leadership 6 . Aucune de ces idées ne s’est concrétisée, en raison surtout des contraintes liées à la guerre froide. Toutefois, après l’arrivée au pouvoir en ex-Union soviétique d’un gouvernement réformateur dirigé par Mikhail Gorbachev (1985), l’évolution des relations sécuritaires entre l’Est et l’Ouest permit aussi bien aux 4 5 6 France, Plon, Paris, 1992 ; voir également, à ce sujet, Nicole Gnesotto, La Puissance et l’Europe, Paris, Presses de Sciences Po, 1998. Jolyon Howorth, « The Marshall Plan, Britain and European security: defence integration or coat-tail diplomacy? », dans Martin Schain (dir.), The Marshall Plan Fifty Years On, Macmillan, Londres, 2000 ; entretiens de l’auteur au ministère britannique de la Défense et au Foreign & Commonwealth Office, juin 1997. Pour une excellente analyse de la genèse et de l’histoire du concept de sécurité collective, voir l’« Introduction » de David Yost dans son ouvrage NATO Transformed: The Alliance’s New Roles in International Security, United States Institute of Peace Press, Washington DC, 1998, pp. 1-26. Sur le partage du fardeau, voir Gavin Kennedy, Burden Sharing in NATO, Duckworth, Londres, 1979 ; Todd Sandler et Keith Hartley, The Political Economy of NATO: Past, Present and Into the 21 st Century, Cambridge University Press, 1999 ; Nicole Gnesotto (dir.), « Le partage du fardeau dans l’OTAN », Les Notes de l’IFRI, nos 11-13, IFRI, Paris, 1999. En ce qui concerne les tentatives françaises de promouvoir la sécurité européenne, voir Frédéric Bozo, Deux Stratégies pour l’Europe : de Gaulle, les EtatsUnis et l’Alliance Atlantique, 1958-1969, Plon, Paris, 1996 ; Jolyon Howorth, « France and European Security (1944-1995): re-reading the Gaullist ‘consensus’», dans Brian Jenkins et Tony Chafer (dir.), France from the Cold War to the New World Order, Macmillan, Londres, 1995, pp. 17-40. 4 L’intégration européenne et la défense : l’ultime défi ? analystes qu’aux protagonistes d’envisager la création, au sein de l’OTAN, d’un « pilier européen » plus concret. De nombreuses initiatives furent prises pour mettre sur pied cet inaccessible pilier : relance de l’UEO dans les années 80 avec la Plate-forme sur les intérêts européens en matière de sécurité de La Haye (octobre 1987) 7 , Conseil de l’Atlantique Nord de Bruxelles (janvier 1994) et réunion ministérielle de l’OTAN à Berlin (juin 1996), qui donna le feu vert à la fois à un nouveau projet– Identité européenne de Sécurité et de Défense (IESD)8 – et à l’instrument militaire lui servant d’assise – Groupes de Forces interarmées multinationales (GFIM). Cependant, en raison surtout de l’impossibilité d’examiner les questions de défense, voire de sécurité, au sein de l’UE, aucune de ces approches n’offrait de perspective réaliste de rééquilibrage de l’influence et des responsabilités au sein de l’Alliance. Même si, immédiatement après la chute du Mur de Berlin, beaucoup crurent les jours de l’OTAN comptés9 , l’hégémonie américaine, demeurée intacte, ne fut pas remise en cause. Le gouvernement français était le seul à penser que l’Europe pouvait assumer davantage de responsabilités pour la sécurité du continent, mais la plupart de ses partenaires européens y voyaient un bouleversement trop radical de leurs bonnes vieilles habitudes. Les ambitions européennes au regard d’une capacité de sécurité et de défense, telles que les révèlent les textes des traités de Maastricht et d’Amsterdam, restèrent à la fois vagues et « excessivement modeste[s] » 10 . En tout état de cause, le processus de Saint-Malo, qui conduisit, en passant par le Conseil européen de Cologne de juin 1999 (voir annexe C), au Conseil d’Helsinki de décembre 1999, prévoyait ce rééquilibrage. Selon les 7 8 9 10 Voir, à ce propos, Union de l’Europe occidentale, La réactivation de l’UEO : déclarations et communiqués 1984-1987, UEO, Londres, 1988. Le concept (ainsi que le sigle) IESD a fait son apparition dans le communiqué final du Conseil de l’Atlantique Nord à Oslo le 4 juin 1992 (voir Willem van Eekelen, Debating European Security, SDU/CEPS, La Haye/Bruxelles, 1998, pp. 359-360), mais sa date de naissance officielle est généralement considérée comme celle de la réunion du CAN à Bruxelles en janvier 1994. Ces questions restaient posées au milieu des années 90 : voir Ronald D. Asmus et alii, « Can NATO Survive? », The Washington Quarterly, vol. 19, n. 2, 1996, pp. 79-101. Pour la littérature sur l’« inévitable disparition de l’OTAN », voir note 24. François Heisbourg, « Défense européenne : la mise en œuvre», Cahiers de Chaillot, n. 42, Institut d’Etudes de Sécurité de l’UEO, Paris, 2000, « Chapitre Un : Où en sommes-nous aujourd’hui ? », p. 5. Introduction 5 termes d’un haut fonctionnaire britannique de la défense 11 , l’abandon par le Royaume-Uni de son veto sur les discussions concernant la défense et la sécurité au sein de l’UE « fit sortir le génie de la lampe » et ouvrit automatiquement la voie à des perspectives plus ambitieuses que celles impliquées par un « simple » pilier de l’Alliance. La logique de Saint-Malo porta immédiatement en elle les germes des tensions entre l’Europe et les Etats-Unis. « Autonomie » n’est pas un terme facile à interpréter. Au début de 2000, l’UE était largement perçue comme se rapprochant plus rapidement que l’OTAN de la création d’une entité européenne de sécurité viable. Cette inversion des rôles incita à penser que le plan de restructuration militaire de l’OTAN – l’IESD – et les nouvelles ambitions politico-militaires de l’UE définies dans la PECSD étaient non seulement des processus et des projets complètement différents mais aussi potentiellement incompatibles. A l’automne 1999 et au printemps 2000, beaucoup considérèrent que la PECSD conduirait à la marginalisation de l’IESD, voire à l’effondrement de l’OTAN12 . C’est à la fin du printemps 2000 seulement et avec quelques difficultés que l’UE se dota de structures provisoires pour entamer un dialogue avec l’OTAN et avec les Etats-Unis, processus officialisé lors de la réunion du Conseil européen de Santa Maria da Feira des 19 et 20 juin 2000 (voir annexe E). Ce dialogue vient de commencer alors que nous mettons sous presse. Il est encore trop tôt pour en prédire le résultat. Qu’est-ce que l’IESD ? Qu’est-ce que la PECSD ? Quelle est la relation entre les deux ? Comment expliquer la « conve rgence » franco-britannique de Saint-Malo sur la défense et quelle en est la nature exacte ? Comment ce processus, qui est à la fois le centre et le principal moteur du nouveau défi de la défense européenne, est-il lié aux ambitions et aux intentions sécuritaires des autres pays clés de l’Union européenne – les grands, les petits et les neutres ? Le réseau institutionnel de plus en plus complexe de la PECSD peut-il être plus efficace et plus fonctionnel ? Quelle est la 11 12 Richard Hatfield, « The Consequences of Saint Malo », exposé à l’IFRI, Paris, 28 avril 2000. Craig Whitney, « Americans alarmed over European Union’s Defense Plan », New York Times, 11 octobre 1999 ; Gerald Frost, « Europe will shoot itself in the foot », Daily Telegraph, 1er décembre 1999 ; « Thatcher launches attack on Euro-army », The Times, 8 décembre 1999 ; William Drozdiak, « US Tepid on European Defence Plan », Washington Post, 7 mars 2000 ; Iain Duncan Smith, « The Nation’s new Nuclear Peril », Daily Telegraph, 11 avril 2000. 6 L’intégration européenne et la défense : l’ultime défi ? perspective de voir émerger, en matière de défense et de sécurité, un noyau de grandes puissances militaires agissant, dans le cadre d’une coopération renforcée, au nom de l’ensemble de l’UE ? Quel impact tout cela a-t-il sur les nations européennes qui soit appartiennent à l’OTAN mais pas à l’UE soit sont candidates à l’UE mais ne sont membres de l’OTAN ? Qui payera pour la PECSD émergente ? Bref, quelles sont les perspectives réalistes d’une harmonisation progressive des positions des Quinze de l’UE sur la mise en œuvre concrète d’une politique de sécurité et de défense crédible? Et jusqu’où l’UE souhaite-t-elle aller ? Restera-t-elle limitée aux missions de Petersberg ? Ou aspirera-t-elle tôt ou tard à assurer les missions de défense collective, jusqu’ici universellement considérées comme une prérogative de l’OTAN ? Surtout, dans quel sens la relation complexe et de plus en plus tendue du projet de nouvelle UE avec l’OTAN et les EtatsUnis évoluera-t-elle ? Autant de questions que nous nous proposons d’examiner ici. Tout en portant sur l’ensemble de la PECSD et en se fondant sur les vues et les aspirations de la plupart des quinze Etats membres de l’UE, notre étude analysera surtout la position de trois pays qui ont joué un rôle crucial tout au long du processus : la France, la Grande-Bretagne et les Etats-Unis. L’évolution du rôle de l’Allemagne sera elle aussi examinée, plus succinctement. Il n’est pas question de sous-estimer l’impact des autres nations européennes sur la PECSD. Ce choix montre simplement que Paris, Londres et Washington ont été les creusets du nouvel équilibre actuellement introduit dans l’Alliance atlantique. Plan général La présente étude comprend trois parties, traitant respectivement de l’origine, de l’état actuel et de l’objectif du projet de PECSD. 1. D’où vient la PECSD ? Sans remonter aux calendes grecques, il importe de comprendre comment et pourquoi les frustrations de la période 19891997 ont ouvert la voie aux évolutions de 1998-2000. Ce chapitre mettra en lumière les différents points de départ et approches des trois principaux protagonistes : le Royaume-Uni, la France et les Etats-Unis. Il tentera notamment d’évaluer la différence entre la position (française) centrée sur l’UE et celle (britannique) privilégiant l’Alliance, et d’interpréter les Introduction 7 processus historiques complexes qui ont conduit à leur convergence actuelle. 2. Où en est la PECSD ? Ce chapitre analysera des principales questions qui ont préoccupé les décideurs entre 1999 et la fin de 2000. Quels étaient les objectifs des différents pays au regard des nouvelles institutions de sécurité de l’UE et des nouvelles forces militaires à mettre en place dans le cadre du headline goal. Dans quelle mesure ces points de vue stratégiques sont-ils cohérents et compatibles ? Quelles sont les perspectives de fonctionnement harmonieux des nouvelles institutions de sécurité et de défense de l’UE préconisées aux Conseils de Cologne et d’Helsinki en 1999 ? Quelle sera l’évolution de la relation entre les capitales et ces nouvelles institutions intergouvernementales multilatérales ? Quelles perspectives réalistes a-t-on de voir l’UE mobiliser une capacité militaire européenne suffisante pour mener des opérations à bien et (par conséquent) commencer à avoir un poids politique et diplomatique ? Et ce, dans quel laps de temps ? Quel sera l’équilibre au sein de la PECSD émergente de l’UE entre les aspects militaires et civils de la gestion des crises ? Quelles sont les incidences pour l’acquisition d’armes ? Et, surtout, où en est la relation entre l’UE et l’OTAN/les Etats-Unis ? Dans quelle mesure la dynamique croissante de la PECSD reflète-t-elle et, en même temps, encourage-t-elle, les divergences entre l’UE et les Etats-Unis ? L’IESD s’est-elle fondue dans la PECSD ou ces deux projets se développent-ils sur des voies distinctes, éventuellement concurrentes ? 3. Où va la PECSD ? Ce chapitre portera sur les incidences futures du nouveau défi sécuritaire de l’Europe. Quelles sont les ambitions à long terme des principaux pays européens dans le domaine de la sécurité et de la défense, et sont-elles compatibles ? Quel en sera l’impact sur les budgets de défense et la planification militaire ? Comment la PECSD permettra-t-elle une division acceptable du travail avec l’OTAN et les Etats-Unis ? Comment l’évolution de cet instrument le plus politique de l’UE affectera-t-elle l’évolution interne et externe de l’Union elle-même ? Quelle sera la portée géographique ou géostratégique de toute capacité militaire européenne future ? Selon quelles valeurs et quelles normes les missions militaires de l’UE seront-elles définies et justifiées, et en quel nom seront-elles entreprises ? Comment la PECSD équilibrera-t-elle et conciliera-t-elle les différents engagements de l’UE avec l’éthique des 8 L’intégration européenne et la défense : l’ultime défi ? relations internationales et les régimes d’arms control ? Avec l’efficacité militaire et la responsabilité démocratique ? En résumé, de quelle façon la PECSD émergente reflétera-t-elle une approche spécifiquement européenne de la sécurité et de la défense, distincte de celle des EtatsUnis et de l’OTAN ? Germe de l’Europe, l’intégration de la défense et de la sécurité est aussi l’ultime, le principal défi que doit relever l’Union européenne. Chapitre Un D’OU VIENT LA PECSD ? I.1 Hégémonie et pilier européen L’idée que « l’Europe » – autrement dit les pays concernés par les différents projets d’intégration de l’après-guerre (CEE/CE/UE) – devrait légitimement aspirer à construire son propre système de sécurité et jouir ainsi d’une relative autonomie par rapport aux Etats-Unis n’est nullement un phénomène qui remonte à Saint-Malo. A la fin de la Seconde Guerre mondiale, des projets virent le jour, à Londres et à Alger/Paris, afin de créer, dans le monde de l’après-guerre, une communauté de sécurité impliquant les principaux pays d’Europe occidentale 13 . Ce qui allait devenir « l’Union occidentale » servit d’assise aux traités de défense de 1947 (Dunkerque) et 1948 (Bruxelles), fondés tous deux sur l’idée que la sécurité européenne pouvait et devrait être prise en charge par les puissances européennes ellesmêmes. Cependant, avant même que n’ait séché l’encre du Traité de Bruxelles – document pouvant, au même titre que les autres, être considéré comme le véritable premier pas vers une communauté européenne –, le début de la guerre froide, avec la grave menace que la Russie (et non plus l’Allemagne) représentait désormais pour la paix, avait radicalement modifié le contexte de la sécurité européenne. Cette mutation eut surtout deux conséquences. Premièrement, il est rapidement apparu que les « puissances » européennes n’étaient pas en mesure de garantir leur propre sécurité. La France s’enlisait déjà en Indochine dans une interminable guerre coloniale. La Grande-Bretagne était économiquement exsangue et malmenée par des prétentions impériales démesurées. L’Allemagne était en ruine, l’Italie n’allait guère mieux et l’Espagne avait d’autres problèmes à régler. Les Européens projetaient de mettre en commun leur acier et leur charbon, mais ils étaient incapables de se défendre. Deuxièmement, il était également clair que la sécurité européenne ne pouvait être efficacement garantie que par les Etats-Unis, vivement encouragés par la France et la Grande-Bretagne à entrer dans une « alliance contraignante », qui lierait les 13 John W. Young, op. cit. dans note 3 pp. 5-14; Anne Deighton, The Impossible Peace: Britain, the Cold War and the Division of Germany, 1945-1947, Oxford University Press, Oxford, 1993 ; Documents on European Recovery and Defence, March 1947 to April 1949, RIIA, Londres, 1949 ; R.G. Hawtrey, Western European Union: implications for the UK, RIIA, Londres, 1949. 10 L’intégration européenne et la défense : l’ultime défi ? destinées des deux continents dans une communauté de sécurité atlantique. Même ainsi, l’intention des auteurs du Traité de Washington de 1949 n’était pas que les Etats-Unis deviennent la nation hégémonique incontestée au sein de l’Alliance, celle qui était beaucoup plus égale que les autres. En fait, l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord semblait au début fondée sur l’évolution de deux piliers militaires plus ou moins équivalents, dont la combinaison devait créer une relation à somme positive14 . Ce concept de piliers équivalents ne s’est tout simplement jamais concrétisé. C’est l’urgence engendrée en 1950 par la guerre de Corée qui transforma l’OTAN, initialement un projet relativement équilibré, en une alliance dominée par les Etats-Unis 15 . Il convient néanmoins de souligner que, même à cette occasion, lorsque le président Truman profita de la crise coréenne pour déployer quatre divisions américaines en Europe, le Congrès entérina cette décision par une résolution indiquant que les chefs d’état-major interarmées « devaient garantir que les alliés européens faisaient un effort concret pour défendre leur continent » 16 . Autrement dit, les Etats-Unis ont toujours eu tendance, dans le cadre du partenariat euro-atlantique, à menacer les Européens de dissoudre l’Alliance s’ils n’assumaient pas leur part du travail. Cette position semblait donner raison aux Français plutôt qu’aux Britanniques au regard de la relation euro-atlantique même si, vu de Washington, il existe une différence significative entre le partage du fardeau avec une puissance hégémonique et l’autonomie dans une structure à deux piliers. Cette caractéristique de la relation Europe/Etats-Unis eut, au milieu des années 90, des conséquences non négligeables. Le leadership exercé par les Américains depuis les années 50 devint en même temps la force nécessaire à la crédibilité ainsi qu’à l’orientation de l’Alliance et la source d’irritation qui devait provoquer le retrait de la France de la structure militaire intégrée (1966) et la plupart des crises de « blues transatlantique » qui ponctuèrent l’histoire de l’Alliance 17 . 14 15 16 17 Les divergences concernèrent tout d’abord les apparentes hésitations des Etats-Unis à s’engager pleinement dans la sécurité européenne. Voir à ce sujet Don Cook, Forging the Alliance, 1945-1950, Secker & Warburg, Londres, 1989, chapitres 9-11. En réalité, les Européens suppliaient les Américains d’assurer le leadership. Michael Harrison, The Reluctant Ally: France and Atlantic Security, Johns Hopkins University Press, Baltimore, 1981, pp. 16-33. Stanley R. Sloan, « Burdensharing in NATO: The US and Transatlantic Burdensharing », Les Notes de l’IFRI, n. 12, IFRI, Paris, 1999, p. 12. Au sujet du « blues transatlantique », voir Adam Bronstone, European Union-United States Security Relations: transatlantic tensions and the theory of international D’où vient la PECSD ? 11 Les tentatives d’imaginer un partage du fardeau dans le cadre de ce qui pouvait ressembler à une structure à deux piliers se heurtèrent au double écueil des divisions européennes et de l’ambivalence américaine. Les divisions européennes se manifestèrent par des réactions opposées à toute une série d’initiatives françaises destinées à donner à l’Europe un peu d’autonomie (Communauté européenne de défense, plan Fouchet, Traité franco-allemand, Coopération politique européenne) 18 . Si certains pays (Belgique, Luxembourg et, dans une moindre mesure, Italie et même Allemagne) approuvèrent, du bout des lèvres, les ambitions européennes de la France, jamais cet appui ne dépassa le stade des déclarations. Le Royaume-Uni, les Pays-Bas, le Portugal, la Grèce et le Danemark s’y opposaient, quant à eux, radicalement. Sous un angle différent, les Européens étaient également divisés dans leur manière de répondre au dilemme politique posé par l’intégration : comment mettre en commun ce qui constitue l’essence même de la souveraineté – les responsabilités en matière de défense nationale 19 ? Ils demeuraient incapables de décider quel était le moindre mal : l’intégration de leur défense ou l’hégémonie américaine ? L’ambivalence des Etats-Unis à l’égard de « l’Europe puissance » persista tout au long de l’histoire de l’OTAN. Tout en reconnaissant la nécessité de l’Alliance, les Américains (le Congrès surtout) ont toujours regretté les coûts, voire l’engagement impliqués. Ils en réclament le leadership, mais demandent constamment un plus grand partage du fardeau par les Européens 20 et se laissent parfois aller à des crises d’isolationnisme 21 . En résumé, pour citer un commentaire récent, les EtatsUnis n’ont jamais clairement décidé « si leur sécurité est mieux garantie en dominant l’Europe ou en s’en retirant » 22 . 18 19 20 21 22 relations, Macmillan, Londres, 1997 ; à propos de la France et de l’OTAN, voir Maurice Vaïsse et al., La France et l’OTAN 1949-1996, Complexe, Bruxelles, 1996. Jolyon Howorth, « National Defence and European Security Integration: an Illusion Inside a Chimera? », dans Jolyon Howorth et Anand Menon (dir.), The European Union and National Defence Policy, Routledge, Londres, 1997, pp. 10-22. Voir, à ce sujet, Nicole Gnesotto, op. cit. dans note 3, pp. 11-12. Pour les discussions initiales, voir Gavin Kennedy, op. cit. dans note 6 ; pour les débats plus récents, voir Nicole Gnesotto, op. cit. dans note 6. Pour une approche récente, favorable à l’isolationnisme, voir Eugene Gholz, Daryl G. Press & Harvey M. Sapolsky, « Come Home, America. The Strategy of Restraint in the Face of Temptation », International Security, vol. 21, n. 4, printemps 1997, pp. 5-48. William Pfaff, « For Sovereignty, Europe Must Have Its Own Defense », International Herald Tribune, 30 mai 2000. 12 L’intégration européenne et la défense : l’ultime défi ? Tant que, pendant la guerre froide, la menace d’un holocauste nucléaire pesait sur l’Europe, les Américains firent régner partout leur hégémonie, qu’assombrissaient seulement les récriminations occasionnelles des nations européennes agacées par ce rôle de superpuissance, mais incapables et dépourvues de la volonté de le mettre en cause 23 . La fin de cette période aurait pu logiquement modifier cette situation. En l’absence d’une menace massive, identifiable, unique, grave pour la sécurité européenne, le besoin d’une Alliance compliquée avec un allié américain ambivalent se faisait moins sentir. Entre 1989 et 1992, beaucoup ont jugé imminente la disparition de l’OTAN en tant qu’alliance opérationnelle 24 . Ce ne fut manifestement pas le cas. Contrairement à l’attente générale, renaissant en quelque sorte de ses propres cendres, l’OTAN acquit même, pendant les années 90, une importance accrue. Plusieurs raisons à cela. Tout d’abord, sur le plan militaire, l’OTAN était la seule force de défense/sécurité sérieuse disponible à une époque où le besoin de forces de combat (loin de disparaître, comme certains l’avaient pensé) ne faisait qu’augmenter. Deuxièmement, du point de vue politique, tous les autres mécanismes de sécurité suggérés (désir russe de revenir à l’équilibre de la politique de puissance ; rêve germano-tchèque d’une CSCE/OSCE occupant le devant de la scène ; et, surtout, projets français de relancer l’UEO 25 ) finirent par avorter. La troisième raison, qui sous-tend les deux précédentes, était la dure réalité de la guerre – dans le Golfe, dans les Balkans et d’autres foyers de trouble où la présence musclée d’une force de combat efficace s’avérait nécessaire. Bien que l’OTAN ne soit pas idéalement configurée pour une intervention militaire ne relevant pas de l’article 5, et bien que de nombreux Etats membres de l’OTAN, notamment le Royaume-Uni, se soient initialement opposés à ce qu’elle entreprenne de telles missions, elle était la seule organisation capable d’assumer cette responsabilité : d’où le passage 23 24 25 Anton W. Deporte, Europe between the Superpowers. The enduring balance, Yale University Press, New Haven, 1986. La meilleure analyse critique de la littérature (néo)réaliste annonçant la disparition de l’OTAN est peut-être celle de Gunther Hellmann et Reinhard Wolf, « Neorealism, neoliberal institutionalism and the future of NATO », Security Studies, 1993/3, pp. 343 ; pour un point de vue opposé, voir Charles L. Glaser, « Why NATO is Still Best », International Security, vol. 18, n. 1, été 1993, pp. 5-50. Robert B. McCalla, « NATO’s persistence after the Cold War », International Organization, 50/3, été 1996, pp. 445-475 ; Stuart Croft, « Four alternative Security Narratives for Europe 1989-1995 », document présenté à la conférence de la European Community Studies Association, Seattle, mai 1997. D’où vient la PECSD ? 13 de facto de la défense collective à la sécurité collective26 . La quatrième raison avait une origine inattendue : la France. Confrontés à la réalité de l’intervention militaire alors qu’ils privilégiaient la dissuasion nucléaire et les vertus de la « non-bataille », les Français parvinrent progressivement à trois conclusions : premièrement, qu’il existait désormais un risque sérieux de retrait américain – perspective inimaginable pendant la guerre froide ; deuxièmement, que la sécurité européenne serait sérieusement compromise si ce retrait avait effectivement lieu ; et, troisièmement, que, dans un contexte historique où l’intervention militaire devenait en Europe plutôt la norme que l’exception, la machine militaire française ne serait efficace que s’il y avait interopérabilité avec l’OTAN 27 . C’est ainsi que les Français se rapprochèrent de l’OTAN en 1995 28 . Enfin, la cinquième raison de la relance de l’OTAN était liée aux pays d’Europe centrale et orientale qui avaient été pris en otage par l’Union soviétique pendant cinquante ans. Ces pays considéraient que leur salut immédiat ne dépendait pas de leur appartenance à l’Union européenne (évoquée pour la première fois en 1993, comme un objectif plus ou moins éloigné), mais de leur adhésion à l’OTAN, perspective qui, encore au début de 1994, aurait semblé pure fantaisie pour la plupart des analystes mais qui – pour la République tchèque, la Pologne et la Hongrie du moins – se concrétisa beaucoup plus rapidement que leur intégration à l’UE. Ce processus d’élargissement, particulièrement dynamique au milieu des années 90, fut l’une des clés de la réussite de l’OTAN 29 . 26 27 28 29 David Yost, NATO Transformed, The Alliance’s New Roles in International Security, United States Institute of Peace Press, Washington, DC, 1998 ; voir également JeanMarie Guéhenno, « L’OTAN après la guerre froide. Une nouvelle jeunesse ? », Critique Internationale, vol. 7, avril 2000, pp. 101-122. Voir, à ce sujet, Anand Menon, France, NATO and the Limits of Independence: the politics of ambivalence, Macmillan, Londres, 2000 (surtout chapitre 2 « France, NATO and the Alliance, 1981-1997 »). Robert P. Grant, « France’s New Relationship with NATO », Survival, vol. 38, n. 1, été 1996, pp. 58-80 ; Gilles Andréani, « La France et l’OTAN après la Guerre Froide », Politique Etrangère, 1998, n. 1, pp. 77-92. Parmi les nombreux excellents articles sur l’élargissement de l’OTAN, voir James M. Goldgeier, « NATO Expansion: The Anatomy of a Decision », The Washington Quarterly, vol. 21:1, hiver 1998, pp. 85-102. 14 L’intégration européenne et la défense : l’ultime défi ? I.2 La PESC : un « autre » système de sécurité européenne ? Quid de l’échec de l’« autre » système européen ? Des milliers de pages ont été consacrées à l’analyse de la bonne et de la mauvaise fortune de l’adoption par l’UE, à Maastricht en décembre 1991, et ultérieurement du développement du projet de Politique étrangère et de Sécurité commune (PESC)30 . Certains suggéraient que, entre 1989 et 1994, la France avait élaboré un plan préconisant une force autonome de l’UE fondée sur l’UEO 31 . Si un tel plan existait, il ne pouvait être que français. Convaincue que l’hégémonie de l’OTAN n’était pas la seule solution, la France a toujours proposé d’« autres » scénarios. Dans l’immédiat après-guerre froide, la réalité était cependant plus complexe. Toute l’histoire de la PECSD ayant été marquée par la dialectique entre le rêve français d’autonomie et la résistance « anglo-saxonne » à une telle notion, il convient d’examiner de près les débats sécuritaires du début des années 90. D’une certaine façon, en effet, le succès des années 1998-2000 avait déjà été par le passé un objectif que s’étaient fixé certains pays, sans toutefois y parvenir. Il importe de comprendre pourquoi le « projet PECSD » a d’abord échoué, pour se concrétiser quelques années plus tard. A la fin des années 80 et au début des années 90, certains hauts fonctionnaires français – aussi bien civils que militaires – plaidèrent pour une véritable autonomie de l’Europe en matière de sécurité, voire de défense 32 . Mais ce genre d’aspiration n’a jamais reflété la politique officielle du gouvernement, ni même sa pensée. Sous François Mitterrand, tout au long des années 80, la France avait multiplié ses efforts dans les deux directions, à la fois pour promouvoir la coopération européenne en matière de défense et pour que les idées soient plus larges sur l’intensification de ses 30 31 32 Voir Bibliographie sur la PESC, pp. 105-106. Samy Cohen, Mitterrand et la sortie de la guerre froide, PUF, Paris, 1998, pp. 1-5 ; Philip H. Gordon, A Certain Idea of France: French Security Policy and the Gaullist Legacy, Princeton University Press, Princeton, NJ, 1993, pp. 172-178 ; Anand Menon, op. cit. dans note 27, chapitre 5 « A European Alternative ». Il est néanmoins très difficile d’en trouver une trace écrite. Une déclaration de JeanPierre Chevènement en octobre 1987, faite peu après sa nomination au ministère de la Défense, est l’exception qui confirme la règle. Il était grand temps, selon le ministre, que l’Europe pense à garantir sa propre défense. L’objectif était de remplacer la défense américaine de l’Europe par une défense européenne autonome. Voir Anand Menon, op. cit. dans note 27, p. 122. D’où vient la PECSD ? 15 liens avec l’OTAN 33 . Une fois la guerre froide terminée, une brève opportunité historique se présenta (1989-1993) pendant laquelle l’ensemble de l’« Occident » s’engagea dans un débat ouvert sur les nouvelles orientations stratégiques. Les discussions portèrent sur toutes les options possibles, de la désintégration totale de l’OTAN à son rôle de policier mondial, de la création d’une force armée européenne alternative à la démilitarisation totale et à la « civilianisation » de l’Europe 34 . Dans ce débat, la France était, bien entendu, le principal avocat d’un système de défense européen plus autonome. Les préférences politiques du gouvernement français de l’époque sont difficiles à cerner en partie parce qu’il y avait plusieurs tendances (notamment après la cohabitation en 1993) et en partie parce que François Mitterrand lui-même a toujours été un théoricien équivoque, ne se contentant jamais d’une seule approche stratégique lorsqu’il pouvait en avoir deux autres (même contradictoires) en réserve. Il ne faut pas non plus oublier la distance séparant un discours abstrait de politique étrangère et de sécurité et les réalités du pouvoir et de l’influence sur le terrain. Toutefois, pour autant qu’il soit possible de cerner les aspects spécifiques de la politique française pendant cette période, ils se fonderaient vraisemblablement sur les convictions suivantes 35 : • Le nouveau contexte historique conduira presque à coup sûr à un nouvel équilibre des relations transatlantiques, ce « rééquilibrage » hypothétique de la relation euro-américaine autour duquel s’était articulée la politique française pendant toute la guerre froide. • L’Alliance atlantique (donc l’OTAN) doit poursuivre ses activités, mais sous une forme complètement restructurée, avec une nouvelle division du travail entre, d’une part, ses responsabilités de défense collective (article 5) et, de l’autre, ses fonctions politiques ainsi que tout rôle de sécurité collective susceptible de lui incomber. Celui-ci entrera progressivement dans les compétences de la CE/UE. • Il conviendrait que l’Union européenne joue un rôle accru en matière de sécurité (et, sur le long terme, éventuellement de défense), probablement 33 34 35 Philip H. Gordon, op. cit. dans note 31 ; Frédéric Bozo, La France et l’OTAN : de la guerre froide au nouvel ordre européen, Masson, Paris, 1991. Voir, à ce sujet, Holly Wyatt-Walter, The European Community and the Security Dilemma 1989-1992, Macmillan, Londres, 1997. Voir Philip H. Gordon, op. cit. dans note 31 ; Anand Menon, op. cit. dans note 27, pp. 39-49 ; Sean Gregory, French Defence Policy into the Twenty-First Century, MacMillan, Londres, 2000, chapitre 2. 16 L’intégration européenne et la défense : l’ultime défi ? par l’intermédiaire de l’UEO ; reste à savoir précisément jusqu’où cela pourrait aller et quelle en serait la forme institutionnelle/politique. • L’absorption, dans une structure politique occidentale ou une autre, des pays d’Europe centrale et orientale récemment libérés de la botte soviétique est une tâche incombant beaucoup plus à la CE/UE qu’à l’OTAN ou aux Etats-Unis. • Il importe de reconnaître – ce que font peu d’autres pays – que la fin de la guerre froide n’a pas signifié la fin des menaces pour la sécurité européenne et que la notion de « dividendes de la paix » traduisait surtout des vœux pieux. Le budget de défense doit être maintenu à son niveau actuel. Chose symbolique, ces orientations politiques qui, pour être nombreuses, n’étaient pas forcément incompatibles, furent annoncées au cours d’une seule journée, le 19 avril 1990. Tôt le matin, François Mitterrand et Helmut Kohl publièrent une lettre conjointe à l’intention de la présidence irlandaise de la CE, demandant aux Etats membres de s’impliquer dans une conférence intergouvernementale sur l’union politique qui développerait progressivement une Politique étrangère et de Sécurité commune (PESC). Cette lettre non seulement consacrait officiellement le rétablissement de bonnes relations entre Paris et Bonn, malmenées par le rapide processus d’unification entrepris après la chute du Mur de Berlin, mais aussi représentait la première déclaration d’intention européenne de développer une politique étrangère et de sécurité relativement autonome. Plus tard dans la matinée, M. Mitterrand se rendit en Concorde à Key Largo (Floride), où il discuta des multiples aspects de l’avenir de l’Alliance atlantique avec le président Bush. Cette rencontre fut un condensé de tout l’éventail des contradictions franco-américaines qui existent encore aujourd’hui dans une certaine mesure. Pour les Américains, le principal objectif stratégique était la définition d’un nouveau rôle pour l’OTAN, qui impliquerait à la fois un dialogue structuré avec les anciens membres du Pacte de Varsovie et la définition de ce qui allait prendre le nom de missions de « Petersberg » (sécurité collective) sur le théâtre européen. Du point de vue français, bien que l’OTAN demeurât la principale alliance aux termes de l’article 5, les nouveaux objectifs stratégiques étaient la stabilisation de l’Europe centrale et orientale et l’émergence de ce qui allait être considéré comme l’Identité européenne de Sécurité et de Défense (IESD), permettant d’entreprendre des missions de gestion des crises et de sécurité collective, considérées par la France comme deux responsabilités européennes. Les textes des réunions de D’où vient la PECSD ? 17 Key Largo montrent bien que, même si MM. Bush et Mitterrand crurent être plus ou moins sur la même longueur d’onde (ou, du moins, semblèrent le croire), ils avaient été en fait en constant décalage l’un par rapport à l’autre 36 . Bien que soulignant la nécessité d’instaurer un dialogue politique entre la CE et les Etats-Unis, et préconisant un rôle accru pour la CSCE dans une Europe réconciliée, M. Bush se préoccupait surtout de l’avenir de l’OTAN. De même, tout en rendant hommage à l’Alliance atlantique37 , et en affirmant que l’Allemagne unie devait être un membre à part entière de l’OTAN, M. Mitterrand s’intéressait surtout au nouveau compromis concernant l’Europe centrale et orientale (à travers la CSCE et son récent projet de Confédération européenne 38 ) ainsi qu’au renforcement du rôle politique de la CE. Les Américains souhaitaient transformer l’OTAN en une Alliance moins militaire et plus politique, comprenant les tâches de sécurité collective, en restructurant immédiatement les forces militaires de l’OTAN pour refléter cette nouvelle réalité. La France souhaitait conserver l’Alliance en tant que structure de défense strictement collective et garantir que la politique de transformation européenne relèverait essentiellement de la CE – en coopération étroite avec la Russie. Pour ce qui est de la restructuration militaire de l’OTAN, la position française était qu’elle devait attendre le résultat du dialogue politique entre les deux rives de l’Atlantique, qui établirait les principes d’un nouvel équilibre stratégique. M. Mitterrand revint de Key Largo convaincu que M. Bush avait accepté sa proposition de « Grand sommet » de l’Alliance à la fin de l’année, et que ce vaste programme politico-stratégique y serait examiné de manière approfondie. Un paradoxe significatif avait néanmoins échappé au président français : si, pendant la guerre froide, la France avait joué un rôle décisif pour l’OTAN, depuis la chute du Mur de Berlin, elle était beaucoup moins indispensable et ne suscitait plus la même attention ni à la Maison Blanche ni au Pentagone 39 . 36 37 38 39 La politique étrangère de la France, La documentation française, Paris, mars/avril 1990, pp. 76-81 ; Jacques Attali, Verbatim, vol. III, Fayard, Paris, 1995, pp. 467-472. Il précisa en effet « dans les domaines définis par le traité » – c’est-à-dire l’article 5. François Mitterrand et Vaclav Havel, Prague 1991 : Assises de la Confédération Européenne, Editions de l’Aube, Paris, 1991. Gilles Andréani, « La France et l’OTAN après la guerre froide », Politique étrangère, IFRI, janvier 1998, p. 81. 18 L’intégration européenne et la défense : l’ultime défi ? Dans l’optique française, les deux approches définies à Key Largo semblaient totalement incompatibles et les plans américains concernant l’OTAN dénués de sens. Comme l’indiqua Gilles Andréani : « Pourquoi faire de l’OTAN un cadre de coopération politique avec un « Est » qui avait cessé d’être un bloc, au détriment de la CSCE dont c’était la fonction naturelle ? N’allait-on pas encourager ainsi les pays d’Europe centrale à demander l’élargissement de l’OTAN – dont à l’époque personne ne voulait – et encourager les Russes dans l’illusion inverse, que l’OTAN allait perdre sa cohésion et son caractère d’alliance militaire, ce dont les alliés, y compris la France, ne voulaient pas davantage ? » 40 . Au fur et à mesure que les choses se précisaient pendant les semaines qui suivirent cette rencontre, les Français conçurent, à l’égard du projet américain de relance de l’OTAN, une irritation croissante. Premièrement, au lieu d’être rigoureusement préparé par des discussions appropriées permettant de s’entendre sur les objectifs diplomatiques et politiques à long terme, le « Grand sommet » de l’OTAN, que les deux présidents avaient appelé de leurs vœux, fut organisé à la hâte à Londres au début du mois de juillet autour de réformes militaires à court terme visant essentiellement à rassurer les Russes. Deuxièmement, les réformes militaires en question (notamment la création de la Force de Réaction rapide) impliquaient à la fois un renforcement de la structure de commandement intégrée de l’OTAN, que Paris remettait plus que jamais en question à l’époque, et une sorte d’appel d’offre anticipé sur la gestion des crises en Europe ne relevant pas de l’article 5, un rôle que Paris avait clairement attribué à la CE. Cependant, comme la crise et la guerre du Golfe l’ont particulièrement bien montré pendant l’année qui a suivi Key Largo, la France (et l’Europe) n’étai(en)t pas en mesure de réclamer un rôle accru que ce soit pour la gestion des crises régionales ou pour la sécurité collective du continent. Deux aspects de la politique française dans la crise du Golfe feront date : premièrement, l’alignement immédiat sur les objectifs politico-stratégiques américains (aux dépends de l’élaboration par Paris d’une « politique arabe » sur le long terme) ; deuxièmement, sa tentative de « diplomatie alternative » qui a fini par se révéler inutile 41 . De plus, la participation de la France à une 40 41 Ibid., p. 79. Jolyon Howorth, « French Policy in the Conflict », dans Alex Danchev et Dan Keohane (dir.), International Perspectives on the Gulf Conflict 1990-1991, Macmillan, Londres, 1994, pp. 175-200 ; pour une approche favorable à la « diplomatie alternative », voir Edgard Pisani, Persiste et Signe, Odile Jacob, Paris, 1992, pp. 391-413. D’où vient la PECSD ? 19 force multinationale commandée par un général américain selon les procédures OTAN d’interopérabilité fut une expérience à la fois humiliante et révélatrice – surtout pour les militaires. Le moindre espoir que la France (et l’Europe) pût garantir la sécurité collective du continent s’évapora dans le désert d’Arabie saoudite. Lorsque les hauts responsables militaires français se réunirent à l’Ecole de Guerre en avril 1991 pour réévaluer collectivement les leçons du Golfe, certains s’étaient imaginé que le président Mitterrand annoncerait, dans son discours de clôture, le retour de la France dans la structure militaire intégrée de l’Alliance. Sa déclaration émue à propos de la dette de la France vis-à-vis du «grand allié américain » fut saluée par de nombreux signes d’approbation, mais il provoqua quelques soupirs incrédules en précisant qu’il n’y aurait pas pour autant de retour dans la structure militaire intégrée. Une telle rupture avec ce qui était devenu, au fil des ans, un principe gaullien, était un pas de trop pour un chef d’Etat qui avait déjà suivi des voies parallèles en matière de sécurité (OTAN et Europe) pendant près d’une décennie. Paris allait mettre cinq ans pour digérer les terribles leçons de la guerre du Golfe. Ce tableau peu satisfaisant allait caractériser les années suivantes, marquées occasionnellement par des déclarations d’intention – plus ou moins décousues – sur une force européenne, et d’affirmations tout aussi occasionnelles sur la loyauté et la confiance ressenties à l’égard de l’Alliance – et ce, dans un contexte de chaos croissant dans les Balkans, que les Européens se révélèrent incapables de stabiliser seuls. Entre temps, parallèlement à ces initiatives nationales, et dans la foulée du Traité de Maastricht, l’Union européenne commençait à mettre en place les structures embryonnaires que demandait la mise sur pied d’une PESC. Mais les visions claires de ce que cette politique allait être étaient peu nombreuses et assez éloignées. Le discours-programme prononcé par Jacques Delors devant l’International Institute for Strategic Studies en avril 1991 42 s’articulait autour de l’apparente dichotomie d’une capacité UE/O jouant le rôle soit de « pont entre l’Europe et les Etats-Unis » soit de « bras armé de l’UE » (que privilégiait nettement le président de la Commission européenne). L’Europe devait donc choisir l’une ou l’autre de ces options. Néanmoins, opter pour la première revenait à perpétuer la subordination de l’Europe ; avec la seconde, on précipitait le découplage. Aucune des deux solutions n’était, à elle seule, satisfaisante. Combinées, elles avaient 42 Jacques Delors, « European Integration and Security », Survival, vol. 33, n. 2, 1991. 20 L’intégration européenne et la défense : l’ultime défi ? beaucoup plus d’utilité. Très commenté à l’époque, le discours de M. Delors créa plus de confusion qu’autre chose. La création du corps franco-allemand en 1991 était elle aussi truffée d’ambiguïtés plus ou moins apparentes. L’Eurocorps, que beaucoup d’analystes jugeaient politiquement important mais insuffisant sur le plan militaire, fut considéré comme l’embryon d’une armée européenne, mais placé en décembre 1992 sous le commandement de l’OTAN pour les missions relevant de l’article 5. Très symbolique du point de vue politique, l’insistance de la France pour que l’UEO envoie dans l’Adriatique une force navale parallèle à celle de l’OTAN manquait toutefois de bon sens sur le plan opérationnel, même si l’UEO pouvait ainsi acquérir sur le long terme une véritable expérience dans ce domaine. Malgré de solides références à l’Alliance, le Livre blanc français de 1994 inscrivit résolument la défense nationale dans un cadre européen. La création de l’EUROFOR et de l’EUROMARFOR en 1995 accompagna logiquement le lancement pour la Méditerranée du « processus de Barcelone » 43 . La coopération nucléaire et aérienne avec le Royaume-Uni clôtura une série d’initiatives bilatérales qui finirent par placer la France au centre d’un réseau européen d’initiatives de défense au demeurant plus théorique que réel. De toute évidence, certaines de ces initiatives furent dictées par la prise de conscience que la CE/UE avait besoin de synergies permettant de réaliser des économies là où c’était possible, et elles eurent des résultats appréciables. En fin de compte, il est possible de considérer que tous ces symboles pouvaient constituer une « politique » où les analystes virent la synthèse des aspirations à une véritable autonomie de sécurité. En réalité, rien n’était plus loin de l’esprit des dirigeants européens (y compris français) pendant cette période chaotique où aucune institution ni aucun individu ne contrôlait réellement les forces historiques dont peu de personnes décelaient encore la présence en Europe. La proposition utopique faite par le président Mitterrand, lors du sommet franco-allemand d’octobre 1991 et de la création officielle de l’Eurocorps, d’utiliser cette nouvelle force armée européenne dans les Balkans ne reposait probablement que sur la certitude qu’elle serait rejetée par le Royaume-Uni (au soulagement évident de l’Allemagne). Une force d’intervention crédible, purement européenne, dans les Balkans ne suscitait guère plus d’attention. Après tout, l’armée française était encore configurée pour la défense 43 Martin Ortega (dir.), « L’avenir du dialogue euro-méditerranéen en matière de sécurité », Publications occasionnelles, n. 14, Institut d’Etudes de Sécurité de l’UEO, mars 2000. D’où vient la PECSD ? 21 territoriale et se fondait massivement sur la conscription – raison pour laquelle, sur une force armée totale de près de 300 000 hommes, la France n’avait été capable de mobiliser que 15 000 soldats dans le Golfe. Ainsi, la question de savoir pourquoi l’« autre » système de sécurité européenne ne s’est pas concrétisé conduit à se demander : « quel autre système de sécurité européenne ? ». Il faut avoir à l’esprit que cette époque (1989-1993) fut exceptionnelle. Toutes sortes de théories et d’idées furent émises, la plupart très intéressantes, souvent complètement irréalistes. Les responsables politiques avaient de grandes difficultés à suivre le rythme des événements, ne serait-ce que pour définir une orientation quelconque. Personne n’avait de projet sur rien. Il est vrai que la France, pendant cette période, eut à cœur de doter l’Europe de structures créant des liens politiques entre l’Allemagne et l’UE. Si le projet d’Union économique et monétaire (UEM) fut une réussite à cet égard, les propositions francoallemandes en matière de défense permirent à peine d’esquisser un nouveau modèle d’armée européenne. Parler des « tentatives françaises de créer des structures de sécurité purement européennes pour concurrencer l’OTAN » 44 relève donc de la métaphore ou de l’hypothèse. Ces suppositions n’ont jamais été vérifiées. Il ne faut pas non plus considérer que, pendant cette période, l’OTAN ou les Etats-Unis étaient complètement hostiles à une nouvelle forme de partage du fardeau militaire. Alors que le gouvernement américain s’intéressait plutôt à la cohérence stratégique de la politique de défense de l’OTAN, le Congrès cherchait surtout à réduire les dépenses et à promouvoir la rigueur budgétaire 45 . Les déclarations de Washington alternaient entre deux messages fondamentaux : toute tentative de remettre en cause, déplacer ou remplacer l’OTAN serait combattue par les Américains ; toute volonté de créer des structures européennes à partir du cadre atlantique serait la bienvenue 46 . Le projet de pilier européen fut consolidé par la relance et l’intensification du débat sur le partage du fardeau, surtout dans les milieux politiques américains. Avec la guerre en Bosnie, des tensions réapparurent entre les 44 45 46 Menon, op. cit. dans note 27, p. 127. Voir, à ce sujet, Stanley R. Sloan, The US and Transatlantic Burdensharing, vol. 2 de Nicole Gnesotto (dir.) op. cit. dans note 6, pp. 7-10. Mike Winnerstig, « Rethinking Alliance Dynamics: The US, NATO and the Idea of an Independent European Defence 1989-1996 », document présenté à la convention annuelle de l’International Studies Association, Toronto, Canada, mars 1997, pp. 2029. 22 L’intégration européenne et la défense : l’ultime défi ? deux rives de l’Atlantique au sujet des dépenses en matière de défense. Les Européens se révélèrent totalement incapables de gérer cette dramatique situation (contrairement à leurs propres prédictions et aux attentes américaines au début de la crise). C’est ce catastrophique état d’impréparation qui impressionna tant Tony Blair lorsque, en 1998, il eut connaissance, pour la première fois, de la capacité potentielle de l’Europe de s’engager militairement dans une guerre éventuelle au Kosovo. De plus, en engageant d’importantes forces dans l’IFOR, l’administration Clinton déclencha une véritable guérilla qui marqua le Congrès de 1995 à 1997 à propos du partage du fardeau, et que le débat tenu en 1998 sur le coût de l’élargissement de l’OTAN ne fit qu’aggraver. La conjugaison de ces deux problèmes (inadéquation militaire de l’Europe et préoccupations budgétaires des Etats-Unis) obligea à se demander sérieusement pendant combien de temps encore l’opinion publique américaine était prête à soutenir une alliance dans laquelle les Européens donnaient de plus en plus l’impression d’abuser de la générosité des Américains 47 . Ce sont ces deux aspects surtout qui conduisirent au processus de Saint-Malo et à tout le projet PECSD. La politique à l’égard de la Bosnie provoqua une telle polémique entre le gouvernement de John Major et l’administration Clinton que même M. Major fut convaincu de la nécessité de trouver une « solution européenne » 48 . Mais rien n’était clairement défini à l’époque. Alors que les médias consacraient leurs analyses aux atrocités commises en Bosnie, les responsables politiques se querellaient pour savoir qui avait la responsabilité d’y mettre un terme – et, surtout, qui en paierait le coût. Au début des années 90, il était donc difficile d’y voir clair, même pour les responsables les plus intuitifs. Une grande confusion régnait sur la situation géostratégique euro-atlantique. L’Histoire allait trop vite, et personne n’arrivait à suivre. Il ne faut pas se fier aux analyses académiques qui prétendent mettre en lumière les lignes de division entre des groupes d’acteurs avertis poursuivant des objectifs bien définis. C’est seulement au milieu des années 90 que la situation s’éclaircit et que l’on put voir émerger entre les principaux acteurs des préférences politiques relativement rationnelles et compréhensibles. Le déclic fut l’arrivée au pouvoir d’un nouveau gouvernement à Washington et une approche différente des 47 48 A ce sujet, voir Stanley R. Sloan, op. cit. dans note 16, pp. 21-41. Jane Sharp, Honest Broker or Perfidious Albion: British Policy in Former Yugoslavia, Institute for Public Policy Research, Londres, 1997. D’où vient la PECSD ? 23 relations euro-américaines, inspirée par un président qui privilégiait l’économie et le commerce plutôt que la sécurité et la défense. I.3 De l’IESD à la PECSD L’IESD « naquit » de manière informelle à la réunion du Conseil de l’Atlantique Nord de Bruxelles en janvier 1994. Quelle que soit sa filiation (Paris, Londres et Washington contribuèrent à sa naissance de manière équivalente), elle a été, à l’origine, conçue avant tout comme un arrangement technico-militaire permettant aux Européens d’assumer une plus grande part du fardeau pour les missions de sécurité, en ayant accès aux moyens et aux capacités de l’OTAN dont étaient dépourvus les Etats membres de l’UE49 . Mais elle avait également une dimension politique évolutive au sens où elle traduisait la volonté de l’OTAN en tant qu’institution et celle des Etats-Unis en tant que principal Etat membre de l’OTAN d’accroître les responsabilités de l’UE en matière de sécurité. Enfin, le message politique de l’IESD (à savoir qu’il était non seulement acceptable mais aussi souhaitable que l’UE joue un rôle plus clair et plus étendu) prévalut sur les arrangements visant surtout à fournir un accès aux moyens. Le « feu vert » de l’OTAN à l’IESD déclencha un processus politique qui conduisit aux sommets de Saint-Malo, puis de Cologne et d’Helsinki. Plusieurs facteurs eurent un impact non négligeable. Premièrement, au milieu des années 90, les gouvernements britannique et français, forts de leurs expériences conjointes sur le territoire bosniaque, parvinrent à des conclusions analogues sur les futures relations de sécurité entre les EtatsUnis et l’Europe. A Londres et à Paris, on savait à quel point Washington hésitait à signer encore des chèques en blanc en faveur de la sécurité 49 Déclaration des chefs d’Etat et de gouvernement, réunion du Conseil de l’Atlantique Nord, Bruxelles, 10 et 11 janvier 1994, Communiqué de presse de l’OTAN M-1(94)3. Paragraphe 4 : « Nous apportons notre plein appui au développement d’une identité européenne de sécurité et de défense qui (…) consolidera le pilier européen de l’Alliance tout en renforçant le lien transatlantique » ; paragraphe 6 : « Aussi tenonsnous prêts à mettre à disposition les moyens collectifs de l’Alliance, sur la base de consultations au sein du Conseil de l’Atlantique Nord, pour des opérations de l’UEO menées par les Alliés européens en application de leur politique étrangère et de sécurité commune » . 24 L’intégration européenne et la défense : l’ultime défi ? européenne. On craignait aussi, de plus en plus, que le Congrès ne s’oriente soit vers l’isolationnisme soit vers un nouveau débat sur le partage du fardeau. En France, pour toutes sortes de raisons pratiques, un consensus émergeait entre les politiques et les militaires en faveur d’un rapprochement de l’OTAN. Il semblait en effet nécessaire, entre autres, de répondre aux besoins des procédures d’interopérabilité, de commandement et de contrôle ainsi que d’ancrer l’engagement américain en Europe. Le gouvernement britannique, poussé par le ministère de la Défense, fit office de médiateur entre Paris et Washington afin de faciliter la « réintégration » de la France. Certes l’arrivée au pouvoir de François Mitterrand en 1981 avait peu à peu modifié la position française, mais cette évolution avait été jusque là surtout symbolique. Depuis la fin de la guerre froide toutefois, les besoins d’une coopération concrète avec l’Alliance justifiaient un rapprochement plus sérieux. La France continuait de certifier que son objectif n’était pas la réintégration dans la structure militaire intégrée, même si, en décembre 1995, cette perspective fut considérée comme le compromis possible pour une restructuration authentique et radicale de l’Alliance. C’est dans ce contexte que le rôle de médiateur joué par le Royaume-Uni entre Paris et Washington fut crucial sans être complètement désintéressé 50 . Ce processus aboutit à la réunion ministérielle de Berlin de juin 1996, qui fut un tournant décisif pour l’IESD. Un double compromis était attendu : l’engagement des Américains de soutenir une capacité militaire européenne utile (grâce aux GFIM et à d’autres moyens) et celui de la France de s’orienter vers une intégration totale dans une Alliance restructurée 51 . La réunion de Berlin avait, en théorie, un potentiel considérable. 50 51 En ce qui concerne la France, voir Charles Grant et Gilles Andréani, op. cit. dans note 28. Pour le Royaume-Uni, voir Jolyon Howorth, « Britain, NATO and CESDP: Fixed Strategy, Changing Tactics », European Foreign Affairs Review, vol. 5, n. 3, été 2000, pp. 1-20. « Communiqué final », Conseil de l’Atlantique Nord réuni en session ministérielle à Berlin le 3 juin 1996, Communiqué de presse M-NAC-1(96)63. Il est significatif que, alors que la presse anglo-saxonne considérait Berlin comme le resserrement de liens d’alliance (« A New Kind of Alliance », The Economist, 1er juin 1996, pp. 19-21, « NATO Attempts a Second Creation », Wall Street Journal Europe, 3 juin 1996), en France, l’accent était mis sur l’« émancipation » européenne (« OTAN, les Européens tentent de s’émanciper de la tutelle américaine », Libération, 4 juin 1996 ; « Les EtatsUnis renoncent à leur hégémonie », La Croix, 4 juin 1996 ; « Alliance atlantique : une place pour l’Europe », Le Figaro, 4 juin 1996). D’où vient la PECSD ? 25 D’emblée, rien ne se passa comme prévu. La première pomme de discorde fut l’interminable différend entre Jacques Chirac et Bill Clinton au sujet du commandement AFSouth52 . La deuxième, les hésitations du Royaume-Uni, dans le contexte de la Conférence intergouvernementale conduisant au Traité d’Amsterdam, à encourager une fusion significative de l’UEO et de l’UE53 . A ce stade de la vie mouvementée du gouvernement de John Major, une telle perspective, bien que logique, voire séduisante pour l’évolution de la pensée britannique en matière de sécurité, était victime de la politique interne du parti conservateur 54 . Troisièmement, l’opinion publique était aux Etats-Unis (ainsi qu’en Europe centrale et orientale) de plus en plus favorable à l’élargissement de l’OTAN – qui, loin d’accroître les responsabilités de l’UE en matière de sécurité européenne, étendait en fait l’hégémonie américaine sur tout le continent 55 . Lorsque, un an seulement après Berlin, lors du Conseil européen d’Amsterdam en juin 1997, le nouveau Premier ministre britannique Tony Blair s’opposa à la proposition d’une fusion par étape de l’UE et de l’UEO, l’impression quasi générale fut que l’IESD était déjà sur le déclin56 . Mais ni l’Histoire ni une certaine volonté politique n’avaient dit leur dernier mot. De nouveaux développements eurent lieu dans les Balkans où l’Albanie, puis le Kosovo prirent le relais de la Slovénie, de la Croatie et de la Bosnie en mettant les Occidentaux en porte-à-faux avec la Serbie de Milosevic. Les interprétations divergentes de cette crise, notamment des moyens de la 52 53 54 55 56 Au sujet de l’impasse concernant l’AFSouth, voir Gilles Delafon et Thomas Sancton, Dear Jacques Cher Bill…, Plon, Paris, 1998, pp. 194-218 ; Guillaume Parmentier, « France and NATO, 1995-1997: Hopes Unfilled », document présenté à la conférence intitulée The Transformation of NATO and the Question of European Unity, université de Washington, 5 mai 2000. « EU-WEU : text of the Document of France, Germany, Italy, Spain, Belgium and Luxembourg on the Gradual Integration of the WEU into the European Union », Atlantic News, n. 2906, 3 avril 1997. Hugo Young, This Blessed Plot : Britain and Europe from Churchill to Blair, Chapitre 11, « John Major at the Heart of Darkness », Macmillan, Londres, 1998. William Wallace, Opening the Door: the Eastern enlargement of the EU and NATO, CER, Londres, 1994, 50 pages. Alexander Moens, « NATO’s Dilemma and the Elusive European Defence Identity » dans Security Dialogue, vol. 29, n. 4, décembre 1998 ; Helene Sjursen « Missed Opportunity or Eternal Fantasy? The Idea of a European Security and Defence Policy », dans John Peterson et Helene Sjursen (dir.), A Common Foreign Policy for Europe? Competing Visions of the CFSP, Routledge, Londres et New York, 1998. Nicole Gnesotto déplora elle aussi la « énième déception » ressentie après Berlin ; voir op. cit. dans note 3 (ouvrage publié juste avant l’initiative de Saint-Malo), pp. 42-57. 26 L’intégration européenne et la défense : l’ultime défi ? traiter, que refléta l’écart entre la réponse américaine et celle des principaux pays de l’Union européenne, conduisirent les dirigeants politiques européens à reconsidérer complètement l’ensemble des relations euroaméricaines. A Londres surtout, où Tony Blair, soucieux de façonner un rôle européen pour son pays, voyait avec une frustration croissante son ami Bill Clinton, sur les conseils de Richard Holbrooke, cumuler les erreurs visà-vis de Belgrade, alors que l’Europe tentait vainement de se battre contre des moulins. Pour les Britanniques, l’Alliance atlantique semblait en bien mauvaise posture. Cette volonté politique finit par se fondre dans l’Histoire et Tony Blair traversa le Rubicon de la défense européenne. En juillet 1998, la Strategic Defence Review (qui avait, dans d’autres domaines, vaguement adopté une approche européenne) parla pour la première fois du « rôle vital » de la Politique étrangère et de Sécurité commune de l’UE. En octobre, lors d’un sommet informel de l’UE à Pörtschach, en Autriche, le Premier ministre britannique indiqua qu’il ne s’opposerait pas au développement d’une politique européenne de défense si certaines conditions étaient remplies57 . Le 4 décembre 1998, le sommet de Saint-Malo prôna la mise sur pied d’une capacité politique et militaire « autonome » de l’UE. Le processus politique lancé à Pörtschach et à Saint-Malo s’avéra encore plus révolutionnaire que celui sur lequel avait temporairement débouché l’IESD. Le fait que le Royaume-Uni fût, dès l’hiver 1998, prêt à promouvoir le projet d’une capacité européenne de défense sous la supervision politique de l’Union européenne était une véritable « révolution dans les affaires militaires » 58 . Le projet de « pilier européen » allait désormais au-delà d’un simple mécanisme technico-militaire permettant aux Européens d’emprunter les principaux moyens de l’OTAN pour entreprendre des missions autorisées par le Conseil de l’Atlantique Nord. Le processus de Saint-Malo comportait implicitement le germe d’une capacité autonome de l’UE – à la fois institutionnelle (mécanismes décisionnels) et militaire (structures de forces) –, dont la forme aboutie susciterait de toute façon dans l’Alliance en général et aux Etats-Unis en particulier toute une gamme de sentiments 57 58 Elle devait être crédible sur le plan militaire, intergouvernementale du point de vue politique et compatible avec l’OTAN. S’agissant de la « percée de Tony Blair, voir Richard Whitman, « Amsterdam’s Unfinished Business? The Blair Government’s Initiative and the Future of the Western European Union », Publications occasionnelles, n. 7, Institut d’Etudes de Sécurité de l’UEO, Paris, janvier 1999 ; Jolyon Howorth, op. cit. dans note 50, pp. 33-44. D’où vient la PECSD ? 27 allant de la méfiance à l’inquiétude59 . Ce fut le cas. Lors du Conseil européen de Cologne (juin 1999), l’UE se dota du cadre institutionnel nécessaire pour prendre les décisions politiques concernant les questions de sécurité et de défense et, lors du Conseil d’Helsinki (décembre 1999), elle se fixa le headline goal comme objectif (voir annexes C et A). Devant un tel tableau, il devint de plus en plus difficile d’y voir clair. De toute évidence, la PECSD était différente de l’IESD – que la plupart des journalistes continuèrent d’utiliser, même en 2000, pour désigner tout ce qui était lié au « Pilier européen ». Des doutes persistèrent néanmoins, pendant presque toute l’année, sur la différence entre les deux. Alors que l’IESD avait démarré comme un projet de l’OTAN, la PECSD était à l’évidence un projet de l’UE. Bien entendu, les deux notions étaient étroitement liées. Les sources OTAN restaient sur la défensive en affirmant que la PECSD ne devait pas « remplacer » ou « dominer » l’IESD60 . Simultanément, personne ne souhaitait que l’IESD et la PECSD évoluent chacune de leur côté de façon complètement séparée – ce qui était d’autant plus improbable que la PECSD dépendait d’une étroite relation militaire avec l’OTAN (dont l’IESD était théoriquement la principale composante). La PECSD était à l’évidence le projet le plus ambitieux. Son objectif global n’est rien moins que la formulation et la mise en œuvre d’une politique de sécurité et de défense commune de l’UE et de son territoire. Pendant quelques années (voire sur le très long terme), l’IESD en sera un élément essentiel, mais elle n’équivaut pas à la PECSD qu’il s’agisse de sa teneur, de son ambition ou de sa portée. En même temps, dire que l’IESD a été absorbée par la PECSD serait devancer la réalité. Pendant la première moitié de 2000, alors que les négociations entre l’UE et l’OTAN embrayaient difficilement, l’IESD et la PECSD demeurèrent des sortes de jumelles, se battant pour conserver leur identité, mais étroitement liées l’une à l’autre et mal à l’aise dans cette relation. 59 60 Stanley Sloan, op. cit. dans note 1; François Heisbourg, op. cit. dans note 10, « Chapitre Trois : L’interaction entre l’Europe et les Etats-Unis », fondé sur une contribution de Nicole Gnesotto et Karl Kaiser, pp. 37-48. Exposé d’Alexander Vershbow au Forum transatlantique de l’UEO, dans Julian Lindley-French (dir.), « Forum transatlantique de Paris – La défense européenne : perceptions croisées européennes et américaines », Publications occasionnelles, n. 17, Institut d’Etudes de Sécurité de l’UEO, Paris, juillet 2000, pp. 22-24. 28 L’intégration européenne et la défense : l’ultime défi ? Considérée de manière aussi neutre que possible, la relation entre l’IESD et la PECSD en octobre 2000 était la suivante. Bien que plus ancienne, l’IESD semble avoir été récemment dépassée par la PECSD en termes de résultats et de progrès réalisés. Le Conseil ministériel de Berlin de l’OTAN de juin 1996, très optimiste, avait estimé qu’il ne restait plus qu’à mettre en œuvre les détails des dispositions concernant les GFIM61 . Le Concept stratégique adopté au sommet de Washington d’avril 1999 affirmait de manière très positive que « l’OTAN a su s’adapter […]. Les réformes internes ont englobé l’adoption d’une nouvelle structure de commandement, et notamment du concept des Groupes de forces interarmées multinationales, l’établissement de dispositions permettant le déploiement rapide de forces pour la gamme complète des missions de l’Alliance, et la construction de l’identité européenne de sécurité et de défense (IESD) au sein de l’Alliance » 62 . Cette série d’arrangements est communément désignée par « Berlin plus ». Les hauts fonctionnaires de l’OTAN ne fournirent qu’au compte-gouttes des exemples spécifiques de progrès concrets sur des questions aussi complexes que le transfert des moyens, les chaînes de commandement parallèle, la planification, etc. Les exercices Crisex de février 2000, organisés conjointement par l’OTAN et l’UEO, et dont le but était précisément de tester les progrès de l’IESD, révélèrent l’existence de nombreux problèmes, en particulier des multiples détails à régler avant de pouvoir dire que tout fonctionne bien63 . La réunion ministérielle du Conseil de l’Atlantique Nord (CAN) à Florence en mai 2000 ne fit pratiquement aucune référence à l’IESD, mais fut presque entièrement consacrée aux questions liées à l’instauration d’un dialogue constructif entre l’UE et l’OTAN et l’occasion de rappeler indirectement 61 62 63 « A cette réunion de Berlin, nous avons fait un grand pas en avant pour donner forme à la nouvelle Alliance […] Nous avons pris aujourd’hui des décisions qui visent à introduire plus avant l’adaptation des structures de l’Alliance, de façon que celle-ci puisse remplir plus efficacement toute la gamme de ses missions, sur la base d’un solide partenariat transatlantique […] » . Paragraphe 2 du Communiqué final cité dans la note 51. « Concept stratégique de l’Alliance », Communiqué de presse NAC-S(99)65, OTAN, Bruxelles, 1999, paragraphe 13. Les résultats des exercices Crisex 2000 donnent lieu à des interprétations très diverses. Les Français soulignent les échecs et les insuffisances mis en évidence ; les sources de l’OTAN maintiennent que l’exercice « a bien fonctionné ». Il est clair que cet exercice fut en substance conçu pour tester les procédures. La preuve en sera donnée par l’OTAN si elle réussit à tirer les enseignements de Crisex et à adapter en conséquence ses structures et ses procédures. D’où vient la PECSD ? 29 que le rôle des alliés de l’OTAN n’appartenant pas à l’UE (les « Six ») était crucial pour la réussite de ces négociations 64 . Ce qui équivalait à reconnaître que le projet de l’IESD se trouvait au point mort alors que la PCESD était sous les feux de la rampe – et l’objet d’une attention constante à Washington. Il est dans l’intérêt de l’UE comme de l’OTAN de garantir que l’IESD et la PECSD se développent harmonieusement. Il est clair qu’aucune des deux ne peut fonctionner sans l’autre. Tout dépendra de la relation exacte qu’elles pourront établir à terme. Reste à savoir si les hauts responsables de l’OTAN (en l’occurrence, américains) accepteront que la PECSD soit une notion plus étendue et plus ambitieuse que l’IESD, quel qu’ait pu être le rôle porteur joué par l’IESD à l’égard de la PECSD. Trois dynamiques distinctes furent donc à l’origine du processus de SaintMalo/Helsinki. La première fut la décision des Américains de s’orienter vers une politique accordant une plus grande autonomie à l’UE, surtout pour satisfaire les demandes du Congrès de partage du fardeau, mais aussi dans l’espoir de réduire les pressions exercées sur un empire de plus en plus sollicité par les besoins complexes de la sécurité mondiale 65 . Mais rien ne fut tenté pour trouver un équilibre quelconque entre l’engagement et le leadership américains d’un côté, et la solidarité et l’autonomie européennes de l’autre. La question resta donc assez ambiguë et divisa les commentateurs, qui critiquaient la schizophrénie des Etats-Unis à l’égard de la sécurité européenne. Les responsables américains sont en effet, en matière de défense européenne, assis entre deux chaises : si l’Europe possède trop de capacités, ce sont les fondements mêmes de l’Alliance qui risquent d’être ébranlés ; si elle n’en a pas assez, il peut y avoir découplage stratégique 66 . La deuxième dynamique est la volonté manifestée depuis longtemps par les Français de créer un véritable pilier européen, source constante de malentendus, surtout aux Etats-Unis. Une raison en est sa facture gaullienne, 64 65 66 Communiqué final, session ministérielle du Conseil de l’Atlantique Nord, 24 mai 2000, Florence, Communiqué de presse M-NAC-1(2000)52, paragraphes 27-34. Paul Kennedy, The Rise and Fall of the Great Powers: economic change and military conflict 1500 to 2000, Random House, New York, 1988. François Heisbourg, op. cit. dans note 10, « Chapitre Trois : L’interaction entre l’Europe et les Etats-Unis », fondé sur une contribution de Nicole Gnesotto et Karl Kaiser, pp. 38-39. 30 L’intégration européenne et la défense : l’ultime défi ? qui a souvent accordé autant d’importance au style qu’à la substance67 . De plus, la France n’a jamais précisé clairement où le projet « gaullien » fixerait la ligne de partage entre les responsabilités des deux côtés de l’Atlantique ni comment elle percevait la relation entre une UE relativement autonome et son allié américain « hyperpuissant » 68 . L’âpre réalité de l’intervention militaire en Bosnie a suffi à rapprocher la France de l’OTAN (pour des raisons d’interopérabilité et d’efficacité militaire) et a instauré une relation de travail nouvelle et viable entre l’Europe et les Etats-Unis, tournant toutefois sur la construction de la PECSD. La troisième dynamique – probablement la plus importante – fut la décision des Britanniques de mettre fin à un veto vieux de cinquante ans sur l’intégration de la défense européenne. Ce revirement fut encouragé par le débat américain sur le partage du fardeau et facilité par le rapprochement français de l’Alliance. Il ne s’agissait pas d’une « conversion » des Britanniques à la cause européenne – leur objectif premier étant une tentative pragmatique de préserver l’Alliance atlantique. Si l’idée était d’élaborer un instrument européen (PECSD), qu’il en fût ainsi69 . Les Britanniques seront 67 68 69 Stanley Hoffmann, « De Gaulle’s Foreign Policy: The Stage and the Play; the Power and the Glory », dans Stanley Hoffmann, Declin or Renewal: France since the 1930’s, Viking, New York, 1974, chapitre 10. Hubert Védrine, dans ses conversations avec Dominique Moïsi (Les cartes de la France à l’heure de la mondialisation , Fayard, Paris, 2000, pp. 74-76), ne parvient pas à fournir une réponse satisfaisante à ces questions et se contente de suggérer qu’il n’y a pas de réel problème. Le discours prononcé en janvier 2000 par le secrétaire britannique à la Défense, Geoffrey Hoon, devant la Brookings Institution est explicite à ce sujet : « Helsinki concerne le renforcement de la capacité militaire. Il ne s’agit pas de se faire des politesses politiques. […] S’il faut lui coller l’étiquette « européenne » pour la fa ire fonctionner, qu’il en soit ainsi». D’où vient la PECSD ? 31 progressivement obligés de s’engager dans les processus européens enclenchés, mais l’approche britannique n’est pas satisfaisante en 2000 dans la mesure où personne à Londres n’a semblé se demander vraiment ni où tout cela menait ni jusqu’où le Royaume-Uni était prêt à aller. Une triple ambivalence entretenue tant bien que mal par de puissantes forces historiques a donc conduit l’UE à sa situation actuelle en ce qui concerne la PECSD. Il convient maintenant d’examiner les défis soulevés par la défense européenne alors que la France assume la présidence de l’UE depuis le 1er juillet 2000. Chapitre Deux OU EN EST LA PECSD ? Pendant les quelques mois qui s’écoulèrent entre Saint-Malo et le Conseil de l’UE de Cologne en juin 1999, la présidence allemande s’efforça de regrouper les différentes orientations de la PECSD embryonnaire en un projet politico-militaire cohérent, qui est actuellement mis en œuvre70 . Le projet de défense et de sécurité devait, selon la décision du Conseil européen, donner à l’Union les ressources nécessaires pour « jouer pleinement son rôle sur la scène internationale » 71 dans le cadre de la Politique étrangère et de Sécurité commune plus dynamique qui était annoncée. Cette nouvelle étape de l’intégration européenne, explicitement jugée majeure, signifiait que l’UE devait se doter d’une capacité politique et militaire appropriée afin d’atteindre deux objectifs : prendre des décisions et les appliquer. Jusqu’ici, aucun des deux ne s’est concrétisé parce qu’il manquait le cadre institutionnel au premier et une force militaire sérieuse au second. Faisant écho à la proposition de Saint-Malo, les ministres décidèrent donc à Cologne que : « l’Union doit disposer d’une capacité d’action autonome soutenue par des forces militaires crédibles, avoir les moyens de décider d’y recourir et être prête à le faire afin de réagir face aux crises internationales, sans préjudice des actions entreprises par l’OTAN ». Ils firent référence au sommet du Conseil de l’Atlantique Nord de Washington en avril 1999, auquel l’IESD avait été officiellement consacrée par l’Alliance, en déclarant notamment que « un rôle plus affirmé de l’Union européenne dans la prévention des conflits et la gestion des crises contribuera à la vitalité d’une Alliance rénovée ». En affirmant la relation à somme positive entre l’UE et l’OTAN, cette déclaration fut à l’origine d’un certain scepticisme des deux côtés de l’Atlantique en ce qui concerne non seulement la faisabilité mais aussi la sagesse du projet de l’UE. Quoi qu’il en soit, « le génie était sorti de la lampe » et le projet commençait à prendre forme. 70 71 La meilleure analyse générale de ce travail fondamental est celle de Mathias Jopp, European Defence Policy: the Debate on the Institutional Aspects, Institut für Europäische Politik, Bonn, juillet 1999. Les nouvelles citations sont toutes extraites du Conseil européen de Cologne – voir annexe C pour le texte intégral. 34 L’intégration européenne et la défense : l’ultime défi ? II.1 Le cadre institutionnel Le cadre institutionnel de la PECSD, défini à Cologne et lancé à Helsinki, comprenait plusieurs innovations institutionnelles capitales. Ces nouveaux mécanismes, mis en place entre octobre 1999 et mars 2000, étaient les suivants : • Nomination de l’ancien Secrétaire général de l’OTAN Javier Solana au poste de Haut Représentant pour la PESC (HR-PESC), dont la création avait été décidée lors du Conseil européen d’Amsterdam en juin 1997. Le Haut Représentant assure également les fonctions de Secrétaire général du Conseil européen et, depuis octobre 1999, de Secrétaire général de l’UEO 72 . Ce cumul de mandats souligne la volonté politique de l’UE de créer, dans le cadre intergouvernemental du Conseil européen, un centre unique de planification politico-militaire, d’analyse et de conseil politique. Le HR-PESC ne dispose néanmoins que d’une équipe très réduite. Outre le soutien normal d’un cabinet, il peut s’appuyer sur une vingtaine de conseillers venant des quinze Etats membres, qui constituent l’Unité de planification politique et d’alerte rapide (UPPAR) – couramment désignée par Unité politique. De plus, la relation entre le poste de HR et celui de Commissaire européen aux Relations extérieures, qui n’a pas été spécifiée, demeure une question délicate 73 , et le budget du bureau est extrêmement limité. A la fin de 2000, le HR-PESC cherchait encore les moyens de se doter de la crédibilité et de l’autorité que sa fonction est censée impliquer. 72 73 Dans le cadre de la conférence intergouvernementale conduisant au Conseil européen de Nice, il a été proposé que le HR-PESC soit lui-même un Commissaire et VicePrésident de la Commission. Voir « Barnier calls for stronger Commission », European Voice, 6-12 juillet 2000, p. 4. Cette proposition a également été faite dans le document franco-allemand cité dans la note 168 ci-après. De nombreux analystes souhaiteraient voir le poste de HR-PESC devenir une sorte de ministère de l’UE. Fin juin 2000, le Commissaire aux Relations extérieures, Chris Patten, dans un projet de document interne de la Commission européenne, se disait inquiet que la création du poste de HR-PESC ait compliqué l’exercice de la politique étrangère au lieu de la simplifier. Il regrettait l’existence d’une « tension persistante » dans ce domaine entre l’intergouvernementalisme et l’action communautaire. Cette remarque entraîna un refroidissement des relations entre Chris Patten et Javier Solana. Lors de sa session plénière du 5 juillet 2000, la Commission européenne appuya la demande du Commissaire européen préconisant un rôle accru de la Commission en matière de politique étrangère. Voir Peter Norman, « Brussels backs Patten’s foreign policy stance », Financial Times, 6 juillet 2000. Où en est la PECSD ? 35 • Création d’un Comité politique et de sécurité (COPS) comprenant des hauts fonctionnaires (niveau ambassadeur) de chaque Etat membre de l’UE, se réunissant deux fois par semaine à Bruxelles. Le COPS a pour fonction de gérer le développement des situations de crise, d’organiser – en liaison avec l’unité politique du HR – l’évaluation et la planification, de fournir des conseils politiques au Conseil européen et, dans le cas d’un déploiement militaire de l’UE sur un théâtre d’opérations, de se réunir en tant que centre de contrôle politique pour la direction quotidienne des opérations militaires. En attendant les arrangements définitifs concernant la composition et les attributions du COPS, un Comité intérimaire (COPSi) a été créé le 1er mars 2000. Il est prévu que le COPS définitif soit présidé par le HR-PESC mais, pour le Comité intérimaire, c’est le représentant du pays assurant la présidence de l’UE. • Création d’un Comité militaire (CM), l’instance militaire la plus élevée de l’UE et officiellement composé des chefs d’état-major des armées des quinze Etats membres. Ceux-ci se réunissent au moins deux fois par an, mais se font normalement représenter par leurs délégués militaires, qui ont généralement une double casquette puisqu’ils sont également représentants à l’OTAN. Pendant la période intérimaire, ce comité portait le nom d’organe militaire intérimaire. Sa fonction consiste à fournir des avis militaires et à faire des recommandations, à travers le COPSi, au Conseil européen, et à donner des orientations militaires à l’Etat-major militaire (voir ci-après). Le président du CM est un officier quatre étoiles, normalement un ancien chef d’état-major, choisi à l’extérieur du CM par les chefs d’état-major des Etats membres. Il participe selon que de besoin au COPS et au Comité militaire de l’OTAN, et il travaille en relation étroite avec le HR-PESC. Il assiste également aux réunions du Conseil européen lorsqu’il faut prendre des décisions ayant des implications en matière de défense. • Création d’un Etat-major militaire (EM), mettant ses compétences militaires au service de la PESC de l’UE, notamment de la conduite des opérations militaires menées par l’UE. L’EM travaille sous la direction politique du Conseil européen (à travers le COPSi) et sous la direction militaire du CM. Bien que n’agissant pas en tant qu’état-major opérationnel, l’EM assure les fonctions opérationnelles d’alerte rapide, d’évaluation de la situation et de planification stratégique ; il doit être une source de connaissances techniques pour l’UE en ce qui concerne toute la gamme des situations de défense et de sécurité susceptible de se présenter, agir en tant qu’interface entre les autorités politiques et 36 L’intégration européenne et la défense : l’ultime défi ? militaires de l’UE et offrir un appui militaire efficace pendant la phase de planification stratégique des situations de gestion des crises de type « Petersberg ». Ses procédures de travail doivent être compatibles avec celles de l’OTAN et s’en inspirer. Il fallait bien entendu du temps pour concrétiser de tels arrangements et en déceler les incidences sur les actuelles structures institutionnelles de la PESC/PECSD. En particulier, deux doubles emplois non négligeables demandaient à être rapidement examinés : • Cellules de Planification et Centres de Situation. En octobre 1999, l’Unité politique (UPPAR), créée en vertu du Traité d’Amsterdam, fut finalement installée dans les bâtiments du Conseil européen à Bruxelles. Elle élabore des notes de position et des documents de réflexion pour Javier Solana. Elle comprend quinze diplomates venant des Etats membres de l’UE, trois hauts fonctionnaires du Secrétariat du Conseil, un de la Commission et un officier militaire ayant une expérience de l’UEO/OTAN. Elle fut immédiatement confrontée au mécontentement du personnel du Secrétariat du Conseil (également dirigé par M. Solana), qui avait travaillé sur la PESC/PECSD depuis la mise en œuvre du Traité de Maastricht. Un modus vivendi informel fut établi, selon lequel le Secrétariat s’occupe des aspects juridiques et l’Unité politique de la planification politique et de l’alerte rapide. Enfin, l’état-major militaire européen est également supposé, lorsqu’il sera au complet, fonctionner comme un centre d’alerte rapide et de situation, et risque ainsi de faire double emploi avec l’UPPAR. Certains milieux ont déjà demandé à l’UE de créer une « Académie militaire » dont les fonctions, si l’idée se concrétise, pourraient aussi dupliquer celles des autres organes. De plus, une décision rapide s’impose sur le futur rôle de l’Institut d’Etudes de Sécurité de l’UEO, après quoi il faudra rationaliser les différentes fonctions des cellules et unités existantes. L’Europe a besoin d’une réflexion à froid et d’un haut niveau de compétences en matière de sécurité, ce qui doit être organisé de manière appropriée. • Comités politiques. Avant janvier 2000, la dimension politique de la politique étrangère et de sécurité était traitée lors de réunions bimensuelles du Comité politique qui avaient lieu au niveau des directeurs politiques des ministères des affaires étrangères et avec l’assistance du Coreper (Comité des Représentants permanents auprès de l’UE) pour préparer les réunions mensuelles des ministres des affaires Où en est la PECSD ? 37 étrangères au Conseil Affaires générales (CAG). Avec la création du COPSi, tenant deux réunions par semaine, il devint urgent de réexaminer la fonction du Comité politique et éventuellement d’envisager une division du travail au sein du CAG entre un programme « PESC au sens large » et un programme « PECSD au sens strict ». Toutefois, même cette division du travail ne régla pas la question de savoir qui assumait finalement la responsabilité de coordonner la PESC. Une guerre larvée opposa le COPSi et le Coreper, soucieux l’un et l’autre de protéger leur territoire. Le Coreper voyait d’un très mauvais œil que le COPSi s’occupe des aspects non militaires de la gestion des crises. Il y avait du reste très peu de contacts, au début, entre le COPSi et le HR-PESC, mais les liens se développèrent, pendant la deuxième moitié de 2000, lorsqu’il fut à peu près sûr que le COPS serait présidé par le HR. Enfin, étant donné que la grande majorité du travail effectué (et de l’argent dépensé) par la Commission pour les relations extérieures était consacrée à la gestion des crises civiles (et, depuis 1999, au Pacte de Stabilité dans les Balkans), le rôle de la Commission, notamment celui du Commissaire aux relations extérieures, Chris Patten, devait être clarifié de toute urgence 74 . La Commission a un siège au COPSi, mais il y a toutes les chances pour que cela ne suffise pas à répondre aux besoins de la coordination. Là encore, les responsabilités et la division du travail sont à repenser complètement. Dans les milieux s’occupant de relations internationales et de politique étrangère, la faiblesse de la base institutionnelle de l’Europe (règle de l’unanimité au Conseil, rôle limité de la Commission, rotation de la présidence) est depuis longtemps considérée comme la principale cause du rôle insignifiant de l’Union sur la scène mondiale. Les évolutions récentes, dont le but était d’améliorer les choses, n’ont pas – encore – nécessairement porté leurs fruits. Depuis que l’Acte unique européen de 1986 a conféré au Secrétariat du Conseil les objectifs et le personnel de la PESC, le processus intergouvernemental d’élaboration d’une politique étrangère et de sécurité revêt une nouvelle dimension. Si la mise en œuvre de cette initiative incombe surtout aux capitales nationales, un important travail de 74 Avant la réunion du CAG le 2 septembre à Evian, Chris Patten diffusa un document à ses collègues de la Commission déplorant l’inadéquation entre les ambitions de la PESC de l’UE et ses ressources. Il y caricaturait le rôle de la Commission : « celui d’une cuisinière à laquelle on demande de préparer des repas de plus en plus copieux dans une cuisine exiguë et avec une très petite quantité d’ingrédients » – cité dans The Economist, 2 septembre 2000, p. 35. 38 L’intégration européenne et la défense : l’ultime défi ? coordination a été entrepris à Bruxelles, par l’intermédiaire du Coreper et du Secrétariat du Conseil. Avec la création de nouveaux comités de la PECSD, il est probable que le mécanisme intergouvernemental de Bruxelles s’intensifie. En ce qui concerne l’élaboration de la politique, un nouvel équilibre devra être trouvé à terme entre les capitales et leurs représentants permanents basés à Bruxelles. Il n’est pas surprenant que, dans cette logique intergouvernementale, le rôle principal soit attribué au Conseil Affaires générales, où les préoccupations spécifiques et l’initiative politique des capitales demeurent essentiels. A l’heure actuelle toutefois, commençant à se connaître et à « socialiser », les quatre groupes de représentants permanents (Coreper, COPSi, Unité politique, EM) auront vraisemblablement de plus en plus tendance à développer une éthique collective propre et à générer des perspectives trans-européennes sur la PESC et la PECSD75 . Cette convergence ne créera pas automatiquement des tensions avec les capitales, mais permettra presque à coup sûr de relativiser les rôles respectifs des ministères des affaires étrangères. La France, en particulier, y est très sensible et le chef de sa diplomatie Hubert Védrine ne laisse passer aucune occasion de souligner que ce qui a été élaboré est une politique étrangère et de défense commune, pas une politique unique 76 . Simultanément, la mise en œuvre de la PESC, surtout depuis la crise du Kosovo, a été assumée par la Commission. Nous assistons déjà à une version nouvelle et assez différente de la vieille bataille entre l’intergouvernementalisme et le supranationalisme. Avec la profusion des organismes intergouvernementaux à Bruxelles, le moment est-il venu de parler d’« intergouvernementalisme supranational » ? Considérant, comme cela semble probable, qu’à partir de janvier 2001, le HR-PESC assurera la présidence du COPS, la position du Coreper pourrait être mise en cause. Puisque, comme chacun le sait, on ne peut pas mettre la politique étrangère d’un côté et la politique de sécurité et de défense de l’autre, quelle est la valeur ajoutée du Coreper par rapport au COPS ? La réponse réside probablement dans les activités de « relations extérieures » entreprises dans le cadre du premier et du troisième piliers. Mais donner au Coreper 75 76 Cela dépendra surtout du rythme de rotation de ces représentants. Au sujet de la bataille entre les capitales nationales et les organismes de Bruxelles, Gilles Andréani, « Why Institutions Matter », Survival, vol. 42, n. 42, été 2000, pp. 81-95. Hubert Védrine et Dominique Moïsi, op. cit. dans note 68, pp. 105-109 ; voir également entretien avec Hubert Védrine dans Les Echos, 5 juillet 2000, p. 8 : « Il n’est pas question d’une harmonisation politique par le bas ». Où en est la PECSD ? 39 l’autorité suprême sur les questions du deuxième pilier à cause de ses fonctions dans les deux autres (à plus forte raison lorsqu’une toute nouvelle institution vient d’être créée spécifiquement pour s’occuper des questions relevant du deuxième pilier) n’est guère logique. La bataille interne au sein de l’intergouvernementalisme doit être résolue. Une solution pourrait être de dissoudre le Coreper et le Comité politique tels qu’ils existent actuellement et de les reconstituer, parallèlement au COPS, sous la forme d’un COPEC (Comité de Politique étrangère et de Sécurité) présidé par le HR-PESC, dont le rôle deviendrait ensuite très important. D’autres aspects – plus techniques – de politique étrangère pourraient ensuite être délégués à un Conseil Affaires générales d’un type différent, chargé de traiter les aspects techniques et administratifs plutôt que d’élaborer des politiques. Ces réunions, au lieu d’être préparées par le Coreper, pourraient l’être par les « sherpas » du Secrétariat du Conseil et être ouvertes aux fonctionnaires de la Commission. Quant au HR-PESC, au lieu de prendre un nouveau poste spécifique de Commissaire, comme certains l’ont suggéré 77 (la frontière entre l’intergouvernementalisme et le supranationalisme serait ainsi définitivement supprimée), il serait reconnu comme un interlocuteur privilégié du président de la Commission, avec lequel il se réunirait chaque semaine. A ces réunions participeraient également le Représentant de la présidence et le Commissaire aux Affaires extérieures. Leur ordre du jour comprendrait toutes les questions d’actualité dans le domaine de la politique étrangère et de sécurité. Cela contribuerait également à limiter le clivage entre la Commission, qui fait de plus en plus tout le travail de la PESC, et le Conseil, qui prend toutes les décisions. Sauf remise à plat des institutions de l’UE (qui n’est pas au programme), il y a très peu de chances de voir la PESC ou la PECSD entrer dans le premier pilier ou retourner vers le supranationalisme. Il est donc urgent de parvenir à un arrangement rationnel entre les différentes agences. 77 Début octobre 2000, Romano Prodi proposa même, dans un discours devant le Parlement européen, que le poste de HR-PESC soit transféré à la Commission ; Peter Norman, « Prodi reopens old wounds », Financial Times, 4 octobre 2000. 40 L’intégration européenne et la défense : l’ultime défi ? II.2 Capacité militaire : le headline goal d’Helsinki Outre le lancement de la PECSD, le Conseil européen d’Helsinki des 10 et 11 décembre 1999 a également défini un headline goal militaire comprenant la création d’une force armée européenne capable de mener des opérations d’une certaine ampleur dans le domaine du maintien de la paix, de la gestion des crises et humanitaire. Résoudre les insuffisances de l’Europe au regard de sa capacité militaire est largement considéré, en Europe et aux EtatsUnis, comme la priorité des Européens. Comme l’a indiqué un éminent spécialiste : « Tant que cet écart persistera avec les Etats-Unis en ce qui concerne les capacités, l’initiative de l’Europe en matière de défense restera avant tout un exercice de style » 78 . Les principales suggestions faites à Helsinki furent les suivantes : • création, d’ici 2003, d’une force militaire (quinze brigades ou 50 000 à 60 000 soldats) capable d’effectuer un déploiement rapide dans un délai de soixante jours et pouvant rester en place pendant au moins une année ; • cette force doit être capable d’entreprendre l’ensemble des missions de Petersberg et d’être autonome sur le plan militaire avec les capacités de commandement, de contrôle et de renseignement, le soutien logistique, les autres services de soutien au combat et, le cas échéant les éléments aériens et navals nécessaires ; • il faudra pour cela pouvoir déployer une force totale d’environ 200 000 soldats professionnels et très expérimentés ; • ces capacités doivent permettre à l’UE de conduire des opérations militaires efficaces, qu’elle ait ou non recours aux moyens de l’OTAN, et de contribuer intégralement aux opérations dirigées par l’OTAN 79 . Où cela nous mène-t-il en termes de capacité militaire ? A l’été 2000, pas moins de quatre organismes distincts évaluaient (ou venaient d’évaluer) les besoins européens selon les scénarios possibles. • L’inventaire des moyens et capacités disponibles pour des missions européennes de gestion de crise fut mis au point par l’UEO en 78 79 Philip H. Gordon, op. cit. dans note 1, p. 16. Pour une analyse approfondie des incidences détaillées du headline goal, voir François Heisbourg, op. cit. dans note 10, « Chapitre Six : Les critères de rendement », fondé sur une contribution de Rob de Wijk et Maartje Rutten, pp. 86-96. Où en est la PECSD ? 41 novembre 1998 et reporté à novembre 1999 80 . Bien que ce rapport fût antérieur aux décisions d’Helsinki sur le headline goal, ses recommandations anticipaient à de multiples égards certaines questions soulevées lors de l’élaboration de cet objectif. • L’initiative sur les capacités de défense (DCI) de l’OTAN, lancée en avril 1999 au sommet de Washington, cherchait à identifier la capacité globale actuelle de l’OTAN, les besoins et les lacunes (surtout du côté européen) et les mesures permettant d’y remédier. Elle portait sur 58 domaines des capacités militaires, notamment sur l’interopérabilité entre les Etats-Unis et l’Europe et entre Européens. Ces travaux étaient également reliés au projet « Objectifs de force de l’OTAN 2000 ». L’équipe travaillant à l’OTAN sur la DCI a cherché à coordonner ce travail avec celui de l’UE sur le headline goal d’Helsinki. • Le groupe de travail sur le headline goal (GTHG) de l’organe militaire intérimaire a appliqué les méthodes préconisées dans le document francobritannique de février 2000 intitulé « Elaboration de l’objectif global : matière à réflexion ». Ce document prévoyait un processus en six étapes, partant du contexte stratégique global en passant par les principes de planification et les scénarios d’identification de tout l’éventail des besoins liés au headline goal. • Le groupe de travail ad hoc UE-OTAN sur les capacités collectives (qui a commencé ses travaux le 28 juillet 2000) avait pour objectif de coordonner les travaux de la DCI avec ceux du GTHG. Toutefois, à l’heure où nous écrivons ces lignes, nous ne connaissons pas exactement la valeur ajoutée que ce groupe pourrait apporter en plus de celle, implicite, des organisations existantes et du fil directeur qu’il offre aux discussions que l’OTAN et l’UE doivent avoir sur tout un éventail de questions. Aucune tentative n’a été faite de combiner ces trois groupes en un seul comité sur la planification militaire, et cela souligne bien la situation quelque peu chaotique due à la multiplication des institutions qu’implique l’extension des intérêts et des objectifs de l’UE dans le domaine de la sécurité. Bien entendu, le headline goal d’Helsinki a été élaboré en bonne 80 Conseil des ministres de l’UEO, Inventaire des moyens et capacités disponibles pour des missions européennes de gestion de crise. Recommandations visant à renforcer les capacités européennes pour des opérations de gestion de crise, Luxembourg, 23 novembre 1999. 42 L’intégration européenne et la défense : l’ultime défi ? intelligence avec l’OTAN. Les objectifs nationaux devront être soigneusement coordonnés avec l’OTAN pour éviter l’apparition d’anomalies absurdes, mais faciles à imaginer81 . Il faudra garantir que les deux comités militaires (celui de l’OTAN et celui de l’UE) élaborent des mécanismes de coordination appropriés, par exemple en fixant d’emblée la représentation aux réunions de chacun des deux comités ou grâce à des réunions bilatérales régulières de leurs présidents respectifs. Rien ne sert de réinventer la roue, mais, pour ce qui est de concrétiser le headline goal d’Helsinki, les experts ont estimé, à la fin de l’été 2000, que les chiffres définitifs seraient plus ou moins les suivants. • Armée : de 200 000 à 230 000 soldats (1/3 pour le soutien logistique, 1/3 pour le combat et 1/3 pour le soutien au combat), soit quinze brigades de service d’active, quinze en entraînement et quinze au repos ; • Force aérienne : 300 à 350 avions comprenant huit ou neuf escadres, complétées par 180 avions de soutien ; • Marine : trois ou quatre groupes opérationnels comprenant environ vingt frégates chacun (ou, pour les pays dotés de porte-avions, un groupe aérien basé sur une plate-forme et environ quinze frégates de soutien). L’un des problèmes de la marine est que l’équivalent maritime des « missions de Petersberg les plus exigeantes » n’est pas encore défini 82 . Cet objectif n’est, en fait, pas difficile à atteindre. Selon David Yost, les chiffres bruts sont extrêmement proches de ceux annoncés par le président Chirac en février 1996 pour une force déployable et maintenue dans la durée en ce qui concerne la France seulement 83 . D’après les estimations de François Heisbourg, d’ici 2002, lorsque les réformes françaises de 1996 seront totalement appliquées et que le réexamen britannique de la défense aura déjà donné des résultats concrets, le Royaume-Uni et la France 81 82 83 Il serait ridicule (mais certainement ambitieux en l’absence d’une véritable coordination) que l’UE charge l’Espagne, par exemple, de déployer 20 avions de transport stratégique, et que l’OTAN demande la même chose à l’Italie. François Heisbourg, op. cit. dans note 10, « Chapitre Six : Les critères de rendement », fondé sur une contribution de Rob de Wijk et Maartje Rutten, pp. 86-90. Ces chiffres furent affinés et confirmés lors de la réunion des ministres de la défense de l’UE le 22 septembre 2000 à Ecouen, en France. David S. Yost, « The US-European Capabilities Gap and the European Union’s Defense Dimension », document présenté à la conférence sur The Transformation of NATO and the Question of European Unity, University of Washington, Seattle, mai 2000, p. 24. Où en est la PECSD ? 43 devraient à eux seuls être capables de projeter presque 100 000 soldats professionnels 84 . Maintenant qu’il a été officiellement annoncé que l’Allemagne cherche à se doter de deux divisions complètes pour le combat et sera en mesure de fournir 20 000 soldats sur le nombre total de 50 000 à 60 000 que l’UE veut avoir à sa disposition en vertu du headline goal 85 , il devient clair que « les Etats membres de l’UE sont quasiment certains de parvenir avec succès à leur objectif » 86 . Les étapes suivantes du processus décisionnel qui a conduit à la définition du headline goal sont imputables au ministre français de la Défense Alain Richard, la France assurant alors la présidence. Le 1er juillet 2000, un séminaire eut lieu à Paris avec les directeurs politiques, les chefs d’état-major, les directeurs nationaux des armements et d’autres responsables des quinze pays de l’UE. Le 22 septembre, les quinze ministres de la Défense se réunirent à Paris pour examiner la liste potentielle des forces nécessaires pour la force d’intervention rapide envisagée. Un Conseil ministériel de l’UEO sera organisé le 13 novembre à Marseille. Les 20 et 21 novembre, la « Conférence de génération de forces » comprendra les Etats membres annonçant leur contribution respective au headline goal. Les 7 et 8 décembre, le Conseil européen de Nice fera la synthèse de toutes ces conclusions et prendra les mesures d’application nécessaires. Les difficultés risquent de commencer lorsque l’UE devra répondre à la question : et après ? Comment, et surtout dans quelle mesure, l’UE souhaitet-elle combler l’écart qui ne cesse de se creuser en matière de capacités entre l’Europe et les Etats-Unis ? Cette problématique fera l’objet du Chapitre Trois. II.3 La question des ressources Reste la grande – et épineuse – question des ressources, qui suscite des prises de position très diverses. Pour certains, si l’UE ne trouve pas des crédits substantiels (en ne se contentant pas de chercher de l’argent dans d’autres chapitres du budget de défense), elle n’a aucune chance de jouer un 84 85 86 François Heisbourg, « Emerging European Power Projection Capabilities », document pour le séminaire conjoint RAND/GCSP sur « NATO’s New Strategic Concept and Peripheral Contingencies: The Middle East », Genève, 15-16 juillet 1999, pp. 6-7. Atlantic News, n. 3213, 21 juin 2000, p. 3. David Yost, op. cit. dans note 83, p. 22. 44 L’intégration européenne et la défense : l’ultime défi ? rôle de défense à la mesure de sa force économique et de ses ambitions politiques 87 . Pour d’autres, en revanche, les membres de l’UE dépensent déjà 60% de ce que les Etats-Unis consacrent à leur défense (165 milliards de dollars contre 285 milliards), mais aspirent à ne jouer qu’un rôle de sécurité régionale, alors que les Etats-Unis ont des responsabilités mondiales. Dans cette optique plus optimiste, les synergies, la rationalisation, la restructuration et les économies d’échelle devraient suffire à donner à l’UE les forces dont elle aura besoin sans devoir pour autant accroître ses budgets de défense 88 . Cette question a été examinée de manière plus détaillée – et avec plus de compétence – dans d’autres Cahiers de Chaillot publiés récemment 89 , et l’auteur n’est pas en mesure d’offrir un jugement plus nuancé sur un dossier aussi technique et d’une telle complexité. Néanmoins, les faits parlent d’eux-mêmes (voir tableau ciaprès : Dépenses de l’OTAN en matière de défense). Il semble pour le moins improbable que l’UE puisse concrétiser les objectifs qu’elle s’est fixé avec des budgets de défense qui ne cessent de diminuer – non seulement en termes de pouvoir d’achat mais aussi en valeur absolue. La question des ressources risque donc fort de devenir la variable la plus importante permettant de tester le sérieux de l’objectif des Quinze de l’UE en ce qui concerne la capacité militaire. 87 88 89 S’adressant à la Conférence des commandants de la Bundeswehr à Hamburg le 1er décembre 1999, le Secrétaire américain à la Défense, William S. Cohen, réclama – avec beaucoup de diplomatie – un accroissement des budgets de défense en Europe (surtout en Allemagne). Lors de la Conférence de la Wehrkunde de Munich en février 2000, il durcit le ton en demandant où se trouvaient les ressources permettant de mettre la rhétorique en pratique (cité dans Sloan, op. cit. dans note 1, p. 45). Peter Rodman, directeur des National Security Programs au Nixon Centre, dispensa lui aussi quelques compliments : « les Européens sont si réticents à accroître leurs dépenses de défense […] qu’une véritable capacité européenne d’action militaire indépendante peut ne pas exister avant des décennies. […] On peut donc dire que ce qui va sauver la nouvelle entreprise européenne sera son absence de résultat », Peter W. Rodman, « European Common Foreign, Security and Defense Policies: Implications for the United States and the Atlantic Alliance », Testimony before the House International Relations Committee, 10 novembre 1999, p. 2. François Heisbourg, « Dans le contexte de l’après-guerre froide, 60 pour cent devraient être plus que suffisants pour faire face aux situations imprévues qui se présentent à l’intérieur de l’Europe et à sa périphérie. Après tout, il s’agit là du cinquième des dépenses militaires mondiales ! », « La défense européenne fait un bond en avant », Revue de l’OTAN, printemps/été 2000, p. 9. Stanley Sloan, op. cit. dans note 1 ; François Heisbourg, op. cit. dans note 10. Où en est la PECSD ? 45 Dépenses de l’OTAN en matière de défense Budgets de défense et dépenses d’acquisition des membres d’Europe occidentale de l’OTAN et des Etats-Unis, 1995-99 (en dollars constants pour 1997) Millions de dollars Europe occidentale Allemagne Belgique Danemark Espagne France Grèce Italie Luxembourg Norvège Pays-Bas Portugal R.-U. Sous-total Etats-Unis Total Millions de dollars Europe occidentale Allemagne Belgique Danemark Espagne France Grèce Italie Luxembourg Norvège Pays-Bas Portugal R.-U. Sous-total Etats-Unis Total 1995 34.625 3.534 3.250 7.243 42.240 3.473 16.619 128 3.901 8.775 1.869 35.725 161.382 274.624 436.006 1995 3.969 293 406 998 7.952 1.022 1.642 3 826 1.338 140 7.334 25.923 46.251 72.174 1996 Budget de défense 1997 32.745 3.186 3.099 7.014 37.861 3.598 20.680 124 3.820 8.249 1.755 34.196 156.327 271.739 428.066 1996 3.705 217 384 1.243 7.588 1.146 2.026 7 839 1.578 263 8.189 27.185 43.332 70.517 26.641 2.806 2.726 5.942 32.711 3.648 18.237 109 3.597 6.992 1.698 35.736 140.843 257.975 398.818 Acquisitions 1997 2.956 192 339 1.012 6.465 1.146 2.100 6 906 1.324 352 8.466 25.264 42.930 68.194 1998 26.002 2.723 2.652 5.888 30.703 3.867 17.495 105 3.099 6.869 1.554 36.111 137.068 253.423 390.491 1998 3.455 203 351 781 5.620 1.287 2.394 5 773 1.581 365 9.354 26.169 43.887 70.056 1999 23.790 2.588 2.395 5.464 28.353 3.675 15.609 98 3.070 6.797 1.564 33.254 126.657 252.379 379.036 1999 3.715 183 322 744 5.242 1.273 1.905 5 691 1.380 400 8.263 24.123 47.052 71.175 46 L’intégration européenne et la défense : l’ultime défi ? L’effet net de l’énergie récemment déployée par l’UE pour établir de nouvelles structures institutionnelles, des groupes de travail permanents ou ad hoc et des objectifs de force a été de donner l’impression qu’un grand bond en avant avait eu lieu depuis Saint-Malo – et surtout depuis Cologne et Helsinki. Mais la critique faite à certains aspects de la PECSD – surtout aux Etats-Unis – est que, indépendamment du rôle et de l’efficacité des nouvelles institutions, cette nouvelle dynamique concerne surtout la construction institutionnelle, assimilée, sous un angle ici négatif, à l’« intégration européenne ». Alors que, dans cette optique, l’organisation sérieuse d’une capacité militaire européenne piétine 90 . La réponse des Européens à cet argument est que les institutions sont importantes puisque c’est d’elles qu’émergera une culture européenne de sécurité capitale – bien qu’inexistante pour l’instant. Cette culture, créée par le contact quotidien et le travail collectif, dans la même ville, des acteurs et des décideurs en matière de sécurité des quinze Etats membres, est un ingrédient vital non seulement pour le processus de prise de décision, mais aussi pour garantir que la mise en œuvre se fera comme prévu91 . A un certain point, cet aspect fait partie d’un débat difficile mais inévitable sur la finalité ou l’objectif ultime du projet de PECSD, sur lequel nous reviendrons. Pour nombre de commentateurs et d’acteurs, en Europe et ailleurs, qui estiment qu’une PECSD crédible exige la capacité institutionnelle de prendre des décisions, les événements qui ont suivi Saint-Malo sont une preuve encourageante de ce qui est possible entre quinze Etats souverains si les enjeux sont considérés comme suffisamment élevés et si la volonté politique existe de réussir. Mais, derrière l’activité apparente, certaines questions cruciales demeurent sans réponse. Alors qu’il existe une « véritable dynamique à Quinze » 92 , il peut également y avoir une absence de consensus sur l’essentiel, notamment la relation entre l’UE et l’OTAN/Etats-Unis. Le moment est venu d’examiner certaines de ces questions et de se demander 90 91 92 Exposé d’Alexander Vershbow lors du Forum transatlantique de l’IES-UEO à Paris le 18 mai 2000, voir note 60 ; Philip Gordon (article cité dans note 1) considère également que les « Européens doivent accorder une plus grande priorité à […] leurs capacités militaires qu’à la création de nouvelles structures institutionnelles », ibid, p. 15. A ce sujet, voir Gilles Andréani, « Why Institutions Matter », Survival, vol. 42, n. 2, été 2000, pp. 81-95. Nicole Gnesotto, « PESC et défense : comment ça marche ? », Bulletin n. 30, Institut d’Etudes de Sécurité de l’UEO, juillet 2000, p. 1. Où en est la PECSD ? 47 comment les quinze Etats membres se positionnent par rapport aux différents arguments. III.4 Les points de vue nationaux et les chances d’une PESD « à Quinze » Comment ces désaccords s’articulent-ils entre les quinze Etats membres ? Des camps sont-ils apparus et les positions se sont-elles organisées autour d’une ou plusieurs dichotomies définissables ? Ou encore différentes coalitions se forment-elles, pour des raisons politiques et culturelles complexes, autour de questions distinctes ? Il existe ici deux pommes de discorde qui peuvent occasionnellement produire des alliances surprenantes. La première est la divergence fondamentale traditionnelle entre la France et le Royaume-Uni, principaux représentants (jusqu’à récemment) de deux camps antagoniques : atlantistes et européanistes. La deuxième, le désaccord entre les pays de l’Alliance (y compris la France) et les anciens neutres, souvent appelés « post-neutres » 93 ou « Etats non alliés » 94 . S’agissant très brièvement de ce deuxième clivage, il était clair au milieu de 2000 que la division au sein de l’UE entre « neutres et alliés » n’était plus aussi forte que naguère. L’Autriche, qui souhaitait jouer un rôle croissant dans les opérations européennes de maintien de la paix, envisageait sérieusement de présenter sa candidature à l’OTAN – surtout parce que, grâce à son expérience du Partenariat pour la Paix (PpP), Vienne avait fini par réaliser que la cohérence de la PECSD avec l’OTAN exigeait des pays participants qu’ils jouent un rôle actif dans les deux95 . En 2000, 93 94 95 Gustav Gustenau, « Towards a common European policy on security and defence: an Austrian view of challenges for the ‘post-neutrals’ », Publications occasionnelles, Institut d’Etudes de Sécurité de l’UEO, Paris, octobre 1999. Voir François Heisbourg, op. cit. dans note 10, « Chapitre Deux : Ambitions stratégiques et contexte politique », fondé sur la contribution de Tomas Ries et Alvaro Vasconcelos, p. 15. François Heisbourg a récemment défini plusieurs groupes, allant des « extravertis » (Grande-Bretagne, France et, de plus en plus, Italie) aux « neutres », mais il considère que l’écart entre les deux extrémités du spectre diminue et que « le centre de gravité se déplace vers une acceptation de plus en plus grande du recours à la force militaire ». François Heisbourg, « Europe’s Strategic Ambitions: The Limits of Ambiguity », Survival, vol. 42, n. 2, été 2000, pp. 5-15. Gustav Gustenau, op. cit. dans note 93, pp. 16-17 ; entretiens de l’auteur au siège de l’OTAN, 30 juin 2000. 48 L’intégration européenne et la défense : l’ultime défi ? l’Irlande, pour des raisons analogues, rompant avec une tradition de « neutralité », rejoignit le PpP. Bien que sensibles à ce type de considération, la Finlande et la Suède, compte tenu de la situation géostratégique particulière de la première et de la culture sécuritaire profondément enracinée de la seconde, exclurent probablement d’envisager une adhésion à l’OTAN dans un avenir proche. Néanmoins, les fortes réserves exprimées dans un premier temps par les deux pays contre la PECSD (initialement formulées de crainte surtout que l’UE ne tente d’entreprendre des missions de défense collective selon les termes de l’article V de l’UEO) furent progressivement levées pendant l’année 2000. Au cours de la seconde moitié de 1999, la présidence finlandaise finit par transcender la spécificité de ce pays et le fit objectivement participer, en décembre 1999, aux décisions prises par sa capitale, Helsinki96 . La Suède était, quant à elle, beaucoup moins opposée au processus de la PECSD qu’au début de 1999 97 , même si ses inquiétudes au sujet de l’hégémonie américaine au sein de l’OTAN firent souvent d’elle un étrange compagnon de route pour la France lors de certaines discussions animées au COPSi et dans d’autres instances sur les relations euro-américaines, par exemple, et le rôle des experts de l’OTAN. En tout état de cause, la coopération de Stockholm pour le programme « Small Ships » du PpP montre que la Suède n’est pas non plus opposée, dans la pratique, à un rapprochement avec l’OTAN. Comme l’a conclu récemment une étude très sérieuse à ce sujet, « la Finlande et la Suède sont surtout influencées par le processus d’intégration, qui inclut désormais l’intégration des politiques de sécurité et de défense. […] Le non-alignement est actuellement mis en cause, voire vidé de son sens, à plusieurs égards. Les non-alignés pourraient devoir à un certain point accepter des opérations militaires sans mandat explicite des Nations unies, des missions de combat menées dans le cadre du rétablissement de la paix, une fusion de l’UEO et de l’UE et un rôle accru du Haut Représentant en ce qui concerne la politique étrangère de l’Union. 96 97 Le 6 juillet 2000, lors du colloque des Chaires Jean Monnet sur « La Conférence intergouvernementale 2000 et au-delà » tenu à Bruxelles, le professeur Esko Antola, de la Turku University (Finlande), commenta l’ironie du sort voulant que, la première fois que l’Europe pensait sérieusement à adopter une force militaire « musclée », il fallait que cette force porte le nom d’Helsinki, la capitale d’un pays qui avait toujours recherché des approches différentes du maintien de la paix et s’était toujours refusé à toute association avec le militarisme. Intervention de Gunilla Herolf (Swedish Institute of International Affairs, Stockholm) au colloque, « La Présidence Française de l’Union européenne », Paris, 23 juin 2000. Où en est la PECSD ? 49 Ils sont, en outre, impliqués dans le développement de forces armées plus compatibles » 98 . Dans ce contexte, la situation particulière du Danemark doit être mise en perspective. Ce pays a obtenu une dérogation vis-à-vis des décisions du Traité d’Amsterdam concernant la PESC/PECSD, qu’il a continué de faire valoir pendant les réunions du Conseil de l’UE à Helsinki et à Feira. En quelques mots, le Danemark n’est même pas favorable aux tentatives de l’UE de créer une capacité de défense autonome, laquelle devrait, à son avis, rester sous la seule compétence de l’OTAN. Les Danois pensent que l’UE devrait se concentrer sur les approches civiles du maintien de la paix et de la résolution des conflits et s’opposent (66% selon certains sondages) à ce que l’Europe se dote de sa propre capacité militaire 99 . Bref, la contribution des « non-alliés » ou « post-neutres » à la mise en œuvre de la PECSD s’attachera probablement moins à la dichotomie atlantiste/européaniste résiduelle qu’à l’équilibre général en matière de politique étrangère et de sécurité de l’UE entre les instruments militaires et non militaires. C’est une position qui trouve également un large écho en Allemagne et parmi les mouvements gauchisants et écologistes de la plupart des pays. Le Conseil de l’UE à Feira donna pour finir le feu vert au développement des aspects civils de la gestion des crises et du maintien de l’ordre 100 . L’une des principales distinctions entre les approches Etats-Unis/OTAN de la sécurité collective et les approches susceptibles d’être adoptées par la PECSD de l’UE est le rôle des instruments non militaires, civils et autres, dans l’action humanitaire, les opérations de secours, l’aide aux réfugiés et aux personnes déplacées, les opérations de paix, le maintien de la paix, la diplomatie préventive, la surveillance et toute sorte d’autres missions. C’est justement le type de missions que de nombreux petits Etats de l’UE et/ou anciens pays neutres 98 99 100 Hanna Ojanen, Participation and Influence: Finland, Sweden and the post-Amsterdam development of the CFSP, Occasional Papers n. 11, Institut d’Etudes de Sécurité de l’UEO, Paris, 2000, p. 25. Intervention du Professeur Eric Beukel, University of Southern Denmark (Odense) lors du colloque des Chaires Jean Monnet sur « La Conférence intergouvernementale 2000 et au-delà », tenu à Bruxelles (6 et 7 juillet 2000). Conseil européen de Santa Maria da Feira, Conclusions de la présidence, appendice 3 : « Etude des objectifs concrets des aspects civils de la gestion des crises » et appendice 4 : « Objectifs concrets relatifs à la police » . 50 L’intégration européenne et la défense : l’ultime défi ? sont parfaitement à même d’entreprendre101 . Ces activités suscitent toute l’attention du Commissaire aux relations extérieures Chris Patten, qui est déterminé à tirer le meilleur parti possible de ces instruments et, se faisant, à promouvoir l’engagement de la Commission dans l’élaboration de la PECSD102 . Chacun à leur manière, les anciens «neutres » ont donc donné une impulsion collective au débat global de l’UE sur la spécificité de la politique de sécurité, une dynamique civile considérée avec une certaine bienveillance dans les quinze Etats membres. Tout en parrainant conjointement le processus de Saint-Malo, la GrandeBretagne et la France ont continué d’incarner l’antagonisme atlantisme/européanisme qui a toujours caractérisé leurs relations de sécurité, même si le fossé a été en partie comblé, en 1999-2000, par l’avancée significative de la France en direction de l’OTAN et par celle du Royaume-Uni vers l’Europe. Les autres pays se situaient quelque part entre ces deux positions. Les partenaires les plus atlantistes de la GrandeBretagne étaient les Pays-Bas (qui, très réticents, ne commencèrent à accepter en partie la logique européenne de l’initiative Blair que sous la pression britannique), le Portugal et le Danemark, lequel était, comme nous l’avons vu, motivé davantage par la crainte d’une intégration de la défense européenne que par une attirance particulière pour l’OTAN. L’Italie était également un appui possible pour la position atlantiste mais elle le fit discrètement et sans grand enthousiasme. Grosso modo, ce groupe de pays acceptait la nécessité d’une PECSD comme prix à payer pour garantir la survie de l’Alliance atlantique. La leçon qu’ils semblaient avoir tirée des événements de la première moitié du XXème siècle était que les Etats-Unis devaient continuer d’être étroitement associés aux structures européennes de sécurité. Si le Royaume-Uni avait été convaincu que l’avenir de l’OTAN dans l’après-guerre froide était garanti, le processus de Saint-Malo n’aurait peut-être jamais eu lieu. D’une manière générale, les considérations visant à garantir les intérêts de l’OTAN (jugés cohérents avec les intérêts de l’ensemble de la sécurité européenne) eurent plus d’importance dans la pensée atlantiste que celles sur l’intégration européenne de défense en soi. Certains pensent toutefois que le Royaume-Uni de Tony Blair a manifesté, à 101 102 Voir, à ce sujet, Hans Gärtner, « European Security: a small state perspective », dans Simon Duke (dir.), Between Vision and Reality: CFSP’s Progress on the Path to Maturity, EIPA, Maastricht, 2000, pp. 91-115. Chris Patten, « A European Foreign Policy: Ambition and Reality », conférence à l’IFRI (15 juin 2000) et au RIIA (16 juin 2000). Où en est la PECSD ? 51 l’aube du deuxième millénaire, plus d’enthousiasme à l’égard des dimensions strictement européennes de la défense et de la sécurité que certains « petits » pays atlantistes, que l’idée de renoncer au leadership américain pour une direction française, allemande ou britannique a toujours rebutés. A l’opposé, la France était convaincue depuis cinquante ans que le principal enseignement des deux guerres mondiales et de la guerre froide était que l’Europe ne devait pas continuer de dépendre de l’allié américain pour sa sécurité et qu’elle devait se doter de ses propres structures dans ce domaine. Cette prise d’autonomie devait néanmoins se faire en étroite coordination avec l’OTAN et Washington qui, même sans être autorisés à mener vraiment la barque, demeuraient des alliés indispensables aux yeux des Français. Dans une certaine mesure, ces deux positions étaient, en 2000, une sorte de retour en arrière au sens où : a) la défense collective (article 5) n’était considérée comme prioritaire sur aucun agenda politique ; b) la sécurité collective (Petersberg) était une question prioritaire de l’UE ; c) les Etats-Unis avaient encouragé les Européens à développer leur propre capacité ; et d) l’UEO était universellement reconnue comme une instance d’une utilité fort limitée à cet égard. Quoi qu’il en soit, la Grande-Bretagne et la France avaient encore tendance à juger la plupart des questions en fonction de leurs liens respectifs avec une approche plutôt atlantiste ou plutôt européaniste. Ainsi, pendant les discussions délicates tenues par les planificateurs de sécurité et les responsables politiques tout au long de l’année 2000 sur le dialogue institutionnel UE-OTAN, la participation à la PECSD des alliés de l’OTAN non membres de UE, la définition de scénarios de crise réalistes, les arrangements « Berlin plus », le recours aux experts de l’OTAN et les procédures de planification, les deux co-sponsors de la déclaration de Saint-Malo s’opposèrent plus d’une fois sur des aspects majeurs de la mise en œuvre103 . Au cours de ces échanges de vue, la France, convaincue que les Etats membres de l’UE devaient être prêts à agir de manière autonome – intellectuellement et concrètement – afin de forger une PECSD véritablement européenne (au lieu de s’en remettre systématiquement aux experts et aux moyens de l’OTAN), fut poliment et attentivement écoutée par ses quatorze partenaires, certaines nations comme la Suède et, parfois, la Belgique lui offrant même un soutien mesuré. Mais, 103 Jolyon Howorth, « Britain, France and the European Defence Initiative », Survival, vol. 42, n. 2, été 2000, pp. 33-55. 52 L’intégration européenne et la défense : l’ultime défi ? pour finir, lorsqu’il fallut prendre une décision pour faire avancer les choses, le Royaume-Uni, resté fidèle à ses principes atlantistes, fut suivi par les treize autres partenaires, et Paris se retrouva isolé. A ce stade, parce que la France avait, depuis si longtemps, appelé la PECSD de ses vœux, le délégué français acceptait généralement des « compromis » remarquablement proches de la position britannique. Il faut ajouter toutefois que les Français se satisfaisaient habituellement de ce compromis, qui était toujours très voisin de ce qu’ils avaient souhaité obtenir au départ. La France se contentait, en outre, de ce modus vivendi car elle privilégiait l’objectif stratégique à long terme plutôt que des résultats concrets à court terme. A l’inverse, la plupart des Etats membres de l’UE s’attachèrent, pendant la seconde moitié de 2000, aux objectifs spécifiques (institutionnels et militaires) fixés à Cologne et à Helsinki. Se limitant à co-sponsoriser les projets immédiats (mise en œuvre du headline goal d’ici 2003), la France avait des aspirations beaucoup plus ambitieuses concernant l’amélioration des capacités sur le long terme. Le « plan d’action » suggéré par le président Chirac en juillet 1999 exigeait toute une série d’améliorations, notamment une chaîne de commandement intégralement européenne, la multinationalisation de l’état-major conjoint permanent français et britannique existant, un service de renseignement autonome, la projection de puissance ainsi que des capacités C4I, et l’établissement d’une base technologique et industrielle de l’armement 104 . Il est intéressant de comparer les deux documents publiés par les ministères français et britannique de la défense sur les « leçons du Kosovo » 105 . Là où les Britanniques s’intéressent surtout au renforcement des moyens existants, les Français insistent systématiquement sur la nécessité de faire un effort spécifique partout où l’écart est trop grand entre l’Europe et les Etats-Unis. Pour le Royaume-Uni, si cette approche plus ambitieuse est réellement ce dont l’UE a besoin, elle 104 105 Présidence de la République, Plan d’action sur la défense européenne, juillet 1999. Voir également les remarques du ministre de la Défense Alain Richard à l’université de Georgetown, 23 février 2000. Ministère français de la Défense, Premiers enseignements des opérations au Kosovo, séminaire du 21 juin 1999 (également disponible en vidéo) ; Lessons from Kosovo: Analyses and References, novembre 1999. Kosovo : Lessons from the Crisis, Cm 4724, HMSO (Her Majesty’s Stationery Office), Londres, juin 2000. Il est significatif de constater que le texte français est beaucoup plus proche de l’éventuel équivalent américain (ministère de la Défense, Report to Congress. Kosovo/Operation Allied Force. After Action Report, 31 janvier 2000) en ce qui concerne le détail des armes très sophistiquées et l’enseignement à tirer du secteur de l’acquisition. Où en est la PECSD ? 53 doit être négociée dans le cadre d’un dialogue structuré avec les Etats-Unis. Son scénario préféré est celui dans lequel l’UE jouerait le rôle de « consommateur intelligent des ressources militaires de l’OTAN » 106 . C’est un concept qui a étonné de nombreux Français s’occupant de la sécurité car il implique que l’OTAN est une organisation « neutre ». Vu de Paris, il est également surprenant que les Britanniques n’aient pas été plus sensibles aux arguments français selon lesquels il est impossible de considérer l’OTAN comme une organisation neutre 107 . Assurant la présidence de l’UE, la France avait l’occasion toute trouvée de soulever la question des « moyens stratégiques » (surtout C4I, renseignement, transport stratégique, planification) et de promouvoir cet objectif à long terme au tout début du processus de planification108 . Sur ce point, la France pourrait raisonnablement compter sur l’appui politique de certains autres Etats membres de l’UE, même si aucun d’entre eux n’est disposé à ce stade à s’attaquer aux incidences budgétaires ou aux conséquences pratiques d’une telle ambition stratégique. L’Allemagne est essentielle pour l’élaboration de la PECSD. Elle est dotée d’une armée professionnelle de 116 000 soldats, la force terrestre européenne la plus importante de l’OTAN, occupe une position géostratégique clé sur le continent, arrive, avec un budget de défense de 24 milliards de dollars, en septième position mondiale et joue à tous les égards un rôle crucial pour la réussite du projet. Elle a procédé récemment à trois réexamens de la défense, avec des recommandations quelque peu contrastées mais grosso modo compatibles 109 . Malgré un budget de défense qui continuait de décroître en 2000, l’Allemagne a clairement affirmé que l’Europe devait pouvoir déployer tout l’éventail des moyens stratégiques dont ne disposent actuellement que les Etats-Unis 110 . En particulier, les trois réexamens 106 107 108 109 110 Ministère britannique de la Défense, document à vocation politique : « European Defence and the European Defence and Security Identity ». Entretiens au ministère français de la Défense et au Quai d’Orsay, février à avril 2000. Le Général Jean Michel, chef de la Division Euro-Atlantique de l’état-major français, axa en partie sur cette approche sa présentation du headline goal au séminaire francobritannique de l’IFRI le 28 juin 2000. Les rapports Weizsäcker, Kirchbach et celui du ministre de la Défense Scharping sont analysés dans Klaus Becher, « Reforming German Defence », Survival, vol. 42/3, automne 2000, pp. 164-168. Document non publié présenté à la Commission politique de l’UE le 28 octobre 1999 ; au sommet franco-allemand de Mayence, les deux pays se sont finalement entendus sur le lancement maintes fois reporté du programme européen de satellites radars. Selon 54 L’intégration européenne et la défense : l’ultime défi ? effectués récemment exigent une augmentation des capacités allemandes en matière de transport stratégique, de renseignement et de C4. Les porteparole et les commentateurs allemands n’ont eu aucun problème à parler ouvertement de la nécessité d’une « armée européenne », un terme que, pour des raisons politiques, la plupart des chefs de gouvernement ont préféré ne pas utiliser. La principale tension au sein du débat allemand oppose ceux qui (Weizsäcker) estiment que ces structures de force devraient être largement professionnalisées et reconfigurées afin de répondre en priorité aux missions de Petersberg et ceux qui (Scharping) croient au maintien de la conscription et d’une capacité de défense collective. La position allemande sur la PECSD est indissociable de sa politique générale sur l’intégration européenne. Berlin voit cette politique d’un bon oeil dans la mesure où elle pourrait contribuer à créer une Europe plus intégrée, sinon fédérale111 . Toutes les recommandations concernant la restructuration des forces armées allemandes font état de l’habitude de travailler ensemble et soulignent le caractère incontournable d’une force européenne intégrée. Les leçons du Kosovo ont peut-être inquiété les responsables politiques allemands à propos de l’usage futur de la Luftwaffe au combat (notamment en l’absence d’un mandat explicite des Nations unies), et à nouveau fait pencher le débat interne en faveur de la prévention des conflits et de la gestion civile des crises ; mais l’Allemagne, tout en demeurant un allié fiable des Etats-Unis, continuera de faire pression pour l’intégration d’une capacité de défense européenne. Quoi qu’il en soit, la principale question demeure celle des ressources et, selon une récente analyse, « à moins que le budget de défense n’augmente de 10%, soit de 4 à 5 milliards de DM par an, les réformes annoncées ne pourront avoir lieu » 112 . Pour conclure, malgré le rôle capital du nouveau partenariat franco-britannique, « rien d’important ne sera réalisé » si Berlin n’y est pas associé 113 . 111 112 113 Hanns Maull, l’Allemagne fournira un solide appui politique aux progrès de l’intégration de sécurité et de défense même si sa contribution budgétaire est loin de répondre aux attentes : Hanns W. Maull, « Germany and the Use of Force: Still a ‘Civilian Power’ ? », Survival, vol. 42, n. 2, été 2000, pp. 56-80. Hanns W. Maull, ibid., p. 73. Klaus Becher, op. cit. dans note 110, p. 167. Philip H. Gordon, « Franco-German Security Cooperation in a Changing Context », document présenté à la conférence sur Franco-German Relations and European Integration: a Transatlantic Dialogue, American Institute for Contemporary German Studies, Washington, DC, 16 septembre 1999, p. 78. Où en est la PECSD ? 55 L’Espagne, membre de l’Eurocorps depuis 1994, elle aussi favorable à une capacité militaire européenne crédible, a rapidement opté pour la professionnalisation de ses forces armées, en plaçant néanmoins la priorité budgétaire sur l’équipement plutôt que sur le personnel. Ces deux ambitions, inscrites dans la même enveloppe budgétaire, n’étaient pas vraiment complémentaires, compte tenu du niveau particulièrement bas du budget de défense de l’Espagne (1,3% du PIB) par rapport aux autres pays de l’UE114 . La rhétorique était donc, comme en Allemagne, en complet décalage avec la réalité financière. Quant à l’Italie, traditionnellement méfiante à l’égard des initiatives françaises relatives à la défense, elle a toujours refusé de rejoindre l’Eurocorps. Alors qu’à la Farnesina, la tendance était plutôt pro-Europe, le ministère de la Défense, composé essentiellement de personnel militaire, n’avait d’yeux que pour l’OTAN. Géographiquement proche des deux principales zones de crise européennes – les Balkans et la Méditerranée –, l’Italie, aujourd’hui un contributeur majeur aux opérations de maintien de la paix, arrive en deuxième position derrière la France pour l’ensemble des Balkans. Après avoir, dans un premier temps, bouleversé le monde italien de la défense, l’initiative Blair, fut progressivement perçue comme un moyen par lequel Rome pourrait finalement concilier ses instincts sécuritaires atlantistes et ses aspirations politiques européennes. Surtout, l’Italie utilisa la PECSD comme un moyen de réformer l’armée, de restructurer, voire d’augmenter, le budget de défense et, en général, de promouvoir des changements qui auraient été autrement très difficiles sur le plan politique 115 . La Grèce est elle aussi passée (surtout depuis le Kosovo) d’une position initialement centrée sur l’OTAN à une attitude plus ouverte aux avantages de l’intégration européenne. Une évolution analogue peut-elle être décelée aux Pays-Bas, qui ont toujours eu l’approche atlantiste la plus cohérente et la plus ferme ? L’accord bilatéral conclu avec la France en matière de coopération navale a montré que La Haye se méfie moins désormais des initiatives venant de Paris 116 . En résumé, les différents débats sur la PECSD n’ont pas permis de 114 115 116 Ministre espagnol de la Défense, Eduardo Serra Rexach, « A Security Agenda for Europe and North America: a Spanish View », document présenté à la Conférence du RUSI, Londres, 8 mars 1999, p. 4. Antonio Missiroli, « Italy », dans R. Whitman et I. Manners (dir.), The Foreign Policies of the EU Member States, Manchester University Press, Manchester, 2000. Alfred van Staden, « The Netherlands », dans Jolyon Howorth and Anand Menon (dir.), The European Union and National Defence Policy, Routledge, London, 1997, pp. 87-104. 56 L’intégration européenne et la défense : l’ultime défi ? définir des « camps » précis. Chaque pays a adopté une position sur chaque problème particulier, combinant des intérêts nationaux réalistes ou rationnels, ses spécificités historiques et institutionnelles, les valeurs et normes culturelles liées à son histoire et à son tissu social. Il est impossible et, de toute façon, déplacé de tenter de mettre ces pays dans des « camps » – mis à part la dichotomie très simpliste entre européanistes et atlantistes définie par le couple franco-britannique. Aussi importantes soient les contributions des autres Etats membres de l’UE (notamment l’Allemagne), le sort de la PECSD au tournant du millénaire est surtout entre les mains des Britanniques et des Français. Comme nous l’avons vu, malgré Saint-Malo, ces deux pays continueront de représenter les deux points de vue les plus extrêmes. Le Royaume-Uni pense probablement que les aspirations françaises d’autonomie stratégique sur le long terme ne sont pas réalisables. La perspective en est, de toute façon, si éloignée que personne, à Whitehall, ne s’en inquiète outre mesure. Pour le Royaume-Uni, il importe que Paris accepte de coopérer dans l’immédiat pour mettre en œuvre les évolutions concrètes jugées cruciales à Londres pour l’Europe et l’Alliance Atlantique. L’approche britannique est surtout tactique et ne dépasse probablement pas le moyen terme. La France a habituellement une stratégie à plus long terme, qui, dans ce cas, cherche à entraîner le Royaume-Uni dans un processus dont il craint de ne pas pouvoir se dégager ultérieurement. Depuis Saint-Malo, les deux parties ont agi comme si elles étaient liées par un contrat de mariage en vertu duquel Londres acceptait de ne pas soulever la question de la réintégration de la France dans les structures militaires intégrées de l’OTAN et Paris de ne pas forcer le Royaume-Uni à choisir entre l’Europe et les Etats-Unis. Le temps seulement dira si ces positions, et leurs éventuelles implications pour les relations euro-américaines, seront compatibles. Pour l’instant, les deux parties ont décidé de se concentrer sur le court terme, sachant que les désaccords susceptibles d’apparaître ultérieurement peuvent être mis de côté dans l’intérêt d’un accord immédiat sur les questions fondamentales. Les différences d’emphase sur le court terme étaient surtout rhétoriques. La France était beaucoup plus disposée que le Royaume-Uni à parler positivement des impératifs de la PECSD et n’hésitait pas à évoquer les « doubles emplois nécessaires » des moyens militaires 117 . Dans la foulée de 117 Entretiens au ministère de la Défense et au Quai d’Orsay, 1999-2000. Où en est la PECSD ? 57 Saint-Malo, les officiels français considérèrent sans problème la PECSD comme faisant partie d’un processus devant conduire, un jour, à une véritable autonomie européenne au sens propre du terme 118 . De leur point de vue, l’objet de l’exercice n’est pas de diminuer l’influence américaine mais de rééquilibrer l’Alliance afin d’accroître sa force globale 119 . L’approche britannique fut, dans un premier temps, très différente. Le discours accompagnant Saint-Malo soulignait le refus de ce que Madeleine Albright avait appelé les « trois D » (inacceptables) : découplage, duplication et discrimination120 . L’optique changea après le Kosovo. A partir de la deuxième moitié de 1999, les déclarations de Whitehall se caractérisent par un ton plus constructif et l’ex-secrétaire britannique à la Défense George Robertson suggéra, en novembre 1999, de remplacer les « trois D » de Mme Albright par « trois I » plus positifs : indivisibilité de l’Alliance, capacités européennes améliorées (en anglais : improved), participation de tous les partenaires (en anglais : inclusiveness) 121 . Les hauts fonctionnaires britanniques parlèrent rarement de « rééquilibrage » de l’Alliance, mais insistèrent sur le fait que la PECSD devrait conduire à un «renforcement » de l’OTAN 122 . Au sommet franco-britannique de Londres du 25 novembre 1999, Tony Blair et Jacques Chirac s’écartèrent chacun de leur voie habituelle pour dire qu’ils affirmaient la même chose123 . La déclaration 118 119 120 121 122 123 Entretiens avec des hauts fonctionnaires du ministère de la Défense et du Quai d’Orsay, avril et mai 1999. Un exemple typique de ce point de vue, qui revient régulièrement dans tous les discours français, est le commentaire du ministre de la Défense Alain Richard lors du sommet franco-allemand du 30 novembre 1999, selon lequel l’émergence d’un véritable pilier européen de défense aidera l’Alliance à mieux s’adapter aux besoins des nouvelles missions – et à la rendre plus forte parce que plus équilibrée. Voir Craig R. Whitney, « French Say Arms Plan Finally Makes Europe a Player », New York Times, 12 décembre 1999. Madeleine K. Albright, « The right balance will secure NATO’s future », Financial Times, 7 décembre 1998. La « discrimination » fait référence au statut de « seconde classe » au sein des nouvelles structures institutionnelles de l’UE pour les membres de l’OTAN n’appartenant pas à l’UE. Lord Robertson, « L’OTAN au deuxième millénaire », Revue de l’OTAN, n. 4, 1999, p. 6. Chris Patten : « Une coopération accrue ne peut que renforcer la composante européenne de l’Alliance, elle ne l’affaiblit pas », cité dans Craig R. Whitney, « Americans Alarmed Over European Union’s Defense Plan », New York Times, 11 octobre 1999 ; George Robertson, « More Europe does not mean less United States, it means a stronger NATO », Reuters wire, 25 novembre 1999. Tony Blair : « Il ne s’agit […] en aucune manière de remplacer l’OTAN ou d’entrer en concurrence avec elle. […] Il s’agit d’accroître l’efficacité et les capacités militaires de 58 L’intégration européenne et la défense : l’ultime défi ? du sommet soulignait que les nouveaux plans contribueraient de façon directe et substantielle, à la vitalité d’une Alliance atlantique rénovée, par l’établissement d’un partenariat plus fort et plus équilibré 124 . La vision britannique précise de ce que devrait être à terme la force de l’UE n’est pas un sujet dont on parle ouvertement à Whitehall. Cette question sera pourtant déterminante pour la PECSD. Si l’autonomie doit avoir un sens, elle doit, semble-t-il, signifier la capacité pour l’UE d’envisager un choix politique entre conduire une mission sans recourir aux moyens de l’OTAN/Etats-Unis, et la mener en association avec les EtatsUnis et l’OTAN. Pour la France, ce choix devrait être surtout politique : indépendamment de sa capacité militaire, l’UE souhaite-t-elle traiter cette crise seule ou en association avec les Etats-Unis ? C’est une vraie question. A l’heure actuelle, toutefois, la problématique – et l’ambition – est seulement rhétorique : si une crise survient, la seule chose qui compte est de savoir quelles forces militaires sont disponibles pour y répondre – et il est peu probable, au moins pour les dix prochaines années, qu’elles soient purement européennes. Quoi qu’il en soit, la France n’est pas seule à penser qu’à terme (dix, quinze, vingt ans ?), l’Europe aura développé des capacités militaires suffisamment élaborées pour pouvoir fournir une réponse appropriée à, par exemple, une crise au Kosovo sans avoir recours aux moyens de l’OTAN ou des Etats-Unis 125 . A ce stade, le choix peut devenir politique au sens strict du terme : tout en étant capable de traiter une crise avec ses propres moyens militaires, l’UE pourrait décider, pour des raisons politiques, d’impliquer les Etats-Unis (dans la mesure où ceux-ci sont d’accord). Mais elle ne serait en mesure de prendre cette décision que si elle possède les moyens le lui permettant. Le Royaume-Uni serait-il prêt à soutenir de telles ambitions ? C’est une question que Londres élude soigneusement pour l’instant mais il lui faudra très prochainement se prononcer. Le jour viendra où les Britanniques ne pourront plus éviter de se 124 125 l’Europe de façon à renfocer et à compléter l’Alliance de l’OTAN». Jacques Chirac : « Les dispositions que nous avons prises n’ont absolument aucune conséquence négative, naturellement, sur l’OTAN. Je vais plus loin, elles renforcent l’OTAN en réalité. […] J’ajoute que la France n’a jamais eu l’intention de saper ou d’affaiblir l’OTAN ». Conférences de presse tenues après le sommet. Déclaration conjointe des gouvernements britannique et français, paragraphe 3. Le rapport « Strategy for Action » publié par la Bertelsmann Foundation envisage une évolution similaire : Venusberg Group, Enhancing the European Union as an International Actor, Bertelsmann Foundation, Gütersloh, 2000, 80 pages. Où en est la PECSD ? 59 prononcer sur le dilemme qu’ils ont toujours voulu éviter : choisir entre l’Europe et les Etats-Unis. Cette dichotomie est à la base de la plupart des difficultés rencontrées par les responsables politiques pour la formulation de la PECSD. II.5 Les obstacles sur la route de Feira… et de Nice… ? Les difficultés rencontrées pendant les six mois de la présidence portugaise (janvier-juin 2000) et pendant la présidence française (juillet à décembre 2000) étaient, pour la plupart, liées à la question fondamentale de la nouvelle relation structurelle entre l’UE et l’OTAN/Etats-Unis. 1. Un dialogue structuré entre l’OTAN et l’UE sur les futures relations entre ces deux principaux organes assumant désormais une responsabilité conjointe pour la sécurité européenne a été difficile à organiser. Pendant la seconde moitié de 1999, les hauts fonctionnaires américains ont insisté pour que soient ouvertes des discussions officielles entre l’OTAN et l’UE, fondées sur la proposition formulée dans le communiqué du sommet de Washington d’avril 1999, selon lequel « l’OTAN et l’UE devraient assurer l’établissement entre elles d’une consultation, d’une coopération et d’une transparence effectives, en mettant à profit les mécanismes qui existent déjà entre l’OTAN et l’UEO »126 . Politiquement, le Royaume-Uni (avec une nette majorité de membres de l’OTAN) considérait de telles discussions – que devait normalement conduire, du côté de l’Alliance, le groupe de coordination politique 127 – complètement rationnelles et absolument vitales. Toutefois, dès la fin de 1999 jusqu’en avril 2000, ces pays se heurtèrent au refus de la France d’engager un tel processus avant la consolidation de la base institutionnelle de la PECSD. Paris craignait que la force monolithique de l’OTAN n’oblige la PECSD balbutiante à adopter des structures, des procédures et des politiques qui seraient indûment influencées par Washington et donc susceptibles de reproduire la pratique de l’OTAN. Pour des raisons totalement opposées, la Turquie refusa elle aussi que soient 126 127 Communiqué du sommet de Washington, Communiqué de Presse NAC-S(99)64, OTAN, 24 avril 1999. Ce groupe, composé des adjoints des représentants permanents et de leurs homologues militaires, se réunit dès lors qu’il en existe un besoin spécifique. 60 L’intégration européenne et la défense : l’ultime défi ? tenues de telles discussions 128 . Pendant les trois premiers mois de 2000, les membres les plus atlantistes de l’UE donnèrent régulièrement l’impression de perdre patience alors que la France ne semblait pas prête à renoncer à son veto sur les contacts officiels entre l’OTAN et la PECSD embryonnaire 129 . C’est un compromis franco-britannique qui permit une avancée à ce sujet lors de la réunion du Comité politique de l’UE le 19 avril 2000, lorsque les Etats membres de l’UE s’entendirent sur un programme de lancement du dialogue global UE-OTAN 130 . Des discussions régulières, mais provisoires, commencèrent sur le thème de la coopération en juillet 2000. L’UE proposait la création de quatre groupes de travail ad hoc ; 1) capacité militaire ; 2) questions de sécurité – bâtiments, information et documents ; 3) transfert des moyens de l’OTAN à l’UE (« Berlin plus ») ; 4) arrangements permanents de consultation entre les deux organisations. Vu le besoin des trois premiers groupes et l’existence du quatrième (qui, contrairement aux autres, n’a tenu sa première réunion qu’à la fin de septembre 2000), peu de chose avait été décidé sur le fond. L’essentiel restait à faire131 . 2. A de nombreux égards, la question la plus difficile était la place au sein des nouvelles structures institutionnelles de la PECSD que devaient occuper les nations européennes de l’OTAN non membres de l’UE (Norvège, Islande, Pologne, Hongrie, République tchèque et Turquie – désormais appelées « les Six ») ; mais aussi les neuf candidats à l’adhésion à l’UE non membres de l’OTAN (Lettonie, Lituanie, Estonie, Bulgarie, Roumanie, Slovaquie, Slovénie, Malte et Chypre). La question de la « discrimination » contre les alliés de l’OTAN non UE avait été ostensiblement une raison majeure du veto britannique de 1997 à l’égard de la fusion UE-UEO. Le 128 Les objections de la Turquie concernaient ce qu’elle percevait comme des arrangements inappropriés au sein de l’UE afin d’impliquer les membres de l’OTAN non UE. Voir Ian Black, « Veto threat to EU force: Turks’ warning hits plans », The Guardian, 21 juin 2000. 129 Selon certaines sources OTAN, même des dîners informels à Bruxelles entre les deux parties étaient hors de question. Les seuls contacts officiels jugés acceptables étaient les déjeuners de travail tous les 15 jours entre George Robertson et Javier Solana. 130 Atlantic News, n. 3201, 5 mai 2000, p. 2; Conclusions de la Présidence, Conseil européen de Santa Maria da Feira, 19 et 20 juin 2000, Appendice 2. 131 Par exemple, la création éventuelle d’un conseil de consultation UE-OTAN se réunissant régulièrement afin de définir des critères de complémentarité et d’exercice de l’autonomie. Venusberg Group, Enhancing the European Union, op. cit. dans note 126, p. 35 Où en est la PECSD ? 61 Communiqué de Washington d’avril 1999 affirmait que l’OTAN attache « la plus haute importance à veiller à ce que les Alliés européens nonmembres de l’UE soient associés aussi pleinement que possible à des opérations de réponse aux crises dirigées par l’UE, sur la base des arrangements de consultation existant au sein de l’UEO ». Comme pour la déclaration de Washington sur les relations OTAN-UE (ci-dessus), la question des acquis de l’OTAN-UEO est devenue problématique avec l’engagement d’un dialogue OTAN-UE. Il est bien entendu logique d’adopter autant d’acquis OTAN-UEO que possible, mais il est clair que l’UE est un organe très différent de l’UEO et ne pouvait simplement pas accepter l’acquis existant comme la meilleure formule pour un dialogue structuré entre les deux instances. Le Royaume-Uni, appuyé par les PaysBas, le Portugal et d’autres membres atlantistes de l’UE, insistèrent dès le départ pour que les Six participent aux réunions du nouveau Comité militaire de l’UE de manière permanente, bien qu’à titre d’observateurs, et pour que le Comité politique et de Sécurité se réunisse régulièrement avec les Six, éventuellement une fois par mois, afin de garantir une transparence politique. Cela reflétait clairement la position atlantiste selon laquelle la dimension militaire de la PECSD de l’UE devrait toujours privilégier la référence à l’OTAN. Etait également reconnue l’évolution radicale qui menaçait le statut des Six, lesquels avaient, pendant plusieurs années, participé activement aux mécanismes décisionnels de l’UEO, alors que les quatre pays neutres n’y avaient joué aucun rôle. Ces rôles allaient maintenant s’inverser, les neutres devenant membres à part entière de tous les comités de la PECSD, et les Six risquant de rester à la porte. De plus, selon cette optique, les Six devaient participer d’emblée à la planification militaire, même pour une opération militaire dirigée par l’UE puisqu’ils étaient automatiquement impliqués si cet exercice se soldait par un échec et si l’OTAN se voyait alors contrainte de prendre les choses en main, éventuellement selon les termes de l’article 5132 . En réalité, ces arguments s’appliquaient également, de manière encore plus aiguë peut-être, aux EtatsUnis et au Canada. Alors que l’ensemble du « dialogue » UE-OTAN tendait à être une négociation entre l’UE et les Etats-Unis, le Canada, qui 132 Pour une déclaration de soutien particulièrement complète et argumentée en ce qui concerne l’implication la plus grande possible des Six, voir Assemblée de l’Union de l’Europe occidentale (46ème Session), Document 1690, Les membres associés de l’UEO et la nouvelle architecture de la sécurité européenne, Rapport présenté au nom de la Commission politique par MM. Martinez Casãn et Adam Czyk, rapporteurs, 9 mai 2000, 12 pages. 62 L’intégration européenne et la défense : l’ultime défi ? commençait à se sentir de plus en plus isolé, eut de bonnes raisons (que justifiait son importante participation aux opérations sécuritaires européennes) d’être admis aux discussions avec les membres européens de l’OTAN non membres de l’UE133 . Sans mettre en cause la validité de ces arguments, la France, occasionnellement appuyée par un ou deux autres pays, insista sur le principe selon lequel, la PECSD étant un projet UE, il fallait, lorsque l’on considérait la participation d’un pays tiers, tenir des discussions politiques avant tout avec les pays candidats à l’Union. Cette priorité concernait bien entendu quatre des Six, ainsi que neuf autres pays 134 . La Norvège et l’Islande n’étaient toutefois pas concernées. Du point de vue « européaniste », il n’y avait aucune raison de privilégier des pays qui n’avaient même pas manifesté le désir de rejoindre l’UE, par rapport à des candidats de longue date. Des lignes de division apparurent entre les partisans de discussions à « 15 plus 15 » (la France n’est pas allée jusqu’à proposer « 15 plus 13 ») et les ceux des discussions à « 15 plus 6 ». Plus tard, lors de la réunion du Comité politique le 19 avril, un autre compromis fut trouvé, dont le Conseil de Feira prit acte par la suite. Il fut décidé de créer « une structure unique incluant l’ensemble des quinze pays concernés […] au sein de laquelle ils pourr[aient] mener le dialogue, la consultation et la coopération nécessaire avec l’UE » 135 . Au sein de cette structure, il devait y avoir des réunions régulières à 15 plus 15 et au moins deux réunions par présidence à 15 plus 6, dont l’une vraisemblablement au niveau ministériel. En outre, certains arrangements étaient nécessaires pour permettre aux Six d’être impliqués dans la conférence d’engagement des capacités visant à concrétiser le headline goal. Mais le compromis fut assez laborieux. Les Etats-Unis et l’OTAN n’étaient pas convaincus que le format à 15 plus 15 était mieux articulé et proportionné que le format à 15 plus 6. En outre, pour la Turquie, les arrangements de Feira n’étaient absolument pas satisfaisants du point de vue des Six. Ankara s’opposa tout particulièrement à la distinction faite entre les opérations de l’UE exigeant 133 134 135 Exposé de David Wright, Représentant permanent du Canada auprès de l’OTAN, lors du Forum transatlantique, dans Julian Lindley-French (dir.), « Forum transatlantique de Paris – La défense européenne : perceptions croisées européennes et américaines », Publications occasionnelles, n. 17, Institut d’Etudes de Sécurité de l’UEO, Paris, juillet 2000, pp. 25-26. Hongrie, Pologne, République tchèque et Turquie ; plus Bulgarie, Chypre, Estonie, Lettonie, Lituanie, Malte, Roumanie, Slovaquie, Slovénie. Conclusions de la présidence, Santa Maria da Feira, Appendice 1, article 5. Où en est la PECSD ? 63 des moyens de l’OTAN et les opérations UE seulement. Dans le premier cas, les Six participeraient automatiquement aux discussions en amont « s’ils le souhaitent », alors que, dans le deuxième, ils seraient simplement « invités » – si le Conseil juge approprié d’en décider ainsi136 . Jugeant de telles dispositions très discriminatoires, la Turquie menaça, si elles n’étaient pas modifiées, de mettre son veto sur tout le processus « Berlin plus ». Une telle réaction contribua à alimenter les craintes de Washington que la PECSD finisse par affaiblir l’OTAN au lieu de la renforcer. L’OTAN s’abstint de tout commentaire officiel sur les propositions de Feira. 3. Les interprétations divergent également sur la définition et la priorité – ainsi que l’approche stratégique – des divers types de missions militaires à entreprendre. Celles-ci ont été réparties en trois catégories : a) OTAN seule ; b) UE utilisant les moyens de l’OTAN ; c) UE seule. Partant de deux points de vue complètement différents, les atlantistes considéraient qu’il fallait privilégier les deux premiers types de mission, tandis que les européanistes pensaient sérieusement à la troisième option. Il semble clair que, selon la pensée « atlantiste », les futurs scénarios militaires dans lesquels l’OTAN ne sera pas impliquée demeureront quelque peu hypothétiques. Comme le ministre britannique de la Défense Geoffrey Hoon l’a remarqué à Washington en janvier 2000 : « pour des opérations militaires de grande envergure, l’OTAN demeure et demeurera la seule possibilité. Elle sera la seule organisation de défense collective en Europe. Elle sera l’organisation à laquelle nous compterons nous adresser pour des opérations importantes de gestion des crises » 137 . Lorsque l’on demandait aux responsables britanniques de donner des exemples possibles d’opérations que l’UE seule pourrait entreprendre soit en recourant aux moyens de l’OTAN soit en utilisant ses propres moyens, ils avaient l’air ébahi. Les troubles en Sierra Leone au printemps 2000 suscitèrent une réflexion sur les missions possibles sur le continent africain – mais ce n’est pas là le point de départ le plus propice à des considérations sur ce qui, après tout, est supposé être une sécurité européenne. Les déclarations de la France à ce sujet reflétèrent du reste régulièrement la position exprimée par le ministre de la défense Alain Richard dans son discours à l’Université de Georgetown en février 2000. 136 137 Conclusions de la présidence, Appendice 1, article 19. Discours du ministre de la Défense Geoffrey Hoon devant la Brookings Institution, Washington, DC, 26 janvier 2000. 64 L’intégration européenne et la défense : l’ultime défi ? Selon M. Richard, l’option UE seule « est une option viable qui demande des efforts sérieux de la part des Européens. Elle est indispensable si nous voulons que toutes nos nations aient réellement le choix lorsqu’elles décident de l’avenir ». Cette différence d’approche traduit un désaccord sous-jacent entre les deux parties sur la légitimité et la crédibilité de l’UE en tant qu’acteur autonome de sécurité. Les Français partent du principe que l’UE est une instance autonome et a le droit inaliénable d’élaborer sa propre PESD, qui entrera dans un dialogue équitable avec l’OTAN afin de garantir la compatibilité et une synergie maximum entre les deux organisations. Celles-ci doivent donc rester étroitement imbriquées, et forger ainsi une dynamique leur permettant à toutes deux de « gagner à tous les coups » 138 . Les atlantistes sont beaucoup moins centrés sur l’Europe. Ils ne réfutent pas la légitimité de la quête européenne d’autonomie, mais tendent à considérer cette autonomie en termes beaucoup plus pragmatiques. Il pourrait arriver un jour qu’une capacité militaire autonome soit nécessaire ; elle ne doit donc pas être planifiée. Mais toujours, selon ce point de vue, la référence à l’OTAN est essentielle et le dynamisme de l’Alliance atlantique crucial pour l’approche stratégique globale. Ces deux approches peuvent se révéler tout à fait compatibles, mais elles répondent à deux logiques politiques distinctes. 4. Un quatrième problème concerne la fonction et l’organisation de la planification militaire stratégique. Avant Feira, cet aspect ne semblait pas particulièrement polémique. Mais, vu de l’intérieur, il est clair que deux approches très différentes coexistent. Pour les atlantistes, il est logique et utile de recourir aux importantes capacités de l’OTAN en matière de planification pour servir de ressource de base à l’UE dans ce domaine. Non seulement cette ressource existe (et il serait extrêmement compliqué et onéreux de la reproduire), mais elle serait de toute façon sollicitée pour garantir la compatibilité et la cohérence entre la planification de l’OTAN et celle de l’UE. Le Royaume-Uni avait joué un rôle majeur en persuadant ses partenaires de l’UE d’insérer dans le texte d’Helsinki une phrase indiquant que les procédures de planification normales de la PECSD seraient celles de 138 Discours de M. Richard à Georgetown (23 février 2000) : « Ce projet sert à renforcer et à revitaliser l’Alliance Atlantique. L’amélioration de nos capacités nationales sera d’un grand bénéfice pour l’Alliance ainsi que pour l’Union. […] En assumant davantage de responsabilités en tant qu’Européens, nous pourront agir comme des partenaires collectifs au sein d’une Alliance de pays démocratiques. C’est je crois la meilleure garantie que les Etats-Unis eux-mêmes demeureront engagés dans des projets communs avec leurs alliés européens dans le futur ». Où en est la PECSD ? 65 l’OTAN : « Les Etats membres utiliseront en outre les procédures de planification existantes en matière de défense, y compris, si cela est approprié, celles de l’OTAN et du processus de planification et de révision (PARP) du Partenariat pour la Paix (PpP) ». La France, qui n’est pas membre des procédures de planification de l’OTAN, plaidait pour un engagement maximum des capacités de planification multinationales (beaucoup trop limitées) de l’UE, en particulier les états-majors interarmées français et britanniques. Là encore, l’UE doit faire l’effort intellectuel de penser aux besoins européens de sécurité sans s’en remettre automatiquement à l’OTAN. 5. Un cinquième aspect concerne la perspective à long terme d’une capacité européenne autonome dans des domaines que Washington et l’OTAN perçoivent comme une « duplication inutile » de la capacité existante de l’Alliance : renseignement satellitaire, systèmes de commandement et de contrôle, transport stratégique, etc. C’est une question sur laquelle nous reviendrons au Chapitre Trois. 6. Le rôle dans les différents groupes et comités de travail, des experts OTAN du SHAPE, du DSACEUR, etc. Les membres atlantistes de l’UE soulignèrent que ces experts devraient faire intégralement partie des travaux de la planification militaire, surtout en ce qui concerne la cohérence militaire globale. La France résista à cette approche, constatant que l’UE ne peut se dispenser de l’effort intellectuel nécessaire pour examiner ses propres besoins de sécurité et qu’il ne suffit pas que l’UE se borne à reprendre les acquis de l’UEO/OTAN. 7. La question de l’évolution du traité. Plusieurs Etats membres ont indiqué que les nouveaux arrangements institutionnels (notamment, l’objectif prévu pour le COPS) exigeaient certains amendements. Des pays comme l’Italie et la Belgique ont appuyé cet argument pour des raisons liées à la démocratie et à la légitimité, alors que d’autres, comme les Pays-Bas, ont eu tendance à y voir un moyen de ralentir le processus d’autonomie européenne. La France et le Royaume-Uni souhaitaient de concert éviter ce qui allait être à coup sûr une longue polémique sur la modification du traité. A Feira, les ministres parvinrent à un compromis sur cette question, notant qu’elle devrait être réexaminée ultérieurement, à Nice tout d’abord et ailleurs. 66 L’intégration européenne et la défense : l’ultime défi ? 8. L’absence de tout concept stratégique européen pour guider les responsables politiques sur la question de savoir si, quand et comment intervenir militairement, ou comment et quand appliquer des instruments non militaires à une crise naissante. Cette problématique tend à opposer les « pragmatiques » aux « idéologues » et les militaires aux politiques. De plus en plus d’experts considéraient, à la fin de 2000, que l’UE ne peut continuer de développer la PECSD sans faire un effort sérieux pour développer un concept stratégique du même type que celui adopté périodiquement par l’Alliance atlantique 139 . Malgré leur diversité et leur relative discrétion, ces différents éléments étaient tous directement ou indirectement liés au même désaccord fondamental sur l’ensemble du débat sur la PECSD : la nature de la relation future entre l’UE et l’OTAN/Etats-Unis. Il aurait fallu avoir dès le départ une idée claire de l’éventail d’opinions des quinze pays de l’UE sur les relations transatlantiques. Le moment est donc venu aujourd’hui de s’interroger sur la façon dont les Américains considèrent la problématique de la défense européenne. II.6 Les perceptions américaines de la PECSD Dans un récent Cahier de Chaillot, Stanley Sloan a fait l’inventaire des opinions américaines sur cette délicate question et il n’est pas question de reproduire ici ses analyses 140 . De nombreux protagonistes et analystes américains émettent des réserves sur le passage d’une relation d’hégémonie à une relation plus ou moins égalitaire dans laquelle les Etats-Unis se retrouvent en face d’une Union européenne d’un poids comparable dans tous les domaines sauf militaire (un domaine qui pourrait lui aussi être orienté vers une plus grande égalité). On aurait pu s’attendre à voir les Américains faire la leçon aux Européens et leur conseiller de ne pas pousser leurs ambitions trop loin de crainte de porter atteinte à ce qui avait été, pendant cinquante ans, une alliance confortable et relativement facile à gérer. C’est en fait rarement le cas. Peu d’Américains s’opposent activement à la PECSD. Il s’agit d’une petite minorité, étrange alliance de partisans de 139 140 Voir les documents de la conférence tenue à Clingendael les 5 et 6 octobre 2000, « Towards a European Strategic Concept », www.clingendael.nl. Sloan, op.cit. dans note 1. Où en est la PECSD ? 67 l’hégémonie, de défenseurs de l’isolationnisme et de ceux qui considèrent l’Europe et l’OTAN plutôt comme une distraction141 . La vaste majorité, favorable à cette politique, comprend plusieurs catégories. La première est celle que Stanley Sloan a appelé l’école du « oui mais » : elle appuie la PECSD à condition que celle-ci se situe dans une stricte logique atlantique. Une variante, où pointe un plus grand scepticisme, est l’école du « ah oui ? » : les Européens se font des illusions sur leur capacité de forger une PECSD, et devront en réalité se limiter à un rôle de second des Etats-Unis. La troisième est l’école « oui s’il vous plaît » : elle soutient avec enthousiasme la PECSD, convaincue qu’elle conduira à une Alliance atlantique plus forte et plus saine. La quatrième attitude se caractérise par un relatif manque d’intérêt pour l’Europe aussi bien à droite (« les intérêts américains d’abord ») 142 qu’à gauche (« les intérêts nationaux d’abord »), mais ces deux optiques sont axées sur le coût d’opportunité de l’engagement américain en Europe plutôt que sur le principe de leadership partagé ou departage du fardeau. Quel que soit le point de vue, l’approche politique est essentiellement orientée par des considérations sécuritaires dans un contexte de relations internationales. En outre, elle se fonde normalement sur le maintien de l’hégémonie américaine ou, du moins, sur le leadership de la zone euro-atlantique et part du principe que les différents projets (d’approfondissement) de l’Union politique européenne soit ne se concrétiseront pas soit s’inscriront dans un cadre euro-atlantique plus large. Au niveau officiel, l’administration Clinton a officiellement appuyé la PECSD. Le ton adopté et les convictions exprimées ont beaucoup varié. En témoignent trois discours du secrétaire d’Etat adjoint Strobe Talbott. En octobre 1999, au Royal Institute of International Affairs de Londres, M. Talbott fit une remarque aujourd’hui régulièrement citée pour illustrer les préoccupations de Washington concernant l’évolution de la politique européenne de défense : « Nous ne voudrions pas d’une IESD qui 141 142 Des personnes telles que les Représentants Douglas Beureuter et Dana Rohrabacher, John Bolton de l’American Enterprise Institute et Peter Rodman du Nixon Center entrent dans cette catégorie. Voir Stanley Sloan, op. cit. dans note 1, pp. 28-31 et 3537 ; Peter W. Rodman, « The World’s Resentment: Anti-Americanism as a Global Phenomenon », The National Interest, n. 60, été 2000, pp. 33-41 (synthèse des inquiétudes les plus fréquentes dans cette catégorie). Le conseiller de George W. Bush en matière de politique étrangère, Condoleeza Rice, n’a consacré qu’un très court paragraphe à l’Europe dans son récent article de politique générale, « Promoting the National Interest », Foreign Affairs, vol. 79/1, janvier/février 2000. 68 L’intégration européenne et la défense : l’ultime défi ? commence par naître dans l’OTAN, pour ensuite en sortir et s’en éloigner, car cela conduirait à une IESD qui ferait d’abord double emploi avec l’OTAN, puis en serait une concurrente ». Dans son discours du 15 décembre 1999 devant le Conseil de l’Atlantique Nord, le secrétaire d’Etat adjoint s’efforça de dissiper les connotations négatives de ses remarques précédentes en faisant une déclaration très claire en faveur de l’Europe : « Il ne doit y avoir aucune confusion en ce qui concerne la position américaine sur le besoin d’une Europe plus forte. Nous ne sommes pas contre, nous ne sommes pas ambigus, nous ne sommes pas inquiets ; nous sommes pour. Nous souhaitons voir une Europe qui puisse agir efficacement par l’intermédiaire de l’Alliance ou, si l’OTAN n’est pas engagée, de manière autonome – un point, c’est tout ». Ce n’était pas, hélas, la fin du débat 143 , puisque Strobe Talbott rouvrit le dossier seulement six semaines plus tard devant le DGAP de Bonn. Cette fois, les préoccupations étaient devenues explicites : « Nous sommes pour l’IESD. Mais si notre appui à ce concept est sincère, il comporte certaines réserves. […] Pour fonctionner, il doit concilier l’objectif d’une identité et d’une intégration européennes d’une part avec l’impératif de la solidarité transatlantique de l’autre ; il ne doit ni dupliquer ni diluer le rôle de l’ensemble de l’Alliance, mais le renforcer ; et il ne doit certainement pas atténuer les liens entre votre défense et la nôtre ». De même, dans une déclaration publiée le 20 juin 2000, le président Clinton, se félicitant des décisions prises au Conseil de l’UE à Feira, réaffirma la conviction américaine que la PECSD renforcerait à la fois l’Europe et l’OTAN, mais ajouta qu’il était essentiel de progresser à la fois sur l’intégration des alliés OTAN non UE et sur les discussions générales entre l’UE et l’OTAN 144 . Cette école du « oui mais », ainsi que l’a appelée Stanley Sloan, est celle des milieux proches des affaires européennes, s’intéressant véritablement à la vitalité de la zone euro-atlantique. Un exemple en a été donné par l’un des meilleurs spécialistes américains de l’Europe, Philip Gordon, dans le Foreign Affairs de l’été 2000. Cette approche consiste à dire aux 143 144 Deux jours plus tard seulement, l’ambassadeur des Etats-Unis auprès de l’OTAN, Alexander Vershbow, s’exprimant à Berlin cita la remarque de M. Talbott et poursuivit en ces termes : « mais, bien entendu, la discussion n’est pas close et certaines questions doivent être examinées au cours des semaines et des mois à venir ». Ces questions étaient : 1) le rôle des alliés de l’OTAN non membres de l’UE et 2) les relations structurées entre l’UE et l’OTAN. Atlantic News, n. 3214, 23 juin 2000, p. 2. Où en est la PECSD ? 69 Européens : « nous voulons que vous alliez de l’avant avec la PECSD car elle doit être dans l’intérêt de tous, mais, parce que nous n’avons qu’une confiance limitée dans votre capacité de parvenir aux objectifs que vous vous êtes fixés, nous devons définir les orientations et les conditions précises à respecter si vous ne voulez pas échouer ou simplement faire empirer la situation ». Les conditions définies par M. Gordon comprenaient deux de celles que MM. Talbott, Vershbow et Clinton avaient déjà soulignées (engagement des alliés non-UE et discussions sérieuses entre l’UE et l’OTAN). Mais il en avait rajouté quatre : privilégier avant tout une véritable capacité militaire ; adopter une politique « OTAN d’abord » lorsqu’une intervention militaire est envisagée ; se concentrer sur le processus « Berlin plus » plutôt que sur la duplication ; et faciliter la coopération industrielle transatlantique. Du point de vue de Washington, il faudrait que les Européens cherchent sincèrement à promouvoir une PECSD qui aurait pour effet de renforcer l’Alliance plutôt que de l’affaiblir. Vue d’un oeil européen, toutefois, cette approche pourrait signaler que l’européanisation est acceptable pour Washington seulement si elle place les intérêts américains au premier plan. Un tel discours affirme implicitement – sans le démontrer – que les intérêts américains sont les mêmes que les intérêts européens. Cette approche du « oui mais » contribue probablement à alimenter la sensibilité actuelle des relations transatlantiques. Pour commencer, trois des conditions (participation des Six, engagement du dialogue UE-OTAN et concentration sur la capacité militaire) sont celles dont les Européens ont déjà pris acte. De plus, les trois dernières conditions (OTAN d’abord ; Berlin plus ; coopération industrielle transatlantique) sont celles qui dépendent au moins autant des Américains que des Européens. Insister explicitement sur le « droit de premier refus » de l’OTAN revient à mettre sérieusement en question la légitimité de l’autonomie européenne. Cependant, la raison pour laquelle la PECSD est devenue une réalité est précisément liée au sentiment général de part et d’autre de l’Atlantique que la garantie américaine ne peut pas fonctionner de la même façon que dans le passé. Si les Américains pensent sérieusement à soutenir l’autonomie européenne, ils doivent être également convaincus que les Européens feront le choix juste – si tant est que ce choix existe – en décidant une intervention. Des arguments similaires peuvent être avancés en ce qui concerne « Berlin plus ». Bien entendu, les Européens préféreraient pouvoir s’en remettre aux moyens de l’OTAN le cas échéant. Mais, si le débat sur la sécurité euro- 70 L’intégration européenne et la défense : l’ultime défi ? atlantique a atteint un stade aussi délicat en 2000, c’est précisément parce que certains doutes persistaient quant à la disponibilité de ces moyens. La doctrine de l’OTAN n’est jamais allée au-delà du concept assez vague de « présomption de disponibilité ». Les porte-parole militaires américains n’ont jamais été enthousiasmés par l’idée de devoir transférer à l’UE des moyens qui représentent les joyaux de leur couronne militaire. Il ne faut pas s’attendre à ce que les Européens comptent essentiellement sur des moyens dont la disponibilité automatique est loin d’être acquise. En outre, comme beaucoup d’autres analystes l’ont souligné, une « duplication constructive » peut être bénéfique pour les deux parties de l’Alliance 145 . Enfin, les réserves concernant la coopération industrielle transatlantique, même si elles sont surtout formulées, comme c’est le cas dans l’article de M. Gordon, à l’intention des Américains, sont quelquefois difficiles à accepter pour les industriels et les responsables politiques européens qui savent trop bien à quel point le marché américain de l’armement est une « forteresse » impénétrable. Une variante du « oui mais » est l’approche plus sceptique « ah oui ? » récemment illustrée par l’ancien conseiller de sécurité nationale Zbigniew Brzezinski146 . Pour M. Brzezinski, l’UE manque de l’enthousiasme et du patriotisme nécessaires pour générer une politique de défense commune, elle ne sera jamais capable d’arriver à ses fins sur le front militaire et l’OTAN devra donc assurer la responsabilité permanente de la sécurité régionale. Il précise également que, si l’UE parvenait à s’approfondir en mettant en œuvre une PECSD efficace, cela «générerait inévitablement de graves tensions réciproques entre les deux rives de l’Atlantique ». Par conséquent, il serait, selon cette thèse, préférable que le projet PECSD échoue – ou du moins n’aille pas au-delà d’un objectif minimal. Les deux approches «oui mais » et « ah oui » alimentent, chacune à leur manière, le ressentiment européen. Cette perception s’est reflétée dans la réaction du ministre français de la Défense lors de l’annonce à Washington le 30 juin 2000 que les Américains appuyaient avec enthousiasme l’intervention australienne au Timor oriental. Peut-être, commenta alors Alain Richard avec amertume, les Américains pourraient-ils accorder aux Européens « le même niveau de 145 146 Kori Schake, « Constructive Duplication and European Procurement Plans », document présenté à la conférence sur The Transformation of NATO and the Question of European Unity, University of Washington, mai 2000. Zbigniew Brzezinski, « Living with a New Europe », The National Interest, n. 60, été 2000, pp. 17-32. Où en est la PECSD ? 71 confiance qu’aux Australiens » 147 . Le moment est venu pour les Américains de montrer qu’ils sont convaincus de la valeur historique, de la légitimité et surtout du caractère inéluctable de la PECSD. L’approche du « oui s’il vous plaît » est celle préconisée par la contribution très franche de Charles Kupchan dans le Survival de l’été 2000. M. Kupchan commence par reconnaître que, des deux côtés de l’Atlantique, notamment aux Etats-Unis, l’Alliance atlantique est en pleine réévaluation : « l’ensemble de la sécurité transatlantique doit être plus équilibré pour demeurer intacte » 148 . Il recense quatre préoccupations majeures fréquemment exprimées aux Etats-Unis, les décortique, mais montre pourquoi chacune d’elles est injustifiée ou erronée. La prise de décision et la cohésion de l’Alliance suscite des réactions allant de l’adage « tant que ça marche, ne changez rien » aux inquiétudes concernant le découplage et à la crainte de voir un jour l’Europe devenir la rivale des Etats-Unis. La mise en œuvre est associée aux questions de duplication et de discrimination, toutes deux considérées comme affaiblissant l’Alliance. Les connotations politiques inquiètent également par le lien qu’elles laissent supposer entre les progrès européens en matière de PECSD et l’isolationnisme américain et/ou le conflit entre les Américains et l’Europe sur la nécessité d’un mandat des Nations unies. La faisabilité semble, quant à elle, peu crédible en raison des échecs passés et des réalités budgétaires auxquelles l’Europe est actuellement confrontée. Pour M. Kupchan, l’histoire a évolué et ces préoccupations sont infondées dans la mesure où l’erreur des Américains est surtout de « ne pas reconnaître que la relation atlantique classique est déjà en train de se défaire, que le statu quo est impossible à maintenir et que le lien atlantique ne peut être préservé que si l’Europe et l’Amérique parviennent à instaurer une nouvelle relation plus équitable ». S’agissant de la prise de décision, Kupchan plaide pour un caucus européen et le consensus, les liens et l’interdépendance entre les deux rives de l’Atlantique étant, selon lui, beaucoup plus importants que le Conseil de l’Atlantique Nord, l’Europe ayant plus à perdre que les Etats-Unis si le pacte est rompu. Pour la mise en œuvre , un certain double emploi pourrait être positif pour renforcer l’Alliance et il est peu probable que les Européens eux-mêmes ignorent les moyens susceptibles d’être apportés par les alliés ayant la 147 148 Cité dans Atlantic News, n. 3216, 1er juillet 2000, p. 2. Charles A. Kupchan, « In Defence of European Defence: An American Perspective », Survival, vol. 42, n. 2, été 2000, p. 16. 72 L’intégration européenne et la défense : l’ultime défi ? volonté d’aider. Au sujet des connotations politiques, l’auteur réfute la logique de l’isolationnisme et note que les voix sont de plus en plus nombreuses aux Etats-Unis pour demander aux Européens d’en faire davantage, condition de la survie de l’Alliance. En ce qui concerne la faisabilité, il montre qu’il faut prendre les Européens au mot et que la mise en œuvre concrète du headline goal ne dépend pas d’un accroissement des ressources budgétaires mais d’une répartition plus rationnelle des dépenses. M. Kupchan termine en encourageant Européens et Américains à appuyer le processus de réforme institutionnelle et militaire impliqué par Helsinki, et les responsables européens à mobiliser les opinions publiques à cet égard. S’adressant à la nouvelle administration américaine, il demande que la politique Clinton du « oui mais » laisse la place à une politique dynamique de soutien au renforcement de l’UE et une conception plus moderne d’un partenariat stratégique mûr et équilibré entre l’Union européenne et les Etats-Unis. Quelle que soit la coloration politique de certains arguments de M. Kupchan (dont la position semble de plus en plus proche de celle de l’équipe de George W. Bush149 ), il est difficile pour les Européens de refuser une proposition aussi favorable à une Alliance plus équilibrée. Ce fut la vision française (gaullienne) pendant cinquante ans. A ce point, l’approche « oui s’il vous plaît » pourrait s’avérer utile. Ce qu’attendent toutes les parties de l’évolution actuelle (à la fois à l’intérieur de l’UE et entre l’UE et les EtatsUnis) est une attitude moins défensive et plus confiante à l’égard de la PECSD. Etant donné que pratiquement tout le monde reconnaît qu’une certaine intégration européenne en matière de défense est aussi inévitable que souhaitable sur le plan politique et que, si elle est effectivement mise en œuvre, elle sera mutuellement bénéfique pour l’UE et l’OTAN/Etats-Unis, il importe alors de faire progresser la confiance et de ne pas perdre trop de temps sur les motivations, les incidences et les principes apparents, dont bon nombre peuvent sembler purement idéologiques à « l’autre camp ». Lors de la préparation du sommet de Feira, les atlantistes, soulignant l’urgence d’entamer des négociations structurées avec l’OTAN et les Etats-Unis, et d’organiser des réunions entre le COPSi et le CAN, plaidèrent pour le format à « 15 plus 6 » et les procédures de planification de l’OTAN. Les 149 C’est le point de vue du principal stratège de Bush, Robert Zoellick, « A Republican Foreign Policy », Foreign Affairs, vol. 79/1, janvier/février 2000, p. 74. Mais certains proches du parti démocrate, tels que Robert Hunter et Ivo Daalder, n’y sont pas insensibles ; voir Stanley Sloan, op. cit. dans note 1, pp. 36-37. Où en est la PECSD ? 73 Français y virent des manœuvres «idéologiques » 150 , qu’ils attribuèrent à l’empressement presque pavlovien avec lequel les atlantistes européens répondent aux pressions de Washington. De même, la propension française à résister aussi fermement que possible à un engagement formel du personnel, des procédures ou des instruments de l’OTAN pour la mise en œuvre de la PECSD fut, aux yeux des principaux partenaires européens de la France, une aberration idéologique datant d’un autre âge. Les discussions sur les propositions et les décisions de l’UE achoppèrent sur la forme mais pas sur le fond, ce qui est capital. Les européanistes n’étaient pas opposés au principe de l’engagement de l’OTAN et les atlantistes ne rejetaient pas le principe de l’autonomie européenne. La préférence des Français pour les discussions à « 15 plus 15 » ne voulait pas dire pas qu’ils ne reconnaissaient pas la légitimité et l’importance des réunions à « 15 plus 6 ». La volonté des Britanniques d’accélérer le processus des contacts institutionnels UE-OTAN ne signifiait pas qu’ils avaient des doutes sérieux sur la nécessité de rendre l’UE autonome. Les frictions concernaient la chronologie des événements, le ton et les priorités, mais rarement la substance. Si les atlantistes parviennent à dépasser le sentiment que l’approbation de l’Oncle Sam est incontournable ; s’il est possible pour les européanistes de ne plus craindre que ce dont ils rêvent depuis longtemps est en danger, compromis ou détourné par la présence inévitable des Américains et de l’OTAN, alors de nombreuses difficultés pourront être évitées. Le fait que la présidence française ait lieu pendant l’« inter-règne » américain n’a pas rendu les ajustements plus faciles car l’attitude de Washington n’a pas été très cohérente – sauf, en fin de compte, en accordant une bénédiction prudente au projet PECSD. Au début de 2001, le contexte politique des cinq années suivantes devrait néanmoins être assez clair et les travaux de mise en œuvre de Cologne, Helsinki, Feira et Nice terminés. Il n’est pas difficile pour les Européens de s’entendre sur le court, voire le moyen terme au sujet de l’évolution de la PECSD. Les difficultés apparaîtront avec les implications à long terme : quel est l’objectif stratégique ? jusqu’où les différents pays souhaitent-ils aller avec ce projet ? quelles sortes de systèmes d’armes l’UE devrait-elle se procurer d’ici 2015 et 2030 ? quelles sont les implications plus globales pour les relations entre les deux côtés de l’Atlantique ? Il faudra, en fait, élaborer les décisions sur la restructuration de l’Alliance au cours des prochaines années en sachant exactement dans 150 Entretiens de l’auteur au quai d’Orsay, mai et juin 2000. 74 L’intégration européenne et la défense : l’ultime défi ? quel monde nous souhaitons vivre d’ici trente ans. Les opinions peuvent être extrêmement différentes 151 . Ce sont les questions que nous allons aborder au Chapitre Trois. 151 « Europe and America: weathering the storm », The Economist, 9 septembre 2000, pp. 29-35. Ce magazine a une approche très ouverte pour ce qui est de savoir si le monde sera plus dangereux ou plus sûr en 2030. Quelle que soit la réponse, il considère que l’OTAN demeurera la réponse de sécurité la plus appropriée. Chapitre Trois OU VA LA PECSD ? Quatre séries de questions déterminent l’itinéraire futur du projet lancé l’année dernière sous le nom de PECSD. La première concerne l’échelle militaire et l’ambition du projet. Quelles seront son ampleur et son importance ? La deuxième est liée à l’impact géographique du nouveau projet. Son déploiement se limitera-t-il strictement à l’« étranger proche » de l’UE ? Ou la force de réaction rapide européenne pourrait-elle être déployée au-delà des frontières de l’UE, en Afrique, au Moyen-Orient, voire en Asie ? La troisième découle des relations entre la PECSD et l’évolution institutionnelle de l’UE. La PECSD demeurera-t-elle strictement intergouvernementale ou pourrait-elle, paradoxalement, renforcer les propositions récentes concernant une agrégation d’Etats européens fédérale (Fischer), d’avant-garde (Delors) ou pionnière (Chirac) ? Enfin, le quatrième groupe a trait aux normes et valeurs sur lesquelles se fonde le projet. Quelles seront les caractéristiques d’une « gouvernance sécuritaire » à l’UE ? Parviendra-t-elle à harmoniser les approches culturelles de la sécurité des différents Etats-nations européens et, surtout, à articuler l’interface entre les aspects militaires et civils des missions de Petersberg ? Bref, comment définira-t-elle sa propre « européanité » ? III.1 Quelle sorte de puissance militaire l’UE deviendra-t-elle ? Une caractéristique du headline goal d’Helsinki qui facilita son adoption par les quinze Etats membres de l’UE fut l’ambiguïté étudiée de sa portée et de son objectif. Les chiffres choisis pour l’objectif de 2003 étaient relativement peu controversés : suffisamment élevés pour que chaque Etat membre prenne l’exercice au sérieux et examine de manière approfondie son engagement potentiel ; suffisamment bas pour garantir que les objectifs seraient atteints. L’échéance de 2003 n’est cependant qu’un début – la première date, à l’état brut, de tout un calendrier. Il était en outre urgent, pendant la seconde moitié de 2000, pour les Etats membres de l’UE de s’occuper de leurs besoins collectifs en matière d’équipement pour le moyen 76 L’intégration européenne et la défense : l’ultime défi ? et le long terme 152 . Les programmes d’acquisition nécessitent un délai de mise en œuvre compris entre quinze et vingt ans. La conférence de génération de forces de novembre 2000 avait pour objectif d’identifier les lacunes immédiates et à plus long terme. Comment les identifier ? Selon quel concept de planification stratégique ? Il existe un écart considérable entre la France, qui souhaite déjà persuader ses partenaires de l’UE d’envisager un éventail d’armes aussi sophistiqué qu’aux Etats-Unis et un pays comme le Danemark assez réticent à ce que l’UE se dote d’une force armée. On peut toutefois formuler certaines hypothèses à partir des tendances actuelles. La première est que cette force de l’UE a pour objectif d’intervenir et qu’elle est conçue pour cet usage. Les quinze membres de l’UE (exception faite peut-être du Danemark) sont d’accord sur ce point. Cela étant, la force européenne n’échappera pas à l’inflation institutionnelle dont souffrent tous les autres organismes autonomes. Elle générera sa propre logique d’expansion. Les militaires n’ont pas la réputation d’accepter un niveau restreint d’infrastructures, de forces et d’équipement s’ils peuvent obtenir davantage. Ils exerceront donc une forte pression dans le sens de la croissance, que les responsables politiques chercheront en revanche à contenir. Mais, indépendamment de cette logique intrinsèque, des questions cruciales se poseront sur le type d’armement et d’équipement jugé souhaitable ou essentiel. Les choix dépendront de la mesure dans laquelle les nouvelles forces s’avéreront nécessaires pour mener les interventions. L’Europe, par exemple, suivra-t-elle les Etats-Unis sur la route de la « révolution dans les affaires militaires » ? Ou l’UE décidera-t-elle sciemment de limiter sa programmation militaro-industrielle aux types de systèmes d’armes conventionnelles qu’elle possède actuellement ? Comme l’a remarqué récemment François Heisbourg, « le plus frappant n’est pas le désaccord explicite [entre les Etats membres de l’UE], mais plutôt l’absence de considération ouverte des ambitions et des intérêts européens » 153 . Comme l’a montré la campagne du Kosovo de 1999, les missions de Petersberg les plus extrêmes (« rétablissement de la paix »), auxquelles toutes les parties au Traité d’Amsterdam, sauf le Danemark, ont officiellement adhéré, ont exigé des programmes d’acquisition déjà très 152 153 Ce besoin a été l’un des points soulignés par Javier Solana dans le discours qu’il a prononcé le 1er juillet 2000 au «séminaire » des décideurs en matière de défense organisé par la présidence française à peine entrée en fonction. Voir Atlantic News, n. 3217, 5 juillet 2000, p. 1. François Heisbourg, op. cit. dans note 94, p. 7. Où va la PECSD ? 77 avancés du point de vue des capacités nécessaires pour une guerre totale. Même si l’UE admettait que l’un de ses objectifs est d’être en mesure – dans dix ou quinze ans par exemple – de mener une campagne style Kosovo pratiquement seule, voire en ayant accès à certains moyens de l’OTAN, la future liste du matériel à acquérir serait considérable, en particulier en ce qui concerne le transport stratégique, le C4 et le renseignement satellitaire, ainsi que les munitions à guidage de précision, la maîtrise de l’air et la guerre électronique offensive. Pour l’instant, il en est très peu question dans la planification militaire actuelle des Etats membres de l’UE autres que le Royaume-Uni et la France. Si l’UE devait engager un débat sérieux sur cette perspective, trois questions se poseraient inévitablement. Premièrement, dans quelle mesure la « duplication » serait-elle ou ne serait-elle pas souhaitable et/ou admissible pour les systèmes d’armes déjà disponibles à travers l’OTAN/Etats-Unis ? D’ici que ce débat ait lieu, la polémique pourrait perdre de son intensité. Les analystes américains, adeptes de la « duplication constructive », auront peut-être généré une attitude différente à Washington. Il est également probable qu’existent, dans quelques années, des programmes à long terme plus ambitieux au sein et entre les deux grands groupes d’armement européens (EADS et BAE Systems). Enfin, les principaux pays membres continueront de penser que l’Europe doit faire tout son possible pour suivre le rythme des évolutions technologiques. Ainsi un certain degré de duplication ne serait plus suspect, et pourrait même être considéré, des deux côtés de l’Atlantique, comme quelque chose de sain et d’indispensable. Le deuxième débat concerne la capacité de l’Europe de suivre le rythme américain. Selon plusieurs études récentes, montrant l’ampleur de « l’écart en matière de capacités » qui doit être comblé 154 , ce n’est pas l’expertise technologique qui manque à l’Europe mais la volonté politique et le budget. Après quelques atermoiements, cette volonté sembla renaître en juillet 2000 lorsque les six grands Etats producteurs d’équipement de défense (Allemagne, Espagne, France, Italie, Royaume-Uni et Suède) signèrent la Lettre d’Intention attendue depuis longtemps sur l’harmonisation de la 154 Robert P. Grant, The RMA - Europe can keep in step, Paris, Institut d’Etudes de Sécurité de l’UEO, Publications occasionnelles, n. 15, juin 2000 ; Robbin F. Laird & Holger H. Mey, The Revolution in Military Affairs: Allied Perspectives, Institute for National Strategic Studies, National Defence University, Washington, DC, 1999 (McNair Paper n. 60) ; David S. Yost, « The US-European Capabilities Gap and the European Union’s Defense Dimension », document cité dans note 83. 78 L’intégration européenne et la défense : l’ultime défi ? défense, dont le but était de faciliter la restructuration industrielle et d’améliorer les capacités industrielles d’acquisition155 . Les décisions prises récemment par le Royaume-Uni en faveur de grands projets européens d’acquisition (missile air-air Meteor et avion de transport militaire A-400M) suggèrent que l’européanisation pourrait malgré tout devenir son option politique par défaut. Les milieux officiels britanniques, qui n’y voient pas une nouvelle orientation politique, soulignent leur intention de poursuivre leur coopération avec les deux côtés de l’Atlantique dans ce domaine 156 . Il est néanmoins probable que la logique politique et économique de la PECSD, combinée aux impératifs de l’acquisition européenne, et les structures industrielles aujourd’hui en place, incitent le Royaume-Uni à se rapprocher, dans la pratique, de la politique européenne en matière d’armement. Très inquiets de la domination par les Américains des autoroutes de l’information, les gouvernements et l’industrie ont, ces deux dernières années, combiné leur stratégie pour les empêcher d’accroître leur proche monopole de la technologie de l’information. En 1998-99, Alcatel et GEC ont acquis plusieurs entreprises américaines de télécommunication et, au sein de l’Europe, le secteur a été marqué par l’acquisition de Racal par Thomson. De plus, le Commissaire européen à la concurrence, Mario Monti, soumet désormais à une enquête approfondie tous les appels d’offre américains concernant des compagnies européennes de télécommunication. Dire que l’UE commence à envisager de façon plus ou moins systématique une capacité significative dans le domaine du C4I est exagéré, mais de nombreuses évolutions séparées pourraient, en étant combinées, en faciliter la création alors que les besoins d’autonomie se font de plus en plus pressants. Le troisième débat porte sur l’engagement budgétaire. Ce sera pour l’entreprise européenne le test le plus sévère. Si l’UE échoue, tout le reste ne sera qu’abstraction. La PECSD aura été « beaucoup de bruit pour rien » et l’UE aura trébuché sur le premier obstacle du parcours devant la mener à un rôle politique international sérieux. Le niveau des enjeux est extrêmement élevé. C’est pourquoi, ayant engagé un tel capital politique pour l’émergence d’une PECSD, les principaux pays de l’UE vont devoir trouver les ressources nécessaires que ce soit par la rationalisation, ou au travers de 155 156 Douglas Barrie et Colin Clark, « Six European Leaders Settle on Export Process », Defense News, 17 juillet 2000. Intervention de Ian Lee au séminaire franco-britannique, IFRI, 29 juin 2000. Où va la PECSD ? 79 synergies, de conversions et de restructurations, ou encore par le biais de la fiscalité. Et même s’il est probable que les puissances militaires actuelles en Europe, notamment la France et la Grande-Bretagne, accepteront la part du lion de la charge financière et de l’acquisition, tous les Etats membres de l’UE devront prendre beaucoup plus au sérieux leur engagement en matière de planification militaire. Le premier test de cet engagement sera la conférence de génération de forces qui aura lieu en novembre 2000. Si ces suppositions sont correctes, l’UE sera, dans quelques années, sur le point de se doter d’une capacité militaire importante qui conduira automatiquement à une autre interrogation stratégique : pour quoi faire ? D’ici là (éventuellement autour de 2010), la discussion ne portera vraisemblablement plus sur la définition des tâches de Petersberg. La plupart des Etats membres de l’UE auront accepté, à ce stade, que Petersberg représente un programme ambitieux et que, si sa PECSD doit être crédible, l’UE doit prouver son efficacité. Il y a fort à parier que le sujet du débat sur les objectifs ultimes soit une fois de plus l’autonomie. En 2010, la force européenne prévue se rapprochera de quelque chose qui, théoriquement, permettra largement à l’Union de se passer des moyens américains – voire de l’OTAN. Les membres atlantistes de l’UE y verrontils une évolution souhaitable ou tenteront-ils encore de ralentir le processus au nom de la « solidarité atlantique » ? Le débat aura peut-être, entre temps, changé à nouveau de sujet. L’autonomie, lorsqu’elle se sera finalement concrétisée, ne sera probablement pas plus menaçante pour l’Alliance que le développement des armes nucléaires françaises et britanniques dans les années 50 et 60. Une PECSD mieux acceptée aux Etats-Unis (à condition que l’évolution européenne n’ait pas exacerbé la mentalité « forteresse Etats-Unis »), la concrétisation progressive des ambitions stratégiques à long terme de la France, la participation croissante du Royaume-Uni et de l’Allemagne à ce grand saut militaro-industriel auront créé un réseau d’interdépendances si étroit que le débat sur l’autonomie – aussi nécessaire soit-il – restera limité. L’Europe en tant qu’acteur stratégique aura atteint une « vitesse de croisière », et l’autonomie sera à portée de main. Les EtatsUnis devront s’habituer aux nouvelles réalités stratégiques et seront occupés à restructurer l’ensemble de leurs engagements militaires. Loin de se sentir menacée, l’Alliance sera renforcée. L’Europe jouera son rôle à part entière. La taille définitive de ses forces armées dépendra très largement de la façon dont l’UE s’attaque aux priorités relatives qu’elle attache à la prévention et à la résolution des conflits par opposition à l’intervention militaire. Mais cette 80 L’intégration européenne et la défense : l’ultime défi ? force sera suffisamment importante pour faire face à un brasier de type Kosovo et sera équipée de manière à pouvoir combattre en limitant autant que possible les dommages collatéraux. Elle fera partie intégrante de l’OTAN, mais sera de plus en plus considérée comme une composante européenne véritablement autonome. Elle sera en outre configurée dans l’optique d’une participation optimale aux opérations dirigées par l’Alliance parallèlement aux forces américaines en dehors du théâtre européen. Il existe deux scénarios. Le premier, qui reste possible, est que l’UE soit incapable (plus ou moins au premier obstacle rencontré) de trouver un accord sur la capacité ou sur les ressources et doive se résoudre à demeurer éternellement le « junior » partenaire de la croisade mondiale de l’Amérique. Il semble improbable dans la mesure où l’Union est de plus en plus frustrée par ce rôle et où les Etats-Unis ne sont pas davantage satisfaits de l’actuelle division du travail. Le deuxième scénario est que la croissance d’une véritable autonomie conduise à une rivalité croissante entre les EtatsUnis et l’UE, finissant par scinder l’Alliance. Il est également peu vraisemblable pour la simple raison que, aussi bruyantes soient les prises de bec entre l’UE et les Etats-Unis sur les aliments génétiquement modifiés ou la production culturelle, elles ne remettent nullement en cause les valeurs communes profondément enracinées que ces deux cultures ne partagent avec aucune autre sur la planète. III.2 Objectif géographique et scénarios A ce stade, la deuxième série de questions (dont l’examen aura lieu parallèlement à celles de l’acquisition) prendra toute son importance : quel est l’éventail géographique de cette nouvelle force de l’UE ? L’Union a jusqu’ici toujours lutté contre toute tentation de limiter sa sphère d’activité. Premièrement, la France et le Royaume-Uni sont traditionnellement perçus comme des acteurs mondiaux. Deuxièmement, seuls quelques Etats membres de l’UE n’ont pas été touchés par l’expansion impériale des siècles passés. Troisièmement, l’UE est une grande puissance économique et peut donc raisonnablement revendiquer des intérêts plus ou moins mondiaux. De plus, sa conception de l’intervention ayant toujours été guidée par les valeurs fondamentales qu’elle veut incarner, il lui est difficile de tracer des limites géographiques au-delà desquelles elle n’estime avoir aucune Où va la PECSD ? 81 responsabilité en matière de défense des droits de l’homme 157 . Dans la pratique, l’UE ne risque guère toutefois de devoir mener une intervention militaire significative à une distance très éloignée, au-delà de son étranger proche : Caucase et Nord Caucase, Moyen-Orient, Afrique. Mais, dans la mesure où elle peut être définie, cette limite géographique a des chances de se déplacer compte tenu des situations géopolitiques et géostratégiques survenant sur le territoire européen158 . Tout sera fonction de la géographie des événements politiques : élargissement de l’UE et de l’OTAN, relations avec la Russie, avenir de la Turquie, Ukraine, conflit israélo-arabe, évolution de la situation dans le Golfe persique ainsi qu’au Nord de l’Afrique et en Afrique subsaharienne. Surtout, l’UE devra décider, une fois pour toutes, où se situent ses frontières externes, car c’est à ce moment-là seulement qu’elle sera en mesure de développer une PESC clairement articulée – allant nécessairement de pair avec une PECSD efficace. Dans ce contexte, il sera essentiel pour l’UE, à travers sa PECSD, d’étendre son dialogue formel, structuré avec ses voisins à l’Est et au Sud, et même d’engager des partenariats plus intenses. Que les trois Etats baltes rejoignent ou non l’OTAN, il est probable, que dans une décennie, ils deviendront, avec la Pologne, membres à part entière de l’Union européenne. Une conséquence de cette adhésion sera de situer l’enclave de Kaliningrad à l’intérieur des frontières de l’Union. Une relation institutionnalisée, mature, avec la Fédération de Russie, doit être à terme une priorité pour la PECSD. Elle doit être instaurée en entretenant une coopération étroite avec les propres délibérations du Conseil conjoint permanent de l’OTAN, mais les deux processus doivent demeurer distincts. La politique européenne à l’égard de la Russie ne sera pas identique à celle suivie par les Etats-Unis. Alors que pratiquement tous les anciens satellites de l’Union soviétique rejoignent l’UE, il devient urgent pour celle-ci de négocier une forme de pacte de sécurité ou de partenariat durable avec Moscou (et avec Kyiv), 157 158 A ce sujet, voir Alyson J.K. Bailes, « European Defence: Another Set of Questions », The Rusi Journal, février 2000 : « Pour l’UE, le simple fait de fixer une limite théorique à son engagement militaire pourrait, dans ce contexte, nuire à sa crédibilité et donnerait l’impression d’un retour à la politique de « sphères d’influence » discréditées ». Selon Alain Richard, on assistera à terme à l’évolution de la notion d’environnement de sécurité de l’Europe. Voir Atlantic News, n. 3216, 1er juillet 2000, p. 2. Lors de la réunion des ministres de la défense à Ecouen le 22 septembre 2000, M. Richard précisa pour la première fois que la force de l’UE aurait une portée de 4000 km. 82 L’intégration européenne et la défense : l’ultime défi ? éventuellement à travers une version européenne de Partenariat pour la Paix ou, du moins, un programme intégré de mesures de confiance et de sécurité. Il n’est pas question de laisser l’élargissement de l’UE réintroduire les menaces de sécurité collectives dans l’équation stratégique continentale. Il semble que Moscou commence finalement à s’intéresser à l’UE : a) en tant qu’ensemble intégré, par opposition à un certain nombre d’Etats isolés, et b) en tant que partenaire viable et potentiellement intéressant à tous les niveaux159 . La sécurité collective de l’Atlantique au Pacifique (y compris le Caucase et au-delà) est un projet qui présente un intérêt équivalent pour les deux parties. Il n’est pas exclu que le projet prématuré et infortuné de Confédération européenne du président Mitterrand renaisse ainsi de ses cendres. Les facteurs qui étouffèrent le projet dans l’œuf (puissance relative de l’Union soviétique, exclusion de l’UE des Etats d’Europe centrale et orientale, absence des Etats-Unis) ne sont plus aussi significatifs qu’il y a dix ans. La sécurité collective aurait tout à gagner d’une approche conjointe entre l’UE, la Russie et l’Ukraine de la planification politique dans des domaines aussi importants que l’énergie, l’environnement, le transport et les communications, l’immigration, le commerce et le développement régional. Pour poursuivre son évolution, la PESCD doit considérer la politique à l’égard de la Russie comme prioritaire. Cela contribuerait du reste à stabiliser l’Europe du Sud-Est – un projet qui s’assimile progressivement à une politique interne de l’UE. Les relations avec la Turquie demeureront difficiles. Malgré la décision d’Helsinki de l’autoriser à postuler officiellement à l’UE, cette adhésion demeure en soi une perspective éloignée. Grâce aux pressions américaines et à la pratique des discussions à «15 plus 6 », Ankara a progressivement nuancé son désaccord avec les décisions du Conseil européen de Feira sur la participation à la PECSD des membres de l’OTAN n’appartenant pas à l’UE (voir ci-dessus, page 62) 160 . La contribution de la Turquie à la planification 159 160 Vladimir Baranovsky, « Russia, a part of Europe or apart from Europe? », International Affairs, vol. 76/3 (2000); UK-Russian Security Policy Support Seminar, University of Birmingham, Centre for Studies in Security and Diplomacy, juin 2000, rapport de séminaire. A propos de la Turquie, voir Münevver Cebeci, « A delicate process of participation – The question of participation of WEU Associate Members in decision-making for EUled Petersberg operations, with special reference to Turkey », Publications occasionnelles, n. 10, Institut d’Etudes de Sécurité de l’UEO, Paris, novembre 1999. Pour une argumentation favorable à l’adhésion de la Turquie, voir David Barchard, Turkey and the European Union, Centre for European Reform, Londres, 1998. Où va la PECSD ? 83 militaire de l’UE sera à la fois significative et la bienvenue. Mais le fait que l’UE hésite à lui permettre de s’engager automatiquement dans tous les volets de la PECSD montre toute l’ambiguïté des incidences d’une telle adhésion sur le long terme. Même si certains pensent que, d’ici une vingtaine d’années, l’UE comptera la Russie et la Turquie parmi ses membres à part entière161 , cette perspective reste assez utopique. Une UE avec des frontières sur la mer Noire est un acteur stratégique complètement différent d’une UE avec des frontières en Asie mineure et/ou dans le Pacifique. En réalité, plus que les atteintes aux droits de l’homme, c’est cet aspect qui empêchera pendant un certain temps la Turquie d’entrer à l’UE en tant que membre de plein droit. L’UE en tant que telle doit s’arrêter quelque part – elle semblerait autrement se lancer objectivement dans un projet kantien universel de « fédération pacifique », cherchant à «mettre une fin à toutes les guerres pour toujours » et en incorporant progressivement « un ensemble de plus en plus grand de nations, tel qu’il finirait par comprendre toutes les nations du globe » 162 . La limite logique du processus semble être l’incorporation de tous les Etats actuellement candidats – auxquels pourraient éventuellement se joindre la Norvège et la Suisse. Avec la Turquie, l’UE devrait négocier un partenariat officiel et institutionnalisé, fondé non seulement sur une étroite coopération militaire et sécuritaire, mais aussi sur de nouveaux projets conjoints dans tous les domaines relevant d’une Confédération ressuscitée. Il en va de même avec le continent africain. Les liens existants avec les pays méditerranéens devraient être consolidés par le processus de Barcelone et ce processus devrait s’articuler autour d’un partenariat de sécurité collective en expansion. Les fonds d’investissement et de développement pour les pays de la rive Sud de la Méditerranée devraient être soigneusement équilibrés avec ceux destinés à d’autres priorités (Balkans, Ukraine, Russie, Afrique, etc.) afin de garantir qu’aucune région n’est ou se sent négligée ou abandonnée. La stabilité de la Baltique au Bosphore et à travers l’Atlantique devrait être perçue par l’UE comme un réseau sans faille de partenariat et de projets 161 162 Rapport de Jacques Attali à l’intention d’Hubert Védrine, intitulé « Une Union Plurielle », cité par Baudouin Bollaert dans Le Figaro, 6 juillet 2000 ; Zbigniew Brzezinski, op. cit. dans note 147. Emmanuel Kant, « Eternal Peace: a Philosophical Essay », dans Emmanuel Kant, Eternal Peace and Other International Essays, 1795, traduit par W. Hastie, World Peace Foundation, Boston, MA, 1914, pp. 84-86, cité dans Yost, op. cit. dans note 83, p. 10. 84 L’intégration européenne et la défense : l’ultime défi ? liant l’Union à tous ses voisins immédiats. La sécurité est en réalité indivisible. En ce qui concerne l’Afrique subsaharienne, l’UE devrait résister fermement à toute tentation de transformer sa force de réaction rapide en gendarme continental. Même si certains foyers potentiels de troubles justifient une intervention opportune de l’UE, sa priorité sera d’encourager la mise sur pied d’une force d’intervention panafricaine – voire de la former – qui assumera progressivement la responsabilité de la sécurité collective dans la région. Cette possibilité était sérieusement évoquée au milieu des années 90, avant que Saint-Malo ne soulève la perspective d’une UE collective plus charpentée. Il n’est ni justifié ni rationnel qu’une force armée de l’UE configurée pour défendre la sécurité collective du continent européen se retrouve régulièrement détachée à d’anciens postes coloniaux afin de défendre un « ordre » inévitablement mouvant et très relatif. Reste à savoir quels sont les «scénarios » d’action militaire de l’UE sur lesquels doivent se fonder la planification et l’acquisition des armes. La question « à quoi va servir l’armée européenne et où va-t-elle être utilisée ? » (que poseront les contribuables dès lors que les gouvernements envisageront d’augmenter les budgets de défense) exige une réponse. Celleci a habituellement tourné jusqu’ici autour des différents types de mission suggérés pendant les années 90 par l’UEO, à savoir « OTAN seulement », « Berlin plus » et « UE seulement », même s’il n’y en a guère eu d’application pratique, notamment pour les deux derniers. Avec l’émergence d’une force de l’UE plus importante et plus crédible, cette distinction perdra progressivement sa raison d’être et les critères politiques privilégiés par la France passeront au premier plan. Par exemple, au moment de décider si une opération donnée doit être dirigée par l’UE seule ou de concert avec l’allié américain, il faudra avoir à l’esprit l’histoire des relations entre le pays ou la région dans lesquels l’intervention est envisagée et les différentes nations susceptibles d’intervenir. La PECSD ne doit pas être un instrument servant à perpétuer l’hégémonie (néo-)coloniale. Les facteurs humains, comme la langue par exemple, devront également être pris en compte, tout comme la capacité de créer des synergies entre le civil et le militaire. Dans de nombreux autres domaines, l’UE peut se révéler un acteur plus approprié que les Etats-Unis ou même l’OTAN 163 . Mais il ne faudrait pas qu’elle imagine de manière trop explicite les scénarios possibles d’action militaire. 163 Alyson Bailes, op. cit. dans note 158, p. 39. Où va la PECSD ? 85 Tout comme la finesse stratégique consistait pendant l’ère nucléaire à refuser de déterminer à l’avance dans quelles circonstances la dissuasion risquait de ne pas fonctionner, les besoins de la période de l’après-guerre froide exigent une ambiguïté étudiée dans la définition des scénarios. Le fait même qu’il existe une force militaire importante et efficace de l’UE aura deux effets. Premièrement, en étant un bâton crédible, elle aura un impact positif sur l’efficacité de la carotte de l’UE, que représenteront la diplomatie préventive et de résolution des conflits ainsi que la politique d’aide, d’investissement et de financement du développement. Deuxièmement, en tant que force militaire efficace, elle jouera un rôle d’autant décisif que l’on évitera de déterminer à l’avance où et dans quel contexte elle pourrait être déployée. Là encore, les circonstances et les limites de la (non-)probabilité de l’intervention évolueront avec le temps en fonction de la situation géostratégique. La force européenne, dont la portée géographique demeurera sans définition précise, sera une réalité concrète, disponible pour de nombreux objectifs, seule ou avec les alliés, sous l’égide de différents acteurs : Nations unies, OSCE, OTAN et surtout UE elle-même. III.3 La PECSD et l’évolution institutionnelle de l’Union européenne Ces observations nous conduisent à la troisième série de questions concernant le développement de la PECSD : sa relation avec d’autres évolutions institutionnelles de l’UE. Ces quinze dernières années, l’Union s’est transformée d’un marché commun embryonnaire en un espace commercial et industriel unique et prospère, avec – pour la plupart de ses membres – une monnaie unique. L’impact politique du projet d’Union économique et monétaire (UEM) a été au moins aussi significatif que son impact économique et financier. Il a conduit à une convergence, qu’il continuera encore de faciliter, entre les principaux Etats membres de l’UE sur certains aspects fondamentaux de la politique – ceux qui définissaient autrefois le royaume de la « souveraineté » : politique économique, politique monétaire, voire, éventuellement, politique fiscale. L’élan donné par la monnaie unique au développement d’une Europe politique a été considérable. La perspective de la PECSD est un vecteur complémentaire poussant l’UE dans la même direction. Certains dirigeants de l’Union ont ainsi été amenés à réfléchir plus profondément à sa forme institutionnelle ultérieure. Plusieurs projets récents proposent que le corollaire de l’élargissement (une UE de trente Etats) soit une sorte de noyau ou de cœur 86 L’intégration européenne et la défense : l’ultime défi ? fédéral qui à la fois conservera l’essence du projet original (« une union plus étroite ») et garantira que l’intégration n’est pas freinée par ses membres les plus lents. Quels que soient leurs spécificités respectives, les propositions de Joschka Fischer (« une fédération fondée sur un traité constituant » – Humboldt University, 12 mai 2000) ; Jacques Delors (« une fédération d’Etat nation fondée sur une avant-garde » – Libération, 17 juin 2000) ; Jacques Chirac (« un groupe pionnier doté d’une constitution européenne » – Bundestag, Berlin, 27 juin 2000) demandent toutes la création d’une voie rapide vers l’unité politique par les pays qui souhaitent en faire partie. Quelle place la PECSD occupe-t-elle dans ce tableau ? Depuis que l’Europe a commencé sérieusement à examiner la coopération politique dans les années 70, les « souverainistes » livrent un combat d’arrière-garde. Cela ne veut pas dire pour autant que des institutions aussi jalouses de leurs prérogatives que le Foreign and Commonwealth Office ou le Quai d’Orsay soient sur le point d’abandonner la partie et d’adopter une PESC ou une PECSD unique (par opposition à une démarche commune). Même de hauts responsables aussi engagés vis-à-vis de l’intégration que les actuels ministres britannique et français des affaires étrangères défendent avec conviction la pérennité de la politique étrangère nationale 164 . Mais l’initiative de Saint-Malo et le transfert à l’UE de pouvoirs très étendus dans le domaine de la sécurité et de la défense (la raison d’être originale de l’Etat souverain) ne peut que galvaniser un processus qui, à travers l’Acte unique européen et la monnaie unique, a pris une vitesse considérable ces dix dernières années. La mise en œuvre de la PESCD facilitera-t-elle ou empêchera-t-elle la création d’un système fédéral embryonnaire 165 que préconisent tant de projets ? Un paradoxe apparaît immédiatement au sens où la création du « deuxième pilier » à Maastricht (qui a fait entrer la PESC et la PECSD dans la sphère de l’intergouvernementalisme) semblerait, au contraire, militer contre l’émergence de structures fédérales. Depuis les 164 165 Hubert Védrine & Dominique Moïsi, op. cit. dans note 68, pp. 105-106 ; Robin Cook, « Britain’s Future in Europe », discours devant la Britain in Europe Campaign, 23 novembre 1999. Le terme « fédéral » est probablement utilisé à tort. « Confédéral » n’est pas plus utile. Le débat sur l’avenir institutionnel de l’Europe a besoin d’une nouvelle terminologie. Helen Wallace a proposé la formule neutre d’« UE-isation » (ECSA-Canada, Québec, août 2000). Par souci de simplicité, le terme fédéral sera néanmoins utilisé ici pour désigner les processus et les structures représentant une unification et une cohérence politique accrues. Où va la PECSD ? 87 années 50, lorsque Jean Monnet, encouragé par le succès de la Communauté du Charbon et de l’Acier, décida d’appliquer la même méthode supranationale à la Communauté de Défense européenne, il fut clair pour la plupart des analystes que, s’il était possible de prendre en comité des décisions sur les quotas d’acier, on ne pouvait envoyer des jeunes gens mourir sur une terre étrangère par un vote à la majorité qualifiée. Jusqu’ici, la mise en œuvre de la PECSD a été rigoureusement intergouvernementale. Même l’élaboration du headline goal a scrupuleusement respecté la souveraineté de chaque Etat nation. Il incombe à chaque nation de fixer sa contribution, qui sera annoncée à la conférence de génération de forces de novembre 2000, puis d’utiliser ses propres procédures pour respecter son engagement. Bien que les médias aient constamment fait référence (de façon pas toujours innocente) à la création d’une « armée européenne », les gouvernements ont eu toutes les peines du monde à convaincre leurs électorats que ce n’était absolument pas ce qu’ils entendaient créer. En réalité, le modèle OTAN suggère ici qu’une approche consensuelle, fondée sur l’unanimité de dix-neuf Etats souverains, peut aboutir à la création d’une machine de guerre efficace. Mais le modèle de l’OTAN se fonde sur le leadership, autrement dit sur le rôle de pionnier d’un Etat souverain qui est, en réalité, beaucoup plus égal que les autres. Une telle situation n’existe pas à l’UE. Pour se doter d’une force de réaction rapide européenne complètement intégrée, jouissant d’un haut degré d’autonomie vis-à-vis des Etats-Unis, les Etats de l’UE ont déjà accepté, sous la pression du marché, d’internationaliser leur sacro-sainte base industrielle de défense comme le prix à payer pour rester dans le jeu. L’acquisition commune en Europe est aujourd’hui la norme, et sera rendue encore plus nécessaire par les besoins de l’interopérabilité. Déjà, il est entendu que les troupes européennes devront suivre un entraînement commun. L’une des conclusions les plus surprenantes du gouvernement français après les opérations au Kosovo était qu’il avait manqué à son corps d’officiers une bonne connaissance de l’anglais 166 . Il est vrai que l’interopérabilité fonctionne mieux en une seule langue. De nombreux éléments d’internationalisation existent déjà. Et on n’imagine guère, lorsqu’il s’agira d’examiner la planification militaire pour 2010, les 166 A cet égard, la maîtrise à haut niveau de l’autre langue officielle de l’OTAN et la connaissance du milieu interallié sont indispensables pour les équipages comme pour les officiers appelés à armer des postes d’état-major. » Ministère de la Défense, Les enseignements du Kosovo : analyses et références, Paris, novembre 1999, p. 18. 88 L’intégration européenne et la défense : l’ultime défi ? membres du CM réutilisant la seule méthode qui avait été possible pour organiser le headline goal de 2003 : aux nations de décider quoi, comment et quand. Il est beaucoup plus vraisemblable que, pour répondre aux besoins de la planification militaire à long terme, des éléments substantiels de centralisation soient introduits dans la PECSD. Un pays x aura pour mission de développer telle ou telle capacité et ce, en coopération avec d’autres capacités nationales grâce à une base d’acquisition trans-européenne gérée par une OCCAR « UE-isée » différente. Cette évolution aura automatiquement un effet catalyseur au niveau décisionnel. Alors que les capitales nationales souhaiteront naturellement conserver autant de contrôle que possible des événements, la présence à Bruxelles de plusieurs strates de représentants permanents ayant des responsabilités à l’égard de la PECSD (voir ci-dessus, pp. 36 et 37) entraînera une gravitation de plus en plus marquée de l’élaboration des décisions, puis de la prise de décision, en direction du « centre ». Les signes de ce que l’on peut appeler un « intergouvernementalisme supranational » existent déjà. Une récente étude, produite conjointement par les centres d’analyse et de prévision des ministères français et allemand des Affaires étrangères, souligne le besoin urgent de formuler une politique étrangère ferme et cohérente ; elle propose donc la fusion à terme des premier et deuxième piliers et recommande que le HR-PESC cesse d’avoir un rôle purement intergouvernemental pour devenir, parallèlement à sa fonction de Secrétaire général du Conseil, viceprésident de la Commission. Il y est également suggéré que l’Unité politique du HR-PESC coopère étroitement avec les équipes de planification de la PESC et de la PECSD à la Commission pour former l’embryon d’un ministère européen des Affaires étrangères. Ce document confidentiel167 ne reflète la position d’aucun des deux ministères, sûrement pas du Quai d’Orsay, mais est révélateur de la pensée qui prévaut parmi les planificateurs de politique étrangère. Il convient également de noter que cette étude – consacrée à la politique étrangère – n’a pas été un exercice franco-britannique mais franco-allemand, malgré l’importance de l’axe Paris-Londres en matière de défense et de sécurité. Le « moteur » franco167 Son existence a été révélée à la presse début juillet 2000. Voir Baudouin Bollaert, « Quelle Politique Etrangère à Trente ?», Le Figaro, 6 juillet 2000 ; Daniel Vernet, « Français et Allemands envisagent en commun l’avenir de l’Europe », Le Monde, 6 juillet 2000. Où va la PECSD ? 89 allemand de l’UE n’est nullement moribond, même là où les initiatives franco-britanniques ont occupé le devant de la scène. Cette « fédéralisation » radicale de la politique étrangère et de sécurité serat-elle l’estocade finale qui contraindra les Britanniques à repenser leur stratégie sur la PECSD ? La réponse est non pour trois raisons. Premièrement, d’ici que l’on en soit là, le Royaume-Uni sera tellement impliqué dans le projet PECSD168 qu’il lui sera alors difficile d’envisager un retrait – d’autant plus que, par la même occasion, les Etats-Unis auront très probablement élaboré des plans de circonstance afin de placer leurs principales ressources militaires ailleurs dans le monde qu’en Europe. Une fois appliquée, la PECSD deviendra encore plus importante pour les fondements de la sécurité européenne. Deuxièmement, en tant que meilleur contributeur et pays ayant probablement le plus d’impact sur la PECSD, la Grande-Bretagne sera dans une position lui permettant d’exercer une influence notable (et probablement un certain leadership) sur les résultats des discussions de l’UE concernant la mise en œuvre. Cela a certainement été le cas en 1999 et 2000. Troisièmement, la Grande-Bretagne aura, d’ici là, atteint le point où la décision ultime sur l’Europe ne peut plus être remise à plus tard. Le référendum sur l’euro, qui semble inévitable, sera en fait une consultation sur l’Europe. Le gouvernement Blair, à condition qu’il soit toujours au pouvoir, devra avoir mis au point tout son arsenal de propagande et de mécanismes décisionnels, mobilisé le soutien de tous les partis à l’Europe et de tous ceux parmi les élites – hommes d’affaires, universitaires, écrivains, sportifs et journalistes – qui « croient » en l’Europe. Rejeter « le » projet dont la Grande-Bretagne aura probablement pris les rênes et qu’elle pourrait les garder de manière crédible n’est pas ce que doit faire un Premier ministre qui tente de gagner un référendum sur l’Europe. Le paradoxe demeure entier : la PECSD – aujourd’hui une entreprise purement intergouvernementale – alimente-t-elle les « tendances fédéralistes » au sein de l’UE ? La réponse dépend dans une certaine mesure de l’interaction entre la structure et le processus. Dans la mesure où l’UE, pour d’autres raisons (inertie historique, impact de l’UEM, conséquences institutionnelles de l’élargissement, détermination du gouvernement 168 En partant bien sûr du principe qu’il n’y a pas de revirement de la politique britannique. Si les conservateurs passaient au gouvernement dans un avenir proche, ils seraient presque obligés de mettre en cause la plupart des aspects du projet PECSD, contre lequel ils se battent actuellement. 90 L’intégration européenne et la défense : l’ultime défi ? allemand) commence à prendre tous les signes extérieurs d’un système fédéral, l’existence d’un projet et d’un processus PECSD a très peu de chances de faire contrepoids. En réalité, même si les capitales nationales souhaitent, comme nous l’avons vu, conserver autant de contrôle que possible, les impératifs structurels du projet PECSD semblent aller dans la même direction centraliste (sinon fédéraliste). Autrement dit, la PECSD n’empêchera pas la fédéralisation si telle est la direction choisie par l’UE. Mais elle ne fera pas d’effort particulier pour la promouvoir – au-delà d’une limite déterminée par les besoins de la planification militaire – si l’Union résiste à cette tentation. Toutefois, dans la mesure où la PECSD traduit manifestement l’ambition de l’UE d’intensifier le processus d’union politique, les graines de la centralisation politique sont semées. Nombre d’analystes estiment que l’UE ne peut pas avoir une politique étrangère unifiée sans un exécutif unifié. Il se pourrait bien que la PECSD entraîne l’Union dans cette direction. Faisant bruyamment diversion, le président Chirac affirma au Bundestag le 27 juin qu’il était favorable à une « coopération renforcée » dans les domaines politiques où il était plus difficile de parvenir au consensus, notamment celui de la défense et de la sécurité. Ce discours (dont le but était surtout de relancer le couple franco-allemand moribond) cherchait essentiellement à forcer l’impasse sur le vote à la majorité qualifiée (VMQ) à la conférence intergouvernementale. L’argument du président était, en substance, que, si les Etats membres ne pouvaient s’entendre sur le VMQ, il était toujours possible de recourir à la coopération renforcée. Ce qui n’était en soi ni une bonne ni une mauvaise nouvelle. Tout dépend de la question de savoir si l’on considère le VMQ comme un moyen de promouvoir l’intégration. Mais prendre la PECSD comme un terrain favorable à la coopération renforcée a été une diversion pour deux raisons. Premièrement, c’est le seul domaine où il n’a jamais été et où il ne sera jamais question de prendre des décisions au VMQ. Deuxièmement, l’exercice d’une certaine coopération renforcée y a davantage été la règle que l’exception depuis la chute du mur de Berlin. Toutes les opérations militaires de l’UE dans les Balkans ou ailleurs ont été des exemples de coalition de pays volontaires. Cette constatation soulève une autre question. L’UE peut-elle se permettre, dans ses propres rangs, une division du travail permettant à certaines nations d’assumer la part du lion en matière de défense et de sécurité et aux autres de n’offrir guère plus qu’un soutien politique et financier ? Aussi séduisant Où va la PECSD ? 91 puisse être à première vue ce « scénario de mercenaires » 169 pour ceux qui combattent comme pour ceux qui financent, il est incompatible avec l’esprit communautaire supposé à la base du projet d’Union européenne. Il faut donc le rejeter et, comme pour le headline goal, chaque pays sera censé participer activement à l’entreprise commune. La Pennsylvanie, par exemple, où vivent de nombreux pacifistes et adeptes de religions non conformistes telles que les Quakers, ne bénéficie d’aucune dérogation par rapport aux engagements militaires américains. La division du travail la plus susceptible de se produire est celle où les membres (surtout nordiques) de l’UE ayant de fortes traditions de maintien de la paix n’engageront dans des opérations strictement militaires que des forces symboliques, et concentreront leurs efforts sur les aspects civils de la gestion des crises. En réalité, la spécificité de la PECSD sera l’équilibre délicat à trouver entre les deux extrémités (militaire et civile) de la mise en œuvre de la sécurité. Cet équilibre constituera en soi une approche européenne unique et consensuelle de l’avenir de la politique étrangère et de sécurité. III.4 Normes, valeurs et légitimité politique Cela nous amène tout naturellement à la dernière série de questions qui influenceront l’orientation du projet PECSD pendant les prochaines décennies. Quelles que soient les forces internes et les objectifs communs de l’Alliance atlantique, les normes et les valeurs politiques et sociales qui sous-tendent l’Union européenne sont distinctes et très différentes de celles qui ont forgé les Etats-Unis. L’itinéraire historique des deux continents contraste considérablement, la nature de leur interaction avec les différentes sociétés et populations revêt des caractéristiques variées et leur approche de la sécurité et de la guerre a été façonnée par des réalités et des expériences géostratégiques très diverses. Certains peuvent douter de la crédibilité des Européens en matière de valeurs. Il est vrai que, pendant la première moitié du XXème siècle surtout, l’Europe n’a guère été un exemple à suivre pour les autres parties du globe. Mais on peut considérer que, pendant la deuxième moitié, les Européens ont appris et appliqué les leçons de leur folie meurtrière et qu’ils ont créé, pour la première fois en Europe, et de leur propre volonté, une communauté consensuelle beaucoup plus grande et plus dynamique que la somme de ses différentes parties. Il convient néanmoins 169 Alain Joxe, L’Amérique mercenaire, Stock, Paris, 1992. 92 L’intégration européenne et la défense : l’ultime défi ? de faire la part des choses car l’une des grandes forces de l’UE est sa diversité et il existe, au sein des quinze Etats membres actuels, tout un éventail de normes politiques, sociales, morales et éthiques. Les identités sont également multiples et insaisissables. Toute tentative de définir trop précisément les « valeurs européennes » court presque inévitablement le risque d’offenser certains pays ou certains électorats. Collectivement, l’UE représente néanmoins un système de normes et de valeurs politiques, économiques et sociales ayant un fort impact, notamment sur les Etats qui n’en sont pas encore membres. Ce système ne fait pas de prosélytisme ouvert. L’Union européenne ne préconise pas une PECSD pour mettre en cause le rôle universel des Etats-Unis. C’est un projet qui tente souvent la France : la France est en effet le seul pays avec les EtatsUnis à avoir tenté de faire accepter son système socio-politique comme un modèle universel. Le projet de l’UE est plus limité : il vise à promouvoir la stabilité partout où elle risque d’être menacée, notamment dans les zones (étranger proche de l’UE) où l’effet de débordement pourrait avoir des répercussions directes ou indirectes sur la stabilité ou la sécurité internes de l’UE. Dans cette entreprise, l’UE souhaite néanmoins agir conformément à certains principes qu’elle juge fondamentaux pour sa propre morale communautaire et qui sont les suivants : le pluralisme et la tolérance sont les fondements les plus sûrs d’une administration saine ; la guerre et la violence ne sont des méthodes ni appropriées ni productives pour régler les différends entre populations ; il existe de nombreuses formes d’intervention et l’UE privilégie l’humanitaire par rapport au militaire et la prévention plutôt que la réaction ; là où l’intervention militaire semble inévitable, elle devrait être menée conformément aux règles internationales et au nom d’une communauté internationale véritable avec un mandat juridique clair comme cadre légitime ; lorsqu’elle cherche à exercer une influence dans des domaines où règne l’instabilité – notamment en présentant ses propres valeurs communautaires comme l’idéal d’une action entre Etats méritant d’être examinée, l’UE ne cherche ni à dominer, ni à contrôler ni à s’imposer aux autres. Alyson Bailes a proposé une liste utile de valeurs qui devraient toujours être prises en compte pour toute intervention de l’UE dans les affaires des autres nations : recours minimal et proportionnel aux forces armées ; fondement juridique approprié ; autorité morale ; respect de la Convention de Genève ; cohérence avec les engagements de l’UE dans le Où va la PECSD ? 93 domaine de l’arms control ; responsabilité démocratique ; transparence 170 . Ces différents éléments méritent réflexion car ils introduisent un nouveau concept dans les relations internationales. Celui de la gouvernance sécuritaire. Alors que, selon les écoles traditionnelles de relations internationales (réalisme et néoréalisme), la défense et même la sécurité sont des questions que les Etats et les gouvernements sont les mieux placés pour traiter, conformément aux principes traditionnels de l’intérêt national, la fin de la guerre froide a permis aux analystes de percevoir la construction d’une nouvelle approche de la sécurité internationale – fondée sur les principes de gouvernance – qui se différencie à de nombreux égards de l’approche traditionnelle. La littérature 171 suggère que les institutions et la pratique de la gouvernance se distinguent de celles du mode gouvernemental dans six domaines : 1) objectif fonctionnel ; 2) portée géographique ; 3) intérêts ; 4) normes ; 5) prise de décision ; 6) mise en œuvre politique. Selon cette approche, la prise de décision en matière de sécurité est, depuis quelques années, marquée par un passage du mode gouvernemental à la gouvernance. Premièrement, en termes purement fonctionnels, la politique de sécurité n’a cessé de voir sa portée s’élargir par rapport à ce que l’on appelle les « jeux à somme nulle » de la politique de défense traditionnelle. L’inclusion, dans la définition globale de la politique de sécurité, de facteurs non militaires tels que les considérations sociales, économiques, écologiques et culturelles (la sécurité de mon voisin est la meilleure garantie de la mienne) a permis à un éventail beaucoup plus large d’acteurs de s’impliquer dans la promotion de la sécurité que ce n’était jusqu’ici le cas. Deuxièmement, du point de vue géographique, l’attention traditionnellement 170 171 Alyson Bailes, « New set of questions », op. cit. dans note 158. Le Premier ministre britannique, Tony Blair, a défini dans son discours à Chicago le 22 avril 1999, cinq tests ayant une portée plus utilitaire que morale ou juridique : 1) sommes-nous sûrs de notre affaire ? ; 2) avons-nous épuisé toutes les options diplomatiques ? ; 3) y a-t-il des opérations militaires que nous pouvons entreprendre rationnellement et prudemment ? ; 4) sommes-nous prêts à une opération de longue durée ? ; 5) nos intérêts nationaux sont-ils en jeu ? L’analyse la plus complète de la question est probablement celle de : Beate KohlerKoch & Rainer Eising (dir.), The Transformation of Governance in the European Union, Routledge, Londres, 1999. Pour une analyse critique du débat, voir Simon Hix, « The study of the European Union II: the « new governance » agenda and its rival », Journal of European Public Policy, vol. 5/1, mars 1998, pp. 38-65. 94 L’intégration européenne et la défense : l’ultime défi ? accordée à l’Etat ou, tout au plus à la dimension macrorégionale, a laissé la place à une approche de la sécurité introduisant une dimension à plusieurs niveaux géographiques, qu’il s’agisse de la province ou de la planète. Cette approche dépend également, de plus en plus, des organisations non gouvernementales et d’acteurs non militaires, y compris – désormais – un acteur aussi important que l’Union européenne elle-même. Troisièmement, la fin de la guerre froide a supprimé la notion d’intérêts idéologiques inconciliables qu’impliquait l’approche traditionnelle des relations internationales. Elle a été remplacée par celle de menaces communes pour la sécurité, qui requiert la coopération de tous les Etats dans une région donnée. Simultanément, on constate une diversification croissante des activités des principales organisations multilatérales dans la région Nord Atlantique. L’élargissement de l’OTAN a impliqué de nombreux accords bilatéraux dans le cadre du Partenariat pour la Paix, qui privilégie les spécificités de chaque Etat signataire et relativise l’importance des intérêts communs. De même, l’élargissement de l’UE, qui comporte également une importante dimension de sécurité, associe une approche globale des intérêts communs et celle portant sur les spécificités. Aujourd’hui, la PECSD de l’UE suggère encore une autre démarche à l’égard de la sécurité internationale, qui consiste à respecter la diversité en ayant les points communs à l’esprit. Quatrièmement, la norme traditionnelle de souveraineté de l’Etat a été mise à mal par de nouveaux concepts d’ingérence, privilégiant le droit d’intervention fondé sur des valeurs humaines « supérieures ». Cette tendance à la dilution de la souveraineté a été un aspect crucial de la pratique politique de l’UE (malgré l’importance limitée accordée jusqu’ici à la sécurité) impliquant un recours croissant au vote à la majorité qualifiée. Cinquièmement, la diversification des fonctions et des niveaux impliqués dans la définition et la mise en œuvre de la politique sécuritaire a conduit à une pléthore d’acteurs dans les domaines politique, social, économique, écologique et humanitaire, qui ont tous un impact sur la prise de décision. Enfin, en ce qui concerne la mise en œuvre, les gouvernements se félicitent de l’appui de ces acteurs non étatiques car l’expansion fonctionnelle de la notion de sécurité signifie que le problème est simplement trop difficile a traiter même pour de grands Etats172 . Le rôle, 172 Ce concept de gouvernance sécuritaire est essentiel pour un important projet de recherche entrepris par le Economic and Social Research Council britannique dans le cadre du projet « One Europe or Several ? ». L’équipe de recherche travaillant spécifiquement sur la « gouvernance sécuritaire » comprend Stuart Croft, Terry Terriff Où va la PECSD ? 95 par exemple, d’un groupe tel que Médecins sans Frontières a été essentiel pour promouvoir la sécurité dans les Balkans. Dans ce contexte, les questions de transparence, de légitimité, voire de responsabilité démocratique, qui ont toujours été absentes des politiques classiques de défense et de sécurité, seront vraisemblablement cruciales pour le succès de la politique de défense et de sécurité de l’UE. Jusqu’ici, trop peu d’attention a été accordée à la réalité de la transparence et de la légitimité, bien qu’il y soit régulièrement fait allusion dans les textes du Conseil européen. Au niveau officiel, une certaine surveillance parlementaire sera nécessaire si l’UE ne veut pas être perçue comme demandant aux autres de faire ce qu’elle ne fait pas. Mais au-delà de cet aspect purement formel de la responsabilité démocratique, il faudra avoir à l’esprit les implications globales de la légitimité. Car la PECSD est un projet qui touche la société européenne à tous les niveaux et sera conduite au nom des normes et des valeurs qui confèrent au projet UE lui-même la légitimité qui, seule, lui permet de poursuivre son périple vers une destination inconnue. La légitimité est au cœur de la gouvernance. La valeur ajoutée considérable de la PECSD en termes de gouvernance sécuritaire est, bien entendu, la somme des capacités militaires. La capacité de l’UE de persuader, à travers l’exemple, les investissements, l’aide au développement et autres « édulcorants », a montré ses limites. La carotte, sans le bâton, est souvent un instrument inutile, voire inapproprié. Comme Kofi Annan l’a remarqué à propos de l’influence des Nations unies sur l’Irak, la diplomatie soutenue par la force est beaucoup plus efficace que la diplomatie seule. Lorsque l’UE associera la carotte et le bâton, chacun des deux instruments verra son efficacité augmenter, surtout la carotte. Cela nous ramène une fois de plus à la combinaison unique d’instruments militaires et non militaires dont l’UE devra se doter pour mettre en œuvre la PECSD. L’UE sera ainsi dans une position lui permettant d’offrir – et Elke Krahmann (Birmingham University), Jolyon Howorth (Bath University) et Mark Webber (Loughborough University). 96 L’intégration européenne et la défense : l’ultime défi ? notamment à son « étranger proche » – une approche de la sécurité différente de celle garantie jusqu’ici par les Etats-Unis. Ce sera là une véritable révolution dans les affaires européennes. Conclusion : la PECSD dans le nouvel ordre mondial Comme le montre ce qui précède, la PECSD a encore de la route à faire pour répondre aux attentes de ses fondateurs. Ce parcours sera long et jalonné d’entraves. Trois facteurs suggèrent toutefois que, malgré les difficultés passées et à venir, la PECSD à des chances, cette fois-ci, de se concrétiser. Premièrement, ce projet a suscité en Europe, depuis le sommet de Saint-Malo en décembre 1998, une volonté politique considérable. Il a acquis une dynamique propre, à la manière de la monnaie unique ou du projet d’UEM, qu’il s’est avéré de plus en plus difficile (voire dramatique) d’inverser –, d’autant plus que la crédibilité de l’Europe en tant qu’acteur international lui est étroitement liée. L’UE a, littéralement, tout à gagner du succès de la PECSD et tout à perdre dans le cas contraire. Un échec aurait des implications considérables pour tout l’éventail de projets politiques actuellement entrepris par l’Union – y compris l’élargissement et l’UEM. Une réussite serait, elle, d’un bénéfice sans précédent. Deuxièmement, les forces historiques poussent toutes dans la même direction. La guerre froide est terminée et l’engagement américain en Europe ne peut plus être identique à ce qu’il était de 1947 à 1989. Le contribuable américain ne continuera pas d’assumer la part du lion des responsabilités – et des coûts – dont l’UE est tout à fait capable de s’occuper. Dans une large mesure, la survie de l’Alliance elle-même dépend maintenant de la création d’un potentiel militaire européen significatif. En même temps, la création de cette force est intimement liée à la capacité de l’UE de maintenir une base industrielle de défense et de suivre le rythme des évolutions technologiques dans le domaine des armes très sophistiquées. Troisièmement, et surtout, tout démontre que Londres s’est véritablement lancé dans le projet. Qu’il devienne ou non un membre à part entière des autres projets intégrés de l’UE (euro, Schengen), il semble évident que, sauf revirement politique, le Royaume-Uni est aujourd’hui sérieusement engagé vis-à-vis de la PECSD. La voie à suivre peut sembler mal éclairée et cahotante, mais elle conduira certainement à un nouvel équilibre des responsabilités respectives de l’UE et des Américains pour la sécurité du vieux Continent. Il reste cependant encore de nombreux problèmes importants à résoudre. Les institutions doivent être huilées et ajustées, les cultures de défense et de sécurité ont besoin de temps pour s’adapter les unes aux autres, un projet 98 L’intégration européenne et la défense : l’ultime défi ? stratégique doit être développé, une structure exécutive efficace doit émerger et, surtout, une capacité militaire crédible doit être mise sur pied. Parmi les questions les plus complexes, celle du soutien politique à l’accroissement des budgets de défense sera à terme pratiquement indissociable de celle de l’augmentation des capacités militaires européennes. Ce soutien doit être encouragé de diverses manières, à travers les discours respectifs des Etats membres, et dépendra surtout de l’équilibre trouvé entre les dimensions militaires et civilo-politiques des instruments politiques de l’UE. L’attitude qu’adoptera la prochaine administration américaine à l’égard de cette capacité européenne est également une inconnue. A long terme, l’UE et les Etats-Unis devront négocier une relation transatlantique autre, qui émergera dans un contexte mondial différent. Les Américains attachent de plus en plus d’importance à l’instauration d’un nouvel arrangement mondial entre les deux rives de l’Atlantique, en vertu duquel la capacité politico-militaire naissante de l’UE, en plus de jouer un rôle accru pour le maintien de l’ordre dans l’étranger proche de l’Europe, sera capable et voudra soutenir la politique sécuritaire des Etats-Unis à travers le globe (Chine-Taiwan, Corée, Golfe, Arc de crise du MoyenOrient) 173 . Les Etats-Unis ne considèrent plus que la principale menace, si tant est qu’elle existe, pour leurs intérêts vitaux vient du théâtre européen. Ce qu’ils cherchent à savoir est ce que l’UE peut apporter à la sécurité du monde en échange de celle qu’ils ont garantie à l’Europe au siècle dernier. La réponse suggérée par Cologne et Helsinki et se profilant à Nice est : « Petersberg ». Pour les Américains, cela ne suffit peut-être pas pour maintenir la cohésion de l’Alliance. Le headline goal d’Helsinki est généralement considéré à Washington comme ayant une portée trop limitée. Reste à définir l’objectif optimal d’une PECSD. La France est favorable à ce que l’UE soit un acteur mondial majeur, en demeurant obligatoirement l’alliée des Etats-Unis – mais sans suivre automatiquement ou aveuglément la politique américaine partout où elle irait. Le Royaume-Uni semble, malgré ses intérêts mondiaux, préférer un rôle régional plus limité pour la PECSD, avec une extension possible en Afrique, mais guère plus. La pensée britannique actuelle sur la défense européenne se limite plus ou moins aux 173 Stephen Larrabee et David Gompert, America and Europe: a partnership for a new era, Cambridge University Press, Cambridge, 1997 ; John C. Hulsman, «A Grand Bargain with Europe: Preserving NATO for the 21st Century », The Heritage Foundation Backgrounder, n. 1360, 17 avril 2000 ; interventions d’Ivo Daalder, Stephen Larrabee et William Harris à la Conférence annuelle de l’Institut d’Etudes de Sécurité de l’UEO, Paris, 24-25 février 2000. Conclusion 99 missions de sécurité collectives de type Petersberg, ce qui montre que, malgré l’évolution récente, les idées reçues du Royaume-Uni sur l’Europe et la défense n’ont pas tout à fait disparu. Il est vrai que les Britanniques ont tendance à penser que leur soutien à la politique mondiale des Etats-Unis est quelque chose qu’ils offrent à Washington plus ou moins isolément de leurs alliés européens 174 . Ce fut le cas pour la politique américaine dans le Golfe ou en Asie du Sud-Est. Ces approches contrastées seront mises à l’épreuve par les incidences de l’actuel projet américain de déployer un bouclier anti-missiles (National Missile Defence [NMD]), censé protéger le territoire américain contre la projection de missiles balistiques indésirables par les Etats « voyous » 175 . Bien que tous les Etats de l’UE, y compris le Royaume-Uni, aient tenté de convaincre Washington de ne pas passer à l’acte parce qu’un tel déploiement porterait atteinte au Traité ABM et encouragerait la Russie et la Chine à se lancer dans une nouvelle course aux armements, il semble démontré que les Américains resteront sourds à ces arguments et concrétiseront leur projet. Ce qui pose deux grands dilemmes aux Européens. Supposons que, dans le futur, les Américains bénéficient d’une certaine protection (limitée) contre des Etats hostiles et que ce ne soit pas le cas de l’UE, le potentiel de division au sein de l’Alliance serait considérable. Serait-il concevable, par exemple, que l’UE rejoigne une coalition américaine contre l’Irak si les pays européens étaient vulnérables à une frappe par des missiles irakiens équipés d’armes atomiques, biologiques ou chimiques ? Une « solution » américaine à ce dilemme serait que les Européens mettent sur pied leur propre système de bouclier antimissiles. Paradoxalement, étant donné l’engagement actuel du Royaume-Uni dans les systèmes américains d’alerte rapide, c’est une idée à laquelle la France ne serait pas complètement opposée (bien qu’ayant critiqué le projet américain beaucoup plus ouvertement que Londres). Le Royaume-Uni risque, par 174 175 La Strategic Defence Review du ministère de la Défense (paragraphes 51-54) ne confère aucun rôle à une contribution européenne au-delà de la zone OTAN, mais accorde un intérêt considérable à une intervention britannique, surtout dans le Golfe, les Caraïbes et l’Asie du Sud-Est. En juin 2000, les Américains ont officiellement abandonné le concept d’« Etats voyous » et l’ont remplacé par celui d’« Etats préoccupants ». La meilleure introduction au débat très complexe sur le bouclier antimissiles est celle d’Ivo H. Daalder, James M. Goldgeier & James M. Lindsay, « Deploying NMD: not whether but how », Survival, vol. 42/1, printemps 2000, pp. 6-28. 100 L’intégration européenne et la défense : l’ultime défi ? contre, de ne pas se sentir très à l’aise avec les incidences de ce choix, que ce soit politiquement ou financièrement. Un tel dilemme pourrait très facilement diviser non seulement les Américains et les Européens mais aussi les différents Etats membres de l’UE. La quête américaine d’un nouvel arrangement mondial de sécurité entre l’OTAN et l’UE va nécessairement poser un problème majeur pour de nombreux Etats membres de l’Union européenne car les Quinze ne sont pas d’accord sur le bilan de politique mondiale des Etats-Unis. De plus, dans la mesure où l’UE progresse en matière d’élargissement et devient un acteur international stable, il lui faudra concevoir une combinaison d’instruments politiques et militaires différente de celle que les Américains avaient toujours privilégiée. Maintenir la stabilité sur le territoire de l’UE doit signifier autre chose qu’une « simple » projection de puissance militaire. Jusqu’ici, le plus grave échec de l’UE a été la dissuasion, autrement dit son incapacité de remplacer les instruments militaires par des instruments politiques. L’un des grands enseignements des « guerres de succession » en ex-Yougoslavie est que les flatteries politiques, les édulcorants économiques et commerciaux et la diplomatie sécuritaire ne fonctionnent tout simplement pas (en particulier face à des adversaires aussi impitoyables que Saddam Hussein et Slobodan Milosevic) sans la force militaire. Si cette force est présente, il devrait toutefois rester possible de parvenir progressivement aux objectifs politiques et diplomatiques sans y avoir recours. Dans ce contexte, les approches européennes sont très différentes des approches américaines. Les pressions se font de plus en plus fortes pour que le Royaume-Uni, enclin dans le passé à suivre l’approche américaine musclée du maintien de la paix, adopte l’approche européenne plus subtile de la diplomatie sécuritaire. C’est du reste ce qui se passe déjà – la « diplomatie défensive » est devenue le thème favori du New Labour – et cette tendance risque fort de se renforcer. Et la division naissante du travail entre l’UE et l’OTAN ne fera que l’accélérer. A ce stade, la position de pivot que le Royaume-Uni souhaite occuper entre les deux côtés de l’Atlantique sera de plus en plus difficile à conserver. Cela ne veut pas dire que l’UE et l’OTAN s’éloigneront inévitablement ou adopteront des politiques incompatibles, mais plutôt que chaque acteur national devra tôt ou tard faire des choix clairs sur son appartenance. C’est dans ce sens que le Royaume-Uni et certains de ses alliés atlantiques au sein de l’UE devront peut-être un jour faire le choix décisif – non pas de liens d’appartenance car ils peuvent être multiples – mais de priorités concernant une action et un engagement Conclusion 101 spécifiques, parce qu’il faut pour cela du temps et des ressources, qui sont des biens finis. Le moment sera venu lorsque l’évolution phénoménale commencée à Saint-Malo et poursuivie à Helsinki posera les questions les plus cruciales au Royaume-Uni et à ses alliés européens. Pour les autres Etats membres de l’UE, à commencer pour la France, le projet PECSD est un autre « voyage pour une destination inconnue ». Avec moins de réserves quant à l’impact du projet sur l’approche de Washington (les Français sont convaincus que les Américains s’adapteront aux conséquences de la PECSD car ils en sont capables), la plupart des pays européens n’auront guère de difficultés à associer les avantages d’une autonomie européenne relative au rééquilibrage inéluctable des relations euro-américaines. Les différentes régions européennes n’auront pas les mêmes priorités stratégiques : il ne faut pas s’attendre à ce que Madrid, Lisbonne et Rome attachent la même importance aux évolutions des Etats baltes que Copenhague et Stockholm ; Helsinki et Berlin accorderont une attention plus mesurée que Paris et Athènes à la cohérence d’une politique méditerranéenne viable. Mais de nombreux signes montrent déjà que les quinze membres de l’UE actuelle commencent à considérer la PESC et la PECSD comme faisant partie d’un étroit réseau de transactions politiques qui auront à terme un impact significatif sur chaque pays. La sécurité collective dans une partie de l’Europe a inévitablement des conséquences sur le reste du territoire. Cette prise de conscience du caractère unique de la politique étrangère et sécuritaire de l’Europe aura nécessairement un impact sur le développement institutionnel de l’Union elle-même. Alors que les capitales continuent de formuler des options appropriées à leur situation spécifique, la politique globale sera de plus en plus affinée au centre. L’émergence de l’UE comme véritable acteur international ne peut pas ne pas conduire à une forme de gouvernance combinant le consensus et l’efficacité, la diversité et l’unité. Car c’est là, après tout, le caractère distinctif essentiel – et la vraie force morale – de l’Union européenne. La mise en œuvre d’une politique de défense et de sécurité cohérente est ainsi l’ultime défi du processus d’intégration européenne. Sigles AFSOUTH C4 CAG CAN CM COPS COPSi COREPER CSCE DCI DSACEUR EADS EM EUROFOR EUROMARFOR GFIM HR-PESC IESD IFOR OCCAR ONU OSCE OTAN PARP PECSD PESC PpP SACEUR SHAPE UE UEO UEM UPPAR VMQ Forces alliées du Sud de l’Europe Command, Control, Communications and Computers Conseil Affaires générales Conseil de l’Atlantique Nord Comité militaire (européen) Comité politique et de sécurité Comité politique et de sécurité intérimaire Comité des Représentants permanents auprès de l’UE Conférence pour la Sécurité et la Coopération en Europe Initiative sur les capacités de défense Adjoint du Commandant suprême des forces alliées en Europe European Aeronautic Defence and Space Company Etat-major militaire Force européenne (de déploiement rapide) Force maritime européenne Groupes de forces interarmées multinationales Haut Représentant pour la Politique étrangère et de Sécurité commune Identité européenne de Sécurité et de Défense Force de mise en œuvre (des accords de Dayton) Organisme conjoint de coopération en matière d’armement Organisation des Nations unies Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe Organisation du Traité de l’Atlantique Nord Processus de planification et d’examen du PpP de l’OTAN Politique européenne commune de Sécurité et de Défense Politique étrangère et de Sécurité commune Partenariat pour la Paix Commandant suprême des forces alliées en Europe Grand quartier général des puissances alliées en Europe Union européenne Union de l’Europe occidentale Union économique et monétaire Unité de planification politique et d’alerte rapide Vote à la majorité qualifiée Bibliographie sélective sur la PESC et la PECSD (titres français et anglais seulement) David Buchan, Europe, the Strange Superpower, Dartmouth, Aldershot, 1993 Patrice Buffotot (dir.), La défense en Europe – de la guerre du Golfe au conflit yougoslave, Notes et Etudes Documentaires No 5011, La documentation française, Paris, 1995 Walter Carsnaes & Steve Smith (dir.), European Foreign Policy, Sage, Londres, 1994 [Centre for Defence Studies], A Common Foreign and Security Policy for Europe, CDS, Londres 1995 Pascal Chaigneau, Europe, la nouvelle donne stratégique, Berger-Levrault, Paris, 1993 A. 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Le Conseil européen souligne sa détermination de développer une capacité autonome de décider et, là où l’OTAN en tant que telle n’est pas engagée, de lancer et de conduire des opérations militaires sous la direction de l’UE, en réponse à des crises internationales. Ce processus évitera d’inutiles doubles emplois et n’implique pas la création d’une armée européenne. 28. Se fondant sur les lignes directrices définies par le Conseil européen de Cologne, et sur la base des rapports de la présidence, le Conseil européen a notamment décidé ce qui suit : – coopérant volontairement dans le cadre d’opérations dirigées par l’UE, les Etats membres devront être en mesure, d’ici 2003, de déployer dans un délai de 60 jours et de soutenir pendant au moins une année des forces militaires pouvant atteindre 50 000 à 60 000 personnes, capables d’effectuer l’ensemble des missions de Petersberg ; – de nouveaux organes et de nouvelles structures politiques et militaires seront créés au sein du Conseil pour permettre à l’Union d’assurer l’orientation politique et la direction stratégique nécessaires à ces opérations, dans le respect du cadre institutionnel unique ; – des modalités visant à assurer une consultation, une coopération et une transparence pleines et entières entre l’UE et l’OTAN seront définies, en tenant compte des besoins de tous les Etats membres de l’UE ; – des dispositions adéquates seront définies pour permettre, sans préjudice de l’autonomie de décision de l’Union, à des Etats européens membres de l’OTAN qui n’appartiennent pas à l’UE, ainsi qu’à d’autres Etats concernés, de contribuer à la gestion militaire d’une crise, sous la direction de l’UE ; – un mécanisme pour la gestion non militaire des crises sera institué pour coordonner et utiliser plus efficacement les divers moyens et ressources civils, parallèlement aux moyens et ressources militaires, dont disposent l’Union et les Etats membres. 29. Le Conseil européen invite la prochaine présidence, en association avec le Secrétaire général/Haut Représentant, à accorder la priorité à la poursuite, au sein du Conseil « Affaires générales », des travaux relatifs à tous les volets de ces rapports, y compris la 108 L’intégration européenne et la défense : l’ultime défi ? prévention des conflits et la création d’un comité pour la gestion civile des crises. La prochaine présidence est invitée à élaborer un premier rapport sur l’évolution de la situation pour le Conseil européen de Lisbonne et, à l’attention du Conseil européen de Feira, un rapport d’ensemble contenant des recommandations et des propositions appropriées, ainsi que des éléments de réponse à la question de savoir si une modification des traités est jugée nécessaire ou non. Le Conseil « Affaires générales » est invité à entamer la mise en œuvre de ces décisions en instituant au sein du Conseil, à compter de mars 2000, les organes et les structures intérimaires convenus, conformément aux dispositions actuelles du traité. Annexes 109 ANNEXE B SOMMET FRANCO-BRITANNIQUE DECLARATION SUR LA DEFENSE EUROPEENNE SAINT-MALO, 4 DECEMBRE 1998 Les chefs d’Etat et de gouvernement du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord et de la France sont convenus de ce qui suit : 1. L’Union européenne doit pouvoir être en mesure de jouer tout son rôle sur la scène internationale. Le traité d’Amsterdam, base essentielle pour l’action de l’Union, doit donc devenir une réalité. La mise en œuvre complète et rapide des dispositions d’Amsterdam sur la Politique étrangère et de Sécurité commune (PESC) doit être achevée. Cela inclut la responsabilité du Conseil européen de décider le développement progressif d’une politique de défense commune dans le cadre de la PESC. Le Conseil doit être en mesure, sur une base intergouvernementale, de prendre des décisions portant sur tout l’éventail des actions prévues par le titre V du traité de l’Union européenne. 2. A cette fin, l’Union doit avoir une capacité autonome d’action, appuyée sur des forces militaires crédibles, avec les moyens de les utiliser et en étant prête à le faire afin de répondre aux crises internationales. Dans cette perspective, les engagements de défense collective auxquels ont souscrit les Etats membres (article 5 du Traité de Washington et article V du Traité de Bruxelles) devront être maintenus. En renforçant la solidarité entre les pays de l’Union européenne pour que l’Europe puisse faire entendre sa voix dans les affaires du monde, tout en agissant en conformité avec nos obligations respectives au sein de l’OTAN, nous contribuons à la vitalité d’une Alliance atlantique rénovée qui constitue le fondement de la défense collective de ses membres. Les Européens devront agir dans le cadre institutionnel de l’Union européenne (Conseil européen, Conseil Affaires générales, et réunion des ministres de la Défense). Le renforcement de la solidarité européenne doit prendre en compte la variété des positions des pays européens. La diversité des situations des Etats au regard de l’OTAN devra être respectée. 3. Pour pouvoir prendre des décisions et, lorsque l’Alliance en tant que telle n’est pas engagée, pour approuver des actions militaires, l’Union européenne doit être dotée de structures appropriées. Elle doit également disposer d’une capacité d’évaluation des situations, de sources de renseignement, et d’une capacité de planification stratégique, sans duplication inutile, en prenant en compte les moyens actuels de l’Union de l’Europe occidentale (UEO) et l’évolution de ses rapports avec l’Union européenne. A cet égard, l’Union européenne devra pouvoir recourir à des moyens militaires adaptés (moyens européens pré-identifiés au sein du pilier européen de l’OTAN ou moyens nationaux et multinationaux extérieurs au cadre de l’OTAN). 110 L’intégration européenne et la défense : l’ultime défi ? 4. L’Europe a besoin de forces armées renforcées, capables de faire face rapidement aux nouveaux risques et s’appuyant sur une base industrielle et technologique de défense compétitive et forte. 5. Nous sommes déterminés à unir nos efforts pour permettre à l’Union européenne de progresser concrètement vers ses objectifs. Annexes 111 ANNEXE C CONCLUSIONS DE LA PRESIDENCE CONSEIL EUROPEEN DE COLOGNE, 3 ET 4 JUIN 1999 DECLARATION DU CONSEIL EUROPEEN DE COLOGNE CONCERNANT LE RENFORCEMENT DE LA POLITIQUE EUROPEENNE COMMUNE EN MATIERE DE SECURITE ET DE DEFENSE 1. Nous, membres du Conseil européen, sommes déterminés à voir l’Union européenne jouer pleinement son rôle sur la scène internationale. A cette fin, nous avons l’intention de doter l’Union européenne des moyens et capacités nécessaires pour assumer ses responsabilités concernant une politique européenne commune en matière de sécurité et de défense. Les travaux entrepris à l’initiative de la présidence allemande et l’entrée en vigueur du traité d’Amsterdam nous permettent aujourd’hui de franchir une étape décisive. Dans le cadre de la poursuite des objectifs de notre politique étrangère et de sécurité commune et de la définition progressive d’une politique de défense commune, nous sommes convaincus que le Conseil devrait être en mesure de prendre des décisions ayant trait à l’ensemble des activités de prévention des conflits et des missions de gestion des crises définies dans le traité sur l’Union européenne, les « missions de Petersberg ». A cette fin, l’Union doit disposer d’une capacité d’action autonome soutenue par des forces militaires crédibles, avoir les moyens de décider d’y recourir et être prête à le faire afin de réagir face aux crises internationales, sans préjudice des actions entreprises par l’OTAN. L’Union européenne renforcera ainsi sa capacité à contribuer à la paix et à la sécurité internationales, conformément aux principes de la Charte des Nations Unies. 2. Nous sommes persuadés que, pour remplir pleinement sa mission en matière de prévention des conflits et de gestion des crises, l’Union européenne doit avoir à sa disposition les capacités et instruments appropriés. Nous nous engageons donc à améliorer l’efficacité des moyens militaires européens sur la base des capacités actuelles, qu’elles soient nationales, binationales ou multinationales, et à renforcer nos propres capacités à cette fin. Cela requiert la poursuite d’un effort de défense soutenu, la mise en œuvre des adaptations nécessaires et notamment le renforcement de nos capacités en matière de renseignement, de capacité de projection, de commandement et de contrôle. Cela exige également des efforts pour l’adaptation, l’entraînement et la mise en cohérence des forces européennes nationales et multinationales. Nous reconnaissons aussi la nécessité d’accomplir des efforts soutenus pour renforcer la base industrielle et technologique de la défense, que nous souhaitons compétitive et dynamique. Nous sommes déterminés à favoriser la restructuration des industries européennes de défense dans les Etats concernés. Avec les industriels, nous œuvrerons à une collaboration plus étroite et plus efficace des industries de défense. Nous chercherons à améliorer encore l’harmonisation des besoins militaires ainsi que la programmation et la fourniture des armements, de la façon que les Etats membres jugeront appropriée. 3. Nous nous félicitons des résultats des travaux du sommet de l’OTAN tenu à Washington en ce qui concerne le soutien apporté au processus lancé par l’Union européenne et la 112 L’intégration européenne et la défense : l’ultime défi ? confirmation du fait qu’un rôle plus affirmé de l’Union européenne dans la prévention des conflits et la gestion des crises contribuera à la vitalité d’une Alliance rénovée. Dans la mise en œuvre de ce processus lancé par l’Union européenne, nous veillerons à assurer de manière effective une consultation, une coopération et une transparence mutuelles entre l’Union européenne et l’OTAN. Notre intention est de mettre en place un véritable dispositif de gestion des crises conduit par l’Union européenne, grâce auquel les Etats membres de l’Union, tant ceux qui sont membres de l’OTAN que les neutres et les non-alliés, pourront participer pleinement et sur un pied d’égalité aux opérations de l’Union européenne. Nous mettrons en place des arrangements qui permettent aux alliés et partenaires européens non membres de l’Union européenne de prendre part dans toute la mesure du possible à cette entreprise. 4. Par conséquent, nous approuvons et adoptons le rapport élaboré par la présidence allemande, qui traduit le consensus des Etats membres. 5. Nous sommes maintenant résolus à entrer dans une nouvelle étape de la construction de l’Union européenne. A cette fin, nous chargeons le Conseil «Affaires générales » de préparer les conditions et mesures nécessaires pour réaliser ces objectifs, et notamment de définir les modalités de l’inclusion de celles des fonctions de l’UEO qui seront nécessaires à l’Union européenne pour assumer ses nouvelles responsabilités dans le domaine des missions de Petersberg. A cet égard, notre objectif est d’adopter les décisions nécessaires d’ici la fin de l’an 2000. Dans cette éventualité, l’UEO en tant qu’organisation aura achevé sa mission. Les différentes situations des Etats membres en matière de garanties de défense collective ne s’en trouveront pas affectées. L’Alliance reste le fondement de la défense collective de ses membres. Nous invitons donc la présidence finlandaise à poursuivre les travaux dans le cadre du Conseil « Affaires générales » sur la base de la présente déclaration et du rapport de la présidence au Conseil européen se réunissant à Cologne. Nous attendons avec intérêt un rapport sur l’état d’avancement des travaux de la présidence finlandaise destiné au Conseil européen d’Helsinki. Annexes 113 ANNEXE D CONCLUSIONS DE LA PRESIDENCE CONSEIL EUROPEEN DE SANTA MARIA DA FERIA, 19 ET 20 JUIN 2000 ANNEXE I RAPPORT DE LA PRÉSIDENCE SUR LE RENFORCEMENT DE LA POLITIQUE EUROPÉENNE COMMUNE EN MATIÈRE DE SÉCURITÉ ET DE DÉFENSE I. INTRODUCTION 1. À Cologne, le Conseil européen s’est dit déterminé à voir l’UE jouer pleinement son rôle sur la scène internationale, ajoutant qu’à cette fin l’UE doit être dotée des moyens et capacités nécessaires pour assumer ses responsabilités concernant une politique européenne commune en matière de sécurité et de défense. Depuis Cologne, l’Union européenne a entamé un processus visant à mettre en place les moyens et capacités nécessaires pour lui permettre de prendre des décisions sur l’ensemble des missions de prévention des conflits et de gestion des crises définies dans le traité sur l’Union européenne (« missions de Petersberg »), et de les mettre en oeuvre. Cette évolution fait partie intégrante du renforcement de la politique étrangère et de sécurité commune et est fondée sur les principes énoncés à Helsinki. L’Union contribuera à la paix et à la sécurité internationales conformément aux principes de la Charte des Nations Unies. 2. Ayant approuvé les deux rapports de la Présidence finlandaise sur les aspects militaires et non militaires de la gestion des crises, y compris sur l’objectif global européen commun et sur les objectifs collectifs en termes de capacités, le Conseil européen d’Helsinki a invité la Présidence portugaise, en association avec le Secrétaire général/Haut Représentant, à accorder la priorité à la poursuite, au sein du Conseil « Affaires générales », des travaux relatifs à tous les volets. La Présidence portugaise a été invitée à élaborer un premier rapport sur l’évolution de la situation pour le Conseil européen de Lisbonne et, à l’intention du Conseil européen de Feira, un rapport d’ensemble contenant des recommandations et des propositions appropriées, ainsi que des éléments de réponse à la question de savoir si une modification des traités est jugée nécessaire ou non. 3. Un premier rapport, présentant les travaux poursuivis dans le cadre du Conseil « Affaires générales » par la Présidence, en association avec Secrétaire général/Haut représentant, a été présenté au Conseil européen de Lisbonne. Celui-ci s’est félicité des progrès déjà réalisés et notamment de ce que les organes intérimaires prévus à Helsinki soient désormais en place et commencent à fonctionner efficacement et de ce que le Conseil ait défini une procédure à suivre pour élaborer l’objectif global et recenser les contributions nationales qui permettront d’atteindre l’objectif en matière de capacités militaires. 4. Le Conseil européen de Lisbonne a déclaré qu’il attendait avec intérêt la suite des travaux que la Présidence, en association avec le Secrétaire général/Haut représentant, effectuerait dans le cadre du Conseil, ainsi que le rapport d’ensemble qu’établirait la Présidence à l’intention du Conseil européen de Feira, notamment les propositions sur la 114 L’intégration européenne et la défense : l’ultime défi ? participation de pays tiers à la gestion militaire des crises par l’UE et sur l’évolution extérieure des relations de l’UE avec l’OTAN. 5. Le Conseil européen de Lisbonne s’est en outre déclaré satisfait de ce qui avait été accompli sur le plan de la gestion non militaire des crises. Il a invité le Conseil à mettre en place, avant sa réunion de Feira ou lors de celle-ci, un comité chargé de la gestion civile des crises. 6. Depuis lors, les travaux ont été poursuivis sur tous les aspects de la gestion militaire et non militaire des crises et des progrès considérables ont été accomplis, notamment en ce qui concerne la définition d’arrangements appropriés pour la participation de pays tiers à la gestion militaire de crises par l’UE, ainsi que de principes et de modalités pour l’évolution ultérieure des relations entre l’UE et l’OTAN. L’élaboration de l’objectif global s’est poursuivie ; un comité chargé des aspects civils de la gestion des crises a été mis en place ; un mécanisme de coordination, fonctionnant en pleine interaction avec les services de la Commission, a été créé au Secrétariat du Conseil ; l’étude visant à définir des objectifs concrets dans le domaine des aspects civils de la gestion des crises a été menée à bien ; des objectifs concrets en matière de police civile ont été définis. 7. Le présent document constitue le rapport d’ensemble de la Présidence au Conseil européen de Feira et porte sur les aspects militaires (point II) et les aspects non militaires (point III) de la gestion des crises. Des travaux ont également été effectués sur le thème de la prévention des conflits. Il a été constaté qu’il serait utile de trouver des moyens d’améliorer la cohérence et l’efficacité de l’action de l’UE dans le domaine de la prévention des conflits. 8. Lors des travaux qui ont été réalisés au cours de la Présidence sur le renforcement de la gestion militaire et non militaire des crises et de la prévention des conflits, on a souligné qu’il importait d’assurer, dans la gestion des crises par l’Union, un rapport étroit entre le domaine militaire et le domaine civil ainsi qu’une coopération entre la capacité de gestion des crises de l’UE, qui évolue rapidement, et les Nations Unies, l’OSCE et le Conseil de l’Europe. 9. Dans le cadre de la présentation du présent rapport, la Présidence a pris note de ce que le Danemark a rappelé le Protocole n° 5 annexé au traité d’Amsterdam sur la position de ce pays. II. ASPECTS MILITAIRES DE LA GESTION DES CRISES A. Élaboration de l’objectif global et des objectifs collectifs en termes de capacités 1. Concernant l’élaboration de l’objectif global et des objectifs collectifs en termes de capacités, le Conseil « Affaires générales », auquel participaient les ministres de la défense, a conclu, lors de sa session du 20 mars, que le document de réflexion intitulé « Élaboration de l’objectif global », y compris le calendrier qu’il prévoit en vue de la convocation d’une conférence d’offres d’engagements en matière de capacités avant la fin de l’année 2000, devrait servir de base aux travaux que mèneront à l’avenir les organes compétents. Annexes 115 2. Lors de sa session du 13 juin, le Conseil « Affaires générales », avec la participation des ministres de la défense, a approuvé les travaux effectués par l’Organe militaire intérimaire (dont un compte rendu lui a été transmis par l’intermédiaire du COPSI) jusqu’au premier séminaire d’experts nationaux en matière de planification dans le domaine de la défense, qui s’est tenu à Bruxelles du 22 au 24 mai 2000. Le Conseil, invitant les organes compétents à poursuivre sur cette base, a adopté les orientations suivantes pour la suite des travaux : – L’élaboration de l’objectif global et des objectifs collectifs en termes de capacités, qui ont été définis lors du Conseil européen d’Helsinki, devrait être réalisée par les Quinze, conformément à l’autonomie décisionnelle de l’UE et aux impératifs d’efficacité militaire. – L’Organe militaire intérimaire proposera, sous le contrôle politique du COPSI, les éléments que comprendra l’objectif global. – À cet effet, l’Organe militaire intérimaire définira les capacités dont l’UE a besoin pour assumer l’ensemble des missions de Petersberg. – Dans le cadre de ses travaux destinés à élaborer l’objectif global et les objectifs relatifs aux capacités collectives sur la base de contributions des États membres, l’Organe militaire intérimaire, auquel participeront des représentants des capitales, convoquera également des réunions avec le commandant suprême adjoint des forces alliées en Europe et des experts de l’OTAN afin de bénéficier des compétences militaires de l’OTAN pour ce qui est des exigences liées à l’objectif global et aux objectifs relatifs aux capacités collectives. – À cet égard, le groupe de travail ad hoc sur les objectifs collectifs en termes de capacités, prévu à l’appendice 2, constituera un élément supplémentaire de transparence et de dialogue entre l’UE et l’OTAN. – Les exigences liées à l’objectif global définies par l’Organe militaire intérimaire au niveau des chefs d’état-major des armées constitueront, après avoir été approuvées par le Conseil, la base de l’examen par les États membres de leurs offres initiales de contributions nationales dans le cadre de l’objectif global. Ces contributions seront examinées par l’Organe militaire intérimaire. Ce processus doit être terminé avant la convocation de la conférence d’offres d’engagements en matière de capacités. – Il importera, pour les États membres concernés, d’assurer la cohérence avec le processus de planification et d’examen et le processus d’établissement des plans de défense de l’OTAN. – Conformément à la détermination manifestée à Helsinki et à Lisbonne, une fois que les besoins et les ressources disponibles auront été définis, les États membres, lors de la conférence d’offres d’engagements en matière de capacités, annonceront leurs engagements afin de permettre à l’UE d’atteindre l’objectif global et les objectifs relatifs aux capacités collectives. Il importera également de mettre en place un mécanisme d’évaluation permettant de mesurer les progrès accomplis vers la réalisation de ces objectifs. – L’Union européenne encouragera les pays tiers à apporter leur contribution sous la forme d’engagements complémentaires. Afin de permettre à ces pays de contribuer à améliorer les capacités militaires européennes, des arrangements appropriés seront arrêtés par la prochaine présidence en ce qui concerne la conférence d’offres d’engagements en matière de capacités. Ces arrangements tiendront compte des capacités des six États européens membres de l’OTAN ne faisant pas partie de l’UE. L’Union européenne se félicite des offres de capacités que la Turquie, la Pologne et la République tchèque ont déjà faites. 116 L’intégration européenne et la défense : l’ultime défi ? B. Recommandations concernant l’évolution institutionnelle des nouveaux organes politiques et militaires permanents liés à la PECSD au sein de l’UE Les organes politiques et militaires intérimaires ont été mis en place le 1er mars 2000. Compte tenu de l’expérience acquise depuis lors, des travaux ont été réalisés sur l’évolution institutionnelle des nouveaux organes politiques et militaires permanents, conformément aux conclusions d’Helsinki. D’autres travaux sont en cours, afin que la phase permanente puisse débuter le plus rapidement possible et permettre ainsi à la capacité de gestion des crises de l’UE de devenir opérationnelle. C. Propositions concernant les arrangements appropriés devant être conclus par le Conseil en ce qui concerne les modalités de consultation et/ou de participation qui permettront aux États tiers concernés de contribuer à la gestion militaire des crises par l’UE Les travaux ont été poursuivis sur les modalités de consultation et/ou de participation concernant les membres européens de l’OTAN ne faisant pas partie de l’Union européenne et d’autres pays candidats à l’adhésion à l’UE. Dans ce contexte, l’objectif a été de définir, conformément aux conclusions d’Helsinki, des arrangements pour le dialogue, la consultation et la coopération sur des questions liées à la gestion des crises garantissant l’autonomie décisionnelle de l’UE. Ces arrangements prévoiront, pour la période intérimaire, des réunions avec les pays mentionnés ci-dessus ; ces réunions se dérouleront dans le cadre d’une structure unique incluant l’ensemble de ces pays et compléteront les réunions tenues dans le cadre du dialogue politique renforcé sur les questions relatives à la PESC. Au sein de cette structure, lorsque le sujet l’exige, des échanges auront lieu avec les pays européens membres de l’OTAN ne faisant pas partie de l’UE. Pour la phase permanente, les arrangements tiendront compte des différents besoins apparaissant en situation normale et dans la phase opérationnelle. Les résultats des travaux du Conseil figurent à l’appendice 1 du présent rapport. Des échanges ont eu lieu le 11 mai 2000 entre les directeurs politiques des États membres de l’UE et leurs homologues des États européens membres de l’OTAN ne faisant pas partie de l’UE et d’autres pays candidats, ainsi qu’entre les directeurs politiques des États membres de l’UE et leurs homologues des États européens membres de l’OTAN ne faisant pas partie de l’UE. La Russie, l’Ukraine, d’autres États européens avec lesquels l’Union entretient un dialogue politique et d’autres États intéressés pourront être invités à participer aux opérations menées par l’UE. À cet égard, l’UE se félicite de l’intérêt manifesté par le Canada. La présidence française est invitée à poursuivre, en association avec le Secrétaire général/Haut Représentant, les travaux au sein du Conseil « Affaires générales » afin que des premières propositions puissent être faites au Conseil européen de Nice concernant des arrangements appropriés pour la consultation et/ou la participation permettant à ces autres partenaires potentiels de contribuer à la gestion militaire des crises par l’UE. D. Propositions concernant les principes de consultation avec l’OTAN sur les questions militaires et recommandations sur la mise au point de modalités applicables aux relations entre l’UE et l’OTAN, afin de permettre une coopération sur la réponse militaire appropriée à apporter en cas de crise Le Conseil a défini les principes sur la base desquels devraient se faire la consultation et la coopération avec l’OTAN. En ce qui concerne les modalités, le Conseil a recommandé que Annexes 117 l’UE propose à l’OTAN la création de quatre groupes de travail ad hoc UE-OTAN sur les questions qui ont été identifiées dans ce contexte : questions liées à la sécurité, objectifs collectifs en termes de capacités, modalités permettant l’accès de l’UE aux moyens et capacités de l’OTAN et définition d’arrangements permanents pour la consultation UEOTAN. Les résultats des travaux du Conseil figurent à l’appendice 2 du présent rapport. E. Faut-il ou non modifier le Traité ? Selon les dispositions existantes du TUE, les questions relatives à la sécurité de l’Union, y compris la définition progressive d’une politique de défense commune, relèvent de la politique étrangère et de sécurité commune régie par le titre V du traité. Sur cette base, le Conseil a décidé d’instituer le Comité politique et de sécurité intérimaire et l’Organe militaire intérimaire et d’adjoindre au Secrétariat du Conseil des experts militaires détachés des États membres. L’article 17 du TUE énonce expressément les missions de Petersberg de la PESC. La présidence a pris note de l’avis du Service juridique du Conseil, dont la conclusion est ainsi formulée : « Le Service juridique du Conseil est d’avis que les conclusions du Conseil européen réuni à Cologne et à Helsinki relatives à la politique européenne de sécurité et de défense peuvent être mises en oeuvre sans qu’il soit juridiquement nécessaire d’apporter des modifications au traité sur l’Union européenne. Toutefois, de telles modifications seraient nécessaires si l’on entendait transférer le pouvoir de décision du Conseil à un organe composé de fonctionnaires, ou modifier les dispositions du traité relatives à l’UEO. Par ailleurs, il appartient aux États membres de déterminer si des modifications au traité seraient politiquement souhaitables ou opérationnellement opportunes. » La présidence suggère que la question de la révision du traité continue d’être examinée entre les Conseils européens de Feira et de Nice. III. ASPECTS CIVILS DE LA GESTION DES CRISES 1. La présidence, en association avec le Secrétaire général/Haut Représentant, a répondu prioritairement à l’invitation du Conseil européen d’Helsinki de poursuivre les travaux sur tous les volets relatifs à la gestion civile des crises (voir annexe 2 à l’annexe IV des conclusions d’Helsinki). 2. L’objectif de ce travail a été de renforcer et de mieux coordonner les outils de réponse don’t disposent et l’Union et les États membres pour la gestion non militaire des crises, une attention toute particulière ayant été accordée à la mise en place d’une capacité de réaction rapide, qui améliorera également la contribution de l’UE aux opérations de gestion de crise menées par des organisations internationales et régionales. 3. À la suite de ces travaux considérables, les mesures concrètes ci-après ont été prises: a) Un comité chargé des aspects civils de la gestion des crises a été institué par une décision du Conseil adoptée le 22 mai 2000. Ce comité a tenu sa première réunion le 16 juin 2000. b) Un mécanisme de coordination, fonctionnant en étroite interaction avec les services de la Commission, a été institué au Secrétariat du Conseil. Développant l’inventaire des ressources dont disposent les États membres et l’Union pour la gestion non militaire des crises, sa première priorité a été de créer une base de données sur les capacités de police civile afin de conserver et de partager des informations, de proposer des initiatives relatives 118 L’intégration européenne et la défense : l’ultime défi ? aux capacités et de faciliter la définition d’objectifs concrets pour la réponse non militaire collective des États membres de l’UE. Ce mécanisme de coordination a renforcé sa coopération étroite avec le Centre de situation/cellule de crise intérimaire créé par le Secrétaire général/Haut Représentant. c) Une étude (appendice 3), tirant parti de l’expérience acquise lors de crises récentes et actuelles, des compétences existant au sein des États membres et des résultats du séminaire sur la gestion civile des crises qui s’est tenu à Lisbonne les 3 et 4 avril 2000, a été réalisée pour définir des objectifs concrets dans le domaine des aspects civils de la gestion des crises. Cette étude définit des priorités sur lesquelles l’UE ciblera ses efforts coordonnés dans une première phase, sans exclure l’utilisation de tous les autres outils dont peuvent disposer l’Union et ses États membres. d) Des objectifs concrets pour les capacités de police civile ont été fixés et sont exposés à l’appendice 4. En particulier, les États membres devraient se fixer comme objectif final d’ici 2003 de fournir, par une coopération volontaire, jusqu’à 5 000 policiers pour des missions internationales couvrant l’ensemble des opérations de prévention des conflits et de gestion des crises et pour répondre aux besoins spécifiques apparaissant aux différents stades de ces opérations. À l’intérieur de l’objectif défini pour les capacités globales de l’UE, les États membres s’engagent à être en mesure d’identifier et de déployer, dans un délai de 30 jours, jusqu’à 1000 policiers. En outre, des travaux seront poursuivis pour définir les références et les orientations de l’UE en matière de missions de police internationale. 4. En outre, la Commission a transmis au Conseil, qui l’examine, une proposition de règlement du Conseil portant création du dispositif de réaction rapide à l’appui des activités de l’UE telles qu’elles sont évoquées dans le rapport d’Helsinki. IV. SUIVI 1. La présidence française est invitée, en association avec le Secrétaire général/Haut Représentant, à poursuivre les travaux au sein du Conseil « Affaires générales » sur le renforcement de la politique européenne commune en matière de sécurité et de défense. La présidence française est invitée à adresser au Conseil européen de Nice un rapport qui porte notamment sur les points suivants : a) l’élaboration de l’objectif global et des objectifs collectifs en termes de capacités arrêtés à Helsinki, y compris en ce qui concerne les résultats de la Conférence d’offres d’engagement en matière de capacités, qui doit être organisée avant le Conseil de Nice; b) la création de structures politiques et militaires permanentes, qui devront être mises en place le plus rapidement possible après le Conseil européen de Nice ; c) l’incorporation dans l’UE des fonctions appropriées de l’UEO dans le domaine des missions de Petersberg ; d) la mise en oeuvre des décisions de Feira sur : – les arrangements qui permettront, dans la gestion militaire de crises par l’UE, la consultation et la participation de pays tiers ; – la définition, sur la base des travaux entrepris dans les groupes de travail ad hoc UEOTAN, des arrangements permettant de procéder à des consultations et de coopérer avec l’OTAN dans la gestion militaire des crises ; e) la définition et la mise en oeuvre de capacités de l’UE dans les aspects civils de la gestion de crises, y compris la définition d’objectifs concrets. Annexes 119 2. La question de la révision du traité devrait continuer d’être examinée entre les Conseils européens de Feira et de Nice. 3. Le Secrétaire général/Haut Représentant et la Commission sont invités à soumettre au Conseil européen de Nice, dans la perspective des travaux futurs, des recommandations concrètes sur la manière d’améliorer la cohérence et l’efficacité de l’action de l’Union européenne dans le domaine de la prévention des conflits, en tenant pleinement compte et en tirant tout le parti voulu des instruments, des capacités et des orientations politiques existantes .