PHILOSOPHIQUES BALZAC NOUVEAUX CONTES
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PHILOSOPHIQUES BALZAC NOUVEAUX CONTES
éditions de l’originale BALZAC NOUVEAUX CONTES PHILOSOPHIQUES NOUVEAUX CONTES PHILOSOPHIQUES PAR M. DE BALZAC édition établie et présentée par ANDREW OLIVER éditions de l’originale collection « Les romans de Balzac » TABLE DES MATIORES Histoire des textes Maître Cornélius, La Revue de Paris, 18 et 25 décembre 1831 Comparaison entre Maître Cornélius (édition originale) et Maître Cornélius (La Revue de Paris, 1831) Comparaison entre Maître Cornélius (édition originale) et Maître Cornélius (Furne corrigé, 1846) Madame Firmiani, La Revue de Paris, 19 février 1832 Comparaison entre Madame Firmiani (édition originale) et Madame Firmiani (La Revue de Paris, 1832) Comparaison entre Madame Firmiani (édition originale) et Madame Firmiani (Furne corrigé, 1842) L’Auberge rouge, La Revue de Paris, 21 et 28 aoft 1831 Comparaison entre L’Auberge rouge (édition originale) et L’Auberge rouge (La Revue de Paris, 1831) Comparaison entre L’Auberge rouge (édition originale) et L’Auberge rouge (Furne corrigé, 1846) Comparaison entre Notice biographique sur Louis Lambert (édition originale) et Louis Lambert (Furne corrigé, 1846) Bibliographie HISTOIRE DES TEXTES Nouveaux contes philosophiques La publication est annoncée dans la Bibliographie de la France le 20 octobre 1832. Pourtant à aucun moment dans ses lettres à ses divers correspondants Balzac n’utilise ce titre et, de son esprit, ce recueil est associé aux Romans et contes philosophiques dont il doit composer un quatrième volume. C’est ainsi que le 13 juin il écrit à sa mère : « Je travaille pour Gosselin, à force, car je voudrais en avoir déjà fini, et voir paraître ce IV e volume des Contes philosophiques » 1 . Et quelques semaines plus tard il emploiera des termes semblables dans une lettre à Zulma Carraud : « Si vous saviez comme je travaille; je suis un galérien de plume et d’encre, un vrai marchand d’idées. J’achève en ce moment le IV e volume des Contes philosophiques ; je n’ai plus que quelques pages; vous l’aurez dans une quinzaine; et, à ce sujet, je voudrais bien savoir si vous avez les 3 premiers » 2 . 1 2 B ALZAC , Correspondance I (1809-1835), édition établie, présentée et annotée par Roger P IERROT et Hervé Y ON (Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 2006), p. 542. Lettre du 2 juillet 1832, ibid., p. 561. 2 NOUVEAUX CONTES PHILOSOPHIQUES. Les Nouveaux contes philosophiques ne seront jamais intégrés aux Romans et contes philosophiques, cependant, et le recueil de 1832 ne sera jamais réédité 3 . L’Auberge rouge Ce conte paraît pour la première fois dans deux livraisons de la Revue de Paris : le 21 août 1831 (pp. 165-83) et le 28 août 1831 (pp. 241-63). On sait d’après sa correspondance que Balzac y travaillait dès le mois de mai car le 18 il écrivait en ces termes à Charles Rabou, directeur de la Revue de Paris : Mon cher Maître, vous êtes bien outrageusement mauvais, je vous ai humblement prié de me dire si L’Auberge rouge paraîtrait à la Trinité, vous n’avez pas répondu à v[otre] très humble serviteur – il est vrai que ma lettre vous a été adressée au nº 240 – En ce moment je vous baise v[otre] ergot de diable, afin d’obtenir un petit mot de réponse – Je suis en ce moment à cheval sur un crime et je mange, je me couche dans L’Auberge rouge, de manière à donner mardi matin à mon débotté, le premier paragraphe à n[otre] ami Foucault, un joli petit manuscrit, fait à la campagne, une copie, sans ratures, léchée, pourléchée, coquettement corrigée... ah! ah! – je ne voudrais pas tromper mon ami Gosselin et donner un coup de canif dans sa peau de chagrin pour S. M. Frédéric-Guillaume. Ayez la bonté d’écrire à M. Balzac, à Nemours, Bureau restant, Seine-et-Marne, un petit mot caressant comme la patte d’une maîtresse, et qui me dise oui ou non. Je sais bien, traître de directeur, que vous me direz oui à tout hasard, quitte à me repousser de dimanche en dimanche, comme une fête que le pape est embarrassé de mettre dans le calendrier; mais, je vous en supplie, te imprecor, par les mânes de je ne sais qui, ne vous jouez pas de ma crédulité de romancier, dites-moi vrai, si jamais directeur de marionnettes le dit… Si vous étiez un ami, vous auriez la complaisance de me faire une petite recherche dont j’ai besoin pour L’Auberge rouge – à savoir en quel mois et en quelle année, et sous quel général républicain les Français ont pénétré, au commencement de la Révolution, en Allemagne, à Dusseldorf, ou plus loin. Et quel corps! Je suis ici sans un pauvre livre, seul, dans un pavillon au fond des terres vivant avec La Peau de chagrin qui, Dieu merci, s’achève. Je travaille nuit et jour, ne 3 Voir la « Notice » de la présente édition, pp. iii-iv. HISTOIRE DES TEXTES 3 vivant que de café, aussi j’ai besoin, pour trouver une distraction à mon travail 4 habituel de faire L’Auberge rouge, comme on va caresser la femme du voisin. Or, la Trinité était le 29 mai et si Balzac comptait remettre son texte à Foucault, prote de l’imprimeur Éverat, « mardi matin » il disposait d’une semaine pour tout finir, chose faisable surtout si Rabou s’exécutait et fournissait les détails portant sur l’expédition de l’armée française en Allemagne. Sans doute à cause de ses expériences précédentes avec Balzac, Rabou se montre méfiant, cependant, et envoie la réponse suivante : Mon très Honoré collaborateur J’ai reçu votre lettre et voici le dilemme qui s’y répand ou ladite Auberge rouge manuscrit superbe est faite et complète ou elle ne l’est pas. Si elle l’est il faut me l’envoyer aussitôt parce que j’aime à dormir sur des articles surtout sur du Balzac ; si elle n’est pas achevée vous ne pouvez me l’envoyer immédiatement et je ne puis la faire passer le jour de la Trinité. Pour parler sans boniment je crois qu’il me serait difficile d’en faire usage avant l’autre dimanche parce qu’entre nous j’avais peur que les champs ne vous rendissent un peu paresseux et je ne comptais que médiocrement sur vous. Encore heureux que vous ayez pensé à moi et prêt à vous insérer dès que vous le désirerez. Revenez bientôt bardé de volumes, de nouvelles, de contes, de fantasmagorie, de fantastiquerie, de Danterie, de Balzaquerie. Vous serez toujours reçu à bras ouverts ès-Revue de Paris qui finira par vous faire dresser une colonne et une statue sur la place de l’Observatoire au bout du Luxembourg. Adieu très cher grand homme revenez quam citissimé ce qui se traduit élégamment par le plus tôt possible. Me ama et vale Ch[arl]es Rabou. 5 Je ferai la recherche et vous l’enverrai. Est-ce que le directeur de la Revue de Paris change d’avis par la suite en suggérant à Balzac que le conte pourrait effectivement paraître le dimanche 29 mai ? Certain mot envoyé à Sophie Gay le donne à entendre. En effet Balzac se 4 5 [Nemours,] mercredi 18 [mai 1831.], Corr. I, pp. 358-9. Lettre du 21 mai 1831, Corr. I, p. 364. 4 NOUVEAUX CONTES PHILOSOPHIQUES. décommande auprès de son amie qu’il devait voir chez le peintre Gérard afin de travailler à L’Auberge rouge : Je compte sur votre bonté, Madame, pour exprimer à Monsieur Gérard tout le plaisir que je me promettais en allant chez lui, ce soir – mais ce matin, en passant à la Revue j’ai appris que l’on attendait pour demain l’article de L’Auberge rouge et je suis obligé de travailler comme un galérien pendant toute la nuit pour remplir ma promesse, si vous avez de l’amitié pour moi je 6 vous adjure de me permettre de réserver ce plaisir pour mercredi prochain. On ignore pour quelles raisons le galérien n’achève pas son récit. En tout état de cause c’est Le Suicide d’un poète, chapitre extrait de La Peau de chagrin, qui est publié dans la Revue de Paris le 29 mai et non L’Auberge rouge. Ce conte ne sera pas publié dans les livraisons suivantes et six semaines plus tard Rabou à nouveau demande des nouvelles de L’Auberge rouge : Paris, ce [11 juillet1831]. Mon cher Peau Vous étiez selon toute apparence chez vous ce matin à l’heure et par le temps où je me suis présenté. Je n’ai pas voulu violer la consigne parce que je sais l’embêtement d’une visite venant incongrûment. Je voulais vous rappeler Mme la duchesse. Je voulais savoir à quand La Peau ? Je voulais savoir à quand L’Auberge rouge. Je voulais savoir quid de Mame ? Veuillez donner ordre que je sois reçu quand je viendrai à me présenter à votre laboratoire ; la course est longue les semaines vont vite (imité de Burger) et il est très dur de partir sans aucune solution à tant et à de si grandes questions. Du reste finissez à tout prix, le public demande la toile et trouve que l’actrice 7 est démesurément longue à s’habiller. Mais l’actrice se fait encore attendre car l’on sait d’après une lettre envoyée à la duchesse d’Abrantès en août 1831 que Balzac n’a toujours pas terminé son conte et continue 6 7 Lettre à laquelle R. Pierrot donne la date « 25 mai 1831 », ibid., pp. 364-5. Ibid., p. 370. HISTOIRE DES TEXTES 5 d’y travailler afin qu’il puisse paraître dans les deux dernières livraisons de la Revue de Paris de ce même mois : « Je n’ai pas pu venir ce soir parce que je n’ai pas un traître mot d’écrit sur L’Auberge rouge et que je vais travailler ce soir et demain pour la finir » 8 . Du vivant de Balzac L’Auberge rouge sera rééditée trois fois après sa publication initiale dans la Revue de Paris : · en troisième position des Nouveaux contes philosophiques (Paris, Gosselin, 1832), édition sur laquelle se fonde la présente édition ; · au t. XVII des Études philosophiques (Paris, Delloye-Lecou, 1837), édition où le banquier Mauricey prend le nom de Taillefer et sa fille Joséphine celui de Victorine à la suite de l’histoire racontée dans Le Père Goriot ; · au t. II des Études philosophiques in La Comédie humaine (Paris, Furne, Dubochet et Hetzel, 1846), t. XV. Maître Cornélius La publication de cette nouvelle dans la Revue de Paris du 18 décembre (pp. 157-95) et du 25 décembre 1831 (pp. 23558) donne lieu à une querelle entre Balzac et Amédée Pichot, directeur de la Revue, qui compromet définitivement les relations entre les deux hommes. Balzac aurait promis de remettre son manuscrit à Pichot en octobre mais ne s’exécute pas et c’est en décembre seulement alors qu’il est en voyage, d’abord à Saché et ensuite à Angoulême, qu’il envoie un texte qui ne rentre pas dans les normes de la Revue de part sa longueur. Pichot est obligé d’ajouter quatre pages à la livraison du 18 décembre et huit à celle du 25. D’autre part, afin d’éviter un dépassement de ces nouvelles pages, 8 Ibid., pp. 383-4. 6 NOUVEAUX CONTES PHILOSOPHIQUES. Pichot supprime une partie de la nouvelle, supprime également des alinéas et omet des phrases dont les sens ne lui paraît pas clair. Dans sa lettre du 26 décembre, Pichot s’explique : Mon cher Balzac, je désire qu’à votre arrivée vous trouviez ma lettre de bonne année. J’ai intérêt à vous souhaiter mille prospérités, puisque la Revue profitera de vos heureuses inspirations. Portez-vous donc bien et soyez toujours bien inspiré. Je vous pardonne en Directeur chrétien de m’avoir fait tirer la langue pendant deux mois après Maître Cornélius. Je vous pardonne d’avoir allongé la re I partie du double, ce qui est mortel pour un pauvre directeur obligé de contenter tout le monde et son père. Aussi, comme il fallait absolument finir l’année par Cornélius, il a été impossible de vous envoyer les épreuves à Angoulême. De là, grand embarras. Il a été impossible de ne pas sacrifier quelques phrases, dont le sens ne paraissait pas clair à l’intelligence obtuse de votre serviteur, qui n’a pas osé se permettre d’indiscrètes corrections. Ensuite cette conclusion s’est trouvée encore d’une latitude et d’une longitude antidirectoriales ; on a sacrifié par un sacrilège dont on vous demande excuse un songe tout entier plein de poésie et d’amour, mais que vous aurez en réimprie mant. Cependant, la Revue est encore tombée à la 4 feuille, sans album, et il a fallu ajouter une deuxième feuille en plus pour le faire. Vous voyez combien il est important qu’un auteur aussi élastique que vous soit sur les lieux, combien il est important qu’un article ne soit jamais mis sous presse que fini et para9 chevé en manuscrit ! Souvenez-vous-en pour 1832. Balzac, excédé par ce qu’il considère comme le « massacre » de son texte 10 , se plaint en public du comportement de Pichot. Ce dernier présente une nouvelle fois ses excuses dans sa lettre du 4 janvier 11 mais Balzac se montre intraitable et répond en des termes très durs dans une lettre mal9 Ibid., p. 442. Les retranchements effectués Pichot seront restitués dans le texte publié dans les Nouveaux contes philosophiques. Voir la comparaison entre la version de la Revue de Paris et celle de l’édition originale sur le présent cédérom. 10 « Ici, je n’ai trouvé que des ennuis – mon article Cornélius de la Revue de Paris massacré par le directeur » écrit-il à Zulma Carraud vers le 22 janvier 1832 (Corr. I, p. 466). 11 Ibid., pp. 450-1. HISTOIRE DES TEXTES 7 heureusement perdue. La réponse de Pichot ne se fait pas attendre : Paris, ce 9 janvier [1832.] Monsieur, Je m’aperçois au ton de votre lettre que je suis coupable d’un grand tort à votre égard. C’est d’avoir traité d’égal à égal ou de camarade à camarade avec une supériorité que je devais me contenter d’admirer. Je vous demande donc bien pardon du : mon cher Balzac de mes lettres précédentes. Je me tiendrai à la distance du Monsieur de vous à moi et quant à la Revue de Paris, comme je serais très fâché de lui faire partager ma disgrâce je vais répondre très sérieusement sur ce qui la regarde, en vous priant de ne pas la confondre avec moi, dans votre intérêt comme dans le sien. Elle agréera toujours vos articles comme si je n’y étais pas. Seulement, quand vous irez en voyage et que vous ne pourrez voir vous-même votre épreuve à une fin d’année, dans une livraison qui contiendra une suite qu’on ne saurait remettre à une autre, vous voudrez bien avoir un fondé de pouvoir avec qui on pourra s’entendre. Vous voudrez bien aussi, dans ces livraisons exceptionnelles, fixer autant que possible l’étendue de votre copie. L’administration désire que tous les auteurs soient contents, et quoique assez aisée pour leur faire des avances quelquefois elle ne peut toujours faire cinq feuilles au lieu de 4, surtout quand dans une livraison précédente l’auteur qui en demande 5 en a rempli deux et tiers à lui seul. Si aucun retranchement, aucune correction, n’a eu lieu dans une première partie comme la première de Cornélius, augmentée cependant de presque une feuille par addition d’auteur sur la seconde épreuve, il est à peu près clair que tout ce qui a été retranché dans la deuxième partie l’a été par le fait de force majeure, et non avec intention d’exercer aucune censure directoriale sur l’œuvre d’un écrivain qu’on a soi-même loué dans les journaux, défendu dans les salons, etc. Je n’ai retranché en tout que la valeur de deux pages ; je n’ai pas corrigé une seule faute ; les suppressions d’alinéa ont été faites pour retrancher le moins possible; vous aviez annoncé 3 feuillets de Conclusion. Vous en avez envoyé 6. Cette explication qui doit vous embarrasser, Monsieur, si vous êtes de bonne foi dans votre plainte, vous prouvera que la Revue tient à conserver ses relations avec vous. J’accède donc à votre demande en ce qui concerne la réimpression de Cornélius dans votre plus prochain volume ou en brochure à part, si vous voulez en faire cadeau à nos abonnés. Je ne veux point faire la préface, bien sûr que vous n’y direz que la vérité, très décidé à vous répondre s’il y avait quelque chose de blessant pour moi, selon votre expression. Je vous remercie cependant de l’offre que vous 12 me faites. 12 Ibid., pp. 455-6. 8 NOUVEAUX CONTES PHILOSOPHIQUES. Les choses en restent là et Balzac révèle à Rabou qu’il ne saurait répondre à la lettre de Pichot « car d’ironie en ironie il m’amènerait à le remercier de ce qu’il a bien voulu faire pour moi » 13 . Il n’y aura pas de préface, Balzac continuera de collaborer à la Revue et Maître Cornélius sera publié dans son intégralité dans les Nouveaux contes philosophiques où il occupe les 130 premières pages. En dehors de la publication dans la Revue de Paris et celle de l’édition originale des Nouveaux contes Maître Cornélius est réédité deux fois 14 du vivant de Balzac : · au t. XI des Études philosophiques (Paris, Werdet, 1836) ; · au t. II des Études philosophiques in La Comédie humaine (Paris, Furne, Dubochet et Hetzel, 1846), t. XV. Madame Firmiani La correspondance de Balzac ne nous apprend rien sur les circonstances de la composition de Madame Firmiani qui paraît dans la Revue de Paris du 19 février 1832 (pp. 14364). Les éditions suivantes sont contrôlées par Balzac : · en deuxième position des Nouveaux contes philosophiques (Paris, Gosselin, 1832) ; · au t. IV des Scènes de la vie parisienne, vol. XII des Études de mœurs au XIXe siècle (Paris, Mme Charles Béchet, 1835) ; · au t. I des Scènes de la vie parisienne (Paris, Charpentier, 1839) ; 13 Lettre du 10 janvier 1832, ibid., p. 458. 14 S’y ajoute une reproduction pirate, ignorée de Balzac, dans L’Écho de la presse (5, 10, 15 et 20 juillet 1844) du texte publié dans la Revue de Paris. HISTOIRE DES TEXTES 9 · au t. I des Scènes de la vie privées in La Comédie humaine (Paris, Furne, Dubochet et Hetzel, 1842), t. I. Notice biographique sur Louis Lambert La genèse de ce texte, inédit lorsqu’il paraît dans les Nouveaux contes philosophiques chez Gosselin en 1832, a énormément fait couler d’encre15. Rappelons cependant l’essentiel. Fin mai 1832 Balzac tombe de son tilbury et se blesse à la tête. Huit jours plus tard l’insurrection occasionnée par les obsèques du général Lamarque se déclenche. Fuyant un Paris en plein tumulte Balzac s’installe à Saché où il se repose et se remet de ses blessures avant d’entreprendre d’importants travaux dont la composition de la Notice biographique sur Louis Lambert, ce « grand et bel ouvrage qui achève ce volume où il est besoin que la seule chose inédite soit très remarquable » 16 . La tâche s’avère difficile, mais grâce à un travail acharné Balzac peut annoncer à sa mère, le 23 juin : Je te mettrai à la diligence mercredi matin un paquet qui contiendra le manuscrit du conte qui manque à Gosselin ; c’est assez te dire que je travaille jour et nuit, car le manuscrit aura bien 60 feuillets. Aussi je suis bien fatigué 15 Voir notamment Jean P OMMIER , « Genèse du premier Louis Lambert », RHLF, nº 4, oct.-déc. 1953, pp. 484-95; « Deux moments dans la genèse de Louis Lambert », L’Année balzacienne 1960, pp. 87107; Michel L ICHTLÉ , « L’Aventure de Louis Lambert », L’Année balzacienne 1971, pp. 127-62; « Louis Lambert : histoire du texte » in B ALZAC , La Comédie humaine (Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1980), t. XI, pp. 1470-91; Moïse L E Y AOUANC , « Autour de Louis Lambert », RHLF, oct.-déc. 1956, pp. 516-34. 16 Lettre à Mme Balzac datée Saché, 10 juin 1832, Corr. I, p. 540. 10 NOUVEAUX CONTES PHILOSOPHIQUES. d’écrire. Il a fallu répondre glorieusement aux gens qui disent que je suis 17 fou. Cinq jours plus tard il indique qu’il a « encore trente pages à faire » 18 et début juillet il avouera à Zulma Carraud : « […] je suis un galérien de plume et d’encre, un vrai marchand d’idées. J’achève en ce moment le IV e volume des Contes philosophiques ; je n’ai plus que quelques pages ; vous l’aurez dans une quinzaine » 19 . La rédaction de ce nouveau texte en effet coûte d’immenses efforts car il est « au-dessus de mes forces ; mais enfin il est achevé en manuscrit et je n’ai plus que le travail des épreuves » 20 . Le 16 juillet Balzac quitte Saché afin de se rendre à Angoulême où il séjourne chez les Carraud. Il attend justement les épreuves de la Notice biographique sur Louis Lambert mais craint que Gosselin ne tarde à les lui envoyer : Si Gosselin s’avisait de ne pas m’envoyer d’épreuves, ce serait du joli. Mais ce serait à ruiner ma réputation. Je déchirerais tous nos traités à la face de la terre. L’œuvre que je lui ai envoyée m’a coûté 30 jours et 15 nuits, et il me faut 21 au moins deux épreuves. Je les attends avec impatience. De fait le titre de cette nouvelle création est mentionnée pour la première fois dans une lettre envoyée le lendemain à sa sœur, Laure, et où il précise l’effort vital que lui a coûté cette composition aussi bien que les ambitions qu’il a investies dans son œuvre : Mais, vois-tu, pendant le mois de Saché, j’ai fait un trop violent effort pour Gosselin. J’ai voulu me surpasser pour faire voir des progrès de talent, et cela m’avait abattu. Cette Notice biographique sur Louis Lambert est une œuvre 17 Corr. I, p. 556. 18 Ibid., p. 560. 19 Lettre datée Saché, 2 juillet 1832, ibid., p. 561. 20 Lettre datée Saché, 15 juillet 1832, ibid., p. 581. 21 Lettre à Mme Balzac datée Angoulême, 19 juillet 1832, ibid., p. 589. HISTOIRE DES TEXTES 11 où j’ai voulu lutter avec Goethe et Byron, avec Faust et Manfred et, c’est une joute qui n’est pas encore finie, car les épreuves ne sont pas encore corrigées. e Je ne sais pas si je réussirai, mais ce 4 volume de Contes philosophiques doit être une dernière réponse à mes ennemis et doit faire pressentir une incontestable supériorité. Aussi, faut-il pardonner au pauvre artiste, sa fatigue, ses découragements, et surtout son détachement momentané de toutes sortes d’in22 térêts étrangers à son sujet. Ces précieuses épreuves arrivent enfin, mais elles sont incomplètes : Ma ti mère, comme dit Laure, je reçois aujourd’hui le paquet d’épreuves ; mais explique donc à Gosselin qu’il me faut toute la composition, l’œuvre entière sous les yeux, pour que je la corrige ; car cela sort des habitudes ordinaires des autres ouvrages. Que diable, M. Crapelet a bien assez de caractère pour tenir à la disposition de Gosselin 120 ou 140 malheureuses pages dont se compose cette Notice. Quant à moi, si je corrige placard à placard, je perdrai quinze jours à ce travail et si j’ai tout sous les yeux et que je corrige tout d’un coup, je n’y emploierai que 3 jours ; or, mes heures sont si précieuses que tout doit plier devant une économie de temps. 23 Arrange cela, et explique bien cela audit Gosselin. Balzac ne les renverra à Gosselin que le 12 ou le 13 août, mais dans l’intervalle il fait envoyer un autre jeu d’épreuves à Laure de Berny en vacances dans la Nièvre. Les commentaires de cette confidente passionnée seront déterminants pour certains passages du nouveau livre. Sa longue lettre à Balzac où elle fait preuve d’une intelligence critique d’une extrême finesse mérite qu’on la cite dans toute sa longueur : 22 Ibid., pp. 589-90. 23 Ibid., p. 597. Balzac répète les mêmes sentiments les jours suivants. C’est ainsi qu’il affirme à sa mère le 29 juilllet : « Dieu ! que Gosselin ne sait pas ce qu’il me cause de perte de temps en ne m’envoyant pas d’un coup tout Lambert composé. Il ne sait donc pas que je suis dans une veine de travail et capable de faire des merveilles ; maintenant je réponds de ma Notice, cela fera vendre un jour des 1 000 exempl[aires] des Contes philosophiques » (pp. 601-2). 12 NOUVEAUX CONTES PHILOSOPHIQUES. […] Cette lettre était destinée à ne te parler que de ton L. L., je voulais obéir à tes ordres, et m’affubler du masque de critique, bah ! j’ai enfilé une tout autre route, et je m’y trouvais bien mieux que sur le sol rocailleux où tu veux me faire marcher. Tu ne sais donc pas que je m’y blesserai, non les pieds, mais le cœur, car il s’agit de te dire des vérités dures, puisque tu veux les entendre ; mais songe que je puis ne pas avoir le sens commun, qu’un avis donné par sentiment sur un objet d’art peut ne pas avoir le sens commun et que là où ma vue débile n’aperçoit rien, un œil exercé y verra d’admirables beautés ! Je viens de e e relire ce que j’ai de L. L. c’est-à-dire le tout, moins la 3 et 4 feuille ; après avoir disséqué cette œuvre, je viens de la revoir vivante, et je crois que tu as entrepris une œuvre impossible. Ce qui me console, c’est que le public ne verra pas ce que tu as espéré en faire, et ce qui est la seule chose que je trouve impossible, tu veux faire le fait vrai, le saisir dans son action même. Si le public devinait cela, tu serais perdu, car ce serait vouloir poser une borne qu’il n’est permis qu’à Dieu de toucher ; Goëthe et Byron ont admirablement peint les désirs d’un esprit supérieur ; en les lisant, on les grandit de tout cet espace qu’ils ont aperçu ; on admire la portée de leur vue, on voudrait leur donner son âme pour aider la leur à franchir la distance qui les sépare de ce but où ils aspirent. Mais si un auteur vient me dire qu’il est parvenu à ce but, tel grand qu’il soit, je ne vois plus en lui que le présomptueux, sa vanité me choque et je le rapetisse de toute la hauteur où il a voulu s’élever. La perfection est pour l’homme quelque chose d’autant plus précieux qu’elle est toujours accompagnée de l’espérance ; si un Dieu venait la lui offrir, peut-être n’en voudraitil plus ; mais bien certainement il croira toujours de mauvais aloi, ou mieux encore il ne croira pas à celle qu’un homme viendra lui offrir et il jettera sur cet homme un juste ridicule, voilà, chéri, mon avis, et d’après lequel je te supplierais de retrancher de ton L. L. tout ce qui pourrait faire deviner ces singulières pensées, dont je voudrais bien être seule dépositaire (et que j’ai transcrites de tes lettres). Ainsi, ces phrases « ... l’admirable combat de la pensée, arrivée à sa plus grande force, à sa plus vaste expression... le monde moral dont il avait reculé les limites p[our] lui » ne peuvent se tolérer, surtout les premières, car, enfin, reculer des limites, n’est pas atteindre un but, et celle-ci peut à la rigueur passer. Oui, bien certainement, je blâme la collusion, car elle serait à ton préjudice, mais mon chéri, que toute la foule t’aperçoive de partout par la hauteur où tu seras placé, mais ne lui crie pas de t’admirer, car de toutes parts les verres les plus grossissants seraient à l’instant dirigés sur toi, et que devient le plus 24 délicieux objet vu au microscope ? 24 Ibid., pp. 604-5. HISTOIRE DES TEXTES 13 Jean Pommier et Michel Lichtlé ont analysé dans le détail les effets de cette lettre sur la correction des épreuves d’Angoulême 25 . Pommier suggère en effet que Balzac « se laisse rogner les ailes ». Nous ne savons pas en quels termes Balzac a répondu à la « dilecta ». Par contre nous disposons de la lettre que Balzac envoie, fin juillet ou début août, à la marquise de Castries et qui n’est pas autre chose que le fragment d’une lettre de Louis Lambert à Pauline de Villenoix 26 . Ce fragment de sa nouvelle création envoyée à une autre femme (sans indication de ses origines littéraires) estce la réplique sur le plan émotionnel d’un amant blessé dans son amour-propre par des critiques à l’adresse d’un ouvrage qui, plus que tout autre, lui tient à cœur 27 ? On ne saurait l’affirmer avec certitude. Ce qui est sûr c’est que les corrections apportées sur épreuves à Angoulême sont d’une telle envergure que Balzac en réclame un deuxième jeu et que Gosselin l’expédie à Lyon où il doit passer quelques jours. Il charge justement sa mère de toute transaction avec son éditeur : Ah çà ! Toi, mère, je te recommande encore de veiller à ce que mes épreuves de Lyon soient sur papier blanc, que j’en aie deux, et que tous les manuscrits me soient renvoyés, même celui des épreuves premières de Lambert. 25 Jean P OMMIER , « Deux moments dans la genèse de Louis Lambert », article cité, p. 95 suiv.; Michel L ICHTLÉ , « Louis Lambert : histoire du texte », article cité, pp. 1477-8. Les épreuves d’Angoulême sont conservées sous la cote Lov. A 161 à la Bibliothèque de l’Institut. Balzac les avait offertes à Mme de Castries. 26 Pp. 219-20 de la présente édition. 27 Voir la lettre à Laure Surville, non datée mais probablement envoyée d’Angoulême en août 1832 : « [...] Louis Lambert m’a coûté tant de travaux ! que d’ouvrages il m’a fallu relire pour écrire ce livre ! Il jettera peut-être, un jour ou l’autre, la science dans des voies nouvelles. Si j’en avais fait une œuvre purement savante, il eût attiré l’attention des penseurs, qui n’y jetteront pas les yeux. Mais, si le hasard le met entre leurs mains, ils en parleront peut-être !... ¶ Je crois Louis Lambert un beau livre. Nos amis l’ont admiré ici, et tu sais qu’ils ne me trompent pas ! » (Corr. I, pp. 609-10). 14 NOUVEAUX CONTES PHILOSOPHIQUES. […] Lambert est une bien belle chose et qui fera sensation. J’attends Lyon pour donner le dernier coup de peigne, avec impatience, à cette grande œuvre qui a 28 failli me tuer. Balzac corrige justement les épreuves à Lyon 29 et ne peut s’empêcher d’apporter de nouvelles modifications radicales à son texte. C’est ainsi qu’il avoue à Zulma Carraud : A Lyon, j’ai encore corrigé Lambert. J’ai, comme une ourse, léché mon petit. J’ai encore retranché, et j’ai ajouté une chose que vous ne connaissez pas : ce sont les dernières pensées de Lambert. En somme, je suis satisfait, 30 c’est bien ; c’est une œuvre de profonde mélancolie et de science. On croirait que les choses en resteraient là et, en effet, le texte publié dans les Nouveaux contes philosophiques est bel et bien celui établi d’après les corrections de Lyon. Et pourtant dès avant la publication en octobre de ce nouveau recueil que Balzac continue d’associer aux Romans et contes philosophiques, il est question de son esprit d’une nouvelle édition refondue des quatre volumes : ers e [...] les 3 1 volumes et le 4 nécessairement, mon intention est dans votre intérêt comme dans le mien de supprimer Étude de femme et Sarrazine [sic] dans les 3 premiers et je les remplacerais par un conte nouveau. Les deux contes retranchés n’étant ni assez philosophiques, ni d’une donnée facile à e découvrir, il faut ôter ce prétexte aux critiques. Dans le 4 je retrancherai Mme Firmiani le volume a 27 feuilles, elle n’en a que 3, ainsi le volume peut rester avec 24 sans danger, d’autant qu’il y aura une ½ feuille ajoutée dans Lambert. Ainsi nous aurions une édition soignée, bien corrigée, revue et augmentée. 28 Ibid., p. 615. 29 Voir la lettre à sa mère du 27 août 1832 : « Lambert est tout corrigé, j’en suis toujours content. M. Chambellant en pâlira ainsi que tous les swedenborgistes. Le paquet des épreuves Lambert est à ton adresse, va vite à la diligence. » (ibid., p. 620) 30 Ibid., p. 629 [2? septembre 1832]. Les épreuves de Lyon n’ont pas été conservées. HISTOIRE DES TEXTES 15 Il faudrait, si nous nous accordons, m’envoyer un exemplaire des 4 volumes 31 pour que j’en fisse la copie coordonnée. Ce projet ne sera jamais réalisé cependant. Les Romans et contes philosophiques ne seront jamais réédités et Balzac fixera toute son attention sur Louis Lambert car peu de temps après la publication initiale il dira à Zulma Carraud qu’il n’en est plus satisfait : « Hélas Lambert est incomplet. Je me suis encore trop pressé. Il y manque des développements et bien des choses que je suis en train de faire, et, dans la prochaine édition, il sera bien changé, bien corrigé. Si vous aperceviez quelque chose qui manquât, dites-le moi bien » 32 . Et, à la fin de novembre, il écrira à Gosselin : J’ai passé quinze jours et autant de demi-nuits à refondre et corriger Louis Lambert, depuis le jour où j’ai reçu à cet égard une proposition. ne Je désire que, durant ma 15 passée à Paris, nous réimprimions cet ouvrage, à 750 exempl. in-18, sur grand raisin vélin, et qu’il soit établi de manière à ce e que vous puissiez gagner autant sur ce livre de luxe, que sur le 4 volume des Romans et contes. Si l’affaire vous souriait, nous pourrions déterminer un plus fort tirage ; mais il faut tenir ce livre à 5 fr. coté, parce que les personnes qui l’achèteront ne regarderont pas à 5 francs. Seulement, il leur faut du luxe pour leur argent. L. Lambert détaché, œuvre de mélancolie, ne nuira pas plus à la vente des Romans et contes, que Atala n’a nui au Génie du Christianisme. Il popularise33 ra cette longue entreprise. Le 3 décembre Gosselin signifie son accord et, fin janvier 1833, est publiée l’Histoire intellectuelle de Louis Lambert où sont incorporés les changements de novembre. A nouveau Balzac, toujours en quête de perfection, se montrera peu satisfait de cette nouvelle édition et en 1836 l’Histoire intellectuelle de Louis Lambert « revue et considérablement 31 Lettre à Gosselin datée par R. Pierrot du 11 septembre 1832, ibid., p. 638. 32 Lettre fin novembre 1832, ibid., p. 683. 33 Lettre du 26 novembre 1832, ibid., pp. 683-4. 16 NOUVEAUX CONTES PHILOSOPHIQUES. augmentée » paraîtra dans les Études philosophiques (t. XXII et XXIV) chez Werdet. Cette édition donne un état du texte antérieur à celui que l’on trouve dans les deux éditions du Livre mystique (Werdet, décembre 1835 et janvier 1836). Enfin deux autres éditions seront publiées du vivant de Balzac : · Louis Lambert suivi de Séraphita « nouvelles éditions revues et corrigées » (Paris, Charpentier, 1842) ; · au t. II des Études philosophiques in La Comédie humaine (Paris, Furne, Dubochet et Hetzel, 1846), t. XVI. COMPARAISON ENTRE MAÎTRE CORNÉLIUS (Revue de Paris, 1831) ET L’ÉDITION ORIGINALE (1832) Dans la comparaison qui suit le texte de Maître Cornélius de 1831 sert de texte de base. Les mots, les phrases, les passages rayés reflètent ce texte. Les mots, les phrases, les passages nonrayés indiquent la conformité entre ce texte et celui de 1832. Les mots, les phrases, les passages en rouge constituent des substitutions ou des additions apportées dans le texte de 1832. MAITRE CORNÉLIUS.Maître Cornélius.¶ ¶ Comme celui qui conte, ainsi comme une histoire,¶ Que les fées jadis les enfançons volaient ;¶ Et, de nuit, aux maisons, secrètes, dévalaient¶ Par une cheminée.......¶ (DE LA FRESNAYE-VAUQUELIN.)¶ ¶ I. SCÈNES D’ÉGLISE AU QUINZIÈMEXVe SIÈCLE.¶ EnEN 1479, le jour de la Toussaint, au moment où cette histoire commença, les vêpres étaient dites à la cathédrale de Tours, et l’archevêque, Hélie de Bourdeilles, se levait de son siége pour donner lui-même la bénédiction aux fidèles.¶ Le sermon ayant duré long-temps, la nuit était venue pendant l’office, et l’obscurité la plus profonde régnait alors dans certaines parties de cette belle église, dont les deux tours n’étaient pas encore achevées. Cependant bon nombre de cierges brûlaient en l’honneur des saints sur les porte-cires triangulaires destinés à recevoir ces pieuses offrandes, dont aucun concile n’a su nous expliquer le mérite ; les luminaires de chaque autel et tous les candélabres du chœur étaient allumés ; mais ces masses de lumière, inégalement semées à travers la forêt de piliers et d’arcades qui soutient les trois nefs de la cathédrale, en éclairaient à peine l’immense vaisseau. En projetant les fortes ombres des colonnes ou les légères découpures des ornemens sur les hautes et longues galeries de l’édifice, ces clartés vacillantes y produisaient mille fantaisies, et faisaient vigoureusement ressortir les ténèbres dans lesquelles étaient ensevelis les arceaux élevés, les cintres, les voussures, et surtout les chapelles latérales déjà si noires en plein jour. La foule offrait des effets non moins pittoresques. Certaines figures se dessinaient si vaguement dans le clair-obscur qu’on pouvait les prendre pour des fantômes ; tandis que plusieurs autres, frappées en plein par des lueurs éparses, attiraient l’attention comme les têtes principales d’un tableau. Puis, les statues semblaient animées, et les hommes pétrifiés ; çà et là, des yeux brillaient dans le creux des piliers ; la pierre jetait des regards ; les marbres parlaient ; les voûtes répétaient des soupirs ; enfin, l’édifice entier paraissait doué de vie.¶ L’existence des peuples n’a pas de scènes plus solennelles ni de momens plus majestueux. A l’homme en masse, il faut toujours du mouvement pour faire œuvre de poésie ; mais à ces heures de religieuses pensées, quand les richesses humaines sont mariées aux grandeurs célestes, il y a d’incroyables sublimités dans le silence, de la terreur ou de l’espoir dans le repos, de l’éloquence dans les genoux pliés et dans les mains jointes. Le concert de sentimens qui résume la force des âmes en un même élan produit alors un inexplicable phénomène de spiritualité. La mystique exaltation de tous les fidèles assemblés réagit probablement sur chacun d’eux, et le plus faible est porté peut-être sur les flots de cet océan d’amour et de foi. Puissance tout électrique, la prière arrache ainsi notre nature à elle-même en la concentrant ; et cette involontaire union de toutes les volontés, également prosternées à terre, également élevées aux cieux, contient sans doute le secret des magiques influences que possèdent le chant des prêtres et les mélodies de l’orgue, les parfums et les pompes de l’autel, les voix de la foule et ses contemplations silencieuses.¶ Aussi ne devons-nous pas être étonnés de voir au moyen âge tant d’amours commencées à l’église après de longues extases, amours souvent dénouées peu saintement, mais dont les femmes finissaient, comme toujours, par faire pénitence. Le sentiment religieux avait alors certaines affinités avec l’amour ; il en était ou le principe ou la fin : alors. Alors, l’amour était encore une religion ; il avait encore son beau fanatisme, ses superstitions naïves, ses dévouemens sublimes qui sympathisaient avec ceux du christianisme, ; et si leurs mystères concordaient si complaisamment, les mœurs de l’époque peuvent assez bien expliquer cette singulière alliance.¶ D’abord, la société ne se trouvait guère en présence que devant les autels. Seigneurs et vassaux, hommes et femmes n’étaient égaux que là ; là seulement, les amans savaient se voir et correspondre. Puis, les fêtes ecclésiastiques composaient presque tout le spectacle du temps ; et l’âme d’une femme était alors plus vivement remuée au milieu des cathédrales qu’elle ne l’est aujourd’hui dans un bal ou à l’Opéra : or, presque toutes les fortes émotions ramènent les femmes à l’amour. Enfin, à force de se mêler à la vie et de la saisir dans tous ses actes, la religion s’était rendue également complice et des vertus et des vices. La religion avait passé dans la science, dans la politique, dans l’éloquence, dans les crimes, sur les trônes et dans la peau du malade et du pauvre ; elle était tout.¶ Ces observations demi-savantes justifieront peut-être la vérité de cette historiette, dont certains détails pourraient effaroucher la morale perfectionnée de notre siècle, un peu collet-monté, comme chacun sait.¶ Au moment où le chant des prêtres vint à cesser, quand les dernières notes de l’orgue se mêlèrent aux vibrations de l’amen sorti de la forte poitrine des chantres, et pendant qu’un léger murmure retentissait encore sous les voûtes lointaines, au moment où toute cette assemblée attendait, dans le recueillement, la bienfaisante parole du prélat, un bourgeois, pressé de rentrer en son logis, ou craignant pour sa bourse le tumulte de la sortie, se retira doucement, au risque d’être réputé mauvais catholique.¶ Aussitôt, un gentilhomme tapi contre un des énormes piliers qui environnent le chœur, où il était resté comme perdu dans l’ombre, s’empressa de venir prendre la place abandonnée par le prudent Tourangeau ; mais, en y arrivant, il se cacha promptement le visage dans les plumes qui ornaient son haut bonnet gris, et s’agenouilla sur la chaise avec un air de contrition auquel un inquisiteur aurait pu croire.¶ Après l’avoir assez attentivement regardé, ses voisins parurent le reconnaître, et se remirent à prier en laissant échapper certain geste indéfinissable, par lequel ils exprimèrent une même pensée, pensée caustique, railleuse ; c’était comme une médisance muette. Deux vieilles femmes hochèrent même la tête en se jetant un mutuel coup d’œil, et ce coup d’œil voyait dans l’avenir.¶ La chaise, dont le jeune homme s’était emparé, se trouvait près d’une chapelle pratiquée entre deux piliers, et fermée par une grille de fer.¶ Le chapitre louait, moyennant d’assez fortes redevances, à certaines familles seigneuriales, ou même à de riches bourgeois, le droit d’assister aux offices, exclusivement, eux et leurs gens, dans les chapelles latérales, situées le long des deux petites nefs qui tournent autour de la cathédrale. Cette simonie se pratique encore aujourd’hui. Une femme avait alors sa chapelle à l’église, comme de nos jours elle prend une loge aux Italiens. Les locataires de ces places privilégiées ayant en outre la charge d’entretenir l’autel qui leur était concédé, chacun mettait son amour-propre à décorer somptueusement le sien, vanité dont l’église s’accommodait assez bien.¶ Or, dans cette chapelle et près de la grille, une jeune dame était agenouillée sur un beau carreau de velours rouge à glands d’or, précisément auprès de la place précédemment occupée par le bourgeois. Une lampe d’argent vermeil suspendue à la voûte de la chapelle, devant un autel magnifiquement orné, jetait sa pâle lumière sur le livre d’Heures que tenait la dame ; et ce livre trembla violemment dans ses mains quand le jeune homme vint près d’elle.¶ – Amen.....¶ A ce répons, chanté d’une voix douce, mais cruellement agitée, et qui heureusement se confondit dans la clameur générale, elle ajouta vivement et à voix basse :¶ – Vous me perdez !...¶!....¶ Cette parole fut dite avec un accent d’innocence auquel devait obéir un homme délicat ; elle allait au cœur et le perçait ; mais l’inconnu, sans doute emporté par un de ces paroxysmes de passion qui étouffent la conscience, resta sur sa chaise et releva légèrement la tête, pour jeter un coup d’œil dans la chapelle.¶ – Il dort !.... répondit-il d’une voix si bien assourdie, que cette réponse dut être entendue par la jeune femme comme un son par l’écho.¶ Elle pâlit ; et son regard furtif, quittant pour un moment le vélin du livre, se dirigea sur un vieillard que le jeune homme avait regardé.¶ Quelle terrible complicité ne se trouvait-il pas dans cette œillade !...¶!....¶ Lorsque la jeune femme eut examiné ce vieillard, elle respira fortement et leva son beau front orné d’une pierre précieuse vers un tableau où la Vierge était peinte ; ce simple mouvement, son attitude, son regard mouillé, disaient toute sa vie avec une imprudente naïveté. Perverse, elle eût été dissimulée.¶ Le personnage qui faisait tant de peur aux deux amans était un petit vieillard, bossu, presque chauve, de physionomie farouche, ayant une large barbe d’un blanc sale et taillée en éventail. La croix de Saint-Michel brillait sur sa poitrine. Ses mains, rudes, fortes, sillonnées de poils gris, et que, d’abord, il avait sans doute jointes, s’étaient légèrement désunies pendant le sommeil auquel il se laissait si imprudemment aller. Sa main droite semblait prête à tomber sur sa dague, dont la garde formait une espèce de grosse coquille en fer sculpté. Par la manière dont il avait rangé son arme, le pommeau se trouvait sous sa main ; et si, par malheur, elle venait à toucher le fer, nul doute qu’il ne s’éveillât aussitôt, et ne jetât un regard sur sa femme. Or, il y avait sur ses lèvres sardoniques, et dans son menton pointu capricieusement relevé, les signes caractéristiques d’un malicieux esprit, d’une sagacité froidement cruelle qui devait lui permettre de tout deviner, parce qu’il savait tout supposer. Son front jaune était plissé comme celui des hommes habitués à ne rien croire, à tout peser ;, et qui, semblables aux avares faisant trébucher leurs pièces d’or, cherchent le sens et la valeur exacte des actions humaines. Il avait une charpente osseuse et solide, ; il était nerveux, paraissait très irritable ; bref, vous eussiez dit un ogre manqué.¶ Donc, au réveil de ce terrible seigneur, un inévitable danger attendait nécessairement la jeune dame ; car, mari jaloux, il ne manquerait pas de reconnaître la différence qui existait entre le vieux bourgeois, dont il n’avait pas pris ombrage, et le nouveau venu, courtisan jeune, svelte, élégant.¶ – Libera nos à malo !.......!.... dit-elle en essayant de faire comprendre ses craintes au cruel jeune homme.¶ Celui-ci leva la tête vers elle et la regarda. Il avait des pleurs dans les yeux ; pleurs d’amour, ou de désespoir. A cette vue la dame tressaillit, elle se perdit. Tous deux résistaient sans doute depuis long-temps, et ne pouvaient peut-être plus résister à un amour grandi de jour en jour par d’invincibles obstacles, couvé par la terreur, fortifié par la jeunesse.¶ La dame était médiocrement belle, mais son teint pâle accusait de secrètes souffrances qui la rendaient intéressante, rien qu’à la voir. Au reste, elle avait les formes distinguées, et les plus beaux cheveux du monde. Gardée par un tigre, elle risquait peut-être sa vie en disant un mot, en se laissant presser la main, en accueillant un regard. Si jamais amour n’avait été plus profondément enseveli dans deux cœurs, plus délicieusement savouré, jamais aussi passion ne devait être si périlleuse. Il était facile de deviner que, pour ces deux êtres, il y avait dans l’air, dans les sons, dans le bruit des pas, dans les dalles, dans les choses les plus indifférentes aux autres hommes, des qualités sensibles, des propriétés particulières qu’ils devinaient ; et peut-être l’amour leur faisait-il trouver des truchemens fidèles jusque dans les mains glacées du vieux prêtre auquel ils allaient dire leurs péchés, ou dont ils recevaient une hostie en approchant de la sainte table ; amour profond, amour entaillé dans l’âme comme, dans le corps, une cicatrice qu’il faut garder pendant toute la vie.¶ Quand ces deux jeunes gens se regardèrent, la femme sembla dire à son amant :¶ – Périssons, mais aimons-nous !...¶!....¶ Et le cavalier parut lui répondre :¶ – Nous nous aimerons, et ne périrons pas !...¶!....¶ Alors, par un mouvement de tête plein de mélancolie, elle lui montra une vieille duègne et deux pages. La duègne dormait. Les deux pages étaient jeunes, et paraissaient assez insoucians de ce qui pouvait arriver de bien ou de mal à leur maître.¶ – Ne vous effrayez pas à la sortie, et laissez-vous faire.....¶ A peine le gentilhomme eut-il dit ces paroles à voix basse, que la main du vieux seigneur coula sur le pommeau de son épée. En sentant la froideur du fer, le vieillard s’éveilla soudain ; ses. Ses yeux jaunes se fixèrent aussitôt sur sa femme ; et, par un privilége assez rarement accordé même aux hommes de génie, il retrouva son intelligence aussi nette et ses idées aussi lucides que s’il n’avait pas sommeillé.¶ C’était un jaloux !....¶ Si le jeune cavalier donnait un œil à sa maîtresse, de l’autre, il guignait le mari ; alors, il se leva lestement, et s’effaça derrière le pilier au moment où la main du vieillard voulut se mouvoir ; puis il disparut, léger comme un oiseau. Ayant promptement baissé les yeux, la dame feignit de lire, et tâcha de paraître calme ; mais elle ne pouvait empêcher son visage de rougir, et son cœur de battre avec une violence inusitée. Le vieux seigneur entendit le bruit des pulsations profondes et sonores qui retentissaient¶ dans la chapelle, remarqua l’incarnat extraordinaire répandu sur les joues, sur le front, sur les paupières de sa femme ; et alors, il regarda prudemment autour de lui ; mais, ne voyant personne dont il dût se défier :¶ – A quoi pensez-vous donc, ma mie ?...?.... lui dit-il.¶ – L’odeur de l’encens me fait mal..... répondit-elle.¶ – Il est donc mauvais d’aujourd’hui !...!.... répliqua le seigneur.¶ Malgré cette observation, le rusé vieillard feignit de croire à cette défaite ; et, soupçonnant quelque trahison secrète, il résolut de veiller encore plus attentivement sur son trésor.¶ La bénédiction était donnée. Sans attendre la fin du secula seculorum, la foule se précipitait comme un torrent vers les portes de l’église. Le seigneur attendit prudemment, suivant son habitude, que l’empressement général fût calmé ; puis il sortit en faisant marcher devant lui la duègne et le plus jeune page qui portait un fallot. Il donna le bras à sa femme, et l’autre page les suivit.¶ Au moment où le vieux seigneur allait atteindre la porte latérale ouverte dans la partie orientale du cloître, et par laquelle il avait coutume de sortir, un flot de monde se détacha de la foule qui obstruait le grand portail. En refluant avec impatience vers la petite nef où se trouvait la famille, cette masse compacte l’empêcha de retourner sur ses pas. Alors, le seigneur et sa femme furent poussés au-dehors par la puissante pression de cette multitude. Le mari tâcha de passer le premier en tirant fortement sa la dame par le bras ; mais, en ce moment, il fut entraîné vigoureusement dans la rue, et sa femme lui fut arrachée par le bras d’un étranger.¶ Le terrible bossu comprit soudain qu’il était tombé dans une embûche préparée de longue main. Se repentant d’avoir dormi si long-temps, il rassembla toute sa force ; d’une main, ressaisit sa femme par la manche de sa robe ; et, de l’autre, essaya de se cramponner à la porte. Mais l’ardeur de l’amour l’emporta sur la rage de la jalousie ; et le jeune gentilhomme, prenant sa maîtresse par la taille, l’enleva si rapidement et avec une telle force de désespoir, que l’étoffe de soie et d’or, le brocardbrocart et les baleines, se déchirèrent bruyamment. La manche resta seule au mari. Un rugissement de lion couvrit aussitôt les cris poussés par la multitude, et l’on entendit bientôt une voix terrible hurlant ces mots :¶ – A moi, Poitiers !...!.... Au portail, les gens du comte de SaintVallier !...!.... Au secours !.... Ici !¶ Et le comte Aymar de Poitiers, sire de Saint-Vallier’, tenta de tirer son épée et de se faire faire place ; mais il se vit environné, pressé par trente ou quarante gentilshommes qu’il était dangereux de blesser ;, et parmi lesquels plusieurs, de haut rang, lui répondirent par des quolibets en l’entraînant avec eux.¶ Le ravisseur avait emmené la comtesse, avec la rapidité de l’éclair, dans une chapelle ouverte où il l’assit derrière un confessionnal, sur un banc de bois. A la lueur des cierges qui brûlaient devant l’image du saint auquel cette chapelle était dédiée, ils se regardèrent un moment en silence, en se pressant les mains, étonnés l’un et l’autre de leur audace ; et la comtesse n’eut pas le cruel courage de reprocher au jeune homme la hardiesse à laquelle ils devaient ce périlleux, ce premier instant de bonheur.¶ – Voulez-vous fuir avec moi dans les étatsÉtats voisins ? lui dit vivement le gentilhomme. J’ai près d’ici deux genets d’Angleterre capables de faire trente lieues d’une seule traite.¶ – Hé ! s’écria-t-elle doucement, il n’y a d’asile en aucun lieu du monde pour une fille du roi Louis !....¶ – C’est vrai !.... répondit le jeune homme stupéfait de n’avoir pas prévu cette difficulté de son entreprise.¶ – Pourquoi donc m’avez-vous arrachée à mon mari ?.... demanda-t-elle avec une sorte de terreur.¶ – Hélas !...!.... reprit le cavalier, je n’ai pas compté sur le trouble où je suis en me trouvant près de vous, en vous entendant me parler, en recueillant vos regards !.......!.... J’ai conçu deux ou trois plans ; eh bien ! maintenant, tout me semble accompli, puisque je vous vois.....¶ – Mais je suis perdue !.... dit la comtesse.¶ – Nous sommes sauvés !.... répliqua le gentilhomme avec toute l’ardeurl’aveugle enthousiasme de l’amour. Écoutez-moi !....¶ – Ceci me coûtera la vie !.... reprit-elle en laissant couler les larmes qui roulaient dans ses yeux. Le comte me tuera ce soir peut-être !... Allez!.... Mais, allez chez le roi ! racontez-lui les tourmens que depuis cinq ans sa fille a endurés... Il m’aimait bien quand j’étais petite, et il m’appelait en riant Marie-pleine-de-grâce, parce que j’étais laide !...!.... Ah ! s’il savait à quel homme il m’a donnée, il se mettrait dans une terrible colère..... Si je n’ai pas osé me plaindre, c’est par pitié pour le comte !... Mais!.... D’ailleurs, comment ma voix serait-elle parvenue jusqu’au roi !...!.... Mon confesseur lui-même est un espion de Saint-Vallier. – Si je me suis prêtée à ce coupable enlèvement, c’est dans l’espoir de vous avoir pour défenseur ; mais puis-je me fier à...¶ – Oh ! dit-elle en pâlissant et s’interrompant, voici le page !...¶!....¶ La pauvre comtesse se fit comme un voile avec ses mains pour se cacher la figure.¶ – Ne craignez rien !.... reprit le jeune seigneur, il est gagné ! Vous pouvez vous servir de lui en toute assurance, il m’appartient..... Et..... quand le comte viendra vous chercher, il nous préviendra de son arrivée.¶ – Il y a dans ce confessionnal, ajouta-t-il à voix basse, un chanoine de mes amis ; il sera censé vous avoir retirée de la bagarre, et mise sous sa protection dans cette chapelle. – Ainsi, tout est prévu pour tromper SaintVallier...¶ A ces mots, les larmes de la comtesse se séchèrent ; mais une expression de tristesse vint rembrunir son front par degrés.¶ – On ne le trompe pas ! dit-elle. Ce soir, il saura tout !...!.... Prévenez ses coups....... – Allez au Plessis, voyez le roi, dites-lui que...¶ Elle hésita ; mais quelque souvenir lui ayant donné le courage d’avouer les secrets du mariage :¶ – Eh bien ! oui, reprit-elle ; dites-lui que, pour se rendre maître de moi, le comte me fait saigner aux deux bras, et m’épuise..... dites qu’il m’a traînée par les cheveux... dites que je suis prisonnière... dites que...¶ Son cœur se gonfla, les sanglots expirèrent dans son gosier, quelques larmes tombèrent de ses yeux ; et, dans son agitation, elle se laissa baiser les mains par le jeune homme auquel il échappait des mots sans suite.¶ – Personne ne peut parler au roi..... Pauvre petite !..... J’ai beau être le neveu du grand-maître des arbalétriers, je n’entrerai pas ce soir au Plessis !...... Ma chère dame..... ma belle souveraine. ! – Mon Dieu, a-telle souffert !.... Marie, laissez-moi vous dire deux mots !..., ou nous sommes perdus !...¶!....¶ – Que devenir ?...?.... s’écria-t-elle.¶ Puis, apercevant à la noire muraille un tableau de la Vierge, sur lequel tombait la lueur de la lampe :¶ – Sainte mère de Dieu, conseillez-nous !...!.... dit-elle.¶ – Ce soir, reprit le jeune seigneur, je serai chez vous !...¶!....¶ – Et comment ?...?.... demanda-t-elle naïvement.¶ Ils étaient dans un si grand péril, que leurs plus douces paroles semblaient dénuées d’amour.¶ – Ce soir, reprit le gentilhomme, je vais aller m’offrir en qualité d’apprenti à maître Cornélius, l’argentier du roi ; j’ai su me procurer une lettre de recommandation qui me fera recevoir. Son logis est voisin du vôtre. Une fois sous le toit de ce vieux ladre, à l’aide d’une échelle de soie, je saurai trouver le chemin de votre appartement.....¶ – Oh ! dit-elle pétrifiée d’horreur, si vous m’aimez, n’allez pas chez maître Cornélius !...¶ – Ah ! s’écria-t-il en la serrant contre son cœur avec toute la force que l’on se sent à son âge, vous m’aimez !...¶m’aimez donc !....¶ – Oui, dit-elle. N’êtes-vous pas mon espérance ? Vous êtes gentilhomme, je vous confie mon honneur !¶ – D’ailleurs, reprit-elle en le regardant avec dignité, je suis trop malheureuse pour que vous trahissiez ma foi. Mais à quoi bon tout ceci ?...?.... Allez, laissez-moi mourir plutôt que d’entrer chez Cornélius ! Ne savezvous pas que tous ses apprentis.....¶ – Ont été pendus !..... reprit en riant le gentilhomme ; mais croyez-vous que ses trésors me tentent ?...¶?....¶ – Oh ! n’y allez pas, vous y seriez victime de quelque sorcellerie !... !....¶ – Je ne saurais trop payer le bonheur de vous servir ! répondit-il en lui lançant un regard de feu qui lui fit baisser les yeux.¶ – Et mon mari ?...?.... dit-elle.¶ – Voici qui l’endormira !... reprit le jeune homme, en tirant de sa ceinture un petit flacon.¶ – Pas pour toujours ?... demanda la comtesse en tremblant.¶ Pour toute réponse, le gentilhomme fit un geste d’horreur.¶ – Je l’aurais déjà défié en combat singulier, s’il n’était pas si vieux !...!.... ajouta-t-il ; mais Dieu me garde jamais de vous en défaire en lui donnant le boucon !....¶ – Pardon !...!.... dit la comtesse en rougissant, je suis cruellement punie de mes péchés. Dans un moment de désespoir, j’ai voulu tuer le comte !..., et je craignais que vous n’eussiez eu le même désir..... Ma douleur est grande de n’avoir point encore pu me confesser de cette mauvaise pensée ; mais j’ai eu peur que mon idée ne lui fût découverte, et qu’il ne s’en vengeât.....¶ – Je vous fais honte !... reprit-elle, offensée du silence que gardait le jeune homme. J’ai mérité ce blâme.¶ Elle brisa le flacon en le jetant à terre avec une soudaine violence.¶ – Ne venez pas !... s’écria-t-elle, le comte a le sommeil léger. Mon devoir est d’attendre secours du ciel, ; ainsi ferai-je !...¶!....¶ Elle voulut sortir.¶ – Ah ! s’écria le gentilhomme, ordonnez, je le tuerai, madame !...!.... Vous me verrez ce soir.¶ – J’ai été sage de dissiper cette drogue !... répliqua-t-elle d’une voix éteinte par le plaisir de se voir si ardemment aimée. La peur de réveiller mon mari nous sauvera de nous-mêmes.¶ – Je vous fiance ma vie !...!.... dit le jeune homme en lui serrant la main.¶ – Si le roi le veut, le pape saura casser mon mariage ; et, alors, nous serons unis !... reprit-elle en lui lançant un regard plein de délicieuses espérances.¶ En ce moment, le page accourut.¶ – Voici monseigneur ! s’écria-t-il.¶ Aussitôt le gentilhomme, étonné du peu de temps pendant lequel il était resté près de sa maîtresse, et surpris de la célérité du comte, prit un baiser que sa maîtresse ne sut pas refuser, et ; puis il lui dit :¶ – A ce soir !...¶!....¶ Puis, il Il s’esquiva de la chapelle ; et, à la faveur de l’obscurité, gagna le grand portail en s’évadant de pilier en pilier dans la longue trace d’ombre que chaque grosse colonne projetait à travers l’église.¶ Un vieux chanoine sortit tout à coup du confessionnal, vint se mettre auprès de la comtesse, et ferma doucement la grille devant laquelle le page se promena gravement avec une assurance de meurtrier.¶ De vives clartés annoncèrent le comte. Accompagné de quelques amis et de gens qui portaient des torches, il tenait à la main son épée nue, et ses yeux sombres semblaient percer les ténèbres profondes et visiter les coins les plus noirs de la cathédrale.¶ – Monseigneur, madame est là !... lui dit le page en allant au-devant de lui.¶ Le sire de Saint-Vallier trouva sa femme agenouillée aux pieds de l’autel, et le chanoine, debout disait, disant son bréviaire. A ce spectacle, il secoua vivement la grille, comme pour donner pâture à sa rage.¶ – Que voulez-vous, une épée nue à la main dans l’église ?...?.... demanda le chanoine.¶ – Mon père, monsieur est mon mari !...!.... répondit la comtesse.¶ Alors le prêtre tira la clef de sa manche, et ouvrit la chapelle. Le comte jeta presque malgré lui des regards autour du confessionnal, y entra ; puis, il se mit à écouter le silence de la cathédrale.¶ – Monsieur, lui dit sa femme, vous devez des remerciemensremercîmens à ce vénérable chanoine qui m’a retirée ici.....¶ Le sire de Saint-Vallier, pâlissant de colère, n’osant regarder ses amis, qui étaient venus là plutôt pour rire de lui que pour l’assister, repartit brièvement :¶ – Merci Dieu !...!.... mon père, je trouverai moyen de vous récompenser !¶ Il prit sa femme par le bras ; puis, sans la laisser achever sa révérence au chanoine, il fit un signe à ses gens, et sortit de l’église sans dire un mot à ceux qui l’avaient accompagné. Son silence avait quelque chose de farouche.¶ Impatient d’être au logis, et préoccupé des moyens de découvrir la vérité, il marchaitse mit en marche à travers les rues tortueuses qui, à cette époque, séparaient la cathédrale du portail de la chancellerie, où s’élevait le bel hôtel alors récemment bâti par le chancelier Juvénal des Ursins, sur l’emplacement d’une ancienne fortification que Charles VII avait donnée à ce fidèle serviteur, en récompense de ses glorieux labeurs.¶ Là commençait une rue, nommée, depuis lors, de la Scéellerie, en mémoire des sceaux qui y furent longtemps. Elle joignait le vieux Tours au bourg de Châteauneuf, où se trouvait la célèbre abbaye de Saint-Martin, dont tant de rois furent simples chanoines.¶ Depuis cent ans, et après de longues discussions, ce bourg avait été réuni à la ville. Beaucoup des rues adjacentes à celle de la Scéellerie, et qui forment aujourd’hui le centre du Tours moderne, étaient déjà construites ; mais les plus beaux hôtels, et notamment celui du trésorier Xancoings, maison qui subsiste encore dans la rue du Commerce, étaient situés dans la commune de Châteauneuf.¶ Ce fut par là que les porte-flambeaux du sire de Saint-Vallier le guidèrent vers la partie du bourg qui avoisinait la Loire. Il suivait machinalement ses gens, lançant de temps à autre un coup d’œil sombre à sa femme et au page, en tâchant de surprendre entre eux un regard d’intelligence qui jetât quelque lumière sur le singulier événement dont il était stupéfait et désespéré.¶ Enfin il arriva dans la rue du Mûrier, où son logis était situé. Lorsque tout le cortége fut entré, que la lourde porte fut fermée, un profond silence régna dans cette petite rue étroite, où logeaient alors quelques seigneurs ; ce nouveau quartier de la ville étant le plus rapproché du Plessis, séjour habituel du roi.¶ La dernière maison de cette rue était aussi la dernière de la ville, et appartenait à maître Cornélius Hoogworst, vieux négociant brabançon, auquel le roi Louis Xl accordait toute sa confiance pour les transactions financières que sa politique astucieuse l’obligeait à faire au-dehors du royaume.¶ Par des raisons toutes favorables à la tyrannie qu’il exerçait sur sa femme, le comte de Saint-Vallier s’était jadis établi dans un hôtel contigu au logis de ce maître Cornélius ; et la topographie des lieux expliquera les bénéfices que cette situation pouvait offrir à un jaloux.¶ En effet, la maison du comte, nommée l’hôtel de Poitiers, avait un jardin bordé par le mur et le fossé qui servaient d’enceinte à l’ancien bourg de Châteauneuf, et près desquels passait la levée récemment construite par Louis XI entre Tours et le Plessis ; or. Or, de ce côté, des chiens défendaient l’accès du logis. Puis, une grande cour le séparantséparait, à gauche, des maisons voisines, ; alors, il n’avait de contact qu’avec le logis de ce maître Cornélius, auquel il se trouvait adossé par son flanc droit.¶ Ainsi, la maison du défiant et rusé seigneur, isolée de trois côtés, ne pouvait être nuitamment envahie que par les habitans de la maison brabançonne, dont les combles et les chaîneauxchéneaux de pierre se mariaient à ceux de l’hôtel de Poitiers.¶ Sur la rue, toutes les fenêtres de la façade, étroites et découpées dans la pierre, étaient, suivant l’usage de ce temps, garnies de barreaux en fer ; et la porte, basse et voûtée comme les portes de nos vieilles prisons, avait une solidité à toute épreuve. Un banc de pierre, qui servait de montoir, se trouvait près du porche.¶ En voyant le profil du des logis occupéoccupés par maître Cornélius et par le comte, il était facile de croire que les deux maisons avaient été bâties par le même architecte, et destinées à des tyrans.¶ Toutes deux, d’aspect sinistre, ressemblaient à de petites forteresses, et pouvaient être long-temps défendues avec avantage contre une populace furieuse. Les angles en étaient protégés par des tourelles semblables à celles que les amateurs d’antiquités remarquent dans certaines villes où le marteau des démolisseurs n’a pas encore passé. Les baies, ayant peu de largeur, permettaient de donner une force de résistance prodigieuse aux volets ferrés et aux portes. Les émeutes et les guerres civiles, si fréquentes en ces temps de discorde, justifiaient toutes ces précautions.¶ Lorsque six heures sonnèrent au clocher de l’abbaye Saint-Martin, le gentilhomme amoureux de la comtesse passa devant l’hôtel de Poitiers, et s’y arrêta pendant un moment. Il entendit dans la salle basse le bruit que faisaient les gens du comte en soupant ; et, après avoir jeté un regard sur la chambre où il présumait que devait être sa dame, il alla vers la porte du logis voisin.¶ Partout, sur son chemin, le jeune seigneur avait entendu les accens joyeux des repas faits, dans les maisons de la ville, en l’honneur de la fête. Les Toutes les fenêtres, mal jointes, laissaient toutes passer des rayons de lumière ; les cheminées fumaient ; et les bonnes odeurs des rôtisseries pénétraient dans la rueles rues. L’office achevé, la ville entière se rigolait, et poussait des murmures que l’imagination comprend mieux que la parole ne les peint ; mais là. Mais, en cet endroit, régnait un profond silence. Il y avait dans ces deux logis deux passions qui ne se réjouissent jamais. Au-delà les campagnes se taisaient ; et là, sous l’ombre des clochers de l’abbaye Saint-Martin, ces deux maisons, muettes aussi, séparées des autres, et situées dans le bout le plus tortueux de la rue, ressemblaient à une léproserie. Le logis qui leur faisait face, appartenant à des criminels d’Étatd’état, était sous un séquestre.¶ Un jeune homme devait être facilement impressionné par ce subit contraste.¶ Aussi ; aussi, sur le point de se lancer dans une entreprise horriblement hasardeuse, le gentilhomme resta pensif devant la maison du Lombard, en se rappelant tous les contes dont maître Cornélius était le sujet, et qui avaient causé le singulier effroi de la comtesse.¶ A cette époque, un homme de guerre, et même un amoureux, tout tremblait au mot de magie ; car, alors, il se rencontrait peu d’imaginations incrédules pour les faits bizarres, ou froides aux récits merveilleux..... L’histoire de maître Cornélius Hoogworst expliquera complétement la sécurité que le Lombard inspirait au sire de Saint-Vallier, la terreur ; et l’amant de la comtesse, et l’hésitation de Saint-Vallier, une des filles que Louis XI avait eues de madame de son amant.¶Sassenage, en Dauphiné, tout hardi qu’il pût être, devait y regarder à deux fois au moment d’entrer dans une maison ensorcellée.¶ L’histoire de maître Cornélius Hoogworst expliquera complétement la sécurité que le Lombard avait inspirée au sire de Saint-Vallier, la terreur manifestée par la comtesse, et l’hésitation qui arrêtait l’amant ; mais, pour faire comprendre entièrement à des lecteurs du dix-neuvième siècle, comment des événemens assez vulgaires en apparence étaient devenus surnaturels, et pour leur faire partager les frayeurs du vieux temps, il est nécessaire d’interrompre légèrement cette histoire pour jeter un rapide coup d’œil sur les aventures de maître Cornélius.¶ II. LE TORÇONNIER.¶ Cornélius HoogworstCORNÉLIUS HOOGWORST, l’un des plus riches commerçans de Gand, s’étant attiré l’inimitié de Charles, duc de Bourgogne, avait trouvé asile et protection à la cour de Louis XI.¶ Le roi, concevant tout le parti qu’il pouvait tirer d’un homme lié avec les principales maisons de Flandre, de Venise et du Levant, avait anobli, naturalisé, et même flatté maître Cornélius, ce qui arrivait rarement à Louis XI. Le monarque plaisait, d’ailleurs, au Flamand, autant que le Flamand plaisait au monarque. Tous deux rusés, défians, avares ; également politiques, également instruits ; supérieurs tous deux à leur époque, ils se comprenaient à merveille ; quittaient et reprenaient avec une même facilité, l’un, sa conscience, l’autre, sa dévotion ; ils aimaient la même Vierge ; l’un par conviction, l’autre par flatterie ; enfin, s’il fallait en croire les propos jaloux d’Olivier le Daim et de Tristan, le roi allait se divertir dans la maison du Lombard, mais comme se divertissait Louis XI. L’histoire a pris soin de nous transmettre les goûts licencieux de ce monarque, auquel la débauche ne déplaisait pas ; et le vieux Brabançon trouvait sans doute joie et profit à se prêter aux capricieux plaisirs de son royal client.¶ Cornélius habitait la ville de Tours depuis neuf ans ; et, pendant ces neuf années, il s’était passé chez lui des événemens extraordinaires qui l’avaient rendu l’objet de l’exécration générale. En arrivant, il dépensa dans sa maison des sommes assez considérables pour y mettre ses trésors en sûreté. Les inventions que les serruriers de la ville exécutèrent secrètement pour lui, les précautions bizarres qu’il avait prises pour les amener dans son logis de manière à s’assurer forcément de leur discrétion, furent pendant long-temps le sujet de mille contes merveilleux qui charmèrent les veillées de Touraine. Les singuliers artifices du vieillard le faisaient supposer possesseur de richesses orientales. Aussi les narrateurs de ce pays, la patrie du conte en France, bâtissaient des chambres d’or et de pierreries chez le Flamand, et ne manquaient pas d’attribuer à des pactes magiques la source de cette immense fortune.¶ Maître Cornélius avait amené jadis avec lui deux valets flamands, une vieille femme, plus un jeune apprenti de figure douce et prévenante. Ce jeune homme lui servait de secrétaire, de caissier, de factotum et de courrier.¶ Dans la première année de son établissement à Tours, un vol considérable eut lieu chez lui. Les enquêtes judiciaires prouvèrent que le crime avait été commis par un habitant de la maison. Là-dessus, le vieil avare fit mettre en prison ses deux valets et son commis.¶ Le jeune homme était faible, il périt dans les souffrances de la question, tout en protestant de son innocence.¶ Les deux valets avouèrent le crime pour éviter les tortures ; mais quand le juge leur demanda où étaient les sommes volées, ils gardèrent le silence, furent réappliqués à la question, jugés, condamnés et pendus. En allant à l’échafaud, ils persistèrent à se dire innocens, suivant l’habitude de tous les pendus.¶ La ville de Tours s’entretint long-temps de cette singulière affaire ; mais comme c’étaient des Flamands, l’intérêt que ces malheureux et que le jeune commis avaient excité s’évanouit promptement ; car les guerres et les séditions de ce temps-là fournissaient des émotions perpétuelles, et le drame du jour faisait pâlir celui de la veille.¶ Plus chagrin de la perte énorme qu’il avait éprouvée que de la mort de ses trois domestiques, maître Cornélius resta seul avec la vieille Flamande qui était sa sœur. Il obtint du roi la faveur de se servir des courriers de l’État pour ses affaires particulières, mit ses mules chez un muletier du voisinage, et vécut, dès ce moment, dans la plus profonde solitude, ne voyant guère que le roi, faisant son commerce par le canal des juifs, habiles calculateurs, qui le servaient fidèlement, afin d’obtenir sa toute-puissante protection.¶ Cependant, quelque temps après cette aventure, le roi procura lui-même à son vieux torçonnier ( I ) (Louis XI appelait ainsi familièrement maître Cornélius) un jeune orphelin, auquel il portait beaucoup d’intérêt. Le pauvre enfant s’adonna soigneusement aux affaires du Lombard, sut lui plaire, et gagna ses bonnes grâces. Mais, pendant une nuit d’hiver, les diamans déposés entre les mains de Cornélius par le roi d’Angleterre, pour la sûreté d’une somme de cent mille écus, ayant été volés, les soupçons tombèrent sur l’orphelin. Louis XI se montra d’autant plus sévère pour lui qu’il avait répondu de sa fidélité. Aussi le malheureux fut-il pendu, après une interrogation assez sommairement faite par le grand prévôt.¶ Personne n’osait aller apprendre l’art de la banque et le change chez maître Cornélius. Cependant, deux jeunes gens de la ville, Tourangeaux pleins d’honneur et désireux de fortune, y entrèrent successivement. Des vols considérables coïncidèrent avec l’admission des deux jeunes gens dans la maison du torçonnier ; et les circonstances dont ces crimes furent accompagnés, la manière dont ils furent exécutés, prouvaient si clairement que les auteurs avaient des intelligences secrètes avec les habitans du logis, qu’il était impossible de ne pas en accuser les nouveaux-venus. Le Brabançon, étant devenu de plus en plus soupçonneux et vindicatif, déféra surle-champ la connaissance de ce fait à Louis XI, qui chargea son grand prévôtprevôt de ces affaires, ; et chaque procès fut promptement instruit, et plus promptement terminé.¶ Le patriotisme des Tourangeaux donna secrètement tort à la promptitude de Tristan. Coupables ou non, les deux jeunes gens passèrent pour des victimes, et Cornélius pour un bourreau. Les deux familles en deuil étaient estimées ; leurs plaintes furent écoutées ; et, de conjectures en conjectures, elles parvinrent à faire croire à l’innocence de tous ceux que l’argentier du roi avait envoyés à la potence.¶ Les uns prétendaient que le cruel avare, imitant le roi, essayait de mettre la terreur et les gibets entre le monde et lui ; qu’il n’avait jamais été volé ; que ces tristes exécutions étaient le résultat d’un froid calcul, et qu’il voulait être sans crainte pour ses trésors. Le premier effet de ces rumeurs populaires fut d’isoler Cornélius. Les Tourangeaux le traitèrent comme un pestiféré ; l’appelèrent le tortionnaire ; nommèrent son logis la Malemaison ; et, quand même le Lombard aurait pu trouver des étrangers assez hardis pour entrer chez lui, tous les habitans de la ville les en eussent empêchés par leurs dires.¶ L’opinion la plus favorable à maître Cornélius était celle des gens qui le regardaient comme un homme funeste. Il inspirait aux uns une terreur instinctive ; aux autres, ce respect profond que l’on porte à un pouvoir sans bornes ou à l’argent ; pour plusieurs personnes, il avait tout l’attrait du mystère. Son genre de vie, sa physionomie, et la faveur du roi, justifiaient tous les contes dont il était devenu le sujet. Cornélius voyageait assez souvent en pays étrangers, depuis la mort de son persécuteur le duc de Bourgogne ; or, pendant son absence, le roi faisait garder le logis du banquier par des hommes de sa compagnie écossaise. Cette royale sollicitude faisait présumer aux courtisans que le vieillard avait légué sa fortune à Louis XI.¶ Comme il sortait très peu, les seigneurs de la cour lui rendaient de fréquentes visites ; il leur prêtait assez libéralement de l’argent ; mais il était fantasque : à certains jours, il ne leur aurait pas donné un sou parisis ; le lendemain, il vous offrait des sommes immenses, moyennant toutefois un bon intérêt et de grandes sûretés.¶ Du reste, il était bon catholique, allait régulièrement aux offices, mais il venait à Saint-Martin de très bonne heure ; et comme il y avait acheté une chapelle à perpétuité, là, comme ailleurs, il était séparé des autres chrétiens. Enfin un proverbe populaire de cette époque, et qui subsista long-temps à Tours, était cette phrase : – Vous avez passé devant le Lombard, il vous arrivera malheur.¶ – Vous avez passé devant le Lombard !.... expliquait les maux soudains, les tristesses involontaires et les mauvaises chances de fortune. Même à la cour, on attribuait à Cornélius cette fatale influence que les superstitions italienne, espagnole et asiatique, ont nommée le mauvais œil. Sans le pouvoir terrible de Louis XI qui s’était étendu comme un manteau sur cette maison, à la moindre occasion, le peuple eût démoli la Malemaison de la rue du Mûrier..... Et c’était pourtant chez Cornélius que les premiers mûriers plantés à Tours avaient été mis en terre ; alors les Tourangeaux le regardèrent comme un bon génie. Comptez donc sur la faveur populaire !....¶ ( I ) Torçonnier. Ce vieux mot signifiait, sous le règne de Saint-Louis, un usurier, un collecteur d’impôts, un homme qui vous pressure par des moyens violens. L’épithète tortionnaire, restée au palais, explique assez bien le mot torçonnier qui se trouve souvent écrit ainsi : tortionneur.¶ Quelques seigneurs ayant rencontré maître Cornélius hors de France, furent surpris de sa bonne humeur. A Tours, il était toujours sombre et rêveur ; mais il y revenait toujours. Une inexplicable puissance le ramenait à sa noire maison de la rue du Mûrier. Semblable au colimaçon, dont la vie est si fortement unie à celle de sa coquille, il avouait au roi qu’il ne se trouvait bien que sous les pierres vermiculées et sous les verrous de sa petite bastille, tout en sachant que, Louis XI mort, ce lieu serait pour lui le plus dangereux de la terre.¶ – Le diable s’amuse aux dépens de notre compère le torçonnier !.... dit Louis XI à son barbier, quelques jours avant la fête de la Toussaint. Il se plaint encore d’avoir été volé..... Mais il ne peut plus pendre personne, à moins qu’il ne se pende lui-même.... Ce vieux truand n’est-il pas venu me demander si je n’avais pas emporté hier par mégarde une chaîne de rubis qu’il voulait me vendre ?....... – Pasques Dieu !.... je ne vole pas ce que je puis prendre..... lui ai-je dit.¶ – Et il a eu peur ?...?.... fit le barbier.¶ – Les avares n’ont peur que d’une seule chose ;, répondit le roi !..... et mon compère le torçonnier sait bien que je ne le dépouillerai pas.....¶ – Cependant le vieux malandrin vous surfait !....... reprit le barbier.¶ – Tu voudrais bien que ce fût vrai..... hein ? dit le roi en jetant un malicieux regard au barbier.¶ – Ventre Mahom !...!.... sire, la succession serait belle à partager entre vous et le diable !...¶!....¶ – Assez.... fit le roi, ; ne me donne pas de mauvaises idées. Mon compère est un homme plus fidèle que tous ceux dont j’ai fait la fortune ; parce qu’il ne me doit rien, peut-être !...¶ Or donc, depuis deux ans maître Cornélius vivait seul avec sa vieille sœur qui passait pour sorcière. Un tailleur du voisinage prétendait l’avoir souvent vue, pendant la nuit, attendant sur les toits l’heure d’aller au sabbat. Ce fait semblait d’autant plus extraordinaire que le vieil avare enfermait sa sœur dans une chambre dont les fenêtres étaient garnies de barreaux de fer.¶ En vieillissant, Cornélius, toujours volé, toujours prêt à être dupé par les hommes, les avait pris en haine, sauf le roi, qu’il estimait beaucoup. Alors, il était tombé dans une excessive misanthropie ; et, comme chez la plupart des avares, sa passion pour l’or, l’assimilation de ce métal avec sa substance avait été de plus en plus intime et croissait d’intensité par l’âge. Sa sœur elle-même excitait ses soupçons ; et cependant, elle était peutêtre plus avare et plus économe que son frère, qu’elle surpassait en inventions de ladrerie. Aussi leur existence avait-elle quelque chose de problématique et de mystérieux. La vieille femme prenait si rarement du pain chez le boulanger, elle apparaissait si peu au marché, que les observateurs les moins crédules avaient fini par attribuer à ces deux êtres bizarres la connaissance de quelque secret de vie. Ceux qui se mêlaient d’alchimie disaient que maître Cornélius savait faire de l’or. Les savans prétendaient qu’il avait trouvé la panacée universelle. C’était un être chimérique pour beaucoup de campagnards auxquels les gens de la ville en parlaient ; et plusieurs venaient voir la façade de son hôtel par curiosité.¶ Assis sur le banc du logis qui faisait face à celui de maître Cornélius, le gentilhomme regardait tour à tour l’hôtel de Poitiers et la Malemaison. La lune en bordait toutes les saillies de sa lueur, colorant par des mélanges d’ombre et de lumière les creux de la sculpture ; et les caprices de cette lueur blanche prêtaient une physionomie sinistre à ces deux édifices. Il semblait que la nature elle-même se prêtât aux superstitions qui planaient sur cette demeure.¶ Le jeune homme se rappela successivement toutes les traditions qui rendaient Cornélius un personnage tout à la fois curieux et redoutable ; et, quoique décidé, par la violence de son amour, à entrer dans cette maison, à y demeurer le temps nécessaire pour l’accomplissement de ses projets, il hésitait à risquer cette dernière démarche, tout en sachant qu’il allait la faire. Mais qui, dans les crises de sa vie, n’aime pas à écouter les pressentimens, et à se balancer sur les abîmes de l’avenir ? En amant digne d’aimer, le jeune homme craignait, chose étrange, ! de mourir sans avoir été reçu à merci d’amour par la comtesse.¶ Cette délibération secrète était si cruellement intéressante, qu’il ne sentait pas le froid sifflant dans ses jambes et dans les saillies des maisons. En entrant chez Cornélius, il devait se dépouiller de son nom, de même qu’il avait déjà quitté ses beaux vêtemens de noble. Il lui était interdit, en cas de malheur, de réclamer les priviléges de sa naissance ou la protection de ses amis, à moins de perdre sans retour la comtesse de SaintVallier ; car, en soupçonnant la visite nocturne d’un amant, ce vieux seigneur était capable de la faire périr à petit feu dans une cage de fer, de la tuer tous les jours au fond de quelque château fort. En regardant les vêtemens misérables sous lesquels il s’était déguisé, le gentilhomme eut honte de lui-même : à voir sa ceinture de cuir noir, ses gros souliers, ses chausses drapées, son haut-de-chausse de tiretaine et son juste-aucorpsjustaucorps de laine grise, il ressemblait au clerc du plus pauvre sergent de justice. Pour un noble du quinzième siècle, c’était déjà la mort que de jouer le rôle d’un bourgeois sans sou ni maille, et de renoncer aux priviléges du rang.¶ Mais grimper sur le toit de l’hôtel où pleurait sa maîtresse ; descendre par la cheminée ou courir sur les galeries ; et, de gouttière en gouttière, parvenir jusqu’à la fenêtre de sa chambre ; risquer sa vie pour être près d’elle sur un coussin de soie, devant un bon feu, pendant le sommeil d’un sinistre mari, dont les ronflemens redoubleraient leur joie ; défier le ciel et la terre en se donnant le plus audacieux de tous les baisers..... ne pas dire une parole qui ne pût être suivie de la mort, ou, tout au moins, d’un sanglant combat... ces !... Ces voluptueuses images, et les romanesques dangers de cette entreprise, décidèrent le jeune homme. Plus léger devait être le prix de ses soins, et ne pût-il que baiser encore une fois la main de la comtesse, il se résolut à tout tenter, poussé par l’esprit chevaleresque et passionné de cette époque. Puis, il ne supposa pas que la comtesse osât lui refuser le plus doux plaisir de l’amour au milieu de dangers si mortels. Cette aventure était trop périlleuse, trop impossible pour n’être pas tentée.¶ En ce moment, toutes les cloches de la ville sonnèrent l’heure du couvre-feu, loi tombée en désuétude, mais dont la forme subsistait dans les provinces, où tout s’abolit si lentement. Si les lumières ne s’éteignirent pas, les chefs de quartier firent tendre les chaînes des rues. Beaucoup de portes se fermèrent ; les pas de quelques bourgeois attardés, marchant en troupe avec leurs valets armés jusqu’aux dents et portant des falotsfallots, retentirent dans le lointain ; puis. Puis, bientôt, la ville, en quelque sorte garrottée, parut s’endormir, et ne craignit plus les attaques des malfaiteurs que par les toits. A cette époque, les combles des maisons étaient une voie très fréquentée pendant la nuit. Les rues avaient si peu de largeur, même à Paris, que les voleurs sautaient d’un bord à l’autre. Ce périlleux métier servit long-temps de divertissement au roi Charles IX dans sa jeunesse, s’il faut en croire les mémoires du temps.¶ Ne voulant pas se présenter trop tard à maître Cornélius, le gentilhomme allait quitter sa place pour heurter à la porte de la Malemaison, lorsqu’en la regardant, son attention fut excitée par une sorte de vision que les écrivains du temps eussent appelée cornue. Il se frotta les yeux comme pour s’éclaircir la vue, et mille sentimens divers passèrent dans son âme, à cet aspect.¶ De chaque côté de cette porte il y avait, se trouvait une figure encadrée entre les deux barreaux d’une espèce de meurtrière. Il avait pris d’abord ces deux visages pour des masques grotesques sculptés dans la pierre. Ils ; ils étaient ridés, anguleux, contournés, saillans, immobiles, de couleur tannée, c’est-à-dire bruns ; mais le froid et la lueur de la lune lui permirent de distinguer le léger nuage blanc que la respiration faisait sortir des deux nez violâtres ; puis, il finit par voir dans chaque figure creuse, sous l’ombre des sourcils, deux yeux d’un bleu faïence, qui jetaient un feu clair, et ressemblaient à ceux d’un loup couché dans la feuillée, et qui croit entendre les cris d’une meute. La lueur inquiète de ces yeux était dirigée sur lui si fixement qu’après l’avoir reçue pendant le moment où il examina ce singulier spectacle, il se trouva comme un oiseau surpris par des chiens à l’arrêt. Il se fit dans son âme un mouvement fébrile, mais promptement réprimé. Ces deux visages, tendus et soupçonneux, étaient sans doute ceux de Cornélius et de sa sœur. Alors le gentilhomme feignit de regarder où il était, de chercher à distinguer un logis indiqué sur une carte qu’il tira de sa poche, essayant de la lire aux clartés de la lune ; puis, il alla droit à la porte du torçonnier, et y frappa trois coups qui retentirent au -dedans de la maison, comme si c’eût été l’entrée d’une cave.¶ Une faible lumière passa sous le porche ; et, par une petite grille extrêmement forte, un œil vint à briller.¶ – Qui va là ?...¶ – Un ami envoyé par Oosterlinck de Bruges.....¶ – Que demandez-vous ?...¶ – A entrer.....¶ – Votre nom ?¶ – Philippe Goulenoire.¶ – Avez-vous des lettres de créance ?¶ – Les voici !¶ – Passez-les par le tronc.....¶ – Où est-il ?...¶ – A gauche.¶ Philippe Goulenoire jeta la lettre par la fente d’un tronc en fer, au-dessus de laquelle se trouvait une meurtrière.¶ – Diable ! pensa-t-il, on voit que le roi est venu ici..... Il y a tout autant de précautions qu’au Plessis !¶ Il attendit environ un quart d’heure dans la rue ; et, ce laps de temps écoulé, il entendit Cornélius qui disait à sa sœur :¶ – Ferme les chausse-trappestrapes de la porte.¶ Un cliquetis de chaînes et de fer retentit sous le portail ; puis Philippe entendit les verrous aller, les serrures gronder ; enfin une petite porte basse, garnie de fer, s’ouvrit de manière à décrire l’angle le plus aigu par lequel un homme mince pût passer ; et Philippe, au risque de déchirer ses vêtemens, se glissa plutôt qu’il n’entra dans la Malemaison. Une vieille Fille édentée, à visage de rebec, dont les sourcils ressemblaient à deux anses de chaudron, qui n’aurait pas pu mettre une noisette entre son nez et son menton crochu ; fille pâle et hâve, creusée des tempes, et qui semblait être composée seulement d’os et de nerfs, le guida silencieusement dans une salle basse, tandis que Cornélius le suivait prudemment par derrière.¶ – Asseyez-vous là, dit-elle en lui montrant un escabeau à trois pieds, placé au coin d’une grande cheminée en pierre sculptée, mais dont l’âtre, propre et peu noire, n’avait pas de feu.¶ De l’autre côté de cette cheminée était une table de noyer, à pieds contournés, sur laquelle se trouvait un œuf dans une assiette, et dix ou douze petites mouillettes dures et sèches, coupées avec une studieuse parcimonie. Deux escabelles, sur l’une desquelles s’assit la vieille, annonçaient que les avares étaient en train de souper. Cornélius alla pousser deux volets de fer pour fermer sans doute les judas par lesquels il avait regardé si long-temps dans la rue, et vint reprendre sa place.¶ Alors le prétendu Philippe Goulenoire vit le frère et la sœur tremper dans cet œuf, à tour de rôle, avec gravité, mais avec la même précision que les soldats mettent à plonger en temps égaux la cuiller dans la gamelle, leurs mouillettes respectives, qu’ils teignaient à peine, afin de combiner la durée de l’œuf avec le nombre des mouillettes. Ce manége se faisait en silence ; et, tout en mangeant, Cornélius examinait le faux novice avec autant de sollicitude et de perspicacité que s’il eût pesé de vieux besans.¶ Philippe, sentant un manteau de glace tomber sur ses épaules, était tenté de regarder autour de lui ; mais avec toute l’astuce que donne une entreprise amoureuse, il se garda bien de jeter un coup d’œil, même furtif, sur les murs ; car il comprit que si Cornélius le surprenait, il ne garderait pas un curieux en son logis. Donc, il se contentait de tenir modestement son regard tantôt sur l’œuf, tantôt sur la vieille fille ; et, parfois, il contemplait son futur maître.¶ L’argentier de Louis XI ressemblait assez à ce monarque ; il en avait même pris certains gestes, comme il arrive assez souvent aux gens qui vivent ensemble dans une sorte d’intimité. Les sourcils épais du Flamand lui couvraient presque les yeux ; mais, en les relevant un peu, il lançait un regard lucide, pénétrant et plein de puissance, le regard des hommes habitués au silence, et auxquels le phénomène de la concentration des forces intérieures est devenu familier. Ses lèvres minces, à rides verticales, lui donnaient un air de finesse incroyable. La partie inférieure du visage avait de vagues ressemblances avec le museau des renards ; mais le front haut, bombé, tout plissé, semblait révéler de grandes et de belles qualités, une noblesse d’âme dont l’expérience avait modéré l’essor, et que les cruels enseignemens de la vie refoulaient sans doute dans les replis les plus cachés de cet être singulier. Ce n’était certes pas un avare ordinaire, et sa passion cachait sans doute de profondes jouissances, de secrètes conceptions.¶ – A quel taux se font les sequins de Venise ? demanda-t-il brusquement à son futur apprenti.¶ – Trois quarts, à Bruges ; un, à Gand. ¶ – Quel est le fret sur l’Escaut ?¶ – Trois sous parisis.¶ – Il n’y a rien de nouveau à Gand ?¶ – Le frère de Liéven-d’Herde est ruiné.¶ – Ah !...¶!....¶ Sur ce mot, le vieillard se couvrit les genoux avec un pan de sa dalmatique, espèce de robe en velours noir, ouverte par- devant, à grandes manches et sans collet, dont la somptueuse étoffe était toute miroitée. Ce reste du magnifique costume qu’il portait jadis comme président du tribunal des Parchons, fonctions qui lui avaient valu l’inimitié du duc de Bourgogne, n’était plus aujourd’hui alors qu’un haillon.¶ Philippe n’avait plus froid ; il suait dans son harnais, tremblant d’avoir à subir d’autres questions. Jusque-là, les instructions sommaires qu’un juif, auquel il avait sauvé la vie, venait de lui donner la veille, suffisaient, grâce à sa mémoire et à la parfaite connaissance que le juif possédait des manières et des habitudes de Cornélius ; mais le gentilhomme qui, dans le premier feu de la conception, n’avait douté de rien, commençait à entrevoir toutes les difficultés de son entreprise. La gravité solennelle, le sang-froid du terrible Flamand, agissaient sur lui ; puis, il se sentait sous les verrous, et voyait toutes les cordes du grand -prévôt aux ordres de maître Cornélius.....¶ – Avez-vous soupé ?...?.... demanda l’argentier d’un ton qui signifiait : Ne soupez pas !¶ Cependant, malgré l’accent de son frère, la vieille fille tressaillit, ; elle regarda ce jeune commensal, comme pour jauger la capacité de cet estomac qu’il lui faudrait satisfaire ;, et dit alors avec un faux sourire :¶ – Vous n’avez pas volé votre nom, car vous avez des cheveux et des moustaches plus noirs que la queue du diable.....¶ – J’ai soupé !...!.... répondit-il.¶ – Eh bien ! reprit l’avare, vous reviendrez me voir demain..... Il y a long-temps que je suis habitué à me passer d’un apprenti, et la nuit me portera conseil.....¶ – Eh ! par saint Bavon, monsieur, je suis Flamand ; je ne connais personne ici ; les chaînes sont tendues ; je vais être mis en prison ; mais..... cependant, ajouta-t-il, effrayé de la vivacité qu’il mettait dans ses paroles, si cela vous convient, je vais.....¶ Le juron influença singulièrement le vieux Flamand.¶ – Allons, allons, par saint Bavon, vous coucherez ici.....¶ – Mais..... dit la sœur effrayée.....¶ – Tais-toi..... répliqua Cornélius. Par sa lettre, Oosterlinck me répond de ce jeune homme.¶ – N’avons-nous pas, lui dit-il à l’oreille en se penchant vers sa sœur, cent mille livres à Oosterlinck ?.... C’est une caution cela !....¶ – Et s’il te vole les joyaux de Bavière..... Tiens, il ressemble mieux à un voleur qu’à un Flamand.....¶ – Chut ! ... fit le vieillard en prêtant l’oreille.¶ Et les deux avares écoutèrent.¶ Insensiblement, et un moment après le chut, leun bruit produit par les pas de quelques hommes retentit dans le lointain, de l’autre côté des fossés de la ville.¶ – C’est la ronde du Plessis !...!.... dit la sœur.¶ – Allons, donne-moi la clef de la chambre aux apprentis..... reprit Cornélius.¶ La vieille fille fit un geste pour prendre la lampe.¶ – Vas-tu nous laisser seuls sans lumière ?...?.... cria Cornélius d’un son de voix intelligent. Tu ne sais pas encore à ton âge te passer d’y voir..... Est-ce donc si difficile de prendre cette clef ?...¶?....¶ La vieille comprit le sens caché sous ces paroles, et sortit.¶ En regardant cette singulière créature au moment où elle gagnait la porte, Philippe Goulenoire put dérober à son maître le coup d’œil qu’il jeta furtivement sur cette salle. Elle était lambrissée en chêne à hauteur d’appui, et les murs tapissés d’un cuir jaune orné d’arabesques noires ; mais ce qui le frappa le plus fut un pistolet à mèche, garni de son long poignard à détente. Cette arme nouvelle et terrible se trouvait près de Cornélius.¶ – Comment comptez-vous gagner votre vie ?...?.... lui demanda le torçonnier.¶ – J’ai peu d’argent, répondit Goulenoire ; mais je connais de bonnes rubriques, et si vous voulez seulement me donner un sou sur chaque marc que je vous ferai gagner, je serai content.¶ – Un sou !...!.... un sou !...!.... répéta l’avare, mais c’est beaucoup !... !....¶ Là-dessus la vieille sibylle rentra.¶ – Viens !...!.... dit Cornélius à Philippe.¶ Ils sortirent sous le porche et montèrent une vis en pierre, dont la cage ronde se trouvait à côté de la salle basse, dans une haute tourelle.¶ Au premier étage, le jeune homme s’arrêta.¶ – Nenni !...!.... dit Cornélius. Diable !...!.... c’est ici le gîte où le roi prend ses ébats.¶ Enfin, au sommet de la tour où la vis avait été construite, sous un toit pointu, le logement de l’apprenti, petite chambre ronde, tout en pierre, froide, sans ornement, avait été pratiqué par l’architecte. La tour occupait le milieu de la façade qui donnait sur la cour ; et, comme toutes les cours de province, elle était étroite, sombre, et au fond l’on apercevait, à travers des arcades grillées, un jardin chétif, où il n’y avait que des arbres.¶ Le gentilhomme remarqua tout par les jours de la vis, à la lueur de la lune qui, heureusement, jetait une assez vive lumière.¶ Un grabat, une escabelle, une cruche et un bahut disjoint, composaient l’ameublement de cette espèce de loge. Elle ne recevait de jour que par de petites baies carrées, disposées de distance en distance autour du cordon extérieur de la tour, et qui formaient sans doute des ornemens, suivant le caractère de cette gracieuse architecture.¶ – Voilà votre logis, il est simple, il est solide. Il y a tout ce qu’il faut pour dormir. – Bonsoir ! n’en sortez pas comme les autres.....¶ Ayant dit, Cornélius, après avoir lancé sur son apprenti un dernier regard, empreint de mille pensées, ferma la porte à double tour, en emporta la clef, et descendit, laissant le gentilhomme aussi sot qu’un fondeur de cloches qui ne trouve rien en son moule.¶ Seul, sans lumière, assis sur une escabelle, et dans ce petit grenier, d’où ses quatre prédécesseurs n’étaient sortis que pour aller à l’échafaud, le gentilhomme se vit comme une bête fauve prise dans un sac. Il sauta sur l’escabeau, se dressa de toute sa hauteur pour atteindre aux petites ouvertures supérieures, d’où tombait un jour blanchâtre ; il y atteignit ; il aperçut la Loire, les beaux coteaux de Saint-Cyr, et les sombres merveilles du Plessis, où brillaient deux ou trois lumières dans les enfoncemens de quelques croisées ; puis, au loin, s’étendaient les belles campagnes de la Touraine, les nappes argentées du fleuve. Les moindres accidens de la nature avaient une grâce inconnue ; les vitraux, les eaux, le faîte des maisons, reluisaient comme des pierreries aux clartés tremblantes de la lune, qui déployait tous ses prestiges....¶ L’âme du jeune seigneur ne put se défendre d’une émotion douce et triste... Si c’était un adieu !...¶ Il resta là, savourant déjà les terribles émotions que son aventure lui avait promises, et se livrant à toutes les craintes du prisonnier quand il conserve une lueur d’espérance. Sa maîtresse s’embellissait à chaque difficulté. Ce n’était plus une femme pour lui, mais un être surnaturel entrevu à travers les brasiers du désir.¶ Un faible cri qu’il crut avoir été jeté dans l’hôtel de Poitiers le rendit à lui-même et à sa véritable situation.¶ En se remettant sur son grabat pour réfléchir à cette affaire, il entendit de légers frissonnemens qui retentissaient dans la vis ; il écouta fort attentivement, et alors ces mots :¶ – Il se couche..... prononcés par la vieille, parvinrent à son oreille.¶ Un hasard, ignoré de l’architecte, faisait que le moindre bruit se répercutait dans la chambre de l’apprenti, de sorte que le faux Goulenoire ne perdit pas un seul des mouvemens de l’avare et de sa sœur qui l’espionnaient. Il se déshabilla, se coucha, feignit de dormir, et employa le temps pendant lequel ses deux hôtes restèrent sur les marches de l’escalier à chercher les moyens d’aller de sa prison dans l’hôtel de Poitiers.¶ Vers dix heures, Cornélius et sa sœur, persuadés que leur apprenti dormait, se retirèrent chez eux. Le gentilhomme étudia soigneusement les bruits sourds et lointains que firent les deux Flamands, et crut reconnaître la situation de leurs logemens. Ils devaient occuper tout le second étage. Or cet étage, comme dans toutes les maisons de cette époque, était pris sur le toit, d’où les fenêtres s’élevaient très ornées et correspondaient avec celles de l’édifice. La toiture était bordée par une espèce de balustrade sculptée qui cachait les chéneaux destinés à conduire les eaux pluviales, que des gouttières fantastiquement disposées en gueules de crocodile rejetaient sur la rue. Le gentilhomme ayant étudié cette topographie aussi soigneusement que l’eût fait un chat, comptait trouver un passage de la tour au toit, et pouvoir aller chez Mme de Saint-Vallier par les chéneaux, en s’aidant d’une gouttière ; mais il ignorait que les jours de sa tourelle fussent si petits ; il était impossible d’y passer. Il résolut donc de sortir sur les toits de la maison par la fenêtre de la vis qui éclairait le palier du second étage. Pour accomplir ce hardi projet, il fallait sortir de sa chambre, et Cornélius en avait pris la clef. Le jeune seigneur s’était armé, par précaution, d’un de ces poignards avec lesquels on donnait jadis le coup de grâce dans les duels à mort, quand l’adversaire vous suppliait de l’achever. Cette arme horrible avait un côté de la lame affilé comme celle d’un rasoir, et l’autre dentelé comme une scie, mais dentelé en sens inverse à celui qu’il suivait en entrant dans le corps. Le gentilhomme résolut donc de se servir du poignard pour scier le bois de la porte autour de la serrure. Mais, heureusement pour lui, la gâche de la serrure était fixée en dedansdehors par quatre grosses vis. Alors, à l’aide du poignard, il put dévisser, non sans de grandes peines, la gâche qui le retenait prisonnier. Ayant fait, il posa soigneusement les vis sur le bahut ; et, vers minuit, il se trouva libre. Aussitôt, il descendit sans souliers pour reconnaître les localités.¶ Ce ne fut pas sans un étonnement profond qu’il vit, toute grande ouverte, la porte d’un corridor par lequel on entrait dans plusieurs chambres, et au bout duquel il y avait une fenêtre donnant sur l’espèce¶ de vallée formée par les toits de l’hôtel de Poitiers et de la Malemaison qui se réunissaient là.¶ Rien ne pourrait expliquer sa joie, si ce n’est le vœu qu’il fit aussitôt à la sainte Vierge de fonder à Tours une messe en son honneur à la célèbre paroisse de l’Escrignolles.¶ Après avoir examiné les hautes et larges cheminées de l’hôtel de Poitiers, il revint sur ses pas pour prendre son poignard. Alors il ne vit pas sans un frisson mortel une lumière qui éclaira vivement l’escalier ; puis Cornélius lui-même, en dalmatique, tenant sa lampe, les yeux ouverts et regardant au fond du corridor, à l’entrée duquel il se montra comme un spectre.¶ – Ouvrir la fenêtre et sauter sur les toits, il m’entendra !... se dit le gentilhomme.¶ Et le terrible Cornélius avançait toujours... Il avançait comme l’heure de la mort pour le criminel.....¶ Dans cette extrémité, Goulenoire, servi par l’amour, retrouva toute sa présence d’esprit. Il se jeta dans l’embrasure d’une porte, s’y serra vers le coin, et attendit l’avare au passage. Quand le torçonnier, qui tenait sa lampe en avant, se trouva juste dans le rumb du vent que le gentilhomme pouvait produire en soufflant, il éteignit la lumière. Cornélius grommela de vagues paroles et un juron en hollandais ; mais il retourna sur ses pas : alors. Alors, le gentilhomme courut à sa chambre, y prit son arme, revint à la bienheureuse fenêtre, l’ouvrit doucement, et sauta sur le toit. Une fois en liberté sous le ciel dont il respira l’azur, il se sentit défaillir tant il était heureux, ou peut-être par suite de l’excessive agitation dans laquelle l’avait mis le danger ou la hardiesse de l’entreprise. Il s’accota sur un chéneau, tressaillant d’aise et se disant :¶ – Par quelle cheminée dévalerai-je chez elle ?....¶ Il les regardait toutes. Enfin, avec un instinct donné par l’amour, il alla les tâter pour voir celle où il y avait eu du feu ; puis, quand il se fut décidé, le hardi gentilhomme enfonça son poignard dans le joint de deux pierres, y accrocha son échelle, la jeta par la bouche de la cheminée, et se hasarda, sans trembler, sur la foi de sa bonne lame, à descendre chez sa maîtresse, ignorant si Saint-Vallier serait éveillé ou endormi, mais bien décidé à serrer la comtesse dans ses bras, dût-il en coûter la vie à deux hommes.....¶ Il posa bien doucement les pieds sur des cendres chaudes ; puis, en se baissant un peu, l’heureux amant vit la comtesse assise dans un fauteuil, éclairée par une lampe, et qui, pâle de bonheur, toute palpitante, lui montra du doigt Saint-Vallier couché dans un lit à dix pas d’elle.... OhOh ! quel baiser brûlant et silencieux !... Il n’eut d’écho que dans leurs cœurs.¶ III. LE VOL DES JOYAUX DU DUC DE BAVIÈRE.¶ ¶ ¶ LeLE lendemain, sur les neuf heures du matin, au moment où Louis XI sortit de sa chapelle, après avoir entendu la messe, il trouva maître Cornélius sur son passage.¶ – Bonne chance, mon compère !...!.... dit-il sommairement en redressant son bonnet.¶ – Sire, je paierais bien volontiers mille écus d’or pour obtenir de vous un moment d’audience, vu que j’ai trouvé le voleur de la chaîne de rubis et de tous les joyaux de.....¶ – Voyons cela ?...!.... dit Louis XI en sortant dans la cour du Plessis, suivi de son argentier, de Coctier, son médecin, d’Olivier-le-Daim, et du capitaine de sa garde écossaise. Conte-moi ton affaire. Nous aurons donc encore un pendu de ta façon ?¶ – Holà ! Tristan ?¶ Le grand-prévôtprevôt, qui se promenait de long en large dans la cour, vint à pas lents, comme un chien qui marche et se carre dans sa fidélité.¶ Le groupe s’arrêta sous un arbre. Le roi s’étant assis sur un banc, les courtisans décrivirent un cercle devant lui, et Cornélius reprit :¶ – Sire, un prétendu Flamand m’a si bien entortillé.....¶ – Il doit être bien rusé !...!.... dit Louis XI en hochant la tête.¶ – Oh ! oui, fit l’argentier. Mais je ne sais s’il ne vous engluerait pas vous-même ?. Comment pouvais-je me défier d’un pauvre hère qui m’était recommandé par Oosterlinck, un homme à qui j’ai cent mille livres ;! aussi, je gagerais que le seing du juif est contrefait. Bref, sire, ce matin, je me suis trouvé dénué de ces joyaux que vous avez admirés, tant ils étaient beaux. Ils m’ont été emblés, sire !...!.... Embler les joyaux de l’électeur de Bavière ! les truands ne respectent rien ; ils vous voleront votre royaume, si vous n’y prenez garde !.... Aussitôt je suis monté dans la chambre où était cet apprenti, qui, certes, est passé maître en volerie..... Cette fois, nous ne manquerons pas de preuves. Il a devissé la serrure ; mais quand il est revenu, comme il n’y avait plus de lune, il n’a pas su retrouver toutes les vis ! Aussi, heureusement, en entrant, j’en ai senti une sous mon pied. Il dormait, le truand, il était fatigué !...!.... Figurez-vous, messieurs, qu’il est descendu dans mon cabinet par la cheminée. Demain, ce soir plutôt, je la ferai griller. On apprend toujours quelque chose avec les voleurs..... Il a sur lui une échelle de soie, et ses vêtemens portent les traces du chemin qu’il a fait sur les toits et dans la cheminée..... Il comptait rester chez moi, me ruiner !...!.... le hardi compère !...!.... Où a-t-il été mettre les joyaux ?...?.... Les gens de campagne l’ont vu de bonne heure revenant chez moi, par les toits..... Il avait des complices qui l’attendaient sur la levée que vous avez construite. Ah ! sire, vous êtes le complice des voleurs ; ils viennent en bateaux ; et, crac, ils emportent tout, sans laisser de traces ; mais nous tenons le chef, un hardi coquin, un gaillard qui ferait honneur à la mère d’un gentilhomme. Ah ! ce sera un beau fruit de potence, et avec un petit bout de question, nous saurons tout, ! cela est intéressant à la gloire de votre règne. Il ne devrait point y avoir de voleurs, sous un aussi grand roi !....¶ Le roi n’écoutait plus depuis long-temps. Il était tombé dans une de ces méditations sombres qui devinrent si fréquentes pendant les derniers jours de sa vie. Un profond silence régna.¶ – Cela te regarde, mon compère... dit-il enfin à Tristan ; va grabeler cette affaire.¶ Il se leva, fit quelques pas en avant, et ses courtisans le laissèrent seul.¶ Enfin, apercevant Cornélius qui, monté sur sa mule, s’en allait en compagnie du grand-prévôt :¶-prevôt :¶ – Et les mille écus ?...?.... lui dit-il.¶ – Ah ! sire, vous êtes un trop grand roi !... Il !.... il n’y a pas de somme qui puisse payer votre justice.....¶ Louis XI sourit ; et les courtisans envièrent le franc-parler et les priviléges du vieil argentier, qui disparut promptement dans l’avenue de mûriers plantée entre Tours et le Plessis.¶ Épuisé de fatigue, le gentilhomme dormait, en effet, du plus profond sommeil.¶ Au retour de son expédition galante, il ne s’était plus senti, pour se défendre contre des dangers lointains ou imaginaires auxquels il ne croyait peut-être plus, le courage et l’ardeur avec lesquels il s’était élancé vers de périlleuses voluptés. Aussi avait-il remis au lendemain le soin de nettoyer ses vêtemens souillés, et de faire disparaître les vestiges de son bonheur.¶ Ce fut une grande faute, mais à laquelle tout conspira.¶ En effet, quand, privé des clartés de la lune qui s’était couchée pendant la fête de son amour, il ne trouva pas toutes les vis de la maudite serrure, il manqua de patience ; et, avec le laisser-aller d’un homme plein de joie ou affamé de repos, il se fia aux bons hasards de sa destinée, qui l’avait si heureusement servi jusque-là.¶ Il fit bien avec lui-même une sorte de pacte, en vertu duquel il devait se réveiller au petit jour ; mais les événemens de la journée et les agitations de la nuit ne lui permirent pas de se tenir parole à lui-même. Le bonheur est oublieux ; aussi même Cornélius ne sembla plus si redoutable au jeune seigneur, au moment où il se coucha sur le dur grabat d’où tant de malheureux ne s’étaient réveillés que pour aller au supplice. Tout cela le perdit.¶ Pendant que l’argentier du roi revenait du Plessis-lès-Tours, accompagné du grand-prévôt-prevôt et de ses redoutables archers, le faux Goulenoire était gardé par la vieille sœur, qui tricotait des bas pour Cornélius, assise sur une des marches de la vis, sans se soucier du froid, et le pauvre enfant. Et le jeune gentilhomme continuait les secrètes délices de cette nuit si charmante, ignorant le malheur qui accourait au grand galop. Il rêvait, ; et ses songes, comme tous ceux du jeune âge, étaient empreints de couleurs si vives qu’il ne savait plus où commençait l’illusion, où finissait la réalité, lorsqu’il se sentit pris par un bras de fer, et la voix aigre-douce du grand prévôt lui dit :¶.¶ – Allons, bon chrétien de minuit qui cherchiez Dieu à tâtons, réveillons-nous !...¶ Et Philippe vit la face noire de Tristan, reconnut son sourire sardonique ; puis, sur les marches de la vis aperçut Cornélius et sa sœur, et derrière eux les gardes de la prévôté. A ce spectacle, à l’aspect de tous ces visages diaboliques qui respiraient ou la haine, ou la sombre curiosité de gens habitués à pendre, Philippe Goulenoire se mit sur son séant et se frotta les yeux.¶ – Par la mort-Dieu !... s’écria-t-il en saisissant son poignard sous son chevet, voici l’heure où il faut jouer des couteaux !...¶ – Oh ! oh !... répondit Tristan, voici du gentilhomme !... il me semble voir Georges d’Estouteville, le neveu du grand maître des arbalétriers...¶ En entendant prononcer par Tristan son véritable nom, le jeune d’Estouteville pensa moins à lui qu’aux dangers que courrait son infortunée maîtresse s’il était reconnu ; et, pour écarter tout soupçon, il cria :¶ – Ventre Mahom ! à moi les truands !...¶ Il fit un bond énorme, et sauta, le poignard à la main, sur le dallier ; mais Il se voyait assis sur un coussin, aux pieds de la comtesse ; puis, la tête sur ses genoux chauds d’amour, il écoutait le récit des persécutions et les détails de la tyrannie que le comte avait fait jusqu’alors éprouver à sa femme. S’attendrissant avec la comtesse, qui était en effet celle de ses filles naturelles que Louis XI aimait le plus, il lui promettait d’aller, dès le lendemain, tout révéler à ce terrible père, dont ils arrangeaient les vouloirs à leur gré, cassant le mariage et emprisonnant le mari, au moment où ils pouvaient être la proie de son épée au moindre bruit qui l’eût réveillé.¶ Mais dans le songe, la lueur de la lampe, la flamme de leurs yeux, les couleurs des étoffes et des tapisseries étaient plus vives ; une odeur plus pénétrante s’exhalait des vêtemens de nuit ; il y avait plus d’amour dans l’air, plus de feu autour d’eux que dans la scène réelle. Aussi, la Marie du sommeil résistait-elle bien moins que la véritable Marie, à ces regards langoureux, à ces douces prières, à ces magiques interrogations, à ces adroits silences, à ces voluptueuses sollicitations, à ces fausses générosités qui rendent les premiers instans de la passion si complètement ardens, et répandent dans les âmes une ivresse nouvelle à chaque nouveau progrès de l’amour.¶ Suivant la jurisprudence amoureuse de cette époque, Marie de Saint-Vallier octroyait à son amant les droits superficiels de la petite oie. Elle se laissait volontiers baiser les pieds, la robe, les mains, le cou ; elle avouait son amour ; elle acceptait les soins et la vie de son amant ; elle lui permettait de mourir pour elle ; elle s’abandonnait à une ivresse que cette demi-chasteté, sévère, souvent cruelle, allumait encore ; mais elle restait intraitable, et faisait, des plus hautes récompenses de l’amour, le prix de sa délivrance.¶ Or, en ce temps, pour dissoudre un mariage, il fallait aller à Rome, avoir à sa dévotion quelques cardinaux, et paraître devant le souverain pontife, armé de la faveur du roi. Marie voulait tenir sa liberté de l’amour, pour la lui sacrifier.¶ Presque toutes les femmes avaient alors assez de puissance pour établir au cœur d’un homme leur empire de manière à faire d’une passion l’histoire de toute une vie, le principe des plus hautes déterminations !... Mais aussi, les dames se comptaient en France ; elles y étaient autant de souveraines ; elles avaient de belles fiertés ; les amans leur appartenaient plus qu’elles ne se donnaient à eux ; souvent leur amour coûtait bien du sang ; et, pour être à elles, il fallait courir bien des dangers.¶ Mais plus clémente, et touchée du dévouement de son bien-aimé, la Marie du rêve se défendait mal contre le violent amour du beau gentilhomme. Laquelle était la véritable ?...¶ Le faux apprenti voyait-il en songe la femme vraie, et avait-il vu dans l’hôtel de Poitiers une dame masquée de vertu ? La question est délicate à décider, aussi l’honneur des dames veut-il qu’elle reste en litige.¶ Enfin, au moment où peut-être la Marie rêvée allait oublier sa haute dignité de maîtresse, l’amant se sentit pris par un bras de fer, et la voix aigre-douce du grand-prevôt lui dit :¶ – Allons, bon chrétien de minuit qui cherchiez Dieu à tâtons, réveillons-nous !....¶ Et Philippe vit la face noire de Tristan et reconnut son sourire sardonique. Puis, sur les marches de la vis, il aperçut Cornélius, sa sœur, et, derrière eux les gardes de la prevôté.¶ A ce spectacle, à l’aspect de tous ces visages diaboliques qui respiraient ou la haine, ou la sombre curiosité de gens habitués à pendre, Philippe Goulenoire se mit sur son séant et se frotta les yeux.¶ – Par la mort-Dieu !... s’écria-t-il en saisissant son poignard sous le chevet du lit, voici l’heure où il faut jouer des couteaux !...¶ – Oh ! oh !.... répondit Tristan, voici du gentilhomme !.... Il me semble voir Georges d’Estouteville, le neveu du grand-maître des arbalêtriers.....¶ En entendant prononcer son véritable nom par Tristan, le jeune d’Estouteville pensa moins à lui qu’aux dangers que courait son infortunée maîtresse, s’il était reconnu ; et, pour écarter tout soupçon, il cria :¶ – Ventre Mahom ! à moi les truands !....¶ Après cette horrible clameur, jetée par un homme véritablement au désespoir, le jeune courtisan fit un bond énorme, et, le poignard à la main, sauta sur le palier. Mais les acolytes du grand-prévôt-prevôt étaient habitués à ces rencontres ; et quand Georges d’Estouteville fut sur la marche, ils le saisirent avec dextérité, sans s’étonner du vigoureux coup de lame qu’il avait porté à l’un d’eux, et qui heureusement glissa sur le corselet du garde ; puis, ils le désarmèrent, lui lièrent les mains, et le rejetèrent sur le lit devant leur chef immobile et pensif.¶ Tristan regarda silencieusement les mains du prisonnier, et se grattant la barbe, il dit à Cornélius en les lui montrant :¶ – Ce ne sont pas plus les mains d’un truand pas plus que celles d’un apprenti..... C’est un gentilhomme !¶ – Dites un Jean-pille-homme !...!.... s’écria douloureusement le torçonnier ; car, mon bon Tristan, noble ou serf, il m’a ruiné, le scélérat ! Je voudrais déjà lui voir les pieds et les mains chauffés ou serrés dans vos jolis petits brodequins !... C’est, à n’en pas douter, le chef de cette légion de diables invisibles ou visibles qui connaissent tous mes secrets, ouvrent mes serrures, me dépouillent et m’assassinent..... Ils sont bien riches, mon compère ! Ah ! cette fois nous aurons leur trésor ; car celui-ci a la mine du roi d’Égypte. Je vais recouvrer mes chers rubis et mes notables sommes ; notre digne roi aura des écus à foison.....¶ – NosOh ! nos cachettes sont plus solides que les vôtres ! dit Georges en souriant.¶ – Ah ! le damné larron !...!.... il avoue !...!.... s’écria l’avare.¶ Le grand prévôt-prevôt était occupé à examiner attentivement les habits de Georges d’Estouteville et la serrure.¶ – Est-ce toi qui as dévissé ceci ?...¶toutes ces clavettes ?....¶ Georges garda le silence.¶ – Oh ! bien, tais-toi, si tu veux ; bientôt tu te confesseras à saint chevalet, reprit Tristan.¶ – Voilà qui est parlé !... s’écria Cornélius.¶ – Emmenez-le !...!.... dit le prévôt.¶prevôt.¶ EtAlors Georges d’Estouteville demanda la permission de se vêtir, et, sur un signe de leur chef, les estafiers habillèrent le prisonnier avec la l’habile prestesse habile d’une nourrice qui veut profiter, pour changer son marmot, d’un instant où il est tranquille.¶ Une foule immense encombrait la rue du Mûrier.¶ Les murmures du peuple allaient grossissant, et paraissaient les avant-coureurs d’une sédition. Dès le matin, la nouvelle du vol s’était répandue dans la ville ; et partout l’apprenti, que l’on disait jeune et joli, avait réveillé toutes les sympathies en sa faveur, et ranimé la haine vouée à Cornélius ; en sorte qu’il ne fut fils de bonne mère, ni jeune femme ayant de jolis patins et une mine fraîche à montrer, qui ne voulussent voir la victime.¶ Quand Georges sortit, emmené par un des gens du prévôtprevôt, qui, tout en montant à cheval, gardait, entortillée à son bras, la forte lanière de cuir avec laquelle il tenait le prisonnier, dont les mains étaientavaient été fortement liées, il se fit un horrible brouhaha ; et, soit pour revoir Philippe Goulenoire, soit pour le délivrer, les derniers venus poussèrent les plus avancéspremiers sur le piquet de cavalerie. A qui se trouvait devant la Malemaison.¶ En ce mouvementmoment, Cornélius, aidé par sa sœur, ferma sa porte, et poussa ses volets avec la vivacité que donne une peurterreur panique. Tristan, qui ne respectait guère le peuple n’avait pas été accoutumé à respecter le monde de ce temps-là, vu qu’il que le peuple n’était pas encore souverain, ne s’embarrassait guère d’une émeute.¶ – Poussez !... poussez !... dit-il à ses gens.¶ Ses A la voix de leur chef, les archers lancèrent leurs chevauxmontures vers l’entrée de la rue. En voyant un ou deux curieux tombés sous les pieds des chevaux, et quelques autres violemment serrés contre les murs, où ils étouffaient, les gens attroupés prirent le sage parti de rentrer chacun chez eux.¶ – Place à la justice du roi !...!..... criait Tristan. Qu’avez-vous besoin ici ?...?.... Voulez-vous qu’on vous pende ? Allez chez vous, mes amis, votre rôti brûle !... Hé ! la femme, les chausses de votre mari sont trouées, retournez à votre aiguille.¶ Quoique ces dires annonçassent que le grand-prévôt-prevôt était de bonne humeur, ils faisaient il faisait fuir les plus empressés, comme s’il eût lancé la peste noire.¶ Au moment où le premier mouvement de la foule eut lieu, Georges d’Estouteville était resté stupéfait en voyant, à l’une des fenêtres de l’hôtel de Poitiers, sa chère Marie de Saint-Vallier, qui riaitriant avec le comte. Elle riaitse moquait de lui, pauvre amant dévoué, marchant à la mort pour elle, ou ; mais, peut-être bien aussi, s’amusait-elle de ceux dont les bonnets étaient emportés par les armes des archers.¶ Il faut avoir vingt-trois ans, être riche en illusions, oser croire à l’amour d’une femme, aimer de toutes les puissances de son être, avoir risqué sa vie avec délices, sur la foi d’un baiser, et s’être vu trahi, pour¶ comprendre ce qu’il entra de rage, de haine et de désespoir au cœur de Georges d’Estouteville, à l’aspect de sa maîtresse rieuse, dont il reçut même un regard froid et indifférent. Elle était là sans doute depuis long-temps, car elle avait les bras appuyés sur un coussin ; elle y était à son aise, et son vieillard paraissait content, il . Il riait aussi, le bossu maudit !...¶!....¶ Quelques larmes s’échappèrent des yeux du jeune homme. Quand Marie de Saint-Vallier le vit pleurant, elle se rejeta vivement en arrière. Puis, les pleurs de Georges se séchèrent tout à coup ; car il avait entrevuentrevit les plumes noires et rouges du page qui lui était dévoué.¶ Le comte ne s’aperçut pas de la venue de ce discret serviteur. , qui marchait sur la pointe des pieds.¶ Quand le page eut dit deux mots à l’oreille de sa maîtresse, Marie se remit à la fenêtre ; et, se dérobant au perpétuel patronageespionnage de son tyran, elle lança sur Georges un regard où brillaitbrillaient toute la finesse d’une femme qui trompe son argus, tout le feu de l’amour et la joietoutes les joies de l’espérance.¶ – Je veille sur toi !..... Ce mot, crié par elle, n’eût pas exprimé autant de choses quequ’en disait ce coup d’œil empreint des de mille pensées, des et où éclataient les terreurs et des , les plaisirs, les dangers de leur situation mutuelle.¶ C’était passer du ciel au martyre, et du martyre au ciel. Aussi, le jeune seigneur, léger, content, marcha-t-il gaiement au supplice, trouvant que les douleurs de la question ne paieraient pas encore les délices de son amour.¶ Comme Tristan allait détourner la rue du Mûrier, ses gens s’arrêtèrent à l’aspect d’un officier des gardes écossaises, qui accourait à bride abattue.¶ – Qu’y a-t-il ?...?.... demanda Tristan.¶ – Rien qui vous regarde, répondit-il. dédaigneusement l’officier. Le roi m’envoie quérir le comte et la comtesse de Saint-Vallier, qu’il convie à dîner.¶ Le grand-prévôt-prevôt n’avait pas atteint la levée du Plessis, que le comte et sa femme, tous deux montés, elle sur une mule blanche, lui sur son cheval, et suivis de deux pages, rejoignirent les archers, afin d’entrer tous de compagnie au Plessis-lèslez-Tours. Ils allaient assez lentement, Georges étant à pied, entre deux gardes, dont l’un le tenait toujours par sa lanière. Tristan, le comte et sa femme, étaient naturellement en avant, et le criminel les suivait. Le jeune page, qui se trouvait mêlé aux archers, les questionnait, et parlait aussi parfois au prisonnier, de sorte qu’il saisit adroitement une occasion de lui dire à voix basse :¶ – J’ai sauté par-dessus les murs du jardin, et suis venu porter au Plessis une lettre écrite au roi par madame. Ayez bon courage ! Elle a pensé mourir en apprenant le vol dont vous êtes accusé. Ayez bon courage ! elle va parler de vous.¶ Ainsi, déjà, l’amour avait donné sa force et sa ruse à la comtesse ; et, quand elle avait ri, son attitude et ses sourires étaient dus à cet héroïsme dont les femmes donnent de si belles preuves dans les grandes crises de leur vie.¶ Malgré la singulière fantaisie que l’auteur de Quentin Durward a eue de placer le château royal du Plessislèslez-Tours sur une hauteur, il faut se résoudre à le laisser où il était à cette époque, dans un fond, protégé de deux côtés par le Cher et la Loire, ; puis, par le canal Sainte-Anne (, ainsi nommé par Louis XI en l’honneur de sa fille chérie, Mme de Beaujeu), lequel. En réunissait les deux rivières entre la ville de Tours et le Plessis, en donnantce canal donnait tout à la fois une redoutable fortification au château, et une route précieuse au commerce. Du côté du Bréhémont, vaste et fertile plaine, le parc était défendu par un fossé dont les vestiges accusent encore aujourd’hui la largeur et la profondeur énormes.¶ A une époque où le pouvoir de l’artillerie était à sa naissance, la position du Plessis, dès long-temps choisie par Louis XI pour sa retraite, pouvait passer pour alors être regardée comme inexpugnable.¶ Le château, bâti de briques et de pierres, n’avait rien de remarquable ; mais il était entouré de beaux ombrages ; et, de ses fenêtres, l’on découvrait par les percées du parc (Plexitium) les plus beaux points de vue du monde.¶ Du reste, nulle maison rivale ne s’élevait auprès de ce château solitaire, placé précisément au centre de la petite plaine réservée au roi par quatre redoutables enceintes d’eau.¶ S’il faut en croire les traditions, Louis XI occupait l’aile occidentale, et de sa chambre il pouvait voir, tout à la fois, le cours de la Loire ; de l’autre côté du fleuve, la jolie vallée qu’arrose la Choisille ; Choisille et une partie des coteaux de Saint-Cyr ; etpuis, par les croisées qui donnaient sur la cour, il embrassait l’entrée de sa forteresse et la levée par laquelle il avait joint sa demeure favorite à la ville de Tours.¶ Le caractère défiant de ce monarque donne de la solidité à ces conjectures. Du reste, si Louis XI eût répandu dans la construction de son château le luxe d’architecture que, plus tard, déploya François Ier à Chambord, la demeure des rois de France eût été pour toujours acquise à la Touraine. Il suffit d’aller voir cette admirable position et ses magiques aspects pour être convaincu de sa supériorité sur tous les sites des autres maisons royales.¶ Alors Louis XI, arrivé dans à la cinquante-septième année de son âge, avait à peine trois ans à vivre, et sentait déjà les approches de la mort aux coups que lui portait la maladie. Délivré de ses ennemis, sur le point d’augmenter la France de toutes les possessions des ducs de Bourgogne, à la faveur d’un mariage entre le dauphin et Marguerite, héritière de Bourgogne, ménagé par les soins de Desquerdes, le commandant de ses troupes en Flandre ; ayant établi son autorité partout, méditant les plus heureuses améliorations, il voyait le monde, le temps lui échapper, et n’avait plus que les malheurs de son âge. Trompé même par ses créatures, l’expérience avait encore augmenté sa défiance naturelle. Le désir de vivre devenait en lui l’égoïsme d’un roi qui s’était incarné à son peuple, et il voulait prolonger sa vie pour achever de vastes desseins.¶ Tout ce que le bon sens des publicistes et le génie des révolutions a introduit de changemens dans la monarchie, Louis XI le pensa. L’unité de l’impôt, l’égalité des sujets devant la loi (mais alors le prince était la loi), furent l’objet de ses tentatives hardies. La veille de la Toussaint, il avait mandé de savans orfévres, afin d’établir en France l’unité des mesures et des poids, comme il y avait établi déjà l’unité du pouvoir.¶ Ainsi cet esprit immense planait en aigle sur tout l’empire, et Louis XI joignait alors à toutes les précautions du roi les bizarreries naturelles aux hommes d’une haute portée.¶ A aucune époque, cette grande figure n’a été ni plus poétique ni plus belle. Assemblage inoui de contrastes !... un grand pouvoir dans un corps débile ; un esprit incrédule aux choses d’ici-bas et crédule aux momeries religieuses ; un homme luttant avec deux puissances plus fortes que les siennes, le présent et l’avenir ; l’avenir, où il redoutait de rencontrer des tourmens, et qui lui faisait faire tant de sacrifices à l’églisel’Église ; le présent, ou sa vie elle-même, au nom de laquelle il obéissait à Coyctier.¶ Ce roi, qui écrasait tout, était écrasé par des remords, peut-être, et plus encore par la maladie, au milieu de toute la poésie qui s’attache aux rois soupçonneux, dans lesquels le pouvoir s’est résumé. C’était le combat gigantesque et toujours magnifique de l’homme, dans la plus haute expression de ses forces, joutant contre la nature.¶ En attendant l’heure fixée pour son dîner, repas qui se faisait à cette époque entre onze heures et midi, Louis XI, revenu d’une courte promenade, était assis dans une grande chaire de tapisserie, au coin de la cheminée de sa chambre.¶ Olivier-le-Daim et son le médecin Coyctier se regardaient , se regardant tous deux sans mot dire, et restaient debout dans l’embrasure d’une fenêtre, en respectant le sommeil de leur maître.¶ Le seul bruit que l’on entendît était celui que faisaient, en se promenant dans la première salle, deux chambellans de service, le sire de Montrésor et de Bridoré, et Jean Dufou, sire de Montbazon, deux seigneurs tourangeaux, qui regardaient le capitaine des Écossais, probablement endormi dans son fauteuil, suivant son habitude.¶ Le roi paraissait assoupi. Sa tête était penchée sur sa poitrine ; son bonnet, avancé sur le front, lui cachait presque entièrement les yeux, ; et il semblait ramassé , dans sa haute chaire, surmontée d’une couronne royale, il semblait ramassé comme un homme qui s’est endormi dans au milieu de quelque méditation.¶ En ce moment, Tristan et son cortége passaient sur le pont Sainte-Anne, qui se trouvait à deux cents pas de l’entrée du Plessis, sur le canal.¶ – Qui est-ce !...?.... dit le roi.¶ Les deux courtisans s’interrogèrent par un regard avec surprise. .¶ – Il rêve !... dit tout bas Coyctier.¶ – Pasques Dieu, ! reprit Louis XI, me croyez-vous fol !...fou ?... Il passe du monde sur le pont !...!.... Il est vrai que je suis près de la cheminée, et que je dois en entendre le bruit plus facilement que vous autres !...!.... C’est un effet de¶ la nature qui pourrait s’utiliser.¶ – Quel homme !...!.... dit le Daim.¶ Louis XI se leva, alla vers celle de ses croisées par laquelle il pouvait voir la ville ; alors il aperçut le prévôtprevôt, et dit :¶ – Ah ! ah ! voici mon compère avec son voleur ; et voicivoilà de plus ma petite Marie de Saint-Vallier. J’ai oublié toute cette affaire... ....¶ – Olivier, reprit-il en s’adressant au barbier, va dire à Dufou qu’il nous serve du bon vin de Bourgueil à table, et vois à ce que le cuisinier ne nous manque pas la lamproie : ce sont deux choses que cette petite aime beaucoup... .....¶ – Puis-je manger de la lamproie ?... repriajouta-t-il, après une pause, en regardant Coyctier d’un air inquiet.¶ Pour toute réponse, le serviteur se mit à examiner le visage de son maître. .¶ Ces deux hommes étaient à eux seuls un tableau.¶ Les romanciers et l’histoire ont consacré le surtout de camelot brun et le haut-de-chausses de même étoffe que portait Louis XI. Son bonnet garni de médailles en plomb et son collier de l’ordre de Saint-MMichel ne sont pas moins célèbres ; mais aucun écrivain, nul peintre n’a représenté la figure de ce terrible monarque à ses derniers momens ; figure maladive, creusée, jaune et brune, dont tous les traits exprimaient une ruse amère, une ironie froide. Il y avait dans ce masque un front de grand homme, front sillonné de rides et chargé de hautes pensées ; puis, dans ses joues et sur ses lèvres, je ne sais quoi de vulgaire et de commun. A voir certains détails de cette physionomie, vous eussiez dit un vieux vigneron débauché, un commerçant avare ; mais à travers ces ressemblances vagues et la décrépitude d’un vieillard mourant, le roi, l’homme de pouvoir et d’action dominait. Ses yeux, d’un jaune clair, paraissaient éteints ; mais une étincelle de courage et de colère y couvait, et, au moindre choc, il pouvait en jaillir des flammes età tout un incendie. embraser.¶ Le médecin était un gros bourgeois, vêtu de noir, à face fleurie, tranchant, avide, et faisant l’important.¶ Ces deux personnages avaient pour cadre une chambre boisée en noyer, tapissée en tissus de haute-lice de Flandre, et dont le plafond, formé de solives sculptées, était déjà noirci par la fumée. Les meubles, le lit, tous incrustés d’arabesques en étain, paraîtraient aujourd’hui plus précieux peut-être qu’ils ne l’étaient réellement à cette époque, où les arts commençaient à produire tant de chefs-d’œuvre.¶ – La lamproie ne vous vaut rien !...!.... répondit le physicien.¶ Ce nom, qui avait été récemment substitué à celui de maître myrrhe, est resté aux docteurs en Angleterre ; c’était alors le titre donné partout aux médecins.¶ – Et que mangerais-je ?... demanda humblement le roi.¶ – De la macreuse au sel.... Autrement, vous avez tant de bile en Mouvementmouvement, que vous pourriez mourir le jour des Morts.¶ – Aujourd’hui !... s’écria le roi frappé de terreur.¶ – Eh ! sire, rassurez-vous, reprit Coyctier, je suis là !...!.... Tâchez de ne point vous tourmenter, et voyez à vous égayer.¶ – Ah ! dit le roi, ma fille réussissait jadis à ce métier difficile.¶ Là-dessus, Imbert de Bastarnay, sire de Montrésor et de Bridoré, frappa doucement à l’huis royal ; et, sur le permis du roi, il entra pour lui annoncer le comte et la comtesse de Saint-Vallier. .¶ Louis XI fit un signe ; et Marie parut, suivie de son vieil époux, qui la laissa passer la première :.¶ – Bonjour, mes enfans !...!.... dit le roi.¶ – Sire, répondit à voix basse la dame en l’embrassant, je voudrais vous parler en secret.....¶ Louis XI n’eut pas l’air d’avoir entendu. Il se tourna vers la porte, et cria d’une voix creuse :¶ – Holà, Dufou !...¶!....¶ Dufou, seigneur de Montbazon, et de plus grand échanson de France, vint en grande hâte.¶ – Va voir le maître d’hôtel, ; il me faut une macreuse à manger.... Puis, tu iras chez Mmemadame de Beaujeu lui dire que je veux dîner seul aujourd’hui. .....¶ – Savez-vous, madame, reprit le roi en feignant d’être un peu en colère, que vous me négligez ?...?.... Voici trois ans bientôt que je ne vous ai vue. .....¶ – Allons, venez là, mignonne !... ajouta-t-il en s’asseyant et lui tendant les bras..... Vous êtes bien maigrie ! !....¶ – Et pourquoi la maigrissez-vous ?...?..... demanda brusquement Louis XI au sieur de Poitiers.¶ Le jaloux jeta un regard si craintif à sa femme, qu’elle en eut pitié.¶ – C’est le bonheur !...!.... répondit-il.¶ – Ah ! vous vous aimez trop !...!.... dit le roi, qui tenait sa fille toute droite entre ses genoux... Allons, je vois que j’avais raison en te nommant Marie-pleine-de-grâce... .....¶ – Coyctier, laissez-nous !........¶ – Que me voulez-vous ?...?.... dit-il à sa fille au moment où le médecin s’en alla ; car pour m’avoir envoyé votre.....¶ Dans ce danger, Marie mit hardiment sa main sur la bouche du roi, en lui disant :¶ – Je vous croyais toujours discret et pénétrant.....¶ – Saint-Vallier, dit le roi en riant, je crois que Bridoré veut t’entretenir de quelque chose.....¶ Le comte sortit ; mais il fit un geste d’épaule, bien connu de sa femme, qui, devinant toutes ses les pensées de son mari, jugea qu’elle devait en prévenir ses les mauvais desseins.¶ – Dis-moi, mon enfant, comment me trouves-tu ? suis?.... Hein ! – Suis-je bien changé ? – Et ?¶ – En dà, sire ;, voulez-vous la vraie vérité, ; ou voulez-vous que je vous trompe ?¶ – Non..... dit-il à voix basse, j’ai besoin de savoir où j’en suis !...¶!....¶ – En ce cas, vous avez aujourd’hui bien mauvais visage ?.....!.... Mais que ma véracité ne nuise pas au succès de mon affaire ?...¶.....¶ – Quelle est-elle ?...?.... dit le roi en fronçant les sourcils et promenant ses mains sur son front.¶ – Ah bien, ! sire, dit-elle, le jeune homme que vous avez fait arrêter chez votre argentier Cornélius, et qui se trouve en ce moment livré à votre grand-prévôt-prevôt, est innocent du vol des joyaux du duc de Bavière....¶ – Et d’où sais-tu cela ?...?.... reprit le roi. ¶ Marie baissa la tête, et rougit.¶ – Il ne faut pas demander s’il y a de l’amour là-dessous ?... dit Louis XI en relevant avec douceur la tête de sa fille dont il caressa le menton.¶ – Ne pouvez-vous m’obliger sans violer mes secrètes pensées ?¶ – Où serait le plaisir ?...?..... s’écria le roi, voyant dans cette affaire un sujet d’amusement.¶ – Ah ! voulez-vous que votre plaisir me coûte des chagrins ?... ?....¶ – Oh ! rusée.... N’as..... n’as-tu pas confiance en moi ? ?¶ – Alors, sire, faites mettre ce gentilhomme en liberté.¶ – Ah !... c’est un gentilhomme !... s’écria le roi. Ce n’est donc pas un apprenti !... ?....¶ – C’est bien sûrement un innocent !...!.... répondit-elle.¶ – Je ne vois pas ainsi !...!.... dit froidement le roi..... Je suis le grand justicier de mon royaume, et dois punir les malfaiteurs !...¶.....¶ – Allons, ne faites pas votre mine soucieuse, et donnez-moi la vie de ce jeune homme !¶ – Ne serait-ce pas reprendre ton bien ?¶ – Sire, dit-elle, je suis sage et vertueuse, vous… Vous vous moquez....¶ – Alors, dit Louis XI, comme je ne comprends rien, dit Louis XI, à toute cette affaire, laissons Tristan l’éclaircir.....¶ Marie de Sassenage pâlit ; et, faisant un violent effort, elle s’écria : :¶ – Sire, je vous assure que vous serez au désespoir de ceci... le !.... Le prétendu coupable n’a rien volé.... Si vous m’accordez sa grâce, je vous révélerai tout, dussiez-vous me punir !...¶!.....¶ – Oh ! oh !.... Ceci!..... ceci devient sérieux ! fit Louis XI en mettant son bonnet de côté. Parle, ma fille.....¶ – Hé bien, reprit-elle à voix basse en mettant ses lèvres à l’oreille de son père, il ce gentilhomme a été chez moi pendant toute la nuit.....¶ – Il a bien pu tout ensemble aller chez toi et voler Cornélius.....¶ – Sire, j’ai de votre sang dans les veines, et je ne suis pas faite pour aimer un voleurtruand..... Ce gentilhomme est neveu du capitaine général de vos arbalêtriers.....¶ – Allons donc !...!.... dit le roi. Tu es bien difficile à confesser !...¶!....¶ A ces mots, Louis XI jeta, jetant sa fille loin de lui, toute tremblante ; il, courut à la porte de sa chambre, mais sur la pointe des pieds, et de manière à ne faire aucun bruit.¶ Depuis un moment, le jour d’une croisée de l’autre salle, et qui éclairaitéclairant le dessous de la portel’huisserie, lui avait permis de voir l’ombre des pieds d’un curieux, projetée dans sa chambre par l’espace qui se trouvait entre la fente. porte et le plancher.¶ Il ouvrit brusquement la lourde huisseriel’huis garni de ferrures, et surprit le comte de Saint-Vallier aux écoutes.¶ – Pasques Dieu !... s’écria-t-il, voici une hardiesse qui mérite la hache !...¶!¶ – Sire, répliqua fièrement Saint-Vallier, j’aime mieux un coup de hache à la tête que l’ornement du mariage à mon front.¶ – Vous pourrez avoir l’un et l’autre !...!..... dit Louis XI. Nul de vous n’est exempt de ces deux infirmités. Retirez-vous dans l’autre salle.¶ – Conyngham ?...!... reprit le roi en s’adressant à son capitaine des gardes, vous dormiez donc ?...?.... Où est M. de Bridoré ?...?.... Vous me laissez approcher ainsi ?...?.... Pasques Dieu ! le dernier bourgeois de Tours est mieux servi que je ne le suis !...¶!....¶ Ayant ainsi grondé, Louis rentra dans sa chambre ; mais il eut soin de tirer la portière en tapisserie qui formait en dedans une seconde porte destinée moins à étouffer moins le sifflement de la bise que le bruit des paroles du roi.¶ – Ainsi, ma fille, reprit-il, en prenant plaisir à jouer avec elle comme un chat joue avec la souris qu’il a saisie, hier Georges d’Estouteville a été ton galant !...¶!....¶ – Oh ! non, sire.....¶ – Non !...!.... Ah ! par Saint-saint Carpion ! il mérite la mort. – Le drôle n’a pas trouvé ma fille assez belle..... peut-être !¶ – Oh ! n’est-ce que cela !...?.... dit-elle. Je vous assure qu’il m’a baisé les pieds et les mains avec une ardeur dont la plus vertueuse de toutes les femmes eût été attendrie. Il m’aime en tout bien, tout honneur.¶ – Tu me prends donc pour saint Louis, en pensant que je croirai de telles sornettes ?... Un jeune gars tourné comme lui aurait risqué sa vie pour baiser tes patins et tes manches ?... à !... A d’autres.¶ – Oh ! sire..... cela est vrai. Il Mais il venait aussi pour un autre motif.¶ A ces mots, Marie sentit qu’elle avait jouérisqué la vie de son mari ; car aussitôt Louis XI demanda vivement :¶ – Et pourquoi ?...¶?....¶ Cette aventure l’amusait infiniment. Certes, il ne s’attendait pas aux étranges confidences que sa fille finit par lui faire, après avoir stipulé le pardon de son mari.¶ – Ah ! ah ! monsieur de Saint-Vallier, vous versez ainsi le sang royal !...!.... s’écria le roi, dont les yeux s’allumèrent de courroux.¶ En ce moment, la cloche du Plessis sonna le service du roi. Louis XI, appuyé sur le bras de sa fille, parut, les sourcils contractés, sur le seuil de sa porte, et trouva tous ses serviteurs sous les armes. .¶ Jetant un sombre regard sur ledouteux au comte de Saint-Vallier, il sembla penser à son arrêt. l’arrêt qu’il allait prononcer sur lui.¶ Le profond silence qui régnait fut alors interrompu par les pas de Tristan, qui montait le grand escalier. Il vint jusque dans la salle, et, s’avançant vers le roi :¶ – Sire, l’affaire est toisée.¶ – Quoi ! tout est achevé ?...?.... dit le roi...¶ – Notre homme est entre les mains des religieux. Il a fini par avouer le vol, après un moment de question.....¶ La comtesse poussa un soupir, pâlit, et ne trouvant même pas de voix, regarda le roi. .¶ Ce coup d’œil fut saisi par Saint-Vallier, qui dit à voix basse :¶ – Je suis trahi...... Ce voleur est de la connaissance de ma femme !...¶!....¶ – Silence ! cria le roi. Il y a donc ici quelqu’un qui veut me lasser !... !....¶ – Va vite surseoir à cette exécution !...!.... reprit-il en s’adressant au grand-prévôt ; tu-prevôt. Tu me réponds de luidu criminel corps pour corps, mon compère. ! Cette affaire veut être mieux distillée, et je m’en réserve la connaissance. Mets provisoirement le coupable en liberté ; je saurai le retrouver ; puis, fais savoir à Cornélius que j’irai chez lui, dès ce soir, pour instruire moi-même cette affaire.¶le procès.¶ – Monsieur de Saint-Vallier !... dit le roi en le regardant fixement, j’ai de vos nouvelles. VotreTout votre sang ne saurait payer une goutte du mien..... Le savez-vous ?...?.... Par Notre-Dame de Cléry, vous avez commis des crimes de lèse-majesté. Vous ai-je donné aussi gentille femme pour la rendre pâle et brehaigne. ? Çà, rentrez chez vous de ce pas. AllezEt allez y faire vos apprêts pour un long voyage.....¶ Le roi s’arrêta sur ces mots, par une habitude de cruauté ; puis, il ajouta :¶ – Vous partirez ce soir pour voir à ménager mes affaires avec messieurs de Venise. Soyez sans inquiétude, ; je ramènerai votre femme ce soir ; et désormaissoir en mon château du Plessis ; elle y sera, certes, en sûreté. Désormais je veillerai sur elle mieux que je ne l’ai fait depuis six ansvotre mariage.....¶ En entendant ces mots, Marie pressa silencieusement le bras de son père, qui riait dans sa barbe,comme pour le remercier de sa clémence et de sa belle humeur. .¶ Quant à Louis XI, il se divertissait sous cape.¶ ¶ ¶ ¶ IV.¶ LE TRÉSOR INCONNU.¶ Louis XI aimait beaucoup à intervenir dans les affaires de ses sujets, et mêlait volontiers la majesté royale aux scènes de la vie bourgeoise. Ce goût lui a été sévèrement reproché par quelques historiens ; mais ce n’était cependant que la passion de l’incognito, l’un des plus grands plaisirs des princes, espèce d’abdication momentanée qui leur permet de mettre un peu de vie commune dans leur existence affadie par le défaut d’oppositions ; seulement, Louis XI jouait l’incognito à découvert. Du reste, en ces sortes de rencontres, il était bon homme, et s’efforçait de plaire aux gens du tiers-état, dont il auraitavait fait ses alliés contre la féodalité. .¶ Depuis long-temps il n’avait pas trouvé l’occasion de se faire peuple, et d’épouser les intérêts domestiques d’un homme engarrié dans quelque affaire processive, (vieux mot encore en usage à Tours. ), de sorte qu’il endossa passionnément les inquiétudes de maître Cornélius et les chagrins secrets de la comtesse de SaintVallier.¶ A plusieurs reprises, pendant le dîner, il dit à sa fille :¶ – Mais qui donc a pu voler mon compère ?...?.... Voilà des larcins qui montent à plus de 1,200,000douze cent mille écus depuis huit ans !...!....¶ – 1,200,000Douze cent mille écus ! messieurs, Messieurs !..... reprit-il en regardant les seigneurs qui le servaient,. Notre dame !... avec cette somme on aurait bien des absolutions en cour de Rome !...!..... J’aurais pu, Pasques Dieu, encaisser la Loire, ou mieux, conquérir le Piémont, une belle fortification toute faite pour notre royaume.....¶ Le dîner fini, Louis XI emmena sa fille, son médecin, le grand -prévôt ;, et, suivi d’une escorte de gens d’armes, vint à l’hôtel de Poitiers, où il trouva encore, suivant ses présomptions, le sire de Saint-Vallier qui attendait sa femme, peut-être pour s’en défaire.¶ – Monsieur, lui dit le roi, je vous avais recommandé de partir plus vite ; mais dites adieu à votre femme, et gagnez la frontière, vous aurez une escorte d’honneur. Quant à vos instructions et lettres de créance, elles seront à Venise avant vous.¶ Louis XI ordonnadonna l’ordre, non sans y joindre quelques instructions secrètes, à un lieutenant de la garde écossaise de prendre une escouade, et d’accompagner son ambassadeur jusqu’à Venise.¶ Saint-Vallier partit en grande hâte, après avoir donné à sa femme un baiser froid qu’il aurait voulu rendre mortel.¶ Lorsque la comtesse fut rentrée chez elle, Louis XI vint à la Malemaison, fort empressé de dénouer la triste farce qui se jouait chez son compère le torçonnier, se flattant, en sa qualité de roi, d’avoir assez de perspicacité pour découvrir les secrets des voleurs.¶ Cornélius ne vit pas sans quelque appréhension la compagnie de son maître.¶ – Est-ce que tous ces gens-là, lui dit-il à voix basse, seront de la cérémonie ?¶ Louis XI ne put s’empêcher de sourire en voyant l’effroi de l’avare et de sa sœur.¶ – Non, mon compère, reprit-il, rassure-toi. Ils souperont avec nous dans mon logis, et nous serons seuls à faire l’enquête... Je suis si bon justicier que je gage 1,000dix mille écus de te trouver le criminel.....¶ – Trouvons-le, sire, et ne gageons pas.¶ Aussitôt ils allèrent dans le cabinet où le Lombard avait mis ses trésors ; et. Là, Louis XI s’étant fait montrer d’abord la layette où étaient les joyaux de l’électeur de Bavière, puis la cheminée par laquelle le prétendu voleur avait dû descendre, il convainquit facilement le Brabançon de la fausseté de ses suppositions, attendu qu’il ne se trouvait point de suie dans l’âtre, où il se faisait, à vrai dire, rarement du feu ; nulle trace de route dans le tuyau ; et, de plus, la cheminée prenait naissance sur le toit dans une partie presque inaccessible.¶ Enfin, après deux heures de perquisitions empreintes de cette sagacité qui distinguait le génie méfiant de Louis XI, il lui fut évidemment démontré que personne n’avait pu s’introduire dans le trésor de son compère. Aucune marque de violence n’existait ni dans l’intérieur des serrures, ni sur les coffres de fer où se trouvaient l’or, l’argent et les gages précieux donnés par de riches créanciersdébiteurs.¶ – Si le voleur a ouvert cette layette, dit Louis XI, pourquoi n’a-t-il pris que les joyaux de Bavière ?... Pour quelle raison a-t-il respecté ce collier de perles ?... Singulier truand !¶ A cette réflexion, le pauvre torçonnier blêmit ; le roi et lui s’entre-regardèrent pendant un moment.¶ – Eh bien ! sire, qu’est donc venu faire ici le voleur que vous avez pris sous votre protection, et qui s’est promené pendant la nuit ?... demanda Cornélius.¶ – Si tu ne le devines pas, mon compère, je t’ordonne de toujours l’ignorer. C’est un de mes secrets...¶ – Alors le diable est chez moi !...!.... dit piteusement l’avare.¶ En toute autre circonstance, le roi eût peut-être ri de l’exclamation de son argentier ; mais il était devenu pensif, et jetait sur maître Cornélius ces coups d’œil à traverser la tête qui sont si familiers aux hommes de talent ou de pouvoir ; aussi, le Brabançon en fut-il effrayé, craignant d’avoir offensé son redoutable maître.¶ – Ange ou diable, je tiens les malfaiteurs... s’écria brusquement Louis XI. Si tu es volé cette nuit, je saurai dès demain par qui.¶ – Fais monter cette vieille guenon que tu nommes ta sœur !.... ajouta-t-il.¶ Cornélius hésita presque à laisser le roi tout seul dans la chambre où étaient ses trésors ; mais il sortit, vaincu par la puissance du sourire amer qui errait sur les lèvres flétries de Louis XI.¶ Cependant, malgré sa confiance, il revint promptement, suivi de la vieille.¶ – Avez-vous de la farine ?... demanda le roi.¶ – Oh ! certes, nous avons fait notre provision pour l’hiver !... répondit-elle.¶ – Eh bien ! montez-la, dit le roi.¶ – Et que voulez-vous faire de notre farine ?...!... s’écria-t-elle effarée, sans être aucunement atteinte par la majesté royale, ressemblant en cela à toutes les personnes en proie à quelque violente passion.¶ – Vieille folle !, veux-tu bien exécuter les ordres de notre gracieux maître ! cria Cornélius. Le roi manque-til de farine ?...¶ – Achetez donc de la belle farine !... dit-elle en grommelant dans les escaliers. ; ah ! ma farine ! Quelle idée de vouloir examiner ma farine !¶!...¶ Enfin elle revint avec une de ces poches en toile qui, de temps immémorial, servent en Touraine à porter au marché ou à en rapporter les noix, les fruits et le blé ; la . La poche était pleine de farine, et la ménagère, l’ayant ouverte à demi, elle la montra timidement au roi, sur lequel elle jetait ces regards fauves et rapides par lesquels les vieilles filles semblent vouloir darder du venin sur les hommes.¶ – Elle vaut six sous la septerée !...¶septérée !... dit-elle.¶ – Qu’importe !... !.... répondit le roi, répandez-la sur le plancher, et surtout !..... – Surtout, ayez soin de l’y étaler de manière à produire une couche bien égale, comme s’il y était tombé de la neige.¶ La vieille fille ne comprit pas.¶ Cette proposition l’étonnait plus que n’eût fait la fin du monde.¶ – Ma farine !...!..... sire..... par terre..... mais.....¶ Maître Cornélius, commençant à comprendre concevoir, mais vaguement, les intentions du roi, saisit la poche, et la versa doucement sur le plancher. La vieille tressaillit ;, mais elle tendit la main pour reprendre la poche, ; et, quand son frère la lui eut rendue, elle disparut en poussant un grand soupir.¶ Cornélius, ayant pris un plumeau, commença par un côté du cabinet à étendre la farine, qui produisait comme une nappe de neige, ; et il reculait à mesure, suivi du roi, qui paraissait prendre plaisir à voirs’amuser beaucoup cette opération.¶ Quand ils arrivèrent à l’huis, il dit à son compère :¶ – Y a-t-il deux clefs de la serrure ?¶ – Non, sire.¶ Le roi regarda le mécanisme de la porte. Elle était maintenue par de grandes plaques et par des barres en fer ; les pièces de cette armure aboutissaient à une serrure à secret dont Cornélius avait la clef. .¶ Louis XI ayant tout examiné fit venir Tristan, et lui dit de poster à la nuit quelques- uns de ses gens d’armes dans le plus grand secret, soit sur les mûriers de la levée, soit sur les chéneaux des hôtels voisins, et de rassembler toute son escorte pour se rendre au Plessis, afin de faire croire qu’il ne souperait pas chez maître Cornélius ; puis, il recommanda sur toute chose à l’avare de fermer assez exactement ses croisées pour qu’il ne s’en échappât aucun rayon de lumière, et de préparer un festin sommaire, afin de ne pas donner lieu de penser qu’il le logeât pendant cette nuit.¶ Et, de fait, le roi partit en cérémonie par la levée, et rentra secrètement, lui troisième, par la porte du rempart, chez son compère le torçonnier.¶ Tout fut si bien disposé, que les voisins, les gens de ville et de cour, pensèrent que le roi était retourné au Plessis par fantaisie au Plessis, et devait revenir le lendemain soir souper chez son argentier : la.¶ La sœur de Cornélius confirma cette croyance, en achetant de la sauce verte à la boutique du bon faiseur, qui demeurait près du carroirquarroir aux herbes, appelé depuis le carroir de Beaune, à cause de la magnifique fontaine en marbre blanc que le malheureux Semblançay (Jacques de Beaune) fit venir d’Italie pour orner la capitale de sa patrie.¶ Vers les huit heures du soir, au moment où le roi soupait en compagnie de son médecin, de Cornélius et du capitaine de sa garde écossaise, disant de joyeux propos, et oubliant qu’il était Louis XI malade et presque mort, le plus profond silence régnait au-dehors, et un passant, même un voleur même, aurait pu prendre la Malemaison pour quelque logis inhabité.¶ – J’espère , dit le roi en souriant, que mon compère sera volé cette nuit !... dit le roi en souriant, pour que ma curiosité soit satisfaite. Or çà, messieursMessieurs, que nul ici ne sorte de sa chambre demain sans mon ordre, sous peine de quelque griève pénitence.....¶ Là-dessus chacun se coucha.¶ Le lendemain matin, Louis XI sortit le premier de son appartement, et se dirigea vers le trésor de Cornélius ; mais il ne fut pas étonné médiocrement étonné en apercevant les empreintes marques d’un large pied semées par les escaliers et les corridors de la maison. Respectant avec soin ces précieuses imagesempreintes, il alla vers la porte du cabinet aux écus, et la trouva fermée sans marques aucunes traces de fracture. Alors, il étudia la direction des pas ; mais comme ils étaient graduellement plus faibles, et finissaient par ne plus laisser le moindre vestige, il lui fut impossible de découvrir par où s’était enfui le voleur.¶ – Ah ! mon compère, cria le roi à Cornélius, tu as été bel et bien volé !...¶!....¶ A ces mots, le vieux Brabançon sortit, en proie à une visible épouvante.¶ Louis XI le mena voir les pas écritstracés sur les planchers ; et, tout en les examinant derechef, le roi, ayant regardé par hasard les pantoufles de l’avare, reconnut le type de la semelle, dont tant d’exemplaires étaient gravés sur les planchers. Le roidalles.¶ Il ne dit mot, et retint son rire, en pensant à tous les innocens qui avaient été pendus.¶ L’avare alla promptement à son trésor ; et là, le roi, lui ayant commandé de faire avec son pied une nouvelle marque auprès de celles qui existaient, déjà, il le convainquit que le voleur n’était autre que lui-même.¶ – Le collier de perles me manque !...!..... s’écria Cornélius ; il . Il y a de la sorcellerie là-dessous, ; car je ne suis pas sorti de ma chambre.¶ – Nous allons le savoir au plus tôt ! dit le roi, que la visible bonne foi de son argentier rendit encore plus pensif.¶ Aussitôt il fit venir dans son appartement les gens d’armes de guette, et leur demanda :¶ – Or çà, qu’avez-vous vu pendant la nuit ?¶ – Ah ! sire, un spectacle de magie ! dit le lieutenant. Monsieur votre argentier a descendu comme un chat le long des murs, et si lestement que nous avons tous cru d’abord que c’était une ombre.¶ – Moi ! cria Cornélius, qui, après ce mot, resta debout et silencieux, comme un homme perclus de ses membres.¶ – Allez-vous-en, vous autres !!.... reprit le roi en s’adressant aux archers, et dites à MM. Conyngham, Coyctier, Bridoré et , ainsi qu’à Tristan, qu’ils peuvent sortir de leurs lits et venir céans.....¶ – Tu as encouru la peine de mort..... dit froidement Louis XI au Brabançon, qui heureusement ne l’entendit pas ; car tu. Tu en as au moins dix sur la conscience, toi !...!....¶ Là, Louis XI laissa échapper un rire muet, et fit une pause. :¶ – Mais rassure-toi, reprit-il en remarquant la pâleur étrange répandue sur le visage de l’avare ; tu es meilleur à saigner qu’à tuer....... Et, moyennant quelque bonne grosse amende au profit de mon épargne, tu t’en tireraste tireras des griffes de ma justice ; mais si tu ne fais pas bâtir au moins bâtir une chapelle en l’honneur de la Vierge, tu es en passe de te bailler des affaires graves et chaudes pendant toute l’éternité !...¶!....¶ – Douze cent trente et quatre-vingt-sept mille écus font treize cent dix-sept mille écus.... répondit machinalement Cornélius, absorbé dans ses calculs. – Il y a treize cent dix-sept mille écus de détournés !...¶ – Il les aura enfouis dans quelque retraite !...retrait !.... dit le roi, qui commençait à trouver la somme royalement belle ; c’est. Voilà l’aimant qui l’attirait toujours ici....... Il sentait son trésor.¶ Là-dessus Coyctier entra ; et, voyant. Voyant l’attitude de Cornélius, il l’observa savamment pendant que le roi lui racontait l’aventure.¶ – Sire, répondit le médecin, il n’y a rien de surnaturel dans cette affaire. Le torçonnier a la propriété de marcher pendant son sommeil. Voici le troisième exemple que je rencontre de cette singulière maladie.¶ A ces mots, Louis XI laissa échapper le geste qu’il lui était familier de faire en rencontrant une bonne idée : ; et si vous vouliez vous donner le plaisir d’être témoin de ses effets, vous pourriez voir ce vieillard aller sans danger au bord des toits, à la première nuit où il consistait à rehausser vivement son bonnet.¶sera pris par un accès..... J’ai remarqué, dans les deux hommes que j’ai déjà observés, des liaisons curieuses entre les affections de cette vie nocturne et leurs affaires, ou leurs occupations du jour.¶ – Dans cette crise, dit Coyctier – Ah ! maître Coyctier, tu es savant !....¶ – Ne suis-je pas votre médecin !.... dit insolemment le physicien.¶ A cette réponse, Louis XI laissa échapper le geste qu’il lui était familier de faire lorsqu’il rencontrait une bonne idée, et qui consistait à rehausser vivement son bonnet.¶ – Dans cette occurrence, reprit Coyctier en continuant, les gens font leurs affaires en dormant ; et comme celui-ci ne hait pas à thésauriser, il s’estse sera livré tout doucement à sa plus chère occupation...¶habitude...... aussi a-t-il dû avoir des accès toutes les fois qu’il a pu concevoir pendant la journée des craintes pour ses trésors.¶ – Pasques Dieu, ! quel trésor !...!.... s’écria le roi.¶ – Où est-il ?...?.... demanda Cornélius, qui, par un singulier privilége de notre nature, entendait les propos du médecin et du roi, tout en restant presque engourdi par ses idées et par son malheur.¶ – Ah ! reprit Coyctier avec un gros rire diabolique, les noctambules n’ont au réveil aucun souvenir de leurs faits et gestes... .....¶ – Laissez-nous !...!..... dit le roi.¶ Quand Louis XI fut seul avec son compère, il le regarda en ricanant à froid.¶ – SireMessire Hoogworst, ajouta-t-il en s’inclinant, tous les trésors enfouis en France sont au roi.....¶ – Oui, sire, tout est à vous, et vous êtes le maître absolu de nos vies et de nos fortunes ; mais jusqu’à présent vous avez eu la clémence de ne prendre que ce qui vous était nécessaire.....¶ – Écoute, mon compère ; si.... Si je t’aide à retrouver ce trésor, tu peux hardiment et sans crainte en faire le partage avec moi.......¶ – Non, sire, je ne veux pas le partager, mais vous l’offrir tout entier..... après ma mort..... Mais quel est votre expédient ?¶ – Je n’aurai qu’à t’épier moi-même pendant que tu feras tes courses nocturnes...... Un autre que moi serait à craindre.¶ – Ah ! sire, reprit Cornélius en se jetant aux pieds de Louis XI, vous êtes le seul homme du royaume à qui je voudrais me confier pour cet office, et je saurai bien vous prouver ma reconnaissance pour la bonté dont vous usez envers votre serviteur, en m’employant des de mes quatre fers au mariage de l’héritière de Bourgogne avec monseigneur... Voilà un beau trésor, non plus d’écus, mais de domaines, qui saura rendre votre couronne toute ronde.¶ – Là, là, Flamand, tu me trompes !..... dit le roi en fronçant les sourcils, ou tu m’as mal servi...¶ – Comment, sire, pouvez-vous douter de mon dévouement ? vous qui êtes le seul homme que j’aime.¶ – Ce sont des paroles, ceci !... reprit le roi en envisageant le Brabançon ; tu . Tu ne devais pas attendre cette occasion pour m’être utile. Tu me vends ta protection, Pasques Dieu ! à moi Louis-le-Onzième. Est-ce toi qui es le maître, et moisuis-je donc le serviteur !... han ! han !¶ – Ah ! sire, répliqua le vieux torçonnier, je voulais vous surprendre agréablement par la nouvelle des intelligences que je vous ai ménagées avec ceux de Gand ; et j’en attendais la confirmation par l’apprenti d’Oosterlinck...¶ Mais.... qu’est-il devenu ?.....¶ – Assez, dit le roi. C’est encore une faute. Je n’aime pas qu’on se mêle, malgré moi, de mes affaires, et.... assez. Je veux réfléchir à tout ceci.....¶ Maître Cornélius retrouva l’agilité de la jeunesse pour courir à la salle basse, où était sa sœur.¶ – Ah ! Jeanne, ma chère âme, nous avons ici un trésor où j’ai mis les treize cent mille écus, et !.. Et c’est moimoi ! – moi ! qui suis le voleur...¶ Jeanne Hoogworst se leva de son escabelle, et se dressa sur ses pieds, comme si le siége qu’elle quittait eût été de fer rouge.¶ Cette secousse était si violente pour une vieille fille accoutumée depuis de longues années à s’exténuer par des jeûnes volontaires, qu’elle tressaillit de tous ses membres et ressentit une horrible douleur dans le dos. Elle pâlit par degrés, et sa face, dont il était si difficile de déchiffrer les altérations parmi les rides, se décomposa pendant que son frère lui expliquait sa et la maladie dont il était victime, et l’étrange situation dans laquelle ils étaient.¶se trouvaient tous deux.¶ – Nous venons, Louis XI et moi, dit-il en finissant, de nous mentir l’un à l’autre comme deux marchands de myrobolans. Tu comprends, mon enfant, que, s’il me suivait, il aurait à lui seul le secret du trésor... Il n’y a que le roi au monde qui puisse épier ma route...mes courses nocturnes... Je ne sais si la conscience du roi, tout près qu’il soit de la mort, pourrait résister à treize cent dix-sept mille écus... il faut le prévenir, dénicher les merles, les mettreenvoyer tous nos trésors à Gand, et..... toi seule.....¶ Il Cornélius s’arrêta soudain, en ayant l’air de peser le cœur de ce souverain, qui rêvait déjà le parricide à vingt-deux ans ; et lorsqu’illorsque l’argentier eut jugé Louis XI, il se leva brusquement, comme un homme pressé de fuir un danger.¶ A ce mouvement sa sœur, trop faible ou trop forte pour une telle crise, tomba raideroide... Elle était morte. .¶ Maître Cornélius saisit sa sœur, la remua violemment, en lui disant :¶ – Il ne s’agit pas de mourir !... Après tu en auras tout le temps..... Oh ! c’est fini..... La vieille guenon !... elle n’a jamais rien su faire à propos...¶ Il lui ferma les yeux et la coucha sur le plancher ; mais alors il revint à tous les sentimens nobles et bons qui étaient dans le plus profond de son âme ; et, oubliant à demi son trésor inconnu :¶ – Ma pauvre compagne !... s’écria-t-il douloureusement, je t’ai donc perdue !... toi qui me comprenais si bien !... Oh ! tu étais un vrai trésor... Le voilà, le trésor !... Avec toi, s’en vont ma tranquillité, mes affections !... Si tu avais su quel profit il y avait à vivre seulement encore deux nuits, tu ne serais pas morte, uniquement pour me plaire... pauvre petite !... Hé ! Jeanne, treize cent dix-sept mille écus !...!..... Ah ! si cela ne te réveille pas... ..... Non..... – Elle est morte !.....¶ Là-dessus il s’assit, ne dit plus rien ; mais deux grosses larmes sortirent de ses yeux, et roulèrent dans ses joues creuses ; puis, en laissant échapper plusieurs ha ! ha ! il ferma la salle et remonta chez le roi.¶ Louis XI fut frappé par la douleur empreinte dans sesles traits mouillés de son vieil ami.¶ – Qu’est ceci ?... demanda-t-il.¶ – Ah ! sire, un malheur n’arrive jamais seul !... Ma sœur est morte... Elle me précède là-dessous... dit-il en montrant le plancher par un geste effrayant.¶ – Assez !... s’écria Louis XI, qui n’aimait pas à entendre parler de la mort...¶ – Je vous fais mon héritier... Je ne tiens plus à rien... Voilà mes clefs... Pendez-moi si c’est votre bon plaisir ;, prenez tout... fouillez la maison... elleElle est pleine d’or. Je vous donne tout...¶ – Allons, compère, reprit Louis XI, qui fut à demi attendri par le spectacle de cette étrange peine, nous retrouverons le trésor par quelque belle nuit, et la vue de tant de richesses te rendra leredonnera cœur à la vie..... Je reviendrai cette semaine.....¶ – Quand il vous plaira, sire...¶ A cette réponse, Louis XI, qui avait fait quelques pas vers la porte de la sa chambre, se retourna brusquement, et. Alors ces deux hommes se regardèrent l’un l’autre avec une expression que ni le pinceau ni la parole ne peuvent reproduire.¶ – Adieu, mon compère !...!..... dit enfin Louis XI d’une voix brève et en redressant son bonnet.¶ – Que Dieu et la Vierge vous conservent leurs bonnes grâces, !... répondit humblement le torçonnier en reconduisant le roi.¶ Louis XI et son argentier se quittèrent, tous deux Après une si longue amitié, ces deux hommes trouvaient entre eux une barrière élevée par la défiance et par l’argent, lorsqu’ils s’étaient toujours entendus en fait d’argent et défiance ; mais ils se connaissaient si bien, ils avaient tous deux une telle habitude l’un de l’autre, que le roi devait deviner, par l’accent dont Cornélius prononça l’imprudent – Quand il vous plaira, sire !.... la répugnance que sa visite causerait désormais à l’argentier ; comme celui-ci reconnut une déclaration de guerre dans – l’Adieu, mon compère !.... dit par le roi.¶ Aussi, Louis XI et son torçonnier se quittèrent-ils bien embarrassés de la conduite qu’ils devaient tenir l’un envers l’autre.¶ Le monarque possédait bien le secret du Brabançon ; mais celui-ci pouvait aussi par ses relations assurer le succès de la plus belle conquête que jamais roi de France ait pût faire, celle des domaines appartenant à la maison de Bourgogne, et qui excitaient alors l’envie de tous les souverains de l’Europe. Le mariage de la célèbre Marguerite dépendait des gens de Gand et des Flamands, qui l’entouraient. L’or et l’influence de Cornélius devaient puissamment servir les négociations entamées par Desquerdes, le général auquel Louis XI avait confié le commandement de l’armée campée sur la frontière de Belgique. Ainsi cesCes deux maîtres renards étaient donc comme deux duellistes dont le hasard aurait neutralisé les forces.¶ Aussi, soit que depuis cette matinée la santé de Louis XI eût empiré, soit que Cornélius eût contribué à faire venir en France Marguerite de Bourgogne, qui vintarriva effectivement à Amboise, au mois de juillet de l’année 1438, pour épouser le dauphin, auquel elle fut fiancée dans la chapelle du château, le roi ne leva point d’amende sur son argentier, aucune procédure n’eut lieu, et ils restèrent l’un et l’autre dans les demi-mesures d’une amitié armée.¶ Heureusement pour le torçonnier, le bruit se répandit à Tours que sa sœur était l’auteur des vols, et qu’elle avait été secrètement mise à mort secrètement par Tristan ; car . Autrement, si la véritable histoire y eût été connue, la ville entière se serait ameutée et eût détruitpour détruire la Malemaison avant qu’il eût été possible au roi de la défendre. Mais si toutes ces présomptions historiques ont quelque fondement relativement à l’inaction dans laquelle resta Louis XI, il n’en fut pas de même chez maître Cornélius Hoogworst.¶ Depuis cette fatale matinée, il se fit de grands changemens dans les habitudes du torçonnier. Il s’efforça de ne point dormir, et prit des drogues anti-narcotiques qui l’aidèrent singulièrement à vieillir. Il devint distrait ; il allait et venait dans sa maison, flairant l’or à tous les coins, semblable à ces animaux chasseurs enfermés dans une grande cage. Il laissait quelquefois les petites grilles de sa porte ouvertes, et les passans pouvaient voir cet homme à moitié desséché, planté sur ses deux jambes, immobile pendant des journées entières, et jetant çà et là ses yeux hagards. Quand on le rencontrait par les rues, vous eussiez dit un étranger. Perdu dans une pensée qui l’absorbait tout entier, nuit et jour, il ne savait ni où il était, à Tours ou à Gand, ni s’il faisait clair de lune ou de soleil. Enfin, ne pouvant sans doute pas supporter les horreurs de cette situation, craignant toujours que Louis XI ou Coyctier eussent aposté des gens pour le surveiller pendant un de ses accès, et ne voulant pas se voir enlever de son vivant le trésor inconnu qu’il avait fait, et qui gisait dans le sang de tant d’innocens, bourrelé de tant de remords peut-être, ou ne pouvant pas plus longtemps endurer les singulières tortures qu’il s’était luimême préparées, il se coupa la gorge avec un rasoir.¶ Cette mort coïncida presque avec la fin de Louis XI, en sorte que la Malemaison fut entièrement pillée par le peuple, et quelques anciens du pays de Touraine ont prétendu qu’un bourgeois, nommé Bohier, trouva le trésor et s’en servit pour commencer les constructions de Chenonceaux, dont il acheta la seigneurie, et qui, malgré les richesses de plusieurs rois, le goût de Diane de Poitiers et celui de sa rivale Catherine de Médicis pour les bâtimens, reste encore inachevé.¶ Le sire de Saint-Vallier, heureusement pour Marie de Sassenages, mourut, comme on sait, dans son ambassade ; mais sa maison ne s’éteignit pas. La comtesse eut, après le départ du comte, un fils dont la destinée est fameuse dans notre histoire de France, sous le règne de François I. Il fut sauvé par sa fille, la célèbre Diane de Poitiers, l’arrière-petite-fille illégitime de Louis XI, laquelle devint l’épouse illégitime et Le torçonnier passa les premiers jours qui suvirent cette fatale matinée dans une occupation continuelle. Semblable aux animaux carnassiers enfermés dans une cage, il allait et venait, flairant l’or à tous les coins de sa maison dont il étudiait les crevasses et consultait les murs, redemandant son trésor aux arbres du jardin, aux fondations et aux toits des tourelles, à la terre et au ciel. Souvent il demeurait pendant des heures entières debout, jetant ses yeux sur tout à la fois, les plongeant dans le vide ; et sollicitant les pouvoirs de l’extase et la puissance des sorciers, il tâchait de voir ses richesses à travers les espaces et les obstacles. Il était constamment perdu dans une pensée accablante, dévoré par un désir qui lui brûlait les entrailles, mais rongé plus grièvement encore par les angoisses renaissantes du duel qu’il avait avec lui-même, depuis que sa passion pour l’or s’était tournée contre ellemême ; espèce de suicide inachevé qui comprenait toutes les douleurs de la vie et celles de la mort. Jamais le vice ne s’était mieux étreint lui-même ; car l’avare s’enfermant par imprudence dans le cachot souterrain où gît son or, a, comme Sardanapale, la jouissance de mourir au sein de sa fortune. Mais Cornélius, tout à la fois le voleur et le volé, n’ayant le secret ni de l’un ni de l’autre, possédait et ne possédait pas ses trésors : torture toute nouvelle, toute bizarre, mais continuellement terrible.¶ Quelquefois, devenu presque oublieux, il laissait ouvertes les petites grilles de sa porte, et alors les passans pouvaient voir cet homme déjà desséché, planté sur ses deux jambes au milieu de son jardin inculte, y restant dans une immobilité complète, et jetant à ceux qui l’examinaient un regard fixe, dont la lueur insupportable les glaçait d’effroi.¶ Si, par hasard, il allait dans les rues de Tours, vous eussiez dit un étranger ; il ne savait jamais où il était, ni s’il faisait soleil ou clair de lune. Souvent il demandait son chemin aux gens qui passaient, en se croyant à Gand, et semblait toujours en quête de son bien perdu.¶ L’idée la plus vivace et la mieux matérialisée de toutes les idées humaines, l’idée par laquelle l’homme se représente lui-même en créant en dehors de lui cet être tout fictif, nommé la propriété, ce démon moral lui enfonçait à chaque instant ces griffes acérées dans le cœur. Puis, au milieu de ce supplice, la Peur se dressait avec tous les sentimens qui lui servent de cortége. En effet, deux hommes avaient son secret, ce secret qu’il ne connaissait pas lui-même !.... Louis XI ou Coyctier pouvaient aposter des gens pour surveiller ses démarches pendant son sommeil, et deviner l’abîme ignoré dans lequel il avait jeté ses richesses au milieu du sang de tant d’innocens ; car auprès de ses craintes veillait aussi le remords.¶ Pour ne pas se laisser enlever, de son vivant, son trésor inconnu, il prit, pendant les premiers jours qui suivirent son désastre, les précautions les plus sévères contre son sommeil. Puis ses relations commerciales lui permirent de se procurer les anti-narcotiques les plus puissans. Ses veilles durent être affreuses ; il était seul aux prises avec la nuit, le silence, le remords, la peur, avec toutes les pensées que l’homme a le mieux personnifiées, instinctivement peut-être, obéissant ainsi à une vérité morale encore dénuée de preuves sensibles.¶ Enfin, cet homme si puissant, ce cœur endurci par la vie politique et la vie commerciale, ce génie obscur dans l’histoire, dut succomber aux horreurs du supplice qu’il s’était créé. Tué par quelques pensées plus aiguës que toutes celles auxquelles il avait résisté jusqu’alors, il se coupa la gorge avec un rasoir.¶ Cette mort coïncida presque avec celle de Louis XI, en sorte que la Malemaison fut entièrement pillée par le peuple. Quelques anciens du pays de Touraine ont prétendu qu’un gentilhomme, nommé Bohier, trouva le trésor du torçonnier, et s’en servit pour commencer les constructions de Chenonceaux, dont il acheta la seigneurie, château merveilleux qui, malgré les richesses de plusieurs rois, le goût de Diane de Poitiers et celui de sa rivale Catherine de Médicis pour les bâtimens, reste encore inachevé.¶ Le sire de Saint-Vallier, heureusement pour Marie de Sassenages, mourut, comme on sait, dans son ambassade ; mais sa maison ne s’éteignit pas. La comtesse eut, après le départ du comte, un fils dont la destinée est fameuse dans notre histoire de France, sous le règne de François Ier. Il fut sauvé par sa fille, la célèbre Diane de Poitiers, l’arrière-petite-fille illégitime de Louis XI, laquelle devint l’épouse illégitime, la maîtresse bienaimée de Henri II ; en sorte que la bâtardise et l’amour furent héréditaires dans cette noble famille !¶ DE BALZAC.¶ COMPARAISON ENTRE MAÎTRE CORNÉLIUS (1832) ET LE FURNE CORRIGÉ (1845) Dans la comparaison qui suit le texte de Maître Cornélius de 1832 sert de texte de base. Les mots, les phrases, les passages rayés reflètent ce texte. Les mots, les phrases, les passages non-rayés indiquent la conformité entre ce texte et celui du Furne corrigé. Les mots, les phrases, les passages en rouge constituent des substitutions ou des additions apportées dans le texte du Furne corrigé. Maître Cornélius.¶ ¶ Comme celui qui conte, ainsi comme une histoire,¶ Que les fées jadis les enfançons volaient ;¶ Et, de nuit, aux maisons, secrètes, dévalaient¶ Par une cheminée..........¶ (DE LA FRESNAYE-VAUQUELIN.)¶ ¶ I. SCÈNES D’ÉGLISE AU XVe SIÈCLE.¶ MAITRE CORNÉLIUS¶ A MONSIEUR LE COMTE GEORGES MNISZECH.¶ Quelque JALOUX pourrait croire en voyant briller à cette page un des plus vieux et plus illustres noms sarmates, que j’essaye, comme en orfévrerie, de rehausser un récent travail par un bijou ancien, fantaisie à la mode aujourd’hui ; mais, vous et quelques autres aussi, mon cher comte, sauront que je tâche d’acquitter ici ma dette au Talent, au Souvenir et à l’Amitié.¶ ENEn 1479, le jour de la Toussaint, au moment où cette histoire commença, les vêpres étaient ditesfinissaient à la cathédrale de Tours, et l’archevêque,. L’archevêque Hélie de Bourdeilles, se levait de son siége pour donner lui-même la bénédiction aux fidèles.¶ Le sermon ayant avait duré long-temps, la nuit était venue pendant l’office, et l’obscurité la plus profonde régnait alors dans certaines parties de cette belle église, dont les deux tours n’étaient pas encore achevées. Cependant bon nombre de cierges brûlaient en l’honneur des saints sur les porte-cires triangulaires destinés à recevoir ces pieuses offrandes, dont aucun concile n’a su nous expliquer le mérite ; les mérite ou la signification n’ont jamais été suffisamment expliqués. Les luminaires de chaque autel et tous les candélabres du chœur étaient allumés ; mais ces masses de lumière, inégalement. Inégalement semées à travers la forêt de piliers et d’arcades qui soutient les trois nefs de la cathédrale, en ces masses de lumière éclairaient à peine l’immense vaisseau. En , car en projetant les fortes ombres des colonnes ouà travers les légères découpures des ornemens sur les hautes et longues galeries de l’édifice, ces clartés vacillanteselles y produisaient mille fantaisies, et faisaient vigoureusement ressortir que rehaussaient encore les ténèbres dans lesquelles étaient ensevelis les arceaux élevés, les cintres, les voussures, et surtout les chapelles latérales, déjà si noiressombres en plein jour. La foule offrait des effets non moins pittoresques. Certaines figures se dessinaient si vaguement dans le clair-obscur, qu’on pouvait les prendre pour des fantômes ; tandis que plusieurs autres, frappées en plein par des lueurs éparses, attiraient l’attention comme les têtes principales d’un tableau. Puis, les Les statues semblaient animées, et les hommes paraissaient pétrifiés ; çà. Çà et là, des yeux brillaient dans le creux des piliers ;, la pierre jetait des regards ;, les marbres parlaient ;, les voûtes répétaient des soupirs ; enfin, l’édifice entier paraissait était doué de vie.¶ L’existence des peuples n’a pas de scènes plus solennelles ni de momensmoments plus majestueux. A l’homme en masse, il faut toujours du mouvement pour faire œuvre de poésie ; mais à ces heures de religieuses pensées, quand où les richesses humaines sont mariéesse marient aux grandeurs célestes, il y a se rencontre d’incroyables sublimités dans le silence, ; il y a de la terreur ou dans les genoux pliés et de l’espoir dans le repos, de l’éloquence dans les genoux pliés et dans les mains jointes. Le concert de sentimens qui résume la force des sentiments par lequel toutes les âmes en un même élans’élancent au ciel produit alors un inexplicable phénomène de spiritualité. La mystique exaltation de tous les des fidèles assemblés réagit probablement sur chacun d’eux, et le plus faible est sans doute porté peut-être sur les flots de cet océan d’amour et de foi. Puissance tout électrique, la prière arrache ainsi notre nature à elle-même en la concentrant ; et cette . Cette involontaire union de toutes les volontés, également prosternées à terre, également élevées aux cieux, contient sans doute le secret des magiques influences que possèdent le chant des prêtres et les mélodies de l’orgue, les parfums et les pompes de l’autel, les voix de la foule et ses contemplations silencieuses.¶ Aussi ne devonsnous pas être étonnés de voir au moyen Moyen-âge tant d’amours commencées à l’église après de longues extases, amours souvent dénouées peu saintement, mais dontdesquelles les femmes finissaient, comme toujours, par faire pénitence. Le sentiment religieux avait alors certainescertainement quelques affinités avec l’amour ;, il en était ou le principe ou la fin. Alors, l’amour L’amour était encore une religion ;, il avait encore son beau fanatisme, ses superstitions naïves, ses dévouemens dévouements sublimes qui sympathisaient avec ceux du christianisme ; et si leurs mystères concordaient si complaisamment, les mœurs de l’époque peuvent assez bien expliquer cette singulière alliance.¶. Les mœurs de l’époque expliquent assez bien d’ailleurs l’alliance de la religion et de l’amour. D’abord, la société ne se trouvait guère en présence que devant les autels. Seigneurs et vassaux, hommes et femmes n’étaient égaux que là ; là. Là seulement, les amans savaient amants pouvaient se voir et correspondre. PuisEnfin, les fêtes ecclésiastiques composaient presque tout le spectacle du temps ; et , l’âme d’une femme était alors plus vivement remuée au milieu des cathédrales qu’elle ne l’est aujourd’hui dans un bal ou à l’Opéra : or, presque toutes les. Les fortes émotions ne ramènent-elles pas toutes lesles femmes à l’amour. Enfin, à ? A force de se mêler à la vie et de la saisir dans tous ses actes, la religion s’était donc rendue également complice et des vertus et des vices. La religion avait passé dans la science, dans la politique, dans l’éloquence, dans les crimes, sur les trônes et, dans la peau du malade et du pauvre ; elle était tout.¶ Ces observations demi-savantes justifieront peut-être la vérité de cette historiette,Étude dont certains détails pourraient effaroucher la morale perfectionnée de notre siècle, un peu trop collet-monté, comme chacun sait.¶ Au moment où le chant des prêtres vint à cessercessa, quand les dernières notes de l’orgue se mêlèrent aux vibrations de l’amen sorti de la forte poitrine des chantres, et pendant qu’un léger murmure retentissait encore sous les voûtes lointaines, au moment où toute cette assembléel’assemblée recueillie attendait, dans le recueillement, la bienfaisante parole du prélat, un bourgeois, pressé de rentrer en son logis, ou craignant pour sa bourse le tumulte de la sortie, se retira doucement, au risque d’être réputé mauvais catholique.¶ Aussitôt, un Un gentilhomme, tapi contre l’un des énormes piliers qui environnent le chœur, chœur et où il était resté comme perdu dans l’ombre, s’empressa de venir prendre la place abandonnée par le prudent Tourangeau ; mais, en . En y arrivant, il se cacha promptement le visage dans les plumes qui ornaient son haut bonnet gris, et s’agenouilla sur la chaise avec un air de contrition auquel un inquisiteur aurait pu croire.¶ Après l’avoir assez attentivement regardé ce garçon, ses voisins parurent le reconnaître, et se remirent à prier en laissant échapper certain geste indéfinissable, par lequel ils exprimèrent une même pensée, pensée caustique, railleuse ; c’était comme, une médisance muette. Deux vieilles femmes hochèrent même la tête en se jetant un mutuel coup d’œil, et ce coup d’œil voyait dansd’œil qui fouillait l’avenir.¶ La chaise, dont dont s’était emparé le jeune homme s’était emparé, se trouvait près d’une chapelle pratiquée entre deux piliers, et fermée par une grille de fer.¶ Le chapitre louait alors, moyennant d’assez fortes redevances, à certaines familles seigneuriales, ou même à de riches bourgeois, le droit d’assister aux offices, exclusivement, eux et leurs gens, dans les chapelles latérales, situées le long des deux petites nefs qui tournent autour de la cathédrale. Cette simonie se pratique encore aujourd’hui. Une femme avait alors sa chapelle à l’église, comme de nos jours elle prend une loge aux Italiens. Les locataires de ces places privilégiées ayantavaient en outre la charge d’entretenir l’autel qui leur était concédé, chacun. Chacun mettait donc son amour-propre à décorer somptueusement le sien, vanité dont l’église s’accommodait assez bien.¶ Or, dans l’église. Dans cette chapelle et près de la grille, une jeune dame était agenouillée sur un beau carreau de velours rouge à glands d’or, précisément auprès de la place précédemment occupée par le bourgeois. Une lampe d’argent vermeil suspendue à la voûte de la chapelle, devant un autel magnifiquement orné, jetait sa pâle lumière sur le livre d’Heures que tenait la dame ; et ce. Ce livre trembla violemment dans ses mains quand le jeune homme vint près d’elle.¶ – Amen.....¶ !¶ A ce répons, chanté d’une voix douce, mais cruellement agitée, et qui heureusement se confondit dans la clameur générale, elle ajouta vivement et à voix basse :¶: – Vous me perdez !....¶ Cette parole fut dite avec un accent d’innocence auquel devait obéir un homme délicat ;, elle allait au cœur et le perçait ; mais l’inconnu, sans doute emporté par un de ces paroxysmes de passion qui étouffent la conscience, resta sur sa chaise et releva légèrement la tête, pour jeter un coup d’œil dans la chapelle.¶ – Il dort !.... répondit-il d’une voix si bien assourdie, que cette réponse dut être entendue par la jeune femme comme un son par l’écho.¶ Elle La dame pâlit ; et, son regard furtif, quittant quitta pour un moment le vélin du livre, et se dirigea sur un vieillard que le jeune homme avait regardé.¶ Quelle terrible complicité ne se trouvait-il pas dans cette œillade !....¶œillade ? Lorsque la jeune femme eut examiné ce vieillard, elle respira fortement et leva son beau front orné d’une pierre précieuse vers un tableau où la Vierge était peinte ; ce simple mouvement, son cette attitude, son le regard mouillé, disaient toute sa vie avec une imprudente naïveté. Perverse ; perverse, elle eût été dissimulée.¶ Le personnage qui faisait tant de peur aux deux amansamants était un petit vieillard, bossu, presque chauve, de physionomie farouche, ayant une large barbe d’un blanc sale et taillée en éventail. La ; la croix de Saint-Michel brillait sur sa poitrine. Ses ; ses mains rudes, fortes, sillonnées de poils gris, et que, d’abord, il avait sans doute jointes, s’étaient légèrement désunies pendant le sommeil auquel il se laissait si imprudemment aller. Sa main droite semblait prête à près de tomber sur sa dague, dont la garde formait une espèce de grosse coquille en fer sculpté. Par ; par la manière dont il avait rangé son arme, le pommeau se trouvait sous sa main ; et si, par malheur, elle venait à toucher le fer, nul doute qu’il ne s’éveillât aussitôt, et ne jetât un regard sur sa femme. Or, il y avait sur ses Ses lèvres sardoniques, et dans son menton pointu, capricieusement relevé, présentaient les signes caractéristiques d’un malicieux esprit, d’une sagacité froidement cruelle qui devait lui permettre de tout deviner, parce qu’il savait tout supposer. Son front jaune était plissé comme celui des hommes habitués à ne rien croire, à tout peser, et qui, semblables aux avares faisant trébucher leurs pièces d’or, cherchent le sens et la valeur exacte des actions humaines. Il avait une charpente osseuse et solide ; il était , paraissait être nerveux, paraissait trèspartant irritable ; bref, vous eussiez dit d’un ogre manqué.¶ Donc, au réveil de ce terrible seigneur, un inévitable danger attendait nécessairement la jeune dame ; car,. Ce mari jaloux, il ne manquerait pas de reconnaître la différence qui existait entre le vieux bourgeois, dont duquel il n’avait pas pris aucun ombrage, et le nouveau venu, courtisan jeune, svelte, élégant.¶ – Libera nos à malo !...., dit-elle en essayant de faire comprendre ses craintes au cruel jeune homme.¶ Celui-ci leva la tête vers elle et la regarda. Il avait des pleurs dans les yeux ;, pleurs d’amour ou de désespoir. A cette vue la dame tressaillit, elle se perdit. Tous deux résistaient sans doute depuis long-temps, et ne pouvaient peut-être plus résister à un amour grandi de jour en jour par d’invincibles obstacles, couvé par la terreur, fortifié par la jeunesse.¶ La dame Cette femme était médiocrement belle, mais son teint pâle accusait de secrètes souffrances qui la rendaient intéressante, rien qu’à la voir. Au reste, elle . Elle avait d’ailleurs les formes distinguées et les plus beaux cheveux du monde. Gardée par un tigre, elle risquait peut-être sa vie en disant un mot, en se laissant presser la main, en accueillant un regard. Si jamais amour n’avait été plus profondément enseveli dans deux cœurs, plus délicieusement savouré, jamais aussi passion ne devait être si plus périlleuse. Il était facile de deviner que, pour ces deux êtres, il y avait dans l’air, dans les sons, dans le bruit des pas, dans sur les dalles, dans les choses les plus indifférentes aux autres hommes, offraient des qualités sensibles, des propriétés particulières qu’ils devinaient ; et peut. Peut-être l’amour leur faisait-il trouver des truchemenstruchements fidèles jusque dans les mains glacées du vieux prêtre auquel ils allaient dire leurs péchés, ou dontdesquelles ils recevaient une hostie en approchant de la sainte table ; amour. Amour profond, amour entaillé dans l’âme comme, dans le corps, une cicatrice qu’il faut garder pendantdurant toute la vie.¶ Quand ces deux jeunes gens se regardèrent, la femme sembla dire à son amant :¶: – Périssons, mais aimonsnous !....¶. Et le cavalier parut lui répondre :¶: – Nous nous aimerons, et ne périrons pas !....¶. Alors, par un mouvement de tête plein de mélancolie, elle lui montra une vieille duègne et deux pages. La duègne dormait. Les deux pages étaient jeunes, et paraissaient assez insouciansinsouciants de ce qui pouvait arriver de bien ou de mal à leur maître.¶ – Ne vous effrayez pas à la sortie, et laissez-vous faire.....¶ A peine le gentilhomme eut-il dit ces paroles à voix basse, que la main du vieux seigneur coula sur le pommeau de son épée. En sentant la froideur du fer, le vieillard s’éveilla soudain. Ses ; ses yeux jaunes se fixèrent aussitôt sur sa femme ; et, par . Par un privilége assez rarement accordé même aux hommes de génie, il retrouva son intelligence aussi nette et ses idées aussi lucidesclaires que s’il n’avait pas sommeillé. C’était un jaloux !....¶. Si le jeune cavalier donnait un œil à sa maîtresse, de l’autre, il guignait le mari ; alors, il se leva lestement, et s’effaça derrière le pilier au moment où la main du vieillard voulut se mouvoir ; puis il disparut, léger comme un oiseau. AyantLa dame baissa promptement baissé les yeux, la dame feignit de lire et tâcha de paraître calme ; mais elle ne pouvait empêcher ni son visage de rougir, etni son cœur de battre avec une violence inusitée. Le vieux seigneur entendit le bruit des pulsations profondes et sonores qui retentissaient dans la chapelle, et remarqua l’incarnat extraordinaire répandu sur les joues, sur le front, sur les paupières de sa femme ; et alors, il regarda prudemment autour de lui ; mais, ne voyant personne dont il dût se défier :¶: – A quoi pensez-vous donc, ma mie ?.... lui dit-il.¶ – L’odeur de l’encens me fait mal....., répondit-elle.¶ – Il est donc mauvais d’aujourd’hui !...., répliqua le seigneur.¶ Malgré cette observation, le rusé vieillard feignit deparut croire à cette défaite ; et, soupçonnantmais il soupçonna quelque trahison secrète, il et résolut de veiller encore plus attentivement sur son trésor.¶ La bénédiction était donnée. Sans attendre la fin du secula seculorum, la foule se précipitait comme un torrent vers les portes de l’église. LeSuivant son habitude, le seigneur attendit prudemment, suivant son habitude, que l’empressement général fût calmé ;, puis il sortit en faisant marcher devant lui la duègne et le plus jeune page qui portait un fallot. Ilfalot ; il donna le bras à sa femme, et se fit suivre par l’autre page les suivit.¶. Au moment où le vieux seigneur allait atteindre la porte latérale ouverte dans la partie orientale du cloître, et par laquelle il avait coutume de sortir, un flot de monde se détacha de la foule qui obstruait le grand portail. En refluant avec impatience, reflua vers la petite nef où il se trouvait la famille, avec son monde, et cette masse compacte l’empêcha de retourner sur ses pas. Alors leLe seigneur et sa femme furent alors poussés au- dehors par la puissante pression de cette multitude. Le mari tâcha de passer le premier en tirant fortement la dame par le bras ; mais, en ce moment, il fut entraîné vigoureusement dans la rue, et sa femme lui fut arrachée par le bras d’un étranger.¶ Le terrible bossu comprit soudain qu’il était tombé dans une embûche préparée de longue main. Se repentant d’avoir dormi si longtemps, il rassembla toute sa force ; d’une main, ressaisit sa femme par la manche de sa robe ;, et, de l’autre, essaya de se cramponner à la porte. Mais l’ardeur de l’amour l’emporta sur la rage de la jalousie ; et le . Le jeune gentilhomme, prenant prit sa maîtresse par la taille, l’enleva si rapidement et avec une telle force de désespoir, que l’étoffe de soie et d’or, le brocart et les baleines, se déchirèrent bruyamment. La manche resta seule au mari. Un rugissement de lion couvrit aussitôt les cris poussés par la multitude, et l’on entendit bientôt une voix terrible hurlant ces mots :¶: – A moi, Poitiers !.... Au portail, les gens du comte de Saint-Vallier !.... Au secours !.... Ici ici !¶ Et le comte Aymar de Poitiers, sire de Saint-Vallier, tenta de tirer son épée et de se faire faire place ; mais il se vit environné, pressé par trente ou quarante gentilshommes qu’il était dangereux de blesser, et parmi lesquels plusieurs, de. Plusieurs d’entre eux, qui étaient du plus haut rang, lui répondirent par des quolibets en l’entraînant avec eux.¶ Le dans le passage du cloître. Avec la rapidité de l’éclair, le ravisseur avait emmené la comtesse, avec la rapidité de l’éclair, dans une chapelle ouverte où il l’assit derrière un confessionnal, sur un banc de bois. A la lueur des cierges qui brûlaient devant l’image du saint auquel cette chapelle était dédiée, ils se regardèrent un moment en silence, en se pressant les mains, étonnés l’un et l’autre de leur audace ; et la. La comtesse n’eut pas le cruel courage de reprocher au jeune homme la hardiesse à laquelle ils devaient ce périlleux, ce premier instant de bonheur.¶ – Voulez-vous fuir avec moi dans les ÉtatsEtats voisins ? lui dit vivement le gentilhomme. J’ai près d’ici deux genets d’Angleterre capables de faire trente lieues d’une seule traite.¶ – HéEh ! s’écria-t-elle doucement, il n’y a d’asile en aucun quel lieu du monde trouverezvous un asile pour une fille du roi Louis !....¶Louis Onze ?¶ – C’est vrai !...., répondit le jeune homme stupéfait de n’avoir pas prévu cette difficulté de son entreprise.¶ – Pourquoi donc m’avez-vous arrachée à mon mari ?.... demanda-t-elle avec une sorte de terreur.¶ – Hélas !.... reprit le cavalier, je n’ai pas compté sur le trouble où je suis en me trouvant près de vous, en vous entendant me parler, en recueillant vos regards !..... J’ai conçu deux ou trois plans ; eh bien ! , et maintenant, tout me semble accompli, puisque je vous vois...¶ – Mais je suis perdue !...., dit la comtesse.¶ – Nous sommes sauvés !...., répliqua le gentilhomme avec l’aveugle enthousiasme de l’amour. Écoutez-moi !....¶Écoutez-moi bien.¶ – Ceci me coûtera la vie !...., reprit-elle en laissant couler les larmes qui roulaient dans ses yeux. Le comte me tuera ce soir peut-être !.... Mais, allez chez le roi !, racontez-lui les tourmenstourments que depuis cinq ans sa fille a endurés... Il m’aimait bien quand j’étais petite, et il m’appelait en riantriant : Marie-pleine-de-grâce, parce que j’étais laide !..... Ah ! s’il savait à quel homme il m’a donnée, il se mettrait dans une terrible colère... Si je Je n’ai pas osé me plaindre, c’est par pitié pour le comte !..... D’ailleurs, comment ma voix seraitelle parvenue jusqu’parviendrait-elle au roi !....? Mon confesseur lui-même est un espion de Saint-Vallier. – Si je Aussi me suis -je prêtée à ce coupable enlèvement, c’est dans l’espoir de vous avoir pourconquérir un défenseur ; mais. Mais puis-je me fier à...¶ – Oh ! dit-elle en pâlissant et s’interrompant, voici le page !....¶ La pauvre comtesse se fit comme un voile avec ses mains pour se cacher la figure.¶ – Ne craignez rien !...., reprit le jeune seigneur, il est gagné ! Vous pouvez vous servir de lui en toute assurance, il m’appartient... Et... quand Quand le comte viendra vous chercher, il nous préviendra de son arrivée.¶ – Il y a dans – Dans ce confessionnal, ajouta-t-il à voix basse, est un chanoine de mes amis ; ilamis qui sera censé vous avoir retirée de la bagarre, et mise sous sa protection dans cette chapelle. – Ainsi, tout est prévu pour tromper Saint-Vallier...¶ A ces mots, les larmes de la comtesse se séchèrent ;, mais une expression de tristesse vint rembrunir son front par degrés.¶ – On ne le trompe pas ! dit-elle. Ce soir, il saura tout !.... Prévenez, prévenez ses coups... ? Allez au Plessis, voyez le roi, dites-lui que...¶ Elle hésita ; mais. Mais quelque souvenir lui ayant donné le courage d’avouer les secrets du mariage :¶: – EhEh ! bien !, oui, reprit-elle ;, dites-lui que, pour se rendre maître de moi, le comte me fait saigner aux deux bras, et m’épuise... dites Dites qu’il m’a traînée par les cheveux..., dites que je suis prisonnière..., dites que...¶ Son cœur se gonfla, les sanglots expirèrent dans son gosier, quelques larmes tombèrent de ses yeux ;: et, dans son agitation, elle se laissa baiser les mains par le jeune homme auquel il échappait des mots sans suite.¶ – Personne ne peut parler au roi... Pauvre, pauvre petite ! ... J’ai beau être le neveu du grand-maître des arbalétriers, je n’entrerai pas ce soir au Plessis !..... Ma chère dame..., ma belle souveraine ! – Mon Dieu, a-t-elle souffert !.... Marie, laissez-moi vous dire deux mots, ou nous sommes perdus !....¶ – Que devenir ?.... s’écria- dit-elle.¶ Puis, apercevantLa comtesse aperçut à la noire muraille un tableau de la Vierge, sur lequel tombait la lueur de la lampe :¶, et s’écria : – Sainte mère de Dieu, conseillez-nous !.... dit-elle.¶?¶ – Ce soir, reprit le jeune seigneur, je serai chez vous !....¶ – Et comment ?.... demanda-t-elle naïvement.¶ Ils étaient dans un si grand péril, que leurs plus douces paroles semblaient dénuées d’amour.¶ – Ce soir, reprit le gentilhomme, je vais aller m’offrir en qualité d’apprenti à maître Cornélius, l’argentier du roi ; j’ai. J’ai su me procurer une lettre de recommandation qui me fera recevoir. Son logis est voisin du vôtre. Une fois sous le toit de ce vieux ladre, à l’aide d’une échelle de soie, je saurai trouver le chemin de votre appartement.....¶ – Oh ! dit-elle pétrifiée d’horreur, si vous m’aimez, n’allez pas chez maître Cornélius !...¶!¶ – Ah ! s’écria-t-il en la serrant contre son cœur avec toute la force que l’on se sent à son âge, vous m’aimez donc !....¶!¶ – Oui, dit-elle. N’êtes-vous pas mon espérance ? Vous êtes gentilhomme, je vous confie mon honneur !¶? – D’ailleurs, reprit-elle en le regardant avec dignité, je suis trop malheureuse pour que vous trahissiez ma foi. Mais à quoi bon tout ceci ?.... Allez, laissezmoi mourir plutôt que d’entrer chez Cornélius ! Ne savez-vous pas que tous ses apprentis.....¶ – Ont été pendus !, reprit en riant le gentilhomme ; mais croyez. Croyez-vous que ses trésors me tentent ?....¶?¶ – Oh ! n’y allez pas, vous y seriez victime de quelque sorcellerie !....¶ – Je ne saurais trop payer le bonheur de vous servir !, répondit-il en lui lançant un regard de feu qui lui fit baisser les yeux.¶ – Et mon mari ?.... dit-elle.¶ – Voici qui l’endormira !..., reprit le jeune homme, en tirant de sa ceinture un petit flacon.¶ – Pas pour toujours ?... demanda la comtesse en tremblant.¶ Pour toute réponse, le gentilhomme fit un geste d’horreur.¶ – Je l’aurais déjà défié en combat singulier, s’il n’était pas si vieux !...., ajouta-t-il ; mais. Dieu me garde jamais de vous en défaire en lui donnant le boucon !....¶!¶ – Pardon !...., dit la comtesse en rougissant, je suis cruellement punie de mes péchés. Dans un moment de désespoir, j’ai voulu tuer le comte, et je craignais que vous n’eussiez eu le même désir..... Ma douleur est grande de n’avoir point encore pu me confesser de cette mauvaise pensée ; mais j’ai eu peur que mon idée ne lui fût découverte, et qu’il ne s’en vengeât.....¶ – Je vous fais honte !..., reprit-elle, offensée du silence que gardait le jeune homme. J’ai mérité ce blâme.¶ Elle brisa le flacon en le jetant à terre avec une soudaine violence.¶ – Ne venez pas !..., s’écria-t-elle, le comte a le sommeil léger. Mon devoir est d’attendre secours du ciel ; ainsi. Ainsi ferai-je !....¶!¶ Elle voulut sortir.¶ – Ah ! s’écria le gentilhomme, ordonnez, je le tuerai, madame !..... Vous me verrez ce soir.¶ – J’ai été sage de dissiper cette drogue !..., répliqua-t-elle d’une voix éteinte par le plaisir de se voir si ardemment aimée. La peur de réveiller mon mari nous sauvera de nous-mêmes.¶ – Je vous fiance ma vie !...., dit le jeune homme en lui serrant la main.¶ – Si le roi le veut, le pape saura casser mon mariage ; et. Nous serions unis, alors nous serons unis !..., reprit-elle en lui lançant un regard plein de délicieuses espérances.¶ En ce moment, le page accourut.¶ – Voici monmon seigneur ! s’écria-t-il le page en accourant.¶ Aussitôt le gentilhomme, étonné du peu de temps pendant lequel il était resté près de sa maîtresse, et surpris de la célérité du comte, prit un baiser que sa maîtresse ne sut pas refuser ; puis il lui dit :¶.¶ – A ce soir !... lui dit-il en s’esquivant de la chapelle.¶ Il s’esquiva de la chapelle ; et, à A la faveur de l’obscurité, l’amoureux gagna le grand portail en s’évadant de pilier en pilier, dans la longue trace d’ombre que chaque grosse colonne projetait à travers l’église.¶ Un vieux chanoine sortit tout à coup du confessionnal, vint se mettre auprès de la comtesse, et ferma doucement la grille devant laquelle le page se promena gravement avec une assurance de meurtrier.¶ De vives clartés annoncèrent le comte. Accompagné de quelques amis et de gens qui portaient des torches, il tenait à la main son épée nue, et ses. Ses yeux sombres semblaient percer les ténèbres profondes et visiter les coins les plus noirsobscurs de la cathédrale.¶ – Monseigneur, madame est là !..., lui dit le page en allant au- devant de lui.¶ Le sire de Saint-Vallier trouva sa femme agenouillée aux pieds de l’autel, et le chanoine, debout, disant son bréviaire. A ce spectacle, il secoua vivement la grille, comme pour donner pâture à sa rage.¶ – Que voulez-vous, une épée nue à la main dans l’église ?.... demanda le chanoine.¶ – Mon père, monsieur est mon mari !...., répondit la comtesse.¶ Alors le Le prêtre tira la clef de sa manche, et ouvrit la chapelle. Le comte jeta presque malgré lui des regards autour du confessionnal, y entra ; puis, il se mit à écouter le silence de la cathédrale.¶ – Monsieur, lui dit sa femme, vous devez des remercîmensremercîments à ce vénérable chanoine qui m’a retirée ici.....¶ Le sire de Saint-Vallier, pâlissant pâlit de colère, n’osant regarder ses amis, qui étaient venus là plutôt plus pour rire de lui que pour l’assister, et repartit brièvement :¶: – Merci Dieu !...., mon père, je trouverai moyen de vous récompenser !¶ Il prit sa femme par le bras ; puis, , et sans la laisser achever sa révérence au chanoine, il fit un signe à ses gens, et sortit de l’église sans dire un mot à ceux qui l’avaient accompagné. Son silence avait quelque chose de farouche.¶ Impatient d’être au logis, et préoccupé des moyens de découvrir la vérité, il se mit en marche à travers les rues tortueuses qui, à cette époque, séparaient alors la cathédraleCathédrale du portail de la chancellerieChancellerie, où s’élevait le bel hôtel, alors récemment bâti par le chancelier Juvénal des Ursins, sur l’emplacement d’une ancienne fortification que Charles VII avait donnée à ce fidèle serviteur, en récompense de ses glorieux labeurs.¶ Là commençait une rue, nommée, depuis lors, de la Scéellerie, en mémoire des sceaux qui y furent long-temps. Elle joignait le vieux Tours au bourg de Châteauneuf, où se trouvait la célèbre abbaye de SaintMartin, dont tant de rois furent simples chanoines.¶ Depuis cent ans, et après de longues discussions, ce bourg avait été réuni à la ville. Beaucoup des de rues adjacentes à celle de la Scéellerie, et qui forment aujourd’hui le centre du Tours moderne, étaient déjà construites ; mais les plus beaux hôtels, et notamment celui du trésorier Xancoings, maison qui subsiste encore dans la rue du Commerce, étaient situés dans la commune de Châteauneuf.¶ Ce fut par là que les porte-flambeaux du sire de Saint-Vallier le guidèrent vers la partie du bourg qui avoisinait la Loire. Il ; il suivait machinalement ses gens, en lançant de temps à autre en temps un coup d’œil sombre à sa femme et au page, en tâchant de pour surprendre entre eux un regard d’intelligence qui jetât quelque lumière sur le singulier événement dont il était stupéfait et désespéré.¶cette rencontre désespérante. Enfin il , le comte arriva dans la rue du Mûrier, où son logis était situé. Lorsque tout le son cortége fut entré, que la lourde porte fut fermée, un profond silence régna dans cette petite rue étroite, où logeaient alors quelques seigneurs ;, car ce nouveau quartier de la ville étant le plus rapproché du avoisinait le Plessis, séjour habituel du roi.¶, chez qui les courtisans pouvaient aller en un moment. La dernière maison de cette rue était aussi la dernière de la ville, et appartenait à maître Cornélius Hoogworst, vieux négociant brabançon, auquel à qui le roi Louis Xl XI accordait toute sa confiance pour dans les transactions financières que sa politique astucieuse l’obligeait à faire au- dehors du royaume.¶ Par des raisons toutes favorables à la tyrannie qu’il exerçait sur sa femme, le comte de Saint-Vallier s’était jadis établi dans un hôtel contigu au logis de ce maître Cornélius ; et la . La topographie des lieux expliquera les bénéfices que cette situation pouvait offrir à un jaloux.¶ En effet, la La maison du comte, nommée l’hôtel de Poitiers, avait un jardin bordé au nord par le mur et le fossé qui servaient d’enceinte à l’ancien bourg de Châteauneuf, et prèsle long desquels passait la levée récemment construite par Louis XI entre Tours et le Plessis. Or, de De ce côté, des chiens défendaient l’accès du logis. Puis, qu’une grande cour le séparait, à gauchel’est, des maisons voisines ; alors, il n’avait de contact qu’avec le , et qui à l’ouest se trouvait adossé au logis de ce maître Cornélius, auquel il se trouvait adossé par son flanc droit.¶ Ainsi, la maison . La façade de la rue avait l’exposition du midi. Isolé de trois côtés, l’hôtel du défiant et rusé seigneur, isolée de trois côtés, ne pouvait donc être nuitamment envahieenvahi que par les habitanshabitants de la maison brabançonne, dont les combles et les chéneaux de pierre se mariaient à ceux de l’hôtel de Poitiers.¶ Sur la rue, toutes les fenêtres de la façade, étroites et découpées dans la pierre, étaient, suivant l’usage de ce temps, garnies de barreaux en fer ; etpuis la porte, basse et voûtée comme les portesle guichet de nos plus vieilles prisons, avait une solidité à toute épreuve. Un banc de pierre, qui servait de montoir, se trouvait près du porche.¶ En voyant le profil des logis occupés par maître Cornélius et par le comte de Poitiers, il était facile de croire que les deux maisons avaient été bâties par le même architecte, et destinées à des tyrans.¶ Toutes deux, d’aspect sinistre, ressemblaient à de petites forteresses, et pouvaient être long-temps défendues avec avantage contre une populace furieuse. LesLeurs angles en étaient protégés par des tourelles semblables à celles que les amateurs d’antiquités remarquent dans certaines villes où le marteau des démolisseurs n’a pas encore passé.pénétré. Les baies, ayant qui avaient peu de largeur, permettaient de donner une force de résistance prodigieuse aux volets ferrés et aux portes. Les émeutes et les guerres civiles, si fréquentes en ces temps de discorde, justifiaient amplement toutes ces précautions.¶ Lorsque six heures sonnèrent au clocher de l’abbaye Saint-Martin, le gentilhomme l’amoureux de la comtesse passa devant l’hôtel de Poitiers, et s’y arrêta pendant un moment. Il , et entendit dans la salle basse le bruit que faisaient les gens du comte en soupant ; et, après. Après avoir jeté un regard sur la chambre où il présumait que devait être sa dame, il alla vers la porte du logis voisin.¶ Partout, sur son chemin, le jeune seigneur avait entendu les accens joyeux accents des repas faits, dans les maisons de la ville, en l’honneur de la fête. Toutes les fenêtres, mal jointes, laissaient passer des rayons de lumière ;, les cheminées fumaient ; et les bonnes odeurs, et la bonne odeur des rôtisseries pénétraient danségayait les rues. L’office achevé, la ville entière se rigolait, et poussait des murmures que l’imagination comprend mieux que la parole ne les peint. Mais, en cet endroit, régnait un profond silence. Il y avait , car dans ces deux logis vivaient deux passions qui ne se réjouissent jamais. Audelà les campagnes se taisaient ; etpuis là, sous l’ombre des clochers de l’abbaye SaintMartin, ces deux maisons, muettes aussi, séparées des autres, et situées dans le bout le plus tortueux de la rue, ressemblaient à une léproserie. Le logis qui leur faisait face, appartenant à des criminels d’étatd’État, était sous un le séquestre.¶ Un jeune homme devait être facilement impressionné par ce subit contraste ; aussi. Aussi, sur le point de se lancer dans une entreprise horriblement hasardeuse, le gentilhomme resta-t-il pensif devant la maison du Lombard, en se rappelant tous les contes dont que fournissait la vie de maître Cornélius était le sujet, et qui avaient causé le singulier effroi de la comtesse.¶ A cette époque, un homme de guerre, et même un amoureux, tout tremblait au mot de magie ; car, alors, il . Il se rencontrait alors peu d’imaginations incrédules pour les faits bizarres, ou froides aux récits merveilleux ; et l’amant. L’amant de la comtesse de Saint-Vallier, une des filles que Louis XI avait eues de madame de Sassenage, en Dauphiné, tout quelque hardi qu’il pût être, devait y regarder à deux fois au moment d’entrer dans une maison ensorcellée.¶ensorcelée.¶ L’histoire de maître Cornélius Hoogworst expliquera complétement la sécurité que le Lombard avait inspirée au sire de Saint-Vallier, la terreur manifestée par la comtesse, et l’hésitation qui arrêtait l’amant ; mais. Mais, pour faire comprendre entièrement à des lecteurs du dix-neuvième siècle, comment des événemensévénements assez vulgaires en apparence étaient devenus surnaturels, et pour leur faire partager les frayeurs du vieux temps, il est nécessaire d’interrompre légèrement cette histoire pour jeter un rapide coup d’œil sur les aventures de maître Cornélius.¶ II. LE TORÇONNIER.¶ CORNÉLIUS HOOGWORSTCornélius Hoogworst, l’un des plus riches commerçans commerçants de Gand, s’étant attiré l’inimitié de Charles, duc de Bourgogne, avait trouvé asile et protection à la cour de Louis XI.¶ Le roi, concevant tout le parti sentit les avantages qu’il pouvait tirer d’un homme lié avec les principales maisons de Flandre, de Venise et du Levant, avait anobli, naturalisé, et même flattéil anoblit, naturalisa, flatta maître Cornélius, ce qui arrivait rarement à Louis XI. Le monarque plaisait, d’ailleurs, au Flamand, autant que le Flamand plaisait au monarque. Tous deux rusés, défiansRusés, défiants, avares ; également politiques, également instruits ; supérieurs tous deux à leur époque, ils tous deux se comprenaient à merveille ; ils quittaient et reprenaient avec une même facilité, l’un, sa conscience, l’autre, sa dévotion ; ils aimaient la même Vierge ;vierge, l’un par conviction, l’autre par flatterie ; enfin, s’il fallait en croire les propos jaloux d’Olivier le Daim et de Tristan, le roi allait se divertir dans la maison du Lombard, mais comme se divertissait Louis XI. L’histoire a pris soin de nous transmettre les goûts licencieux de ce monarque, auquel la débauche ne déplaisait pas ; et le . Le vieux Brabançon trouvait sans doute joie et profit à se prêter aux capricieux plaisirs de son royal client.¶ Cornélius habitait la ville de Tours depuis neuf ans ; et pendant. Pendant ces neuf années, il s’était passé chez lui des événemensévénements extraordinaires qui l’avaient rendu l’objet de l’exécration générale. En arrivant, il dépensa dans sa maison des sommes assez considérables pour y afin de mettre ses trésors en sûreté. Les inventions que les serruriers de la ville exécutèrent secrètement pour lui, les précautions bizarres qu’il avait prises pour les amener dans son logis de manière à s’assurer forcément de leur discrétion, furent pendant long-temps le sujet de mille contes merveilleux qui charmèrent les veillées de Touraine. Les singuliers artifices du vieillard le faisaient supposer possesseur de richesses orientales. Aussi les narrateurs de ce pays, la patrie du conte en France, bâtissaient -ils des chambres d’or et de pierreries chez le Flamand, et ne manquaient passans manquer d’attribuer à des pactes magiques la source de cette immense fortune.¶ Maître Cornélius avait amené jadis avec lui deux valets flamands, une vieille femme, plus un jeune apprenti de figure douce et prévenante. Ce ; ce jeune homme lui servait de secrétaire, de caissier, de factotum et de courrier.¶ Dans la première année de son établissement à Tours, un vol considérable eut lieu chez lui. Les enquêtes judiciaires prouvèrent que le crime avait été commis par un habitant de la maison. Là-dessus, le Le vieil avare fit mettre en prison ses deux valets et son commis.¶ Le jeune homme était faible, il périt dans les souffrances de la question, tout en protestant de son innocence.¶ Les deux valets avouèrent le crime pour éviter les tortures ; mais quand le juge leur demanda où étaientse trouvaient les sommes volées, ils gardèrent le silence, furent réappliqués à la question, jugés, condamnés, et pendus. En allant à l’échafaud, ils persistèrent à se dire innocensinnocents, suivant l’habitude de tous les pendus.¶ La ville de Tours s’entretint longtemps de cette singulière affaire ; mais comme c’. Les criminels étaient des Flamands, l’intérêt que ces malheureux et que le jeune commis avaient excité s’évanouit donc promptement ; car . En ce temps-là les guerres et les séditions de ce temps-là fournissaient des émotions perpétuelles, et le drame du jour faisait pâlir celui de la veille.¶ Plus chagrin de la perte énorme qu’il avait éprouvée que de la mort de ses trois domestiques, maître Cornélius resta seul avec la vieille Flamande flamande qui était sa sœur. Il obtint du roi la faveur de se servir des courriers de l’État pour ses affaires particulières, mit ses mules chez un muletier du voisinage, et vécut, dès ce moment, dans la plus profonde solitude, ne voyant guère que le roi, faisant son commerce par le canal des juifs, habiles calculateurs, qui le servaient fidèlement, afin d’obtenir sa toute-puissante protection.¶ Cependant, quelque Quelque temps après cette aventure, le roi procura lui-même à son vieux torçonnier ( I )1 (Louis XI appelait ainsi familièrement maître Cornélius) un jeune orphelin, auquel il portait beaucoup d’intérêt. Louis XI appelait familièrement maître Cornélius de ce vieux nom, qui sous le règne de saint Louis, signifiait un usurier, un collecteur d’impôts, un homme qui pressurait le monde par des moyens violents. L’épithète tortionnaire, restée au Palais, explique assez bien le mot torçonnier qui se trouve souvent écrit tortionneur. Le pauvre enfant s’adonna soigneusement aux affaires du Lombard, sut lui plaire, et gagna ses bonnes grâces. Mais, pendantPendant une nuit d’hiver, les diamansdiamants déposés entre les mains de Cornélius par le roi d’Angleterre, pour la sûreté d’une somme de cent mille écus, ayant été furent volés, et les soupçons tombèrent sur l’orphelin. ; Louis XI se montra d’autant plus sévère pour lui, qu’il avait répondu de sa fidélité. Aussi le malheureux fut-il pendu, après une interrogationun interrogatoire assez sommairement faite fait par le grand -prévôt.¶ Personne n’osait aller apprendre l’art de la banque et le change chez maître Cornélius. Cependant, deux jeunes gens de la ville, Tourangeaux pleins d’honneur et désireux de fortune, y entrèrent successivement. Des vols considérables coïncidèrent avec l’admission des deux jeunes gens dans la maison du torçonnier ; et les circonstances dont de ces crimes furent accompagnés, la manière dont ils furent exécutés, prouvaient siprouvèrent clairement que les auteurs voleurs avaient des intelligences secrètes avec les habitanshabitants du logis, qu’il était ; il fut impossible de ne pas en accuser les nouveaux- venus. Le Brabançon, étant devenuDevenu de plus en plus soupçonneux et vindicatif, le Brabançon déféra sur-le-champ la connaissance de ce fait à Louis XI, qui chargea son grand prevôt-prévôt de ces affaires ; et chaque. Chaque procès fut promptement instruit, et plus promptement terminé.¶ Le patriotisme des Tourangeaux donna secrètement tort à la promptitude de Tristan. Coupables ou non, les deux jeunes gens passèrent pour des victimes, et Cornélius pour un bourreau. Les deux familles en deuil étaient estimées ;, leurs plaintes furent écoutées ; et, de conjectures en conjectures, elles parvinrent à faire croire à l’innocence de tous ceux que l’argentier du roi avait envoyés à la ( I ) Torçonnier. Ce vieux mot signifiait, sous le règne de Saint-Louis, un usurier, un collecteur d’impôts, un homme qui vous pressure par des moyens violens. L’épithète tortionnaire, restée au palais, explique assez bien le mot torçonnier qui se trouve souvent écrit ainsi : tortionneur.¶ 1 potence.¶ Les uns prétendaient que le cruel avare, imitant imitait le roi, qu’il essayait de mettre la terreur et les gibets entre le monde et lui ; qu’il n’avait jamais été volé ; que ces tristes exécutions étaient le résultat d’un froid calcul, et qu’il voulait être sans crainte pour ses trésors. Le premier effet de ces rumeurs populaires fut d’isoler Cornélius. Les ; les Tourangeaux le traitèrent comme un pestiféré ;, l’appelèrent le tortionnaire ; , et nommèrent son logis la Malemaison ; et, quand. Quand même le Lombard aurait pu trouver des étrangers assez hardis pour entrer chez lui, tous les habitanshabitants de la ville les en eussent empêchés par leurs dires.¶ L’opinion la plus favorable à maître Cornélius était celle des gens qui le regardaient comme un homme funeste. Il inspirait aux uns une terreur instinctive ; aux autres, il imprimait ce respect profond que l’on porte à un pouvoir sans bornes ou à l’argent ; pour plusieurs personnes, il avait tout l’attrait du mystère. Son genre de vie, sa physionomie, et la faveur du roi, justifiaient tous les contes dont il était devenu le sujet. Cornélius voyageait assez souvent en pays étrangers, depuis la mort de son persécuteur le duc de Bourgogne ; or, pendant son absence, le roi faisait garder le logis du banquier par des hommes de sa compagnie écossaise. Cette royale sollicitude faisait présumer aux courtisans que le vieillard avait légué sa fortune à Louis XI.¶ Comme il Le torçonnier sortait très -peu, les seigneurs de la cour lui rendaient de fréquentes visites ; il leur prêtait assez libéralement de l’argent ;, mais il était fantasque : à certains jours il ne leur aurait pas donné un sou parisis ; le lendemain, il vous leur offrait des sommes immenses, moyennant toutefois un bon intérêt et de grandes sûretés.¶ Du reste, il était bon Bon catholique, d’ailleurs, il allait régulièrement aux offices, mais il venait à Saint-Martin de très -bonne heure ; et comme il y avait acheté une chapelle à perpétuité, là, comme ailleurs, il était séparé des autres chrétiens. Enfin un proverbe populaire de cette époque, et qui subsista long-temps à Tours, était cette phrase : – Vous avez passé devant le Lombard, il vous arrivera malheur.¶ – Vous avez passé devant le Lombard !.... expliquait les maux soudains, les tristesses involontaires et les mauvaises chances de fortune. Même à la cour, on attribuait à Cornélius cette fatale influence que les superstitions italienne, espagnole et asiatique, ont nommée le mauvais œil. Sans le pouvoir terrible de Louis XI qui s’était étendu comme un manteau sur cette maison, à la moindre occasion le peuple eût démoli la Malemaison de la rue du Mûrier..... Et c’était pourtant chez Cornélius que les premiers mûriers plantés à Tours avaient été mis en terre ; alors et les Tourangeaux le regardèrent alors comme un bon génie. Comptez donc sur la faveur populaire !....¶? Quelques seigneurs ayant rencontré maître Cornélius hors de France, furent surpris de sa bonne humeur. A Tours, il était toujours sombre et rêveur ; mais il y revenait toujours. Une inexplicable puissance le ramenait à sa noire maison de la rue du Mûrier. Semblable au colimaçon, dont la vie est si fortement unie à celle de sa coquille, il avouait au roi qu’il ne se trouvait bien que sous les pierres vermiculées et sous les verrous de sa petite bastille, tout en sachant que, Louis XI mort, ce lieu serait pour lui le plus dangereux de la terre.¶ – Le diable s’amuse aux dépens de notre compère le torçonnier !...., dit Louis XI à son barbier quelques jours avant la fête de la Toussaint. Il se plaint encore d’avoir été volé..... Mais il ne peut plus pendre personne, à moins qu’il ne se pende lui-même.... Ce vieux truand n’est-il pas venu me demander si je n’avais pas emporté hier par mégarde une chaîne de rubis qu’il voulait me vendre ?.... – Pasques Dieu !.... je ne vole pas ce que je puis prendre....., lui ai-je dit.¶ – Et il a eu peur ?.... fit le barbier.¶ – Les avares n’ont peur que d’une seule chose, répondit le roi..... et mon Mon compère le torçonnier sait bien que je ne le dépouillerai pas.....¶ sans raison, autrement je serais injuste, et je n’ai jamais rien fait que de juste et de nécessaire. – Cependant le vieux malandrin vous surfait !...., reprit le barbier.¶ – Tu voudrais bien que ce fût vrai....., hein ? dit le roi en jetant un malicieux regard au barbier.¶ – Ventre Mahom !...., sire, la succession serait belle à partager entre vous et le diable !....¶. – Assez...., fit le roi ; ne . Ne me donne pas de mauvaises idées. Mon compère est un homme plus fidèle que tous ceux dont j’ai fait la fortune ;, parce qu’il ne me doit rien, peut-être !...¶ Or donc, depuisDepuis deux ans, maître Cornélius vivait donc seul avec sa vieille sœur, qui passait pour sorcière. Un tailleur du voisinage prétendait l’avoir souvent vue, pendant la nuit, attendant sur les toits l’heure d’aller au sabbat. Ce fait semblait d’autant plus extraordinaire que le vieil avare enfermait sa sœur dans une chambre dont les fenêtres étaient garnies de barreaux de fer.¶ En vieillissant, Cornélius, toujours volé, craignant toujours prêt à d’être dupé par les hommes, les avait tous pris en haine, saufexcepté le roi, qu’il estimait beaucoup. Alors, il Il était tombé dans une excessive misanthropie ; et, , mais comme chez la plupart des avares, sa passion pour l’or, l’assimilation de ce métal avec sa substance avait été de plus en plus intime, et croissait d’intensité par l’âge. Sa sœur elle-même excitait ses soupçons ; et cependant, elle était, quoiqu’elle fût peut-être plus avare et plus économe que son frère, qu’elle surpassait en inventions de ladrerie. Aussi leur existence avait-elle quelque chose de problématique et de mystérieux. La vieille femme prenait si rarement du pain chez le boulanger, elle apparaissait si peu au marché, que les observateurs les moins crédules avaient fini par attribuer à ces deux êtres bizarres la connaissance de quelque secret de vie. Ceux qui se mêlaient d’alchimie disaient que maître Cornélius savait faire de l’or. Les savanssavants prétendaient qu’il avait trouvé la panacée universelle. C’était un être chimérique Cornélius était pour beaucoup de campagnards, auxquels les gens de la ville en parlaient ;, un être chimérique, et plusieurs d’entre eux venaient voir la façade de son hôtel par curiosité.¶ Assis sur le banc du logis qui faisait face à celui de maître Cornélius, le gentilhomme regardait tour à tour l’hôtel de Poitiers et la Malemaison. La ; la lune en bordait toutes les saillies de sa lueur, colorantet colorait par des mélanges d’ombre et de lumière les creux et les reliefs de la sculpture ; et les . Les caprices de cette lueur blanche prêtaient donnaient une physionomie sinistre à ces deux édifices. Il ; il semblait que la nature elle-même se prêtât aux superstitions qui planaient sur cette demeure.¶ Le jeune homme se rappela successivement toutes les traditions qui rendaient Cornélius un personnage tout à la fois curieux et redoutable ; et, quoique. Quoique décidé, par la violence de son amour, à entrer dans cette maison, à y demeurer le temps nécessaire pour l’accomplissement de ses projets, il hésitait à risquer cette dernière démarche, tout en sachant, qu’il allait la faire. Mais qui, dans les crises de sa vie, n’aime pas à écouter les pressentimens, etpressentiments, à se balancer sur les abîmes de l’avenir ? En amant digne d’aimer, le jeune homme craignait, chose étrange ! de mourir sans avoir été reçu à merci d’amour par la comtesse.¶ Cette délibération secrète était si cruellement intéressante, qu’il ne sentait pas le froid sifflant dans ses jambes et dans sur les saillies des maisons. En entrant chez Cornélius, il devait se dépouiller de son nom, de même qu’il avait déjà quitté ses beaux vêtemensvêtements de noble. Il lui était interdit, en cas de malheur, de réclamer les priviléges de sa naissance ou la protection de ses amis, à moins de perdre sans retour la comtesse de Saint-Vallier ; car, en soupçonnant. S’il soupçonnait la visite nocturne d’un amant, ce vieux seigneur était capable de la faire périr à petit feu dans une cage de fer, de la tuer tous les jours au fond de quelque château fort. En regardant les vêtemensvêtements misérables sous lesquels il s’était déguisé, le gentilhomme eut honte de lui-même : à . A voir sa ceinture de cuir noir, ses gros souliers, ses chausses drapées, son haut- de-chaussechausses de tiretaine et son justaucorps de laine grise, il ressemblait au clerc du plus pauvre sergent de justice. Pour un noble du quinzième siècle, c’était déjà la mort que de jouer le rôle d’un bourgeois sans sou ni maille, et de renoncer aux priviléges du rang.¶ Mais grimper sur le toit de l’hôtel où pleurait sa maîtresse ;, descendre par la cheminée ou courir sur les galeries ;, et, de gouttière en gouttière, parvenir jusqu’à la fenêtre de sa chambre ; risquer sa vie pour être près d’elle sur un coussin de soie, devant un bon feu, pendant le sommeil d’un sinistre mari, dont les ronflemensronflements redoubleraient leur joie ; défier le ciel et la terre en se donnant le plus audacieux de tous les baisers..... ; ne pas dire une parole qui ne pût être suivie de la mort, ou, tout au moins, d’un sanglant combat !... Ces ; toutes ces voluptueuses images, et les romanesques dangers de cette entreprise, décidèrent le jeune homme. Plus léger devait être le prix de ses soins, et ne pût-il même que baiser encore une fois la main de la comtesse, plus promptement il se résolut à tout tenter, poussé par l’esprit chevaleresque et passionné de cette époque. Puis, il ne supposa paspoint que la comtesse osât lui refuser le plus doux plaisir de l’amour au milieu de dangers si mortels. Cette aventure était trop périlleuse, trop impossible pour n’être pas tentée.¶achevée.¶ En ce moment, toutes les cloches de la ville sonnèrent l’heure du couvre-feu, loi tombée en désuétude, mais dont la formel’observance subsistait dans les provinces, où tout s’abolit si lentement. SiQuoique les lumières ne s’éteignirents’éteignissent pas, les chefs de quartier firent tendre les chaînes des rues. Beaucoup de portes se fermèrent ;, les pas de quelques bourgeois attardés, marchant en troupe avec leurs valets armés jusqu’aux dents et portant des fallotsfalots, retentirent dans le lointain. Puis ; puis, bientôt, la ville, en quelque sorte garrottée, parut s’endormir, et ne craignit plus les attaques des malfaiteurs que par les ses toits. A cette époque, les combles des maisons étaient une voie très -fréquentée pendant la nuit. Les rues avaient si peu de largeur, en province et même à Paris, que les voleurs sautaient d’un bord à l’autre. Ce périlleux métier servit long-temps de divertissement au roi Charles IX dans sa jeunesse, s’il faut en croire les mémoires du temps.¶ Ne voulant pas Craignant de se présenter trop tard à maître Cornélius, le gentilhomme allait quitter sa place pour heurter à la porte de la Malemaison, lorsqu’en la regardant, son attention fut excitée par une sorte de vision que les écrivains du temps eussent appelée cornue. Il se frotta les yeux comme pour s’éclaircir la vue, et mille sentimenssentiments divers passèrent dans son âme, à cet aspect.¶ De chaque côté de cette porte, se trouvait une figure encadrée entre les deux barreaux d’une espèce de meurtrière. Il avait pris d’abord ces deux visages pour des masques grotesques sculptés dans la pierre ;, tant ils étaient ridés, anguleux, contournés, saillanssaillants, immobiles, de couleur tannée, c’est-à-dire bruns ; mais le froid et la lueur de la lune lui permirent de distinguer le léger nuage blanc que la respiration faisait sortir des deux nez violâtres ; puis, il finit par voir, dans chaque figure creuse, sous l’ombre des sourcils, deux yeux d’un bleu faïence, qui jetaient un feu clair, et ressemblaient à ceux d’un loup couché dans la feuillée, et qui croit entendre les cris d’une meute. La lueur inquiète de ces yeux était dirigée sur lui si fixement, qu’après l’avoir reçue pendant le moment où il examina ce singulier spectacle, il se trouva comme un oiseau surpris par des chiens à l’arrêt. Il , il se fit dans son âme un mouvement fébrile, mais promptement réprimé. Ces deux visages, tendus et soupçonneux, étaient sans doute ceux de Cornélius et de sa sœur. Alors le gentilhomme feignit de regarder où il était, de chercher à distinguer un logis indiqué sur une carte qu’il tira de sa poche, en essayant de la lire aux clartés de la lune ; puis, il alla droit à la porte du torçonnier, et y frappa trois coups qui retentirent au- dedans de la maison, comme si c’eût été l’entrée d’une cave.¶ Une faible lumière passa sous le porche ;, et, par une petite grille extrêmement forte, un œil vint à briller.¶ – Qui va là ?...¶?¶ – Un ami envoyé par Oosterlinck de Bruges.....¶ – Que demandez-vous ?...¶?¶ – A entrer.....¶ – Votre nom ?¶ – Philippe Goulenoire.¶ – AvezAyez-vous des lettres de créance ?¶ – Les voici !¶ – Passez-les par le tronc.....¶ – Où est-il ?...¶?¶ – A gauche.¶ Philippe Goulenoire jeta la lettre par la fente d’un tronc en fer, au-dessus de laquelle se trouvait une meurtrière.¶ – Diable ! pensa-t-il, on voit que le roi est venu ici..... Il y a tout, car il s’y trouve autant de précautions qu’qu’il en a pris au Plessis !¶ Il attendit environ un quart d’heure dans la rue ; et, ce . Ce laps de temps écoulé, il entendit Cornélius qui disait à sa sœur :¶. – Ferme les chausse-trapes de la porte.¶ Un cliquetis de chaînes et de fer retentit sous le portail ; puis. Philippe entendit les verrous aller, les serrures gronder ; enfin une petite porte basse, garnie de fer, s’ouvrit de manière à décrire l’angle le plus aigu par lequel un homme mince pût passer ; et Philippe, au. Au risque de déchirer ses vêtemens,vêtements, Philippe se glissa plutôt qu’il n’entra dans la Malemaison. Une vieille Fille fille édentée, à visage de rebec, dont les sourcils ressemblaient à deux anses de chaudron, qui n’aurait pas pu mettre une noisette entre son nez et son menton crochu ; fille pâle et hâve, creusée des tempes, et qui semblait être composée seulement d’os et de nerfs, le guida silencieusement le soi-disant étranger dans une salle basse, tandis que Cornélius le suivait prudemment par derrière.¶ – Asseyez-vous là, dit-elle à Philippe en lui montrant un escabeau à trois pieds, placé au coin d’une grande cheminée en pierre sculptée, mais dont l’âtre, propre et peu noire, n’avait pas de feu.¶ De l’autre côté de cette cheminée, était une table de noyer, à pieds contournés, sur laquelle se trouvait un œuf dans une assiette, et dix ou douze petites mouillettes dures et sèches, coupées avec une studieuse parcimonie. Deux escabelles, sur l’une desquelles s’assit la vieille, annonçaient que les avares étaient en train de souper. Cornélius alla pousser deux volets de fer pour fermer sans doute les judas par lesquels il avait regardé si long-temps dans la rue, et vint reprendre sa place.¶ Alors le Le prétendu Philippe Goulenoire vit alors le frère et la sœur tremper trempant dans cet œuf, à tour de rôle, avec gravité, mais avec la même précision que les soldats mettent à plonger en temps égaux la cuiller dans la gamelle, leurs mouillettes respectives, qu’ils teignaient à peine, afin de combiner la durée de l’œuf avec le nombre des mouillettes. Ce manége se faisait en silence ; et, tout. Tout en mangeant, Cornélius examinait le faux novice avec autant de sollicitude et de perspicacité que s’il eût pesé de vieux besans.¶besants. Philippe, sentant un manteau de glace tomber sur ses épaules, était tenté de regarder autour de lui ; mais avec toute l’astuce que donne une entreprise amoureuse, il se garda bien de jeter un coup d’œil, même furtif, sur les murs ; car il comprit que si Cornélius le surprenait, il ne garderait pas un curieux en son logis. Donc, il se contentait de tenir modestement son regard tantôt sur l’œuf, tantôt sur la vieille fille ; et, parfois, il contemplait son futur maître.¶ L’argentier de Louis XI ressemblait assez à ce monarque ;, il en avait même pris certains gestes, comme il arrive assez souvent aux gens qui vivent ensemble dans une sorte d’intimité. Les sourcils épais du Flamand lui couvraient presque les yeux ; mais, en les relevant un peu, il lançait un regard lucide, pénétrant et plein de puissance, le regard des hommes habitués au silence, et auxquels le phénomène de la concentration des forces intérieures est devenu familier. Ses lèvres minces, à rides verticales, lui donnaient un air de finesse incroyable. La partie inférieure du visage avait de vagues ressemblances avec le museau des renards ; mais le front haut, bombé, tout plissé, semblait révéler de grandes et de belles qualités, une noblesse d’âme dont l’expériencel’essor avait été modéré l’essorpar l’expérience, et que les cruels enseignemensenseignements de la vie refoulaient sans doute dans les replis les plus cachés de cet être singulier. Ce n’était certes pas un avare ordinaire, et sa passion cachait sans doute de profondes jouissances, de secrètes conceptions.¶ – A quel taux se font les sequins de Venise ? demanda-t-il brusquement à son futur apprenti.¶ – Trois quarts, à Bruges ; un, à Gand.¶ – Quel est le fret sur l’Escaut ?¶ – Trois sous parisis.¶ – Il n’y a rien de nouveau à Gand ?¶ – Le frère de Liéven-d’Herde est ruiné.¶ – Ah !....¶!¶ Sur ce motAprès avoir laissé échapper cette exclamation, le vieillard se couvrit les genoux avec un pan de sa dalmatique, espèce de robe en velours noir, ouverte par devant, à grandes manches et sans collet, dont la somptueuse étoffe était toute miroitée. Ce reste du magnifique costume qu’il portait jadis comme président du tribunal des Parchons, fonctions qui lui avaient valu l’inimitié du duc de Bourgogne, n’était plus alors qu’un haillon.¶ Philippe n’avait plus point froid ;, il suait dans son harnais, en tremblant d’avoir à subir d’autres questions. Jusque-là les instructions sommaires qu’un juif, auquel il avait sauvé la vie, venait de lui donner la veille, suffisaient, grâce à sa mémoire et à la parfaite connaissance que le juif possédait des manières et des habitudes de Cornélius ; mais. Mais le gentilhomme qui, dans le premier feu de la conception, n’avait douté de rien, commençait à entrevoir toutes les difficultés de son entreprise. La gravité solennelle, le sang-froid du terrible Flamand, agissaient sur lui ; puis. Puis, il se sentait sous les verrous, et voyait toutes les cordes du grand-prévôt aux ordres de maître Cornélius.....¶ – Avez-vous soupé ?.... demanda l’argentier d’un ton qui signifiait : Ne soupez pas !¶ Cependant, malgréMalgré l’accent de son frère, la vieille fille tressaillit ;, elle regarda ce jeune commensal, comme pour jauger la capacité de cet estomac qu’il lui faudrait satisfaire, et dit alors avec un faux sourire :¶: – Vous n’avez pas volé votre nom, car vous avez des cheveux et des moustaches plus noirs que la queue du diable.....¶ !...¶ – J’ai soupé !...., répondit-il.¶ – EhEh ! bien !, reprit l’avare, vous reviendrez me voir demain..... Il y a long-temps que Depuis longtemps je suis habitué à me passer d’un apprenti, et. D’ailleurs, la nuit me portera conseil.¶ – Eh ! par saint Bavon, monsieur, je suis Flamand ;, je ne connais personne ici ;, les chaînes sont tendues ;, je vais être mis en prison ; mais..... cependant, . Cependant, ajouta-t-il, effrayé de la vivacité qu’il mettait dans ses paroles, si cela vous convient, je vais.... sortir.¶ Le juron influença singulièrement le vieux Flamand.¶ – Allons, allons, par saint Bavon, vous coucherez ici.....¶ – Mais....., dit la sœur effrayée.....¶ – Tais-toi....., répliqua Cornélius. Par sa lettre, Oosterlinck me répond de ce jeune homme.¶ – N’avons-nous pas, lui dit-il à l’oreille en se penchant vers sa sœur, cent mille livres à Oosterlinck ?.... C’est une caution cela !....¶!¶ – Et s’il te vole les joyaux de Bavière..... ? Tiens, il ressemble mieux à un voleur qu’à un Flamand.....¶ – Chut ! ..., fit le vieillard en prêtant l’oreille. Et les.¶ Les deux avares écoutèrent.¶ Insensiblement, et un moment après le chut, un bruit produit par les pas de quelques hommes retentit dans le lointain, de l’autre côté des fossés de la ville.¶ – C’est la ronde du Plessis !...., dit la sœur.¶ – Allons, donne-moi la clef de la chambre aux apprentis....., reprit Cornélius.¶ La vieille fille fit un geste pour prendre la lampe.¶ – Vas-tu nous laisser seuls sans lumière ?.... cria Cornélius d’un son de voix intelligent. Tu ne sais pas encore à ton âge te passer d’y voir..... Est-ceil donc si difficile de prendre cette clef ?....¶?¶ La vieille comprit le sens caché sous ces paroles, et sortit.¶ En regardant cette singulière créature au moment où elle gagnait la porte, Philippe Goulenoire put dérober à son maître le coup d’œil qu’il jeta furtivement sur cette salle. Elle était lambrissée en chêne à hauteur d’appui, et les murs étaient tapissés d’un cuir jaune orné d’arabesques noires ; mais ce qui le frappa le plus, fut un pistolet à mèche, garni de son long poignard à détente. Cette arme nouvelle et terrible se trouvait près de Cornélius.¶ – Comment comptez-vous gagner votre vie ?.... lui demanda le torçonnier.¶ – J’ai peu d’argent, répondit Goulenoire ;, mais je connais de bonnes rubriques, et si. Si vous voulez seulement me donner un sou sur chaque marc que je vous ferai gagner, je serai content.¶ – Un sou !...., un sou !.... répéta l’avare, mais c’est beaucoup !....¶ Là-dessus la vieille sibylle rentra.¶ – Viens !...., dit Cornélius à Philippe.¶ Ils sortirent sous le porche et montèrent une vis en pierre, dont la cage ronde se trouvait à côté de la salle basse, dans une haute tourelle.¶ Au premier étage, le jeune homme s’arrêta.¶ – Nenni !...., dit Cornélius. Diable !.... c’est ici ce pourpris est le gîte où le roi prend ses ébats.¶ Enfin, au sommet de la tour où la visL’architecte avait été construite, sous un toit pointu, pratiqué le logement de l’apprenti, sous le toit pointu de la tour où se trouvait la vis ; c’était une petite chambre ronde, tout en pierre, froide, et sans ornement, avait été pratiqué par l’architecte. La . Cette tour occupait le milieu de la façade qui donnaitsituée sur la cour ; et, comme cour qui, semblable à toutes les cours de province, elle était étroite, et sombre, et au . Au fond l’on apercevait, à travers des arcades grillées, se voyait un jardin chétif, où il n’y avait que des arbres.¶mûriers soignés sans doute par Cornélius. Le gentilhomme remarqua tout par les jours de la vis, à la lueur de la lune qui, jetait heureusement, jetait une assez vive lumière.¶ Un grabat, une escabelle, une cruche et un bahut disjoint, composaient l’ameublement de cette espèce de loge. Elle ne recevait de Le jour n’y venait que par de petites baies carrées, disposées de distance en distance autour du cordon extérieur de la tour, et qui formaient sans doute des ornemensornements, suivant le caractère de cette gracieuse architecture.¶ – Voilà votre logis, il est simple, il est solide. Il y a , il renferme tout ce qu’il faut pour dormir. – Bonsoir ! n’en sortez pas comme les autres.....¶ Ayant dit, Cornélius, aprèsAprès avoir lancé sur son apprenti un dernier regard, empreint de mille pensées, Cornélius ferma la porte à double tour, en emporta la clef, et descendit, en laissant le gentilhomme aussi sot qu’un fondeur de cloches qui ne trouve rien en dans son moule.¶ Seul, sans lumière, assis sur une escabelle, et dans ce petit grenier, d’où ses quatre prédécesseurs n’étaient sortis que pour aller à l’échafaud, le gentilhomme se vit comme une bête fauve prise dans un sac. Il sauta sur l’escabeau, se dressa de toute sa hauteur pour atteindre aux petites ouvertures supérieures, d’où tombait un jour blanchâtre ; il y atteignit ; il aperçut la Loire, les beaux coteaux de Saint-Cyr, et les sombres merveilles du Plessis, où brillaient deux ou trois lumières dans les enfoncemensenfoncements de quelques croisées ; puis, au loin, s’étendaient les belles campagnes de la Touraine, et les nappes argentées du de son fleuve. Les moindres accidensaccidents de lacette jolie nature avaient alors une grâce inconnue ;: les vitraux, les eaux, le faîte des maisons, reluisaient comme des pierreries aux clartés tremblantes de la lune, qui déployait tous ses prestiges....¶. L’âme du jeune seigneur ne put se défendre d’une émotion douce et triste... – Si c’était un adieu !.. se dit-il.¶ Il resta là, savourant déjà les terribles émotions que son aventure lui avait promises, et se livrant à toutes les craintes du prisonnier quand il conserve une lueur d’espérance. Sa maîtresse s’embellissait à chaque difficulté. Ce n’était plus une femme pour lui, mais un être surnaturel entrevu à travers les brasiers du désir.¶ Un faible cri qu’il crut avoir été jeté dans l’hôtel de Poitiers le rendit à lui-même et à sa véritable situation.¶ En se remettant sur son grabat pour réfléchir à cette affaire, il entendit de légers frissonnemensfrissonnements qui retentissaient dans la vis ;, il écouta fort attentivement, et alors ces mots :¶– : – » Il se couche..... ! » prononcés par la vieille, parvinrent à son oreille.¶ Un Par un hasard, ignoré de l’architecte, faisait que le moindre bruit se répercutait dans la chambre de l’apprenti, de sorte que le faux Goulenoire ne perdit pas un seul des mouvemensmouvements de l’avare et de sa sœur qui l’espionnaient. Il se déshabilla, se coucha, feignit de dormir, et employa le temps pendant lequel ses deux hôtes restèrent en observation sur les marches de l’escalier à chercher les moyens d’aller de sa prison dans l’hôtel de Poitiers.¶ Vers dix heures, Cornélius et sa sœur, persuadés que leur apprenti dormait, se retirèrent chez eux. Le gentilhomme étudia soigneusement les bruits sourds et lointains que firent les deux Flamands, et crut reconnaître la situation de leurs logemens. Ils logements ; ils devaient occuper tout le second étage. Or cet étage, commeComme dans toutes les maisons de cette époque, cet étage était pris sur le toit, d’où les fenêtrescroisées s’élevaient très ornées et correspondaient avec celles de l’édifice.tympans découpés par de riches sculptures. La toiture était bordée par une espèce de balustrade sculptée qui cachait les chéneaux destinés à conduire les eaux pluviales, que des gouttières fantastiquement disposées en figurant des gueules de crocodile rejetaient sur la rue. Le gentilhomme ayant , qui avait étudié cette topographie aussi soigneusement que l’eût fait un chat, comptait trouver un passage de la tour au toit, et pouvoir aller chez Mmemadame de Saint-Vallier par les chéneaux, en s’aidant d’une gouttière ; mais il ignorait que les jours de sa tourelle fussent si petits ;, il était impossible d’y passer. Il résolut donc de sortir sur les toits de la maison par la fenêtre de la vis qui éclairait le palier du second étage. Pour accomplir ce hardi projet, il fallait sortir de sa chambre, et Cornélius en avait pris la clef. Le Par précaution, le jeune seigneur s’était armé, par précaution, d’un de ces poignards avec lesquels on donnait jadis le coup de grâce dans les duels à mort, quand l’adversaire vous suppliait de l’achever. Cette arme horrible avait un côté de la lame affilé comme l’est celle d’un rasoir, et l’autre dentelé comme une scie, mais dentelé en sens inverse à de celui qu’il que suivait le fer en entrant dans le corps. Le gentilhomme résolut donc decompta se servir du poignard pour scier le bois de la porte autour de la serrure. Mais, heureusementHeureusement pour lui, la gâche de la serrure était fixée en dehors par quatre grosses vis. Alors, à A l’aide duda poignard, il put dévisser, non sans de grandes peines, la gâche qui le retenait prisonnier. Ayant fait, il, et posa soigneusement les vis sur le bahut ; et, vers. Vers minuit, il se trouva libre. Aussitôt il et descendit sans souliers pour afin de reconnaître les localités.¶ Ce Il ne fut pas sans un étonnement profond qu’il vit, médiocrement étonné de voir toute grande ouverte, la porte d’un corridor par lequel on entrait dans plusieurs chambres, et au bout duquel il y avaitse trouvait une fenêtre donnant sur l’espèce de vallée formée par les toits de l’hôtel de Poitiers et de la MalemaisonMalmaison qui se réunissaient là.¶ Rien ne pourrait expliquer sa joie, si ce n’est le vœu qu’il fit aussitôt à la sainte Vierge de fonder à Tours une messe en son honneur à la célèbre paroisse de l’Escrignolles.¶l’Escrignoles. Après avoir examiné les hautes et larges cheminées de l’hôtel de Poitiers, il revint sur ses pas pour prendre son poignard. Alors il ne vit pas sans un frisson mortel ; mais il aperçut en frissonnant de terreur une lumière qui éclaira vivement l’escalier ; puis, et il vit Cornélius lui-même, en dalmatique, tenant sa lampe, les yeux bien ouverts et regardant au fond du fixés sur le corridor, à l’entrée duquel il se montra comme un spectre.¶ – Ouvrir la fenêtre et sauter sur les toits, il m’entendra !... se dit le gentilhomme.¶ Et le terrible Cornélius avançait toujours... Il , il avançait comme avance l’heure de la mort pour le criminel.....¶ Dans cette extrémité, Goulenoire, servi par l’amour, retrouva toute sa présence d’esprit. Il ; il se jeta dans l’embrasure d’une porte, s’y serra vers le coin, et attendit l’avare au passage. Quand le torçonnier, qui tenait sa lampe en avant, se trouva juste dans le rumb du vent que le gentilhomme pouvait produire en soufflant, il éteignit la lumière. Cornélius grommela de vagues paroles et un juron en hollandais ; mais il retourna sur ses pas. Alors, le Le gentilhomme courut alors à sa chambre, y prit son arme, revint à la bienheureuse fenêtre, l’ouvrit doucement, et sauta sur le toit. Une fois en liberté sous le ciel dont il respira l’azur, il se sentit défaillir tant il était heureux, ou ; peut-être par suite de l’excessive agitation dans laquelle l’avait mis le danger, ou la hardiesse de l’entreprise., causait-elle son émotion, la victoire est souvent aussi périlleuse que le combat. Il s’accota sur un chéneau, tressaillant d’aise et se disant :¶: – Par quelle cheminée dévalerai-je chez elle ?....¶ Il les regardait toutes. Enfin, avecAvec un instinct donné par l’amour, il alla les tâter pour voir celle où il y avait eu du feu ; puis, quand. Quand il se fut décidé, le hardi gentilhomme enfonçaplanta son poignard dans le joint de deux pierres, y accrocha son échelle, la jeta par la bouche de la cheminée, et se hasarda, sans trembler, sur la foi de sa bonne lame, à descendre chez sa maîtresse, ignorant. Il ignorait si Saint-Vallier serait éveillé ou endormi, mais il était bien décidé à serrer la comtesse dans ses bras, dût-il en coûter la vie à deux hommes.....¶ ! Il posa doucement les pieds sur des cendres chaudes ; puis, en se baissant un peu, l’heureux amant il se baissa plus doucement encore, et vit la comtesse assise dans un fauteuil, éclairée par une . A la lueur d’une lampe, et qui, pâle de bonheur, toute palpitante, la craintive femme lui montra du doigt Saint-Vallier couché dans un lit à dix pas d’elle.... Oh ! quel Croyez que leur baiser brûlant et silencieux !... Il silencieux n’eut d’écho que dans leurs cœurs.¶ !¶ III. LE VOL DES JOYAUX DU DUC DE BAVIÈRE.¶ LE Le lendemain, sur les neuf heures du matin, au moment où Louis XI sortit de sa chapelle, après avoir entendu la messe, il trouva maître Cornélius sur son passage.¶ – Bonne chance, mon compère !...., dit-il sommairement en redressant son bonnet.¶ – Sire, je paierais bien volontiers mille écus d’or pour obtenir de vous un moment d’audience, vu que j’ai trouvé le voleur de la chaîne de rubis et de tous les joyaux de.....¶ – Voyons cela !...., dit Louis XI en sortant dans la cour du Plessis, suivi de son argentier, de CoctierCoyctier, son médecin, d’Olivier-le-Daim, et du capitaine de sa garde écossaise. Conte-moi ton affaire. Nous aurons donc encore un pendu de ta façon ?. Holà ! Tristan ?¶ Le grand-prevôt, qui se promenait de long en large dans la cour, vint à pas lents, comme un chien qui marche et se carre dans sa fidélité.¶ Le groupe s’arrêta sous un arbre. Le roi s’étant assiss’assit sur un banc, et les courtisans décrivirent un cercle devant lui, et Cornélius reprit :¶.¶ – Sire, un prétendu Flamand m’a si bien entortillé...., dit Cornélius.¶ – Il doit être bien rusé !.... dit rusé celui-là, fit Louis XI en hochant la tête.¶ – Oh ! oui, fit répondit l’argentier. Mais je ne sais s’il ne vous engluerait pas vous-même. Comment pouvais-je me défier d’un pauvre hère qui m’était recommandé par Oosterlinck, un homme à qui j’ai cent mille livres ! aussi, je Aussi, gagerais -je que le seing du juif est contrefait. Bref, sire, ce matin je me suis trouvé dénué de ces joyaux que vous avez admirés, tant ils étaient beaux. Ils m’ont été emblés, sire !.... Embler les joyaux de l’électeur de Bavière ! les truands ne respectent rien ;, ils vous voleront votre royaume, si vous n’y prenez garde !..... Aussitôt je suis monté dans la chambre où était cet apprenti, qui, certes, est passé maître en volerie..... Cette fois, nous ne manquerons pas de preuves. Il a devissé dévissé la serrure ; mais quand il est revenu, comme il n’y avait plus de lune, il n’a pas su retrouver toutes les vis ! Aussi, heureusementHeureusement, en entrant, j’en ai senti une vis sous mon pied. Il dormait, le truand, il était fatigué !..... Figurez-vous, messieurs, qu’il est descendu dans mon cabinet par la cheminée. Demain, ce soir plutôt, je la ferai griller. On apprend toujours quelque chose avec les voleurs..... Il a sur lui une échelle de soie, et ses vêtemensvêtements portent les traces du chemin qu’il a fait sur les toits et dans la cheminée..... Il comptait rester chez moi, me ruiner !...., le hardi compère !.... Où a-t-il été mettreenterré les joyaux ?.... Les gens de campagne l’ont vu de bonne heure revenant chez moi par les toits..... Il avait des complices qui l’attendaient sur la levée que vous avez construite. Ah ! sire, vous êtes le complice des voleurs ; ils voleurs qui viennent en bateaux ; et, crac, ils emportent tout, sans laisser de traces ; mais nous tenons le chef, un hardi coquin, un gaillard qui ferait honneur à la mère d’un gentilhomme. Ah ! ce sera un beau fruit de potence, et avec un petit bout de question, nous saurons tout ! cela est intéressant n’intéresset-il à la gloire de votre règne. ? Il ne devrait point y avoir de voleurs sous un aussi grand roi !....¶!¶ Le roi n’écoutait plus depuis long-temps. Il était tombé dans une de ces sombres méditations sombres qui devinrent si fréquentes pendant les derniers jours de sa vie. Un profond silence régna.¶ – Cela te regarde, mon compère..., dit-il enfin à Tristan ;, va grabeler cette affaire.¶ Il se leva, fit quelques pas en avant, et ses courtisans le laissèrent seul.¶Enfin, apercevant Il aperçut alors Cornélius qui, monté sur sa mule, s’en allait en compagnie du grandprevôt :¶prévôt : – Et les mille écus ?.... lui dit-il.¶ – Ah ! sire, vous êtes un trop grand roi !....roi ! il n’y a pas de somme qui puisse payer votre justice.....¶ Louis XI sourit ; et les. Les courtisans envièrent le franc-parler et les priviléges du vieil argentier, qui disparut promptement dans l’avenue de mûriers plantée entre Tours et le Plessis.¶ Épuisé de fatigue, le gentilhomme dormait, en effet, du plus profond sommeil.¶ Au retour de son expédition galante, il ne s’était plus senti, pour se défendre contre des dangers lointains ou imaginaires auxquels il ne croyait peut-être plus, le courage et l’ardeur avec lesquels il s’était élancé vers de périlleuses voluptés. Aussi avait-il remis au lendemain le soin de nettoyer ses vêtemensvêtements souillés, et de faire disparaître les vestiges de son bonheur. Ce fut une grande faute, mais à laquelle tout conspira.¶ En effet, quand, privé des clartés de la lune qui s’était couchée pendant la fête de son amour, il ne trouva pas toutes les vis de la maudite serrure, il manqua de patience ; et. Puis, avec le laisserlaissez-aller d’un homme plein de joie ou affamé de repos, il se fia aux bons hasards de sa destinée, qui l’avait si heureusement servi jusque-là.¶ Il fit bien avec lui-même une sorte de pacte, en vertu duquel il devait se réveiller au petit jour ; mais les événemens événements de la journée et les agitations de la nuit ne lui permirent pas de se tenir parole à lui-même. Le bonheur est oublieux ; aussi même. Cornélius ne sembla plus si redoutable au jeune seigneur, au moment où quand il se coucha sur le dur grabat d’où tant de malheureux ne s’étaient réveillés que pour aller au supplice. Tout cela, et cette insouciance le perdit.¶ Pendant que l’argentier du roi revenait du Plessis-lès-Tours, accompagné du grand-prevôtprévôt et de ses redoutables archers, le faux Goulenoire était gardé par la vieille sœur, qui tricotait des bas pour Cornélius, assise sur une des marches de la vis, sans se soucier du froid. Et le .¶ Le jeune gentilhomme continuait les secrètes délices de cette nuit si charmante, ignorant le malheur qui accourait au grand galop. Il rêvait ; et ses. Ses songes, comme tous ceux du jeune âge, étaient empreints de couleurs si vives qu’il ne savait plus où commençait l’illusion, où finissait la réalité.¶ Il se voyait assis sur un coussin, aux pieds de la comtesse ; puis, la tête sur ses genoux chauds d’amour, il écoutait le récit des persécutions et les détails de la tyrannie que le comte avait fait jusqu’alors éprouver à sa femme. S’attendrissant ; il s’attendrissait avec la comtesse, qui était en effet celle de ses filles naturelles que Louis XI aimait le plus, ; il lui promettait d’aller, dès le lendemain, tout révéler à ce terrible père, dont ils en arrangeaient les vouloirs à leur gré, cassant le mariage et emprisonnant le mari, au moment où ils pouvaient être la proie de son épée au moindre bruit qui l’eût réveillé.¶ Mais dans le songe, la lueur de la lampe, la flamme de leurs yeux, les couleurs des étoffes et des tapisseries étaient plus vives ; une odeur plus pénétrante s’exhalait des vêtemensvêtements de nuit ; il y avait, il se trouvait plus d’amour dans l’air, plus de feu autour d’eux quequ’il n’y en avait eu dans la scène réelle. Aussi, la Marie du sommeil résistait-elle bien moins que la véritable Marie, à ces regards langoureux, à ces douces prières, à ces magiques interrogations, à ces adroits silences, à ces voluptueuses sollicitations, à ces fausses générosités qui rendent les premiers instansinstants de la passion si complètement ardenscomplétement ardents, et répandent dans les âmes une ivresse nouvelle à chaque nouveau progrès de l’amour.¶ Suivant la jurisprudence amoureuse de cette époque, Marie de Saint-Vallier octroyait à son amant les droits superficiels de la petite oie. Elle se laissait volontiers baiser les pieds, la robe, les mains, le cou ; elle avouait son amour ;, elle acceptait les soins et la vie de son amant ;, elle lui permettait de mourir pour elle ;, elle s’abandonnait à une ivresse que cette demi-chasteté, sévère, souvent cruelle, allumait encore ; mais elle restait intraitable, et faisait, des plus hautes récompenses de l’amour, le prix de sa délivrance.¶ Or, en En ce temps, pour dissoudre un mariage, il fallait aller à Rome, ; avoir à sa dévotion quelques cardinaux, et paraître devant le souverain pontife, armé de la faveur du roi. Marie voulait tenir sa liberté de l’amour, pour la lui sacrifier.¶ Presque toutes les femmes avaient alors assez de puissance pour établir au cœur d’un homme leur empire de manière à faire d’une passion l’histoire de toute une vie, le principe des plus hautes déterminations !... Mais aussi, les dames se comptaient en France ;, elles y étaient autant de souveraines ;, elles avaient de belles fiertés ;, les amansamants leur appartenaient plus qu’elles ne se donnaient à eux ;, souvent leur amour coûtait bien du sang ;, et, pour être à elles, il fallait courir bien des dangers.¶ Mais, plus clémente, et touchée du dévouement de son bien-aimé, la Marie du rêve se défendait mal contre le violent amour du beau gentilhomme. Laquelle était la véritable ?...¶ Le faux apprenti voyait-il en songe la femme vraie, et ? avait-il vu dans l’hôtel de Poitiers une dame masquée de vertu ? La question est délicate à décider, aussi l’honneur des dames veut-il qu’elle reste en litige.¶ Enfin, auAu moment où peut-être la Marie rêvée allait oublier sa haute dignité de maîtresse, l’amant se sentit pris par un bras de fer, et la voix aigre-douce du grandprevôtprévôt lui dit :¶: – Allons, bon chrétien de minuit, qui cherchiez Dieu à tâtons, réveillons-nous !....¶!¶ Et Philippe vit la face noire de Tristan et reconnut son sourire sardonique. Puis ; puis, sur les marches de la vis, il aperçut Cornélius, sa sœur, et, derrière eux, les gardes de la prevôté.¶prévôté. A ce spectacle, à l’aspect de tous ces visages diaboliques qui respiraient ou la haine, ou la sombre curiosité de gens habitués à pendre, Philippe Goulenoire se mit sur son séant et se frotta les yeux.¶ – Par la mort- Dieu !... s’écria-t-il en saisissant son poignard sous le chevet du lit, voici l’heure où il faut jouer des couteaux !...¶ – Oh ! oh !...., répondit Tristan, voici du gentilhomme !.... Il me semble voir Georges d’Estouteville, le neveu du grand-maître des arbalêtriers.....¶arbalétriers.¶ En entendant prononcer son véritable nom par Tristan, le jeune d’Estouteville pensa moins à lui qu’aux dangers que courait son infortunée maîtresse, s’il était reconnu ; et, pour. Pour écarter tout soupçon, il cria :¶: – Ventre Mahom ! à moi les truands !....¶!¶ Après cette horrible clameur, jetée par un homme véritablement au désespoir, le jeune courtisan fit un bond énorme, et, le poignard à la main, sauta sur le palier. Mais les acolytes du grand-prevôtprévôt étaient habitués à ces rencontres ; et quand. Quand Georges d’Estouteville fut sur la marche, ils le saisirent avec dextérité, sans s’étonner du vigoureux coup de lame qu’il avait porté à l’un d’eux, et qui, heureusement glissa sur le corselet du garde ; puis, ils le désarmèrent, lui lièrent les mains, et le rejetèrent sur le lit devant leur chef immobile et pensif.¶ Tristan regarda silencieusement les mains du prisonnier, et, se grattant la barbe, il dit à Cornélius en les lui montrant :¶ – Ce ne sont: – Il n’a pas plus les mains d’un truand que celles d’un apprenti..... C’est un gentilhomme !¶ – Dites un Jean-pille-homme !...., s’écria douloureusement le torçonnier ; car, mon. Mon bon Tristan, noble ou serf, il m’a ruiné, le scélérat ! Je voudrais déjà lui voir les pieds et les mains chauffés ou serrés dans vos jolis petits brodequins !... C’. Il est, à n’en pas douter, le chef de cette légion de diables invisibles ou visibles qui connaissent tous mes secrets, ouvrent mes serrures, me dépouillent et m’assassinent..... Ils sont bien riches, mon compère ! Ah ! cette fois nous aurons leur trésor ;, car celui-ci a la mine du roi d’Égypte.d’Egypte. Je vais recouvrer mes chers rubis et mes notables sommes ; notre digne roi aura des écus à foison.....¶ – Oh !, nos cachettes sont plus solides que les vôtres ! dit Georges en souriant.¶ – Ah ! le damné larron !...., il avoue !...., s’écria l’avare.¶ Le grand-prevôtprévôt était occupé à examiner attentivement les habits de Georges d’Estouteville et la serrure.¶ – Est-ce toi qui as a dévissé toutes ces clavettes ?....¶?¶ Georges garda le silence.¶ – Oh ! bien, tais-toi, si tu veux ; bientôt. Bientôt tu te confesseras à saint chevalet, reprit Tristan.¶ – Voilà qui est parlé !..., s’écria Cornélius.¶ – Emmenez-le !...., dit le prevôt.¶prévôt.¶ Alors Georges d’Estouteville demanda la permission de se vêtir, et, sur. Sur un signe de leur chef, les estafiers habillèrent le prisonnier avec l’habile prestesse d’une nourrice qui veut profiter, pour changer son marmot, d’un instant où il est tranquille.¶ Une foule immense encombrait la rue du Mûrier. Les murmures du peuple allaient grossissant, et paraissaient les avant-coureurs d’une sédition. Dès le matin, la nouvelle du vol s’était répandue dans la ville ; et partout. Partout l’apprenti, que l’on disait jeune et joli, avait réveillé toutes les sympathies en sa faveur, et ranimé la haine vouée à Cornélius ; en sorte qu’il ne fut fils de bonne mère, ni jeune femme ayant de jolis patins et une mine fraîche à montrer, qui ne voulussent voir la victime.¶ Quand Georges sortit, emmené par un des gens du prevôtprévôt, qui, tout en montant à cheval, gardait, entortillée à son bras, la forte lanière de cuir avec laquelle il tenait le prisonnier, dont les mains avaient été fortement liées, il se fit un horrible brouhaha ; et, soit. Soit pour revoir Philippe Goulenoire, soit pour le délivrer, les derniers venus poussèrent les premiers sur le piquet de cavalerie qui se trouvait devant la Malemaison.¶ En ce moment, Cornélius, aidé par sa sœur, ferma sa porte, et poussa ses volets avec la vivacité que donne une terreur panique. Tristan, qui n’avait pas été accoutumé à respecter le monde de ce temps-là, vu que le peuple n’était pas encore souverain, ne s’embarrassait guère d’une émeute.¶ – Poussez !..., poussez !... dit-il à ses gens.¶ A la voix de leur chef, les archers lancèrent leurs montures vers l’entrée de la rue. En voyant un ou deux curieux tombés sous les pieds des chevaux, et quelques autres violemment serrés contre les murs, où ils étouffaient, les gens attroupés prirent le sage parti de rentrer chacun chez eux.¶ – Place à la justice du roi !....., criait Tristan. Qu’avez-vous besoin ici ?.... Voulez-vous qu’on vous pende ? Allez chez vous, mes amis, votre rôti brûle !... Hé ! la femme, les chausses de votre mari sont trouées, retournez à votre aiguille.¶ Quoique ces dires annonçassent que le grand-prevôtprévôt était de bonne humeur, il faisait fuir les plus empressés, comme s’il eût lancé la peste noire.¶ Au moment où le premier mouvement de la foule eut lieu, Georges d’Estouteville était resté stupéfait en voyant, à l’une des fenêtres de l’hôtel de Poitiers, sa chère Marie de Saint-Vallier, riant avec le comte. Elle se moquait de lui, pauvre amant dévoué, marchant à la mort pour elle ; mais. Mais, peut-être aussi, s’amusait-elle de ceux dont les bonnets étaient emportés par les armes des archers.¶ Il faut avoir vingt-trois ans, être riche en illusions, oser croire à l’amour d’une femme, aimer de toutes les puissances de son être, avoir risqué sa vie avec délices, sur la foi d’un baiser, et s’être vu trahi, pour comprendre ce qu’il entra de rage, de haine et de désespoir au cœur de Georges d’Estouteville, à l’aspect de sa maîtresse rieuse, dont de laquelle il reçut un regard froid et indifférent. Elle était là sans doute depuis long-temps, car elle avait les bras appuyés sur un coussin ; elle y était à son aise, et son vieillard paraissait content. Il riait aussi, le bossu maudit !....¶ Quelques larmes s’échappèrent des yeux du jeune homme. Quand ; mais quand Marie de Saint-Vallier le vit pleurant, elle se rejeta vivement en arrière. Puis, les pleurs de Georges se séchèrent tout à coup ; car, il entrevit les plumes noires et rouges du page qui lui était dévoué.¶ Le comte ne s’aperçut pas de la venue de ce discret serviteur, qui marchait sur la pointe des pieds.¶ Quand le page eut dit deux mots à l’oreille de sa maîtresse, Marie se remit à la fenêtre ; et, . Elle se dérobant au perpétuel espionnage de son tyran, elle et lança sur Georges un regard où brillaient toute la finesse d’une femme qui trompe son argus, tout le feu de l’amour et toutes les joies de l’espérance.¶ – Je veille sur toi !...... Ce mot, crié par elle, n’eût pas exprimé autant de choses qu’en disait ce coup d’œil empreint de mille pensées, et où éclataient les terreurs, les plaisirs, les dangers de leur situation mutuelle.¶ C’était passer du ciel au martyre, et du martyre au ciel. Aussi, le jeune seigneur, léger, content, marcha-t-il gaiement au supplice, trouvant que les douleurs de la question ne paieraient pas encore les délices de son amour.¶ Comme Tristan allait détournerquitter la rue du Mûrier, ses gens s’arrêtèrent à l’aspect d’un officier des gardes écossaises, qui accourait à bride abattue.¶ – Qu’y a-t-il ?.... demanda Tristan.¶le prévôt.¶ – Rien qui vous regarde, répondit dédaigneusement l’officier. Le roi m’envoie quérir le comte et la comtesse de Saint-Vallier, qu’il convie à dîner.¶ Le A peine le grand-prevôt n’avait pas prévôt avait-il atteint la levée du Plessis, que le comte et sa femme, tous deux montés, elle sur une mule blanche, lui sur son cheval, et suivis de deux pages, rejoignirent les archers, afin d’entrer tous de compagnie au Plessis-lezlèsTours. IlsTous allaient assez lentement, Georges étantétait à pied, entre deux gardes, dont l’un le tenait toujours par sa lanière. Tristan, le comte et sa femme, étaient naturellement en avant, et le criminel les suivait. Le Mêlé aux archers, le jeune page, qui se trouvait mêlé aux archers, les questionnait, et parlait aussi parfois au prisonnier, de sorte qu’il saisit adroitement une occasion de lui dire à voix basse :¶: – J’ai sauté par-dessus les murs du jardin, et suis venu apporter au Plessis une lettre écrite au roi par madame. Elle a pensé mourir en apprenant le vol dont vous êtes accusé. Ayez bon courage ! elle va parler de vous.¶ Ainsi, déjà,Déjà l’amour avait donnéprêté sa force et sa ruse à la comtesse ; et, quand . Quand elle avait ri, son attitude et ses sourires étaient dus à cet héroïsme dontque déployent les femmes donnent de si belles preuves dans les grandes crises de leur vie.¶ Malgré la singulière fantaisie que l’auteur de Quentin Durward a eue de placer le château royal du de Plessis-lezlès-Tours sur une hauteur, il faut se résoudre à le laisser où il était à cette époque, dans un fond, protégé de deux côtés par le Cher et la Loire ; puis, par le canal Sainte-Anne, ainsi nommé par Louis XI en l’honneur de sa fille chérie, Mmemadame de Beaujeu. En réunissant les deux rivières entre la ville de Tours et le Plessis, ce canal donnait tout à la fois une redoutable fortification au château fort, et une route précieuse au commerce. Du côté du Bréhémont, vaste et fertile plaine, le parc était défendu par un fossé dont les vestiges accusent encore aujourd’hui la largeur et la profondeur énormes.¶ A une époque où le pouvoir de l’artillerie était à sa naissance, la position du Plessis, dès long-temps choisie par Louis XI pour sa retraite, pouvait alors être regardée comme inexpugnable.¶ Le château, bâti de briques et de pierres, n’avait rien de remarquable ; mais il était entouré de beaux ombrages ; et, de ses fenêtres, l’on découvrait par les percées du parc (Plexitium) les plus beaux points de vue du monde. Du reste, nulle maison rivale ne s’élevait auprès de ce château solitaire, placé précisément au centre de la petite plaine réservée au roi par quatre redoutables enceintes d’eau.¶ S’il faut en croire les traditions, Louis XI occupait l’aile occidentale, et, de sa chambre, il pouvait voir, tout à la fois, le cours de la Loire ;, de l’autre côté du fleuve, la jolie vallée qu’arrose la Choisille et une partie des coteaux de Saint-Cyr ; puis, par les croisées qui donnaient sur la cour, il embrassait l’entrée de sa forteresse et la levée par laquelle il avait joint sa demeure favorite à la ville de Tours.¶ Le caractère défiant de ce monarque donne de la solidité à ces conjectures. Du reste D’ailleurs, si Louis XI eût répandu dans la construction de son château le luxe d’architecture que, plus tard, déploya François Ier à Chambord, la demeure des rois de France eût été pour toujours acquise à la Touraine. Il suffit d’aller voir cette admirable position et ses magiques aspects pour être convaincu de sa supériorité sur tous les sites des autres maisons royales.¶ Alors Louis XI, arrivé à la cinquante-septième année de son âge, avait alors à peine trois ans à vivre, et il sentait déjà les approches de la mort aux coups que lui portait la maladie. Délivré de ses ennemis, sur le point d’augmenter la France de toutes les possessions des ducs de Bourgogne, à la faveur d’un mariage entre le dauphin et Marguerite, héritière de Bourgogne, ménagé par les soins de Desquerdes, le commandant de ses troupes en Flandre ; ayant établi son autorité partout, méditant les plus heureuses améliorations, il voyait le monde, le temps lui échapper, et n’avait plus que les malheurs de son âge. Trompé par tout le monde, même par ses créatures, l’expérience avait encore augmenté sa défiance naturelle. Le désir de vivre devenait en lui l’égoïsme d’un roi qui s’était incarné à son peuple, et il voulait prolonger sa vie pour achever de vastes desseins.¶ Tout ce que le bon sens des publicistes et le génie des révolutions a introduit de changemenschangements dans la monarchie, Louis XI le pensa. L’unité de l’impôt, l’égalité des sujets devant la loi (mais alors le prince était la loi), furent l’objet de ses tentatives hardies. La veille de la Toussaint, il avait mandé de savanssavants orfévres, afin d’établir en France l’unité des mesures et des poids, comme il y avait établi déjà l’unité du pouvoir. Ainsi , cet esprit immense planait en aigle sur tout l’empire, et Louis XI joignait alorsalore à toutes les précautions du roi les bizarreries naturelles aux hommes d’une haute portée.¶ A aucune époque, cette grande figure n’a été ni plus poétique ni plus belle. Assemblage inouiinouï de contrastes !... un grand pouvoir dans un corps débile ;, un esprit incrédule aux choses d’ici-bas et, crédule aux momeriespratiques religieuses ;, un homme luttant avec deux puissances plus fortes que les siennes, le présent et l’avenir ; l’avenir, où il redoutait de rencontrer des tourmenstourments, et qui lui faisait faire tant de sacrifices à l’Église ; le présent, ou sa vie elle-même, au nom de laquelle il obéissait à Coyctier. Ce roi, qui écrasait tout, était écrasé par des remords, peut-être, et plus encore par la maladie, au milieu de toute la poésie qui s’attache aux rois soupçonneux, dans lesquels en qui le pouvoir s’est résumé. C’était le combat gigantesque et toujours magnifique de l’homme, dans la plus haute expression de ses forces, joutant contre la nature.¶ En attendant l’heure fixée pour son dîner, repas qui se faisait à cette époque entre onze heures et midi, Louis XI, revenu d’une courte promenade, était assis dans une grande chaire de tapisserie, au coin de la cheminée de sa chambre.¶ Olivier-le-Daim et le médecin Coyctier, se regardant se regardaient tous deux sans mot dire, et restaient debout dans l’embrasure d’une fenêtre, en respectant le sommeil de leur maître.¶ Le seul bruit que l’on entendît était celui que faisaient, en se promenant dans la première salle, deux chambellans de service, le sire de Montrésor et de Bridoré, et Jean Dufou, sire de Montbazon,. Ces deux seigneurs tourangeaux, qui regardaient le capitaine des Écossais, probablement endormi dans son fauteuil, suivant son habitude.¶ Le roi paraissait assoupi. Sa tête était penchée sur sa poitrine ; son bonnet, avancé sur le front, lui cachait presque entièrement les yeux ; et,. Ainsi posé dans sa haute chaire, surmontée d’une couronne royale, il semblait ramassé comme un homme qui s’est endormi au milieu de quelque méditation.¶ En ce moment, Tristan et son cortége passaient sur le pont Sainte-Anne, qui se trouvait à deux cents pas de l’entrée du Plessis, sur le canal.¶ – Qui est-ce ?.... dit le roi.¶ Les deux courtisans s’interrogèrent par un regard avec surprise.¶ – Il rêve !..., dit tout bas Coyctier.¶ – Pasques Dieu ! reprit Louis XI, me croyez-vous fou ?... Il passe du monde sur le pont !..... Il est vrai que je suis près de la cheminée, et que je dois en entendre le bruit plus facilement que vous autres !.... C’est un. Cet effet de la nature qui pourrait s’utiliser.¶ – Quel homme !.... dit le Daim.¶ Louis XI se leva, alla vers celle de ses croisées par laquelle il pouvait voir la ville ; alors il aperçut le prevôtgrand-prévôt, et dit :¶: – Ah ! ah ! voici mon compère avec son voleur ; et voilà. Voilà de plus ma petite Marie de Saint-Vallier. J’ai oublié toute cette affaire....¶ – Olivier, reprit-il en s’adressant au barbier, va dire à Dufoumonsieur de Montbazon qu’il nous servefasse servir du bon vin de Bourgueil à table, et vois. Vois à ce que le cuisinier ne nous manque pas la lamproie : ce sont, c’est deux choses que cette petitemadame la comtesse aime beaucoup.....¶ – Puis-je manger de la lamproie ?... ajouta-t-il, après une pause, en regardant Coyctier d’un air inquiet.¶ Pour toute réponse, le serviteur se mit à examiner le visage de son maître.¶ Ces deux hommes étaient à eux seuls un tableau.¶ Les romanciers et l’histoire ont consacré le surtout de camelot brun et le haut-de-chausses de même étoffe que portait Louis XI. Son bonnet garni de médailles en plomb et son collier de l’ordre de Saint-Michel ne sont pas moins célèbres ; mais aucun écrivain, nul peintre n’a représenté la figure de ce terrible monarque à ses derniers momensmoments ; figure maladive, creusée, jaune et brune, dont tous les traits exprimaient une ruse amère, une ironie froide. Il y avait dans ce masque un front de grand homme, front sillonné de rides et chargé de hautes pensées ; puis, dans ses joues et sur ses lèvres, je ne sais quoi de vulgaire et de commun. A voir certains détails de cette physionomie, vous eussiez dit un vieux vigneron débauché, un commerçant avare ; mais à travers ces ressemblances vagues et la décrépitude d’un vieillard mourant, le roi, l’homme de pouvoir et d’action dominait. Ses yeux, d’un jaunejeune clair, paraissaient éteints ; mais une étincelle de courage et de colère y couvait, ; et, au moindre choc, il pouvait en jaillir des flammes à tout embraser.¶ Le médecin était un gros bourgeois, vêtu de noir, à face fleurie, tranchant, avide, et faisant l’important.¶ Ces deux personnages avaient pour cadre une chambre boisée en noyer, tapissée en tissus de haute-lice de Flandre, et dont le plafond, formé de solives sculptées, était déjà noirci par la fumée. Les meubles, le lit, tous incrustés d’arabesques en étain, paraîtraient aujourd’hui plus précieux peut-être qu’ils ne l’étaient réellement à cette époque, où les arts commençaient à produire tant de chefsd’œuvre.¶ – La lamproie ne vous vaut rien !...., répondit le physicien.¶ Ce nom, qui avait été récemment substitué à celui de maître myrrhe, est resté aux docteurs en Angleterre ; c’. Le titre était alors le titre donné partout aux médecins.¶ – Et que mangerais-je ?... demanda humblement le roi.¶ – De la macreuse au sel.... Autrement, vous avez tant de bile en mouvement, que vous pourriez mourir le jour des Morts.¶ – Aujourd’hui !..., s’écria le roi frappé de terreur.¶ – Eh ! sire, rassurez-vous, reprit Coyctier, je suis là !..... Tâchez de ne point vous tourmenter, et voyez à vous égayer.¶ – Ah ! dit le roi, ma fille réussissait jadis à ce métier difficile.¶ Là-dessus, Imbert de Bastarnay, sire de Montrésor et de Bridoré, frappa doucement à l’huis royal ; et, sur. Sur le permis du roi, il entra pour lui annoncer le comte et la comtesse de Saint-Vallier.¶ Louis XI fit un signe ; et. Marie parut, suivie de son vieil époux, qui la laissa passer la première.¶ – Bonjour, mes enfans !....enfants, dit le roi.¶ – Sire, répondit à voix basse la dame en l’embrassant, je voudrais vous parler en secret.....¶ Louis XI n’eut pas l’air d’avoir entendu. Il se tourna vers la porte, et cria d’une voix creuse :¶: – Holà, Dufou !....¶!¶ Dufou, seigneur de Montbazon, et, de plus, grand échanson de France, vint en grande hâte.¶ – Va voir le maître d’hôtel ;, il me faut une macreuse à manger.... Puis, tu iras chez madame de Beaujeu lui dire que je veux dîner seul aujourd’hui.....¶ – Savez-vous, madame, reprit le roi en feignant d’être un peu en colère, que vous me négligez ?.... Voici trois ans bientôt que je ne vous ai vue.....¶ – Allons, venez là, mignonne !..., ajouta-t-il en s’asseyant et lui tendant les bras..... Vous êtes bien maigrie !....¶ – Et pourquoi la maigrissez-vous ?..... demanda brusquement Louis XI au sieur de Poitiers.¶ Le jaloux jeta un regard si craintif à sa femme, qu’elle en eut presque pitié.¶ – C’est le Le bonheur !.... , sire, répondit-il.¶ – Ah ! vous vous aimez trop !...., dit le roi, qui tenait sa fille toute droitedroit entre ses genoux. Allons, je vois que j’avais raison en te nommant Marie-pleine-de-grâce.....¶ – Coyctier, laissez-nous.....¶ ! – Que me voulez-vous ?.... dit-il à sa fille au moment où le médecin s’en alla ; car pour. Pour m’avoir envoyé votre.....¶ Dans ce danger, Marie mit hardiment sa main sur la bouche du roi, en lui disant :¶disant à l’oreille : – Je vous croyais toujours discret et pénétrant.....¶ – Saint-Vallier, dit le roi en riant, je crois que Bridoré veut t’entretenir de quelque chose.....¶ Le comte sortit ; mais . Mais il fit un geste d’épaule, bien connu de sa femme, qui, devinant toutes devina les pensées de son mari, du terrible jaloux et jugea qu’elle devait en prévenir les mauvais desseins.¶ – Dis-moi, mon enfant, comment me trouves-tu ?.... Hein ! – Suis-je bien changé ?¶ – En dà, sire, voulez-vous la vraie vérité ;? ou voulez-vous que je vous trompe ?¶ – Non....., dit-il à voix basse, j’ai besoin de savoir où j’en suis !....¶ – En ce cas, vous avez aujourd’hui bien mauvais visage !..... Mais que ma véracité ne nuise pas au succès de mon affaire.....¶ – Quelle est-elle ?.... dit le roi en fronçant les sourcils et promenant une de ses mains sur son front.¶ – Ah bien ! sire, dit-elle, le jeune homme que vous avez fait arrêter chez votre argentier Cornélius, et qui se trouve en ce moment livré à votre grand-prevôtprévôt, est innocent du vol des joyaux du duc de Bavière....¶ – Et d’où– Comment sais-tu cela ?.... reprit le roi.¶ Marie baissa la tête, et rougit.¶ – Il ne faut pas demander s’il y a de l’amour là-dessous ?..., dit Louis XI en relevant avec douceur la tête de sa fille dont il caressaen en caressant le menton.¶ Si tu ne te confesses pas tous les matins, fillette, tu iras en enfer.¶ – Ne pouvez-vous m’obliger, sans violer mes secrètes pensées ?¶.¶ – Où serait le plaisir ?....., s’écria le roi, en voyant dans cette affaire un sujet d’amusement.¶ – Ah ! voulez-vous que votre plaisir me coûte des chagrins ?....¶?¶ – Oh ! rusée....., n’as-tu pas confiance en moi ?¶ – Alors, sire, faites mettre ce gentilhomme en liberté.¶ – Ah ! c’est un gentilhomme !..., s’écria le roi. Ce n’est donc pas un apprenti ?....¶?¶ – C’est bien sûrement un innocent !...., répondit-elle.¶ – Je ne vois pas ainsi !...., dit froidement le roi..... Je suis le grand justicier de mon royaume, et dois punir les malfaiteurs.....¶ – Allons, ne faites pas votre mine soucieuse, et donnez-moi la vie de ce jeune homme !¶ – Ne serait-ce pas reprendre ton bien ?¶ – Sire, dit-elle, je suis sage et vertueuse… ! Vous vous moquez....¶ – Alors, dit Louis XI, comme je ne comprends rien à toute cette affaire, laissons Tristan l’éclaircir.....¶ Marie de Sassenage pâlit ; et, faisant , elle fit un violent effort, elle et s’écria :¶: – Sire, je vous assure que vous serez au désespoir de ceci !..... Le prétendu coupable n’a rien volé.... Si vous m’accordez sa grâce, je vous révélerai tout, dussiez-vous me punir !.....¶ – Oh ! oh !..... ceci devient sérieux ! fit Louis XI en mettant son bonnet de côté. Parle, ma fille.....¶ – HéEh bien, ! reprit-elle à voix basse, en mettant ses lèvres à l’oreille de son père, ce gentilhomme a étéest resté chez moi pendant toute la nuit.....¶ – Il a bien pu tout ensemble aller chez toi et voler Cornélius.., c’est rober deux fois...¶ – Sire, j’ai de votre sang dans les veines, et ne suis pas faite pour aimer un truand..... Ce gentilhomme est neveu du capitaine général de vos arbalêtriers.....¶arbalétriers.¶ – Allons donc !.... dit le roi. Tu es bien difficile à confesser !....¶ A ces mots, Louis XI, jetant jeta sa fille loin de lui, toute tremblante, courut à la porte de sa chambre, mais sur la pointe des pieds, et de manière à ne faire aucun bruit.¶ Depuis un moment, le jour d’une croisée de l’autre salle, éclairant qui éclairait le dessous de l’huisserie, lui avait permis de voir l’ombre des pieds d’un curieux, projetée dans sa chambre par l’espace qui se trouvait entre la porte et le plancher.¶. Il ouvrit brusquement l’huis garni de ferrures, et surprit le comte de Saint-Vallier aux écoutes.¶ – Pasques Dieu !... s’écria-t-il, voici une hardiesse qui mérite la hache !¶.¶ – Sire, répliqua fièrement Saint-Vallier, j’aime mieux un coup de hache à la tête que l’ornement du mariage à mon front.¶ – Vous pourrez avoir l’un et l’autre !....., dit Louis XI. Nul de vous n’est exempt de ces deux infirmités., messieurs. Retirez-vous dans l’autre salle.¶ – Conyngham !..., reprit le roi en s’adressant à son capitaine des gardes, vous dormiez donc ?....dormiez ? Où donc est M.monsieur de Bridoré ?.... Vous me laissez approcher ainsi ?.... Pasques Dieu ! le dernier bourgeois de Tours est mieux servi que je ne le suis !....¶ Ayant ainsi grondé, Louis rentra dans sa chambre ; mais il eut soin de tirer la portière en tapisserie qui formait en dedans une seconde porte destinée à étouffer moins le sifflement de la bise que le bruit des paroles du roi.¶ – Ainsi, ma fille, reprit-il en prenant plaisir à jouer avec elle comme un chat joue avec la souris qu’il a saisie, hier Georges d’Estouteville a été ton galant !....¶ – Oh ! non, sire.....¶ – Non !.... Ah ! par saint Carpion ! il mérite la mort. – ! Le drôle n’a pas trouvé ma fille assez belle..... peut-être !¶ – Oh ! n’est-ce que cela ?...., dit-elle. Je vous assure qu’il m’a baisé les pieds et les mains avec une ardeur dontpar laquelle la plus vertueuse de toutes les femmes eût été attendrie. Il m’aime en tout bien, tout honneur.¶ – Tu me prends donc pour saint Louis, en pensant que je croirai de telles sornettes ? Un jeune gars tourné comme lui aurait risqué sa vie pour baiser tes patins etou tes manches !...? A d’autres.¶ – Oh ! sire....., cela est vrai. Mais il venait aussi pour un autre motif.¶ A ces mots, Marie sentit qu’elle avait risqué la vie de son mari ;, car aussitôt Louis XI demanda vivement :¶: – Et pourquoi ?....¶?¶ Cette aventure l’amusait infiniment. Certes, il ne s’attendait pas aux étranges confidences que sa fille finit par lui faire, après avoir stipulé le pardon de son mari.¶ – Ah ! ah ! monsieur de Saint-Vallier, vous versez ainsi le sang royal !...., s’écria le roi, dont les yeux s’allumèrent de courroux.¶ En ce moment, la cloche du Plessis sonna le service du roi. Louis XI, appuyéAppuyé sur le bras de sa fille, parut,Louis XI se montra les sourcils contractés, sur le seuil de sa porte, et trouva tous ses serviteurs sous les armes.¶ Jetant Il jeta un regard douteux au sur le comte de Saint-Vallier, il sembla penseren pensant à l’arrêt qu’il allait prononcer sur lui.¶ Le profond silence qui régnait fut alors interrompu par les pas de Tristan, qui montait le grand escalier. Il vint jusque dans la salle, et, s’avançant vers le roi :¶: – Sire, l’affaire est toisée.¶ – Quoi ! tout est achevé ?.... dit le roi.¶ – Notre homme est entre les mains des de religieux. Il a fini par avouer le vol, après un moment de question.....¶ La comtesse poussa un soupir, pâlit, et ne trouvant trouva même pas de voix, et regarda le roi.¶ Ce coup d’œil fut saisi par Saint-Vallier, qui dit à voix basse :¶: – Je suis trahi...... Ce, le voleur est de la connaissance de ma femme !....¶ – Silence ! cria le roi. Il y a doncIl se trouve ici quelqu’un qui veut me lasser !....¶. – Va vite surseoir à cette exécution !...., reprit-il en s’adressant au grand-prevôt.prévôt. Tu me réponds du criminel corps pour corps, mon compère ! Cette affaire veut être mieux distillée, et je m’en réserve la connaissance. Mets provisoirement le coupable en liberté ; je! Je saurai le retrouver ; puis, faisces voleurs ont des retraites qu’ils aiment, des terriers où ils se blottissent. Fais savoir à Cornélius que j’irai chez lui, dès ce soir, pour instruire moi-même le procès.¶ – Monsieur de Saint-Vallier !..., dit le roi en le regardant fixement, j’ai de vos nouvelles. Tout votre sang ne saurait payer une goutte du mien..... Le , le savez-vous ?.... Par Notre-Dame de Cléry, ! vous avez commis des crimes de lèse-majesté. Vous ai-je donné aussi gentille femme pour la rendre pâlepale et brehaigne ? ÇàEn dà, rentrez chez vous de ce pas. Et allez -y faire vos apprêts pour un long voyage.....¶ Le roi s’arrêta sur ces mots, par une habitude de cruauté ; puis, il ajouta :¶: – Vous partirez ce soir pour voir à ménager mes affaires avec messieurs de Venise. Soyez sans inquiétude ;, je ramènerai votre femme ce soir en mon château du Plessis ; elle y sera, certes, en sûreté. Désormais, je veillerai sur elle mieux que je ne l’ai fait depuis votre mariage.....¶ En entendant ces mots, Marie pressa silencieusement le bras de son père, comme pour le remercier de sa clémence et de sa belle humeur.¶ Quant à Louis XI, il se divertissait sous cape.¶ ¶ IV.¶ LE TRÉSOR INCONNU.¶ Louis XI aimait beaucoup à intervenir dans les affaires de ses sujets, et mêlait volontiers la majesté royale aux scènes de la vie bourgeoise. Ce goût lui a été, sévèrement reprochéblâmé par quelques historiens ; mais ce, n’était cependant que la passion de l’incognito, l’un des plus grands plaisirs des princes, espèce d’abdication momentanée qui leur permet de mettre un peu de vie commune dans leur existence affadie par le défaut d’oppositions ; seulement, Louis XI jouait l’incognito à découvert. Du reste, enEn ces sortes de rencontres, il était d’ailleurs bon homme, et s’efforçait de plaire aux gens du tiers- état, dontdesquels il avait fait ses alliés contre la féodalité.¶ Depuis long-temps, il n’avait pas trouvé l’occasion de se faire peuple, et d’épouser les intérêts domestiques d’un homme engarrié dans quelque affaire processive (vieux mot encore en usage à Tours), de sorte qu’il endossa passionnément les inquiétudes de maître Cornélius et les chagrins secrets de la comtesse de Saint-Vallier.¶ A plusieurs reprises, pendant le dîner, il dit à sa fille :¶: – Mais qui donc a pu voler mon compère ?.... Voilà des larcins qui montent à plus de douze cent mille écus depuis huit ans !....¶. – Douze cent mille écus, Messieurs !..... messieurs, reprit-il en regardant les seigneurs qui le servaient. Notre dame !...Dame ! avec cette somme on aurait bien des absolutions en cour de Rome !...... J’aurais pu, Pasques Dieu, ! encaisser la Loire, ou mieux, conquérir le Piémont, une belle fortification toute faite pour notre royaume.....¶ Le dîner fini, Louis XI emmena sa fille, son médecin, le grand-prévôt, et suivi d’une escorte de gens d’armes, vint à l’hôtel de Poitiers, où il trouva encore, suivant ses présomptions, le sire de Saint-Vallier qui attendait sa femme, peut-être pour s’en défaire.¶ – Monsieur, lui dit le roi, je vous avais recommandé de partir plus vite ; mais dites. Dites adieu à votre femme, et gagnez la frontière, vous aurez une escorte d’honneur. Quant à vos instructions et lettres de créance, elles seront à Venise avant vous.¶ Louis XI donna l’ordre, non sans y joindre quelques instructions secrètes, à un lieutenant de la garde écossaise de prendre une escouade, et d’accompagner son ambassadeur jusqu’à Venise.¶ Saint-Vallier partit en grande hâte, après avoir donné à sa femme un baiser froid qu’il aurait voulu pouvoir rendre mortel.¶ Lorsque la comtesse fut rentrée chez elle, Louis XI vint à la Malemaison, fort empressé de dénouer la triste farce qui se jouait chez son compère le torçonnier, se flattant, en sa qualité de roi, d’avoir assez de perspicacité pour découvrir les secrets des voleurs.¶ Cornélius ne vit pas sans quelque appréhension la compagnie de son maître.¶ – Est-ce que tous ces gens-là, lui dit-il à voix basse, seront de la cérémonie ?¶ Louis XI ne put s’empêcher de sourire en voyant l’effroi de l’avare et de sa sœur.¶ – Non, mon compère, reprit-il, rassure-toi. Ils souperont avec nous dans mon logis, et nous serons seuls à faire l’enquête... Je suis si bon justicier, que je gage dix mille écus de te trouver le criminel.....¶ – Trouvons-le, sire, et ne gageons pas.¶ Aussitôt, ils allèrent dans le cabinet où le Lombard avait mis ses trésors. Là, Louis XI s’étant fait montrer d’abord la layette où étaient les joyaux de l’électeur de Bavière, puis la cheminée par laquelle le prétendu voleur avait dû descendre, convainquit facilement le Brabançon de la fausseté de ses suppositions, attendu qu’il ne se trouvait point de suie dans l’âtre, où il se faisait, à vrai dire, rarement du feu ; nulle trace de route dans le tuyau ; et, de plus, la cheminée prenait naissance sur le toit dans une partie presque inaccessible.¶ Enfin, après deux heures de perquisitions empreintes de cette sagacité qui distinguait le génie méfiant de Louis XI, il lui fut évidemment démontré que personne n’avait pu s’introduire dans le trésor de son compère. Aucune marque de violence n’existait ni dans l’intérieur des serrures, ni sur les coffres de fer où se trouvaient l’or, l’argent et les gages précieux donnés par de riches débiteurs.¶ – Si le voleur a ouvert cette layette, dit Louis XI, pourquoi n’a-t-il pris que les joyaux de Bavière ?... Pour quelle raison a-t-il respecté ce collier de perles ?... Singulier truand !¶ A cette réflexion, le pauvre torçonnier blêmit ; le roi et lui s’entre-regardèrent pendant un moment.¶ – EhEh ! bien !, sire, qu’est donc venu faire ici le voleur que vous avez pris sous votre protection, et qui s’est promené pendant la nuit ?... demanda Cornélius.¶ – Si tu ne le devines pas, mon compère, je t’ordonne de toujours l’ignorer. C’est ; c’est un de mes secrets...¶ – Alors le diable est chez moi !...., dit piteusement l’avare.¶ En toute autre circonstance, le roi eût peut-être ri de l’exclamation de son argentier ; mais il était devenu pensif, et jetait sur maître Cornélius ces coups d’œil à traverser la tête qui sont si familiers aux hommes de talent ou et de pouvoir ; aussi, le Brabançon en fut-il effrayé, craignant d’avoir offensé son redoutable maître.¶ – Ange ou diable, je tiens les malfaiteurs..., s’écria brusquement Louis XI. Si tu es volé cette nuit, je saurai dès demain par qui.¶ – Fais monter cette vieille guenon que tu nommes ta sœur !...., ajouta-t-il.¶ Cornélius hésita presque à laisser le roi tout seul dans la chambre où étaient ses trésors ; mais il sortit, vaincu par la puissance du sourire amer qui errait sur les lèvres flétries de Louis XI.¶ Cependant, malgré sa confiance, il revint promptement suivi de la vieille.¶ – Avez-vous de la farine ?... demanda le roi.¶ – Oh ! certes, nous avons fait notre provision pour l’hiver !..., répondit-elle.¶ – EhEh ! bien !, montez-la, dit le roi.¶ – Et que voulez-vous faire de notre farine !..., sire ? s’écria-t-elle effarée, sans être aucunement atteinte par la majesté royale, ressemblant en cela à toutes les personnes en proie à quelque violente passion.¶ – Vieille folle, veux-tu bien exécuter les ordres de notre gracieux maître !, cria Cornélius. Le roi manque-t-il de farine ?...¶?¶ – Achetez donc de la belle farine !..., dit-elle en grommelant dans les escaliers ; ah. Ah ! ma farine ! QuelleElle revint et dit au roi : – Sire, est-ce donc une royale idée que de vouloir examiner ma farine !...¶!¶ Enfin, elle revint avec une reparut armée d’une de ces poches en toile qui, de temps immémorial, servent en Touraine à porter au marché ou à en rapporter les noix, les fruits et le blé. La poche était à mi-pleine de farine, et ; la ménagère, l’ayant ouverte à demi, elle l’ouvrit et la montra timidement au roi, sur lequel elle jetait ces regards fauves et rapides par lesquels les vieilles filles semblent vouloir darder du venin sur les hommes.¶ – Elle vaut six sous la septérée !..., dit-elle.¶ – Qu’importe !...., répondit le roi, répandez-la sur le plancher !..... – . Surtout, ayez soin de l’y étaler de manière à produire une couche bien égale, comme s’il y était tombé de la neige.¶ La vieille fille ne comprit pas. Cette proposition l’étonnait plus que n’eût fait la fin du monde.¶ – Ma farine !....., sire..... ! par terre..... mais.....¶ Maître Cornélius, commençant à concevoir, mais vaguement, les intentions du roi, saisit la poche, et la versa doucement sur le plancher. La vieille tressaillit, mais elle tendit la main pour reprendre la poche ; et, quand son frère la lui eut rendue, elle disparut en poussant un grand soupir.¶ Cornélius, ayant pris prit un plumeau, commença par un côté du cabinet à étendre la farine, qui produisait comme une nappe de neige ; et il reculait, en se reculant à mesure, suivi du roi, qui paraissait s’amuser beaucoup de cette opération.¶ Quand ils arrivèrent à l’huis, ilLouis XI dit à son compère :¶ – Y a: – Existe-t-il deux clefs de la serrure ?¶ – Non, sire.¶ Le roi regarda le mécanisme de la porte. Elle qui était maintenue par de grandes plaques et par des barres en fer ; les pièces de cette armure aboutissaient toutes à une serrure à secret dont Cornélius avait la clef.¶ Louis XI ayant était gardée par Cornélius. Après avoir tout examiné , Louis XI fit venir Tristan, et il lui dit de poster à la nuit quelques -uns de ses gens d’armes dans le plus grand secret, soit sur les mûriers de la levée, soit sur les chéneaux des hôtels voisins, et de rassembler toute son escorte pour se rendre au Plessis, afin de faire croire qu’il ne souperait pas chez maître Cornélius ; puis, il recommanda sur toute chose à l’avare de fermer assez exactement ses croisées pour qu’il ne s’en échappât aucun rayon de lumière, et de préparer un festin sommaire, afin de ne pas donner lieu de penser qu’il le logeât pendant cette nuit.¶ Et, de fait, le Le roi partit en cérémonie par la levée, et rentra secrètement, lui troisième, par la porte du rempart, chez son compère le torçonnier.¶ Tout fut si bien disposé, que les voisins, les gens de ville et de cour pensèrent que le roi était retourné par fantaisie au Plessis, et devait revenir le lendemain soir souper chez son argentier.¶ La sœur de Cornélius confirma cette croyance en achetant de la sauce verte à la boutique du bon faiseur, qui demeurait près du quarroir aux herbes, appelé depuis le carroir de Beaune, à cause de la magnifique fontaine en marbre blanc que le malheureux Semblançay (Jacques de Beaune) fit venir d’Italie pour orner la capitale de sa patrie.¶ Vers les huit heures du soir, au moment où le roi soupait en compagnie de son médecin, de Cornélius et du capitaine de sa garde écossaise, disant de joyeux propos, et oubliant qu’il était Louis XI malade et presque mort, le plus profond silence régnait au- dehors, et un passantles passants, un voleur même, aurait pu prendre la Malemaison pour quelque logis inhabité.¶maison inhabitée.¶ – J’espère, dit le roi en souriant, que mon compère sera volé cette nuit, pour que ma curiosité soit satisfaite. Or çà, Messieursmessieurs, que nul ici ne sorte de sa chambre demain sans mon ordre, sous peine de quelque griève pénitence.....¶ Là-dessus, chacun se coucha.¶ Le lendemain matin, Louis XI sortit le premier de son appartement, et se dirigea vers le trésor de Cornélius ; mais il ne fut pas médiocrement étonné en apercevant les marques d’un large pied semées par les escaliers et les corridors de la maison. Respectant avec soin ces précieuses empreintes, il alla vers la porte du cabinet aux écus, et la trouva fermée sans aucunes traces de fracture. Alors, il Il étudia la direction des pas ;, mais comme ils étaient graduellement plus faibles, et finissaient par ne plus laisser le moindre vestige, il lui fut impossible de découvrir par où s’était enfui le voleur.¶ – Ah ! mon compère, cria le roi à Cornélius, tu as été bel et bien volé !....¶ A ces mots, le vieux Brabançon sortit, en proie à une visible épouvante.¶ Louis XI le mena voir les pas tracés sur les planchers ; et, tout en les examinant derechef, le roi, ayantavant regardé par hasard les pantoufles de l’avare, reconnut le type de la semelle, dont tant d’exemplaires étaient gravés sur les dalles.¶ Il ne dit mot, et retint son rire, en pensant à tous les innocensinnocents qui avaient été pendus.¶ L’avare alla promptement à son trésor ; et là, le. Le roi, lui ayant commandé de faire avec son pied une nouvelle marque auprès de celles qui existaient déjà, il le convainquit que le voleur n’était autre que lui-même.¶ – Le collier de perles me manque !....., s’écria Cornélius. Il y a de la sorcellerie làdessous ; car je. Je ne suis pas sorti de ma chambre.¶ – Nous allons le savoir au plus tôt ! dit le roi, que la visible bonne foi de son argentier rendit encore plus pensif.¶ Aussitôt, il fit venir dans son appartement les gens d’armes de guette, et leur demanda :¶: – Or çà, qu’avez-vous vu pendant la nuit ?¶ – Ah ! sire, un spectacle de magie ! dit le lieutenant. Monsieur votre argentier a descendu comme un chat le long des murs, et si lestement que nous avons cru d’abord que c’était une ombre.¶ – Moi ! cria Cornélius, qui, après ce mot, resta debout et silencieux, comme un homme perclus de ses membres.¶ – Allez-vous-en, vous autres !...., reprit le roi en s’adressant aux archers, et dites à MM.messieurs Conyngham, Coyctier, Bridoré, ainsi qu’à Tristan, qu’ils peuvent sortir de leurs lits et venir céans.....¶ – Tu as encouru la peine de mort....., dit froidement Louis XI au Brabançon, qui heureusement ne l’entendit pas. Tu , tu en as au moins dix sur la conscience, toi !....¶ Là, Louis XI laissa échapper un rire muet, et fit une pause :¶: – Mais, rassure-toi, reprit-il en remarquant la pâleur étrange répandue sur le visage de l’avare ;, tu es meilleur à saigner qu’à tuer.... ! Et, moyennant quelque bonne grosse amende au profit de mon épargne, tu te tireras des griffes de ma justice ; mais si tu ne fais pas bâtir au moins une chapelle en l’honneur de la Vierge, tu es en passe de te bailler des affaires graves et chaudes pendant toute l’éternité !....¶ – Douze cent trente et quatre-vingt-sept mille écus font treize cent dix-sept mille écus...., répondit machinalement Cornélius, absorbé dans ses calculs. – Il y a treizeTreize cent dix-sept mille écus de détournés !...¶!¶ – Il les aura enfouis dans quelque retrait !...., dit le roi, qui commençait à trouver la somme royalement belle. Voilà l’aimant qui l’attirait toujours ici..... Il sentait son trésor.¶ Là-dessus Coyctier entra. Voyant l’attitude de Cornélius, il l’observa savamment pendant que le roi lui racontait l’aventure.¶ – Sire, répondit le médecin, il n’y a rien den’est surnaturel dansen cette affaire. LeNotre torçonnier a la propriété de marcher pendant son sommeil. Voici le troisième exemple que je rencontre de cette singulière maladie ; et si. Si vous vouliez vous donner le plaisir d’être témoin de ses effets, vous pourriez voir ce vieillard aller sans danger au bord des toits, à la première nuit où il sera pris par un accès..... J’ai remarqué, dans les deux hommes que j’ai déjà observés, des liaisons curieuses entre les affections de cette vie nocturne et leurs affaires, ou leurs occupations du jour.¶ – Ah ! maître Coyctier, tu es savant !....¶ – Ne suis-je pas votre médecin !...., dit insolemment le physicien.¶ A cette réponse, Louis XI laissa échapper le geste qu’il lui était familier de faire lorsqu’il rencontrait une bonne idée, et qui consistait à rehausser vivement son bonnet.¶ – Dans cette occurrence, reprit Coyctier en continuant, les gens font leurs affaires en dormant ; et comme. Comme celui-ci ne hait pas à de thésauriser, il se sera livré tout doucement à sa plus chère habitude...... aussi Aussi a-t-il dû avoir des accès toutes les fois qu’il a pu concevoir pendant la journée des craintes pour ses trésors.¶ – Pasques Dieu ! quel trésor !...., s’écria le roi.¶ – Où est-il ?.... demanda Cornélius, qui, par un singulier privilége de notre nature, entendait les propos du médecin et du roi, tout en restant presque engourdi par ses idées et par son malheur.¶ – Ah ! reprit Coyctier avec un gros rire diabolique, les noctambules n’ont au réveil aucun souvenir de leurs faits et gestes.....¶ – Laissez-nous !....., dit le roi.¶ Quand Louis XI fut seul avec son compère, il le regarda en ricanant à froid.¶ – Messire Hoogworst, ajouta-t-il en s’inclinant, tous les trésors enfouis en France sont au roi.....¶ – Oui, sire, tout est à vous, et vous êtes le maître absolu de nos vies et de nos fortunes ; mais jusqu’à présent vous avez eu la clémence de ne prendre que ce qui vous était nécessaire.....¶ – Écoute, mon compère.... ? Si je t’aide à retrouver ce trésor, tu peux hardiment et sans crainte en faire le partage avec moi.....¶ – Non, sire, je ne veux pas le partager, mais vous l’offrir tout entier....., après ma mort..... Mais quel est votre expédient ?¶ – Je n’aurai qu’à t’épier moi-même pendant que tu feras tes courses nocturnes...... Un autre que moi serait à craindre.¶ – Ah ! sire, reprit Cornélius en se jetant aux pieds de Louis XI, vous êtes le seul homme du royaume à qui je voudrais me confier pour cet office, et je saurai bien vous prouver ma reconnaissance pour la bonté dont vous usez envers votre serviteur, en m’employant de mes quatre fers au mariage de l’héritière de Bourgogne avec monseigneur... Voilà un beau trésor, non plus d’écus, mais de domaines, qui saura rendre votre couronne toute ronde.¶ – Là, làLa la, Flamand, tu me trompes !....., dit le roi en fronçant les sourcils, ou tu m’as mal servi...¶ – Comment, sire, pouvez-vous douter de mon dévouement ? vous qui êtes le seul homme que j’aime.¶ – Ce sont des paroles, Paroles que ceci !..., reprit le roi en envisageant le Brabançon. Tu ne devais pas attendre cette occasion pour m’être utile. Tu me vends ta protection, Pasques Dieu ! à moi Louis- le- Onzième. Est-ce toi qui es le maître, et suis-je donc le serviteur !... han ! han !¶?¶ – Ah ! sire, répliqua le vieux torçonnier, je voulais vous surprendre agréablement par la nouvelle des intelligences que je vous ai ménagées avec ceux de Gand ; et j’en attendais la confirmation par l’apprenti d’Oosterlinck. Mais...., qu’est-il devenu ?.....¶?¶ – Assez, dit le roi. C’est encore uneNouvelle faute. Je n’aime pas qu’on se mêle, malgré moi, de mes affaires, et.... assez.. Assez ! Je veux réfléchir à tout ceci.....¶ Maître Cornélius retrouva l’agilité de la jeunesse pour courir à la salle basse, où était sa sœur.¶ – Ah ! Jeanne, ma chère âme, nous avons ici un trésor où j’ai mis les treize cent mille écus !.. Et c’est moi ! – moi ! qui suis le voleur...¶ Jeanne Hoogworst se leva de son escabelle, et se dressa sur ses pieds, comme si le siége qu’elle quittait eût été de fer rouge.¶ Cette secousse était si violente pour une vieille fille accoutumée depuis longues années à s’exténuer par des jeûnes volontaires, qu’elle tressaillit de tous ses membres et ressentit une horrible douleur dans le dos. Elle pâlit par degrés, et sa face, dont il était si difficile de déchiffrer les altérations parmi les rides, se décomposa pendant que son frère lui expliquait et la maladie dont il était la victime, et l’étrange situation dans laquelle ils se trouvaient tous deux.¶ – Nous venons, Louis XI et moi, dit-il en finissant, de nous mentir l’un à l’autre comme deux marchands de myrobolan. Tu comprends, mon enfant, que, s’il me suivait, il aurait à lui seul le secret du trésor... Il n’y a que le Le roi seul au monde qui puissepeut épier mes courses nocturnes... Je ne sais si la conscience du roi, tout près qu’il soit de la mort, pourrait résister à treize cent dix-sept mille écus... il Il faut le prévenir, dénicher les merles, envoyer tous nos trésors à Gand, et..... toi seule.....¶ Cornélius s’arrêta soudain, en ayant l’air de peser le cœur de ce souverain, qui rêvait déjà le parricide à vingt-deux ans ; et lorsque. Lorsque l’argentier eut jugé Louis XI, il se leva brusquement, comme un homme pressé de fuir un danger.¶ A ce mouvement, sa sœur, trop faible ou trop forte pour une telle crise, tomba roide... Elle ; elle était morte.¶ Maître Cornélius saisit sa sœur, la remua violemment, en lui disant :¶: – Il ne s’agit pas de mourir !.... Après, tu en auras tout le temps..... Oh ! c’est fini..... La vieille guenon !... elle guenon n’a jamais rien su faire à propos.¶ Il lui ferma les yeux et la coucha sur le plancher ; mais alors il revint à tous les sentimenssentiments nobles et bons qui étaient dans le plus profond de son âme ; et, oubliant à demi son trésor inconnu :¶: – Ma pauvre compagne !..., s’écria-t-il douloureusement, je t’ai donc perdue !..., toi qui me comprenais si bien !... Oh ! tu étais un vrai trésor... Le voilà, le trésor !.... Avec toi, s’en vont ma tranquillité, mes affections !.... Si tu avais su quel profit il y avait à vivre seulement encore deux nuits, tu ne serais pas morte, uniquement pour me plaire..., pauvre petite !... Hé Eh ! Jeanne, treize cent dix-sept mille écus !..... Ah ! si cela ne te réveille pas..... Non..... – Elle est morte !.....¶!¶ Là-dessus, il s’assit, ne dit plus rien ; mais deux grosses larmes sortirent de ses yeux et roulèrent dans ses joues creuses ; puis, en laissant échapper plusieurs ha ! ha ! il ferma la salle et remonta chez le roi.¶ Louis XI fut frappé par la douleur empreinte dans les traits mouillés de son vieil ami.¶ – Qu’est ceci ?... demanda-t-il.¶ – Ah ! sire, un malheur n’arrive jamais seul !.... Ma sœur est morte... Elle me précède làdessous..., dit-il en montrant le plancher par un geste effrayant.¶ – Assez ! s’écria Louis XI, qui n’aimait pas à entendre parler de la mort...¶ – Je vous fais mon héritier... Je ne tiens plus à rien... Voilà mes clefs... Pendez-moi, si c’est votre bon plaisir, prenez tout..., fouillez la maison... Elle, elle est pleine d’or. Je vous donne tout...¶ – Allons, compère, reprit Louis XI, qui fut à demi attendri par le spectacle de cette étrange peine, nous retrouverons le trésor par quelque belle nuit, et la vue de tant de richesses te redonnera cœur à la vie..... Je reviendrai cette semaine.....¶ – Quand il vous plaira, sire...¶ A cette réponse, Louis XI, qui avait fait quelques pas vers la porte de sa chambre, se retourna brusquement. Alors, ces deux hommes se regardèrent l’un l’autre avec une expression que ni le pinceau ni la parole ne peuvent reproduire.¶ – Adieu, mon compère !..... dit enfin Louis XI d’une voix brève et en redressant son bonnet.¶ – Que Dieu et la Vierge vous conservent leurs bonnes grâces !... répondit humblement le torçonnier en reconduisant le roi.¶ Après une si longue amitié, ces deux hommes trouvaient entre eux une barrière élevée par la défiance et par l’argent, lorsqu’ils s’étaient toujours entendus en fait d’argent et de défiance ; mais ils se connaissaient si bien, ils avaient tous deux une telle habitude l’un de l’autre, que le roi devait deviner, par l’accent dont Cornélius prononça l’imprudent – Quand il vous plaira, sire !.... la répugnance que sa visite causerait désormais à l’argentier ;, comme celui-ci reconnut une déclaration de guerre dans – – l’Adieu, mon compère !.... dit par le roi.¶ Aussi, Louis XI et son torçonnier se quittèrent-ils bien embarrassés de la conduite qu’ils devaient tenir l’un envers l’autre.¶ Le monarque possédait bien le secret du Brabançon ; mais celui-ci pouvait aussi, par ses relations, assurer le succès de la plus belle conquête que jamais roi de France ait pûtpu faire, celle des domaines appartenant à la maison de Bourgogne, et qui excitaient alors l’envie de tous les souverains de l’Europe. Le mariage de la célèbre Marguerite dépendait des gens de Gand et des Flamands, qui l’entouraient. L’or et l’influence de Cornélius devaient puissamment servir les négociations entamées par Desquerdes, le général auquel Louis XI avait confié le commandement de l’armée campée sur la frontière de Belgique. Ces deux maîtres renards étaient donc comme deux duellistes dont le hasard aurait neutralisé les forces.¶ auraient été neutralisées par le hasard..Aussi, soit que depuis cette matinée la santé de Louis XI eût empiré, soit que Cornélius eût contribué à faire venir en France Marguerite de Bourgogne, qui arriva effectivement à Amboise, au mois de juillet de l’année 1438, pour épouser le dauphin, auquel elle fut fiancée dans la chapelle du château, le roi ne leva point d’amende sur son argentier, aucune procédure n’eut lieu, et mais ils restèrent l’un et l’autre dans les demi-mesures d’une amitié armée.¶ Heureusement pour le torçonnier, le bruit se répandit à Tours que sa sœur était l’auteur des vols, et qu’elle avait été secrètement mise à mort par Tristan. Autrement, si la véritable histoire y eût été connue, la ville entière se serait ameutée pour détruire la Malemaison avant qu’il eût été possible au roi de la défendre. Mais si toutes ces présomptions historiques ont quelque fondement relativement à l’inaction dans laquelle resta Louis XI, il n’en fut pas de même chez maître Cornélius Hoogworst.¶ Le torçonnier passa les premiers jours qui suivirent cette fatale matinée dans une occupation continuelle. Semblable aux animaux carnassiers enfermés dans une cage, il allait et venait, flairant l’or à tous les coins de sa maison dont, il en étudiait les crevasses et , il en consultait les murs, redemandant son trésor aux arbres du jardin, aux fondations et aux toits des tourelles, à la terre et au ciel. Souvent il demeurait pendant des heures entières debout, jetant ses yeux sur tout à la fois, les plongeant dans le vide ; et. sollicitant les pouvoirsmiracles de l’extase et la puissance des sorciers, il tâchait de voir ses richesses à travers les espaces et les obstacles. Il était constamment perdu dans une pensée accablante, dévoré par un désir qui lui brûlait les entrailles, mais rongé plus grièvement encore par les angoisses renaissantes du duel qu’il avait avec lui-même, depuis que sa passion pour l’or s’était tournée contre elle-même ; espèce de suicide inachevé qui comprenait toutes les douleurs de la vie et celles de la mort. Jamais le vice ne s’était mieux étreint lui-même ; car l’avare, s’enfermant par imprudence dans le cachot souterrain où gît son or, a, comme Sardanapale, la jouissance de mourir au sein de sa fortune. Mais Cornélius, tout à la fois le voleur et le volé, n’ayant le secret ni de l’un ni de l’autre, possédait et ne possédait pas ses trésors : torture toute nouvelle, toute bizarre, mais continuellement terrible.¶ Quelquefois, devenu presque oublieux, il laissait ouvertes les petites grilles de sa porte, et alors les passanspassants pouvaient voir cet homme déjà desséché, planté sur ses deux jambes au milieu de son jardin inculte, y restant dans une immobilité complète, et jetant à ceux qui l’examinaient un regard fixe, dont la lueur insupportable les glaçait d’effroi.¶ Si, par hasard, il allait dans les rues de Tours, vous eussiez dit d’un étranger ; il ne savait jamais où il était, ni s’il faisait soleil ou clair de lune. Souvent il demandait son chemin aux gens qui passaient, en se croyant à Gand, et semblait toujours en quête de son bien perdu.¶ L’idée la plus vivace et la mieux matérialisée de toutes les idées humaines, l’idée par laquelle l’homme se représente lui-même en créant en dehors de lui cet être tout fictif, nommé la propriété, ce démon moral lui enfonçait à chaque instant ces ses griffes acérées dans le cœur. Puis, au milieu de ce supplice, la Peur se dressait avec tous les sentimenssentiments qui lui servent de cortége. En effet, deux hommes avaient son secret, ce secret qu’il ne connaissait pas luimême !..... Louis XI ou Coyctier pouvaient aposter des gens pour surveiller ses démarches pendant son sommeil, et deviner l’abîme ignoré dans lequel il avait jeté ses richesses au milieu du sang de tant d’innocensd’innocents ; car auprès de ses craintes veillait aussi le remords.¶ Remords. Pour ne pas se laisser enlever, de son vivant, son trésor inconnu, il prit, pendant les premiers jours qui suivirent son désastre, les précautions les plus sévères contre son sommeil. Puis ; puis ses relations commerciales lui permirent de se procurer les antinarcotiques les plus puissans.puissants. Ses veilles durent être affreuses ; il était seul aux prises avec la nuit, le silence, le remords, la peur, avec toutes les pensées que l’homme a le mieux personnifiées, instinctivement peut-être, obéissant ainsi à une vérité morale encore dénuée de preuves sensibles.¶ Enfin, cet homme si puissant, ce cœur endurci par la vie politique et la vie commerciale, ce génie obscur dans l’histoire, dut succomber aux horreurs du supplice qu’il s’était créé. Tué par quelques pensées plus aiguës que toutes celles auxquelles il avait résisté jusqu’alors, il se coupa la gorge avec un rasoir.¶ Cette mort coïncida presque avec celle de Louis XI, en sorte que la Malemaison fut entièrement pillée par le peuple. Quelques anciens du pays de Touraine ont prétendu qu’un gentilhommetraitant, nommé Bohier, trouva le trésor du torçonnier, et s’en servit pour commencer les constructions de Chenonceaux, dont il acheta la seigneurie, château merveilleux qui, malgré les richesses de plusieurs rois, le goût de Diane de Poitiers et celui de sa rivale Catherine de Médicis pour les bâtimensbâtiments, reste encore inachevé.¶ Le Heureusement pour Marie de Sassenage, le sire de Saint-Vallier, heureusement pour Marie de Sassenages, mourut, comme on sait, dans son ambassade ; mais sa. Cette maison ne s’éteignit pas. La comtesse eut, après le départ du comte, un fils dont la destinée est fameuse dans notre histoire de France, sous le règne de François Ier. Il fut sauvé par sa fille, la célèbre Diane de Poitiers, l’arrière-petite-fille illégitime de Louis XI, laquelle devint l’épouse illégitime, la maîtresse bien-aimée de Henri II ; en sorte quecar la bâtardise et l’amour furent héréditaires dans cette noble famille !¶ Au château de Saché, novembre et décembre 1831.¶ COMPARAISON ENTRE MADAME FIRMIANI (Revue de Paris, 1832) ET L’ÉDITION ORIGINALE (1832) Dans la comparaison qui suit le texte de Madame Firmiani publié dans la Revue de Paris sert de texte de base. Les mots, les phrases, les passages rayés reflètent ce texte. Les mots, les phrases, les passages non-rayés indiquent la conformité entre ce texte et celui de l’édition originale. Les mots, les phrases, les passages en rouge constituent des substitutions ou des additions apportées dans le texte de l’édition originale. MADAME FIRMIANI¶Madame Firmiani¶ BeaucoupBEAUCOUP de récits, riches de situations ou rendus dramatiques par les innombrables jets du hasard, emportent avec eux leurs propres artifices, et peuvent être racontés simplement ou artistement par toutes les lèvres sans que le sujet perde même la plus légère de ses beautés ; mais il est quelques aventures de la vie humaine auxquelles les accens du cœur seuls rendent la vie ; mais il est certains détails, pour ainsi dire anatomiques, dont les fibres déliées ne reparaissent, dans une action éteinte, que sous les infusions les plus habiles de la pensée ; puis, il est des portraits qui veulent une âme et qui ne sont rien sans les traits les plus délicats de leur physionomie mobile ; enfin, il y a de ces choses que nous ne savons dire ou faire sans je ne sais quelles harmonies inconnues, et auxquelles il faut un jour, une heure, une conjonction heureuse dans les signes célestes, ou de secrètes prédispositions morales.¶ Or, ces sortes de révélations mystérieuses étaient impérieusement exigées pour dire cette histoire simple à laquelle l’auteur voudrait pouvoir intéresser quelques- unes de ces âmes naturellement mélancoliques et songeuses qui se nourrissent d’émotions douces ; mais si l’écrivain, semblable à un chirurgien près d’un ami mourant, s’est pénétré d’une espèce de respect pour le sujet qu’il maniait, le lecteur doit également partager ce sentiment inexplicable, être initié à cette vague et nerveuse tristesse qui, n’ayant point d’aliment, répand des teintes grises autour de nous, demi-maladie dont nous aimons presque les molles souffrances.¶ Si vous pensez, par hasard, aux personnes chères que vous avez perdues, si vous êtes seul, s’il est nuit ou si le jour tombe, écoutez le récitpoursuivez la lecture de cette aventure...histoire... autrement, vous jetteriez le livre à la première page. Si vous n’avez pas déjà enseveli quelque bonne tante infirme ou sans fortune, vous ne comprendrez point ces pages : aux uns, elles sembleront imprégnées de musc ; aux autres, elles paraîtront aussi décolorées, aussi vertueuses que peuvent l’être celles de Florian ; pour tout dire, il faut que vous ayez connu la volupté des larmes, la douleur muette d’un souvenir qui passe légèrement, chargé d’une ombre chère, mais d’une ombre lointaine, un de ces souvenirs qui vous faitfont tout à la fois regretter ce que vous a dévoré la terre, et sourire d’un bonheur évanoui.¶ Maintenant, croyez que pour les richesses de l’Angleterre, l’auteur ne voudrait pas extorquer à la poésie un seul de ses mensonges pour embellir sa narration. Ceci est une histoire vraie et pour laquelle vous pouvez verser les trésors de votre sensibilité, si vous en avez.¶ Aujourd’hui, notre langue a autant d’idiomes qu’il existe de variétés d’hommes dans la grande famille française ; et c’est vraiment chose curieuse et agréable que d’écouter les différentes versions données sur une même chose, un même événement, un même mot, par chacune des espèces qui composent la monographie du Parisien ; le Parisien étant pris pour généraliser la thèse.¶ Ainsi, vous eussiez demandé à un sujet appartenant au genre des positifs :¶ – Connaissez-vous madame Firmiani ?....¶ Cet homme vous eût traduit Mmemadame Firmiani par l’inventaire suivant :¶ – Un grand hôtel situé rue du Bac ; des salons bien meublés ; de beaux tableaux ; cent bonnes mille livres de rente ; et un mari, jadis receveur général dans le département de Montenotte...¶ Ayant dit, le positif, homme gros et rond, presque toujours vêtu de noir, fait une petite grimace de satisfaction, relève sa lèvre inférieure en la fronçant de manière à couvrir la supérieure, et hoche la tête comme s’il ajoutait : – Voilà des gens solides..... et sur lesquels il n’y a rien à dire...¶ Ne lui demandez rien de plus : les positifs expliquent tout par des chiffres, par des rentes ou par les biens au soleil (mot de leur lexique).¶ ¶ Tournez à droite, allez interroger cet autre qui appartient au genre des flaneurs ?: répétez-lui votre question ?¶!¶ – MmeMadame Firmiani !...!.... dit-il, oui, oui ! je la connais bien ; je vais à ses soirées !...!..... Elle reçoit le mercredi ; c’est une maison fort honorable.....¶ MmeMadame Firmiani se métamorphose en maison. Cette maison n’est plus un amas de pierres superposées architectoniquement ; non, ce mot est, dans la langue des flaneurs, un idiotisme intraduisible.¶ – Mais.....¶ Ici, le flaneur, homme sec, à sourire agréable, disant de jolis riens, ayant toujours plus d’esprit acquis que d’esprit naturel, se penche à votre oreille ;, et, d’un air fin, vous dit :¶ – Je n’ai jamais vu M. Firmiani..... Sa position sociale consiste à gérer des biens en Italie ; me M madame Firmiani est Française, et dépense ses revenus en Parisienne. Elle a d’excellent thé !...!..... C’est une des maisons, aujourd’hui si rares, où l’on s’amuse, et où ce que l’on vous donne est exquis. Au reste, il est fort difficile d’être admis chez elle. Aussi la meilleure société se trouve-t-elle dans ses salons !¶ Puis, le flaneur commente ce dernier mot par une prise de tabac saisie gravement ; et, en se garnissant le nez à petits coups, il semble vous dire :¶ – Je vais dans cette maison, mais ne comptez pas sur moi pour vous y présenter.¶ MmeMadame Firmiani tient pour les flaneurs une espèce d’auberge sans enseigne.¶ ¶ – Que veux-tu donc aller faire chez Mmemadame Firmiani ? mais l’on s’y ennuie autant qu’à la cour. A quoi sert d’avoir de l’esprit, si ce n’est à éviter des salons où, par la poésie qui court, on lit la plus petite ballade fraîche éclose ?¶ Vous avez questionné l’un de vos amis classé parmi les personnels, gens qui voudraient tenir l’univers sous clef et n’y rien laisser faire sans leur permission. Ils sont malheureux de tout le bonheur des autres, ne pardonnent qu’aux vices, aux chutes, aux infirmités, et ne veulent que des protégés. Aristocrates par inclination, ils se font républicains par dépit, afin d’avoir beaucoup d’inférieurs parmi leurs égaux.¶ ¶ – Oh ! Mmemadame Firmiani, mon cher..... C’est une de ces femmes adorables qui servent d’excuse à la nature pour toutes les laides qu’elle a créées par erreur ; elle est ravissante ! elle est bonne ! Je ne voudrais être au pouvoir, devenir roi, posséder des millions, que pour (ici trois mots dits à l’oreille). Veux-tu que je t’y présente ?...¶?.....¶ Ce jeune homme est du genre lycéen.¶ ¶ – Madame Firmiani ! s’écrie un autre en faisant tourner sa canne sur elle-même, je vais te dire ce que j’en pense : c’est une femme entre trente et trente-cinq ans, figure passée, beaux yeux, taille plate, voix de contralto usée, beaucoup de toilette, un peu de rouge, charmantes manières ; ce sont les restes d’une jolie femme. Cependant elle vaut encore la peine d’une passion.....¶ Cette sentence est due à un sujet du genre fat. Il vient de déjeuner, ne pèse plus ses paroles, et va monter à cheval. En ces momens-là les fats sont impitoyables.¶ ¶ – Il y a chez elle une galerie de tableaux magnifiques !...!..... allez la voir ; c’est de toute beauté...¶!.... Rien n’est aussi beau !....¶ Vous vous étiez adressé au genre amateur. L’individu vous quitte pour aller chez Pérignon. Pour lui, Mmemadame Firmiani est une collection de toiles peintes.¶ ¶ UNE FEMME. – Mme Madame Firmiani !...!.... je ne veux pas que vous alliez chez elle !...¶!....¶ Cette phrase est la plus riche des traductions !¶ MmeMadame Firmiani !...!.... femme dangereuse ! syrène ! elle se met bien ! elle a du goût ! elle cause des insomnies à toutes les femmes. ¶ L’interlocutrice appartient au genre des tracassiers.....¶ UN ATTACHÉ D’AMBASSADE. – Mme Madame Firmiani !...!.... N’est-elle pas d’Anvers ? J’ai vu cette femme-là bien belle il y a dix ans..... Elle était alors à Rome.....¶ ¶ Les sujets appartenant à la classe des attachés ont la manie de dire des mots à la Talleyrand. Leur esprit est souvent si fin, que leurs aperçus sont imperceptibles. Ils ressemblent aux joueurs de billard, qui évitent les billes avec une adresse infinie. Ces individus sont généralement peu parleurs ; mais quand ils parlent, ils ne s’occupent que de l’Espagne, de Vienne, de l’Italie ou de Pétersbourg. Les noms de pays sont chez eux comme des ressorts : pressez-les ; la sonnerie vous dira tous ses airs !...¶!....¶ ¶ – Cette Mmemadame Firmiani ne voit-elle pas beaucoup le faubourg Saint-Germain ?...¶?....¶ Ceci est dit par une personne qui veut appartenir au genre distingué. Elle donne le de à tout le monde, à M. du PinDupin l’aîné, à M. Lafayette, elle le jette à tort et à travers, elle en déshonore les gens. Elle passe sa vie à s’inquiéter de ce qui est bien ; mais, pour son supplice, elle demeure au Marais, et son mari a été avoué, mais avoué à la Cour royale.....¶ – Mme– Madame Firmiani, monsieur ? je ne la connais pas !¶ Cet homme appartient au genre des ducs. Il n’avoue que les femmes présentées ; mais, excusezle, il est duc par le fait de Napoléon.¶ ¶ – Mme Madame Firmiani ?... N’est-ce pas une ancienne actrice des Italiens ?¶ Homme du genre niais. Les individus de cette classe ont veulent avoir réponse à tout.¶ ¶ DEUX VIEILLES DAMES (femmes d’anciens magistrats).¶ ¶ LA PREMIÈRE. – (Elle a un bonnet à coques ; sa figure est ridée ; son nez est pointu ; elle tient un Paroissien ; voix dure.)¶ :)¶ – Qu’est-elle en son nom ?........ cette Mmemadame Firmiani ?...¶?....¶ ¶ LA SECONDE. – (Petite figure rouge, ressemblant à une vieille pomme d’api ; voix douce.)¶ :)¶ – Une Carignan !...¶!....¶ MmeMadame Firmiani est une Carignan ; elle n’aurait ni vertus, ni fortune, ni jeunesse, ce serait toujours une Carignan. Une Carignan, c’est comme un préjugé !, toujours riche et vivant.¶ ¶ UN ORIGINAL. – Mon cher, je n’ai jamais vu de socques dans son antichambre ; tu peux aller chez elle sans te compromettre et y jouer sans crainte, parce que, s’il y a des fripons, ils sont gens de qualité ; partant, on ne s’y querelle pas.¶ ¶ VIEILLARD, APPARTENANT AU GENRE DES OBSERVATEURS. – Vous irez chez Mmemadame Firmiani, vous trouverez, mon cher, une belle femme nonchalamment assise au coin de sa cheminée ; à peine se lèvera-t-elle de son fauteuil. Elle est fort gracieuse ; elle charme ; elle cause bien et veut causer de tout ; il y a chez elle tous les indices de la passion, mais on lui donne trop d’amans pour qu’elle en ait un ; et si les soupçons ne planaient que sur deux ou trois de ses intimes, nous saurions quel est son cavalier servant ; mais c’est une femme toute mystérieuse ; elle est mariée, et jamais nous n’avons vu son mari ;. M. Firmiani est un personnage tout-à-fait fantastique ; il ressemble à ce troisième cheval que l’on paie toujours en courant la poste, et qu’on n’aperçoit jamais. Madame, à entendre les artistes, est le premier contralto d’Europe, ; néanmoins, elle n’a pas chanté trois fois depuis qu’elle est à Paris ; elle reçoit beaucoup de monde, et ne va chez personne.....¶ L’observateur parle en prophète. Il faut accepter ses paroles, ses anecdotes, ses citations, comme des vérités, sous peine de passer pour un homme sans instruction, sans moyens. Il vous calomniera gaiementgaîement dans vingt salons où il est essentiel comme une première pièce sur l’affiche, ces pièces si souvent jouées pour les banquettes, et qui ont eu du succès autrefois. L’observateur a quarante ans, ne dîne jamais chez lui, se dit peu dangereux près des femmes ; il est poudré, porte un habit marron, a toujours une place dans plusieurs loges aux Bouffons ; il est quelquefois confondu parmi les parasites, mais il a rempli de trop hautes fonctions pour être soupçonné d’être un piqueassiette, et possède d’ailleurs une terre dans un département dont le nom ne lui est jamais échappé.¶ ¶ – Mme Madame Firmiani ?...?.... Mais, mon cher, c’est une ancienne maîtresse de Murat !...¶!....¶ Celui-ci est dans la classe des contradicteurs. Ces sortes de gens font les errata de tous les mémoires, rectifient tous les faits, parient toujours cent contre un, sont sûrs de tout ; et dans la même soirée, vous les surprenez en flagrant délit d’ubiquité. Ils disent avoir été arrêtés à Paris lors de la conspiration Mallet, oubliant qu’ils ont, une demi-heure auparavant, assisté au passage de la Bérésina...... Presque tous les contradicteurs sont chevaliers de la Légion-d’Honneur, parlent trèshaut, ont un front fuyant, et jouent gros jeu.¶ ¶ – Mme Madame Firmiani, 100,000cent mille livres de rentes !... Êtes-vous fou !? Vraiment, il y a des gens qui vous donnent des 100,000cent mille livres de renterentes avec la libéralité des auteurs, auxquels cela ne coûte rien quand ils dotent leurs héroïnes..... Mais Mmemadame Firmiani est une coquette... Elle ..... elle a ruiné dernièrement un jeune homme, et l’a empêché de faire un très beau mariage. Si elle n’était pas belle, elle serait sans un sou.....¶ Oh ! celui-ci, vous le reconnaissez. Il est du genre des envieux, et nous n’en dessinerons pas le moindre trait..... L’espèce en est aussi connue que peut l’être celle des felis domestiques ; les envieux ne sont pas plus rares dans le monde que les pariétaires sur les murs.......¶ Mais les gens du monde, les gens de lettres, les honnêtes gens, et les gens de tout genre, répandaient, au mois de janvier 1825, tant d’opinions différentes sur Mmemadame Firmiani, qu’il serait fastidieux de les consigner toutes ici..... Nous avons seulement voulu constater qu’un homme intéressé à la connaître, sans aller chez elle, aurait eu raison de la croire également veuve ou mariée, sotte ou spirituelle, vertueuse ou sans mœurs, riche ou pauvre, sensible ou sans âme, belle ou laide ; et bref, il y avait autant de Mmesmadames Firmiani que de classes dans la société, que de sectes dans le catholicisme. Effrayante pensée !...!.... Nous sommes tous comme des planches lithographiques dont la médisance tire une infinité de copies ; or, ces épreuves ressemblent au modèle ou en diffèrent par des nuances tellement imperceptibles, que la réputation dépend, sauf les calomnies de nos amis et les bons mots d’un journal, de la balance faite par chacun entre le vrai qui va boitant et les vérités qui courent.¶ MmeMadame Firmiani, semblable à beaucoup de femmes pleines de noblesse et de fierté, qui se font de leur cœur un sanctuaire et dédaignent le monde, aurait pu être très mal jugée par M. le comte de Valesnes, vieux propriétaire occupé d’elle, au commencement de l’année 1825 ; mais, par hasard, ce propriétaire appartenait à la classe des planteurs, gens habitués à se rendre compte de tout, et à faire des marchés avec les paysans. Or, à ce métier, un homme devient perspicace malgré lui, comme un soldat contracte à la longue un courage de routine.¶ Ce curieux, venu de Touraine, et que les idiomes parisiens ne satisfaisaient point, était un gentilhomme très honorable, qui jouissait, pour seul et unique héritier, d’un neveu dont il raffolait, et pour lequel il plantait ses peupliers.... Cette amitié ultra-naturelle motivait bien des médisances que les sujets appartenant aux diverses espèces du Tourangeau formulaient très spirituellement ; mais il est inutile de les rapporter, car elles pâliraient auprès des médisances parisiennes. Or, quand on peut penser à son héritier, sans déplaisir, en voyant tous les jours de belles rangées de peupliers s’embellir, l’affection s’accroît de chaque coup de bêche qu’on donne au pied des arbres ; c’est un phénomène de sensibilité peu commun ; mais il se rencontre encore en Touraine.¶ Ce neveu chéri se nommait Jules de Camps, et descendait du fameux abbé de Camps, si connu des bibliophiles ou des savans, ce qui n’est pas la même chose.¶ Les gens de province ont la mauvaise habitude de frapper d’une espèce de réprobation décente les jeunes gens qui vendent leurs héritages ; ce préjugé gothique nuit à l’agiotage que, jusqu’à présent, le gouvernement encourage par une quasi-tolérance. Or Jules de Camps, sans consulter son oncle, avait, à l’improviste, disposé d’une terre en faveur de la bande noire, et le château de Villaines eût été démoli sans les propositions que le vieil oncle avait faites aux représentans de la compagnie du marteau. Pour augmenter la colère du testateur, un ami de Jules, parent éloigné, un de ces gens habiles dont les capacités départementales disent : – Je ne voudrais pas avoir de procès avec lui !... était venu, par hasard, chez M. de Valesnes, et lui avait appris, par hasard, la ruine de son neveu...¶ M. Jules de Camps, après avoir dissipé sa fortune pour une Mmemadame Firmiani, s’était vu réduit à se faire répétiteur de mathématiques, en attendant l’héritage de son oncle, auquel il n’osait venir avouer ses fautes.¶ Cet arrière-cousin, espèce de Charles Moor, n’avait pas eu honte de donner ces fatales nouvelles à M. de Valesnes au moment où le vieux campagnard digérait devant un bon feuson large foyer un copieux dîner de province! !.....¶ Mais il n’est pas aussi facile de venir à bout d’un oncle que les héritiers le voudraient, et celui-ci, grâce à son entêtement, car il refusait de croire en l’arrière-cousin, sortit vainqueur de l’indigestion causée par la biographie de son neveu.... Il y a des coups qui portent sur le cœur, d’autres sur la tête ; le coup porté par l’arrière-cousin tomba sur les entrailles et produisit peu d’effet, parce que le bonhomme avait un excellent estomac...¶…..¶ En vrai disciple de saint Thomas, M. de Valesnes vint à Paris, à l’insu de Jules, et voulut prendre des renseignemens sur la déconfiture de son héritier. Le vieux gentilhomme, qui avait des relations dans le faubourg Saint-Germain, entendit en deux jours tant de médisances, de vérités, de faussetés, sur Mmemadame Firmiani, qu’il résolut de se faire présenter chez elle sous le nom de M. de Rouxellay, son nom patronimique.¶ Le prudent vieillard avait eu soin de choisir, pour venir étudier la prétendue maîtresse de Jules, une soirée pendant laquelle il le savait occupé d’achever un travail chèrement payé ; car l’amant de Mmemadame Firmiani était toujours reçu chez elle, circonstance que personne ne pouvait expliquer ; quant à la ruine de Jules, ce n’était malheureusement pas une fable.¶ M. le comte de Rouxellay de Valesnes ne ressemblait point à un oncle du Gymnase ; c’était un ancien mousquetaire, un homme de haute compagnie qui avait eu jadis des bonnes fortunes ; et, quoiqu’il aimât les Bourbons avec une noble franchise, qu’il crût en Dieu comme y croient les gentilshommes, qu’il lût la Quotidienne, il savait se présenter courtoisement, se souvenait des manières polies d’autrefois, disait des mots gracieux, comprenait presque toute la Charte, ; et, sauf un peu de rouille, il pouvait tenir sa place près des gens de cour, pourvu qu’on ne lui parlât point de Mosè, du drame, de romantisme, de couleur locale, de chemins de fer, car il en était resté à M. de Voltaire, à Buffon, à Perronnet et au chevalier de Gluck.¶ – Madame, dit-il à la comtesse de Frontenac, à laquelle il donnait le bras en entrant chez me M madame Firmiani, si cette femme est la maîtresse de mon neveu, je le plains! !..... Comment peut-elle vivre au sein du luxe en le sachant dans un grenier!... !.... Elle n’a pas d’âme. Jules est un fou d’avoir placé le prix de la terre de Villaines dans le cœur d’une....¶ Le comte, appartenant au genre fossile, ne connaissait que le langage du vieux temps.¶ – Mais s’il l’avait perdue au jeu ?...¶ – Eh ?Eh ! madame, au moins il aurait eu le plaisir de jouer...¶ – Vous croyez donc qu’il n’a pas eu de plaisir... Tenez, voyez Mmemadame Firmiani...¶ Les plus beaux souvenirs du vieil oncle pâlirent à l’aspect de la maîtresse de son neveu. Sa colère expira dans une phrase toute gracieuse qui lui fut arrachée à l’aspect de Mmemadame Firmiani. Elle était, par un de ces hasards qui n’arrivent qu’aux jolies femmes, dans un moment où toutes ses beautés brillaient d’un éclat particulier, dû peut-être à la lueur des bougies, à une toilette admirablement simple, à je ne sais quel reflet du luxe élégant qui l’environnait. Il faut avoir étudié toutes les petites révolutions d’une soirée dans un salon de Paris pour apprécier les nuances imperceptibles qui peuvent colorer un visage de femme et le changer.¶ Il est un moment où, contente de sa parure, où se trouvant spirituelle, heureuse d’être admirée, se voyant la reine d’un salon plein d’hommes remarquables qui lui sourient, elle a la conscience de sa beauté, de sa grâce ; alors, elle s’embellit de tous les regards qu’elle recueille et qui l’animent, mais dont elle sacrifie les muets hommages à son bien-aimé. En ce moment, une femme est comme investie d’un pouvoir surnaturel ; c’est une magicienne ; coquette à son insu, elle inspire involontairement l’amour dont elle s’enivre en secret ; elle a des sourires, des regards qui fascinent ; et si cet éclat, venu de l’âme, donne de l’attrait même aux laides, de quelle splendeur ne revêt-il pas une femme nativement élégante, aux formes distinguées, blanche, fraîche, aux veux vifs, et surtout mise avec un goût avoué des artistes et de ses rivales.¶ Avez-vous, pour votre bonheur, rencontré quelque personne dont la voix harmonieuse imprime à la parole un charme également répandu dans ses manières ; qui sait et parler et se taire ; s’occuper de vous avec délicatesse ; dont les mots sont heureusement choisis, le langage pur ; sa raillerie caresse et sa critique ne blesse point ; elle ne disserte pas plus qu’elle ne dispute, elle se plaît à conduire une discussion, et l’arrête à propos ; son air est affable et riant ; sa politesse n’a rien de forcé, son empressement n’est pas servile ; elle réduit le respect à n’être plus qu’une ombre douce ; elle ne vous fatigue jamais, et vous laisse satisfait d’elle et de vous ; sa bonne grâce, vous la retrouvez empreinte dans les choses dont elle s’environne ; chez elle, tout flatte la vue, et vous y respirez comme l’air d’une patrie. Cette femme est naturelle ; en elle, jamais d’effort, elle n’affiche rien ; ses sentimens sont simplement rendus, parce qu’ils sont vrais ; elle est franche, et sait n’offenser aucun amour-propre ; elle accepte les hommes comme Dieu les a faits, plaignant les gens vicieux, pardonnant aux défauts et aux ridicules, concevant tous les âges, et ne s’irritant de rien, parce qu’elle a le tact de tout prévoir. Elle oblige avant de consoler ; elle est tendre et gaie ; vous l’aimez irrésistiblement, et si cet ange fait une faute, vous vous sentez prêt à la justifier... Telle était Mmemadame Firmiani.¶ Lorsque M. de Valesnes eut causé pendant un quart d’heure avec cette femme, assis près d’elle, son neveu fut absous, et il comprit que, fausses ou vraies, les liaisons de Jules et de Mmemadame Firmiani cachaient sans doute quelque mystère. Revenant aux illusions qui dorent les premiers jours de notre jeunesse, et jugeant du cœur de Mmemadame Firmiani par sa beauté, il pensa qu’une femme aussi pénétrée de sa dignité qu’elle paraissait l’être était incapable d’une mauvaise action. Il y avait tant de calme dans ses yeux noirs ; les lignes de son visage étaient si nobles, les contours si purs, et la passion dont on l’accusait semblait lui peser si peu sur le cœur, que le comte admirant toutes les promesses faites à l’amour et à la vertu par cette adorable physionomie, se dit :¶ – Mon neveu aura commis quelque sottise !...¶ MmeMadame Firmiani avouait vingt-cinq ans ; mais les positifs prouvaient que, mariée en 1813, à l’âge de seize ans, elle devait avoir au moins vingt-huit ans en 1825 ; néanmoins, les mêmes gens assuraient aussi, qu’à aucune époque de sa vie, elle n’avait été si désirable, si complétement femme. Elle était sans enfans, et n’en avait point eu. Le problématique M. Firmiani, quadragénaire déjà très respectable en 1813, ne lui avait, disait-on, offert que son nom et sa fortune. MmeMadame Firmiani atteignait donc l’âge où la Parisienne conçoit le mieux une passion et la désire peut-être innocemment à ses heures perdues. Elle avait acquis tout ce que le monde vend, tout ce qu’il prête, tout ce qu’il donne. Les attachés d’ambassade prétendaient qu’elle n’ignorait rien ; les contradicteurs prétendaient qu’elle pouvait encore apprendre beaucoup de choses ; les observateurs lui trouvaient les mains bien blanches, le pied bien mignon, les mouvemens un peu trop onduleux ; mais les individus de tous les genres enviaient ou contestaient le bonheur de Jules, et convenaienten convenant que Mmemadame Firmiani était la femme la plus aristocratiquement belle de tout Paris. Jeune encore, riche, musicienne parfaite, spirituelle, délicate, reçue, en souvenir des Carignan, auxquels elle appartenait par sa mère, chez Mmemadame la duchesse de...,….., oracle du noble faubourg, elle flattait toutes les vanités qui alimentent et qui excitent l’amour. Elle était désirée par trop de gens pour n’être pas victime de l’élégante médisance parisienne, et des ravissantes calomnies qui se débitent si spirituellement sous l’éventail ou dans les à parte ; aussi les observations par lesquelles cette histoire commence étaient nécessaires pour faire connaître la Firmiani du monde. Si quelques femmes lui pardonnaient son bonheur, d’autres ne lui faisaient pas grâce de sa décence ; et rien n’est plus terrible, surtout à Paris, que des soupçons sans fondement : il est impossible de les détruire.¶ Cette esquisse d’une figure admirable de naturel n’en donnera jamais qu’une faible idée. Il faudrait le pinceau de Gérard pour rendre la fierté du front, la profusion des cheveux, la majesté du regard, toutes les pensées que faisaient supposer les couleurs particulières du teint ; il y avait tout dans cette femme ; les poètes pouvaient en faire à la fois Jeanne d’Arc ou Agnès Sorel ; mais il y avait aussi la femme inconnue, l’âme cachée sous cette enveloppe décevante, l’âme d’Ève, les richesses du mal et les trésors du bien, la faute et la résignation, le crime et le dévouement, Dona Julia et Haïdée de Don Juan.¶ L’ancien mousquetaire demeura fort impertinemment le dernier dans le salon de Mmemadame Firmiani, qui le trouva tranquillement assis dans un fauteuil restant devant elle avec l’importunité d’une mouche qu’il faut tuer pour s’en débarrasser. La pendule marquait deux heures après minuit.¶ – Madame, dit le vieux gentilhomme au moment où Mmemadame Firmiani se leva en espérant faire comprendre à son hôte que son bon plaisir était qu’il partît ; madame, je suis l’oncle de M. Jules de Camps…..¶ MmeMadame Firmiani s’assit promptement. Elle était émue. Mais, malgré sa perspicacité, le planteur de peupliers ne devina pas si elle pâlissait et rougissait de honte ou de plaisir ; souvent il y a des plaisirs qui ne vont pas sans un peu de pudeur effarouchée, délicieuses émotions que le cœur le plus chaste voudrait toujours voiler ; plus une femme est délicate et plus elle veut cacher les joies de son âme ; et beaucoup de femmes, inconcevables dans leurs divins caprices, souhaitent souvent entendre prononcer par tout le monde un nom que, parfois, elles désireraient ensevelir dans leur cœur.¶ M. de Rouxellay n’interpréta pas tout-à-fait ainsi le trouble de Mmemadame Firmiani ; mais le campagnard était défiant.¶ – HéEh bien, monsieur ?... lui dit Mmemadame Firmiani, en lui jetant un de ces regards lucides et clairs où, nous autres hommes, nous ne pouvons jamais rien voir parce qu’ils nous interrogent un peu trop.¶ – Eh bien, madame, reprit le gentilhomme, savez-vous ce qu’on est venu me dire, à moi, au fond de ma province ?...?.... Mon neveu vous aime, il s’est ruiné pour vous !... Le malheureux est dans un grenier tandis que vous êtes ici !... Vous me pardonnerez ma rustique franchise, car il est peut-être très utile que vous soyez instruite des calomnies que...¶…..¶ – Arrêtez, monsieur, dit Mmemadame Firmiani en interrompant le gentilhomme par un geste impératif, je sais tout cela ! Vous êtes trop poli pour laisser la conversation sur ce sujet lorsque je vous aurai prié de le quitter. – Vous êtes trop galant (dans l’ancienne acception du mot, ajouta-t-elle en donnant un léger accent d’ironie à ses paroles) pour ne pas reconnaître que vous n’avez aucun droit de me questionner ; qu’il serait ridicule à moi de me justifier ; et j’espère que vous aurez une assez bonne opinion de mon caractère pour croire au profond mépris que l’argent m’inspire. J’ignore si monsieur votre neveu est riche ou pauvre. Si ; si je l’ai reçu, si je le reçois, je le regarde comme digne d’être au milieu de mes amis, ; et tous ont du respect les uns pour les autres ; ils savent que je n’ai pas la philosophie de voir des gens que je n’estime point ;: c’est manquer de charité peut-être ; mais mon ange gardien m’a maintenue jusqu’aujourd’hui dans une aversion profonde des caquets et de l’improbité.....¶ Le timbre de la voix était légèrement altéré pendant les premières phrases de cette réplique ; mais les derniers mots furent dits par Mmemadame Firmiani avec l’aplomb de Célimène raillant le Misantrope.¶ – Madame, reprit le comte d’une voix émue, je suis un vieillard, je suis le père de Jules ; je vous demande donc, par avance, le plus humble des pardons pour la seule question que je vais avoir la hardiesse de vous adresser ; et je vous donne ma parole de loyal gentilhomme que votre réponse mourra là...¶…..¶ Il mit la main sur son cœur avec un mouvement véritablement religieux.¶ – Aimez-vous Jules ?..... La médisance a-t-elle raison ?.....¶ – Monsieur, dit-elle, à tout autre je ne répondrais que par un regard ; mais à vous, et parce que vous êtes le père de M. de Camps, je vous demanderai ce que vous penseriez d’une femme si, à votre question, elle disait oui ?...disait : Oui ? – Avouer son amour à celui que nous aimons.... quand il nous aime.... bien.... quand nous sommes certaines d’être aimées... croyez-moi, monsieur, c’est un effort... une récompense, un bonheur... mais à un autre !...¶ Elle n’acheva pas ; elle se leva, salua le bonhomme et disparut dans ses appartemens, dont elle ouvrit et ferma successivement toutes les portes.¶ – Ah ! peste !!.... dit le vieillard, quelle femme !... c’est une rusée commère, ou un ange !...¶!....¶ Et il gagna sa voiture de remise dont les chevaux donnaient de temps en temps des coups de pied au pavé de la cour silencieuse. Le cocher dormait, après avoir cent fois maudit sa pratique !¶.¶ Le lendemain matin, vers huit heures, le vieux gentilhomme montait l’escalier d’une maison située rue de l’Observance, où demeurait Jules de Camps ; et, s’il y eut au monde un homme étonné, ce fut, certes, le jeune professeur, quand il vit son oncle. La clef était sur la porte, la lampe de Jules brûlait encore, ; il avait passé la nuit.¶ – Monsieur le drôle, dit M. de Valesnes, en s’asseyant sur un fauteuil, depuis quand se rit-on (style chaste) des oncles qui ont seize mille livres de rente en bonnes terres de Touraine, et dont on est le seul héritier ?... Savez-vous que, jadis, nous respections ces parens-là !.... Voyons, as-tu quelques reproches à m’adresser ? Ai-je mal fait mon métier d’oncle ? t’ai-je demandé du respect, t’ai-je refusé de l’argent ? t’ai-je fermé la porte au nez en prétendant que tu venais voir comment je me portais ?...?.... N’as-tu pas l’oncle le plus commode, le moins assujettissant qu’il y ait en France, je ne dis pas en Europe, ce serait trop prétentieux !...?.... Tu m’écris ou tu ne m’écris pas, ; je vis sur l’affection jurée, et je t’arrange la plus jolie terre du pays, : je ne veux te la laisser néanmoins que le plus tard possible ; mais cette velléité n’est pas un vice, c’est une manie fort excusable ! Et monsieur vend son bien, se loge comme un laquais, et n’a plus ni gens, ni train...¶…..¶ – Mon oncle !...¶!....¶ – Il ne s’agit pas de l’oncle, mais du neveu ; j’ai droit à ta confiance ? !..... Confesse-toi promptement, c’est plus facile ! je sais cela par expérience !...!.... As-tu joué ?...?.... as-tu perdu à la Bourse ?...?.... allons, dis-moi : – « Mon oncle, je suis un misérable !... !.... » et je t’embrasse..... Mais si tu me fais un mensonge plus gros que ceux que j’ai faits à ton âge, je vends mon bien, je le mets en viager, et je reprendrai mes mauvaises habitudes de jeunesse...¶…..¶ – Mon oncle...¶…..¶ – J’ai vu hier ta Mmemadame Firmiani !...¶!....¶ Là-dessus M.A ces mots, M. de Valesnes, voulant faire le jeune homme, baisa le bout de ses doigts qu’il ramassa en faisceau, puis il dit :¶ – Elle est charmante !...!.... tu as l’approbation et le privilége du roi, de ton oncle….. Quant à la sanction de l’Églisel’église, elle est inutile…... les sacremens sont trop chers !...!..... Allons !...!..... parle, est-ce pour elle que tu es ici,...….. ruiné.....¶ – Oui, mon oncle.¶ – Ah ! la coquine !...!.... je l’aurais parié !.... De mon temps, les femmes de la cour étaient plus habiles à ruiner un homme que ne peuvent l’être vos courtisanes d’aujourd’hui, ; et j’ai reconnu, en elle, le siècle passé rajeuni.¶ – Mon oncle, reprit Jules, d’un air tout à la fois triste et doux, vous vous méprenez !... MmeMadame Firmiani mérite votre estime et toutes les adorations de ses admirateurs...¶…..¶ – La pauvre jeunesse est toujours la même !... dit M. de Valesnes. Allons, va ton train, rabâchemoi de vieilles histoires !...!..... Cependant tu dois savoir que je ne suis pas d’hier dans la galanterie...¶…..¶ – Mon bon oncle, voici une lettre qui vous dira tout ! répondit Jules en tirant un portefeuille très élégant, donné sans doute par elle. Quand vous l’aurez lue, j’achèverai de vous instruire, et vous connaîtrez une Mmemadame Firmiani, inconnue au monde...¶…..¶ – Je n’ai pas mes lunettes, dit M. de Valesnes, lis-la-moi...…..¶ ¶ Jules commença ainsi : « Mon ami chéri !... »¶ ¶ – Tu as donc cette femme-là ?...¶?....¶ – Mais, oui, mon oncle.¶ – Et vous n’êtes pas brouillés ?¶ – Brouillés ! répéta Jules avec étonnement. Nous sommes mariés à Greatna-Green !¶ – Hé bien !...!..... reprit M. de Valesnes, pourquoi donc dînes-tu à quarante sous ?¶ – Laissez-moi continuer.¶ – C’est juste ! j’écoute....¶ ¶ Jules reprit la lettre, et n’en lut pas certains passages sans une émotion profonde.¶ ¶ « Mon époux aimé, tu m’as demandé raison de ma tristesse ! A-t-elle donc passé de mon âme sur mon visage ? ou l’as-tu seulement devinée ? Cela se peut, nous sommes si bien unis de cœur ! puis, je ne sais pas mentir, c’est un malheur : une des conditions de la femme aimée est d’être toujours de bonne humeur et caressante. Peut-être saurais-je te tromper, mais je ne le voudrais pas, même pour augmenter ou conserver le bonheur que tu me donnes, que tu me prodigues, dont tu m’accables. Oh ! cher, qu’il y a de reconnaissance dans mon amour ! Aussi veux-je t’aimer toujours, sans bornes...….. je veux être toujours fière de toi. Notre gloire à nous, c’est notre amant... Notre estime.... Estime, considération, honneur, tout est à celui qui a tout pris…... Eh bien ! mon ange a failli !...!.... Oui, cher, ta dernière confidence a terni ma félicité passée ; et depuis, je me trouve humiliée en toi, – en toi, que je regardais comme le plus pur des hommes….. comme tu en es le plus aimant et le plus tendre. Il faut avoir bien confiance en ton cœur, encore enfant, pour te faire un tel aveu, : il me coûte horriblement. Comment, pauvre ange, ton père a dérobé sa fortune, tu le sais, et tu la gardes !...!.... et tu m’as conté ce haut fait de procureur dans une chambre pleine des témoins muets de notre amour ; et tu es gentilhomme, et tu te crois noble ! et tu me possèdes, et tu as vingt-deux ans !...!.... Que de monstruosités ! Je t’ai cherché des excuses. J’ai attribué ton insouciance à ta jeunesse étourdie ; je sais qu’il y a beaucoup de l’enfant en toi ; tu n’as peut-être pas encore pensé bien sérieusement à ce qui est fortune et probité. Oh ! que ton rire m’a fait de mal ! Songe donc qu’il existe une famille ruinée, toujours en larmes ; et, des jeunes personnes, peut-être, qui te maudissent tous les jours ; un vieillard qui, chaque soir, se dit : – « Je ne serais pas sans pain si le père de M. de Camps n’avait pas été un malhonnête homme !... !.... » car il n’y a pas de puissance au monde qui ait l’autorité de changer le langage de la probité. Retire-toi dans ta conscience, et demande-lui un mot pour nommer l’action à laquelle tu dois ton or...¶…..¶ »« Je ne te dirai pas toutes les pensées qui m’assiégent, parce qu’elles peuvent se réduire toutes à une seule : – Je ne puis pas estimer un homme qui se salit sciemment pour une somme d’argent, quelle qu’elle soit.¶ »« Cent sous volés au jeu, ou 100,000 fr.cent mille francs dus à une tromperie légale, déshonorent également un homme.¶ »« Je veux tout te dire ! Je me regarde comme entachée par des caresses qui naguère faisaient tout mon bonheur. Il y a au fond de mon âme une voix que mon amour ne peut pas étouffer ; elle crie sans cesse ; et j’ai pleuré d’avoir plus de conscience que d’amour. Tu pourrais commettre un crime, je te cacherais à la justice humaine dans mon sein, si je le pouvais ; mais mon dévouement n’irait que jusque-là…... L’amour, mon pauvre enfantmaître aimé, mon ange, est, chez une femme, la confiance la plus illimitée, et je ne l’ai jamais conçu que comme un feu auquel s’épuraient encore les plus nobles sentimens, un feu qui les développait tous. Je n’ai plus qu’une seule chose à te dire : viens me voir pauvre, ou renonce à moi. Si je ne te vois plus, je sais ce qui me reste à faire. Maintenant, je ne veux pas, entends-moi bien, que tu restitues, parce que je te le conseille. Consulte bien ta conscience. Il ne faut pas que cet acte de justice soit un sacrifice fait à l’amour. Je ; car je suis ta femme, et non pas ta maîtresse. : il s’agit moins de me plaire que de m’inspirer pour toi la plus profonde estime.... Si je me trompe, si tu as mal compris l’action de ton père ; enfin, pour peu que tu croies ta fortune légitime…... Oh ! je voudrais me persuader que tu ne mérites aucun blâme ! Un homme qui aime sincèrement, et comme tu aimes, respecte trop tout ce que sa maîtresse met en lui de sainteté pour être improbe...….. Je me reproche maintenant tout ce que je viens d’écrire ; un mot suffisait peut-être, mais !.... Mais j’ai été emportée par mon instinct de prêcheuse. Aussi je voudrais être grondée, pas trop fort, mais un peu ; car enfin, entre nous deux, tu es le pouvoir, et tu dois seul apercevoir tes fautes. Ah ! mon maître, direz-vous que je ne comprends rien aux discussions politiques ?... ?..... »¶ ¶ – Eh bien ! mon oncle ? dit Jules dont les yeux étaient pleins de larmes.¶ – Mais il y a encore de l’écriture…... achève donc.¶ – Oh ! mon oncle, ! ce sont maintenant, de ces choses qui ne doivent être lues que par un amant...¶…..¶ – Bien !.......!.... dit M. de Valesnes, bien, mon enfant ! J’ai eu beaucoup de bonnes fortunes, ; mais je te prie de croire que j’ai aussi aimé. Et ego in Arcadiâ. Mais je ne conçois pas pourquoi tu donnes des leçons de mathématiques ?...¶!....¶ – Mon cher oncle, je suis votre neveu, c’est vous dire que j’avais bien un peu entamé le capital laissé par mon père. – Or, après avoir lu cette lettre, il s’est fait en moi toute une révolution ; j’ai payé en un moment l’arriéré de mes remords. Je ne pourrai jamais vous peindre l’état dans lequel j’étais ! En conduisant mon cabriolet, une voix me criait : – Ce cheval est-il à toi ?.... En mangeant, je me disais : dîner volé ! J’avais honte de moi-même ! Plus jeune était ma probité, plus elle était ardente. D’abord, j’ai couru chez Mmemadame Firmiani. Oh Dieu ! mon oncle, ! ce jour-là, j’ai eu des plaisirs de cœur, des voluptés d’âme qui valaient des millions. – J’ai fait avec elle le compte de ce que je devais à cette famille inconnue ; et je me suis condamné moi-même à lui payer trois pour cent d’intérêt contre l’avis de Mmemadame Firmiani. Mais toute ma fortune ne pouvait suffire à solder la somme. Alors, nous étions l’un l’autre assez amans, assez époux, elle pour m’offrir, moi pour accepter ses économies. Heure délicieuse !...¶!.....¶ – Comment !..,!..... s’écria l’oncle, outre toutes ses vertus, elle fait des économies !...!.... Femme adorable !...¶!....¶ – Ne vous moquez pas d’elle, mon oncle.... Sa position l’oblige à bien des ménagemens. Son mari partit en 1820 pour la Grèce, : il y est mort depuis trois ans ; mais jusqu’à ce jour il a été impossible de savoir où il a été tué, d’avoir la preuve légale de sa mort, et de se procurer le testament qu’il a dû faire en faveur de sa femme, pièce importante qui a été prise, avec tout ce qu’il possédait, par des Albaniens.Albanais. Ignorant si un jour elle ne sera pas forcée de compter avec des héritiers malveillans, elle est obligée d’avoir un ordre extrême ; elle veut pouvoir laisser son opulence comme Chateaubriand a quitté le ministère...….. Or, je veux acquérir une fortune qui soit mienne, afin de donner une belle fortune à ma femme, si elle était ruinée...¶…..¶ – Et tu ne m’as pas dit cela !..... Tu !..... tu n’es pas venu à moi !...!..... Oh ! mon neveu, songe donc que je t’aime assez pour te payer de bonnes dettes, des dettes de gentilhomme.... Je suis un oncle à dénouement... Je me vengerai...¶…..¶ – Mon oncle, je connais vos vengeances, laissez-moi m’enrichir par ma propre industrie...….. Si vous voulez m’obliger, faites-moi seulement mille écus de pension jusqu’à ce que j’aie besoin de capitaux pour quelque entreprise...….. Tenez, en ce moment, je suis tellement heureux, que vivre est toute mon affaire..... Ah ! si vous saviez quel plaisir j’ai eu à faire ma restitution !...!.... Après quelques démarches, j’ai fini par trouver cette famille dépouillée, malheureuse, privée de tout. Elle était à Saint-Germain dans une misérable maison ; le vieux père tenait un bureau de loterie ; ses deux filles faisaient le ménage et tenaient les écritures ; la mère était presque toujours malade. Les deux filles sont ravissantes, mais elles ont durement appris à quoi sertce que le monde estime la beauté sans fortune. Quel tableau j’ai été chercher là !...….. Je suis entré le complice d’un crime ;, je suis sorti honnête homme.¶ – Mon aventure est un vrai drame. Avoir été la Providence, avoir réalisé un de ces souhaits inutiles : – s’il nous tombait du ciel vingt mille livres de rentes !..... que nous formons tous en riant ; faire succéder à un regard plein d’imprécations un regard sublime de reconnaissance, d’étonnement, d’admiration ; jeter l’opulence au milieu d’une famille réunie le soir à la lueur d’une mauvaise lampe, devant un feu de tourbe...…. La parole est au-dessous d’une telle scène...….. Mon extrême justice leur semblait injuste….. Enfin s’il y a un paradis, mon père doit y être heureux maintenant...….. Quant à moi, je suis aimé comme aucun homme ne l’a été ; Mme. Madame Firmiani m’a donné plus que le bonheur ;, elle m’a doué d’une délicatesse qui me manquait peut-être. Aussi je la nomme ma chère conscience ; c’est un de mes mots d’amour ! La probité porte profit, je serai riche ; j’ai bon espoir. Je cherche en ce moment un problème d’industrie. Si je réussis à le résoudre, je gagnerai des millions...¶…..¶ – O mon enfant, ! tu as l’âme de ta mère !... dit le vieillard en retenant à peine les larmes qui humectaient ses yeux.¶ En ce moment, malgré la distance qu’il y avait entre le sol et l’appartement de M. Jules de Camps, le jeune homme et son oncle entendirent le bruit fait par l’arrivée d’une voiture.¶ – C’est elle !..... dit-il, je reconnais les chevaux à la manière dont ils arrêtent...¶…..¶ En effet, Mmemadame Firmiani ne tarda pas à se montrer. Elle poussa la porte brusquement.¶ – Ah ! dit-elle en faisant un mouvement de dépit à l’aspect de M. Valesnes.¶ Mais bientôt, laissant échapper un sourire : – Notre oncle n’est pas de trop !...!..... reprit-elle. Je voulais m’agenouiller humblement devant mon époux, en le suppliant d’accepter ma fortune...…..¶ – L’ambassadeur de Russie vient de m’envoyer un acte qui constate le décès de M. Firmiani ; la pièce, dressée par les soins de l’internonce d’Autriche, est bien en règle, et le testament y est joint...….. Jules, vous pouvez tout accepter ;!.....¶ – Va !.... reprit-elle, les larmes aux yeux, tu es plus riche que moi.... tu as là des trésors auxquels Dieu seul saurait ajouter... ajouta-t-elle en frappant…...¶ Et elle frappa doucement sur le cœur de son mari...¶…..¶ Puis, ne pouvant soutenir son bonheur, elle se cacha la tête sur dans le sein de Jules.¶ – Ma nièce, dit l’oncle, autrefois, nous faisions l’amour ;, aujourd’hui, vous aimez...….. Vous êtes tout ce qu’il y a de bon et de beau dans l’humanité ; c’est nous qui vous gâtons !...¶ DE BALZAC.¶ COMPARAISON ENTRE MADAME FIRMIANI (édition originale, 1832) ET LE FURNE CORRIGÉ (1842) Dans la comparaison qui suit le texte de Madame Firmiani de 1832 sert de texte de base. Les mots, les phrases, les passages rayés reflètent ce texte. Les mots, les phrases, les passages nonrayés indiquent la conformité entre ce texte et celui Furne corrigé. Les mots, les phrases, les passages en rouge constituent des substitutions ou des additions apportées dans le texte du Furne corrigé. Madame Firmiani¶MADAME FIRMIANI¶ A MON CHER ALEXANDRE DE BERNY,¶ Son vieil ami,¶ DE BALZAC.¶ BEAUCOUPBeaucoup de récits, riches de situations ou rendus dramatiques par les innombrables jets du hasard, emportent avec eux leurs propres artifices, et peuvent être racontés simplement ou artistement ou simplement par toutes les lèvres, sans que le sujet y perde même la plus légère de ses beautés ;, mais il est quelques aventures de la vie humaine auxquelles les accensaccents du cœur seuls rendent la vie ; mais, il est certains détails, pour ainsi dire anatomiques, dont les fibres déliéesdélicatesses ne reparaissent, dans une action éteinte, que sous les infusions les plus habiles de la pensée ;, puis, il est des portraits qui veulent une âme et qui ne sont rien sans les traits les plus délicatsdéliés de leur physionomie mobile ; enfin, il y a se rencontre de ces choses que nous ne savons dire ou faire sans je ne sais quelles harmonies inconnues, et auxquelles il fautprésident un jour, une heure, une conjonction heureuse dans les signes célestes, ou de secrètes prédispositions morales.¶ Or, ces Ces sortes de révélations mystérieuses étaient impérieusement exigées pour dire cette histoire simple à laquelle l’auteur on voudrait pouvoir intéresser quelques -unes de ces âmes naturellement mélancoliques et songeuses qui se nourrissent d’émotions douces ; mais si . Si l’écrivain, semblable à un chirurgien près d’un ami mourant, s’est pénétré d’une espèce de respect pour le sujet qu’il maniait, le lecteur doit également partager pourquoi le lecteur ne partagerait-il pas ce sentiment inexplicable, être initié ? Est-ce une chose difficile que de s’initier à cette vague et nerveuse tristesse qui, n’ayant point d’aliment, répand des teintes grises autour de nous, demi-maladie dont nous aimons presque les molles souffrances.¶ plaisent parfois ? Si vous pensez, par hasard, aux personnes chères que vous avez perdues, ; si vous êtes seul, s’il est nuit ou si le jour tombe, poursuivez la lecture de cette histoire... ; autrement, vous jetteriez le livre à la première page., ici. Si vous n’avez pas déjà enseveli déjà quelque bonne tante infirme ou sans fortune, vous ne comprendrez point ces pages : aux. Aux uns, elles sembleront imprégnées de musc ; aux autres, elles paraîtront aussi décolorées, aussi vertueuses que peuvent l’être celles de Florian ; pour . Pour tout dire, il faut que vous ayez le lecteur doit avoir connu la volupté des larmes, avoir senti la douleur muette d’un souvenir qui passe légèrement, chargé d’une ombre chère, mais d’une ombre lointaine, un ; il doit posséder quelques-uns de ces souvenirs qui vous font tout à la fois regretter ce que vous a dévoré la terre, et souriresombre d’un bonheur évanoui.¶ Maintenant, croyez que, pour les richesses de l’Angleterre, l’auteur ne voudrait pas extorquer à la poésie un seul de ses mensonges pour embellir sa narration. Ceci est une histoire vraie et pour laquelle vous pouvez verserdépenser les trésors de votre sensibilité, si vous en avez.¶ Aujourd’hui, notre langue a autant d’idiomes qu’il existe de variétés d’hommes dans la grande famille française ; et c’est . Aussi est-ce vraiment chose curieuse et agréable que d’écouter les différentes acceptions ou versions données sur donnés une même chose, ou sur un même événement, un même mot, par chacune des espècesEspèces qui composent la monographie du Parisien ; le Parisien, le parisien étant pris pour généraliser la thèse.¶ Ainsi, vous eussiez demandé à un sujet appartenant au genre des positifs :¶ – Connaissez Positifs : – connaissez-vous madame Firmiani ?....¶ Cet cet homme vous eût traduit madame Firmiani par l’inventaire suivant :¶ – Un suivant : – un grand hôtel situé rue du Bac ;, des salons bien meublés ;, de beaux tableaux ;, cent bonnes mille livres de rente ;, et un mari, jadis receveur -général dans le département de Montenotte...¶ Ayant dit, le positifPositif, homme gros et rond, presque toujours vêtu de noir, fait une petite grimace de satisfaction, relève sa lèvre inférieure en la fronçant de manière à couvrir la supérieure, et hoche la tête comme s’il ajoutait : – ajoutait : Voilà des gens solides..... et sur lesquels il n’y a rien à dire.¶ Ne lui demandez rien de plus : les positifs! Les Positifs expliquent tout par des chiffres, par des rentes ou par les biens au soleil (, un mot de leur lexique).¶ ¶ Tournez à droite, allez interroger cet autre qui appartient au genre des flaneurs :Flâneurs, répétez-lui votre question !¶question : – Madame Firmiani !....? dit-il, oui, oui !, je la connais bien ;, je vais à ses soirées !...... Elle reçoit le mercredi ; c’est une maison fort honorable.....¶ Madame Déjà, madame Firmiani se métamorphose en maison. Cette maison n’est plus un amas de pierres superposées architectoniquement ; non, ce mot est, dans la langue des flaneursFlâneurs, un idiotisme intraduisible.¶ – Mais.....¶ Ici, le flaneurFlâneur, homme sec, à sourire agréable, disant de jolis riens, ayant toujours plus d’esprit acquis que d’esprit naturel, se penche à votre oreille, et, d’un air fin, vous dit :¶dit : – Je n’ai jamais vu M.monsieur Firmiani..... Sa position sociale consiste à gérer des biens en Italie ; mais madame Firmiani est Française, et dépense ses revenus en Parisienne.parisienne. Elle a d’excellent thé !..... C’est une des maisons, aujourd’hui si rares, où l’on s’amuse, et où ce que l’on vous donne est exquis. Au reste, il est Il est d’ailleurs fort difficile d’être admis chez elle. Aussi la meilleure société se trouve-t-elle dans ses salons !¶ Puis, le flaneurFlâneur commente ce dernier mot par une prise de tabac saisie gravement ; et, enil se garnissantgarnit le nez à petits coups, il et semble vous dire :¶dire : – Je vais dans cette maison, mais ne comptez pas sur moi pour vous y présenter.¶ Madame Firmiani tient pour les flaneursFlâneurs une espèce d’auberge sans enseigne.¶ ¶ – Que veux-tu donc aller faire chez madame Firmiani ? mais l’on s’y ennuie autant qu’à la cour. A quoi sert d’avoir de l’esprit, si ce n’est à éviter des salons où, par la poésie qui court, on lit la plus petite ballade fraîchefraîchement éclose ?¶ Vous avez questionné l’un de vos amis classé parmi les personnelsPersonnels, gens qui voudraient tenir l’univers sous clef et n’y rien laisser faire sans leur permission. Ils sont malheureux de tout le bonheur des autres, ne pardonnentpardonnent qu’aux vices, aux chutes, aux infirmités, et ne veulent que des protégés. Aristocrates par inclination, ils se font républicains par dépit, afin d’avoiruniquement pour trouver beaucoup d’inférieurs parmi leurs égaux.¶ ¶ – Oh ! madame Firmiani, mon cher..... C’, est une de ces femmes adorables qui servent d’excuse à la nature pour toutes les laides qu’elle a créées par erreur ; elle est ravissante ! elle est bonne ! Je ne voudrais être au pouvoir, devenir roi, posséder des millions, que pour (ici trois mots dits à l’oreille). Veux-tu que je t’y présente ?.....¶?...¶ Ce jeune homme est du genre lycéen.¶Lycéen connu pour sa grande hardiesse entre hommes et sa grande timidité à huis-clos.¶ ¶ – Madame Firmiani !? s’écrie un autre en faisant tourner sa canne sur elle-même, je vais te dire ce que j’en pense : c’est une femme entre trente et trente-cinq ans, figure passée, beaux yeux, taille plate, voix de contraltocontr’alto usée, beaucoup de toilette, un peu de rouge, charmantes manières ; ce sont les , enfin, mon cher, les restes d’une jolie femme. Cependant elle vaut qui néanmoins valent encore la peine d’une passion.....¶ Cette sentence est due à un sujet du genre fat. Il Fat qui vient de déjeuner, ne pèse plus ses paroles, et va monter à cheval. En ces momens-là les fatsmoments, les Fats sont impitoyables.¶ ¶ – Il y a chez elle une galerie de tableaux magnifiques !....., allez la voir !.... vous répond un autre. Rien n’est aussi beau !....¶!¶ Vous vous étiezêtes adressé au genre amateur.Amateur. L’individu vous quitte pour aller chez Pérignon. ou chez Tripet. Pour lui, madame Firmiani est une collection de toiles peintes.¶ ¶ UNE FEMME. – Madame Firmiani !.... je? Je ne veux pas que vous alliez chez elle !....¶ Cette phrase est la plus riche des traductions !¶. Madame Firmiani !.... femme dangereuse ! syrène !une sirène ! elle se met bien !, elle a du goût !, elle cause des insomnies à toutes les femmes.¶ L’interlocutrice appartient au genre des tracassiers.....¶Tracassiers.¶ UN ATTACHÉ D’AMBASSADE. – Madame Firmiani !.... N’est-elle pas d’Anvers ? J’ai vu cette femme-là bien belle il y a dix ans..... Elle était alors à Rome.....¶ Les sujets appartenant à la classe des attachésAttachés ont la manie de dire des mots à la Talleyrand. Leur , leur esprit est souvent si fin, que leurs aperçus sont imperceptibles. Ils ; ils ressemblent aux à ces joueurs de billard, qui évitent les billes avec une adresse infinie. Ces individus sont généralement peu parleurs ; mais quand ils parlent, ils ne s’occupent que de l’Espagne, de Vienne, de l’Italie ou de Pétersbourg. Les noms de pays sont chez eux comme des ressorts :, pressez-les ;, la sonnerie vous dira tous ses airs !....¶ ¶ – Cette madame Firmiani ne voit-elle pas beaucoup le faubourg Saint-Germain ?....¶ Ceci est dit par une personne qui veut appartenir au genre distingué. Elle donne le de à tout le monde, à M.monsieur Dupin l’aîné, à M.monsieur Lafayette, ; elle le jette à tort et à travers, elle en déshonore les gens. Elle passe sa vie à s’inquiéter de ce qui est bien ; mais, pour son supplice, elle demeure au Marais, et son mari a été avoué, ; mais avoué à la Cour royale.....¶ ¶ – Madame Firmiani, monsieur ? je ne la connais pas !¶. Cet homme appartient au genre des ducs.Ducs. Il n’avoue que les femmes présentées ; mais, excusez-le, il est duc par . Excusez-le , il a été fait de duc par Napoléon.¶ ¶ – Madame Firmiani ?... N’est-ce pas une ancienne actrice des Italiens ?¶ Homme du genre niais.Niais. Les individus de cette classe veulent avoir réponse à tout.¶ Ils calomnient plutôt que de se taire.¶ ¶ DEUX VIEILLES DAMES (femmes d’anciens magistrats).¶ ¶ LA PREMIÈRE. – (Elle a un bonnet à coques ;, sa figure est ridée ;, son nez est pointu ;, elle tient un Paroissien ;, voix dure :)¶.) – Qu’est-elle en son nom....., cette madame Firmiani ?....¶ LA SECONDE. – (Petite figure rouge, ressemblant à une vieille pomme d’api ;, voix douce :)¶.)¶ – Une Carignan !....¶Une Cadignan, ma chère, nièce du vieux prince de Cadignan et cousine par conséquent du duc de Maufrigneuse.¶ Madame Firmiani est une Carignan ; elle Cadignan. Elle n’aurait ni vertus, ni fortune, ni jeunesse, ce serait toujours une Carignan.Cadignan. Une CarignanCadignan, c’est comme un préjugé, toujours riche et vivant.¶ ¶ UN ORIGINAL. – Mon cher, je n’ai jamais vu de socques dans son antichambre ;, tu peux aller chez elle sans te compromettre et y jouer sans crainte, parce que, s’il y a des fripons, ils sont gens de qualité ; partantpartant, on ne s’y querelle pas.¶ ¶ VIEILLARD, APPARTENANT AU GENRE GROUPE DES OBSERVATEURS. – Vous irez chez madame Firmiani, vous trouverez, mon cher, une belle femme nonchalamment nonchalamment assise au coin de sa cheminée ; à. A peine se lèvera-t-elle de son fauteuil., elle ne le quitte que pour les femmes ou les ambassadeurs, les ducs, les gens considérables. Elle est fort gracieuse ;, elle charme ;, elle cause bien et veut causer de tout ; il . Il y a chez elle tous les indices de la passion, mais on lui donne trop d’amansd’adorateurs pour qu’elle en ait un ; et siun favori. Si les soupçons ne planaient que sur deux ou trois de ses intimes, nous saurions quel est son cavalier servant ; mais c’est une femme toute mystérieuse ;tout mystère : elle est mariée, et jamais nous n’avons vu son mari. M. ; monsieur Firmiani est un personnage tout- à- fait fantastique ;, il ressemble à ce troisième cheval que l’on paie toujours en courant la poste, et qu’on n’aperçoit jamais. Madame ; madame, à entendre les artistes, est le premier contraltoContr’alto d’Europe ; néanmoins, elle d’Europe et n’a pas chanté trois fois depuis qu’elle est à Paris ; elle reçoit beaucoupbeaucoup de monde, et ne va chez personne.....¶ L’observateurL’Observateur parle en prophète. Il faut accepter ses paroles, ses anecdotes, ses citations, comme des vérités, sous peine de passer pour un homme sans instruction, sans moyens. Il vous calomniera gaîementgaiement dans vingt salons où il est essentiel comme une première pièce sur l’affiche, ces pièces si souvent jouées pour les banquettes, et qui ont eu du succès autrefois. L’observateurL’Observateur a quarante ans, ne dîne jamais chez lui, se dit peu dangereux près des femmes ; il est poudré, porte un habit marron, a toujours une place dans plusieurs loges aux Bouffons ; il est quelquefois confondu parmi les parasitesParasites, mais il a rempli de trop hautes fonctions pour être soupçonné d’être un pique-assiette, et possède d’ailleurs une terre dans un département dont le nom ne lui est jamais échappé.¶ ¶ – Madame Firmiani ?.... Mais, mon cher, c’est une ancienne maîtresse de Murat !....¶ Celui-ci est dans la classe des contradicteurs.Contradicteurs. Ces sortes de gens font les errata de tous les mémoires, rectifient tous les faits, parient toujours cent contre un, sont sûrs de tout ; et . Vous les surprenez dans la même soirée, vous les surprenez en flagrant délit d’ubiquité. Ils : ils disent avoir été arrêtés à Paris lors de la conspiration Mallet, en oubliant qu’ils ontvenaient, une demi-heure auparavant, assisté au passage dede passer la Bérésina...... Presque tous les contradicteursContradicteurs sont chevaliers de la Légion- d’Honneur, parlent très-haut, ont un front fuyant, et jouent gros jeu.¶ ¶ – Madame Firmiani, cent mille livres de rentes !... Êtesrente ?... êtes-vous fou ? Vraiment, il y a des gens qui vous donnent des cent mille livres de rentes avec la libéralité des auteurs, auxquels cela ne coûte rien quand ils dotent leurs héroïnes..... Mais madame Firmiani est une coquette..... elle a ruiné qui dernièrement a ruiné un jeune homme, et l’a empêché de faire un très -beau mariage. Si elle n’était pas belle, elle serait sans un sou.....¶ Oh ! celui-ci, vous le reconnaissez. Il, il est du genre des envieuxEnvieux, et nous n’en dessinerons pas le moindre trait..... L’espèce en est aussi connue que peut l’être celle des felis domestiques ; les envieux ne sont pas plus rares dans le monde que les pariétaires sur les murs.......¶. Comment expliquer la perpétuité de l’Envie ? un vice qui ne rapporte rien !¶ Mais lesLes gens du monde, les gens de lettres, les honnêtes gens, et les gens de tout genre, répandaient, au mois de janvier 18251824, tant d’opinions différentes sur madame Firmiani, qu’il serait fastidieux de les consigner toutes ici..... Nous avons seulement voulu constater qu’un homme intéressé à la connaître, sans vouloir ou pouvoir aller chez elle, aurait eu raison de la croire également veuve ou mariée, sotte ou spirituelle, vertueuse ou sans mœurs, riche ou pauvre, sensible ou sans âme, belle ou laide ; et bref, il y avait enfin autant de madames Firmiani que de classes dans la société, que de sectes dans le catholicisme. Effrayante pensée !.... Nous nous sommes tous comme des planches lithographiques dont la médisance tire une infinité de copies ; or, cescopies se tire par la médisance. Ces épreuves ressemblent au modèle ou en diffèrent par des nuances tellement imperceptibles, que la réputation dépend, sauf les calomnies de nos amis et les bons mots d’un journal, de la balance faite par chacun entre le vraiVrai qui va boitant et les vérités qui courent.¶le Mensonge à qui l’esprit parisien donne des ailes.¶ Madame Firmiani, semblable à beaucoup de femmes pleines de noblesse et de fierté, qui se font de leur cœur un sanctuaire et dédaignent le monde, aurait pu être très -mal jugée par M. le comte de Valesnesmonsieur de Bourbonne, vieux propriétaire occupé d’elle, au commencement de l’année 1825 ; mais, par pendant l’hiver de cette année. Par hasard, ce propriétaire appartenait à la classe des planteursPlanteurs de province, gens habitués à se rendre compte de tout, et à faire des marchés avec les paysans. Or, àA ce métier, un homme devient perspicace malgré lui, comme un soldat contracte à la longue un courage de routine.¶ Ce curieux, venu de Touraine, et que les idiomes parisiens ne satisfaisaient pointguère, était un gentilhomme très -honorable, qui jouissait, pour seul et unique héritier, d’un neveu dont il raffolait, et pour lequel il plantait ses peupliers.... Cette amitié ultra-naturelle motivait bien des médisances, que les sujets appartenant aux diverses espèces du Tourangeau formulaient très -spirituellement ; mais il est inutile de les rapporter, car elles pâliraient auprès des médisances parisiennes. Or, quand on Quand un homme peut penser sans déplaisir à son héritier, sans déplaisir, en voyant tous les jours de belles rangées de peupliers s’embellir, l’affection s’accroît de chaque coup de bêche qu’onqu’il donne au pied des de ses arbres ; c’est un . Quoique ce phénomène de sensibilité soit peu commun ; mais, il se rencontre encore en Touraine.¶ Ce neveu chéri , qui se nommait JulesOctave de Camps, et descendait du fameux abbé de Camps, si connu des bibliophiles ou des savanssavants, ce qui n’est pas la même chose.¶ Les gens de province ont la mauvaise habitude de frapper d’une espèce de réprobation décente les jeunes gens qui vendent leurs héritages ; ce préjugé . Ce gothique préjugé nuit à l’agiotage que, jusqu’à présent, le gouvernement encourage par une quasitolérance. Or Jules de Camps, sansnécessité. Sans consulter son oncle, Octave avait, à l’improviste, disposé d’une terre en faveur de la bande noire, et le . Le château de Villaines eût été démoli sans les propositions que le vieil oncle avait faites aux représentansreprésentants de la compagnie du marteau.Marteau. Pour augmenter la colère du testateur, un ami de Julesd’Octave, parent éloigné, un de ces gens habiles dont les capacités départementales disentcousins à petite fortune et à grande habileté qui font dire d’eux par les gens prudents de leur province : – Je ne voudrais pas avoir de procès avec lui !... était venu, par hasard, chez M.monsieur de Valesnes,Bourbonne et lui avait appris, par hasard, la ruine de son neveu...¶ M. Jules Monsieur Octave de Camps, après avoir dissipé sa fortune pour une certaine madame Firmiani, s’était vu était réduit à se faire répétiteur de mathématiques, en attendant l’héritage de son oncle, auquel il n’osait venir avouer ses fautes.¶ Cet arrière-cousin, espèce de Charles Moor, n’avait pas eu honte de donner ces fatales nouvelles à M. de Valesnes au moment où le vieux campagnard au moment où il digérait, devant son large foyer, un copieux dîner de province !.....¶ Mais il n’est pas aussi facile de venir à bout d’un oncle que les héritiers le voudraient, et celui-ci, grâce. Mais les héritiers ne viennent pas à bout d’un oncle aussi facilement qu’ils le voudraient. Grâce à son entêtement, car ilcelui-ci, qui refusait de croire en l’arrièrecousin, sortit vainqueur de l’indigestion causée par la biographiebiographie de son neveu.... Il y a des Certains coups qui portent sur le coeurcœur, d’autres sur la tête ; le coup porté par l’arrière-cousin tomba sur les entrailles et produisitproduisit peu d’effet, parce que le bonhomme avait un excellent estomac…..¶. En vrai disciple de saint Thomas, M.monsieur de ValesnesBourbonne vint à Paris, à l’insu de Julesd’Octave, et voulut prendre des renseignemensrenseignements sur la déconfiture de son héritier. Le vieux gentilhomme, qui avait des relations dans le faubourg Saint-Germain par les Listomère, les Lenoncourt et les Vandenesse, entendit en deux jours tant de médisances, de vérités, de faussetés, sur madame Firmiani, qu’il résolut de se faire présenter chez elle sous le nom de M.monsieur de Rouxellay, son nom patronimique.¶de sa terre. Le prudent vieillard avait eu soin de choisir, pour venir étudier la prétendue maîtresse de Julesd’Octave, une soirée pendant laquelle il le savait occupé d’achever un travail chèrement payé ; car l’amantl’ami de madame Firmiani était toujours reçu chez elle, circonstance que personne ne pouvait expliquer ; quant. Quant à la ruine de Julesd’Octave, ce n’était malheureusement pas une fable.¶ M. le comteonsieur de Rouxellay de Valesnes ne ressemblait point à un oncle du Gymnase ; c’était un ancien. Ancien mousquetaire, un homme de haute compagnie qui avait eu jadis des bonnes fortunes ; et, quoiqu’il aimât les Bourbons avec une noble franchise, qu’il crût en Dieu comme y croient les gentilshommes, qu’il lût la Quotidienne, il savait se présenter courtoisement, se souvenait des manières polies d’autrefois, disait des mots gracieux, et comprenait presque toute la Charte ; et, sauf un peu de rouille, il . Quoiqu’il aimât les Bourbons avec une noble franchise, qu’il crût en Dieu comme y croient les gentilshommes et qu’il ne lût que la Quotidienne, il n’était pas aussi ridicule que les libéraux de son département le souhaitaient. Il pouvait tenir sa place près des gens de cour, pourvu qu’on ne lui parlât point de Mosè, du ni de drame, ni de romantisme, ni de couleur locale, ni de chemins de fer, car il. Il en était resté à M.monsieur de Voltaire, à monsieur le comte de Buffon, à PerronnetPeyronnet et au chevalier de Gluck, le musicien du coin de la reine.¶ – Madame, dit-il à la comtesse de Frontenac,marquise de Listomère à laquelle il donnait le bras en entrant chez madame Firmiani, si cette femme est la maîtresse de mon neveu, je le plains !...... Comment peut-elle vivre au sein du luxe en le sachant dans un grenier !....? Elle n’a donc pas d’âme. Jules ? Octave est un fou d’avoir placé le prix de la terre de Villaines dans le coeurcœur d’une....¶ Le comte, appartenant au genre fossile, Monsieur de Bourbonne appartenait au genre Fossile, et ne connaissait que le langage du vieux temps.¶ – Mais s’il l’avait perdue au jeu ?...¶?¶ – Eh ! madame, au moins il aurait eu le plaisir de jouer.¶ – Vous croyez donc qu’il n’a pas eu de plaisir... ? Tenez, voyez madame Firmiani...¶ Les plus beaux souvenirs du vieil oncle pâlirent à l’aspect de la prétendue maîtresse de son neveu. Sa colère expira dans une phrase toute gracieuse qui lui fut arrachée à l’aspect de madame Firmiani. Elle était, par Par un de ces hasards qui n’arrivent qu’aux jolies femmes, elle était dans un moment où toutes ses beautés brillaient d’un éclat particulier, dû peut-être à la lueur des bougies, à une toilette admirablement simple, à je ne sais quel reflet du luxe élégant qui l’environnait.de l’élégance au sein de laquelle elle vivait. Il faut avoir étudié toutes les petites révolutions d’une soirée dans un salon de Paris pour apprécier les nuances imperceptibles qui peuvent colorer un visage de femme et le changer.¶ Il est un moment où, contente de sa parure, où se trouvant spirituelle, heureuse d’être admirée, en se voyant la reine d’un salon plein d’hommes remarquables qui lui sourient, elle une Parisienne a la conscience de sa beauté, de sa grâce ; elle s’embellit alors, elle s’embellit de tous les regards qu’elle recueille et qui l’animent, mais dont elle sacrifie les muets hommages à son sont reportés par de fins regards au bienaimé. En ce moment, une femme est comme investie d’un pouvoir surnaturel ; c’est unesurnaturel et devient magicienne ; coquette à son insu, elle inspire involontairement l’amour dont elle s’enivrequi l’enivre en secret ;, elle a des sourires, et des regards qui fascinent ; et si . Si cet éclatétat, venu de l’âme, donne de l’attrait même aux laides, de quelle splendeur ne revêt-il pas une femme nativement élégante, aux formes distinguées, blanche, fraîche, aux veux yeux vifs, et surtout mise avec un goût avoué des artistes et de ses plus cruelles rivales.¶ ! Avez-vous, pour votre bonheur, rencontré quelque personne dont la voix harmonieuse imprime à la parole un charme également répandu dans ses manières ;, qui sait et parler et se taire ; s’occuper, qui s’occupe de vous avec délicatesse ;, dont les mots sont heureusement choisis, ou dont le langage est pur ; sa? Sa raillerie caresse et sa critique ne blesse point ; elle ne disserte pas plus qu’elle ne dispute, mais elle se plaît à conduire une discussion, et l’arrête à propos ; son. Son air est affable et riant ;, sa politesse n’a rien de forcé, son empressement n’est pas servile ; elle réduit le respect à n’être plus qu’une ombre douce ;, elle ne vous fatigue jamais, et vous laisse satisfait d’elle et de vous ; sa. Sa bonne grâce, vous la retrouvez empreinte dans les choses dontdesquelles elle s’environne ; chez. Chez elle, tout flatte la vue, et vous y respirez comme l’air d’une patrie. Cette femme est naturelle ; en. En elle, jamais d’effort, elle n’affiche rien ;, ses sentimenssentiments sont simplement rendus, parce qu’ils sont vrais ;. Franche, elle est franche, et sait n’offenser aucun amour-propre ; elle accepte les hommes comme Dieu les a faits, plaignant les gens vicieux, pardonnant aux défauts et aux ridicules, concevant tous les âges, et ne s’irritant de rien, parce qu’elle a le tact de tout prévoir. Elle A la fois tendre et gaie, elle oblige avant de consoler ; elle est tendre et gaie ; vous . Vous l’aimez irrésistiblement, ettant, que si cet ange fait une faute, vous vous sentez prêt à la justifier... Telle était Vous connaissez alors madame Firmiani.¶ Lorsque M. de Valesnesle vieux Bourbonne eut causé pendant un quart d’heure avec cette femme, assis près d’elle, son neveu fut absous, et il . Il comprit que, fausses ou vraies, les liaisons de Julesd’Octave et de madame Firmiani cachaient sans doute quelque mystère. Revenant aux illusions qui dorent les premierspremiers jours de notre jeunesse, et jugeant du cœur de madame Firmiani par sa beauté, il le vieux gentilhomme pensa qu’une femme aussi pénétrée de sa dignité qu’elle paraissait l’être était incapable d’une mauvaise action. Il y avait tant de calme dans sesSes yeux noirs ;noirs annonçaient tant de calme intérieur, les lignes de son visage étaient si nobles, les contours si purs, et la passion dont on l’accusait semblait lui peser si peu sur le cœur, que le comte vieillard se dit en admirant toutes les promesses faites à l’amour et à la vertu par cette adorable physionomie, se dit :¶ : – Mon neveu aura commis quelque sottise !...¶ Madame Firmiani avouait vingt-cinq ans ; mais . Mais les positifsPositifs prouvaient que, mariée en 1813, à l’âge de seize ans, elle devait avoir au moins vingt-huit ans en 1825 ; néanmoins. Néanmoins, les mêmes gens assuraient aussi, qu’à aucune époque de sa vie, elle n’avait été si désirable, si complétementni si complètement femme. Elle était sans enfansenfants, et n’en avait point eu. Le ; le problématique M. Firmiani, quadragénaire déjà très -respectable en 1813, ne lui avaitn’avait pu, disait-on, offertlui offrir que son nom et sa fortune. Madame Firmiani atteignait donc à l’âge où la Parisienne parisienne conçoit le mieux une passion et la désire peut-être innocemment à ses heures perdues. Elle, elle avait acquis tout ce que le monde vend, tout ce qu’il prête, tout ce qu’il donne. Les attachésdompte ; les Attachés d’ambassade prétendaient qu’elle n’ignorait rien ; les contradicteurs, les Contradicteurs prétendaient qu’elle pouvait encore apprendre beaucoup de choses ; les observateurs, les Observateurs lui trouvaient les mains bien blanches, le pied bien mignon, les mouvemensmouvements un peu trop onduleux ; mais les individus de tous les genresGenres enviaient ou contestaient le bonheur de Jules,d’Octave en convenant que madame Firmiani qu’elle était la femme la le plus aristocratiquement belle de tout Paris. Jeune encore, riche, musicienne parfaite, spirituelle, délicate, reçue, en souvenir des Carignan,Cadignan auxquels elle appartenaitappartient par sa mère, chez madame la duchesse de….., princesse de Blamont-Chauvry, l’oracle du noble faubourg, aimée de ses rivales la duchesse de Maufrigneuse sa cousine, la marquise d’Espard, et madame de Macumer, elle flattait toutes les vanités qui alimentent et ou qui excitent l’amour. ElleAussi était -elle désirée par trop de gens pour n’être pas victime de l’élégante médisance parisienne, et des ravissantes calomnies qui se débitent si spirituellement sous l’éventail ou dans les à parte ; aussi les . Les observations par lesquelles cette histoire commence étaient donc nécessaires pour faire connaître opposer la vraie Firmiani à la Firmiani du monde. Si quelques femmes lui pardonnaient son bonheur, d’autres ne lui faisaient pas grâce de sa décence ; etor, rien n’est plus terrible, surtout à Paris, que comme des soupçons sans fondementfondement : il est impossible de les détruire.¶ Cette esquisse d’une figure admirable de naturel n’en donnera jamais qu’une faible idée. Il ; il faudrait le pinceau de GérardIngres pour rendre la fierté du front, la profusion des cheveux, la majesté du regard, toutes les pensées que faisaient supposertrahissaient les couleurs particulières du teint ; il. Il y avait tout dans cette femme ;femme : les poètes pouvaient en faire y voir à la fois Jeanne d’Arc ou Agnès Sorel ; mais il y avaits’y trouvait aussi la femme inconnue, l’âme cachée sous cette enveloppe décevante, l’âme d’Ève, les richesses du mal et les trésors du bien, la faute et la résignation, le crime et le dévouement, Dona Julia et Haïdée de du Don Juan de lord Byron.¶ L’ancien mousquetaire demeura fort impertinemment le dernier dans le salon de madame Firmiani, qui le trouva tranquillement assis dans un fauteuil , et restant devant elle avec l’importunité d’une mouche qu’il faut tuer pour s’en débarrasser. La pendule marquait deux heures après minuit.¶ – Madame, dit le vieux gentilhomme au moment où madame Firmiani se leva en espérant faire comprendre à son hôte que son bon plaisir était qu’il partît ;, madame, je suis l’oncle de M. Julesmonsieur Octave de Camps…..¶ Madame Firmiani s’assit promptement. Elle était émue. Mais, malgré et laissa voir son émotion. Malgré sa perspicacité, le planteur de peupliers ne devina pas si elle pâlissait et rougissait de honte ou de plaisir ; souvent il y a . Il est des plaisirs qui ne vont pas sans un peu de pudeur effarouchée, délicieuses émotions que le cœur le plus chaste voudrait toujours voiler ; plus. Plus une femme est délicate et , plus elle veut cacher les joies de son âme ; et beaucoup. Beaucoup de femmes, inconcevables dans leurs divins caprices, souhaitent souvent entendre prononcer par tout le monde un nom que, parfois, elles désireraient ensevelir dans leur cœur.¶ M. de Rouxellay Le vieux Bourbonne n’interpréta pas tout- à- fait ainsi le trouble de madame Firmiani ; mais pardonnez-lui, le campagnard était défiant.¶ – Eh bien, monsieur ? lui dit madame Firmiani, en lui jetant un de ces regards lucides et clairs où, nous autres hommes, nous ne pouvons jamais rien voir parce qu’ils nous interrogent un peu trop.¶ – EhEh ! bien, madame, reprit le gentilhomme, savez-vous ce qu’on est venu me dire, à moi, au fond de ma province ?.... Mon neveu vous aime, il s’est se serait ruiné pour vous !... Le , et le malheureux est dans un grenier tandis que vous êtesvivez ici !...ici dans l’or et la soie. Vous me pardonnerez ma rustique franchise, car il est peut- être très -utile que vous soyez instruite des calomnies que…..¶...¶ – Arrêtez, monsieur, dit madame Firmiani en interrompant le gentilhomme par un geste impératif, je sais tout cela !. Vous êtes trop poli pour laisser la conversation sur ce sujet lorsque je vous aurai prié de le quitter. – Vous êtes trop galant (dans l’ancienne acception du mot, ajouta-t-elle en donnant un léger accent d’ironie à ses paroles) pour ne pas reconnaître que vous n’avez aucun droit de à me questionner ; qu’il serait . Enfin, il est ridicule à moi de me justifier ; et j’espère. J’espère que vous aurez une assez bonne opinion de mon caractère pour croire au profond mépris que l’argent m’inspire. quoique j’aie été mariée sans aucune espèce de fortune à un homme qui avait une immense fortune. J’ignore si monsieur votre neveu est riche ou pauvre ;, si je l’ai reçu, si je le reçois, je le regarde comme digne d’être au milieu de mes amis ; et tous. Tous mes amis, monsieur, ont du respect les uns pour les autres ;autres : ils savent que je n’ai pas la philosophie de voir des les gens que quand je n’ne les estime point : c’est , peut-être estce manquer de charité peut-être ; mais mon ange gardien m’a maintenue jusqu’aujourd’hui dans une aversion profonde et des caquets et de l’improbité.....¶ Le Quoique le timbre de la voix étaitfût légèrement altéré pendant les premières phrases de cette réplique ; mais, les derniers mots en furent dits par madame Firmiani avec l’aplomb de Célimène raillant le Misantrope.¶Misanthrope.¶ – Madame, reprit le comte d’une voix émue, je suis un vieillard, je suis presque le père de Jules ;d’Octave, je vous demande donc, par avance, le plus humble des pardons pour la seule question que je vais avoir la hardiesse de vous adresser ;, et je vous donne ma parole de loyal gentilhomme que votre réponse mourra là…..¶ Il mit, dit-il en mettant la main sur son cœur avec un mouvement véritablement religieux.¶ – Aimez-vous Jules ?..... La médisance a-t-elle raison ?.....¶, aimez-vous Octave ?¶ – Monsieur, dit-elle, à tout autre je ne répondrais que par un regard ; mais à vous, et parce que vous êtes presque le père de M.monsieur de Camps, je vous demanderai ce que vous penseriez d’une femme si, à votre question, elle disait : Oui ? – disait : oui ? Avouer son amour à celui que nous aimons...., quand il nous aime.... là... bien.... ; quand nous sommes certaines d’être toujours aimées..., croyez-moi, monsieur, c’est pour nous un effort... et une récompense, un bonheur... pour lui ; mais à un autre !...¶ ElleMadame Firmiani n’acheva pas ;, elle se leva, salua le bonhomme et disparut dans ses appartemens, dont elle ouvrit et ferma successivement appartements dont toutes les portes successivement ouvertes et fermées eurent un langage pour les oreilles du planteur de peupliers.¶ – Ah ! peste !.... , se dit le vieillard, quelle femme !... c’est ou une rusée commère, commère ou un ange !....¶. Et il gagna sa voiture de remise, dont les chevaux donnaient de temps en temps des coups de pied au pavé de la cour silencieuse. Le cocher dormait, après avoir cent fois maudit sa pratique.¶ Le lendemain matin, vers huit heures, le vieux gentilhomme montait l’escalier d’une maison située rue de l’Observance, où demeurait JulesOctave de Camps ; et, s’il. S’il y eut au monde un homme étonné, ce fut, certes, le jeune professeur, quand il vit en voyant son oncle. La : la clef était sur la porte, la lampe de Julesd’Octave brûlait encore ;, il avait passé la nuit.¶ – Monsieur le drôle, dit M.monsieur de Valesnes,Bourbonne en s’asseyant sur un fauteuil, depuis quand se rit-on (style chaste) des oncles qui ont seizevingt-six mille livres de renterentes en bonnes terres de Touraine, et dont lorsqu’on est leleur seul héritier ?... Savez-vous que, jadis, nous respections ces parensparents-là !....? Voyons, as-tu quelques reproches à m’adresser ? Aim’adresser : ai-je mal fait mon métier d’oncle ?, t’ai-je demandé du respect, t’ai-je refusé de l’argent ?, t’ai-je fermé la porte au nez en prétendant que tu venais voir comment je me portais ?.... N’as; n’as-tu pas l’oncle le plus commode, le moins assujettissant qu’il y ait en France, je ne dis pas en Europe, ce serait trop prétentieux ?.... Tu m’écris ou tu ne m’écris pas ;, je vis sur l’affection jurée, et je t’arrange la plus jolie terre du pays : , un bien qui fait l’envie de tout le département ; mais je ne veux te la laisser néanmoins que le plus tard possible ; mais cette. Cette velléité n’est -elle pas un vice, c’est une manie fortexcessivement excusable !? Et monsieur vend son bien, se loge comme un laquais, et n’a plus ni gens, ni train…..¶...¶ – Mon oncle !....¶ – Il ne s’agit pas de l’oncle, mais du neveu ; j’ai . J’ai droit à ta confiance !..... Confesseconfiance : ainsi confesse-toi promptement, c’est plus facile !, je sais cela par expérience !..... As-tu joué ?...., as-tu perdu à la Bourse ?.... allons Allons, dis-moi : – « moi : « Mon oncle, je suis un misérable !.... » et je t’embrasse..... Mais si tu me fais un mensonge plus gros que ceux que j’ai faits à ton âge, je vends mon bien, je le mets en viager, et je reprendrai mes mauvaises habitudes de jeunesse…., si c’est encore possible.¶ – Mon oncle…..¶...¶ – J’ai vu hier ta madame Firmiani !....¶ A ces mots, M. de Valesnes, voulant faire le jeune homme, baisa, dit l’oncle en baisant le bout de ses doigts qu’il ramassa en faisceau, puis il dit :¶ – Elle est charmante !.... tu. Elle est charmante ajouta-t-il. Tu as l’approbation et le privilége du roi, et l’agrément de ton oncle….., si cela peut te faire plaisir. Quant à la sanction de l’église, elle est inutile…... les sacremens sont, je crois, les sacrements sont sans doute trop chers !..... Allons !....., parle, est-ce pour elle que tu es ici…..t’es ruiné.....¶ ?¶ – Oui, mon oncle.¶ – Ah ! la coquine !...., je l’aurais parié !..... De mon temps, les femmes de la cour étaient plus habiles à ruiner un homme que ne peuvent l’être vos courtisanes d’aujourd’hui ; et j’ai. J’ai reconnu, en elle, le siècle passé rajeuni.¶ – Mon oncle, reprit JulesOctave d’un air tout à la fois triste et doux, vous vous méprenez !... Madameméprenez :madame Firmiani mérite votre estime et toutes les adorations de ses admirateurs…..¶ – La pauvre jeunesse est sera donc toujours la même !..., dit M.monsieur de Valesnes.Bourbonne. Allons, va ton train, rabâche-moi de vieilles histoires !...... Cependant tu dois savoir que je ne suis pas d’hier dans la galanterie…..¶ – Mon bon oncle, voici une lettre qui vous dira tout !, répondit JulesOctave en tirant un élégant portefeuille très élégant, donné sans doute par elle. Quand, quand vous l’aurez lue, j’achèverai de vous instruire, et vous connaîtrez une madame Firmiani, inconnue au monde…..¶ – Je n’ai pas mes lunettes, dit M. de Valesnesl’oncle, lis-la-moi…..¶ ¶ JulesOctave commença ainsi : « Mon ami chéri !... »¶...¶ ¶ – Tu ases donc bien lié avec cette femme-là ?....¶?¶ – Mais, oui, mon oncle.¶ – Et vous n’êtes pas brouillés ?¶ – Brouillés !?... répéta Jules avec étonnement. Octave tout étonné.Nous sommes mariés à Greatna-Green !¶.¶ – Hé bien !....., reprit M.monsieur de ValesnesBourbonne, pourquoi donc dînes-tu donc à quarante sous ?¶ – Laissez-moi continuer.¶ – C’est juste, j’écoute....¶ ¶ JulesOctave reprit la lettre, et n’en lut pas certains passages sans une émotion profonde.¶de profondes émotions.¶ ¶ « Mon époux aimé, tu m’as demandé raison de ma tristesse ! A, a-t-elle donc passé de mon âme sur mon visage ?, ou l’as-tu seulement devinée ? Cela se peut,, et pourquoi n’en serait-il pas ainsi ? nous sommes si bien unis de cœur ! puis. D’ailleurs, je ne sais pas mentir, c’est et peut-être est-ce un malheur : une? Une des conditions de la femme aimée est d’être toujours de bonne humeur et caressante. et gaie. Peut-être sauraisdevrais-je te tromper, ; mais je ne le voudrais pas, quand même pour il s’agirait d’augmenter ou de conserver le bonheur que tu me donnes, que tu me prodigues, dont tu m’accables. Oh ! cher, qu’il y acombien de reconnaissance dans comporte mon amour ! Aussi veux-je t’aimer toujours, sans bornes….. . Oui, je veux être toujours être fière de toi. Notre gloire, à nous, c’est notre amant....est toute dans celui que nous aimons. Estime, considération, honneur, tout est n’est-il pas à celui qui a tout pris…... ? EhEh ! bien !, mon ange a failli !..... Oui, cher, ta dernière confidence a terni ma félicité passée ; et depuis,. Depuis ce moment. je me trouve humiliée en toi, – ; en toi, que je regardais comme le plus pur des hommes….., comme tu en es le plus aimant et le plus tendre. Il faut avoir bien confiance en ton cœur, encore enfant, pour te faire un tel aveu : il aveu qui me coûte horriblement. Comment, pauvre ange, ton père a dérobé sa fortune, tu le sais, et tu la gardes !.... et Et tu m’as conté ce haut fait de procureur dans une chambre pleine des muets témoins muets de notre amour ;, et tu es gentilhomme, et tu te crois noble !, et tu me possèdes, et tu as vingt-deux ans !.... Que Combien de monstruosités !. Je t’ai cherché des excuses. J’ai ; j’ai attribué ton insouciance à ta jeunesse étourdie ; je . Je sais qu’il y a beaucoup de l’enfant en toi ; tu . Peut-être n’as peut-être -tu pas encore pensé bien sérieusement à ce qui est fortune et probité. Oh ! quecombien ton rire m’a fait de mal !. Songe donc qu’il existe une famille ruinée, toujours en larmes, des jeunes personnes, qui peut-être, qui te le maudissent tous les jours ;, un vieillard qui, chaque soir, se dit : – « dit : « Je ne serais pas sans pain si le père de M.monsieur de Camps n’avait pas été un malhonnête homme !.... » car il n’y a pas de puissance au monde qui ait l’autorité de changer le langage de la probité. »¶ – Comment, s’écria monsieur de Bourbonne en interrompant, tu as eu la niaiserie de raconter à cette femme l’affaire de ton père avec les Bourgneuf ?... Les femmes s’entendent bien plus à manger une fortune qu’à la faire...¶ – Elles s’entendent en probité Laissez moi continuer, mon oncle ?¶ « Octave, aucune puissance au monde n’a l’autorité de changer le langage de l’honneur. Retire-toi dans ta conscience, et demande-lui un par quel mot pour nommernommer l’action à laquelle tu dois ton or…..¶ ?¶ « Et le neveu regarda l’oncle qui baissa la tête.¶ « Je ne te dirai pas toutes les pensées qui m’assiégent, parce qu’elles peuventelles peuvent se réduire toutes à une seule : – Je , et la voici : je ne puis pas estimer un homme qui se salit sciemment pour une somme d’argent quelle qu’elle soit.¶ « Cent sous volés au jeu, ou six fois cent mille francs dus à une tromperie légale, déshonorent également un homme.¶ « Je veux tout te dire ! Je dire : je me regarde comme entachée par des caresses un amour qui naguère faisaientfaisait tout mon bonheur. Il y as’élève au fond de mon âme une voix que mon amour ma tendresse ne peut pas étouffer ; elle crie sans cesse ; et j’ai . Ah ! J’ai pleuré d’avoir plus de conscience que d’amour. Tu pourrais commettre un crime, je te cacherais à la justice humaine dans mon sein, si je le pouvais ; mais mon dévouement n’irait que jusque-là….... L’amour, mon maître aimé, mon ange, est, chez une femme, la confiance la plus illimitée, etunie à je ne l’ai sais quel besoin de vénérer, d’adorer l’être auquel elle appartient. Je n’ai jamais conçu l’amour que comme un feu auquel s’épuraient encore les plus nobles sentimenssentiments, un feu qui les développait tous. Je n’ai plus qu’une seule chose à te diredire : viens me voir à moi pauvre, ou mon amour redoublera si cela se peut ; sinon, renonce à moi. Si je ne te vois plus, je sais ce qui me reste à faire. Maintenant, je ne veux pas, entends-moi bien, que tu restitues, parce que je te le conseille. Consulte bien ta conscience. Il ne faut pas que cet acte de justice soit un sacrifice fait à l’amour ; car je . Je suis ta femme, et non pas ta maîtresse :; il s’agit moins de me plaire que de m’inspirer pour toi la plus profonde estime.... Si je me trompe, si tu m’as mal comprisexpliqué l’action de ton père ; enfin, pour peu que tu croies ta fortune légitime…... Oh (oh ! je voudrais me persuader que tu ne mérites aucun blâme !!), décide en écoutant la voix de ta conscience, agis bien par toi-même. Un homme qui aime sincèrement, et comme tu m’aimes, respecte trop tout ce que sa maîtressefemme met en lui de sainteté pour être improbe…... Je me reproche maintenant tout ce que je viens d’écrire ; un. Un mot suffisait peut-être !.... Mais j’ai été emportée par , et mon instinct de prêcheuse. m’a emportée. Aussi je voudrais -je être grondée, pas trop fort, mais un peu ; car enfin. Cher, entre nous deux, n’es-tu es pas le pouvoir, et ? tu dois seul apercevoir tes fautes. Ah !Eh ! bien, mon maître, direz-vous que je ne comprends rien aux discussions politiques ?..... »¶ ¶ – EhEh ! bien !, mon oncle ?, dit JulesOctave dont les yeux étaient pleins de larmes.¶ – Mais il y aje vois encore de l’écriture…..., achève donc.¶ – Oh ! mon oncle ! ce sont maintenant , il n’y a plus que de ces choses qui ne doivent être lues que par un amant…..¶ – Bien !.... dit M. de Valesnesle vieillard, bien, mon enfant !. J’ai eu beaucoup de bonnes fortunes ; mais je te prie de croire que j’ai aussi aimé. Et , et ego in Arcadiâ. MaisSeulement, je ne conçois pas pourquoi tu donnes des leçons de mathématiques !....¶ – Mon cher oncle, je suis votre neveu, c’est n’est-ce pas vous dire, en deux mots, que j’avais bien un peu entamé le capital laissé par mon père. – Or, après ? Après avoir lu cette lettre, il s’est fait en moi toute une révolution ; , et j’ai payé en un moment l’arriéré de mes remords. Je ne pourrai jamais vous peindre l’état dans lequel j’étais !. En conduisant mon cabriolet au bois, une voix me criait : – criait : « Ce cheval est-il à toi ?.... » En mangeant, je me disais : disais : « N’est-ce pas un dîner volé !? » J’avais honte de moi-même !. Plus jeune était ma probité, plus elle était ardente. D’abord, j’ai couru chez madame Firmiani. Oh O Dieu ! mon oncle !, ce jour-là j’ai eu des plaisirs de cœur, des voluptés d’âme qui valaient des millions. – J’ai fait avec elle le compte de ce que je devais à cette la famille inconnue ;Bourgneuf, et je me suis condamné moi-même à lui payer trois pour cent d’intérêt contre l’avis de madame Firmiani. Mais ; mais toute ma fortune ne pouvait suffire à solder la somme. Alors, nousNous étions alors l’un l’autre assez amansamants, assez époux, elle pour m’offrir, moi pour accepter ses économies. Heure délicieuse !.....¶ – Comment !..... s’écria l’oncle, outre toutes ses vertus, ellecette femme adorable fait des économies !.... Femme adorable !....¶? s’écria l’oncle.¶ – Ne vous moquez pas d’elle, mon oncle.... Sa position l’oblige à bien des ménagemens. ménagements. Son mari partit en 1820 pour la Grèce :, où il y est mort depuis trois ans ; mais jusqu’à ce jour, il a été impossible de savoir où il a été tué, d’avoir la preuve légale de sa mort, et de se procurer le testament qu’il a dû faire en faveur de sa femme, pièce importante qui a été prise, avec tout ce qu’il possédait, par des Albanais.perdue ou égarée dans un pays où les actes de l’état civil ne sont pas tenus comme en France, et où il n’y a pas de consul. Ignorant si un jour elle ne sera pas forcée de compter avec des héritiers malveillansmalveillants, elle est obligée d’avoir un ordre extrême ; , car elle veut pouvoir laisser son opulence comme Chateaubriand a quittéChâteaubriand vient de quitter le ministère…... Or, je veux acquérir une fortune qui soit mienne, afin de donner une belle fortunerendre son opulence à ma femme, si elle était ruinée…..¶ – Et tu ne m’as pas dit cela !..... , et tu n’es pas venu à moi !.....?... Oh ! mon neveu, songe donc que je t’aime assez pour te payer de bonnes dettes, des dettes de gentilhomme.... Je suis un oncle à dénouement. Je , je me vengerai…..¶. – Mon oncle, je connais vos vengeances, mais laissez-moi m’enrichir par ma propre industrie…... Si vous voulez m’obliger, faites-moi seulement mille écus de pension jusqu’à ce que j’aie besoin de capitaux pour quelque entreprise…... Tenez, en ce moment, je suis tellement heureux, que ma seule affaire est de vivre est toute mon affaire...... Je donne des leçons pour n’être à la charge de personne. Ah ! si vous saviez avec quel plaisir j’ai eu à faire fait ma restitution !..... Après quelques démarches, j’ai fini par trouver cette les Bourgneuf malheureux et privés de tout. Cette famille dépouillée, malheureuse, privée de tout. Elle était à Saint-Germain dans une misérable maison ; le. Le vieux père tenaitgérait un bureau de loterie ;, ses deux filles faisaient le ménage et tenaient les écritures ; la . La mère était presque toujours malade. Les deux filles sont ravissantes, mais elles ont durement appris cele peu de valeur que le monde estimeaccorde à la beauté sans fortune. Quel tableau j’ai ai-je été chercher là….. Je ! Si je suis entré le complice d’un crime, je suis sorti honnête homme.¶– , et j’ai lavé la mémoire de mon père. Oh ! mon oncle, je ne le juge point, il y a dans les procès un entraînement, une passion qui peuvent parfois abuser le plus honnête homme du monde. Les avocats savent légitimer les prétentions les plus absurdes, les lois ont des syllogismes complaisants aux erreurs de la conscience, et les juges ont le droit de se tromper. Mon aventure est fut un vrai drame. Avoir été la Providence, avoir réalisé un de ces souhaits inutiles : – s’ilinutiles : « S’il nous tombait du ciel vingt mille livres de rentes !.....rente ? » ce vœu que nous formons tous en riant ; faire succéder à un regard plein d’imprécations un regard sublime de reconnaissance, d’étonnement, d’admiration ; jeter l’opulence au milieu d’une famille réunie le soir à la lueur d’une mauvaise lampe, devant un feu de tourbe…. La ... Non, la parole est audessous d’une telle scène…... Mon extrême justice leur semblait injuste…... Enfin, s’il y a un paradis, mon père doit y être heureux maintenant…... Quant à moi, je suis aimé comme aucun homme ne l’a été. Madame Firmiani m’a donné plus que le bonheur, elle m’a doué d’une délicatesse qui me manquait peut-être. Aussi je, la nommenommé-je ma chère conscience ; c’est, un de mesces mots d’amour !d’amour qui répondent à certaines harmonies secrètes du cœur. La probité porte profit, je seraij’ai l’espoir d’être bientôt riche ; j’ai bon espoir. Jeriche par moi-même, je cherche en ce moment à résoudre un problème d’industrie. Si, et si je réussis à le résoudre, je gagnerai des millions…..¶ – O O ! mon enfant !, tu as l’âme de ta mère..., dit le vieillard en retenant à peine les larmes qui humectaient ses yeux en pensant à sa sœur.¶ En ce moment, malgré la distance qu’il y avait entre le sol et l’appartement de M. Julesd’Octave de Camps, le jeune homme et son oncle entendirent le bruit fait par l’arrivée d’une voiture.¶ – C’est elle !....., dit-il, je reconnais les ses chevaux à la manière dont ils arrêtent…..¶ En effet, madame Firmiani ne tarda pas à se montrer. Elle poussa la porte brusquement.¶ – Ah ! dit-elle en faisant un mouvement de dépit à l’aspect de M. Valesnes.¶monsieur de Bourbonne. – Mais bientôt, laissant échapper un sourire : – Notrenotre oncle n’est pas de trop !....., reprit-elle. en laissant échapper un sourire. Je voulais m’agenouiller m’agenouiller humblement devant mon époux, en le suppliant d’accepter ma fortune…..¶ – L’ambassadeur de Russie. L’ambassade d’Autriche vient de m’envoyer un acte qui constate le décès de M. Firmiani ; la . La pièce, dressée par les soins de l’internonce d’Autriche à Constantinople, est bien en règle, et le testament que gardait le valet de chambre pour me le rendre y est joint….. Jules. Octave, vous pouvez tout accepter !.....¶. – Va !.... reprit-elle, les larmes aux yeux, tu es plus riche que moi...., tu as là des trésors auxquels Dieu seul saurait ajouter…...¶ Et elle frappa doucement, reprit-elle en frappant sur le cœur de son mari…..¶. Puis, ne pouvant soutenir son bonheur, elle se cacha la tête dans le sein de Jules.¶d’Octave.¶ – Ma nièce, dit l’oncle, autrefois nous faisions l’amour, aujourd’hui vous aimez….., dit l’oncle. Vous êtes tout ce qu’il y a de bon et de beau dans l’humanité ; c’est nous qui car vous gâtons !...¶n’êtes jamais coupable de vos fautes, elles viennent toujours de nous.¶ Paris, février 1831.¶ COMPARAISON ENTRE L’AUBERGE ROUGE (Revue de Paris, 1831) ET L’ÉDITION ORIGINALE (1832) Dans la comparaison qui suit le texte de L’Auberge rouge de 1831 sert de texte de base. Les mots, les phrases, les passages rayés reflètent ce texte. Les mots, les phrases, les passages nonrayés indiquent la conformité entre ce texte et celui de 1832. Les mots, les phrases, les passages en rouge constituent des substitutions ou des additions apportées dans le texte de 1832. L’AUBERGE ROUGE.¶ § I° LES DEUX SOUS-AIDES.¶ INTRODUCTION.¶ ¶ ¶ VersVERS la fin de l’année 1830, un banquier de Paris, ayant des relations commerciales trèsétendues en Allemagne, fêtait un de ces amis, long-temps inconnus, que les négocians se font, de place en place, par correspondance.¶ Cet ami, chef de je ne sais quelle maison assez importante à Nuremberg, était un bon gros Allemand, homme de goût et d’érudition, parlant peu de sa pipe, ayant une belle et large figure nurembergeoise, au front carré, découvert, décoré de quelques cheveux blonds assez rares ; véritable type des enfans de cette pure et noble Germanie, si fertile en caractères honorables, et dont les mœurs douces ne se sont jamais démenties, même après sept invasions.¶ L’étranger riait avec simplesse, écoutait attentivement et buvait remarquablement bien, aimant le vin de Champagne autant peut-être que les vins paillés du Johannisberg. Il se nommait Hermann, comme presque tous les Allemands mis en scène par les auteurs. En homme qui ne sait rien faire légèrement, il était bien assis à la table du banquier, mangeait avec ce tudesque appétit si célèbre en Europe, et disait un adieu consciencieux à la cuisine du grand CARÊME.¶ Le maître du logis, voulant faire honneur à son hôte, avait convié, pour ce dernier dîner, quelques amis intimes, capitalistes ou commerçans dignes d’estime ; puis des femmes aimables, jolies, dont le gracieux babil et les manières franches étaient en harmonie avec la cordialité germanique.¶ Vraiment, si vous aviez pu voir, comme j’en eus le plaisir, cette réunion joyeuse de gens qui avaient quittérentré leurs griffes commerciales pour spéculer sur les plaisirs de la vie, il vous eût été difficile de haïr les escomptes usuraires ou de maudire les faillites. L’homme ne peut pas toujours mal faire ; et, même dans la société des pirates, il doit se rencontrer quelques heures douces pendant lesquelles vous croyez être, dans leur sinistre vaisseau, comme sur une escarpolette.¶ – Avant de nous quitter, M. Hermann va nous raconter encore, je l’espère, une histoire allemande qui nous fasse bien peur...¶ Ces paroles furent prononcées au dessert par une jeune personne pâle et blonde qui, sans doute, avait lu les contes d’Hoffmann et les romans de Walter Scott. C’était la fille unique du banquier, ravissante créature dont l’éducation s’achevait au Gymnase, et qui raffolait des charmantes pièces de Scribe.¶ En ce moment, les convives se trouvaient dans cette heureuse disposition de paresse et de silence où nous met un repas exquis, quand nous avons un peu trop présumé de notre puissance digestive. Chaque convive avait le dos appuyé sur sa chaise, le poignet légèrement soutenu par le bord de la table, et les doigts indolemment occupés à jouer avec la lame dorée d’un couteau. Quand un dîner arrive à ce moment de déclin, il y a des gens qui tourmentent le pepin d’une poire ; d’autres roulent une mie de pain entre leur pouce et l’index ; les amoureux tracent dans leurs assiettes des lettres informes avec les débris des fruits, ; les avares comptent leurs noyaux et les rangent comme si c’étaient des comparses au fond d’un théâtre. Ce sont de petites félicités gastronomiques dont Brillat-Savarin, auteur si complet d’ailleurs, n’a pas tenu compte dans son livre.¶ Les valets avaient disparu. Le dessert était comme une escadre après le combat, tout désemparé, pillé, flétri. Les assiettes éparses erraient sur la table malgré l’obstination avec laquelle la maîtresse du logis essayait de les remettre en place. Quelques personnes regardaient des vues de Suisse magnifiquement encadrées et symétriquement accrochées sur les parois grises de la salle à manger ; mais nul convive ne s’ennuyait, car nous ne connaissons point d’homme qui se soit encore attristé pendant la digestion d’un bon dîner. Alors, nous aimons à rester dans je ne sais quel calme, espèce de juste milieu entre la rêverie du penseur et la satisfaction des animaux ruminans. C’est la mélancolie matérielle de la gastronomie.¶ Aussi les convives se tournèrent-ils spontanément vers le bon Allemand, enchantés tous d’avoir une ballade à écouter, fût-elle même sans intérêt ; car, pendant cette benoîte pause, la voix d’un conteur semble toujours délicieuse à nos sens engourdis dont elle favorise le bonheur négatif.¶ Moi, chercheur de tableaux, j’admirais ces visages égayés par un sourire, éclairés par les bougies, et que la bonne chère avait empourprés. Offrant des expressions diverses, ils produisaient de piquans effets à travers les candélabres, les corbeilles en porcelaine, les fruits, les cristaux, et contrastaient par le jeu des physionomies. Alors, mon imagination fut frappée à l’aspect du convive qui se trouvait précisément en face de moi. C’était un homme de moyenne taille, assez gras, rieur, ayant la tournure, les manières d’un agent de change retiré, mais paraissant n’être doué que d’un esprit fort ordinaire. Je ne l’avais pas encore remarqué.¶ En ce moment, sa figure, sans doute assombrie par un faux jour, me parut avoir changé de caractère : elle était devenue terreuse ; des teintes violâtres la sillonnaient ; et vous eussiez dit la tête cadavérique d’un agonisant. Immobile comme les personnages peints dans un Diorama, ses yeux hébétés restaient fixés sur les étincelantes facettes d’un bouchon de cristal, mais il ne les comptait certes pas ;, et semblait bien plutôt abîmé dans quelque contemplation fantastique de l’avenir ou du passé... Quand j’eus long-temps examiné cette face équivoque, elle me fit penser :¶ – Souffre-t-il ? me dis-je. – A-t-il trop bu ?... Est-il ruiné par la baisse des fonds publics ?... Songe-til à jouer ses créanciers ?...¶ – Voyez !... dis-je à ma voisine en lui montrant le visage de l’inconnu, n’est-ce pas une faillite en fleur ?...¶ – Oh ! me répondit-elle, il serait plus gai !...¶ Puis hochant gracieusement la tête, elle ajouta :¶ – Si celui-là se ruine jamais, je l’irai dire à Holy-Rood ! Il possède un million en fonds de terre !...!.... C’est un ancien fournisseur des armées impériales, bon homme, assez original... Cependant il rend sa femme extrêmement heureuse. Il a une jolie fille. – Épousez-la ?... Elle sera riche.¶ En ce moment, le fournisseur leva les yeux sur moi. Son regard me fit tressaillir, tant il était sombre et pensif ! Assurément ce regardcoup d’œil résumait toute une vie... Mais tout à coup sa physionomie devint gaie ; puis il prit le bouchon de cristal, le mit, par un mouvement machinal, à une carafe pleine d’eau qui se trouvait devant son assiette, et tourna la tête en souriant vers M. Hermann. en souriant. Cet homme, béatifié par ses jouissances gastronomiques, n’avait sans doute pas deux idées dans la cervelle, et ne songeait à rien !... Aussi j’eus, en quelque sorte, honte de prodiguer ma science divinatoire in anima vili d’un épais financier.¶ Pendant que je faisais des observations en pure perte, le bon Allemand s’était lesté le nez d’une prise de tabac, et commençait son histoire.¶ Il me serait assez difficile de la reproduire dans les mêmes termes, avec ses interruptions fréquentes et ses digressions verbeuses ; aussi, l’ai-je écrite à ma guise, laissant les fautes au Nurembergeois ; et, m’emparant de ce qu’elle peut avoir de poétique et d’intéressant, avec la candeur des écrivains qui oublient de mettre au titre de leurs livres : – traduit de l’allemand.¶ ¶ ¶ ¶ ¶ II.¶ LES DEUX SOUS AIDES.¶ ¶ VERS la fin de vendémiaire an É, époque républicaine qui, dans le style actuel, correspond au 20 octobre 1799, deux jeunes gens, partis de Bonn dès le matin, étaient arrivés à la chute du jour aux environs d’Andernach, petite ville située sur la rive gauche du Rhin, à quelques lieues de Coblentz.¶ En ce moment, l’armée française commandée par le général Augereau manœuvrait dans la Souabe en présence des Autrichiens qui occupaient la rive droite du fleuve. Le quartier général de la division républicaine était à Coblentz, et l’une des demi-brigades appartenant au corps d’Augereau se trouvait cantonnée à Andernach.¶ Les deux voyageurs étaient Français. A voir leurs uniformes bleus mélangés de blanc, à paremens de velours rouge, leurs sabres, surtout le chapeau couvert d’une toile cirée verte, et orné d’un plumet tricolore, les paysans de la Souabe eux-mêmes auraient reconnu des chirurgiens militaires, hommes de science et de mérite, aimés pour la plupart à l’armée et même dans les pays envahis par nos troupes.¶ En effet, à cette époque, les enfans de famille, arrachés à leur stage médical par la récente loi sur la conscription due au général Jourdan, avaient naturellement mieux aimé continuer leurs études sur le champ de bataille que d’être astreints au service militaire, peu en harmonie avec leur éducation première et leurs paisibles destinées. Alors, hommes de science, pacifiques et serviables, ils faisaient quelque bien au milieu de tant de malheurs, et sympathisaient avec tous les érudits des diverses contrées par lesquelles passait la cruelle civilisation de la république.¶ Armés, l’un et l’autre, d’une feuille de route et portant une commission de sous- aide signéesignés Coste et Bernadotte, ces deux jeunes gens se rendaient à la demi-brigade à laquelle ils étaient attachés.¶ Appartenant tous deux à des familles bourgeoises de Beauvais, médiocrement riches, mais où les mœurs douces et la loyauté des provinces se transmettaient comme une partie de l’héritage, ils avaient voyagé par la diligence jusqu’à Strasbourg, amenés sur le théâtre de la guerre avant l’époque indiquée pour leur entrée en fonctions, par une curiosité bien naturelle aux jeunes gens.¶ Quoique la prudence maternelle ne leur eût laissé emporter qu’une faible somme, ils se croyaient riches en possédant quelques louis, véritable trésor dans un temps où les assignats étaient arrivés au dernier degré d’avilissement, et où l’or valait beaucoup d’argent. Alors, les deux sous- aides, âgés de vingt ans au plus, obéirent à la poésie de leur situation avec tout l’enthousiasme de la jeunesse. De Strasbourg à Bonn, ils avaient visité l’Électorat et les rives du Rhin en artistes, en philosophes, en observateurs ; car, à cet âge, quand nous avons une destinée scientifique, nous sommes des êtres véritablement multiples ; et, même, en faisant l’amour, ou en voyageant, un sous- aide doit thésauriser les rudimens de sa fortune ou de sa gloire à venir.¶ Donc, les deux jeunes gens s’étaient abandonnés à cette admiration profonde dont les hommes instruits sont saisis à l’aspect des rives du Rhin et des paysages de la Souabe, entre Mayence et Cologne ; nature forte, riche, puissamment accidentée, pleine de souvenirs féodaux, verdoyante, ; mais gardant en tous lieux les empreintes du fer et du feu. ; car Louis XIV et Turenne ont cautérisé cette ravissante contrée. Çà et là, des ruines attestent l’orgueil, ou peut-être la prévoyance du roi de Versailles, qui fit abattre les admirables châteaux -forts dont cette partie de l’Allemagne était jadis ornée. En voyant cette terre merveilleuse, si féconde en sites, couverte de forêts, et où le pittoresque du moyen âge abonde, mais en ruines, vous concevez le génie allemand, ses rêveries et son mysticisme.¶ Cependant le séjour des deux amis à Bonn avait un but de science et de plaisir tout à la fois. Le grand hôpital de l’armée gallo-batave et de la division d’Augereau était établi dans le palais même de l’électeur. Les sous-aides de fraîche date y avaient donc été voir des camarades, remettre des lettres de recommandation à leurs chefs, et s’y familiariser avec les premières impressions de leur métier. Mais aussi, là, comme ailleurs, ils dépouillèrent quelques- uns de ces préjugés exclusifs auxquels nous restons si longtemps fidèles en faveur des monumens et des beautés de notre pays natal. Surpris à l’aspect des colonnes de marbre dont le palais électoral est orné, ils allèrent admirant le grandiose des constructions allemandes, et trouvèrent, à chaque pas, de nouveaux trésors antiques ou modernes.¶ De temps en temps, les chemins dans lesquels erraient les deux amis, en se dirigeant vers Andernach, les amenaient sur le piton d’une montagne de granit plus élevée que les autres ; et, par une découpure de la forêt, par une anfractuosité des rochers, ils apercevaient quelque vue du Rhin encadrée dans le marbre ou festonnée par de vigoureuses végétations. Les vallées, les sentiers, les arbres, exhalaient cette senteur automnale qui porte à la rêverie ; les cimes des bois commençaient à se dorer, à prendre des tons chauds et bruns, signes de vieillesse ; les feuilles tombaient ; mais le ciel était encore d’un bel azur ;, et les chemins, secs, se dessinaient comme des lignes jaunes dans le paysage alors éclairé par les obliques rayons du soleil couchant.¶ A une demi-lieue d’Andernach, les deux amis, marchant au milieu d’un profond silence, comme si la guerre ne dévastait pas ce beau pays, suivirent un chemin pratiqué pour les chèvres à travers les hautes murailles de granit bleuâtre entre lesquelles le Rhin bouillonne.¶ Bientôt ils descendirent un des versans de la gorge au fond de laquelle se trouve la petite ville, assise avec coquetterie au bord du fleuve, où elle offre un joli port aux mariniers.¶ – L’Allemagne est un bien beau pays ! !.... s’écria l’un des deux jeunes gens, nommé Prosper Magnan, à l’instant où il entrevit les maisons peintes d’Andernach, pressées comme des œufs dans un panier, mais séparées par des arbres, par des jardins et des fleurs.¶ Puis il admira pendant un moment les toits pointus à solives saillantes, les escaliers de bois, les galeries de mille habitations paisibles, et les barques balancées par les flots dans le port ¶…………………………………¶ .......................................................................................¶ ¶ ¶ INTERRUPTION.¶ ¶ AU moment où M. Hermann prononça le nom de Prosper Magnan, le fournisseur saisit la carafe, se versa de l’eau dans son verre, et le vida d’un trait.¶ Ce mouvement attira mon attention. Je crus remarquer un léger tremblement dans ses mains et de l’humidité sur son le front du capitaliste.¶ – Comment se nomme le fournisseur ?...?.... demandai-je à ma complaisante voisine.¶ – Mauricey !...!.... me répondit-elle.¶ – Vous trouvez-vous indisposé ? m’écriai-je en voyant pâlir ce singulier personnage.¶ – Nullement !...!.... dit-il en me remerciant par un geste de politesse.¶ – J’écoute.... ajouta-t-il en faisant un signe de tête aux convives qui le regardèrent tous simultanément.¶ – J’ai oublié, dit M. Hermann, le nom de l’autre jeune homme ; seulement les confidences de Prosper Magnan m’ont appris que son compagnon était brun, assez maigre et jovial. Si vous me le permettez, je l’appellerai Wilhem, pour donner plus de clarté au récit de cette histoire.¶ Le bon Allemand reprit sa narration après avoir ainsi, sans respect pour le romantisme et la couleur locale, baptisé le sous-aide d’un nom germanique.¶ ¶ ¶ CONTINUATION.¶ ¶ ..... AU moment où les deux jeunes gens arrivèrent à Andernach, il était donc nuit close. Présumant qu’ils perdraient beaucoup de temps à trouver leurs chefs, à s’en faire reconnaître, et à obtenir d’eux un gîte militaire dans une ville déjà pleine de soldats, ils avaient résolu de passer leur dernière nuit de liberté dans une auberge située à une centaine de pas d’Andernach, et dont ils avaient admiré, du haut des rochers, les riches couleurs embellies par les feux du soleil couchant. Elle était entièrement.¶ Entièrement peinte en rouge et, cette auberge produisait alors un piquant effet dans le paysage, soit en se détachant avec vivacité sur la masse générale de la ville, soit en opposant un large rideau de pourpre auxà la verdure des différens feuillages, et sa teinte vive aux tons grisâtres de l’eau.¶ Cette maison devait son nom à la décoration extérieure qui lui avait été sans doute imposée depuis un temps immémorial par le caprice de son fondateur ; et la superstition mercantile assez naturelle aux différens possesseurs de ce logis, renommé parmi les mariniers du Rhin, en avait fait soigneusement conserver le costume.¶ En entendant le pas des chevaux, le maître de l’Auberge rouge vint sur le seuil de la porte.¶ – Par Dieu ! s’écria-t-il, messieurs, un peu plus tard vous auriez été forcés de coucher à la belle étoile, comme la plupart de vos compatriotes qui bivouaquent de l’autre côté d’Andernach. Chez moi, tout est plein !...!.... Si vous tenez à coucher dans un bon lit, je n’ai plus que ma propre chambre à vous offrir..... Quant à vos chevaux, je vais leur faire mettre une litière dans un coin de la cour ; car, aujourd’hui, j’ai des chrétiens à l’écurie....¶ – Ces messieursMessieurs viennent de France ??.... reprit-il après une légère pose.¶ – De Bonn !...!.... s’écria Prosper. Et nous n’avons encore rien mangé depuis ce matin...¶ – Oh ! quant aux vivres !...¶!....¶ U L’aubergiste hocha la tête.¶ – On vient de dix lieues à la ronde faire des noces à l’Auberge rouge !...!.... Vous allez avoir un festin de prince..... le poisson du Rhin !...!.... c’est tout dire.....¶ Les sous-aides confièrent leurs montures fatiguées aux soins de l’hôte, qui appelait assez inutilement ses valets ; et le laissant crier, ils entrèrent dans la salle commune de l’auberge.¶ Les nuages épais et blanchâtres exhalés par une nombreuse assemblée de fumeurs, ne leur permirent pas de distinguer d’abord les gens avec lesquels ils allaient se trouver ; mais lorsqu’ils se furent assis près d’une table, avec la patience pratique de ces voyageurs philosophes qui ont reconnu l’inutilité du bruit, ils démêlèrent, à travers les vapeurs du tabac, tous les accessoires obligés d’une auberge allemande : le poêle, l’horloge, les tables, les pots de bière, les longues pipes, et, çà et là, des figures hétéroclites, juives, allemandes, et ; puis les visages rudes des mariniers. Les épaulettes de quelques officiers français étincelaient dans ce brouillard, et le cliquetis des éperons et des sabres retentissait incessamment sur le carreau. Les uns jouaient aux cartes, d’autres se disputaient, se taisaient, mangeaient, buvaient ou se promenaient.¶ Une grosse petite femme, ayant le bonnet de velours noir, la pièce d’estomac bleue et argent, la pelotte, le trousseau de clefs, l’agrafe d’argent, les cheveux tressés, marques distinctives de toutes les maîtresses d’auberges allemandes, et dont le costume est, du reste, si exactement colorié dans une foule d’estampes, qu’il est trop vulgaire pour être décrit, ; la femme de l’aubergiste, donc, fit patienter et impatienter les deux amis avec une habileté fort remarquable.¶ Insensiblement le bruit diminua, les voyageurs se retirèrent, le nuage de fumée se dissipa ;, et, lorsque le couvert des sous-aides fut mis, que la classique carpe du Rhin parut sur la table, onze heures sonnaient, et la salle était vide. Le silence de la nuit laissait entendre vaguement le bruit que faisaient les chevaux en mangeant leur provende ou en piaffant, le murmure des eaux du Rhin, et ces espèces de rumeurs indéfinissables qui animent une auberge pleine quand chacun s’y couche. Les portes et les fenêtres s’ouvraient et se fermaient, des voix murmuraient de vagues paroles, et quelques interpellations retentissaient dans les chambres.¶ En ce moment de silence et de tumulte, les deux Français, et l’hôte, occupé à leur vanter Andernach, le repas, son vin du Rhin, l’armée républicaine et sa femme, écoutèrent avec une sorte d’intérêt les cris rauques de quelques mariniers et les bruissemens d’un bateau qui abordait au port.¶ L’aubergiste, familiarisé sans doute avec les interrogations gutturales de ces bateliers, sortit précipitamment, et revint bientôt. Il ramena un gros petit homme, derrière lequel marchaient deux mariniers portant une lourde valise et quelques ballots.¶ Les paquets déposés dans la salle, le petit homme prit lui-même sa valise et la garda près de lui, en s’asseyant sans cérémonie à table devant les deux sous-aides.¶ – Allez coucher à votre bateau ! !..... dit-il aux mariniers, puisque l’auberge est pleine. Tout bien considéré, cela vaudra mieux.....¶ – Monsieur, dit l’hôte au nouvel arrivé, ! voilà tout ce qui me reste de provisions !...¶!....¶ Et il montrait le souper servi aux deux Français. .¶ – Je n’ai pas une croûte de pain, pas un os... .....¶ – Et de la choucroute ?¶ – Pas de quoi en mettre dans le dé de ma femme ! !.... Et, comme j’ai eu l’honneur de vous le dire, vous ne pouvez pas avoir d’autre lit que la chaise sur laquelle vous êtes, et pas d’autre chambre que cette salle.¶ A ces mots, le petit homme jeta sur l’hôte, sur la salle et sur les deux Français, un regard où la prudence et l’effroi se peignirent également.¶ ¶ Ici, je dois vous faire observer, dit M. Hermann en s’interrompant, que nous n’avons jamais su ni le véritable nom, ni l’histoire de cet inconnu ; seulement, ses papiers ont appris qu’il venait d’Aix-laChapelle ; il avait pris le nom de Walhenfer, et possédait aux environs de Neuwied une manufacture d’épingles assez considérable. .¶ Comme tous les fabricans de ce pays, il portait une redingote de drap commun, une culotte et un gilet en velours vert foncé, des bottes et une large ceinture de cuir. Sa figure était toute ronde, ses manières franches et cordiales ; mais pendant cette soirée, il lui fut très- difficile de déguiser entièrement des appréhensions secrètes, ou peut-être de cruels soucis. .¶ L’opinion de l’aubergiste a toujours été que ce négociant allemand fuyait son pays ; et, plus tard, j’ai su que sa fabrique avait été brûlée, par un de ces hasards malheureusement si fréquens en temps de guerre. Malgré son expression généralement soucieuse, sa physionomie annonçait une grande bonhomie ; il avait de beaux traits, et surtout un large cou dont sa cravate noire faisait si bien ressortir la blancheur, que Wilhem le montra par raillerie à Prosper ¶…...........................................¶ .......................................................................................¶ —¶ Ici, M. Mauricey but un verre d’eau.¶ —¶ ……………………………………………¶ Prosper offrit avec courtoisie au négociant de partager leur souper, et Walhenfer accepta sans façon, en homme qui se sentait en mesure de reconnaître cette politesse. Il coucha sa valise à terre, mit ses pieds dessus, ôta son chapeau, s’attabla, se débarrassa de ses gants et de deux pistolets qu’il avait à sa ceinture.¶ L’hôte lui ayant promptement donné un couvert, les trois convives commencèrent à satisfaire assez silencieusement leur appétit.¶ L’atmosphère de la salle était si chaude et les mouches si nombreuses, que Prosper pria l’hôte d’ouvrir la croisée qui donnait sur la porte, afin de renouveler l’air.¶ Cette fenêtre était barricadée par une barre de fer dont les deux bouts entraient dans des trous pratiqués aux deux coins de l’embrasure ; et, pour plus de sécurité, deux écrous, attachés à chacun des volets, recevaient deux vis.¶ Par hasard, Prosper examina la manière dont l’hôte s’y prenait pour ouvrir la fenêtre.¶ – Mais, puisque je vous dépeins les localités, nous dit M. Hermann, je dois vous faire connaître les dispositions intérieures de l’auberge, car, de la connaissance exacte des lieux, dépend tout l’intérêt de cette histoire.¶ La salle où se trouvaient les trois personnages dont je vous parle, avait deux portes de sortie. L’une donnait sur le chemin d’Andernach, qui longe le Rhin ; et, là, devant l’auberge, il y avait naturellement un petit débarcadère, où le bateau, loué par le négociant pour son voyage, était amarré. L’autre ; l’autre porte avait sa sortie sur la cour de l’auberge. Cette cour était entourée de murs très- élevés, et remplie, pour le moment, de bestiaux et de chevaux, les écuries se trouvant pleines de monde. La grande porte venait d’être si soigneusement barricadée, que, pour plus de promptitude, l’hôte avait fait entrer le négociant et les mariniers par la porte de la salle qui donnait sur la rue. Après avoir ouvert la fenêtre, selon le désir de Prosper Magnan, il se mit à fermer cette porte, glissa les barres dans leurs trous, et vissa les écrous.¶ La chambre de l’hôte, où devaient coucher les deux sous-aides, était contiguë à la salle commune, et se trouvait séparée par un mur assez léger de la cuisine, où l’hôtesse et son mari devaient probablement passer la nuit ; car la servante venait de sortir, et d’aller chercher son gîte dans quelque crèche, ou dans quelquele coin d’un grenier. Alors, il est facile de comprendre que la salle commune, la chambre de l’hôte et la cuisine, étaient en quelque sorte isolées du reste de l’auberge. Il y avait dans la cour deux gros chiens, dont les aboiemens graves annonçaient des gardiens vigilans et très- irritables.¶ – Quel silence et quelle belle nuit !...!.... dit Wilhem en regardant le ciel, lorsque l’hôte eut fini de fermer la porte.¶ Alors le clapotis des flots était le seul bruit qui se fit entendre.¶ – Messieurs, dit le négociant aux deux Français, permettez-moi de vous offrir quelques bouteilles de vin du Rhin pour arroser votre carpe. Nous nous délasserons des fatigues de la journée en buvant. A votre air et à l’état de vos vêtemens, je vois que, comme moi, vous avez fait bien du chemin aujourd’hui ! ...¶ Les deux amis acceptèrent, et l’hôte sortit par la porte de la cuisine pour aller à sa cave, sans doute située sous cette partie du bâtiment.¶ Lorsque cinq vénérables bouteilles, apportées par l’aubergiste, furent sur la table, sa femme achevait de servir le repas. Elle donna à la salle et aux mets un coup d’œil de maîtresse de maison ; et, certaine d’avoir prévenu toutes les exigences des voyageurs, elle rentra dans la cuisine. Les quatre convives, car l’hôte fut invité à boire, ne l’entendirent pas se coucher ; mais, plus tard, pendant les intervalles de silence qui séparèrent les causeries des buveurs, quelques ronflemens très- accentués, rendus encore rendus plus sonores par les planches creuses de la soupente où se nichaits’était nichée la fille de l’auberge, firent sourire les amis, et surtout l’hôte.¶ Vers minuit, lorsqu’il n’y eut plus sur la table que des biscuits, du fromage, des fruits secs et du bon vin, les trois voyageurs, et principalement les deux jeunes Français, devinrent plus communicatifs. Ils parlèrent de leur pays, de leurs études, de la guerre ; puis, la conversation s’anima.¶ Prosper Magnan fit venir quelques larmes dans les yeux du négociant fugitif, quand, avec cette franchise picarde et la naïveté d’une nature bonne et tendre, il supposa ce que devait faire sa mère au moment où il se trouvait, lui, sur les bords du Rhin.....¶ – Je la vois, disait-il, lisant sa prière du soir avant de se coucher ! Elle ne m’oublie certes pas, et doit se demander : – Où est-il, mon pauvre Prosper ?...?..... Mais si elle a gagné au jeu quelques sous à sa voisine.....¶ – A ta mère, peut-être, ajouta-t-il en poussant le coude de Wilhem.¶ – Elle va les mettre, reprit-il, dans le grand pot de terre rouge, où elle amasse de quoi acheter un jour lesla somme nécessaire à l’acquisition des trente arpens enclavés dans son petit domaine de Lescheville. Ces trente arpens valent bien 60,000environ soixante mille francs..... Ce sont de bonnes prairies.... Ah ! si je les avais un jour, je vivrais toute ma vie à Lescheville, sans ambition..... Que de fois mon père a désiré ces trente arpens, et le joli ruisseau qui serpente dans ces prés-là !...!.... Comme j’y ai souvent joué !...¶!....¶ – Monsieur Walhenfer, n’avez-vous pas aussi votre hoc erat in votis ? demanda Wilhem.¶ – Oui, monsieur, oui, ! mais ! ...... il était tout venu, et, – maintenant... .....¶ Le bonhomme garda le silence.¶ – Moi, dit l’hôte, dont le visage s’était légèrement empourpré, j’ai, l’année dernière, acheté un clos que je désirais avoir depuis dix ans.....¶ Ils causèrent ainsi en gens dont la langue était déliée par le vin, et prirent les uns pour les autres cette amitié passagère dont nous sommes¶ peu avares en voyage, en sorte qu’au moment où ils allèrent se coucher, Wilhem offrit son lit au négociant.¶ – Vous pouvez d’autant mieux l’accepter... lui dit-il, que je puis coucher avec Prosper ; ce ne sera, certes, ni la première ni la dernière fois..... Vous êtes notre doyen, et nous devons honorer la vieillesse !¶!....¶ – Bah ! dit l’hôte, le lit de ma femme a plusieurs matelas, vous en mettrez un par terre.¶ Et il alla fermer la croisée, en faisant tout le bruit que comportait cette prudente opération.¶ – J’accepte, dit le négociant.....¶ Puis, baissant la voix :¶ – J’avoue, ajouta-t-il en regardant les deux amis, que je le désirais.... Mes bateliers me semblent suspects...... Et, pour cette nuit, je ne suis pas fâché d’être en compagnie de deux braves et bons jeunes gens, de deux militaires français !..... J’ai 100,000cent mille francs en or et en diamans dans ma valise !...¶!....¶ L’affectueuse réserve avec laquelle cette imprudente confidence fut reçue par les deux jeunes gens rassura le bon Allemand.¶ L’hôte aida ses voyageurs à défaire un des lits ; et, quand tout fut arrangé pour le mieux, il leur souhaita une bonne nuit et alla se coucher.¶ Le négociant et les deux sous-aides plaisantèrent sur la nature de leurs oreillers.¶ Prosper mettait sa trousse d’instrumens et celle de Wilhem sous son matelas, afin de l’exhausser et de remplacer le traversin qui lui manquait, au moment où, par un excès de prudence, Walhenfer plaçait sa valise sous son chevet.¶ – Nous dormirons tous deux sous notre fortune : vous, sur votre or ; moi sur ma trousse !...!.... Reste à savoir si mes instrumens me vaudront autant d’or que vous en avez acquis.....¶ – Vous pouvez l’espérer, dit le négociant. Le ; le travail et la probité viennent à bout de tout, mais ayez de la patience.....¶ Bientôt Walhenfer et Wilhem s’endormirent.¶ Soit que son lit fût trop dur, soit que son extrême fatigue fût une cause d’insomnie, ou soit par une fatale disposition d’âme, Prosper Magnan resta éveillé.¶ Ses pensées prirent insensiblement une mauvaise pente, et il ne songea plus qu’aux 100,000 cent mille francs sur lesquels dormait le négociant.¶ Pour lui, 100,000cent mille francs étaient une immense fortune toute venue.¶ Il commença par les employer de mille manières différentes, en faisant des châteaux en Espagne, comme nous en faisons tous avec tant de bonheur pendant le moment qui précède notre sommeil, à cette heure où les images naissent confuses dans notre entendement, et où souvent, par le silence de la nuit, la pensée acquiert une puissance magique. Il comblait les vœux de sa mère, il achetait les trente arpens de prairies, il se mariait à une demoiselle de Beauvais, à laquelle la disproportion de leurs fortunes lui défendait d’aspirer en ce moment. Il s’arrangeait avec cette somme toute une vie de délices, et se voyait heureux, père de famille, riche, considéré dans sa province, et peut-être maire de Beauvais.¶ Sa tête picarde s’enflammant, il chercha les moyens de changer ses fictions en réalités..... Il mit une chaleur extraordinaire à combiner un crime en théorie, et, tout en rêvant la mort du négociant, il voyait distinctement l’or et les diamans. Il en avait les yeux éblouis..... Son cœur palpitait. La délibération était déjà un crime peut-être.... Fasciné par cette masse d’or, il s’enivra moralement par des raisonnemens assassins. Il se demanda si ce pauvre Allemand avait bien besoin de vivre. Il supposa qu’il n’avait jamais existé..... Bref, il conçut le crime de manière à en assurer l’impunité.¶ L’autre rive du Rhin était occupée par les Autrichiens ; il y avait au bas des fenêtres une barque et des bateliers ; il pouvait couper le cou de cet homme, le jeter dans le Rhin, se sauver par la croisée avec la valise, offrir de l’or aux mariniers, et passer en Autriche. Il alla jusqu’à calculer le degré d’adresse qu’il avait su acquérir en se servant de ses instrumens de chirurgie, afin de trancher la tête de sa victime de manière à ce qu’elle ne poussât pas un seul cri……………………………………….¶ —¶ Là M. Mauricey s’essuya le front et but encore un peu d’eau.¶ —¶ ……………………………………….¶ Prosper se leva lentement et sans faire aucun bruit ; puis, certain de n’avoir réveillé personne, il s’habilla, se rendit dans la salle commune ; et, avec cette fatale intelligence que l’homme trouve soudainement en lui, avec cette puissance de tact et de volonté qui ne manque jamais ni aux prisonniers ni aux criminels dans l’accomplissement de leurs projets, il dévissa les barres de fer, les sortit de leurs trous sans faire le plus léger bruit, les plaça près du mur, ouvrit les volets en pesant sur les gonds afin d’en assourdir les grincemens ; puis, la lune, jetant sa pâle clarté sur cette scène, lui permit de voir faiblement les objets dans la chambre où dormaient Wilhem et Walhenfer.....¶ Là, il m’a dit s’être un moment arrêté, parce que les palpitations de son cœur étaient si fortes, si profondes, si sonores, qu’il en avait été comme épouvanté, et craignait de ne pouvoir agir avec sang-froid, car ses mains tremblaient, et la plante de ses pieds lui paraissait appuyée sur des charbons ardens..... Mais l’exécution de son dessein était accompagnée de tant de bonheur qu’il vit une espèce de prédestination dans cette faveur du sort. Il ouvrit la fenêtre et revint dans la chambre ! !.... Il prit sa trousse, y chercha l’instrument le plus convenable pour achever son crime.¶ – Quand j’arrivai près du lit, me dit-il, je me recommandai machinalement à Dieu.¶ Au moment où il levait le bras en rassemblant toute sa force, il entendit en lui comme une voix, et crut apercevoir une lumière.....¶ Jetant l’instrument sur son lit, il se sauva dans l’autre pièce, et alors vint se placer à la fenêtre qu’il avait ouverte.¶ Là, il conçut la plus profonde horreur pour lui-même ; et, sentant néanmoins sa vertu faible et craignant de succomber à la puissante fascination à laquelle il était en proie, il sauta vivement sur le chemin et se promena le long du Rhin, en faisant pour ainsi dire sentinelle devant l’auberge.¶ Souvent il atteignait Andernach dans sa promenade précipitée ; souvent aussi ses pas le conduisaient au versant par lequel il était descendu pour arriver à l’auberge ; mais le silence de la nuit était si profond, il se fiait si bien sur les chiens de garde, que, parfois, il perdit de vue la fenêtre qu’il avait laissée ouverte.¶ Son but était de se lasser et d’appeler le sommeil. Cependant, en marchant ainsi sous un ciel sans nuages, dont il admira les belles étoiles, frappé peut-être aussi par l’air pur de la nuit, et par le bruissement mélancolique des flots, il tomba dans une rêverie qui le ramena par degrés à de saines idées de morale, et qui finit par dissiper complétement sa frénésie momentanée. Les enseignemens de son éducation, les préceptes religieux, et surtout, m’a-t-il dit, les images de la vie modeste qu’il avait jusqu’alors menée sous le toit paternel, triomphèrent de ses mauvaises pensées.¶ Quand il revint, après une longue méditation, au charme de laquelle il s’était abandonné sur le bord du Rhin, en restant accoudé sur une grosse pierre, il aurait pu, m’a-t-il dit, non pas dormir, mais veiller près d’un milliard en or.....¶ Au moment où sa probité se releva fière et forte de ce combat, il se mit à genoux dans un sentiment d’extase et de bonheur, remercia Dieu, se trouva heureux, léger, content, comme au jour de sa première communion, où il s’était cru digne des anges, parce qu’il avait passé la journée sans pécher ni en paroles, ni en actions, ni en pensée.¶ Il revint à l’auberge, ferma la fenêtre sans craindre de faire du bruit, et se mit au lit sur-le-champ.¶ Sa lassitude morale et physique le livra sans défense au sommeil ; et, peu de temps après avoir posé sa tête sur son matelas, il tomba dans cette somnolence première et fantastique qui précède toujours un profond sommeil. Alors les sens s’engourdissent, et la vie s’abolit graduellement. Les ; les pensées sont incomplètes, et les derniers tressaillemens de nos sens simulent une sorte de rêverie.¶ – Comme l’air est lourd ! !..... se dit Prosper. Il me semble que je respire une vapeur humide !...!..... ou les exhalaisons d’une eau chaude.....¶ Il s’expliqua vaguement cet effet de l’atmosphère par la différence qui devait exister entre la température de la chambre et l’air pur de la campagne.¶ Mais il entendit bientôt un bruit périodique assez semblable à celui que font les gouttes d’eau d’une fontaine en tombant du robinet.¶ Obéissant à une terreur panique, il voulut se lever et appeler l’hôte, réveiller le négociant ou Wilhem ; mais il se souvint alors, pour son malheur, de l’horloge de bois, et croyant reconnaître le mouvement du balancier, il s’endormit dans cette indistincte et confuse perception........................................¶ .......................................................................................¶ ………………………………………………………...¶ ¶ – Voulez-vous de l’eau, monsieur Mauricey ? dit le maître de la maison, en voyant le fournisseur prendre machinalement la carafe.¶ Elle était vide.¶ ¶ ¶ §II III.¶ LES DEUX JUSTICES.¶ ¶ M. Hermann continua son récit, après la légère pause occasionnée par l’observation du banquier.¶ – Le lendemain matin, dit-il, Prosper Magnan fut réveillé par un grand bruit. Il lui semblait avoir entendu des cris perçans, et il ressentait ce violent tressaillement de nerfs dont nous subissons l’âcre douleur lorsque nous achevons, au réveil, une sensation pénible commencée pendant notre sommeil. Alors, il s’accomplit en nous un fait physiologique, un sursaut, pour me servir de l’expression vulgaire, qui n’a pas encore été suffisamment observé, quoiqu’il contienne des phénomènes curieux pour la science. Cette terrible angoisse, produite peut-être par une réunion trop subite de nos deux natures, presque toujours séparées pendant le sommeil, est ordinairement rapide ; mais elle persista chez le pauvre sous-aide ; elle s’accrut même tout à coup, et lui causa une affreuse horripilation, quand il aperçut une mare de sang entre son matelas et le lit de Walhenfer. La tête du pauvre Allemand gisait à terre, et le corps dans le lit.¶ Tout le sang avait jailli par le cou.¶ En voyant les yeux de cette tête, encore ouverts et fixes, en voyant le sang qui avait taché ses draps et même ses mains, en reconnaissant son instrument de chirurgie sur le lit, Prosper Magnan s’évanouit, et tomba dans le sang de Walhenfer.....¶ – C’était déjà, m’a-t-il dit, une punition de mes pensées.....¶ Quand il reprit connaissance, il se trouva dans la salle commune. Il était assis sur une chaise, environné de soldats français et en présence d’une foule attentive et curieuse. Il regarda stupidement un officier républicain occupé à recueillir les dépositions de quelques témoins, et à rédiger sans doute un procès-verbal. Il reconnut l’hôte, sa femme, les deux mariniers et la servante de l’auberge.¶ L’instrument de chirurgie dont s’était servi l’assassin.........¶ ¶ INTERRUPTION.¶ ¶ Ici M. Mauricey toussa, tira son mouchoir de poche, se moucha et s’essuya le front ; mais ces mouvemens assez naturels ne furent remarqués que par moi ; car tous les convives, les yeux attachés sur M. Hermann, l’écoutaient avec une sorte d’avidité..¶ Le fournisseur appuya son coude sur la table, mit sa tête dans sa main droite, regarda fixement M. Hermann ; et, dès lors, ne laissa plus échapper aucune marque d’émotion ou d’intérêt ; mais sa physionomie resta pensive et terreuse, comme au moment où il avait joué avec le bouchon de la carafe.¶ ¶ CONTINUATION.¶ ¶ .......... L’instrument de chirurgie dont s’était servi l’assassin se trouvait sur la table, avec la trousse de Prosper, son , le portefeuille et ses les papiers. de Prosper. Les regards de l’assemblée se dirigeaient alternativement sur ces pièces de conviction et sur le jeune homme, qui paraissait mourant, et dont les yeux éteints semblaient ne rien voir. UneLa rumeur confuse retentissaitqui se faisait entendre au-dehors et, accusait la présence d’une de la foule attirée devant l’auberge par la nouvelle du crime, et peut-être aussi par le désir de connaître l’assassin. Le pas des sentinelles placées sous les fenêtres de la salle, et le bruit de leurs fusils dominaient le murmure des conversations populaires ; mais l’auberge était fermée, la cour, vide et silencieuse.¶ Incapable de soutenir le regard de l’officier qui verbalisait, Prosper Magnan, se sentant presser la main pressé par un inconnu, leva les yeux comme pour chercher un protecteur parmi cette foule ennemie ; et, alors, il reconnut, à l’uniforme, le chirurgien -major de la demi-brigade cantonnée à Andernach. Le regard de cet homme était si perçant et, si sévère, que le pauvre jeune homme en frissonna, et laissa aller sa tête sur le dos de la chaise ; mais un soldat lui fit aussitôt ayant fait respirer des sels, et il reprit aussitôt connaissance. Cependant, ses yeux hagards étaient tellement privés de vie et d’intelligence, que le chirurgien dit à l’officier, après avoir tâté le pouls de Prosper :¶ – Capitaine, il est impossible d’interroger cet homme-là dans ce moment.....¶ – Eh bien ! emmenez-le.... répondit le capitaine en interrompant le chirurgien et en s’adressant à un caporal qui se trouvait derrière le sous-aide.¶ – S.... lâche, lui dit à voix basse le soldat, tâche au moins de marcher ferme devant ces mâtins d’Allemands, afin de sauver l’honneur de la république.¶ Cette interpellation réveilla Prosper Magnan. Il se leva, et fit quelques pas ; mais lorsque la porte s’ouvrit, qu’il se sentit frappé par l’air extérieur, et qu’il vit entrer la foule, ses forces l’abandonnèrent, il chancela. Ses ses genoux et ses jambes mollissaient.¶fléchirent, il chancela.¶ – Ce tonnerre de carabin-là mérite deux fois la mort !...!.... Marche donc !...!.... dirent les deux soldats, qui lui prêtaient le secours de leurs bras afin de le soutenir.¶ – Oh ! le lâche ! le lâche ! !.... C’est lui ! !.... c’est lui !... Le !.... le voilà ! !.... le voilà !...¶!....¶ Ces mots lui semblaient dits par une seule voix, la voix tumultueuse de la foule, qui grossissait à chaque pas, et l’accompagnait en l’injuriant, et grossissait à chaque pas.¶ Mais pendantPendant le trajet de l’auberge à la prison, le bruittapage que le peuple et les soldats faisaient en marchant, et le murmure des voixdifférens colloques, la vue du ciel et la fraîcheur de l’air, l’aspect d’Andernach et le frissonnement des eaux du Rhin, toutes ces impressions n’arrivaient à l’âme du sous-aide que , mais vagues, confuses, ternes comme toutes les sensations qu’il avait éprouvées depuis son réveil ; et, par momens il croyait, m’a-t-il dit, ne plus exister.¶ – J’étais alors en prison, dit M. Hermann en s’interrompant. Enthousiaste comme nous le sommes tous à vingt ans, j’avais voulu défendre mon pays. Commandant une compagnie franche que j’avais organisée aux environs d’Andernach, je tombai pendant la nuit au milieu d’un détachement français composé de huit cents hommes. Nous étions tout au plus deux cents à peine.. Mes espions m’avaient vendu. Je fus jeté dans la prison d’Andernach, et il s’agissait alors de me fusiller, pour faire un exemple et intimiderqui intimidât le pays. Les Français parlaient aussi de représailles ; mais le meurtre dont les républicains voulaient tirer vengeance sur moi ne s’était pas commis dans l’Électorat.¶ Mon père avait obtenu un sursis de trois jours, afin de pouvoir aller demander ma grâce au général Augereau, qui la lui accorda. Je vis donc Prosper Magnan au moment où il entra dans la prison d’Andernach, et il m’inspira une pitié profonde. Il était pâle, défait, taché de sang ; mais sa physionomie avait un caractère de candeur et d’innocence qui me frappa vivement. Pour moi, l’Allemagne respirait dans ses longs cheveux blonds, dans ses yeux bleus. Véritable image de mon pays défaillant, il m’apparut comme une victime et non comme un meurtrier. Au moment où il passa sous ma fenêtre, il jeta, je ne sais oùsur quoi, le sourire amer et mélancolique d’un aliéné qui retrouve une lueur fugitive lueur de raison. Ce sourire n’était certes pas celui d’un assassin.¶ Quand je vis le geôlier, je le questionnai sur son nouveau prisonnier.¶ – Il n’a pas parlé depuis qu’il est dans son cachot. Il s’est assis, a mis sa tête entre ses mains, et il dort ou réfléchit à son affaire... Bah !..... A entendre les Français, il aura son compte demain matin. Il , et sera fusillé dans les vingt-quatre heures....¶ Le Je demeurai le soir, je restai sous la fenêtre du prisonnier, pendant l’le court instant qui m’était accordé pour faire une courte promenade dans la cour de la prison. Nous causâmes ensemble, et il me raconta naïvement son aventure, en répondant avec assez de justesse à mes différentes questions.¶ Après cette première conversation, je ne doutai plus de son innocence. Aussi je demandai, j’obtins la faveur de rester quelques heures près de lui durant quelques heures.. Je le vis à plusieurs reprises, et le pauvre enfant m’initia sans détour à toutes ses pensées.¶ D’abord, il se crutcroyait tout à la fois innocent et coupable. Se souvenant de l’horrible tentation à laquelle il avait eu la force de résister, il craignait d’avoir accompli, pendant son sommeil et dans un accès de somnambulisme, le crime qu’il rêvait, éveillé.¶ – Mais votre compagnon ?...?.... lui dis-je.¶ – Oh !...!.... s’écria-t-il avec feu, Wilhem est incapable.....¶ Il n’acheva même pas.¶ A cette parole chaleureuse, pleine de jeunesse et de vertu, je lui serrai la main.¶ – A son réveil, reprit-il, il aura sans doute été épouvanté, il aura perdu la tête.... il se sera sauvé.¶ – Sans vous éveiller !...!.... lui dis-je. Mais alors votre défense sera facile, car la valise de Walhenfer n’aura pas été volée.....¶ Tout à coup il fondit en larmes.¶ – Oh ! oui, je suis innocent ! !..... s’écria-t-il. Je n’ai pas tué !... Je me souviens de mes songes..... Je jouais aux barres avec mes camarades de collége..... je n’ai pas dû couper la tête dude ce négociant, en rêvant que je courais.....¶ Puis, malgré les lueurs d’espoir qui, parfois, lui rendirent un peu de calme, il se sentait toujours écrasé par un remords. Il avait bien certainement levé le bras pour trancher la tête audu négociant. Il se faisait justice, et ne se trouvait pas le cœur pur, après avoir commis le crime dans sa pensée.¶ – Et cependant !...!.... je suis bon !... s’écriait-il. O ma pauvre mère ! Peut-être esten ce moment joue-t-elle à cette heure-ci jouant gaiementgaîment à l’impériale avec ses voisines dans son petit salon de tapisserie..... Si elle savait que j’ai seulement levé la main pour assassiner un homme...... oh ! elle mourrait !...!.... Et je suis en prison !...!..... accusé d’avoir commis un crime. Si je n’ai pas tué cet homme...... je tuerai certainement ma mère.....¶ A ces mots il ne pleura pas ; mais, animé de cette fureur courte et vive assez familière aux Picards, il s’élança vers la muraille, et, si je ne l’avais pas retenu, il s’y serait brisé la tête.....¶ – Attendez votre jugement, lui dis-je. Vous serez acquitté, vous êtes innocent. Et votre mère.....¶ – Ma mère !...!.... s’écria-t-il avec fureur. Elle ; elle apprendra mon accusation, avant tout. Dans les petites villes, cela se fait ainsi... Etet elle en mourra de chagrin. D’ailleurs, je ne suis pas innocent... Voulezvous savoir toute la vérité... Je..... je sens que j’ai perdu la virginité de ma conscience.¶ Après ce terrible mot, il s’assit, se croisa les bras sur la poitrine, inclina la tête, et regarda la terre d’un air sombre.¶ En ce moment, le porte-clefs vint me prier de rentrer dans ma chambre ; mais, fâché d’abandonner mon compagnon en un instant où son découragement me paraissait si profond, je le serrai dans mes bras avec amitié.¶ – Prenez patience, lui dis-je, tout ira bien, peut-être. Si la voix d’un honnête homme peut faire taire vos doutes, apprenez que je vous estime et vous aime..... Acceptez mon amitié ;, et, dormez sur mon cœur, si vous n’êtes pas en paix parfaite avec le vôtre.¶ Le lendemain, un caporal et quatre fusiliers vinrent le chercher vers neuf heures. En entendant le bruit que firent les soldats, je me mis à ma fenêtre. Lorsque le jeune homme traversa la cour, il jeta les yeux sur moi. Jamais je n’oublierai son regard ; il était plein de pensées, de pressentimens, de résignation, et de je ne sais quelle grâce triste et mélancolique ; espèce de testament silencieux et intelligible par lequel un ami léguait sa vie perdue à son dernier ami..... La nuit avait sans doute été bien dure, bien solitaire pour lui ; mais aussi peut-être la pâleur empreinte sur son visage accusait-elle un stoïcisme puisé dans une nouvelle estime de lui-même ; il s’était peut-être s’était-il purifié par un remords, et croyait -il laver sa faute dans sa douleur et dans sa honte... Il marchait d’un pas ferme, ; et, dès le matin, il avait fait disparaître les taches de sang dont il s’était involontairement souillé.¶ – Mes mains y ont fatalement trempé pendant que je dormais, car mon sommeil est toujours trèsagité !...!..... m’avait-il dit la veille, avec un horrible accent de désespoir.....¶ J’appris qu’il allait comparaître devant un conseil de guerre. La division devait, le surlendemain, se porter en avant, et le chef de demi-brigade ne voulait pas quitter Andernach sans faire justice du crime sur les lieux mêmes où il avait été commis.... Je restai dans une mortelle angoisse pendant le temps que dura ce conseil. Enfin, vers midi, Prosper Magnan fut ramené en prison. Je faisais en ce moment ma promenade accoutumée ; il m’aperçut, et vint se jeter dans mes bras.¶ – Perdu !...!.... me dit-il. Je suis perdu !... sans espoir !...!..... – Ici, pour tout le monde, je serai donc un assassin !...¶!.....¶ Il releva la tête avec fierté.....¶ – Cette injustice m’a rendu tout entier à mon innocence.... Ma vie aurait toujours été troublée, ma mort sera sans reproche !...!..... Mais, y a-t-il un avenir ?...¶?....¶ Tout le dix-huitième siècle était dans cette interrogation soudaine.¶ Il resta pensif.¶ – Enfin, lui dis-je, comment avez-vous répondu ? que vous a-t-on demandé ? n’avez-vous pas dit naïvement le fait comme vous me l’avez raconté ?...¶?....¶ Il me regarda fixement pendant un moment ; et, après cette pause effrayante, il me répondit avec une fiévreuse vivacité de paroles :¶ – Ils m’ont demandé d’abord :¶ – Êtes-vous sorti de l’auberge pendant la nuit ?¶ J’ai dit oui...¶J’ai dit : – Oui.....¶ – Par où ?...¶?....¶ J’ai rougi, et j’ai répondu : – Par la fenêtre... .....¶ – Vous l’aviez donc ouverte ? ¶ – Oui.¶Oui !.... ai-je dit.¶ – Vous y avez mis bien de la précaution ; car l’aubergiste n’a rien entendu ! !....¶ Je suis resté stupéfait. – Les mariniers ont déclaré m’avoir vu me promenant, allant tantôt à Andernach, tantôt vers la forêt. – J’ai fait, disent-ils, plusieurs voyages. – J’ai enterré l’or et les diamans. – Enfin, la valise ne s’est pas retrouvée !...!.... – Puis, j’étais toujours en guerre avec mes remords ; et, quand je voulais parler : « Tu as voulu commettre le crime..... » me criait une voix impitoyable.....¶ Tout était contre moi..... Même moi !....¶ Ils m’ont questionné sur mon camarade.... je l’ai complétement défendu.....¶ Alors ils m’ont dit : – Nous devons trouver un coupable entre vous, votre camarade, l’aubergiste et sa femme ? ... Ce matin, toutes les fenêtres et les portes se sont trouvées fermées !...¶!....¶ – A cette observation, reprit-il, je suis resté sans voix, sans force, sans âme.... Plus sûr de mon ami que de moi-même, je ne pouvais pas l’accuser..... J’ai compris que nous étions regardés tous deux comme également complices de l’assassinat, et que je passais pour le plus maladroit !...!.... J’ai voulu expliquer le crime par le somnambulisme, et justifier mon ami..... Alors j’ai divagué..... Je suis perdu. J’ai lu ma condamnation dans les yeux de mes juges..... Ils ont laissé échapper des sourires d’incrédulité..... Tout est dit.... Plus d’incertitude !...!.... Demain je serai fusillé.....¶ – Je ne pense plus à moi...... reprit-il ; mais-, – à ma pauvre mère !...¶!.....¶ Il s’arrêta, regarda le ciel, et ne versa pas de larmes..... Ses yeux étaient secs et fortement convulsés.¶ – Frédéric !...¶!....¶ —¶ – Ah ! l’autre se nommait Frédéric !...!.... Frédéric !...!..... Oui, c’est bien là le nom, s’écria M. Hermann d’un air de triomphe.....¶ Ma voisine me poussa le pied, et me fit un signe en me montrant M. Mauricey.¶ Le fournisseur avait négligemment laissé tomber sa main sur ses yeux ; mais, entre les intervalles de ses doigts, nous crûmes voir une flamme sombre dans son regard.¶ – Hein ?...?.... me dit-elle à l’oreille. S’il se nommait Frédéric ?...¶!....¶ Je répondis en la guignant de l’œil, comme pour lui dire : « « Silence !... !.... »¶ —¶ M. Hermann reprit :¶ – Frédéric !...!.... s’écria le sous-aide, Frédéric m’a lâchement abandonné..... Il aura eu peur !...!.... Il s’est peut-être caché dans l’auberge, car nos deux chevaux étaient encore le matin dans la cour.¶ – Quel incompréhensible mystère !...!..... ajouta-t-il après un moment de silence. Le somnambulisme !... le somnambulisme !...!.... Je n’en ai eu qu’un seul accès dans ma vie ;, et encore à l’âge de six ans encore.¶ – M’en irai-je d’ici ?...?.... reprit-il, frappant du pied sur la terre, en emportant tout ce qu’il y a d’amitié dans le monde ? Mourrai-je donc deux fois en doutant d’une fraternité commencée à l’âge de cinq ans, et continuée au collége, aux Ecoles !...écoles !.... Où est Frédéric ?¶ Il pleura ! Nous tenons donc plus à un sentiment qu’à la vie.¶ – Rentrons, me dit-il, je préfère être dans mon cachot. Je ne voudrais pas être vu qu’on me vît pleurant. J’irai courageusement à la mort, mais je ne sais pas faire de l’héroïsme à contretemps, et j’avoue que je regrette la vie..... Pendant cette nuit je n’ai pas dormi ; je me suis rappelé les scènes de mon enfance, et j’ai couruje me suis vu courant dans ces prairies dont le souvenir a peut-être causé ma perte....¶ – J’avais de l’avenir !...!.... me dit-il en s’interrompant. Douze hommes, un sous-lieutenant ; qui criera : – Portez armes, en joue, feu ! puis un roulement de tambours !...!..... et l’infamie !.... voilà mon avenir maintenant, et l’infamie !... Oh ! il y a un Dieu, ou tout cela serait par trop fort !...¶niais !....¶ Alors il me prit et me serra dans ses bras en m’embrassant.¶m’étreignant avec force.¶ – Vous serez libre,Ah ! vous !... Vous verrez votre mère ?... Vous êtes le dernier homme avec lequel j’aurai pu épancher mon âme... Ah ! vous êtes le monde entier pour moi....... Vous serez libre, vous !..... vous verrez votre mère !..... Je ne sais si vous êtes riche ou pauvre, mais qu’importe !...!..... vous êtes le monde entier pour moi.... Ils ne se battront pas toujours, ceux-ci. Eh bien ! quand ils seront en paix, allez à Beauvais, ; si ma mère survit à la fatale nouvelle de ma mort, vous l’y trouverez ! !..... dites-lui ces consolantes paroles :¶ – Il était innocent !...¶!.....¶ – Elle vous croira. !... reprit-il. Je vais lui écrire ; mais vous lui porterez mon dernier regard, vous lui direz que je vous ai embrassé... que vous avez été mon dernier ami... Ah ! combien elle vous aimera, la pauvre femme ! ...¶vous qui aurez été mon dernier ami !..... ¶ – Ici, repritdit-il après un moment de silence pendant lequel il resta comme accablé sous le poids de ses souvenirs ;, chefs et soldats me sont inconnus, tous ontet je leur fais horreur de moi !... Et, sansà tous !.... Sans vous, mon innocence serait un secret entre le ciel et moi.....¶ Je lui jurai d’accomplir saintement ses dernières volontés, et même ses caprices. Mesmes paroles et , mon effusion de cœur, le touchèrent aux larmes.¶ Peu de temps après, les soldats revinrent le chercher et le ramenèrent au conseil de guerre. Il était condamné. J’ignore les formalités qui devaient suivre ou accompagner ce premier jugement, et je ne sais pas si le jeune chirurgien défendit sa vie dans toutes les règles ; mais s’attendant à marcher au supplice le lendemain matin, il passa la nuit à écrire à sa mère.¶ – Nous serons libres tous deux, me dit-il en souriant, quand je l’allai voir le lendemain. J’ai ; j’ai appris que le général a signé votre grâce...¶ Je restai silencieux, et je le regardai, pour bien graver ses traits dans ma mémoire. Alors, il prit une expression de dégoût, et me dit :¶ – J’ai été tristement lâche !...!.... J’ai, pendant toute la nuit, demandé ma grâce à ces murailles.¶ Et il me montrait les murs de son cachot.¶ – Oui, oui, reprit-il, j’ai hurlé de désespoir, je me suis révolté, j’ai subi la plus terrible des agonies morales. -– J’étais seul ! !.... Maintenant, je pense à ce que dirontvont dire les autres.... Le courage est un costume à prendre ; et, je dois aller décemment à la mort..... Aussi.......¶ ¶ ¶ IV.¶ LES DEUX JUSTICES.¶ ¶ – Oh– OH ! n’achevez pas ! !.... s’écria la jeune personne qui avait demandé cette histoire, et qui interrompit alors brusquement le Nurembergeois. Je ; je veux demeurer dans l’incertitude et croire qu’il a été sauvé... S’il était..... Si j’apprenais aujourd’hui qu’il a été fusillé, je ne dormirais pas cette nuit. Demain, vous me direz le reste.....¶ Nous nous levâmes de table.¶ En acceptant le bras de M. Hermann, ma voisine lui dit : :¶ – Il a été fusillé..... n’est-ce pas ?¶ – Oui. Je fus témoin de son exécution.¶ – Oh !Comment, monsieur !...¶ dit-elle, vous avez pu.....¶ – Il l’avait désiré, madame. Il y a quelque chose de bien affreux à suivre le convoi d’un homme vivant, d’un homme que l’on aime, d’un innocent ! Ce pauvre jeune homme ne cessa pas de me regarder. Il semblait ne plus vivre qu’en moi ! Il voulait, disait-il, que je reportasse son dernier soupir à sa mère.¶ – Eh bien, l’avez-vous vue ?¶ – A la paix d’Amiens, je vins en France ; mais Mmemadame Magnan était morte de consomption. Ce ne fut pas sans une émotion profonde que je brûlai la lettre dont j’étais porteur. Vous vous moquerez peutêtre de mon exaltation germanique, mais je vis un drame de mélancolie sublime dans le secret éternel qui allait ensevelir ces adieux jetés entre deux tombes, ignorés de toute la création, comme un cri poussé au milieu du désert par le voyageur que surprend un lion.....¶ – Et si l’on vous mettait face à face avec un des hommes qui sont dans ce salon, en vous disant : – Voilà le meurtrier !...!..... Ne serait-ce pas un autre drame ?... lui demandai-je en l’interrompant. Et que feriez-vous ?...¶?....¶ M. Hermann alla prendre son chapeau, et sortit.¶ – Vous agissez en jeune homme, et bien légèrement !...!.... me dit ma voisine. Regardez M. Mauricey ! !.... tenez !...!.... assis dans la bergère, là, au coin de la cheminée, il est assis dans la bergère. Mlle. Mademoiselle Fanny lui présente une tasse de café ?... Il sourit. Un assassin pourrait-il subir, que le supplice d’avoir entendu raconter récit de cette aventure et aurait dû mettre au supplice, pourrait-il montrer tant de calme ? N’a-t-il pas un air vraiment patriarcal ?...¶?....¶ – Oui, mais allez lui demander s’il a fait la guerre en Allemagne..... m’écriai-je.¶ – Pourquoi non ?¶ Et avec cette audace dont les femmes manquent rarement lorsqu’une entreprise leur sourit, ou que leur esprit est dominé par la curiosité, ma voisine s’avança vers le fournisseur.¶ – Vous avez été en Allemagne ?... lui dit-elle.¶ M. Mauricey faillit laisser tomber sa soucoupe.¶ – Moi, ! madame !...?.... – Non, jamais.....¶ – Que dis-tu donc là, Mauricey ? ?.... répliqua le banquier en l’interrompant, n’étais-tu pas dans les vivres, à la campagne de Wagram ?... ?....¶ – Ah !, oui, ! reprit M. Mauricey, ; cette fois-là, j’y suis allé.¶ – Vous vous trompez !...!.... C’est un bonhomme !...!.... me dit ma voisine en revenant près de moi.¶ – Hé bien ?! m’écriai-je, avant la fin de la soirée je chasserai le meurtrier hors de la fange où il se cache.....¶ ¶ Il se passe tous les jours sous nos yeux un phénomène moral d’une profondeur étonnante, et cependant trop simple pour être remarqué. Si dans un salon deux hommes se rencontrent ;, que l’un ait le droit de mépriser ou de haïr l’autre, soit par la connaissance d’un fait intime et latent dont il est entaché, soit par un tort secret, ou même par une vengeance à venir ;, ces deux hommes se devinent et pressentent l’abîme qui les sépare ou doit les séparer. Ils s’observent à leur insu, se préoccupent d’eux-mêmes. Leurs regards, leurs gestes, laissent transpirer une indéfinissable émanation de leur pensée. Il y a un aimant entre eux ; et je ne sais qui s’attire le plus fortement, de la vengeance ou du crime, de la haine ou de l’insulte. Semblables au prêtre qui ne pouvait consacrer l’hostie en présence du malin esprit, ils sont tous deux gênés, défians : l’un est poli, l’autre sombre, je ne sais lequel ; l’un rougit ou pâlit, l’autre tremble. Souvent le vengeur est aussi lâche que la victime, ; car peu de gens ont le courage de produire un mal, même nécessaire ; et bien des hommes se taisent ou pardonnent en haine du bruit, ou par peur d’un dénouementdénoûment tragique.¶ Cette intus-susception de nos âmes et de nos sentimens établissait une lutte mystérieuse entre le fournisseur et moi. Depuis la première interpellation que je lui avais faite pendant le récit de M. Hermann, il fuyait mes regards ; peut-être aussi évitait-il ceux de tous les convives ! Il causait avec l’inexpériente Fanny, la fille du banquier ; éprouvant sans doute, comme tous les criminels, le besoin de se rapprocher de l’innocence, en espérant trouver du repos près d’elle : mais, quoique loin de lui, je l’écoutais, et mon œil perçant fascinait le sien. Quand il croyait pouvoir m’épier impunément, nos regards se rencontraient, et ses paupières s’abaissaient aussitôt.¶ Fatigué de ce supplice, M. Mauricey s’empressa de le faire cesser en se mettant à jouer. J’allai parier pour son adversaire, mais en désirant perdre mon argent. Ce souhait fut accompli. Je remplaçai le joueur sortant, et me trouvai face à face avec lameutrier le meurtrier.....¶ – Monsieur, lui dis-je pendant qu’il me donnait des cartes, auriez-vous la complaisance de démarquer ?...¶?....¶ Il fit passer assez précipitamment ses jetons de gauche à droite.¶ Ma voisine étant venue près de moi, je lui jetai un coup d’œil significatif ; et, m’adressant au fournisseur :¶ – Seriez-vous, demandai-je, M. Frédéric Mauricey dont j’ai beaucoup connu la famille à Beauvais ?...¶?....¶ – Oui, monsieur !, répondit-il.¶ Puis, il laissa tomber ses cartes, pâlit, mit sa tête dans ses mains, pria l’un de ses parieurs de tenir son jeu, et se leva.¶ – Il fait trop chaud ici !...!.... s’écria-t-il. Je crains.....¶ Il n’acheva pas. Sa figure exprima tout à coup d’horribles souffrances, et il sortit brusquement.¶ Le maître de la maison accompagna M. Mauricey, en paraissant prendre un vif intérêt à sa position.¶ Nous nous regardâmes, ma voisine et moi ; mais je trouvai je ne sais quelle teinte d’amère tristesse répandue sur sa physionomie.¶ – Votre conduite est-elle bien miséricordieuse ?...!.... me demanda-t-elle en m’emmenant dans une embrasure de fenêtre, au moment où je quittai le jeu, après avoir perdu. Voudriez-vous accepter le pouvoir de lire dans tous les cœurs ?...?..... Pourquoi ne pas laisser agir la justice humaine et la justice divine ?...?..... Si nous échappons à l’une, nous n’évitons jamais l’autre ! Et les priviléges d’un président d’assises sont-ils donc bien dignes d’envie ?...?..... Vous avez presque fait l’office du bourreau ?...¶?....¶ – Après avoir partagé, stimulé ma curiosité, vous me faites de la morale !...!..... lui dis-je.¶ – Vous m’avez fait réfléchir !... répondit-elle.¶ – Donc, paix aux scélérats, guerre aux malheureux, et déifions l’or !...!.... Mais, laissons cela, ajoutai-je en riant. Regardez, je vous prie, la jeune personne qui entre en ce moment dans le salon.....¶ – Eh bien ?¶ – Je l’ai vue il y a trois jours au bal de l’ambassadeur de Naples, ; j’en suis devenu passionnément amoureux. De grâce, dites-moi son nom. Personne n’a pu.....¶ – C’est Mllemademoiselle Mauricey !...¶!....¶ J’eus un éblouissement.¶ – Sa mère, me disait ma voisine, dont j’entendis à peine la voix, l’a retirée depuis peu du couvent. Elle vient ici pour la première fois...... Elle est bien belle ! !..... et – bien riche.¶ Ces paroles furent accompagnées d’un sourire sardonique.¶ En ce moment, nous entendîmes des cris violens, mais étouffés. Ils semblaient sortir d’un appartement voisin, et retentissaient faiblement dans les jardins.¶ – N’est-ce pas la voix de M. Mauricey ?... m’écriai-je.¶ Nous prêtâmes au bruit toute notre attention, et d’épouvantables gémissemens parvinrent à nos oreilles.¶ La femme du banquier accourut précipitamment vers nous, et ferma la fenêtre.¶ – Évitons les scènes, nous dit-elle. Si Mmemadame Mauricey entendait son mari, elle pourrait bien avoir une attaque de nerfs !...¶!....¶ Le banquier rentra dans le salon, y chercha Mmemadame Mauricey, lui dit un mot à voix basse ; et, aussitôt, jetant un cri, cette femmeelle s’élança vers la porte et disparut.¶ Cet événement produisit une grande sensation. Les parties cessèrent ; chacun questionna son voisin ; le murmure des voix grossit, et des groupes se formèrent.¶ – M. Mauricey se serait-il... ? demandais ?... demandai-je.¶ – Tué !...!..... s’écria ma railleuse voisine. Vous en porteriez gaiementgaîment le deuil, je pense !¶ – Mais que lui est-il donc arrivé ?¶ – Le pauvre bonhomme, répondit la maîtresse de la maison, est sujet à une maladie dont je n’ai pu retenir le nom, quoique M. Brousson me l’ait dit assez souvent ; et, il vient d’en avoir un accès.....¶ j– Quel est donc le genre de cette maladie ?...?..... demanda soudain un juge d’instruction.¶ – Oh ! c’est un terrible mal ! !.... monsieur, répondit-elle. Les médecins n’y connaissent pas de remède... Il paraît que les souffrances en sont atroces..... Un jour, ce malheureux Mauricey ayant eu un accès pendant son séjour à ma terre, j’ai été obligée d’aller chez une de mes voisines pour ne pas l’entendre ; car, alors, il pousse des cris terribles, il veut se tuer, sa femme est forcée de le faire attacher sur son lit, et de lui mettre quelquefois la camisole des fous. Il prétend avoir dans la tête des animaux qui lui rongent la cervelle... Ce sont des élancemens, des coups de scie, des tiraillemens horribles dans l’intérieur de chaque nerf..... Il souffre tant à la tête, qu’il ne sentait pas les moxas qu’on lui appliquait autrefoisjadis pour essayer de le distraire...... Mais M. Brousson, qu’il a pris pour médecin, les a défendus, en prétendant que c’était une affection nerveuse, une inflammation de nerfs, pour laquelle il fallait des sangsues au cou et de l’opium sur la tête.... Et le fait est, que les accès sont devenus plus rares, et ne le prennent plus guère que tous les ans, vers la fin de l’automne. Quand il est guérirétabli, le pauvre homme dit toujoursrépète sans cesse qu’il aurait mieux aimé être roué ou tiré à quatre chevaux ou roué.....¶ – Alors, il paraît qu’il souffre beaucoup !... dit un agent de change, le bel esprit du salon.¶ – Oh ! reprit-elle, l’année dernière il a failli périr..... Il avait été à sa terre ; et, faute de secours peutêtre, il est resté vingt-deux heures étendu roide, comme mort. Il n’a été sauvé que par un bain trèschaud.....¶ – C’était donc une espèce de tétanos ?...?.... demanda l’agent de change.¶ – Je ne sais pas, reprit-elle ; mais voilà près de trente ans qu’il a cette maladie-là.... Il a gagné cela aux armées..... Il lui est entré un éclat de bois dans la tête en tombant dans un bateau.... M. Brousson espère le guérir... On prétend que les Anglais ont trouvé le moyen de traiter sans danger cette maladie-là par l’acide prussique.....¶ En ce moment, un cri plus perçant que les autres retentit dans la maison, et nous glaça d’horreur.....¶ – Eh bien ! voilà ce que j’entendais à tout moment !...!.... reprit la femme du banquier.... Cela me faisait sauter sur ma chaise et m’agaçait les nerfs... Ah ! ... Chose.... Mais, chose extraordinaire ! ce pauvre Mauricey, tout en souffrant des douleurs inouïes, ne risque jamais de mourir..... Il mange et boit comme à l’ordinaire pendant les momens de répit que lui laisse cet horrible supplice.... La nature est bien bizarre ! !.... Un médecin allemand lui a dit que c’était une espèce de goutte à la tête ; cela s’accorderait assez avec l’opinion de M. Brousson.....¶ Je quittai le groupe qui s’était formé autour de la maîtresse du logis, et sortis avec Mlle Mauricey, qu’un valet vint chercher.....¶ – Oh ! mon Dieu ! mon Dieu ! s’écria-t-elle en pleurant, qu’est-cequ’a donc que fait mon père a fait au ciel pour avoir mérité de souffrir ainsi !... Un être si bon !....¶ Je descendis l’escalier avec elle. En l’aidant à monter dans sa la voiture, j’y vis son père, courbé en deux. MmeMadame Mauricey essayait d’étouffer les crisgémissemens de son mari, en lui couvrant la bouche d’un mouchoir. Malheureusement il m’aperçut. Sa figure parut se crisper encore davantage. Une clameur convulsiveUn cri convulsif fendit les airs, il me jeta un regard horrible, et la voiture partit.¶ ¶ ¶ § III. V.¶ LE CAS DE CONSCIENCE.¶ CeCE dîner, cette soirée exercèrent une cruelle influence sur ma vie et mes sentimens.¶ J’aimai Mllemadamoiselle Mauricey, précisément peut-être parce que l’honneur et la délicatesse m’interdisaient de m’allier à un assassin, tout bon père et bon époux qu’il pût être.....¶ Une incroyable fatalité m’entraînait à me faire présenter dans les maisons où je savais pouvoir rencontrer Joséphine. Souvent, après m’être donné à moi-même ma parole d’honneur de renoncer à la voir, le soir même je me trouvais près d’elle. Mes plaisirs étaient immenses. Mon légitime amour, plein de remords chimériques, avait la couleur d’une passion criminelle. Je me méprisais de saluer M. Mauricey, quand par hasard il était avec sa fille ; mais je le saluais !...¶!....¶ Enfin, par malheur, Joséphine n’est pas seulement une jolie personne, ; de plus elle est de plus instruite, remplie de talens, de grâces, sans la moindre pédanterie, sans la plus légère teinte de prétention. Elle cause avec réserve ;, elle est accorte, gaie. Son caractère a des attraits auxquels personne ne sait résister. Elle m’aime, ou du moins elle me le laisse¶ croire ; elle a un certain sourire qu’elle ne trouve que pour moi ; et, pour moi, sa voix s’adoucit encore..... Oh ! elle m’aime ; mais elle adore son père ;, mais elle m’en vante la bonté, la douceur, les qualités exquises ; et ces éloges sont autant de coups de poignard qu’elle me donne dans le cœur.¶ Un jour, je me suis trouvé presque complice du crime sur lequel repose l’opulence de la famille Mauricey. J’ai voulu demander la main de Joséphine. Alors j’ai fui, j’ai voyagé, j’ai été en Allemagne, à Andernach..... Mais – je suis revenu. J’ai retrouvé Joséphine pâle. Elle avait maigri !...!.... Si je l’avais revue bien portante, gaie, j’étais sauvé ! !....¶ Ma passion s’est rallumée avec une violence extraordinaire ; et, craignant que mes scrupules ne dégénérassent en monomanie, je résolus de convoquer un sanhédrin" de consciences pures, afin de jeter quelques lumières sur ce problème de haute morale et de philosophie. La question s’était encore bien compliquée depuis mon retour.¶ Avant-hier donc, j’ai réuni ceux de mes amis auxquels j’accorde le plus de probité, de délicatesse et d’honneur.¶ J’avais invité deux Anglais, un secrétaire d’ambassade et un puritain ; un ancien ministre dans toute la maturité de la politique ; des jeunes gens encore sous le charme de l’innocence ; un prêtre, un vieillard ; puis mon ancien tuteur, homme naïf, qui porte des bas chinés, un habit à grands pans, quant à des gants, jamaism’a rendu le plus beau compte de tutelle dont il y ait mémoire au Palais ; un avocat, un notaire, un juge, enfin toutes les opinions sociales, toutes les vertus pratiques.¶ Nous avons commencé par bien dîner, bien parler, bien crier ; puis, au dessert, j’ai raconté naïvement mon histoire, et demandé conseil, un bon avis en cachant le nom de ma prétendue.¶ – Un bon avis vaut un œil dans la main... Conseillez-moi, mes amis, leur dis-je en terminant. Discutez longuement la question comme s’il s’agissait d’un projet de loi. L’urne et les boules du billard vont vous être apportées, et vous voterez pour ou contre mon mariage, dans tout le secret voulu pourpar un scrutin !...¶!....¶ Un profond silence régna soudain.¶ Le notaire se récusa. .¶ – Il y avait, disait, dit-il, un contrat à faire.¶ Le vin avait réduit mon ancien tuteur au silence, et il fallait le mettre en tutelle pour qu’il ne lui arrivât aucun malheur en retournant chez lui.¶ – Je comprends !...!.... m’écriai-je. Ne pas donner son opinion, c’est me dire énergiquement ce que je dois faire.¶ Il y eut un mouvement dans l’assemblée.¶ – Ainsi que la vertu le crime a ses degrés !... !.... s’écria un propriétaire qui avait souscrit pour les enfans et la tombe du général Foy.¶ – Bavard !...!.... me dit l’ancien ministre à voix basse, en me poussant le coude.¶ – Où est la difficulté ? demanda M. le duc de JENESAISQUOI, dont la fortune consiste en biens confisqués à des protestans réfractaires lors de la révocation de l’édit de Nantes.¶ L’avocat se leva :¶ – En droit, l’espèce qui nous est soumise ne constituerait pas la moindre difficulté. Monsieur le duc a raison !...!.... s’écria l’organe de la loi. N’y a-t-il pas prescription ?... Où en serions-nous tous s’il fallait rechercher l’origine des fortunes ?...?.... Ceci est une affaire de conscience ; et, si vous voulez absolument porter la cause devant un tribunal, allez à celui de la pénitence.....¶ Le Code incarné se tut, s’assit et but un verre de vin de Champagne.¶ L’homme chargé d’expliquer l’Évangile, le bon prêtre, se leva.¶ – Dieu nous a faits fragiles, dit-il avec fermeté. Si vous aimez l’héritière du crime, épousez-la, mais contentez-vous du bien matrimonial, et donnez aux pauvres celui du père.....¶ – Mais, s’écria l’un de ces ergoteurs sans pitié qui se rencontrent si souvent dans le monde, le père n’a peut-être fait un beau mariage que parce qu’il s’était enrichi..... Le moindre de ses bonheurs n’a-t-il donc pas toujours été un fruit du crime ?....¶ – La discussion est en elle-même une sentence ! Il y a des choses sur lesquelles un homme ne délibère pas.... s’écria mon ancien tuteur, qui crut éclairer l’assemblée par une saillie d’ivresse.¶ – Oui ! ... dit le secrétaire d’ambassade.¶ – Oui ! ... s’écria le prêtre.¶ IlsCes deux hommes ne s’entendaient pas.¶ Un jeune doctrinaire auquel il n’avait guère manqué que 150 voix sur 155 votans pour être élu député se leva :¶ – Messieurs, cet accident phénoménal de la nature intellectuelle est un de ceux qui sortent le plus vivement de l’état normal, auquel est soumise la société... Donc, la décision à prendre doit être un fait extemporané de notre conscience, un concept soudain, un jugement instinctif, une nuance fugitive de notre appréciation intime, assez semblable aux éclairs qui constituent le sentiment du goût... Votons.....¶ – Voyons ! Votons !... s’écrièrent mes convives.¶ Je fis donner à chacun deux boules, l’une blanche, l’autre rouge. Le blanc, symbole de virginité, devait proscrire le mariage ; et la boule rouge, l’approuver.¶ Je m’abstins de voter par délicatesse.¶ Mes amis étaient 17 ; majorité absolue, 9.¶ Chacun alla mettre sa boule dans le panier d’osier à col étroit, où s’agitent les billes numérotées quand les joueurs tirent leurs places à la poule, et nous fûmes tous agités par une assez vive curiosité ;, car ce scrutin de morale épurée avait quelque chose d’original.¶ Au dépouillement du scrutin, je trouvai 9 boules blanches !...!.... Ce résultat ne me surprit pas ; mais je m’avisai de compter les jeunes gens de mon âge que j’avais mis parmi mes juges. Ces casuistes étaient au nombre de 9. Ils avaient tous eu la même pensée.¶ – Oh ! oh ! ... me dis-je, il y a unanimité pourcontre le mariage ! ... Comment sortir d’embarras ?...¶?....¶ – Où demeure le beau-père ? ... demanda étourdiment un de mes camarades de collége.¶ moins dissimulé que les autres.¶ – Il n’y a plus de beau-père ! !.... m’écriai-je. Jadis ma conscience parlait assez clairement pour rendre votre arrêt superflu. Et si aujourd’hui sa voix s’est affaiblie, voici les motifs de ma couardise. Je reçus, il y a deux mois, cette lettre astucieuse.¶séductrice.¶ Alors, je leur montrai l’invitation suivante, que je tirai de mon portefeuille :¶ ¶ « VOUS ÊTES PRIÉ D’ASSISTER AUX CONVOI, SERVICE ET ENTERREMENT DE M. JEAN-FRÉDÉRIC MAURICEY, ANCIEN FOURNISSEUR DES VIVRES-VIANDE, EN SON VIVANT, CHEVALIER DE LA LÉGION D’HONNEUR ET DE L’ÉPERON D’OR, CAPITAINE DE LA 1re COMPAGNIE DE GRENADIERS DE LA 2me LÉGION DE LA GARDE NATIONALE DE PARIS, DÉCÉDÉ LE 1er MAI DANS SON HÔTEL, ET QUI SE FERONT A..... etc.¶ « De la part de... ETC. ..... etc. »¶ ¶ DÉCISION.¶ ¶ – Maintenant, que faire ?... repris-je. Je vais vous poser la question très- largement.¶ Il y a bien certainement une mare de sang dans les terres de Mllemademoiselle Mauricey !... La succession de son père est un vaste hacelma. Je le sais.....¶ Mais Prosper Magnan n’a pas laissé d’héritiers ;¶ Mais il m’a été impossible de retrouver la famille du fabricant d’épingles assassiné à Andernach.¶ A qui restituer la fortune ?¶ Et doit-on restituer toute la fortune ?¶ Ai-je le droit de trahir un secret surpris, d’augmenter d’une tête coupée la dot d’une innocente jeune fille, de lui faire faire de mauvais rêves, de lui ôter une belle illusion, de lui tuer son père une seconde fois, en lui disant : Tous vos écus sont tachés ?...¶?....¶ J’ai emprunté le Dictionnaire des cas de conscienceConscience à un vieil ecclésiastique, et n’y ai point trouvé de solution à mes doutes.¶ Faire une fondation pieuse pour l’âme de Prosper Magnan, de Walhenfer, de Mauricey.....¶ Nous sommes en 1831.¶ Bâtir un hospice ou instituer un prix de vertu !...!.... Mais le prix de vertu sera donné à des fripons !...!.... Quant à la plupart de nos hôpitaux, ils me semblent devenus aujourd’hui les protecteurs du vice !¶ D’ailleurs seraient-ce des réparations ?...?..... Et les dois-je ?¶ Puis j’aime, et j’aime avec passion !... Mon amour est ma vie ! Si je propose sans motif à une jeune fille habituée au luxe, à l’élégance, à une belle vie de mollesse, de cachemires, de tapis, féconde en jouissances d’arts, à une jeune fille qui aime à écouter paresseusement aux Bouffons la musique de Rossini, si donc je lui propose de se priver de 1,500,000 francs,500,000 fr. en faveur de vieillards ou de galeux chimériques, elle me tournera le dos en riant, ou sa mère me prendra pour un mauvais plaisant..... Si, dans une extase d’amour, je lui vante les charmes d’une vie modeste, médiocre, et ma petite maison sur les bords de la Loire ; si je lui demande le sacrifice de sa vie parisienne au nom de notre amour, ce sera d’abord un vertueux mensonge ; puis, je ferai peut-être là quelque triste expérience, et perdrai le cœur de cette ravissante jeune fille, amoureuse du bal, folle de parure et – de moi – pour le moment. UnElle me sera enlevée par un officier mince et pimpant, qui frisera saaura une moustache bien frisée, jouera du piano, aura luvantera Victor Hugo, et montera bien joliment à cheval, me l’enlèvera !...¶ !....¶ Que faire ?..?..... Messieurs, de grâce, un conseil.¶ L’honnête homme, cette espèce de puritain, assez semblable au père de Jenny Deans, dont je vous ai déjà parlé, et qui jusque-là n’avait soufflé mot, haussa les épaules, en me disant :¶ – Imbécille Imbécile, pourquoi lui as-tu demandé s’il était de Beauvais ?...¶?....¶ DE BALZAC.¶ —¶ COMPARAISON ENTRE L’AUBERGE ROUGE (1832) ET LE FURNE CORRIGÉ (1846) Dans la comparaison qui suit le texte de L’Auberge rouge de 1832 sert de texte de base. Les mots, les phrases, les passages rayés reflètent le texte de 1832. Les mots, les phrases, les passages nonrayés indiquent la conformité entre ce texte et celui du Furne corrigé. Les mots, les phrases, les passages en rouge constituent des substitutions ou des additions apportées dans le texte du Furne corrigé. L’Auberge rouge.¶ I.¶ INTRODUCTION.¶ L’AUBERGE ROUGE.¶ A MONSIEUR LE MARQUIS DE CUSTINE.¶ VERS la fin de l’année 1830 En je ne sais quelle année, un banquier de Paris, ayant qui avait des relations commerciales très -étendues en Allemagne, fêtait un de ces amis, long-temps inconnus, que les négociansnégociants se font de place enon place, par correspondance.¶ Cet ami, chef de je ne sais quelle maison assez importante à de Nuremberg, était un bon gros Allemand, homme de goût et d’érudition, parlant peu homme de sa pipe surtout, ayant une belle et, une large figure nurembergeoise, au front carré, bien découvert, et décoré de quelques cheveux blonds assez rares ; véritable . Il offrait le type des enfansenfants de cette pure et noble Germanie, si fertile en caractères honorables, et dont les paisibles mœurs douces ne se sont jamais démenties, même après sept invasions.¶ L’étranger riait avec simplesse, écoutait attentivement, et buvait remarquablement bien, aimanten paraissant aimer le vin de Champagne autant peut-être que les vins paillés du Johannisberg. Il se nommait Hermann, comme presque tous les Allemands mis en scène par les auteurs. En homme qui ne sait rien faire légèrement, il était bien assis à la table du banquier, mangeait avec ce tudesque appétit si célèbre en Europe, et disait un adieu consciencieux à la cuisine du grand CARÊME.¶Le maître du logis, voulant Pour faire honneur à son hôte, le maître du logis avait convié, pour ce dernier dîner, quelques amis intimes, capitalistes ou commerçans dignes d’estime ; puis des commerçants, plusieurs femmes aimables, jolies, dont le gracieux babil et les manières franches étaient en harmonie avec la cordialité germanique.¶ Vraiment, si vous aviez pu voir, comme j’en eus le plaisir, cette joyeuse réunion joyeuse de gens qui avaient rentré leurs griffes commerciales pour spéculer sur les plaisirs de la vie, il vous eût été difficile de haïr les escomptes usuraires ou de maudire les faillites. L’homme ne peut pas toujours mal faire ; et. Aussi, même dans la société des pirates, il doit -il se rencontrer quelques heures douces pendant lesquelles vous croyez être, dans leur sinistre vaisseau, comme sur une escarpolette.¶ – Avant de nous quitter, M.monsieur Hermann va nous raconter encore, je l’espère, une histoire allemande qui nous fasse bien peur...¶ Ces paroles furent prononcées au dessert par une jeune personne pâle et blonde qui, sans doute, avait lu les contes d’Hoffmann et les romans de Walter Scott. C’était la fille unique du banquier, ravissante créature dont l’éducation s’achevait au Gymnase, et qui raffolait des charmantes pièces de Scribe.¶ qu’on y joue. En ce moment les convives se trouvaient dans cette heureuse disposition de paresse et de silence où nous met un repas exquis, quand nous avons un peu trop présumé de notre puissance digestive. Chaque convive avait le Le dos appuyé sur sa chaise, le poignet légèrement soutenu par le bord de la table, et les doigtschaque convive jouait indolemment occupés à jouer avec la lame dorée d’un de son couteau. Quand un dîner arrive à ce moment de déclin, il y a descertaines gens qui tourmentent le pepinpépin d’une poire ; d’autres roulent une mie de pain entre leur le pouce et l’index ; les amoureux tracent dans leurs assiettes des lettres informes avec les débris des fruits ; les avares comptent leurs noyaux et les rangent sur leur assiette comme si c’étaient des un dramaturge dispose ses comparses au fond d’un théâtre. Ce sont C’est de petites félicités gastronomiques dont n’a pas tenu compte dans son livre Brillat-Savarin, auteur si complet d’ailleurs, n’a pas tenu compte dans son livre.¶. Les valets avaient disparu. Le dessert était comme une escadre après le combat, tout désemparé, pillé, flétri. Les assiettes éparsesplats erraient sur la table, malgré l’obstination avec laquelle la maîtresse du logis essayait de les faire remettre en place. Quelques personnes regardaient des vues de Suisse magnifiquement encadrées et symétriquement accrochées sur les parois grises de la salle à manger ; mais nul. Nul convive ne s’ennuyait, car nous . Nous ne connaissons point d’homme qui se soit encore attristé pendant la digestion d’un bon dîner. Alors, nous Nous aimons alors à rester dans je ne sais quel calme, espèce de juste milieu entre la rêverie du penseur et la satisfaction des animaux ruminans. C’est ruminants, qu’il faudrait appeler la mélancolie matérielle de la gastronomie.¶ Aussi les convives se tournèrent-ils spontanément vers le bon Allemand, enchantés tous d’avoir une ballade à écouter, fûtfut-elle même sans intérêt ; car, pendant . Pendant cette benoîte pause, la voix d’un conteur semble toujours délicieuse à nos sens engourdis dont, elle en favorise le bonheur négatif.¶ Moi, chercheur Chercheur de tableaux, j’admirais ces visages égayés par un sourire, éclairés par les bougies, et que la bonne chère avait empourprés. Offrant des ; leurs expressions diverses, ils produisaient de piquanspiquants effets à travers les candélabres, les corbeilles en porcelaine, les fruits, et les cristaux, et contrastaient.¶ Mon imagination fut tout à coup saisie par le jeu des physionomies. Alors, mon imagination fut frappée à l’aspect du convive qui se trouvait précisément en face de moi. C’était un homme de moyenne taille, assez gras, rieur, ayant qui avait la tournure, les manières d’un agent de change retiré, mais paraissant , et qui paraissait n’être doué que d’un esprit fort ordinaire. Je , je ne l’avais pas encore remarqué.¶ En ; en ce moment, sa figure, sans doute assombrie par un faux jour, me parut avoir changé de caractère :; elle était devenue terreuse ; des teintes violâtres la sillonnaient ; et vous . Vous eussiez dit de la tête cadavérique d’un agonisant. Immobile comme les personnages peints dans un Diorama, ses yeux hébétés restaient fixés sur les étincelantes facettes d’un bouchon de cristal, ; mais il ne les comptait certes pas, et semblait bien plutôt abîmé dans quelque contemplation fantastique de l’avenir ou du passé... Quand j’eus long-temps examiné cette face équivoque, elle me fit penser :¶: – Souffre-t-il ? me dis-je. – A-t-il trop bu ?... Est-il ruiné par la baisse des fonds publics ?..., Songe-t-il à jouer ses créanciers ?...¶?¶ – Voyez !... dis-je à ma voisine en lui montrant le visage de l’inconnu, n’est-ce pas une faillite en fleur ?...¶?¶ – Oh ! me répondit-elle, il serait plus gai !...¶. Puis hochant gracieusement la tête, elle ajouta :¶: – Si celui-là se ruine jamais, je l’irai dire à Holy-RoodPékin ! Il possède un million en fonds de terre !.... C’est un ancien fournisseur des armées impériales, un bon homme, assez original... Cependant il Il s’est remarié par spéculation, et rend néanmoins sa femme extrêmement heureuse. Il a une jolie fille. – Épousez-la ?... Elle sera riche.¶ que, pendant fort longtemps, il n’a pas voulu reconnaître ; mais la mort de son fils, tué malheureusement en duel, l’a contraint à la prendre avec lui, car il ne pouvait plus avoir d’enfants. La pauvre fille est ainsi devenue tout à coup une des plus riches héritières de Paris. La perte de son fils unique a plongé ce cher homme dans un chagrin qui reparaît quelquefois. ¶ En ce moment, le fournisseur leva les yeux sur moi. Son ; son regard me fit tressaillir, tant il était sombre et pensif ! Assurément ce coup d’œil résumait toute une vie... Mais tout à coup sa physionomie devint gaie ; puis il prit le bouchon de cristal, le mit, par un mouvement machinal, à une carafe pleine d’eau qui se trouvait devant son assiette, et tourna la tête vers M. monsieur Hermann en souriant. Cet homme, béatifié par ses jouissances gastronomiques, n’avait sans doute pas deux idées dans la cervelle, et ne songeait à rien !.... Aussi j’eus, eus-je en quelque sorte, honte de prodiguer ma science divinatoire in anima vili d’un épais financier.¶ Pendant que je faisais , en pure perte, des observations en pure perte, phrénologiques, le bon Allemand s’était lesté le nez d’une prise de tabac, et commençait son histoire.¶ Il me serait assez difficile de la reproduire dans les mêmes termes, avec ses interruptions fréquentes et ses digressions verbeuses ; aussi. Aussi l’ai-je écrite à ma guise, laissant les fautes au Nurembergeois ;, et m’emparant de ce qu’elle peut avoir de poétique et d’intéressant, avec la candeur des écrivains qui oublient de mettre au titre de leurs livres : traduit de l’allemand.¶ II.¶ LES DEUX SOUS AIDES.¶ L’IDÉE ET LE FAIT.¶ – Vers la fin de vendémiaire, an VII, époque républicaine qui, dans le style actuel, correspond au 20 octobre 1799, deux jeunes gens, partis de Bonn dès le matin, étaient arrivés à la chute du jour aux environs d’Andernach, petite ville située sur la rive gauche du Rhin, à quelques lieues de Coblentz.¶ En ce moment, l’armée française commandée par le général Augereau manœuvrait dans la Souabe en présence des Autrichiens, qui occupaient la rive droite du fleuve. Le quartier général de la division républicaine était à Coblentz, et l’une des demi-brigades appartenant au corps d’Augereau se trouvait cantonnée à Andernach.¶ Les deux voyageurs étaient Français. A voir leurs uniformes bleus mélangés de blanc, à paremensparements de velours rouge, leurs sabres, surtout le chapeau couvert d’une toile cirée verte, et orné d’un plumet tricolore, les paysans de la Souabeallemands euxmêmes auraient reconnu des chirurgiens militaires, hommes de science et de mérite, aimés pour la plupart , non-seulement à l’armée et même , mais encore dans les pays envahis par nos troupes.¶ En effet, à A cette époque, les enfansplusieurs enfants de famille, arrachés à leur stage médical par la récente loi sur la conscription due au général Jourdan, avaient naturellement mieux aimé continuer leurs études sur le champ de bataille que d’être astreints au service militaire, peu en harmonie avec leur éducation première et leurs paisibles destinées. Alors, hommesHommes de science, pacifiques et serviables, ils ces jeunes gens faisaient quelque bien au milieu de tant de malheurs, et sympathisaient avec tous les érudits des diverses contrées par lesquelles passait la cruelle civilisation de la république.¶ République. Armés, l’un et l’autre, d’une feuille de route et portant munis d’une commission de sous -aide signéssignée Coste et Bernadotte, ces deux jeunes gens se rendaient à la demi-brigade à laquelle ils étaient attachés.¶ Appartenant tous Tous deux appartenaient à des familles bourgeoises de Beauvais, médiocrement riches, mais où les mœurs douces et la loyauté des provinces se transmettaient comme une partie de l’héritage, ils avaient voyagé par la diligence jusqu’à Strasbourg, amenés. Amenés sur le théâtre de la guerre avant l’époque indiquée pour leur entrée en fonctions, par une curiosité bien naturelle aux jeunes gens.¶, ils avaient voyagé par la diligence jusqu’à Strasbourg. Quoique la prudence maternelle ne leur eût laissé emporter qu’une faible somme, ils se croyaient riches en possédant quelques louis, véritable trésor dans un temps où les assignats étaient arrivés au dernier degré d’avilissement, et où l’or valait beaucoup d’argent. Alors, les Les deux sous -aides, âgés de vingt ans au plus, obéirent à la poésie de leur situation avec tout l’enthousiasme de la jeunesse. De Strasbourg à Bonn, ils avaient visité l’Électorat et les rives du Rhin en artistes, en philosophes, en observateurs ; car, à cet âge, quand . Quand nous avons une destinée scientifique, nous sommes à cet âge des êtres véritablement multiples ; et même,. Même en faisant l’amour, ou en voyageant, un sous -aide doit thésauriser les rudimensrudiments de sa fortune ou de sa gloire à venir.¶ Donc, les Les deux jeunes gens s’étaient donc abandonnés à cette admiration profonde dont sont saisis les hommes instruits sont saisis à l’aspect des rives du Rhin et des paysages de la Souabe, entre Mayence et Cologne ; nature forte, riche, puissamment accidentée, pleine de souvenirs féodaux, verdoyante ;, mais gardantqui garde en tous lieux les empreintes du fer et du feu ; car. Louis XIV et Turenne ont cautérisé cette ravissante contrée. Çà et là, des ruines attestent l’orgueil, ou peut-être la prévoyance du roi de Versailles, qui fit abattre les admirables châteaux-forts dont dont était jadis ornée cette partie de l’Allemagne était jadis ornée.. En voyant cette terre merveilleuse, si féconde en sites, couverte de forêts, et où le pittoresque du moyen âge abonde, mais en ruines, vous concevez le génie allemand, ses rêveries et son mysticisme.¶ Cependant le séjour des deux amis à Bonn avait un but de science et de plaisir tout à la fois. Le grand hôpital de l’armée gallo-batave et de la division d’Augereau était établi dans le palais même de l’électeur.l’Électeur. Les sous-aides de fraîche date y avaientétaient donc étéallés voir des camarades, remettre des lettres de recommandation à leurs chefs, et s’y familiariser avec les premières impressions de leur métier. Mais aussi, là, comme ailleurs, ils dépouillèrent quelques -uns de ces préjugés exclusifs auxquels nous restons si long-temps fidèles en faveur des monumensmonuments et des beautés de notre pays natal. Surpris à l’aspect des colonnes de marbre dont est orné le palais électoral est orné, ils allèrent admirant le grandiose des constructions allemandes, et trouvèrent à chaque pas de nouveaux trésors antiques ou modernes.¶ De temps en temps, les chemins dans lesquels erraient les deux amis, en se dirigeant vers Andernach, les amenaient sur le piton d’une montagne de granit plus élevée que les autres ; et. Là, par une découpure de la forêt, par une anfractuosité des rochers, ils apercevaient quelque vue du Rhin encadrée dans le marbregrès ou festonnée par de vigoureuses végétations. Les vallées, les sentiers, les arbres exhalaient cette senteur automnale qui porte à la rêverie ; les cimes des bois commençaient à se dorer, à prendre des tons chauds et bruns, signes de vieillesse ; les feuilles tombaient ;, mais le ciel était encore d’un bel azur, et les chemins, secs, se dessinaient comme des lignes jaunes jeunes dans le paysage, alors éclairé par les obliques rayons du soleil couchant.¶ A une demi-lieue d’Andernach, les deux amis, marchant marchèrent au milieu d’un profond silence, comme si la guerre ne dévastait pas ce beau pays, et suivirent un chemin pratiqué pour les chèvres à travers les hautes murailles de granit bleuâtre entre lesquelles le Rhin bouillonne.¶ Bientôt ils descendirent par un des versansversants de la gorge au fond de laquelle se trouve la petite ville, assise avec coquetterie au bord du fleuve, où elle offre un joli port aux mariniers.¶ – L’Allemagne est un bien beau pays !...., s’écria l’un des deux jeunes gens, nommé Prosper Magnan, à l’instant où il entrevit les maisons peintes d’Andernach, pressées comme des œufs dans un panier, mais séparées par des arbres, par des jardins et des fleurs.¶ Puis il admira pendant un moment les toits pointus à solives saillantes, les escaliers de bois, les galeries de mille habitations paisibles, et les barques balancées par les flots dans le port…………………………………¶...¶ INTERRUPTION.¶ Au moment où M.monsieur Hermann prononça le nom de Prosper Magnan, le fournisseur saisit la carafe, se versa de l’eau dans son verre, et le vida d’un trait.¶ Ce mouvement attiraayant attiré mon attention. Je , je crus remarquer un léger tremblement dans ses mains et de l’humidité sur le front du capitaliste.¶ – Comment se nomme lel’ancien fournisseur ?...., demandai-je à ma complaisante voisine.¶ – Mauricey !....– Taillefer, me répondit-elle.¶ – Vous trouvez-vous indisposé ?, m’écriai-je en voyant pâlir ce singulier personnage.¶ – Nullement !...., dit-il en me remerciant par un geste de politesse.¶– J’écoute...., ajouta-t-il en faisant un signe de tête aux convives, qui le regardèrent tous simultanément.¶ – J’ai oublié, dit M.monsieur Hermann, le nom de l’autre jeune homme ; seulement les . Seulement, les confidences de Prosper Magnan m’ont appris que son compagnon était brun, assez maigre et jovial. Si vous me le permettez, je l’appellerai Wilhem, pour donner plus de clarté au récit de cette histoire.¶ Le bon Allemand reprit sa narration après avoir ainsi, sans respect pour le romantisme et la couleur locale, baptisé le sous-aide français d’un nom germanique.¶ CONTINUATION.¶ ..... – Au moment où les deux jeunes gens arrivèrent à Andernach, il était donc nuit close. Présumant qu’ils perdraient beaucoup de temps à trouver leurs chefs, à s’en faire reconnaître, et à obtenir d’eux un gîte militaire dans une ville déjà pleine de soldats, ils avaient résolu de passer leur dernière nuit de liberté dans une auberge située à une centaine de pas d’Andernach, et dont de laquelle ils avaient admiré, du haut des rochers, les riches couleurs embellies par les feux du soleil couchant.¶ Entièrement peinte en rouge, cette auberge produisait un piquant effet dans le paysage, soit en se détachant avec vivacité sur la masse générale de la ville, soit en opposant un son large rideau de pourpre à la verdure des différensdifférents feuillages, et sa teinte vive aux tons grisâtres de l’eau.¶ Cette maison devait son nom à la décoration extérieure qui lui avait été sans doute imposée depuis un temps immémorial par le caprice de son fondateur ; et la . Une superstition mercantile assez naturelle aux différensdifférents possesseurs de ce logis, renommé parmi les mariniers du Rhin, en avait fait soigneusement conserver le costume.¶ En entendant le pas des chevaux, le maître de l’Auberge rouge vint sur le seuil de la porte.¶ – Par Dieu !, s’écria-t-il, messieurs, un peu plus tard vous auriez été forcés de coucher à la belle étoile, comme la plupart de vos compatriotes qui bivouaquent de l’autre côté d’Andernach. Chez moi, tout est plein !....occupé ! Si vous tenez à coucher dans un bon lit, je n’ai plus que ma propre chambre à vous offrir..... Quant à vos chevaux, je vais leur faire mettre une litière dans un coin de la cour ; car, aujourd’hui, j’ai des chrétiens à l’écurie....¶. Aujourd’hui, mon écurie est pleine de chrétiens. – Ces Messieursmessieurs viennent de France ?...., reprit-il après une légère pose.¶ pause. – De Bonn !...., s’écria Prosper. Et nous n’avons encore rien mangé depuis ce matin.¶ – Oh ! quant aux vivres !....¶ L’aubergiste hocha la tête.¶– dit l’aubergiste en hochant la tête. On vient de dix lieues à la ronde faire des noces à l’Auberge rouge !..... Vous allez avoir un festin de prince....., le poisson du Rhin !.... c’est tout dire.....¶ Les sous-aides confièrent Après avoir confié leurs montures fatiguées aux soins de l’hôte, qui appelait assez inutilement ses valets ; et le laissant crier, ils , les sous-aides entrèrent dans la salle commune de l’auberge.¶ Les nuages épais et blanchâtres exhalés par une nombreuse assemblée de fumeurs, ne leur permirent pas de distinguer d’abord les gens avec lesquels ils allaient se trouver ; mais lorsqu’ils se furent assis près d’une table, avec la patience pratique de ces voyageurs philosophes qui ont reconnu l’inutilité du bruit, ils démêlèrent, à travers les vapeurs du tabac, tous les accessoires obligés d’une auberge allemande : le poêle, l’horloge, les tables, les pots de bière, les longues pipes, et, ; çà et là, des figures hétéroclites, juives, allemandes ; puis les visages rudes des de quelques mariniers. Les épaulettes de quelques plusieurs officiers français étincelaient dans ce brouillard, et le cliquetis des éperons et des sabres retentissait incessamment sur le carreau. Les uns jouaient aux cartes, d’autres se disputaient, se taisaient, mangeaient, buvaient ou se promenaient.¶ Une grosse petite femme, ayant le bonnet de velours noir, la pièce d’estomac bleue et argent, la pelottepelote, le trousseau de clefs, l’agrafe d’argent, les cheveux tressés, marques distinctives de toutes les maîtresses d’auberges allemandes, et dont le costume est, du rested’ailleurs, si exactement colorié dans une foule d’estampes, qu’il est trop vulgaire pour être décrit ;, la femme de l’aubergiste, donc, fit patienter et impatienter les deux amis avec une habileté fort remarquable.¶ Insensiblement le bruit diminua, les voyageurs se retirèrent, et le nuage de fumée se dissipa, et lorsque . Lorsque le couvert des sous-aides fut mis, que la classique carpe du Rhin parut sur la table, onze heures sonnaient, et la salle était vide. Le silence de la nuit laissait entendre vaguement , et le bruit que faisaient les chevaux en mangeant leur provende ou en piaffant, et le murmure des eaux du Rhin, et ces espèces de rumeurs indéfinissables qui animent une auberge pleine quand chacun s’y couche. Les portes et les fenêtres s’ouvraient et se fermaient, des voix murmuraient de vagues paroles, et quelques interpellations retentissaient dans les chambres.¶ En ce moment de silence et de tumulte, les deux Français, et l’hôte occupé à leur vanter Andernach, le repas, son vin du Rhin, l’armée républicaine et sa femme, écoutèrent avec une sorte d’intérêt les cris rauques de quelques mariniers et les bruissemensbruissements d’un bateau qui abordait au port.¶ L’aubergiste, familiarisé sans doute avec les interrogations gutturales de ces bateliers, sortit précipitamment, et revint bientôt. Il ramena un gros petit homme, derrière lequel marchaient deux mariniers portant une lourde valise et quelques ballots.¶ Les Ses paquets déposés dans la salle, le petit homme prit lui-même sa valise et la garda près de lui, en s’asseyant sans cérémonie à table devant les deux sous-aides.¶ – Allez coucher à votre bateau !....., dit-il aux mariniers, puisque l’auberge est pleine. Tout bien considéré, cela vaudra mieux.....¶ – Monsieur, dit l’hôte au nouvel arrivé !, voilà tout ce qui me reste de provisions !....¶. Et il montrait le souper servi aux deux Français.¶ – Je n’ai pas une croûte de pain, pas un os.....¶ – Et de la choucroute ?¶ – Pas de quoi mettre dans le dé de ma femme !.... Et, comme Comme j’ai eu l’honneur de vous le dire, vous ne pouvez pas avoir d’autre lit que la chaise sur laquelle vous êtes, et pas d’autre chambre que cette salle.¶ A ces mots, le petit homme jeta sur l’hôte, sur la salle et sur les deux Français, un regard où la prudence et l’effroi se peignirent également.¶ – Ici, je dois vous faire observer, dit M.monsieur Hermann en s’interrompant, que nous n’avons jamais su ni le véritable nom, ni l’histoire de cet inconnu ; seulement, ses papiers ont appris qu’il venait d’Aix-la-Chapelle ; il avait pris le nom de Walhenfer, et possédait aux environs de Neuwied une manufacture d’épingles assez considérable.¶ Comme tous les fabricansfabricants de ce pays, il portait une redingote de drap commun, une culotte et un gilet en velours vert foncé, des bottes et une large ceinture de cuir. Sa figure était toute ronde, ses manières franches et cordiales ; mais pendant cette soirée, il lui fut très -difficile de déguiser entièrement des appréhensions secrètes, ou peut-être de cruels soucis.¶ L’opinion de l’aubergiste a toujours été que ce négociant allemand fuyait son pays ; et, plus. Plus tard, j’ai su que sa fabrique avait été brûlée par un de ces hasards malheureusement si fréquensfréquents en temps de guerre. Malgré son expression généralement soucieuse, sa physionomie annonçait une grande bonhomie ; il . Il avait de beaux traits, et surtout un large cou dont sa cravate noire faisait si bien ressortir la blancheur était si bien relevée par une cravate noire, que Wilhem le montra par raillerie à Prosper…...........................................¶ —¶ Ici, M. Mauriceymonsieur Taillefer but un verre d’eau.¶ —¶ ……………………………………………¶ – Prosper offrit avec courtoisie au négociant de partager leur souper, et WalhenferWahlenfer accepta sans façon, en comme un homme qui se sentait en mesure de reconnaître cette politesse. Il ; il coucha sa valise à terre, mit ses pieds dessus, ôta son chapeau, s’attabla, se débarrassa de ses gants et de deux pistolets qu’il avait à sa ceinture.¶ L’hôte lui ayant promptement donné un couvert, les trois convives commencèrent à satisfaire assez silencieusement leur appétit.¶ L’atmosphère de la salle était si chaude et les mouches si nombreuses, que Prosper pria l’hôte d’ouvrir la croisée qui donnait sur la porte, afin de renouveler l’air.¶ Cette fenêtre était barricadée par une barre de fer dont les deux bouts entraient dans des trous pratiqués aux deux coins de l’embrasure ; et, pour. Pour plus de sécurité, deux écrous, attachés à chacun des volets, recevaient deux vis.¶ Par hasard, Prosper examina la manière dont l’hôte s’y prenait l’hôte pour ouvrir la fenêtre.¶ – Mais, puisque je vous dépeins les parle des localités, nous dit M.monsieur Hermann, je dois vous faire connaîtredépeindre les dispositions intérieures de l’auberge, ; car, de la connaissance exacte des lieux, dépend tout l’intérêt de cette celle histoire.¶ La salle où se trouvaient les trois personnages dont je vous parle, avait deux portes de sortie. L’une donnait sur le chemin d’Andernach, qui longe le Rhin ; et, là. Là, devant l’auberge, il y avait se trouvait naturellement un petit débarcadère, où le bateau, loué par le négociant pour son voyage, était amarré ; l’autre . L’autre porte avait sa sortie sur la cour de l’auberge. Cette cour était entourée de murs très -élevés, et remplie, pour le moment, de bestiaux et de chevaux, les écuries se trouvantétant pleines de monde. La grande porte venait d’être si soigneusement barricadée, que, pour plus de promptitude, l’hôte avait fait entrer le négociant et les mariniers par la porte de la salle qui donnait sur la rue. Après avoir ouvert la fenêtre, selon le désir de Prosper Magnan, il se mit à fermer cette porte, glissa les barres dans leurs trous, et vissa les écrous.¶ La chambre de l’hôte, où devaient coucher les deux sous-aides, était contiguë à la salle commune, et se trouvait séparée par un mur assez léger de la cuisine, où l’hôtesse et son mari devaient probablement passer la nuit ; car la. La servante venait de sortir, et d’aller chercher son gîte dans quelque crèche, ou dans le coin d’un grenier. Alors, il , ou partout ailleurs. Il est facile de comprendre que la salle commune, la chambre de l’hôte et la cuisine, étaient en quelque sorte isolées du reste de l’auberge. Il y avait dans la cour deux gros chiens, dont les aboiemensaboiements graves annonçaient des gardiens vigilansvigilants et très irritables.¶ – Quel silence et quelle belle nuit !.... dit Wilhem en regardant le ciel, lorsque l’hôte eut fini de fermer la porte.¶ Alors le clapotis des flots était le seul bruit qui se fit entendre.¶ – Messieurs, dit le négociant aux deux Français, permettez-moi de vous offrir quelques bouteilles de vin pour arroser votre carpe. Nous nous délasserons des fatigues de la fatigue de la journée en buvant. A votre air et à l’état de vos vêtemensvêtements, je vois que, comme moi, vous avez bien fait bien du chemin aujourd’hui !...¶. Les deux amis acceptèrent, et l’hôte sortit par la porte de la cuisine pour aller à sa cave, sans doute située sous cette partie du bâtiment.¶ Lorsque cinq vénérables bouteilles, apportées par l’aubergiste, furent sur la table, sa femme achevait de servir le repas. Elle donna à la salle et aux mets un son coup d’œil de maîtresse de maison ; etpuis, certaine d’avoir prévenu toutes les exigences des voyageurs, elle rentra dans la cuisine. Les quatre convives, car l’hôte fut invité à boire, ne l’entendirent pas se coucher ; mais, plus tard, pendant les intervalles de silence qui séparèrent les causeries des buveurs, quelques ronflemensronflements très -accentués, rendus encore plus sonores par les planches creuses de la soupente où elle s’était nichée la fille de l’auberge, firent sourire les amis, et surtout l’hôte.¶ Vers minuit, lorsqu’il n’y eut plus sur la table que des biscuits, du fromage, des fruits secs et du bon vin, les trois voyageurs, etconvives, principalement les deux jeunes Français, devinrent plus communicatifs. Ils parlèrent de leur pays, de leurs études, de la guerre ; puis. Enfin, la conversation s’anima.¶ Prosper Magnan fit venir quelques larmes dans les yeux du négociant fugitif, quand, avec cette franchise picarde et la naïveté d’une nature bonne et tendre, il supposa ce que devait faire sa mère au moment où il se trouvait, lui, sur les bords du Rhin.....¶ – Je la vois, disait-il, lisant sa prière du soir avant de se coucher ! Elle ne m’oublie certes pas, et doit se demander : – Où est-il, mon pauvre Prosper ?..... Mais si elle a gagné au jeu quelques sous à sa voisine.....¶– A , – à ta mère, peut-être, ajouta-t-il en poussant le coude de Wilhem.¶– Elle, elle va les mettre, reprit-il, dans le grand pot de terre rouge, où elle amasse la somme nécessaire à l’acquisition des trente arpensarpents enclavés dans son petit domaine de Lescheville. Ces trente arpensarpents valent bien environ soixante mille francs..... Ce sont Voilà de bonnes prairies.... Ah ! si je les avais un jour, je vivrais toute ma vie à Lescheville, sans ambition..... Que ! Combien de fois mon père a -t-il désiré ces trente arpens,arpents et le joli ruisseau qui serpente dans ces prés-là !.... Comme j’y Enfin, il est mort sans pouvoir les acheter. J’y ai bien souvent joué !....¶ – Monsieur Walhenfer, n’avez-vous pas aussi votre hoc erat in votis ? demanda Wilhem.¶ – Oui, monsieur, oui ! mais...... il était tout venu, et – , maintenant.....¶ Le bonhomme garda le silence.¶, sans achever sa phrase. – Moi, dit l’hôte, dont le visage s’était légèrement empourpré, j’ai, l’année dernière, acheté un clos que je désirais avoir depuis dix ans.....¶ Ils causèrent ainsi en gens dont la langue était déliée par le vin, et prirent les uns pour les autres cette amitié passagère dont de laquelle nous sommes peu avares en voyage, en sorte qu’au moment où ils allèrent se coucher, Wilhem offrit son lit au négociant.¶ – Vous pouvez d’autant mieux l’accepter..., lui dit-il, que je puis coucher avec Prosper ; ce . Ce ne sera, certes, ni la première ni la dernière fois..... Vous êtes notre doyen, et nous devons honorer la vieillesse !....¶ – Bah ! dit l’hôte, le lit de ma femme a plusieurs matelas, vous en mettrez un par terre.¶ Et il alla fermer la croisée, en faisant tout le bruit que comportait cette prudente opération.¶ – J’accepte, dit le négociant.....¶ Puis, baissant la voix :¶– J’avoue, ajouta-t-il en baissant la voix et regardant les deux amis, que je le désirais.... Mes bateliers me semblent suspects...... Et, pour Pour cette nuit, je ne suis pas fâché d’être en compagnie de deux braves et bons jeunes gens, de deux militaires français !..... J’ai cent mille francs en or et en diamansdiamants dans ma valise !....¶ L’affectueuse réserve avec laquelle cette imprudente confidence fut reçue par les deux jeunes gens rassura le bon Allemand.¶ L’hôte aida ses voyageurs à défaire un des lits ; et. Puis, quand tout fut arrangé pour le mieux, il leur souhaita une bonne nuitle bonsoir et alla se coucher.¶ Le négociant et les deux sous-aides plaisantèrent sur la nature de leurs oreillers.¶ Prosper mettait sa trousse d’instrumensd’instruments et celle de Wilhem sous son matelas, afin de l’exhausser et de remplacer le traversin qui lui manquait, au moment où, par un excès de prudence, Walhenfer plaçait sa valise sous son chevet.¶ – Nous dormirons tous deux sous sur notre fortune : vous, sur votre or ; moi sur ma trousse !.... Reste à savoir si mes instrumensinstruments me vaudront autant d’or que vous en avez acquis.....¶ – Vous pouvez l’espérer, dit le négociant ; le. Le travail et la probité viennent à bout de tout, mais ayez de la patience.....¶ Bientôt Walhenfer et Wilhem s’endormirent.¶ Soit que son lit fût trop dur, soit que son extrême fatigue fût une cause d’insomnie, ou soit par une fatale disposition d’âme, Prosper Magnan resta éveillé.¶ Ses pensées prirent insensiblement une mauvaise pente, et il ne . Il songea plus qu’très-exclusivement aux cent mille francs sur lesquels dormait le négociant.¶ Pour lui, cent mille francs étaient une immense fortune toute tout venue.¶ Il commença par les employer de mille manières différentes, en faisant des châteaux en Espagne, comme nous en faisons tous avec tant de bonheur pendant le moment qui précède notre sommeil, à cette heure où les images naissent confuses dans notre entendement, et où souvent, par le silence de la nuit, la pensée acquiert une puissance magique. Il comblait les vœux de sa mère, il achetait les trente arpensarpents de prairie, il se mariait àépousait une demoiselle de Beauvais, à laquelle la disproportion de leurs fortunes lui défendait d’aspirer en ce moment. Il s’arrangeait avec cette somme toute une vie de délices, et se voyait heureux, père de famille, riche, considéré dans sa province, et peut-être maire de Beauvais.¶ Sa tête picarde s’enflammant, il chercha les moyens de changer ses fictions en réalités..... Il mit une chaleur extraordinaire à combiner un crime en théorie, et, tout . Tout en rêvant la mort du négociant, il voyait distinctement l’or et les diamans.diamants. Il en avait les yeux éblouis..... Son cœur palpitait. La délibération était déjà sans doute un crime peutêtre..... Fasciné par cette masse d’or, il s’enivra moralement par des raisonnemensraisonnements assassins. Il se demanda si ce pauvre Allemand avait bien besoin de vivre. Il , et supposa qu’il n’avait jamais existé..... Bref, il conçut le crime de manière à en assurer l’impunité.¶ L’autre rive du Rhin était occupée par les Autrichiens ; il y avait au bas des fenêtres une barque et des bateliers ; il pouvait couper le cou de cet homme, le jeter dans le Rhin, se sauver par la croisée avec la valise, offrir de l’or aux mariniers, et passer en Autriche. Il alla jusqu’à calculer le degré d’adresse qu’il avait su acquérir en se servant de ses instrumensinstruments de chirurgie, afin de trancher la tête de sa victime de manière à ce qu’elle ne poussât pas un seul cri……………………………………….¶...¶ —¶ Là M. Mauriceymonsieur Taillefer s’essuya le front et but encore un peu d’eau.¶ —¶ ……………………………………….¶ – Prosper se leva lentement et sans faire aucun bruit ; puis, certain. Certain de n’avoir réveillé personne, il s’habilla, se rendit dans la salle commune ; etpuis, avec cette fatale intelligence que l’homme trouve soudainement en lui, avec cette puissance de tact et de volonté qui ne manque jamais ni aux prisonniers ni aux criminels dans l’accomplissement de leurs projets, il dévissa les barres de fer, les sortit de leurs trous sans faire le plus léger bruit, les plaça près du mur, et ouvrit les volets en pesant sur les gonds afin d’en assourdir les grincemens ; puis, lagrincements. La lune, jetant ayant jeté sa pâle clarté sur cette scène, lui permit de voir faiblement les objets dans la chambre où dormaient Wilhem et Walhenfer.....¶ Là, il m’a dit s’être un moment arrêté, parce que les . Les palpitations de son cœur étaient si fortes, si profondes, si sonores, qu’il en avait été comme épouvanté, et . Puis il craignait de ne pouvoir agir avec sang-froid, car ; ses mains tremblaient, et la plante de ses pieds lui paraissait appuyée sur des charbons ardens.....ardents. Mais l’exécution de son dessein était accompagnée de tant de bonheur, qu’il vit une espèce de prédestination dans cette faveur du sort. Il ouvrit la fenêtre et, revint dans la chambre !.... Il, prit sa trousse, y chercha l’instrument le plus convenable pour achever son crime.¶ – Quand j’arrivai près du lit, me dit-il, je me recommandai machinalement à Dieu.¶ Au moment où il levait le bras en rassemblant toute sa force, il entendit en lui comme une voix, et crut apercevoir une lumière.....¶ Jetant Il jeta l’instrument sur son lit, il se sauva dans l’autre pièce, et alors vint se placer à la fenêtre qu’il avait ouverte.¶. Là, il conçut la plus profonde horreur pour lui-même ; et sentant néanmoins sa vertu faible et, craignant encore de succomber à la puissante fascination à laquelle il était en proie, il sauta vivement sur le chemin et se promena le long du Rhin, en faisant pour ainsi dire sentinelle devant l’auberge.¶ Souvent il atteignait Andernach dans sa promenade précipitée ; souvent aussi ses pas le conduisaient au versant par lequel il était descendu pour arriver à l’auberge ; mais le silence de la nuit était si profond, il se fiait si bien sur les chiens de garde, que, parfois, il perdit de vue la fenêtre qu’il avait laissée ouverte.¶ Son but était de se lasser et d’appeler le sommeil. Cependant, en marchant ainsi sous un ciel sans nuages, dont il admiraen en admirant les belles étoiles, frappé peut-être aussi par l’air pur de la nuit, et par le bruissement mélancolique des flots, il tomba dans une rêverie qui le ramena par degrés à de saines idées de morale, et qui. La raison finit par dissiper complétementcomplètement sa frénésie momentanée. Les enseignemens Les enseignements de son éducation, les préceptes religieux, et surtout, m’a-t-il dit, les images de la vie modeste qu’il avait jusqu’alors menée sous le toit paternel, triomphèrent de ses mauvaises pensées.¶ Quand il revint, après une longue méditation, au charme de laquelle il s’était abandonné sur le bord du Rhin, en restant accoudé sur une grosse pierre, il aurait pu, m’a-t-il dit, non pas dormir, mais veiller près d’un milliard en or.....¶ Au moment où sa probité se releva fière et forte de ce combat, il se mit à genoux dans un sentiment d’extase et de bonheur, remercia Dieu, se trouva heureux, léger, content, comme au jour de sa première communion, où il s’était cru digne des anges, parce qu’il avait passé la journée sans pécher ni en paroles, ni en actions, ni en pensée.¶ Il revint à l’auberge, ferma la fenêtre sans craindre de faire du bruit, et se mit au lit sur-le-champ.¶ Sa lassitude morale et physique le livra sans défense au sommeil ; et, peu. Peu de temps après avoir posé sa tête sur son matelas, il tomba dans cette somnolence première et fantastique qui précède toujours un profond sommeil. Alors les sens s’engourdissent, et la vie s’abolit graduellement ; les pensées sont incomplètes, et les derniers tressaillemenstressaillements de nos sens simulent une sorte de rêverie.¶ – Comme l’air est lourd !....., se dit Prosper. Il me semble que je respire une vapeur humide !..... ou les exhalaisons d’une eau chaude.....¶. Il s’expliqua vaguement cet effet de l’atmosphère par la différence qui devait exister entre la température de la chambre et l’air pur de la campagne.¶ Mais il entendit bientôt un bruit périodique assez semblable à celui que font les gouttes d’eau d’une fontaine en tombant du robinet.¶ Obéissant à une terreur panique, il voulut se lever et appeler l’hôte, réveiller le négociant ou Wilhem ; mais il se souvint alors, pour son malheur, de l’horloge de bois, ; et croyant reconnaître le mouvement du balancier, il s’endormit dans cette indistincte et confuse perception..............................................................................¶ …………………………………………………………………………¶ ¶ – Voulez-vous de l’eau, monsieur Mauricey ?Taillefer ? dit le maître de la maison, en voyant le fournisseurbanquier prendre machinalement la carafe.¶ Elle était vide.¶ III.¶ LES DEUX JUSTICES.¶ M.onsieur Hermann continua son récit, après la légère pause occasionnée par l’observation du banquier.¶ – Le lendemain matin, dit-il, Prosper Magnan fut réveillé par un grand bruit. Il lui semblait avoir entendu des cris perçansperçants, et il ressentait ce violent tressaillement de nerfs dont que nous subissons l’âcre douleur lorsque nous achevons, au réveil, une sensation pénible commencée pendant notre sommeil. Alors, il Il s’accomplit en nous un fait physiologique, un sursaut, pour me servir de l’expression vulgaire, qui n’a pas encore été suffisamment observé, quoiqu’il contienne des phénomènes curieux pour la science. Cette terrible angoisse, produite peut-être par une réunion trop subite de nos deux natures, presque toujours séparées pendant le sommeil, est ordinairement rapide ; mais elle persista chez le pauvre sous-aide ; elle, s’accrut même tout à coup, et lui causa une la plus affreuse horripilation, quand il aperçut une mare de sang entre son matelas et le lit de Walhenfer. La tête du pauvre Allemand gisait à terre, et le corps était resté dans le lit.¶ Tout le sang avait jailli par le cou.¶ En voyant les yeux de cette tête, encore ouverts et fixes, en voyant le sang qui avait taché ses draps et même ses mains, en reconnaissant son instrument de chirurgie sur le lit, Prosper Magnan s’évanouit, et tomba dans le sang de Walhenfer.....¶ – C’était déjà, m’a-t-il dit, une punition de mes pensées.....¶ Quand il reprit connaissance, il se trouva dans la salle commune. Il était assis sur une chaise, environné de soldats français et en présence d’devant une foule attentive et curieuse. Il regarda stupidement un officier républicain occupé à recueillir les dépositions de quelques témoins, et à rédiger sans doute un procès-verbal. Il reconnut l’hôte, sa femme, les deux mariniers et la servante de l’auberge.¶ L’instrument de chirurgie dont s’était servi l’assassin.........¶ INTERRUPTION.¶ Ici M. Mauriceymonsieur Taillefer toussa, tira son mouchoir de poche, pour se mouchamoucher, et s’essuya le front ; mais ces mouvemens. Ces mouvements assez naturels ne furent remarqués que par moi ; car tous les convives, avaient les yeux attachés sur M.monsieur Hermann, et l’écoutaient avec une sorte d’avidité.¶ Le fournisseur appuya son coude sur la table, mit sa tête dans sa main droite, et regarda fixement M. Hermann ; et, dès. Dès lors, il ne laissa plus échapper aucune marque d’émotion ouni d’intérêt ; mais sa physionomie resta pensive et terreuse, comme au moment où il avait joué avec le bouchon de la carafe.¶ CONTINUATION.¶ .......... – L’instrument de chirurgie dont s’était servi l’assassin se trouvait sur la table, avec la trousse, le portefeuille et les papiers de Prosper. Les regards de l’assemblée se dirigeaient alternativement sur ces pièces de conviction et sur le jeune homme, qui paraissait mourant, et dont les yeux éteints semblaient ne rien voir. La rumeur confuse qui se faisait entendre au- dehors, accusait la présence de la foule attirée devant l’auberge par la nouvelle du crime, et peut-être aussi par le désir de connaître l’assassin. Le pas des sentinelles placées sous les fenêtres de la salle, le bruit de leurs fusils dominaient le murmure des conversations populaires ; mais l’auberge était fermée, la cour était vide et silencieuse.¶ Incapable de soutenir le regard de l’officier qui verbalisait, Prosper Magnan, se sentant sentit la main pressée par un inconnu,homme, et leva les yeux comme pour chercher un pour voir quel était son protecteur parmi cette foule ennemie ; et, alors, il . Il reconnut, à l’uniforme, le chirurgien-major de la demi-brigade cantonnée à Andernach. Le regard de cet homme était si perçant, si sévère, que le pauvre jeune homme en frissonna, et laissa aller sa tête sur le dos de la chaise ; mais un. Un soldat lui ayant fait fit respirer des sels, du vinaigre, et il reprit aussitôt connaissance. Cependant, ses yeux hagards étaientparurent tellement privés de vie et d’intelligence, que le chirurgien dit à l’officier, après avoir tâté le pouls de Prosper :¶: – Capitaine, il est impossible d’interroger cet homme-là dans ce moment.....¶-ci. – EhEh ! bien !, emmenez-le...., répondit le capitaine en interrompant le chirurgien et en s’adressant à un caporal qui se trouvait derrière le sous-aide.¶– S.... – Sacré lâche, lui dit à voix basse le soldat, tâche au moins de marcher ferme devant ces mâtins d’Allemands, afin de sauver l’honneur de la république.¶République. Cette interpellation réveilla Prosper Magnan. Il , qui se leva, et fit quelques pas ; mais lorsque la porte s’ouvrit, qu’il se sentit frappé par l’air extérieur, et qu’il vit entrer la foule, ses forces l’abandonnèrent, ses genoux fléchirent, il chancela.¶ – Ce tonnerre de carabin-là mérite deux fois la là mort !.... Marche donc !.... dirent les deux soldats qui lui prêtaient le secours de leurs bras afin de le soutenir.¶ – Oh ! le lâche ! le lâche !.... C’est lui !.... c’est lui !.... le voilà !.... le voilà !....¶ Ces mots lui semblaient dits par une seule voix, la voix tumultueuse de la foule, qui l’accompagnait en l’injuriant, et grossissait à chaque pas.¶ Pendant le trajet de l’auberge à la prison, le tapage que le peuple et les soldats faisaient en marchant, le murmure des différensdifférents colloques, la vue du ciel et la fraîcheur de l’air, l’aspect d’Andernach et le frissonnement des eaux du Rhin, toutes ces impressions arrivaient à l’âme du sous-aide, mais vagues, confuses, ternes comme toutes les sensations qu’il avait éprouvées depuis son réveil ; et par momens. Par moments il croyait, m’a-t-il dit, ne plus exister.¶ – J’étais alors en prison, dit M.monsieur Hermann en s’interrompant. Enthousiaste comme nous le sommes tous à vingt ans, j’avais voulu défendre mon pays. Commandant, et commandais une compagnie franche que j’avais organisée aux environs d’Andernach, je tombai. Quelques jours auparavant j’étais tombé pendant la nuit au milieu d’un détachement français composé de huit cents hommes. Nous étions tout au plus deux cents. Mes espions m’avaient vendu. Je fus jeté dans la prison d’Andernach, et il . Il s’agissait alors de me fusiller, pour faire un exemple qui intimidât le pays. Les Français parlaient aussi de représailles ;, mais le meurtre dont les républicains voulaient tirer vengeance sur moi ne s’était pas commis dans l’Électorat.¶ Mon père avait obtenu un sursis de trois jours, afin de pouvoir aller demander ma grâce au général Augereau, qui la lui accorda. Je vis donc Prosper Magnan au moment où il entra dans la prison d’Andernach, et il m’inspira une pitié la plus profonde. Il était pitié. Quoiqu’il fût pâle, défait, taché de sang ; mais , sa physionomie avait un caractère de candeur et d’innocence qui me frappa vivement. Pour moi, l’Allemagne respirait dans ses longs cheveux blonds, dans ses yeux bleus. Véritable image de mon pays défaillant, il m’apparut comme une victime et non comme un meurtrier. Au moment où il passa sous ma fenêtre, il jeta, je ne sais sur quoioù, le sourire amer et mélancolique d’un aliéné qui retrouve une fugitive lueur de raison. Ce sourire n’était certes pas celui d’un assassin.¶ Quand je vis le geôlier, je le questionnai sur son nouveau prisonnier.¶ – Il n’a pas parlé depuis qu’il est dans son cachot. Il s’est assis, a mis sa tête entre ses mains, et dort ou réfléchit à son affaire..... A entendre les Français, il aura son compte demain matin, et sera fusillé dans les vingt-quatre heures....¶ Je demeurai le soir sous la fenêtre du prisonnier, pendant le court instant qui m’était accordé pour faire une promenade dans la cour de la prison. Nous causâmes ensemble, et il me raconta naïvement son aventure, en répondant avec assez de justesse à mes différentes questions.¶ Après cette première conversation, je ne doutai plus de son innocence. Aussi je Je demandai, j’obtins la faveur de rester quelques heures près de lui. Je le vis donc à plusieurs reprises, et le pauvre enfant m’initia sans détour à toutes ses pensées.¶ D’abord, il Il se croyait tout à la fois innocent et coupable. Se souvenant de l’horrible tentation à laquelle il avait eu la force de résister, il craignait d’avoir accompli, pendant son sommeil et dans un accès de somnambulisme, le crime qu’il rêvait, éveillé.¶ – Mais votre compagnon ?.... lui dis-je.¶ – Oh !.... s’écria-t-il avec feu, Wilhem est incapable.....¶ Il n’acheva même pas.¶ A cette parole chaleureuse, pleine de jeunesse et de vertu, je lui serrai la main.¶ – A son réveil, reprit-il, il aura sans doute été épouvanté, il aura perdu la tête...., il se sera sauvé.¶ – Sans vous éveiller !...., lui dis-je. Mais alors votre défense sera facile, car la valise de Walhenfer n’aura pas été volée.....¶ Tout à coup il fondit en larmes.¶ – Oh ! oui, je suis innocent !....., s’écria-t-il. Je n’ai pas tué !.... Je me souviens de mes songes..... Je jouais aux barres avec mes camarades de collége..... je Je n’ai pas dû couper la tête de ce négociant, en rêvant que je courais.....¶ Puis, malgré les lueurs d’espoir qui, parfois, lui rendirent un peu de calme, il se sentait toujours écrasé par un remords. Il avait bien certainement levé le bras pour trancher la tête du négociant. Il se faisait justice, et ne se trouvait pas le cœur pur, après avoir commis le crime dans sa pensée.¶ – Et cependant !.... je suis bon !... s’écriait-il. O ma pauvre mère ! Peut-être en ce moment joue-t-elle gaîmentgaiement à l’impériale avec ses voisines dans son petit salon de tapisserie..... Si elle savait que j’ai seulement levé la main pour assassiner un homme...... oh Oh ! elle mourrait !.... Et je suis en prison !....., accusé d’avoir commis un crime. Si je n’ai pas tué cet homme......, je tuerai certainement ma mère.....¶ ! A ces mots il ne pleura pas ; mais, animé de cette fureur courte et vive assez familière aux Picards, il s’élança vers la muraille, et, si je ne l’avais retenu, il s’y serait brisé la tête.....¶ – Attendez votre jugement, lui dis-je. Vous serez acquitté, vous êtes innocent. Et votre mère.....¶ – Ma mère !...., s’écria-t-il avec fureur ;, elle apprendra mon accusation avant tout. Dans les petites villes, cela se fait ainsi... et elle, la pauvre femme en mourra de chagrin. D’ailleurs, je ne suis pas innocent... Voulez-vous savoir toute la vérité..... je ? Je sens que j’ai perdu la virginité de ma conscience.¶ Après ce terrible mot, il s’assit, se croisa les bras sur la poitrine, inclina la tête, et regarda la terre d’un air sombre.¶ En ce moment, le porte-clefs vint me prier de rentrer dans ma chambre ; mais, fâché d’abandonner mon compagnon en un instant où son découragement me paraissait si profond, je le serrai dans mes bras avec amitié.¶ – Prenez patience, lui dis-je, tout ira bien, peut-être. Si la voix d’un honnête homme peut faire taire vos doutes, apprenez que je vous estime et vous aime..... Acceptez mon amitié, et dormez sur mon cœur, si vous n’êtes pas en paix avec le vôtre.¶ Le lendemain, un caporal et quatre fusiliers vinrent le chercherchercher le sous-aide vers neuf heures. En entendant le bruit que firent les soldats, je me mis à ma fenêtre. Lorsque le jeune homme traversa la cour, il jeta les yeux sur moi. Jamais je n’oublierai son regard ; il était ce regard plein de pensées, de pressentimenspressentiments, de résignation, et de je ne sais quelle grâce triste et mélancolique ;. Ce fut une espèce de testament silencieux et intelligible par lequel un ami léguait sa vie perdue à son dernier ami..... La nuit avait sans doute été bien dure, bien solitaire pour lui ; mais aussi peut-être la pâleur empreinte sur son visage accusait-elle un stoïcisme puisé dans une nouvelle estime de luimême ; peut. Peut-être s’était-il purifié par un remords, et croyait-il laver sa faute dans sa douleur et dans sa honte... Il marchait d’un pas ferme ; et, dès le matin, il avait fait disparaître les taches de sang dont il s’était involontairement souillé.¶ – Mes mains y ont fatalement trempé pendant que je dormais, car mon sommeil est toujours très -agité !....., m’avait-il dit la veille, avec un horrible accent de désespoir.....¶ J’appris qu’il allait comparaître devant un conseil de guerre. La division devait, le surlendemain, se porter en avant, et le chef de demi-brigade ne voulait pas quitter Andernach sans faire justice du crime sur les lieux mêmes où il avait été commis.... Je restai dans une mortelle angoisse pendant le temps que dura ce conseil. Enfin, vers midi, Prosper Magnan fut ramené en prison. Je faisais en ce moment ma promenade accoutumée ; il m’aperçut, et vint se jeter dans mes bras.¶ – Perdu !...., me dit-il. Je suis perdu sans espoir !..... – Ici, pour tout le monde, je serai donc un assassin !.....¶. Il releva la tête avec fierté.....¶ – Cette injustice m’a rendu tout entier à mon innocence.... Ma vie aurait toujours été troublée, ma mort sera sans reproche !...... Mais, y a-til un avenir ?....¶ Tout le dix-huitième siècle était dans cette interrogation soudaine.¶ Il resta pensif.¶ – Enfin, lui dis-je, comment avez-vous répondu ? que vous a-t-on demandé ? n’avez-vous pas dit naïvement le fait comme vous me l’avez raconté ?....¶! Il me regarda fixement pendant un moment ; etpuis, après cette pause effrayante, il me répondit avec une fiévreuse vivacité de paroles :¶: – Ils m’ont demandé d’abord :¶– : « Êtes-vous sorti de l’auberge pendant la nuit ?¶ » J’ai dit : – Oui.....¶ – – « Par où ?....¶ » J’ai rougi, et j’ai répondu : – Par la fenêtre.....¶– – « Vous l’aviez donc ouverte ?¶ » – Oui !.... ai-je dit.¶– « Vous y avez mis bien de la précaution ; car l’aubergiste. L’aubergiste n’a rien entendu !....¶ » Je suis resté stupéfait. – Les mariniers ont déclaré m’avoir vu me promenant, allant tantôt à Andernach, tantôt vers la forêt. – J’ai fait, disent-ils, plusieurs voyages. – J’ai enterré l’or et les diamans. – diamants. Enfin, la valise ne s’est pas retrouvée !.... – Puis, j’étais toujours en guerre avec mes remords ; et, quand . Quand je voulais parler : « « Tu as voulu commettre le crime..... ! » me criait une voix impitoyable.....¶ Tout était contre moi..... Même, même moi !....¶ Ils m’ont questionné sur mon camarade...., et je l’ai complétement défendu.....¶ Alors ils m’ont dit : « – Nous devons trouver un coupable entre vous, votre camarade, l’aubergiste et sa femme ?... Ce matin, toutes les fenêtres et les portes se sont trouvées fermées !....¶ » – A cette observation, reprit-il, je suis resté sans voix, sans force, sans âme.... Plus sûr de mon ami que de moimême, je ne pouvais pas l’accuser..... J’ai compris que nous étions regardés tous deux comme également complices de l’assassinat, et que je passais pour le plus maladroit !.... J’ai voulu expliquer le crime par le somnambulisme, et justifier mon ami..... Alors ; alors j’ai divagué..... Je suis perdu. J’ai lu ma condamnation dans les yeux de mes juges..... Ils ont laissé échapper des sourires d’incrédulité..... Tout est dit.... Plus d’incertitude !..... Demain je serai fusillé.....¶ – Je ne pense plus à moi......, reprit-il ;, mais, – à ma pauvre mère !.....¶ Il s’arrêta, regarda le ciel, et ne versa pas de larmes..... Ses yeux étaient secs et fortement convulsés.¶ – Frédéric !....¶ —¶ – Ah ! l’autre se nommait Frédéric !...., Frédéric !..... Oui, c’est bien là le nom, ! s’écria M.monsieur Hermann d’un air de triomphe.....¶ Ma voisine me poussa le pied, et me fit un signe en me montrant M. Mauricey.¶ Lemonsieur Taillefer. L’ancien fournisseur avait négligemment laissé tomber sa main sur ses yeux ; mais, entre les intervalles de ses doigts, nous crûmes voir une flamme sombre dans son regard.¶ – Hein ?.... me dit-elle à l’oreille. S’il se nommait Frédéric !....¶ Je répondis en la guignant de l’œil, comme pour lui dire : « « Silence !.... »¶ —¶ M. Hermann reprit :¶reprit ainsi : – Frédéric !...., s’écria le sous-aide, Frédéric m’a lâchement abandonné..... Il aura eu peur !.... Il s’est peut. Peut-être se sera-t-il caché dans l’auberge, car nos deux chevaux étaient encore le matin dans la cour.¶ – Quel incompréhensible mystère !....., ajouta-til après un moment de silence. Le somnambulisme !..., le somnambulisme !.... Je n’en ai eu qu’un seul accès dans ma vie, et encore à l’âge de six ans.¶ – M’en irai-je d’ici ?...., reprit-il, frappant du pied sur la terre, en emportant tout ce qu’il y a d’amitié dans le monde ? Mourrai-je donc deux fois en doutant d’une fraternité commencée à l’âge de cinq ans, et continuée au collége, aux écoles !.... Où est Frédéric ?¶ Il pleura !. Nous tenons donc plus à un sentiment qu’à la vie.¶ – Rentrons, me ditil, je préfère être dans mon cachot. Je ne voudrais pas qu’on me vîtvit pleurant. J’irai courageusement à la mort, mais je ne sais pas faire de l’héroïsme à contretemps, et j’avoue que je regrette lama jeune et belle vie..... Pendant cette nuit je n’ai pas dormi ; je me suis rappelé les scènes de mon enfance, et je me suis vu courant dans ces prairies dont le souvenir a peut-être causé ma perte....¶ – J’avais de l’avenir !...., me dit-il en s’interrompant. Douze hommes, ; un sous-lieutenant qui criera : – Portez armes, en joue, feu ! puis un roulement de tambours !.....; et l’infamie !.... voilà mon avenir maintenant,. Oh ! il y a un Dieu, ou tout cela serait par trop niais !....¶. Alors il me prit et me serra dans ses bras en m’étreignant avec force.¶ – Ah ! vous êtes le dernier homme avec lequel j’aurai pu épancher mon âme.... Vous serez libre, vous !..... vous verrez votre mère !..... Je ne sais si vous êtes riche ou pauvre, mais qu’importe !..... vous êtes le monde entier pour moi.... Ils ne se battront pas toujours, ceux-ci. EhEh ! bien !, quand ils seront en paix, allez à Beauvais ; si. Si ma mère survit à la fatale nouvelle de ma mort, vous l’y trouverez !..... dites. Dites-lui ces consolantes paroles :¶: – Il était innocent !.....¶ – Elle vous croira !..., reprit-il. Je vais lui écrire ; mais vous lui porterez mon dernier regard, vous lui direz que je vous êtes le dernier homme que j’aurai embrassé... Ah ! combien elle vous aimera, la pauvre femme ! vous qui aurez été mon dernier ami !..... ¶. – Ici, dit-il après un moment de silence pendant lequel il resta comme accablé sous le poids de ses souvenirs, chefs et soldats me sont inconnus, et je leur fais horreur à tous !..... Sans vous, mon innocence serait un secret entre le ciel et moi.....¶ Je lui jurai d’accomplir saintement ses dernières volontés, et mes. Mes paroles, mon effusion de cœur, le touchèrent.¶ Peu de temps après, les soldats revinrent le chercher et le ramenèrent au conseil de guerre. Il était condamné. J’ignore les formalités qui devaient suivre ou accompagner ce premier jugement, et je ne sais pas si le jeune chirurgien défendit sa vie dans toutes les règles ; mais s’attendantil s’attendait à marcher au supplice le lendemain matin, il et passa la nuit à écrire à sa mère.¶ – Nous serons libres tous deux, me dit-il en souriant, quand je l’allai voir le lendemain ; j’ai appris que le général a signé votre grâce...¶ Je restai silencieux, et le regardai, pour bien graver ses traits dans ma mémoire. Alors, il prit une expression de dégoût, et me dit :¶: – J’ai été tristement lâche !.... J’ai, pendant toute la nuit, demandé ma grâce à ces murailles.¶ Et il me montrait les murs de son cachot.¶ – Oui, oui, reprit-il, j’ai hurlé de désespoir, je me suis révolté, j’ai subi la plus terrible des agonies morales. – J’étais seul !.... Maintenant, je pense à ce que vont dire les autres.... Le courage est un costume à prendre ; et, je. Je dois aller décemment à la mort..... Aussi.......¶ IV.¶ LES DEUX JUSTICES.¶ – OHOh ! n’achevez pas !.... s’écria la jeune personne qui avait demandé cette histoire, et qui interrompit alors brusquement le Nurembergeois ; je . Je veux demeurer dans l’incertitude et croire qu’il a été sauvé..... Si j’apprenais aujourd’hui qu’il a été fusillé, je ne dormirais pas cette nuit. Demain, vous me direz le reste.....¶ Nous nous levâmes de table.¶ En acceptant le bras de M.monsieur Hermann, ma voisine lui dit :¶: – Il a été fusillé....., n’est-ce pas ?¶.¶ – Oui. Je fus témoin de son l’exécution.¶ – Comment, monsieur !, dit-elle, vous avez pu.....¶ – Il l’avait désiré, madame. Il y a quelque chose de bien affreux à suivre le convoi d’un homme vivant, d’un homme que l’on aime, d’un innocent ! Ce pauvre jeune homme ne cessa pas de me regarder. Il semblait ne plus vivre qu’en moi ! Il voulait, disait-il, que je reportasse son dernier soupir à sa mère.¶ – EhEh ! bien, l’avez-vous vue ?¶ – A la paix d’Amiens, je vins en France ; maisFrance pour apporter à la mère cette belle parole : – Il était innocent. J’avais religieusement entrepris ce pèlerinage. Mais madame Magnan était morte de consomption. Ce ne fut pas sans une émotion profonde que je brûlai la lettre dont j’étais porteur. Vous vous moquerez peut-être de mon exaltation germanique, mais je vis un drame de mélancolie sublime dans le secret éternel qui allait ensevelir ces adieux jetés entre deux tombes, ignorés de toute la création, comme un cri poussé au milieu du désert par le voyageur que surprend un lion.....¶ – Et si l’on vous mettait face à face avec un des hommes qui sont dans ce salon, en vous disant : – Voilà le meurtrier !..... Ne ne serait-ce pas un autre drame ?... lui demandai-je en l’interrompant., Et que feriez-vous ?....¶?¶ M.onsieur Hermann alla prendre son chapeau, et sortit.¶ – Vous agissez en jeune homme, et bien légèrement !...., me dit ma voisine. Regardez M. Mauricey !....Taillefer ! tenez !.... assis dans la bergère, là, au coin de la cheminée. Mademoiselle, mademoiselle Fanny lui présente une tasse de café ?.... Il sourit. Un assassin, que le récit de cette aventure aurait dû mettre au supplice, pourrait-il montrer tant de calme ? N’a-t-il pas un air vraiment patriarcal ?....¶?¶ – Oui, mais allez lui demander s’il a fait la guerre en Allemagne....., m’écriai-je.¶ – Pourquoi non ?¶ Et avec cette audace dont les femmes manquent rarement lorsqu’une entreprise leur sourit, ou que leur esprit est dominé par la curiosité, ma voisine s’avança vers le fournisseur.¶ – Vous avez étéêtes allé en Allemagne ?... lui dit-elle.¶ M. MauriceyTaillefer faillit laisser tomber sa soucoupe.¶ – Moi ! madame ?.... – Non, non jamais.....¶ – Que dis-tu donc là, Mauricey ?....Taillefer ! répliqua le banquier en l’interrompant, n’étais-tu pas dans les vivres, à la campagne de Wagram ?....¶?¶ – Ah, oui ! reprit M. Mauricey ;répondit monsieur Taillefer, cette fois-là, j’y suis allé.¶ – Vous vous trompez !.... C’est, c’est un bonhomme !....bon homme, me dit ma voisine en revenant près de moi.¶ – HéHé ! bien !, m’écriai-je, avant la fin de la soirée je chasserai le meurtrier hors de la fange où il se cache.....¶ Il se passe tous les jours sous nos yeux un phénomène moral d’une profondeur étonnante, et cependant trop simple pour être remarqué. Si dans un salon deux hommes se rencontrent, que dont l’un ait le droit de mépriser ou de haïr l’autre, soit par la connaissance d’un fait intime et latent dont il est entaché, soit par un tortétat secret, ou même par une vengeance à venir, ces deux hommes se devinent et pressentent l’abîme qui les séparerépare ou doit les séparer. Ils s’observent à leur insu, se préoccupent d’eux-mêmes. Leurs ; leurs regards, leurs gestes, laissent transpirer une indéfinissable émanation de leur pensée. Il , il y a un aimant entre eux ; et je . Je ne sais qui s’attire le plus fortement, de la vengeance ou du crime, de la haine ou de l’insulte. Semblables au prêtre qui ne pouvait consacrer l’hostie en présence du malin esprit, ils sont tous deux gênés, défiansdéfiants : l’un est poli, l’autre sombre, je ne sais lequel ; l’un rougit ou pâlit, l’autre tremble. Souvent le vengeur est aussi lâche que la victime ; car peu. Peu de gens ont le courage de produire un mal, même nécessaire ; et bien des hommes se taisent ou pardonnent en haine du bruit, ou par peur d’un dénoûment tragique.¶ Cette intus-susception de nos âmes et de nos sentimenssentiments établissait une lutte mystérieuse entre le fournisseur et moi. Depuis la première interpellation que je lui avais faite pendant le récit de M.monsieur Hermann, il fuyait mes regards ; peut. Peut-être aussi évitait-il ceux de tous les convives ! Il causait avec l’inexpériente Fanny, la fille du banquier ; éprouvant sans doute, comme tous les criminels, le besoin de se rapprocher de l’innocence, en espérant trouver du repos près d’elle : mais. Mais, quoique loin de lui, je l’écoutais, et mon œil perçant fascinait le sien. Quand il croyait pouvoir m’épier impunément, nos regards se rencontraient, et ses paupières s’abaissaient aussitôt.¶ Fatigué de ce supplice, M. MauriceyTaillefer s’empressa de le faire cesser en se mettant à jouer. J’allai parier pour son adversaire, mais en désirant perdre mon argent. Ce souhait fut accompli. Je remplaçai le joueur sortant, et me trouvai face à face avec le meurtrier.....¶ – Monsieur, lui dis-je pendant qu’il me donnait des cartes, auriez-vous la complaisance de démarquer ?....¶?¶ Il fit passer assez précipitamment ses jetons de gauche à droite.¶ Ma voisine étantétait venue près de moi, je lui jetai un coup d’œil significatif ; et, .¶ – Seriez-vous, demandai-je en m’adressant au fournisseur :¶ – Seriez-vous, demandai-je, M., monsieur Frédéric Mauricey dont Taillefer, de qui j’ai beaucoup connu la famille à Beauvais ?....¶?¶ – Oui, monsieur, répondit-il.¶ Puis, il Il laissa tomber ses cartes, pâlit, mit sa tête dans ses mains, pria l’un de ses parieurs de tenir son jeu, et se leva.¶ – Il fait trop chaud ici !...., s’écria-t-il. Je crains.....¶ Il n’acheva pas. Sa figure exprima tout à coup d’horribles souffrances, et il sortit brusquement.¶ Le maître de la maison accompagna M. MauriceyTaillefer, en paraissant prendre un vif intérêt à sa position.¶ Nous nous regardâmes, ma voisine et moi ; mais je trouvai je ne sais quelle teinte d’amère tristesse répandue sur sa physionomie.¶ – Votre conduite est-elle bien miséricordieuse !....? me demanda-t-elle en m’emmenant dans une embrasure de fenêtre au moment où je quittai le jeu, après avoir perdu. Voudriez-vous accepter le pouvoir de lire dans tous les cœurs ?..... Pourquoi ne pas laisser agir la justice humaine et la justice divine ?..... Si nous échappons à l’une, nous n’évitons jamais l’autre ! Et lesLes priviléges d’un président de Cour d’assises sont-ils donc bien dignes d’envie ?..... Vous avez presque fait l’office du bourreau ?....¶ – Après avoir partagé, stimulé ma curiosité, vous me faites de la morale !..... lui dis-je.¶!¶ – Vous m’avez fait réfléchir !..., me répondit-elle.¶ – Donc, paix aux scélérats, guerre aux malheureux, et déifions l’or !.... Mais, laissons cela, ajoutai-je en riant. Regardez, je vous prie, la jeune personne qui entre en ce moment dans le salon.....¶ – EhEh ! bien ?¶ – Je l’ai vue il y a trois jours au bal de l’ambassadeur de Naples ; j’en suis devenu passionnément amoureux. De grâce, dites-moi son nom. Personne n’a pu.....¶ – C’est mademoiselle Mauricey !....¶Victorine Taillefer !¶ J’eus un éblouissement.¶ – Sa belle-mère, me disait ma voisine, dont j’entendis à peine la voix, l’a retirée depuis peu du couvent. où s’est tardivement achevée son éducation. Pendant longtemps son père a refusé de la reconnaître. Elle vient ici pour la première fois...... Elle est bien belle !..... et – bien riche.¶ Ces paroles furent accompagnées d’un sourire sardonique.¶ En ce moment, nous entendîmes des cris violensviolents, mais étouffés. Ils semblaient sortir d’un appartement voisin, et retentissaient faiblement dans les jardins.¶ – N’est-ce pas la voix de M. Mauricey ?...monsieur Taillefer ? m’écriai-je.¶ Nous prêtâmes au bruit toute notre attention, et d’épouvantables gémissemensgémissements parvinrent à nos oreilles.¶ La femme du banquier accourut précipitamment vers nous, et ferma la fenêtre.¶ – Évitons les scènes, nous dit-elle. Si madame Mauriceymademoiselle Taillefer entendait son maripère, elle pourrait bien avoir une attaque de nerfs !....¶!¶ Le banquier rentra dans le salon, y chercha madame Mauricey, Victorine, et lui dit un mot à voix basse ; et aussitôt jetant. Aussitôt la jeune personne jeta un cri, elle s’élança vers la porte et disparut.¶ Cet événement produisit une grande sensation. Les parties cessèrent ; chacun. Chacun questionna son voisin ; le. Le murmure des voix grossit, et des groupes se formèrent.¶ – M. Mauriceyonsieur Taillefer se serait-il ?... demandai-je.¶ – Tué !....., s’écria ma railleuse voisine. Vous en porteriez gaîmentgaiement le deuil, je pense !¶ – Mais que lui est-il donc arrivé ?¶ – Le pauvre bonhomme, répondit la maîtresse de la maison, est sujet à une maladie dont je n’ai pu retenir le nom, quoique M.monsieur Brousson me l’ait dit assez souvent ;, et il vient d’en avoir un accès.....¶ – Quel est donc le genre de cette maladie ?..... demanda soudain un juge d’instruction.¶ – Oh ! c’est un terrible mal !...., monsieur, répondit-elle. Les médecins n’y connaissent pas de remède... Il paraît que les souffrances en sont atroces..... Un jour, ce malheureux MauriceyTaillefer ayant eu un accès pendant son séjour à ma terre, j’ai été obligée d’aller chez une de mes voisines pour ne pas l’entendre ; car, alors, il pousse des cris terribles, il veut se tuer, ; sa femme estfille fut alors forcée de le faire attacher sur son lit, et de lui mettre quelquefois la camisole des fous. Il Ce pauvre homme prétend avoir dans la tête des animaux qui lui rongent la cervelle... Ce sont : c’est des élancemensélancements, des coups de scie, des tiraillemenstiraillements horribles dans l’intérieur de chaque nerf..... Il souffre tant à la tête, qu’il ne sentait pas les moxas qu’on lui appliquait jadis pour essayer de le distraire...... Mais M. ; mais monsieur Brousson, qu’il a pris pour médecin, les a défendus, en prétendant que c’était une affection nerveuse, une inflammation de nerfs, pour laquelle il fallait des sangsues au cou et de l’opium sur la tête.... Et le fait est, que ; et, en effet, les accès sont devenus plus rares, et ne le prennentn’ont plus guèreparu que tous les ans, vers la fin de l’automne. Quand il est rétabli, le pauvre homme Taillefer répète sans cesse qu’il aurait [Coquille du Furne : aimerait.] mieux aimé être roué ou tiré à quatre chevaux...., que de ressentir de pareilles douleurs.¶ – Alors, il paraît qu’il souffre beaucoup !..., dit un agent de change, le bel esprit du salon.¶ – Oh ! reprit-elle, l’année dernière il a failli périr..... Il avait étéétait allé seul à sa terre ; et,, pour une affaire pressante ; faute de secours peut-être, il est resté vingt-deux heures étendu roide, raide, et comme mort. Il n’a été sauvé que par un bain très -chaud.....¶ – C’étaitC’est donc une espèce de tétanos ?.... demanda l’agent de change.¶ – Je ne sais pas, reprit-elle ; mais voilà. Voilà près de trente ans qu’il a jouit de cette maladielà.... Il a gagné cela gagnée aux armées..... Il ; il lui est entré, dit-il, un éclat de bois dans la tête en tombant dans un bateau.... M. ; mais Brousson espère le guérir... On prétend que les Anglais ont trouvé le moyen de traiter sans danger cette maladie-là par l’acide prussique.....¶ En ce moment, un cri plus perçant que les autres retentit dans la maison, et nous glaça d’horreur.....¶ – EhEh ! bien !, voilà ce que j’entendais à tout moment !...., reprit la femme du banquier.... Cela me faisait sauter sur ma chaise et m’agaçait les nerfs.... Mais, chose extraordinaire ! ce pauvre MauriceyTaillefer, tout en souffrant des douleurs inouïes, ne risque jamais de mourir..... Il mange et boit comme à l’ordinaire pendant les momensmoments de répit que lui laisse cet horrible supplice.... La (la nature est bien bizarre !....!). Un médecin allemand lui a dit que c’était une espèce de goutte à la tête ; cela s’accorderait assez avec l’opinion de M. Brousson.....¶ Je quittai le groupe qui s’était formé autour de la maîtresse du logis, et sortis avec Mlle Mauriceymademoiselle Taillefer, qu’un valet vint chercher.....¶ – Oh ! mon Dieu ! mon Dieu ! s’écria-t-elle en pleurant, qu’a donc fait mon père au ciel pour avoir mérité de souffrir ainsi !... Un ?... un être si bon !....¶!¶ Je descendis l’escalier avec elle. En , et en l’aidant à monter dans la voiture, j’y vis son père courbé en deux. Madame MauriceyMademoiselle Taillefer essayait d’étouffer les gémissemens gémissements de son mari, père en lui couvrant la bouche d’un mouchoir. Malheureusement ; malheureusement, il m’aperçut. Sa , sa figure parut se crisper encore davantage. Un , un cri convulsif fendit les airs, il me jeta un regard horrible, et la voiture partit.¶ V.¶ LE CAS DE CONSCIENCE.¶ CECe dîner, cette soirée, exercèrent une cruelle influence sur ma vie et sur mes sentimens.¶ sentiments. J’aimai madamoiselle Mauriceymademoiselle Tailleter, précisément peut-être parce que l’honneur et la délicatesse m’interdisaient de m’allier à un assassin, toutquelque bon père et bon époux qu’il pût être.....¶ Une incroyable fatalité m’entraînait à me faire présenter dans les maisons où je savais pouvoir rencontrer Joséphine.Victorine. Souvent, après m’être donné à moi-même ma parole d’honneur de renoncer à la voir, le soir même je me trouvais près d’elle. Mes plaisirs étaient immenses. Mon légitime amour, plein de remords chimériques, avait la couleur d’une passion criminelle. Je me méprisais de saluer M. MauriceyTaillefer, quand par hasard il était avec sa fille ; mais je le saluais !....¶Enfin, par malheur, JoséphineVictorine n’est pas seulement une jolie personne ; de plus elle est instruite, remplie de talenstalents, de grâces, sans la moindre pédanterie, sans la plus légère teinte de prétention. Elle cause avec réserve, elle est accorte, gaie. Son ; et son caractère a des attraits auxquelsgrâces mélancoliques auxquelles personne ne sait résister. Elle ; elle m’aime, ou du moins elle me le laisse croire ; elle a un certain sourire qu’elle ne trouve que pour moi ; et, pour moi, sa voix s’adoucit encore..... Oh ! elle m’aime ;! mais elle adore son père, mais elle m’en vante la bonté, la douceur, les qualités exquises ; et ces. Ces éloges sont autant de coups de poignard qu’elle me donne dans le cœur.¶ Un jour, je me suis trouvé presque complice du crime sur lequel repose l’opulence de la famille Mauricey. J’ai Taillefer : j’ai voulu demander la main de Joséphine.Victorine. Alors j’ai fui, j’ai voyagé, j’ai étéje suis allé en Allemagne, à Andernach..... Mais – je suis revenu. J’ai retrouvé JoséphineVictorine pâle. Elle, elle avait maigri !.... Si si je l’avais revue bien portante, gaie, j’étais sauvé !....¶ Ma passion s’est rallumée avec une violence extraordinaire ; et, craignant. Craignant que mes scrupules ne dégénérassent en monomanie, je résolus de convoquer un sanhédrin de consciences pures, afin de jeter quelques lumièresquelque lumière sur ce problème de haute morale et de philosophie. La question s’était encore bien compliquée depuis mon retour.¶ Avant-hier donc, j’ai réuni ceux de mes amis auxquels j’accorde le plus de probité, de délicatesse et d’honneur.¶ J’avais invité deux Anglais, un secrétaire d’ambassade et un puritain ; un ancien ministre dans toute la maturité de la politique ; des jeunes gens encore sous le charme de l’innocence ; un prêtre, un vieillard ; puis mon ancien tuteur, homme naïf, qui m’a rendu le plus beau compte de tutelle dont il y aitla mémoire soit restée au Palais ; un avocat, un notaire, un juge, enfin toutes les opinions sociales, toutes les vertus pratiques.¶ Nous avons commencé par bien dîner, bien parler, bien crier ; puis, au dessert, j’ai raconté naïvement mon histoire, et demandé unquelque bon avis en cachant le nom de ma prétendue.¶ – Conseillez-moi, mes amis, leur dis-je en terminant. Discutez longuement la question, comme s’il s’agissait d’un projet de loi. L’urne et les boules du billard vont vous être apportées, et vous voterez pour ou contre mon mariage, dans tout le secret voulu par un scrutin !....¶!¶ Un profond silence régna soudain.¶ Le notaire se récusa.¶ – Il y a, dit-il, un contrat à faire.¶ Le vin avait réduit mon ancien tuteur au silence, et il fallait le mettre en tutelle pour qu’il ne lui arrivât aucun malheur en retournant chez lui.¶ – Je comprends !.... m’écriai-je. Ne pas donner son opinion, c’est me dire énergiquement ce que je dois faire.¶ Il y eut un mouvement dans l’assemblée.¶ – Ainsi que la vertu le crime a ses degrés !.... s’écria un Un propriétaire qui avait souscrit pour les enfansenfants et la tombe du général Foy.¶, s’écria :¶ – Ainsi que la vertu le crime a ses degrés !¶ – Bavard !.... me dit l’ancien ministre à voix basse, en me poussant le coude.¶ – Où est la difficulté ? demanda M. le un duc de JENESAISQUOI, dont la fortune consiste en biens confisqués à des protestansprotestants réfractaires lors de la révocation de l’édit de Nantes.¶ L’avocat se leva :¶: – En droit, l’espèce qui nous est soumise ne constituerait pas la moindre difficulté. Monsieur le duc a raison !.... s’écria l’organe de la loi. N’y a-t-il pas prescription ?... Où en serions-nous tous s’il fallait rechercher l’origine des fortunes ?....! Ceci est une affaire de conscience ; et, si. Si vous voulez absolument porter la cause devant un tribunal, allez à celui de la pénitence.....¶ Le Code incarné se tut, s’assit et but un verre de vin de Champagne.¶ L’homme chargé d’expliquer l’Évangile, le bon prêtre, se leva.¶ – Dieu nous a faits fragiles, dit-il avec fermeté. Si vous aimez l’héritière du crime, épousez-la, mais contentez-vous du bien matrimonial, et donnez aux pauvres celui du père.....¶ – Mais, s’écria l’un de ces ergoteurs sans pitié qui se rencontrent si souvent dans le monde, le père n’a peut-être fait un beau mariage que parce qu’il s’était enrichi..... Le moindre de ses bonheurs n’a-t-il donc pas toujours été un fruit du crime ?....¶?¶ – La discussion est en elle-même une sentence ! Il y aest des choses sur lesquelles un homme ne délibère pas...., s’écria mon ancien tuteur, qui crut éclairer l’assemblée par une saillie d’ivresse.¶ – Oui !... dit le secrétaire d’ambassade.¶ – Oui !... s’écria le prêtre.¶ Ces deux hommes ne s’entendaient pas.¶ Un jeune doctrinaire auquel il n’avait guère manqué que 150cent cinquante voix sur 155 votanscent cinquante-cinq votants pour être élu député, se leva :¶.¶ – Messieurs, cet accident phénoménal de la nature intellectuelle est un de ceux qui sortent le plus vivement de l’état normal auquel est soumise la société..., dit-il. Donc, la décision à prendre doit être un fait extemporané de notre conscience, un concept soudain, un jugement instinctifinstructif, une nuance fugitive de notre appréciationappréhension intime, assez semblable aux éclairs qui constituent le sentiment du goût... Votons.....¶ – Votons !... s’écrièrent mes convives.¶ Je fis donner à chacun deux boules, l’une blanche, l’autre rouge. Le blanc, symbole de la virginité, devaitdevrait proscrire le mariage ; et la boule rouge, l’approuver.¶ Je m’abstins de voter par délicatesse.¶ Mes amis étaient 17 ; dix-sept, le nombre neuf formait la majorité absolue, 9.¶. Chacun alla mettre sa boule dans le panier d’osier à col étroit, où s’agitent les billes numérotées quand les joueurs tirent leurs places à la poule, et nous fûmes agités par une assez vive curiosité, car ce scrutin de morale épurée avait quelque chose d’original.¶ Au dépouillement du scrutin, je trouvai 9neuf boules blanches !.... Ce résultat ne me surprit pas ; mais je m’avisai de compter les jeunes gens de mon âge que j’avais mis parmi mes juges. Ces casuistes étaient au nombre de 9. Ils neuf, ils avaient tous eu la même pensée.¶ – Oh ! oh !... me dis-je, il y a unanimité contre secrète pour le mariage !...mariage et unanimité pour me l’interdire ! Comment sortir d’embarras ?....¶?¶ – Où demeure le beau-père ?... demanda étourdiment un de mes camarades de collége, moins dissimulé que les autres.¶ – Il n’y a plus de beau-père !...., m’écriai-je. Jadis ma conscience parlait assez clairement pour rendre votre arrêt superflu. Et si aujourd’hui sa voix s’est affaiblie, voici les motifs de ma couardise. Je reçus, il y a deux mois, cette lettre séductrice.¶ Alors, je Je leur montrai l’invitation suivante, que je tirai de mon portefeuille :¶.¶ ¶ « VOUS ÊTES PRIÉ D’ASSISTER AUX CONVOI, SERVICE ET ENTERREMENT DE M. JEAN-FRÉDÉRIC MAURICEY TAILLEFER, DE LA MAISON TAILLEFER ET COMPAGNIE, ANCIEN FOURNISSEUR DES VIVRES-VIANDES, EN SON VIVANT, CHEVALIER DE LA LÉGION D’HONNEUR ET DE L’ÉPERON D’OR, CAPITAINE DE LA 1re PREMIÈRE COMPAGNIE DE GRENADIERS DE LA 2me DEUXIÈME LÉGION DE LA GARDE NATIONALE DE PARIS, DÉCÉDÉ LE 1er PREMIER MAI DANS SON HÔTEL,RUE JOUBERT, ET QUI SE FERONT A..... etc.¶ »¶ « « De la part de..... etc. »¶ DÉCISION.¶ – Maintenant, que faire ?... repris-je. Je vais vous poser la question très -largement.¶ Il y a bien certainement une mare de sang dans les terres de mademoiselle Mauricey !... La Taillefer, la succession de son père est un vaste hacelma. Je le sais.....¶ Mais Prosper Magnan n’a pas laissé d’héritiers ;¶ Mais; mais il m’a été impossible de retrouver la famille du fabricant d’épingles assassiné à Andernach.¶ A qui restituer la fortune ?¶ Et doit-on restituer toute la fortune ?¶ Ai-je le droit de trahir un secret surpris, d’augmenter d’une tête coupée la dot d’une innocente jeune fille, de lui faire faire de mauvais rêves, de lui ôter une belle illusion, de lui tuer son père une seconde fois, en lui disant : Tous vos écus sont tachés ?....¶ J’ai emprunté le Dictionnaire des cas de Conscience Cas de conscience à un vieil ecclésiastique, et n’y ai point trouvé de solution à mes doutes.¶ Faire une fondation pieuse pour l’âme de Prosper Magnan, de Walhenfer, de Mauricey.....¶ NousTaillefer ? nous sommes en 1831.¶plein dix-neuvième siècle. Bâtir un hospice ou instituer un prix de vertu !.... Mais, le prix de vertu sera donné à des fripons !..... Quant à la plupart de nos hôpitaux, ils me semblent devenus aujourd’hui les protecteurs du vice !¶ D’ailleurs seraient-ceces placements plus ou moins profitables à la vanité constitueront-ils des réparations ?..... Et et les dois-je ?¶ Puis j’aime, et j’aime avec passion !.... Mon amour est ma vie ! Si je propose sans motif à une jeune fille habituée au luxe, à l’élégance, à une vie fécondefertile en jouissances d’arts, à une jeune fille qui aime à écouter paresseusement aux Bouffons la musique de Rossini, si donc je lui propose de se priver de 1,500,000 fr.quinze cent mille francs en faveur de vieillards stupides ou de galeux chimériques, elle me tournera le dos en riant, ou sa mèrefemme de confiance me prendra pour un mauvais plaisant..... Si ; si, dans une extase d’amour, je lui vante les charmes d’une vie médiocre, et ma petite maison sur les bords de la Loire ;, si je lui demande le sacrifice de sa vie parisienne au nom de notre amour, ce sera d’abord un vertueux mensonge ; puis, je ferai peut-être là quelque triste expérience, et perdrai le cœur de cette jeune fille, amoureuse du bal, folle de parure, et – de moi – pour le moment. Elle me sera enlevée enlevée par un officier mince et pimpant, qui aura une moustache bien frisée, jouera du piano, vantera Victor Hugolord Byron, et montera joliment à cheval !....¶. Que faire ?..... Messieurs, de grâce, un conseil ?...¶ L’honnête homme, cette espèce de puritain, assez semblable au père de Jenny Deans, dont de qui je vous ai déjà parlé, et qui jusque-là n’avait soufflé mot, haussa les épaules, en me disant :¶: – Imbécile, pourquoi lui as-tu demandé s’il était de Beauvais ?....¶!¶ —¶ Paris, mai 1831.¶ COMPARAISON ENTRE NOTICE BIOGRAPHIQUE SUR LOUIS LAMBERT (1832) ET LOUIS LAMBERT (FURNE CORRIGÉ 1846) Dans la comparaison qui suit le texte de Notice biographique sur Louis Lambert (1832) sert de texte de base. Les mots, les phrases, les passages rayés reflètent ce texte. Les mots, les phrases, les passages non-rayés indiquent la conformité entre ce texte et celui du Furne corrigé. Les mots, les phrases, les passages en rouge constituent des substitutions ou des additions apportées dans le texte du Furne corrigé. NOTICE BIOGRAPHIQUE SUR LOUIS LAMBERT.¶¶ Dilectae dicatum DÉDICACE¶ Et nunc et semper. 1822-1832.¶ dilectae dicatum.¶ NOTICE BIOGRAPHIQUE SUR LOUIS LAMBERT.¶ ¶ LOUIS LAMBERT Louis Lambert naquit, en 1797, à Montoire, petite ville du Vendômois, où son père avaitexploitait une tannerie de peu d’importance. Jacques Lambert voulait sans doute médiocre importance et comptait faire de lui son fils un tanneursuccesseur ; mais la répugnance de l’enfant pour ce métier désagréable, et les dispositions peu communes qu’il montra de bonne heuremanifesta prématurément pour l’étude changèrent à son égard le bon plaisirmodifièrent cet arrêt paternel. Le tanneur et sa femme, voyant dans l’état ecclésiastique un moyen de sauver leur fils de la conscription, l’envoyèrent, en 1807, chez son oncle maternel, qui était curé à Mer, autre petite ville, située sur la Loire, près de Blois.¶ A cette époque, Louis avait dix ans, et les remplaçans coûtaient déjà trop cher pour que plus tard la fortune de ses parens leur permît d’en acheter un, car déjà les familles retenaient d’avance et payaient des hommes, afin de n’en pas manquer au moment du tirage. Le parti que prirent le père et la mère de Louis satisfaisait donc tout à la fois à sa passion pour la science, à leur désir de le conserver, et son intelligence précoce leur donnait en outre l’espoir de lui voir faire une grande fortune dans l’église.¶ D’ailleurs le tanneur et sa femme chérissaient Louis comme on chérit un fils unique et ne le contrariaient en rien. L’Ancien et le Nouveau Testament étaient tombés entre les mains de Louis à l’âge de cinq ans ; et ce livre, où sont contenus tant de livres, avait décidé de sa destinée. Cette enfantine imagination compritelle déjà la mystérieuse profondeur des Écritures, pouvait-elle déjà suivre l’Esprit-Saint dans son vol à travers les mondes, s’éprit-elle seulement des romanesques attraits qui abondent en ces poèmes orientaux ; ou, dans sa première innocence, cette âme sympathisa-t-elle avec le sublime religieux que des mains divines ont épanché dans ce livre ! Pour quelques lecteurs, notre récit résoudra ces questions. Un fait résulta de cette première lecture de la Bible : Louis allait par tout Montoire, y quêtant des livres qu’il obtenait à la faveur de ces séductions dont le secret n’appartient qu’aux enfants, et auxquelles personne ne sait résister. En se livrant à ces études, dont le cours n’était dirigé par personne, il atteignit à sa dixième année. A cette époque, les remplaçants étaient rares ; déjà plusieurs familles riches les retenaient d’avance pour n’en pas manquer au moment du tirage. Le peu de fortune des pauvres tanneurs ne leur permettant pas d’acheter un homme à leur fils, ils trouvèrent dans l’état ecclésiastique le seul moyen que leur laissât la loi de le sauver de la conscription, et ils l’envoyèrent, en 1807, chez son oncle maternel, curé de Mer, autre petite ville située sur la Loire, près de Blois. Ce parti satisfaisait tout à la fois la passion de Louis pour la science et le désir qu’avaient ses parents de ne point l’exposer aux affreuses chances de la guerre ; ses goûts studieux et sa précoce intelligence donnaient d’ailleurs l’espoir de lui voir faire une grande fortune dans l’Église. Après être resté pendant environ trois ans chez son oncle, vieil oratorien assez instruit, Louis Lambert en sortit au commencement de 1811, pour entrer au collége de Vendôme, où il fut mis et entretenu aux frais de madame de Staël.¶ Lambert dut la protection de cette femme célèbre au hasard ou sans doute à la Providence qui prend presquesait toujours soin des artistes dans leur dénuement ou pendant leur enfance. Mais ces vicissitudes, dont la vie des grands hommes nous offre tant d’exemples, ne sont peut-être que le résultat d’un phénomène tout physique ; et peut-être, la rencontre, parmi la foule, d’une jeune intelligence pleine d’avenir produit-elle aux sens exercés des connaisseurs, un effet analogue à celui que font les belles et fortes plantes qui attirent les yeux d’un botaniste en s’élevant dans une prairie au-dessus de toutes les autres.¶ aplanir les voies au génie délaissé. Mais pour nous, de qui les regards s’arrêtent à la superficie des choses humaines, ces vicissitudes, dont tant d’exemples nous sont offerts dans la vie des grands hommes, ne semblent être que le résultat d’un phénomène tout physique ; et, pour la plupart des biographes, la tête d’un homme de génie tranche sur les masses comme une belle plante qui par son éclat attire dans les champs les yeux du botaniste. Cette comparaison peut au moinspourrait s’appliquer à l’aventure de Louis Lambert. Il qui venait ordinairement passer chez son pèredans la maison paternelle le temps que son oncle lui accordait pour ses vacances ; mais au lieu de s’y livrer, selon l’habitude des écoliers, aux douceurs de ce bon far niente dont nous sommes assez avidesfarniente qui nous affriole à tout âge, il emportait, dès le matin, du pain et des livres, ; puis s’en il allait lire et méditer au fond des bois sans craindre d’être distrait par pour se dérober aux remontrances de sa mère, à laquelle une étude aussi constante paraissait dangereuse : admirablede si constances études paraissaient dangereuses. Admirable instinct de mère !...¶ Dès ce temps, la lecture était devenue chez Louis une espèce d’appétit moralde faim que rien ne pouvait assouvir. Dévorant les, il dévorait des livres de tout genre, il et se repaissait indistinctement d’œuvres religieuses, d’histoire, de philosophie, et de physique. Il m’a dit avoir, à cette époque, éprouvé d’incroyables délices en lisant des dictionnaires, à défaut d’autres ouvrages ;, et je l’ai cru volontiers, car j’ai souvent . Quel écolier n’a maintes fois trouvé moi-même du plaisir à chercher le sens probable d’un substantif inconnu.¶ ? L’analyse d’un mot, sa physionomie, son histoire, étaient, pour lui, les clésLambert l’occasion d’une longue rêverie ; mais. Mais ce n’était pas cette la rêverie instinctive par laquelle un enfant s’habituen’habitue aux phénomènes de la vie, s’enhardit aux perceptions ou morales ou physiques, ; culture involontaire, qui, plus tard, porte ses fruits en se développant par et dans l’entendement ou paret dans le caractère. ; non, Louis embrassait le fait, l’expliquait, les faits, il les expliquait après en recherchaitavoir recherché tout à la fois la cause le principe et la fin avec une perspicacité sagace. Aussi pouvait-il, dès l’âge de quatorze ans, par un de ces jeux effrayans que la nature se plaît parfois à produire, émettre des idées dont je n’ai que long-temps après entièrement saisi la profondeur, et qui attestent la vérité de son existence tout anormale.¶de sauvage. Aussi, par un de ces jeux effrayants auxquels se plaît parfois la Nature, et qui prouvait l’anomalie de son existence, pouvait-il dès l’âge de quatorze ans émettre facilement des idées dont la profondeur ne m’a été révélée que longtemps après.¶ – J’ai souvent fait– Souvent, me dit-il plus tard , en me parlant de ses lectures, j’ai accompli de délicieux voyages, embarqué danssur un mot surdans les abîmes du passé, comme un insecte flottant sur un l’insecte qui posé sur quelque brin d’herbe flotte au gré d’un fleuve dans une coquille. Je partais. Parti de la Grèce, j’arrivais à Rome et traversais l’étendue des âges modernes ! – . Quel beau livre ne composerait-on pas en racontant la vie et les aventures d’un mot ! Sans ? sans doute il a reçu diverses impressions des événemensévénements auxquels il a servi ; puis, selon les lieux, il a réveillé des idées différentes ; mais n’est-il pas plus grand encore à considérer sous le triple aspect de l’âme, du corps, de l’âme et de la vie ? et du mouvement ? A le regarder en lui-même, abstraction faite de ses fonctions, de ses effets et de ses actes, n’y a-t-il pas de quoi tomber dans un océan de réflexions ?... La plupart des mots ne sont-ils pas teints de l’idée qu’ils sont destinésreprésentent extérieurement ? à représenter ? A quel génie sont-ils dus ?...! S’il faut une grande intelligence pour créer un mot, de quelle antiquité sacrée quel âge a donc la parole humaine ne procède-t-elle pas ?... L’assemblage des lettres, leurs formes, le dessin qu’elles figurent dans un mot, prototypent admirablement bien, en tout pays, l’être inconnu dont il est le portrait. N’y a-t-il pas, dans le mot vrai, une sorte de rectitude fantastique ; et, dans le son bref qu’il fait rendre, une vague image de la nudité, de la simplicité chaste du vrai en toute chose ? Il y a je ne sais quelle fraîcheur dans ce mot !... J’ai pris pour exemple la formule d’une idée abstraite, ne voulant pas expliquer le problème par un mot où il soit aussi naïvement compréhensible que dans celui de tourniquet, où tout parle aux sens.humaine ? L’assemblage des lettres, leurs formes, la figure qu’elles donnent à un mot, dessinent exactement, suivant le caractère de chaque peuple, des êtres inconnus dont le souvenir est en nous. Qui nous expliquera philosophiquement la transition de la sensation à la pensée, de la pensée au verbe, du verbe à son expression hiéroglyphique, des hiéroglyphes à l’alphabet, de l’alphabet à l’éloquence écrite, dont la beauté réside dans une suite d’images classées par les rhéteurs, et qui sont comme les hiéroglyphes de la pensée ? L’antique peinture des idées humaines configurées par les formes zoologiques n’aurait-elle pas déterminé les premiers signes dont s’est servi l’Orient pour écrire ses langages ? Puis n’aurait-elle pas traditionnellement laissé quelques vestiges dans nos langues modernes, qui toutes se sont partagé les débris du verbe primitif des nations, verbe majestueux et solennel, dont la majesté, dont la solennité décroissent à mesure que vieillissent les sociétés ; dont les retentissements si sonores dans la Bible hébraïque, si beaux encore dans la Grèce, s’affaiblissent à travers les progrès de nos civilisations successives ? Est-ce à cet ancien Esprit que nous devons les mystères enfouis dans toute parole humaine ? N’existe-t-il pas dans le mot VRAI une sorte de rectitude fantastique ? ne se trouve-t-il pas dans le son bref qu’il exige une vague image de la chaste nudité, de la simplicité du vrai en toute chose ? Cette syllabe respire je ne sais quelle fraîcheur. J’ai pris pour exemple la formule d’une idée abstraite, ne voulant pas expliquer le problème par un mot qui le rendît trop facile à comprendre, comme celui de VOL, où tout parle aux sens. N’en est-il pas ainsi pourde chaque verbe ? Tous tous sont empreints d’un vivant pouvoir qu’ils tiennent de l’âme, et qu’ils lui y restituent par les mystères d’une action et d’une réaction merveilleuses entre la parole et la pensée.... On Ne dirait -on pas d’un amant qui puise sur les lèvres de sa maîtresse autant d’amour qu’il lui en communique. – ? Par leur seule physionomie, par la vision de la lecture, les mots réveillentraniment dans notre cerveau les créatures dont auxquelles ils sont les fantômes, le servent de vêtement, le fourreau..... Comme. Semblables à tous les êtres, ils n’ont qu’une place où leurs propriétés puissent pleinement agir et se développer... Mais pour épuiser ce sujet, il faudrait créer comporte peut-être une science, peut-être....¶ tout entière ! Et il haussait les épaules comme pour me dire :¶– : Nous sommes bien et trop grands et bien trop petits !....¶!¶ Du reste, la La passion de Louis pour la lecture avait été d’ailleurs fort bien servie. Le curé de Mer possédait environ deux à trois mille volumes. Ce trésor bibliographique lui avait peu coûté, car il provenait des pillages faits pendant la révolution dans les abbayes et les châteaux voisins. Or, le bonhomme, en En sa qualité de prêtre assermenté, le bonhomme avait pu choisir, pour un morceau de pain, suivant son expression, les meilleurs ouvrages parmi les collections précieuses qui furent alors vendues au poids et à vil prix.¶. En trois ans, Louis Lambert s’était assimilé la substance de tous les des livres qui, dans la bibliothèque de son oncle, méritaient la peine d’être lus.¶ L’absorption des idées par la lecture était devenue chez lui un phénomène curieux. Il ; son œil embrassait sept à huit lignes d’un seul coup d’œil, et son esprit en appréhendaitappréciait le sens avec une vélocité égalepareille à celle du de son regard. Souvent ; souvent même un seul mot dans la phrase suffisait pour lui en faire saisir la pensée.le suc. Sa mémoire était prodigieuse. Il se souvenait avec une même fidélité des idées pensées acquises par la lecture ouet de celles que la réflexion ou la conversation lui avaient suggérées ; enfin,. Enfin il avait la mémoire des possédait toutes les mémoires : celles des lieux, des noms, des motsmois, des choses et des figures. Non -seulement il se rappelait les objets à volonté, ; mais encore il les revoyait en lui-même, disposés situés, éclairés, colorés, entourés comme ils l’étaient au moment où il les avait vus.¶ aperçus. Cette puissance de vision s’appliquait également aux idées, car il actes les plus insaisissables de l’entendement. Il se souvenait, suivant son expression, non-seulement du gisement des pensées dans le livre où il les avait prises, et de ses propres mais encore des dispositions d’de son âme à des époques éloignées. Alors, par Par un privilége inouï, sa mémoire pouvait donc lui retracer les progrès de son intelligence, et la vie entière de son esprit, depuis l’idée la plus anciennement acquise jusqu’à la dernière éclose, depuis la plus confuse jusqu’à la plus lucide. Son âme, habituée,cerveau, habitué jeune encore, au difficile mécanisme si difficile de la concentration intérieure des forces humaines, tirait de ce riche dépôt une foule d’images admirables de réalité, de fraîcheur, dont desquelles il se nourrissait pendant la durée de ses limpides contemplations limpides.¶ – Quand je le veux, me disait-il dans son langage, auquel les trésors de sa mémoire du souvenir communiquaient une sorte d’originalité précocehâtive originalité, je tire un voile sur mes yeux ; soudain,. Soudain je rentre en moi-même, et j’y trouve une chambre noire où tous les accidensles accidents de la nature viennent se reproduire dans sous une forme plus pure que celle dont ils paraissent revêtusla forme sous laquelle ils sont d’abord apparus à mes sens extérieurs.¶ A l’âge de douze ans, son imagination, stimulée par le perpétuel exercice de toutes ses facultés mentales, s’était développée au point de lui permettre d’avoir des idéesnotions si exactes sur les choses dont il prenait connaissancequ’il percevait par la lecture seulement, que l’image imprimée dans son âme n’n’en eût pas été plus vive, s’il les avait réellement vues ; soit qu’il procédât par analogie, soit qu’il fût doué d’une espèce de seconde vue par laquelle il embrassait la nature.¶ – En lisant le récit de la bataille d’Austerlitz, me dit-il un jour, j’en ai vu tous les incidents. Les volées de canon, les cris des combattants retentissaient à mes oreilles et m’agitaient les entrailles ; je sentais la poudre, j’entendais le bruit des chevaux et la voix des hommes ; j’admirais la plaine où se heurtaient des nations armées, comme si j’eusse été sur la hauteur du Santon. Ce spectacle me semblait effrayant comme une page de l’Apocalypse.¶ Quand il employait ainsi toutes ses forces dans une lecture, il perdait en quelque sorte la conscience de sa vie physique, et n’existait plus que par le jeu tout-puissant de ses organes intérieurs, dont il avait constamment étendu la portée, faisant s’était démesurément étendue : il laissait, suivant son expression, reculer l’espace devantderrière lui. Mais je ne veux pas anticiper sur les phases intellectuelles de sa vie ; et j’ai. Malgré moi déjà, malgré moi, intervertije viens d’intervertir l’ordre dans lequel je dois dérouler l’histoire de cet homme qui futtransporta toute son action dans sa pensée, comme un autre est tout actiond’autres placent toute leur vie dans l’action.¶ Il avait un Un grand penchant pour l’entraînait vers les ouvrages mystiques.¶ – Abyssus, abyssum, me disait-il ; les abîmes s’attirent. Notre esprit, l’une des choses les plus incompréhensibles, aime l’incompréhensible ; et nous sommes tous . Notre esprit est un abîme qui se plaît dans les abîmes. Enfants, hommes, vieillards, nous sommes toujours friands de mystères, sous quelque forme qu’ils se présentent.¶ Cette prédilection lui fut fatale, s’il est permis, toutefois, de juger sa vie selon les lois ordinaires, et d’apprécierde toiser le bonheur d’autrui à avec la mesure du nôtre, ou suivant d’après les préjugés sociaux. Ce goût pour les choses du ciel, autre phrase dont il se servaitlocution qu’il employait souvent, ce mens divinior était dû peut-être à l’influence exercée sur son esprit par ses premières lectures.les premiers livres qu’il lut chez son oncle. Sainte Thérèse et madame Guyon lui continuèrent la Bible, eurent les prémices de son adulte intelligence, et l’habituèrent à ces vives réactions de l’âme dont l’extase est tout à la fois et le moyen et le résultat. Mais aussi cetteCette étude et, ce goût élevèrent son cœur, le purifièrent, l’ennoblirent, lui donnèrent appétit de la nature divine, et l’instruisirent des délicatesses presque féminines qui deviennent sont instinctives chez les grands hommes ; car le: peut-être leur sublime n’est peut-être-il que le besoin de dévouement qui distingue la femme, mais transporté dans les grandes choses. Grâce à cette tendance éthéréeces premières impressions, Louis resta pur au collége, et cette pureté. Cette noble virginité de sens eut sans doutenécessairement pour effet d’ameublir sans cessed’enrichir la chaleur de son sang et d’agrandir les hautes facultés de son cerveausa pensée.¶ La baronne de Staël ayant été exilée, bannie à quarante lieues de Paris, vint passer quelque tempsplusieurs mois de son exil dans une terre située prèsprés de Vendôme. Un jour, en se promenant, elle rencontra, sur la lisière du parc, mon Lambert, l’enfant du tanneur presque en haillons, et absorbé par un livre. Or, ce Ce livre était une traduction du Ciel et de l’Enfer.CIEL ET DE L’ENFER. A cette époque, messieurs deMM. Saint-Martin, de Gence, et quelques esprits autres écrivains français, à moitié allemands, étaient à peu près presque les seules personnes qui, dans l’Empirel’empire français, connussent le nom de Swedenborg. Étonnée, madame de Staël prit le livre avec cette brusquerie dont qu’elle affectait de mettre dans ses interrogations, ses regards, et ses gestes, n’étaient pas toujours exempts, et ; puis, lançant un regard vifcoup d’œil à Lambert :¶: – Est-ce que tu comprends cela ?.... lui dit-elle.¶ – Priez- vous Dieu ?... demanda l’enfant.¶ – Mais..... Oui !... répondit-elle.¶. – Et le comprenez-vous ?...¶?¶ La baronne resta muette pendant un moment ; puis, elle s’assit auprès de Lambert, et ils causèrent ensemble ; mais, malheureusementse mit à causer avec lui. Malheureusement ma mémoire, quoique fort étendue, est loin d’être aussi fidèle que l’était celle de mon camarade, et j’ai tout oublié de cette conversation, hormis les premiers mots.¶ Cette rencontre frappa était de nature à vivement frapper madame de Staël : cependant; à son retour au château, elle en parla peu, contre son habitude, quand elle fut de retour au châteaumalgré le besoin d’expansion qui, chez elle, dégénérait en loquacité ; mais elle en parut fortement préoccupée. La seule personne encore vivante qui ait pu gardergardé le souvenir de cette aventure vivait , et que j’ai questionnée afin de recueillir le peu de paroles alors dans l’intimité de cette illustre femme, et pouvait sympathiser avec sa vaste intelligence ; mais quand je questionnai récemment cette personne, afin de recueillir le peu de paroles échappées à madame de Staël, tout ce qu’elle retrouva difficilement dans sa mémoire fut ce mot dit par elle à plusieurs reprises en pensant à Lambert :¶– la baronne, à propos de Lambert : C’est un vrai voyant !....¶ Louis n’ayant pas justifié . Louis ne justifia point aux yeux des gens du monde les belles espérances qu’il avait fait concevoirinspirées à sa protectrice, la . La prédilection passagère dont il fut l’objet fut qui se porta sur lui fut donc considérée comme un caprice de femme, comme une de ces fantaisies particulières aux artistes.¶ Madame de Staël voulut arracher Louis Lambert à l’Empereur et à l’Église, pour le rendre à la hautenoble destinée qui, disait-elle, l’attendait ; car elle en faisait un de lui déjà quelque nouveau Moïse sauvé des eaux.¶ Elle Avant son départ, elle chargea donc, avant son départ, l’un de ses amis, M.monsieur de Corbigny, alors préfet à Blois, de mettre, en temps utile, son Moïse au collége de Vendôme ; puis, elle l’oublia probablement ; car, entré, à .¶ Entré là vers l’âge de quatorze ans, au commencement de 1811, Lambert dut eu sortir de Vendôme vers à la fin de 1814, après avoir achevé sa philosophie ; et je. Je doute qu’que, pendant ce temps, il ait jamais reçu pendant ce temps le moindre souvenir de sa bienfaitrice, si toutefois ce fut un bienfait que de payer durant trois années la pension d’un enfant sans songer à son avenir, après l’avoir détourné d’une carrière où peut-être eût-il trouvé le bonheur.¶ Cependant il est juste de dire que les événemens Les circonstances de l’époque et le caractère de Louis Lambert peuvent largement absoudre madame de Staël et de son insouciance et de son bienfait.¶ sa générosité. La personne qu’elle avait choisie pour lui servir d’intermédiaire dans ses relations avec l’enfant, quitta Blois au moment où Lambert il sortait du collége, et les événemens. Les événements politiques qui survinrent justifientalors justifièrent assez l’indifférence de ce personnage pour le protégé de la baronne.¶ Elle L’auteur de Corinne n’entendit donc plus parler de son petit Moïse. Or, centCent louis donnés par elle à M.monsieur de Corbigny, qui, je crois, mourut lui-même en 18111812, n’étaient pas une somme assez importante pour suppléer par une mnémotechnie pécuniaire à l’infirmité des réveiller les souvenirs de madame de Staël, dont l’âme exaltée eut bien des alimens, et rencontra sa pâture, et dont tous les intérêts furent bien vivement mis en jeu par les révolutionspendant les péripéties des années 1814 et 1815.¶ Louis Lambert se trouvait à cette époque et trop pauvre et trop fier pour aller à la recherche de rechercher sa bienfaitrice, qui voyageait à travers toute l’Europe ; cependant,. Néanmoins il vint à pied de Blois à Paris, dans l’intention de la voir, mais il y et arriva malheureusement le jour où la baronne mourut. Deux lettres écrites par Lambert étaient restées sans réponse. Le souvenir des bonnes intentions de madame de Staël pour Louis n’est donc resté demeuré que dans quelques jeunes mémoires, frappées comme le fut la mienne par le merveilleux de cette histoire.¶ Il faut même avoir été dans notre collége pour comprendre et l’effet que produisait ordinairement sur nos esprits enfantins l’annonce d’un nouveau, et l’impression particulière que l’aventure toute vendômoise de Lambert devait nous causer.¶ Ici, quelques renseignemensrenseignements sur les lois primitives de notre institutInstitution, jadis moitié militaire et moitié religieuxreligieuse, deviennent nécessaires pour expliquer parfaitement la nouvelle vie que Lambert allait y mener.¶ Avant la révolution, l’ordrel’Ordre des Oratoriens, voué, comme celui de Jésus, à l’éducation publique, et qui lui succédaen eut la succession dans quelques maisons, possédait plusieurs établissemensétablissements provinciaux, dont les plus célèbres étaient les colléges de Vendôme, de Tournon, de Laflèche, de SorrèzeLa Flèche, de Pont-le-Voy, de Sorrèze et de Juilly. Celui de Vendôme , aussi bien que les autres, élevait comme les autres, je crois, un certain nombre de cadets destinés à servir dans l’armée. L’abolition des corps enseignansCorps enseignants, décrétée par la Convention, influa très -peu sur le collégel’Institution de Vendôme. La première crise passée, le collége recouvra ses bâtimensbâtiments ; quelques oratoriens Oratoriens disséminés aux environs y revinrent, et le rétablirent en lui y conservant son l’ancienne règle, ses les habitudes, ses les usages et ses les mœurs, qui lui donnaient à ce collége une physionomie à laquelle je n’ai rien pu comparer dans aucun des lycées où je suis allé après ma sortie de Vendôme.¶ Le collége est situéSitué au milieu de la ville, et sur la petite rivière du Loir, qui en baigne les bâtimens principaux. Ilbâtiments, le collége forme une assez vaste enceinte soigneusement close, où sont tousenfermés les établissemensétablissements nécessaires à une institutiona une Institution de ce genre : une chapelle, un théâtre, une infirmerie, une boulangerie, des jardins, des cours d’eau. Ce collége étant, le plus célèbre foyer d’instruction le plus célèbre que possèdent les provinces du centre de la France, se trouve , est alimenté par plusieurs provinces,elles et même par nos colonies ; en sorte que l’éloignement. L’éloignement ne permet donc pas aux parens deparents d’y venir souvent voir leurs enfans. Les vacances externes n’étant pas dans la règle, une enfants. La règle interdisait d’ailleurs les vacances externes. Une fois entrés, les élèves ne sortaient du collége qu’à la fin de leurs études.¶ Sauf les A l’exception des promenades faites extérieurement sous la conduite des Pères, tout avait été calculé pour donner à cette institution maison les avantages de la discipline conventuelle.¶ Au De mon temps où j’y fus, le Correcteur était encore un vivant souvenir. La , et la classique férule de cuir y jouait avec honneur son terrible rôle ; et les . Les punitions jadis inventées par la Compagnie de Jésus, et qui avaient un caractère aussi effrayant pour le moral que pour le physique., étaient demeurées dans l’intégrité de l’ancien programme. Les lettres aux parensparents étaient obligatoires à certain jour, comme certains jours, aussi bien que la confession ; alors . Ainsi nos péchés, aussi-bien que nos sentimens, et nos sentiments se trouvaient ainsi en coupe réglée. Tout portait l’empreinte de l’uniformitél’uniforme monastique. Je me rappelle, entre autres vestiges de l’ancien institutInstitut, l’inspection que nous subissions tous les dimanches. Nous étions en grande tenue, rangés militairement ;comme des soldats, attendant les deux directeurs qui, suivis des fournisseurs et des maîtres, nous examinaient sous le triple rapport les triples rapports du costume, de l’hygiène et du moral.¶ Les deux à ou trois cents élèves que pouvait contenirloger le collége, étaient divisés, suivant l’ancienne coutume, en quatre sections, nommées : les Minimes, les Petits, les Moyens et les Grands.¶ La division des Minimes embrassait les classes désignées sous le nom de huitième et septième ; celle des Petits, la sixième, la cinquième et la quatrième ; celle des Moyens, la troisième et la seconde ; enfin celle des Grands, la rhétorique, la philosophie, les mathématiques spéciales, la physique et la chimie.¶ Chacun de ces colléges particuliers possédait son bâtiment, ses classes et sa cour, dans un grand terrain commun sur lequel les salles d’étude avaient toutes leur sortie, et aboutissaitqui aboutissaient au réfectoire. Ce réfectoire, digne d’un ancien ordreOrdre religieux, était immense et contenait tous les écoliers, qui, contrairement. Contrairement à la règle des autres ordres enseignans, pouvaient corps enseignants, nous pouvions y parler en mangeant ;, tolérance chrétienne à laquelle nous devions le bonheur oratorienne qui nous permettait de faire des échanges de plat plats selon nos goûts.¶ Ce commerce gastronomique est constamment resté l’un des plus vifs plaisirs de notre vie collégiale. Si un quelque Moyen, placé en tête de sa colonne mangeantetable, préférait une portion de pois rouges à son dessert, car nous avions du dessert, la proposition suivante passait de bouche en bouche : – Un dessert pour des pois !... jusqu’à ce qu’un gourmand l’eût acceptée. Alors accepté ; alors celui-ci envoyaitd’envoyer sa portion de pois, qui allait de main en main jusqu’au demandeur, dont le dessert lui arrivait par la même voie. Jamais il n’y avait d’erreur. Si plusieurs demandes étaient semblables, chacune portait son numéro, et l’on disait : Premiers pois pour premier dessert.¶ Les tables étant extrêmement étaient longues, notre trafic perpétuel y mettait tout en mouvement, ; et nous parlions, nous mangions, nous agissions avec une volubilitévivacité sans exemple. Aussi, le parlagebavardage de trois cents jeunes gens, les allées et venues des domestiques occupés à changer les assiettes, à servir les plats et, à donner le pain, l’inspection des directeurs faisaient ils du réfectoire de Vendôme un spectacle unique en son genre, et qui étonnait toujours les visiteurs.¶ Mais les Pères, curieux d’Pour adoucir notre vie, privée de toute communication avec le dehors et sevrée des caresses de la famille, les Pères nous permettaient encore d’avoir des pigeons et des jardins. Or, nos Nos deux ou trois cents cabanes, un millier de pigeons nichés autour de notre mur d’enceinte, et une trentaine de jardins, formaient un coup d’œil encore plus curieux que ne l’était celui de nos repas.¶ Ce Mais il serait à n’en pas finir s’il fallait dire toutes les trop fastidieux de raconter les particularités qui font du collége de Vendôme un établissement à part, et fertile en souvenirs pour ceux dont l’enfance s’y est écoulée. Qui de nous ne se rappelle pas encore avec délices, malgré les amertumes de la science, les longues bizarreries de cette vie claustrale ? C’était les friandises achetées en fraude durant nos promenades dans les bois, la permission de jouer aux cartes et celle d’établir des représentations théâtrales pendant les vacances, maraude et libertés nécessitées par notre vie claustrale solitude ; puis encore notre musique militaire, dernier vestige des cadets,Cadets ; notre académie, notre chapelain, nos pères Pères professeurs ; enfin, les jeux particuliers qui nous étaient défendus ou permis : la cavalerie de nos échasses, les longues glissoires faites en hiver, le sabbat des tapage de nos galoches gauloises, et surtout le commerce introduit par la boutique établie dans l’intérieur de nos cours. Cette boutique était tenue par une espèce de maître Jacques auquel on pouvait tout achetergrands et petits pouvaient demander, suivant le prospectus : boites, échasses, outils, pigeons cravatés, pattus, livres de messe (article rarement vendu), canifs, papiers, plumes, crayons, encre de toutes les couleurs, balles, billes ; enfin le monde entier des fascinantes fantaisies de l’enfance, et qui comprenait tout, depuis la sauce des pigeons que nous avions à tuer, jusqu’à des jusqu’aux poteries pour conserveroù nous conservions le riz de notre souper pour le déjeuner du lendemain. Ces mœurs enfantines étaient véritablement originales.¶Qui de nous est assez malheureux pour avoir oublié ses battements de cœur à l’aspect de ce magasin périodiquement ouvert pendant les récréations du dimanche, et où nous allions à tour de rôle dépenser la somme qui nous était attribuée ; mais où la modicité de la pension accordée par nos parents à nos menus plaisirs nous obligeait de faire un choix entre tous les objets qui exerçaient de si vives séductions sur nos âmes ? La jeune épouse à laquelle, durant les premiers jours de miel, son mari remet douze fois dans l’année une bourse d’or, le joli budget de ses caprices, a-t-elle rêvé jamais autant d’acquisitions diverses dont chacune absorbe la somme, que nous n’en avons médité la veille des premiers dimanches du mois ? Pour six francs, nous possédions, pendant une nuit, l’universalité des biens de l’inépuisable boutique ! et, durant la messe, nous ne chantions pas un répons qui ne brouillât nos secrets calculs. Qui de nous peut se souvenir d’avoir eu quelques sous à dépenser le second dimanche ? Enfin qui n’a pas obéi par avance aux lois sociales en plaignant, en secourant, en méprisant les Pariahs que l’avarice où le malheur paternel laissaient sans argent ?¶ Certes, si l’on veutQuiconque voudra se représenter l’isolement de ce grand collége avec ses bâtimensbâtiments monastiques, au milieu d’une petite ville, et les quatre parcs dans lesquels nous étions hiérarchiquement contenus, l’oncasés, aura certes une idée de tout l’intérêt que devait nous offraitoffrir l’arrivée d’un nouveau. Il était comme un , véritable passager survenantsurvenu dans un vaisseau.navire. Jamais femme nouvellement mariée, etjeune duchesse présentée à la cour, n’y fut examinée avec une critique aussi sagacemalicieusement critiquée que l’était celle de le nouveau débarqué par tous les écoliers de la division envers le nouveau qui débarquait.¶ sa Division. Ordinairement, pendant la récréation du soir, avant la prière, les flatteurs habitués à causer avec celui des deux Pères chargés de nous garder une semaine chacun à leur tour de rôle par semaine, et , qui se trouvait alors en fonctions, entendaient les premiers ces paroles authentiques :¶ – : – » Vous aurez demain un nouveau !...¶ Nouveau ! » Tout à coup ce cri : – « Un nouveau !...Nouveau ! un nouveau !...Nouveau ! » retentissait dans les cours ; et nous . Nous accourions tous pour nous grouper autour du régentRégent, qui, bientôt, était rudement interrogé.¶ – D’où venait-il ? commentComment se nommait-il ? En quelle classe serait-il ?... etc.¶ Or, l’arrivéeL’arrivée de Louis Lambert fut le texte d’un conte digne des Mille et une Nuits.¶ J’étais alors en quatrième chez les Petits. Nous avions pour régensRégents deux hommes auxquels nous donnions par tradition le nom de Pères, quoique cequoiqu’ils fussent des séculiers ; car, de. De mon temps, il n’existait plus à Vendôme que quatretrois véritables Oratoriens auxquels ce titre appartînt légitimement. En ; en 1814, ils quittèrent le collége, qui s’était insensiblement sécularisé, et pour se réfugièrentréfugier auprès des autels, dans desquelques presbytères de campagne, à l’exemple du curé de Mer.¶ Donc, le Père Le père Haugoult, le régentRégent de semaine, était assez bon homme, mais dépourvu de hautes connaissances, manquant même de l’instinct il manquait de ce tact si nécessaire pour conduire les enfans et si utile pour en discerner les différents caractères afin de des enfants et leur mesurer les punitions suivant leurs forces respectives, le.¶ Le père Haugoult se mit donc à raconter fort complaisamment les singuliers événemens événements qui allaient, le lendemain, nous valoir le plus extraordinaire des nouveaux.¶ Nouveaux. Aussitôt, les jeux cessèrent, car tous. Tous les Petits arrivèrent en silence, et restèrent occupés à pour écouter l’aventure de ce Louis Lambert, trouvé, comme un aérolithe, par madame de Staël au coin d’un bois.¶ M. Monsieur Haugoult dut nous expliquer madame de Staël. Pendant : pendant cette soirée, elle me parut avoir dix pieds ! Depuis,; depuis j’ai vu le tableau de Corinne, où Gérard l’a représentée et si grande et si belle ; mais hélas ! la femme idéale rêvée par mon imagination lui faisait tant de tortla surpassait tellement, que la véritable madame de Staël a constamment perdu dans mon esprit, même après la lecture de son plus beaudu livre, celui qui a pour titre : tout viril intitulé De l’Allemagne.¶ Mais alors Lambert fut alors une bien autre merveille !¶ M.: après l’avoir examiné, monsieur Mareschal, le directeur des études, avait hésité, d’après l’examen qu’il venait de lui faire subirdisait le père Haugoult, à le mettre chez les Grands ; néanmoins, la. La faiblesse de Louis en latin l’avait décidé à le ranger fait rejeter en quatrième, sauf à lui faire sautermais il sauterait sans doute une classe chaque année.¶ Par ; par exception, il devait être, disaiton, de l’académie !.... Proh pudor ! nous allions avoir l’honneur de compter parmi les Petits un habit décoré du ruban rouge que portaient les académiciens de Vendôme. Aux académiciens appartenaient de brillansétaient octroyés de brillants priviléges :; ils dînaient souvent à la table du directeur, Directeur, et tenaient par an deux séances littéraires, auxquelles nous assistions avec enthousiasme pour entendre leurs œuvres ; enfin, un . Un académicien était un petit grand homme. Si chaque VendômoisVendômien veut être franc, il avouera que, plus tard, un véritable académicien de la véritable Académie française, lui a paru bien moins étonnant que ne l’était l’enfant gigantesque illustré par la croix et par le prestigieux ruban rouge, insignes de notre académie.¶ Or, pour comprendre l’importance de cet honneur, il faut savoir qu’il Il était bien difficile d’appartenir à ce corps glorieux avant d’être parvenu en seconde, puisque car les académiciens étaient obligés de nous devaient tenir tous les jeudis, pendant les vacances, des séances publiques, et nous lire des contes en vers ou en prose, des morceaux littéraires, des épîtres, des traités, des tragédies, des comédies, ; compositions interdites à l’intelligence des classes secondaires.¶ J’ai long-temps gardé le souvenir d’un conte, intitulé l’Ane vert, qui, je crois, est l’œuvre la plus saillante de cette académie inconnue.¶ Un quatrième être de l’académie !... un Parmi nous serait cet enfant de quatorze ans, déjà poète, aimé de madame de Staël !..., un grandfutur génie, nous disait le Pèrepère Haugoult, ; un prophète, un devinsorcier, un gars capable de faire un thème ou une version pendant qu’on nous appellerait en classe, et d’apprendre ses leçons en les lisant une seule fois. Louis Lambert confondait toutes nos idées. Puis, la curiosité du Pèrepère Haugoult, l’impatience qu’il témoignait de voir le nouveau Nouveau, attisaient encore nos imaginations enflammées.¶ – S’il a des pigeons, il n’aura pas de cabane !... il . Il n’y a plus de place !..., Tant pis !... disait l’un de nous qui, depuis, a été grand agriculteur.¶ – Auprès de qui serat-il ?... demandait un autre.¶ – Oh ! que je voudrais être son faisant ! s’écriait un exalté.¶ Être faisans constituait, dans Dans notre langage oratorien,collégial, ce mot être faisants (ailleurs, c’est Copins) constituait un idiotisme assez difficile à traduire. Ce mot Il exprimait un partage fraternel des biens et des maux de la vie collégiennenotre vie enfantine, une promiscuité d’intérêts, fertile en brouilles et en raccommodemensraccommodements, un pacte d’alliance offensive et défensive. Chose bizarre ! jamais, de mon temps, je n’ai connu de frères qui fussent faisans.¶ Faisants. Si l’homme ne vit que par les sentiments, peut-être croit-il appauvrir son existence en confondant une affection trouvée dans une affection naturelle.¶ L’impression que fit sur moi la conversation du Père Haugoult pendant cetteles discours du père Haugoult firent sur moi pendant cette soirée est une des plus vives de mon enfance, et je ne puis la comparer qu’à la lecture de Robinson Crusoé. Je dus, même plus tard, au souvenir de ces sensations prodigieuses, une observationremarque peut-être neuve sur les différensdifférents effets que produisent les mots sur mois dans chaque entendement. Le motverbe n’a rien d’absolu. Nous : nous agissons plus sur lui le mot qu’il n’agit sur nous ; sa force est en raison des images que nous avons acquises et que nous y groupons autour de lui ; mais l’étude de ce phénomène exige de larges développemensdéveloppements, hors de propos ici.¶ Ne pouvant pas dormir, je causai long-tempsj’eus une longue discussion avec mon voisin de dortoir sur l’être extraordinaire que nous devions avoir parmi nous le lendemain, et nous eûmes à son sujet une longue discussion.. Ce voisin, naguère officier, maintenant écrivain à hautes vues philosophiques, Barchou de Penhoën, n’a démenti ni sa prédestination, ni le hasard qui réunissait dans la même classe, sur le même banc et sous le même toit, les deux seuls écoliers de Vendôme de qui Vendôme entende parler aujourd’hui ; car, au moment où ce livre s’est publié, Dufaure, notre camarade, n’avait pas encore abordé la vie publique du parlement. Le récent traducteur de Fichte, l’interprète et l’ami de Ballanche, était occupé déjà, comme je l’étais moi-même, de questions métaphysiques, ; il déraisonnait souvent avec moi sur Dieu, sur nous et sur la Nature.nature. Il avait alors des prétentions au pyrrhonisme, et jaloux. Jaloux de soutenir son rôle, il nia les facultés de Lambert, ; tandis qu’ayant nouvellement lu les EnfansEnfants célèbres, je l’accablais de preuves en lui citant le petit Montcalm, Pic de la La Mirandole, Pascal, etenfin tous les cerveaux précoces, ; anomalies célèbres dans l’histoire de l’esprit humain, et les prédécesseurs de Lambert.¶ Alors, j’étais J’étais alors moi-même passionné pour la lecture ; et, grâce. Grâce à l’envie que mon père avait de me voir à l’École Polytechnique, il payait pour moi des leçons particulières de mathématiques. Or, monMon répétiteur, étant bibliothécaire du collége, me laissait prendre des livres sans trop regarder ceux que j’emportais de la bibliothèque, endroitlieu tranquille où, pendant les récréations, il me faisait venir pour me donner ses leçons. Je crois qu’il était ou peu habile ou fort occupé de quelque grave entreprise, car il me permettait très -volontiers de lire pendant le temps des répétitions, et travaillait je ne sais à quoi. Donc, en vertu d’un pacte tacitement convenu entre nous deux, je ne me plaignais point de ne rien apprendre, et illui se taisait sur mes emprunts de livres.¶ Cette Entraîné par cette intempestive passion précoce me faisait négliger mes études, et m’entraînait à , je négligeais mes études pour composer des poëmespoèmes qui devaient, certes, donner inspirer peu d’espérances, si j’en juge par ce trop long vers, devenu célèbre, parmi mes camarades, et qui commençait une épopée sur les Incas :¶ O Inca ! ô roi infortuné ! etc.¶infortuné et malheureux !¶ ¶ ¶Je fus surnommé le Poète en dérision de mes essais. Les ; mais les moqueries ne me corrigèrent pas, et je continuai mes travaux, . Je rimaillai toujours, malgré l’apologue que me fit un jour M.le sage conseil de monsieur Mareschal, notre directeur, qui tâcha de me guérir d’une manie malheureusement invétérée, en me contantracontant dans un apologue les malheurs d’une fauvette qui voulaittombée de son nid pour avoir voulu voler avant d’avoir des que ses ailes, afin sans doute de me guérir d’une manie malheureusement invétérée. Aussi, je fus continuellement puni, je lus toujours, et ne fussent poussées. Je continuai mes lectures, je devins l’écolier le moins agissant, le plus paresseux, le plus contemplatif de la divisionDivision des Petits.¶, et partant le plus souvent puni. Cette digression autobiographique doit faire comprendre la nature des réflexions dontpar lesquelles je fus assailli à l’arrivée de Lambert. J’avais alors douze ans. J’éprouvai tout d’abord une vague sympathie pour un enfant dont je partageais presque l’idiosyncrase. avec qui j’avais quelques similitudes de tempérament. J’allais donc rencontrer un compagnon de rêverie et de méditation !..... Sans savoir encore ce qu’était la gloire, je trouvais glorieux d’être le camarade d’un enfant dont l’immortalité était préconisée par madame de Staël avait déjà préparé l’immortalité.. Louis Lambert me semblait un géant !...¶ Le lendemain si attendu vint enfin. Un moment avant le déjeuner, nous entendîmes dans la cour silencieuse le double pas de M.monsieur Mareschal et du nouveau !... Aussitôt toutesNouveau. Toutes les têtes se tournèrent aussitôt vers la porte de la classe. Le père Haugoult, partageantqui partageait les tortures de notre curiosité, ne nous fit pas entendre le sifflement par lequel il imposait silence à nos murmures et nous rappelait au travail. Nous vîmes alors ce fameux nouveauNouveau, que M.monsieur Mareschal tenait par la main. Le régentRégent descendit de sa chaire, et le directeurDirecteur lui dit solennellement, suivant l’étiquette :¶: – Monsieur, je vous amène monsieur Louis Lambert. Vous, vous le mettrez avec les quatrièmes ;Quatrièmes, il entrera en classe demain.¶ en classe. Puis, après avoir causé à voix basse avec le régentRégent, il dit tout haut :¶: – Où allez-vous le placer ?...¶ Il eût été fort injuste de déranger l’un de nous pour le nouveau,Nouveau ; et comme il n’y avait plus qu’un seul pupitre de libre, Louis Lambert vint l’occuper, près de moi, qui étais entré le dernier entré dans la classe.¶ Tout le monde s’étant levé pour examiner Lambert, malgré Malgré le temps que nous avions encore à rester en étude, M.nous nous levâmes tous pour examiner Lambert. Monsieur Mareschal entendit nos colloques ; et, nous voyantvit en insurrection, ilet dit avec cette bonté qui nous dit :¶le rendait particulièrement cher : – Au moins, soyez sages, ne faites pas trop de bruit ; il ne fautdérangez pas déranger les autres classes.¶ Ces paroles nous mirent en récréation quelque temps avant l’heure du déjeuner, et nous vînmes tous environner Lambert, pendant que M.monsieur Mareschal se promenait dans la cour avec le père Haugoult.¶ Nous étions environ quatre-vingts diables, hardis comme des oiseaux de proie. Quoique nous eussions tous passé par le ce cruel moment de cette espèce de noviciat, nous ne faisions jamais grâce à un nouveauNouveau des rires moqueurs, des interrogations, des impertinences qui se succédaient en semblable occurrence, à la grande honte du nouveau, dont on néophyte de qui l’on essayait ainsi les mœurs, la force et le caractère.¶ Lambert, ou calme ou abasourdi, ne répondit à aucune de nos questions. Alors, l’unL’un de nous ayant dit alors qu’il venaitsortait sans doute de l’école de Pythagore, un.¶ Un rire général éclata. Le nouveauNouveau fut surnommé Pythagore, pour toute sa vie de collégien.collége. Cependant le regard perçant de Lambert, le dédain peint sur sa figure pour nos enfantillages en désaccord avec la nature de son esprit, l’attitude aisée dans laquelle il restait, sa force apparente en harmonie avec son âge, imprimèrent un certain respect aux plus mauvais sujets d’entre nous. Quant à moi, j’étais près de lui, tout occupé à l’examiner, sans rien dire.¶ silencieusement.¶ Louis Lambert était un enfant maigre et fluet, haut de quatre pieds et demi ; mais sa figure hâléehalée, ses mains brunies par le soleil, paraissaient accuser une vigueur musculaire que, néanmoins, il n’avait pas à l’état normal. Aussi, deux mois après son entrée au collége, quand le séjour de la classe lui eut fait perdre sa coloration presque végétale, nous le vîmes -nous devenir pâle et blanc comme une femme. Sa tête était d’une grosseur remarquable. Ses cheveux, d’un beau noir et bouclés naturellement, donnaientpar masses, prêtaient une grâce indicible à son front, dont les dimensions avaient quelque chose d’extraordinaire, même pour nous, fort insouciansinsouciants, comme on peut le croire, des pronostics de la cranologie.phrénologie, science alors au berceau. La beauté de ce son front prophétique provenait surtout de la coupe extrêmement pure des deux arcades sous lesquels brillaient ses yeux noirs, etlesquelles brillait son œil noir, qui semblaient taillées dans de l’albâtre ; leurs , et dont les lignes, par un attrait assez rare, se trouvaient d’un parallélisme parfait en se rejoignant à la naissance du nez. Mais il était difficile de songer à sa figure, assez d’ailleurs fort irrégulière du reste, en voyant ses yeux, dont le regard possédait une étonnantemagnifique variété d’expression. et qui paraissaient doublés d’une âme. Tantôt clair et pénétrant à effrayerétonner, tantôt d’une douceur angéliquecéleste, ce regard devenait terne et, sans couleur, pour ainsi dire, dans les momensmoments où il se livrait à ses contemplations ; alors son. Son œil ressemblait alors à une vitre d’où le soleil se serait retiré. soudain après l’avoir illuminée. Il en était de sa force, toute nerveuse, et de son flexible organe comme de son regard : même mobilité, mêmes caprices. Sa voix se faisait douce comme la voix harmonieuse qui prononce un mot d’amour, au matin, dans un lit voluptueuxune voix de femme qui laisse tomber un aveu ; puis, elle était, parfois, pénible, incorrecte, raboteuse, s’il est permis d’employer ces mots, pour peindre des effets nouveaux. Quant à sa force habituelle,, habituellement il était incapable de supporter la fatigue des moindres jeux. Il, et semblait évidemment être débile, presque infirme presque ; mais, pendant la première année de son séjour. Mais, pendant les premiers jours de son noviciat, un de nos matadors s’étant moqué de cette extrêmemaladive délicatesse qui le rendait impropre aux violents exercices violens en vogue dans le collége, Lambert prit de ses deux mains, et par le bout, une de nos tables qui contenait douze grands pupitres d’écoliers encastrés sur deux rangs et en dos d’âne, il s’appuya contre la chaire du Régent ; puis, s’appuyant à la chaire du régent et retenant il retint la table par ses pieds, qu’il plaça en les plaçant sur la traverse d’en bas :¶, et dit : – Mettez-vous dix, et essayez de la faire bouger ?... dit-il.¶! J’étais là, je fus témoin depuis attester ce singulier témoignage de force. Il , il fut impossible de lui arracher la table. Il semblait avoir Lambert possédait le don d’appeler à lui, dans certains momensmoments, des pouvoirs extraordinaires, ouet de rassembler toutes ses forces sur un point donné.¶ pour les projeter. Mais les hommes et les enfans étantenfants habitués, aussi bien que les hommes, à juger de tout d’après les leurs premières impressions qu’ils reçoivent, Louis ne fut étudié par les écoliers et par les maîtres , n’étudièrent Louis que pendant les premiers jours de son arrivée. Alors, ; il démentit alors entièrement les prédictions de madame de Staël, en ne réalisant aucun des prodiges que nous attendions de lui. Puis, après .¶ Après un trimestre d’épreuves, il Louis passa pour un écolier très -ordinaire. Je fus donc seul admis à pénétrer dans cette âme sublime, et pourquoi ne dirais-je pas divine ? Qu’yqu’y a-t-il de plus procheprès de Dieu que le génie dans un cœur d’enfant ?....¶ La conformité de nos goûts et de nos pensées nous rendit amis et faisans.Faisants. Notre fraternité devint si grande qu’on accolaque nos camarades accolèrent nos deux noms. L’un ; l’un ne se prononçait pas sans l’autre ; et, pour appeler l’un de nous, l’on disait toujours le Poèteils criaient : Le Poste-et-Pythagore. C’était une mode de collége, une fantaisie qui ne s’appliquait pas seulement à nous deux, car il existait d’autres ! D’autres noms qui offraient l’exemple d’un semblable mariage.¶ Je Ainsi je demeurai ainsi pendant deux ansannées l’ami de collégecollège du pauvre Louis Lambert ; et durant ces deux années, ma vie se trouva, pendant cette époque, assez intimement unie à la sienne pour qu’il me soit possible aujourd’hui d’en écrire l’d’écrire son histoire intellectuelle.¶ J’ai long-temps ignoré la poésie et toutes les richesses cachées dans le cœur et sous le front de mon camarade. Il a fallu que j’arrivasse à trente ans ;, que mes observations se soient mûries et condensées ; qu’un , que le jet ded’une vive lumière les ait même encore éclairées de nouveau pour que je pusse comprendre toutecomprisse la portée des phénomènes dont j’ai été le témoin ignorantdesquels je fus alors l’inhabile témoin ; j’en ai joui sans m’en expliquer ni la grandeur ouni le mécanisme ;, j’en ai même oublié quelques -uns et ne me souviens que des plus saillans. Maissaillants ; mais aujourd’hui, ma mémoire les a coordonnés, et je me suis initié à tous lesaux secrets de cette belle intelligencetête féconde en me reportant aux jours délicieux de notre jeune amitié. Le temps devait donc seul me faire fit donc pénétrer le sens des événemensévénements et des faits qui abondent en cette vie inconnue, comme en celle de tant d’autres hommes perdus pour la science. Aussi cette Notice biographiquehistoire est-elle, dans l’expression et l’appréciation des choses, pleine d’anachronismes purement moraux qui, je crois, ne nuiront peut-être point à son genre d’intérêt.¶ Pendant les premiers mois de son séjour à Vendôme, Louis devint la proie d’une maladie dont les symptômes furent imperceptibles à l’œil de nos surveillanssurveillants, et qui dutgêna nécessairement annuler l’exercice de ses hautes facultés. Accoutumé au grand air, à l’indépendance d’une éducation particulière, à la douceurlaissée au hasard, caressé par les tendres soins d’un vieillard dont il était aimé ;qui le chérissait, habitué à penser sous le soleil, il devait difficilement se fairelui fut bien difficile de se plier à la règle du collége, à de marcher dans le rang, à de vivre entre les quatre murs d’une salle où quatre-vingts jeunes gens étaient tous silencieux, assis sur un banc de bois, à quatre tables, chacun devant un son pupitre. Ses sens avaient possédaient une perfection qui leur donnait une exquise délicatesse exquise, et tout souffrit chez lui de cette vie en commun. Les exhalaisons masculines par lesquelles l’air était corrompu, mêlées à la senteur d’une classe toujours sale et encombrée des débris de nos déjeuners ou de nos goûters, affectèrent son odorat, ce sens qui, tissu pour ainsi dire aussi fortement ; ce sens qui, plus directement en rapport que les autres avec le système nerveuxcérébral, doit causer, par ses altérations, de grands ébranlemens à la pensée, en la mettant immédiatement en contact avec les choses extérieures. Or, outre d’invisibles ébranlements aux organes de la pensée. Outre ces causes de corruption atmosphérique, il y avait se trouvait dans nos salles d’étude des baraques où chacun mettait son butin ; et j’y ai souvent vu des , les pigeons tués pour les jours de fête, ou des les mets dérobés au réfectoire. Enfin, nos salles contenaient encore deux pierres immenses où se trouvaientune pierre immense où restaient en tout temps deux seaux pleins d’eau, espèce d’abreuvoir où nous allions tous les matinschaque matin nous débarbouiller le visage et nous laver les mains, à tour de rôle, en présence du maître ; et, de. De là, nous passions à une table où des femmes nous peignaient et nous poudraient. Quelque vaste que fût notre local, comme il n’était nettoyé qu’une fois par jour, le matin, avant notre réveil, il est facile d’imaginer tout ce que répandaient de vicieux dansNettoyé une seule fois par jour, avant notre réveil, notre local demeurait toujours malpropre. Puis, malgré le nombre des fenêtres et la hauteur de la porte, l’air y était incessamment vicié par les émanations du lavoir, par la peignerie, par la baraque, par les mille industries de chaque écolier, sans compter nos quatre-vingts corps entassés. Tout celaCette espèce d’humus collégial, mêlé sans cesse à la boue que nous rapportions des cours, formait un fumier d’une puanteur insupportable.¶ puanteur. La privation de l’air pur et parfumé des campagnes et des bois dans lequel il avait jusqu’alors vécu, le changement de ses habitudes, la discipline, tout contrista donc Lambert. La tête toujours appuyée sur sa main gauche, dont il accoudait et le bras accoudé sur son pupitre, il passait les heures d’étude à regarder dans la cour le feuillage des arbres ou leles nuages du ciel. Il ; il semblait étudier ses leçons ; mais le père Haugoult ou son confrère voyant la plume ou la page de Louis immobile, ou la page restée blanche, le Régent lui criait :¶ – : Vous ne faites rien, Lambert ! Ce : Vous ne faites rien, Lambert !...¶ Ce : – Vous ne faites rien !.... lancé commeétait un coup d’épingle par des hommes dont l’intelligence et l’instruction étaient loin de pouvoir se comparer à la sienne, le qui blessait Louis au cœur, et, parfois, un léger mouvement d’humeur trahissait sa souffrance. Alors le père Haugoult de riposter par l’application d’un pensum.. Puis il ne connut pas le loisir des récréations, il eut des pensum à écrire. Le pensum, punition dont le genre varie selon les coutumes de chaque collége, consistait à Vendôme en un certain nombre de lignes que nous étions obligés de copiercopiées pendant les heures de récréation. Nous étionsfûmes, Lambert et moi, si accablés de pensum, que nous n’avons pas eu six jours de liberté durant nos deux années d’amitié. Aussi, sans Sans les livres que nous tirions de la bibliothèque, et qui entretenaient la vie dans notre cerveau, ce système d’existence nous eût menés à un abrutissement complet.¶ Le défaut d’exercice est fatal aux enfants. L’habitude de la représentation, prise dés le jeune âge, altère, dit-on, sensiblement la constitution des personnes royales quand elles ne corrigent pas les vices de leur destinée par les mœurs du champ de bataille ou par les travaux de la chasse. Si les lois de l’étiquette et des cours influent sur la moelle épinière au point de féminiser le bassin des rois, d’amollir leurs fibres cérébrales et d’abâtardir ainsi la race, quelles lésions profondes, soit au physique, soit au moral, une privation continuelle d’air, de mouvement, de gaieté, ne doit-elle pas produire chez les écoliers ? Aussi le régime pénitentiaire observé dans les colléges exigera-t-il l’attention des autorités de l’enseignement public lorsqu’il s’y rencontrera des penseurs qui ne penseront pas exclusivement à eux.¶ Nous nous attirions des pensums le pensum de mille manières.¶ Notre mémoire était si belle, que nous n’apprenions jamais nos leçons. Nous écoutions les autres, et l’audition la plus légèreIl nous suffisait pour répéter après eux le morceaud’entendre réciter à nos camarades les morceaux de français, de latin, ou de grammaire quand venait, pour les répéter à notre tour de le réciter. Maistour ; mais si, par malheur, l’un le maître s’avisait d’intervertir les rangs et de nous était interrogé le premier de tous, il ignorait même interroger les premiers, souvent nous ignorions en quoi consistait la leçon qu’on lui demandait ; alors leçon : le pensum arrivait alors malgré nos plus habiles excuses habiles que nous savions trouver à notre paresse.¶. Enfin, nous attendions toujours au dernier moment pour faire nos devoirs. Avions-nous un livre à finir ? Étions, étions-nous plongés dans une rêverie ?, le devoir était oublié : nouvelle source de pensum !¶ Que Combien de fois nos versions ne furent -elles pas écrites pendant le temps que le premier, chargé de les recueillir en entrant en classe, mettait à demander à chacun la sienne !.. Aux difficultés morales que Lambert éprouvait à s’acclimater dans le collége se joignit encore un apprentissage non moins rude et par lequel nous avions passé tous, celui des douleurs corporelles qui pour nous variaient à l’infini. Chez les enfants, la délicatesse de l’épiderme exige des soins minutieux, surtout en hiver, où, constamment emportés par mille causes, ils quittent la glaciale atmosphère d’une cour boueuse pour la chaude température des classes. Aussi, faute des attentions maternelles qui manquaient aux Petits et aux Minimes, étaient-ils dévorés d’engelures et de crevasses si douloureuses, que ces maux nécessitaient pendant le déjeuner un pansement particulier, mais très-imparfait à cause du grand nombre de mains, de pieds, de talons endoloris. Beaucoup d’enfants étaient d’ailleurs obligés de préférer le mal au remède : ne leur fallait-il pas souvent choisir entre leurs devoirs à terminer, les plaisirs de la glissoire, et le lever d’un appareil insouciamment mis, plus insouciamment gardé ? Puis les mœurs du collége avaient amené la mode de se moquer des pauvres chétifs qui allaient au pansement, et c’était à qui ferait sauter les guenilles que l’infirmière leur avait mises aux mains. Donc, en hiver, plusieurs d’entre nous, les doigts et les pieds demi-morts, tout rongés de douleurs, étaient peu disposés à travailler parce qu’ils souffraient, et punis parce qu’ils ne travaillaient point. Trop souvent la dupe de nos maladies postiches, le Père ne tenait aucun compte des maux réels. Moyennant le prix de la pension, les élèves étaient entretenus aux frais du collége. L’administration avait coutume de passer un marché pour la chaussure et l’habillement ; de là cette inspection hebdomadaire de laquelle j’ai déjà parlé. Excellent pour l’administrateur, ce mode a toujours de tristes résultats pour l’administré. Malheur au Petit qui contractait la mauvaise habitude d’éculer, de déchirer ses souliers, ou d’user prématurément leurs semelles, soit par un vice de marche, soit en les déchiquetant pendant les heures d’étude pour obéir au besoin d’action qu’éprouvent les enfants. Durant tout l’hiver celui-là n’allait pas en promenade sans de vives souffrances : d’abord la douleur de ses engelures se réveillait atroce autant qu’un accès de goutte ; puis les agrafes et les ficelles destinées à retenir le soulier partaient, ou les talons éculés empêchaient la maudite chaussure d’adhérer aux pieds de l’enfant ; il était alors forcé de la traîner péniblement en des chemins glacés où parfois il lui fallait la disputer aux terres argileuses du Vendômois ; enfin l’eau, la neige y entraient souvent par une décousure inaperçue, par un béquet mal mis, et le pied de se gonfler. Sur soixante enfants, il ne s’en rencontrait pas dix qui cheminassent sans quelque torture particulière ; néanmoins tous suivaient le gros de la troupe, entraînés par la marche, comme les hommes sont poussés dans la vie par la vie. Combien de fois un généreux enfant ne pleura-t-il pas de rage, tout en trouvant un reste d’énergie pour aller en avant ou pour revenir au bercail malgré ses peines ; tant à cet âge l’âme encore neuve redoute et le rire et la compassion, deux genres de moquerie. Au collége, ainsi que dans la société, le fort méprise déjà le faible, sans savoir en quoi consiste la véritable force. Ce n’était rien encore. Point de gants aux mains. Si par hasard les parents, l’infirmière ou le directeur en faisaient donner aux plus délicats d’entre nous, les loustics ou les grands de la classe mettaient les gants sur le poêle, s’amusaient à les dessécher, à les gripper ; puis, si les gants échappaient aux fureteurs, ils se mouillaient, se recroquevillaient faute de soin. Il n’y avait pas de gants possibles. Les gants paraissaient être un privilége, et les enfants veulent se voir égaux. Ces différents genres de douleur assaillirent Louis Lambert. Semblable aux hommes méditatifs qui, dans le calme de leurs rêveries, contractent l’habitude de quelque mouvement machinal, il avait la manie de jouer avec ses souliers et les détruisait en peu de temps. Son teint de femme, la peau de ses oreilles, ses lèvres se gerçaient au moindre froid. Ses mains si molles, si blanches, devenaient rouges et turgides. Il s’enrhumait constamment. Louis fut donc enveloppé de souffrances jusqu’à ce qu’il eût accoutumé sa vie aux mœurs vendômoises. Instruit à la longue par la cruelle expérience des maux, force lui fut de songer à ses affaires, pour me servir d’une expression collégiale. Il lui fallut prendre soin de sa baraque, de son pupitre, de ses habits, de ses souliers ; ne se laisser voler ni son encre, ni ses livres, ni ses cahiers, ni ses plumes ; enfin, penser à ces mille détails de notre existence enfantine, dont s’occupaient avec tant de rectitude ces esprits égoïstes et médiocres auxquels appartiennent infailliblement les prix d’excellence ou de bonne conduite ; mais que négligeait un enfant plein d’avenir, qui, sous le joug d’une imagination presque divine, s’abandonnait avec amour au torrent de ses pensées. Ce n’est pas tout. Il existe une lutte continuelle entre les maîtres et les écoliers, lutte sans trêve, à laquelle rien n’est comparable dans la société, si ce n’est le combat de l’Opposition contre le Ministère dans un gouvernement représentatif. Mais les journalistes et les orateurs de l’Opposition sont peut-être moins prompts à profiter d’un avantage, moins durs à reprocher un tort, moins âpres dans leurs moqueries, que ne le sont les enfants envers les gens chargés de les régenter. A ce métier, la patience échapperait à des anges. Il n’en faut donc pas trop vouloir à un pauvre préfet d’études, peu payé, partant peu sagace, d’être parfois injuste ou de s’emporter. Sans cesse épié par une multitude de regards moqueurs, environné de pièges, il se venge quelquefois des torts qu’il se donne, sur des enfants trop prompts à les apercevoir.¶ Excepté les grandes malices pour lesquelles il existait d’autres châtiments, la férule était, à Vendôme, l’ultima ratio Patrum. Aux devoirs oubliés, aux leçons mal sues, aux incartades vulgaires, le pensum suffisait ; mais l’amour-propre offensé parlait chez le maître par sa férule. Parmi les souffrances physiques auxquelles nous étions soumis, la plus vive était certes celle que nous causait cette palette de cuir, épaisse d’environ deux doigts, appliquée sur nos faibles mains de toute la force, de toute la colère du Régent. Pour recevoir cette correction classique, le coupable se mettait à genoux au milieu de la salle. Il fallait se lever de son banc, aller s’agenouiller près de la chaire, et subir les regards curieux, souvent moqueurs de nos camarades. Aux âmes tendres, ces préparatifs étaient donc un double supplice, semblable au trajet du Palais à la Grève que faisait jadis un condamné vers son échafaud. Selon les caractères, les uns criaient en pleurant à chaudes larmes, avant ou après la férule ; les autres en acceptaient la douleur d’un air stoïque ; mais, en l’attendant, les plus forts pouvaient à peine réprimer la convulsion de leur visage. Louis Lambert fut accablé de férules, et les dut à l’exercice d’une faculté de sa nature dont l’existence lui fut pendant long-temps inconnue. Lorsqu’il était violemment tiré d’une méditation par le– Vous ne faites rien ! du Régent, il lui arriva souvent, à son insu d’abord, de lancer à cet homme un regard empreint de je ne sais quel mépris sauvage, chargé de pensée comme une bouteille de Leyde est chargée d’électricité. Cette œillade causait sans doute une commotion au maître, qui, blessé par cette silencieuse épigramme, voulut désapprendre à l’écolier ce regard fulgurant. La première fois que le Père se formalisa de ce dédaigneux rayonnement qui l’atteignit comme un éclair, il dit cette phrase que je me suis rappelée : – Si vous me regardez encore ainsi, Lambert, vous allez recevoir une férule ! A ces mots, tous les nez furent en l’air, tous les yeux épièrent alternativement et le maître et Louis. L’apostrophe était si sotte que l’enfant accabla le Père d’un coup d’œil qui fut un éclair. De là vint entre le Régent et Lambert une querelle qui se vida par une certaine quantité de férules. Ainsi lui fut révélé le pouvoir oppresseur de son œil.¶ Ce pauvre poète si nerveusement constitué, souvent vaporeux autant qu’une femme, dominé par une mélancolie chronique, tout malade de son génie comme une jeune fille l’est de cet amour qu’elle appelle et qu’elle ignore ; cet enfant si fort et si faible, déplanté par Corinne de ses belles campagnes pour entrer dans le moule d’un collége auquel chaque intelligence, chaque corps doit, malgré sa portée, malgré son tempérament, s’adapter à la règle et à l’uniforme comme l’or s’arrondit en pièces sous le coup du balancier ; Louis Lambert souffrit donc par tous les points où la douleur a prise sur l’âme et sur la chair. Attaché sur un banc à la glèbe de son pupitre, frappé par la férule, frappé par la maladie, affecté dans tous ses sens, pressé par une ceinture de maux, tout le contraignit d’abandonner son enveloppe aux mille tyrannies du collége. Semblable aux martyrs qui souriaient au milieu des supplices, il se réfugia dans les cieux que lui entr’ouvrait sa pensée. Peut-être cette vie tout intérieure aida-t-elle à lui faire entrevoir les mystères auxquels il eut tant de foi !¶ Notre indépendance, nos occupations illicites, notre fainéantise apparente, l’engourdissement dans lequel nous restions, nos punitions constantes, notre répugnance pour nos devoirs et nos pensum, nous valurent la réputation incontestée d’être des enfants lâches et incorrigibles. Nos maîtres nous méprisèrent, et nous tombâmes également dans le plus affreux discrédit auprès de nos camarades à qui nous cachions nos études de contrebande, par crainte de leurs moqueries. Cette double mésestime, injuste chez les Pères, était un sentiment naturel chez nos condisciples. Nous ne savions ni jouer à la balle, ni courir, ni monter sur les échasses. Aux jours d’amnistie, ou quand par hasard nous obtenions un instant de liberté, nous ne partagions aucun des plaisirs à la mode dans le Collége. Étrangers aux jouissances de nos camarades, nous restions seuls, mélancoliquement assis sous quelque arbre de la cour. Le Poète-et-Pythagore furent donc une exception, une vie en dehors de la vie commune. L’instinct si pénétrant, l’amour-propre si délicat des écoliers leur fit pressentir en nous des esprits situés plus haut ou plus bas que ne l’étaient les leurs. De là, chez les uns, haine de notre muette aristocratie ; chez les autres, mépris de notre inutilité. Ces sentiments étaient entre nous à notre insu, peut-être ne les ai-je devinés qu’aujourd’hui. Nous vivions donc exactement comme deux rats tapis dans le coin de la salle où étaient nos pupitres, également retenus là durant les heures d’étude et pendant celles des récréations. Cette situation excentrique dut nous mettre et nous mit en état de guerre avec les enfants de notre Division. Presque toujours oubliés, nous demeurions là tranquilles, heureux à demi, semblables à deux végétations, à deux ornements qui eussent manqué à l’harmonie de la salle. Mais parfois les plus taquins de nos camarades nous insultaient pour manifester abusivement leur force, et nous répondions par un mépris qui souvent fit rouer de coups le Poète-et-Pythagore.¶ Notre indépendance, nos occupations artistiques, notre fainéantise apparente, l’engourdissement dans lequel nous restions, nos punitions constantes, notre répugnance à faire des pensum, nous firent passer tous deux pour des enfans incorrigibles, lâches, paresseux, et nos maîtres nous méprisèrent. Or, comme aux jours d’amnistie nous ne savions ni jouer à la balle, ni courir, ni monter sur les échasses, nous étions également dans le plus affreux discrédit auprès de nos camarades, auxquels nous dérobions le secret de nos études exceptionnelles, en craignant leurs moqueries. Nous vivions donc exactement comme deux rats tapis dans le coin de classe où étaient nos pupitres, également retenus là durant les heures d’étude et pendant celles des récréations. Cette situation nous mit en état de guerre avec tout le monde. Nous excitions la pitié des uns, la haine des autres, et nous leur répondions par un mépris qui, souvent, fit rouer de coups le Poète-et-Pythagore.¶ La nostalgie de Lambert dura troisplusieurs mois. Je ne sais rien qui puisse peindre la mélancolie à laquelle il fut en proie. Louis m’a gâté bien des chefs-d’œuvre.... Nous avions été Ayant joué tous les deux le Lépreux de la Vallée d’Aoste, etrôle du LEPREUX DE LA VALLÉE D’AOSTE, nous avions éprouvé les sentimenssentiments exprimés dans le livre de M.monsieur de Maistre, avant que je le lusse.de les lire traduits par cette éloquente plume. Or, un ouvrage peut retracer les souvenirs de l’enfance, mais il ne luttera jamais contre eux avec avantage. Les soupirs de Lambert m’ont appris des pages hymnes de tristesse bien plus éloquentespénétrants que ne le sont celles de René ; mais les plus belles pages de WERTHER. Mais aussi, peut-être, n’y a- n’est-il pas de comparaison entre les souffrances que cause une passion réprouvée à tort ou à raison par nos lois, et les douleurs d’un pauvre enfant aspirant après la splendeur du soleil, la rosée des vallons et la liberté. René n’est queWerther est l’esclave d’un désir, Louis Lambert était tout toute une âme esclave. A talent égal, le sentiment le plus touchant ou fondé sur les désirs les plus vrais, parce qu’ils sont les plus purs, doit effacersurpasser les lamentations factices du génie. Après être resté long-temps à contempler le feuillage d’un des tilleuls de la cour, Louis ne me disait qu’un mot, mais ce mot annonçait une immense rêverie.¶ – Heureusement pour moi, s’écria-t-il un jour, il se rencontre de bons momensmoments pendant lesquels il me semble que les murs de la classe sont tombés, et que je suis ailleurs, dans les champs ! Quel plaisir de se laisser aller au cours de sa pensée, comme un oiseau à toute la portée de son vol !...¶ – Pourquoi la couleur verte est-elle si prodiguée dans la nature ? me demandait-il. Pourquoi y existe-t-il si peu de lignes droites ?... Pourquoi l’homme dans ses œuvres emploie-t-il si rarement les courbes ?...¶ Pourquoi lui seul a-t-il le sentiment de la ligne droite ?¶ Ces paroles trahissaient une longue course faite à travers les espaces. Certes, il avait revu des paysages entiers, etou respiré le parfum des forêts. Il était, vivante et sublime élégie, toujours silencieux, résigné ; toujours souffrant sans pouvoir dire : – Je je souffre !...¶ Il lui fallait Cet aigle, qui voulait le monde pour pâture, et cet aigle se trouvait entre quatre murailles étroites et sales.¶ Sa ; aussi, sa vie étaitdevint-elle, dans la plus large acception de ce terme, une vie idéale. Méprisant Plein de mépris pour les études presque inutiles auxquelles nous étions condamnés, ilLouis marchait dans sa route aérienne en se détachant, complétement détaché des choses qui nous entouraient. Obéissant au besoin d’imitation qui domine les enfansenfants, je tâchais de conformer ma viemon existence à la sienne ; alors il me communiqua. Louis m’inspira d’autant mieux sa passion pour l’espèce de sommeil dans lequel les contemplations profondes plongent le corps, que j’étais plus jeune et plus impressible ; aussi, nous . Nous nous habituâmes, comme deux amansamants, à penser ensemble, et à nous communiquer toutes nos rêveries.¶ Déjà, ses sensations intuitives avaient cette acutesseacuité qui doit appartenir aux perceptions intellectuelles des grands poètes, et les faire souvent approcher de la folie.¶ – Sens-tu, comme moi, me demanda-t-il un jour, s’accomplir en toi, malgré toi, de fantasques souffrances ?.... Si, par exemple, je pense vivement à l’effet que produirait la lame de mon canif en entrant dans mon doigtma chair, j’y ressens tout à coup une douleur aiguë comme si je m’étais réellement coupé : il n’y a de moins que le sang..... Mais cette sensation arrive et me surprend comme un bruit soudain qui troublerait un profond silence. Une idée, causer des souffrances physiques ?....¶ Hein ! qu’en dis-tu ?¶ Quand il exprimait des réflexions si ténues, nous tombions tous deux dans une rêverie naïve,. Nous nous mettantmettions à rechercher en nous -mêmes les indescriptibles phénomènes relatifs à la génération de la pensée dont il, que Lambert espérait saisir les dans ses moindres développemens, et développements, afin de pouvoir en décrire un jour l’appareil inconnu. .¶ Puis, après ces des discussions, souvent mêlées d’enfantillages, un regard jaillissait des yeux flamboyansflamboyants de Lambert ;, il me serrait la main, et il sortait de son âme un mot par lequel il tâchait de se résumer.¶ – Penser, c’est voir !... me dit-il un jour, emporté par une de mes nos objections sur le principe de notre animation.¶organisation. Toute science humaine repose sur la déduction, qui est une vision lente par laquelle on descend de la cause à l’effet, par laquelle on remonte de l’effet à la cause ; ou, dans une plus large expression, toute poésie comme toute œuvre d’art procède d’une rapide vision des choses.¶ Il était spiritualiste ; et moi, d’aprèsmais, j’osais le contredire en m’armant de ses observations, je m’obstinais à mêmes pour considérer l’intelligence comme un produit tout physique.¶ Nous avions raison tous deux. Peut-être les mots matérialisme et spiritualisme expriment-ils les deux côtés d’un seul et même fait. Ses études sur la substance de la pensée lui faisaient accepter avec une sorte d’orgueil la vie de privations à laquelle nous condamnaient et notre paresse et notre dédain pour nos devoirs. Nous avionsIl avait une certaine conscience de notresa valeur, qui nous le soutenait dans nos élucubrations.ses travaux spirituels. Avec quelle douceur nous sentions nos deux âmes agir l’uneje sentais son âme réagissant sur l’autre ! Quela mienne ! Combien de fois nousne sommes restés-nous pas demeurés assis sur notre banc, occupés tous deux à lire un livre, nous oubliant réciproquement sans nous quitter, ; mais nous sachant tous deux là, plongés dans un océan d’idées comme deux poissons qui nagent dans les mêmes eaux !... Notre vie était donc toute végétative en apparence, mais nous existions par le cœur et par le cerveau. Nos sentimens, nos pensées, étaient, pour nous, de grands événemens.¶Les sentiments, les pensées étaient les seuls événements de notre vie scolaire.¶ Lambert exerça sur mon imagination une influence dontde laquelle je me ressens encore aujourd’hui. J’écoutais avidement ses récits empreints du de ce merveilleux qui fait dévorer avec tant de délices, aux enfants comme aux hommes et aux enfans, tous, les contes où le vrai affecte les formes les plus absurdes. Sa passion pour les mystères et la crédulité naturelle au jeune âge nous entraînaient souvent à parler du cielCiel et de l’enfer.l’Enfer. Louis tâchait alors, en m’expliquant Swedenborg, de me faire partager ses croyances relatives aux anges. Ses raisonnemensDans ses raisonnements les plus faux contenaient toujoursse rencontraient encore des observations étonnantes sur la puissance de l’homme. Ses inventions romanesques sur, et qui imprimaient à sa parole ces teintes de vérité sans lesquelles rien n’est possible dans aucun art. La fin romanesque de laquelle il dotait la destinée humaine étaientétait de nature à caresser le penchant qui porte les imaginations vierges à s’abandonner aux superstitions.croyances. N’est-ce pas pendantdurant leur jeunesse que les peuples enfantent leurs dogmes et, leurs idoles ?... Et les êtres surnaturels sous devant lesquels ils tremblent ne sont-ils pas la personnification de leurs sentimenssentiments, de leurs besoins agrandis ?....¶ Ce qui me reste aujourd’hui dans la mémoire des conversations pleines de poésie que nous eûmes, Lambert et moi, sur le baronProphète suédois, dont de qui j’ai lu depuis les œuvres par curiosité, peut se réduire à ce précis.¶ Il existeraitIl y aurait en nous deux créatures distinctes ; et, selon. Selon Swedenborg, l’ange est celui serait l’individu chez lequel l’être intérieur réussit à triompher de l’être extérieur. Un homme veut-il obéir à sa vocation d’ange ?... Dès, dès que la pensée lui démontre sa double existence, il doit tendre à fortifier la frêle et nourrir l’exquise nature de l’ange qui est en nous. Si, n’ayant paslui. Si, faute d’avoir une vue translucide de sa destinée, il s’adonne àfait prédominer l’action corporelle au lieu d’exercerde corroborer sa vie intellectuelle, toutes ses forces passent dans le jeu de ses sens extérieurs, et l’ange périt lentement par cette matérialisation des deux natures. Dans le cas contraire, s’il nourritsubstante son intérieur des chosesessences qui lui sont propres, l’âme l’emporte sur la matière, et tâche àde s’en séparer. Alors, quand laQuand leur séparation arrive sous cette forme que nous appelons la mortMort, l’ange, assez puissant pour se dégager de son enveloppe, demeure, et commence sa vraie vie. Les différences Les individualités infinies qui sont entredifférencient les hommes ne peuvent s’expliquer que par cette double existence :; elles la font comprendre et la démontrent. En effet, la distance qui existese trouve entre un homme dont l’intelligence inerte le condamne à une apparente stupidité, et celui que l’exercice de sa vue intérieure a doué d’une force quelconque, doit nous faire supposer qu’il peut y avoirexister entre les gens de génie et d’autres êtres la même distance qui sépare les hommes stupides des hommes voyans. Tous habitent ici-bas des Aveugles des Voyants. Cette pensée, qui étend indéfiniment la création, donne en quelque sorte la clef des cieux. En apparence confondues ici-bas, les créatures y sont ; suivant la perfection de leur être intérieur, partagées en sphères distinctes dont les langagesmœurs et le langage sont étrangers les uns aux autres. Le livre Dans le monde invisible comme dans le monde réel, si quelque habitant des régions inférieures arrive, sans en être digne, à un cercle supérieur, non-seulement il n’en comprend ni les habitudes ni les discours, mais encore sa présence y paralyse et les voix et les cœurs. Dans sa Divine Comédie, Dante a peut-être eu quelque légère intuition de ces sphères qui commencent dans le monde des douleurs et s’élèvent par un mouvement armillaire jusque dans les cieux. La doctrine de Swedenborg est serait donc l’ouvrage d’un esprit lucide qui aaurait enregistré les innombrables phénomènes par lesquels un angeles anges se révèlerévèlent au milieu des hommes.¶ Cette doctrine , que je m’efforce aujourd’hui de résumer en lui y donnant un sens logique, m’était présentée par Lambert avec toutes les séductions du mystère, enveloppée dans les langes de la phraséologie particulière aux mystagogues,mystographes : diction obscure, pleine d’abstractions, et si active sur le cerveau, qu’il y a est certains livres de Jacob BœhmBoehm, de Swedenborg ou de madame Guyon, dont la lecture produit dans le cerveaupénétrante fait surgir des fantaisies aussi exorbitantes que celles demultiformes que peuvent l’être les rêves produits par l’opium.¶ Lambert me racontait des faits mystiques tellement étranges, ils frappaientil en frappait si vivement mon imagination si vivement, qu’ils me donnaient, qu’il me causait des vertiges, et me plongeaient. J’aimais néanmoins à me plonger dans ce monde mystérieux, invisible aux sens où nous aimons touschacun se plaît à vivre, soit que nous nous le représentionsqu’il se le représente sous la forme indéfinie de l’avenir, ou par les images indécises de la fable.l’Avenir, soit qu’il le revête des puissantes formes de la Fable. Ces réactions violentes de l’âme sur elle-même m’instruisaient à mon insu de sa force, et m’habituaientm’accoutumaient aux travaux de la pensée.¶ Quant à Lambert, il expliquait tout par son système sur les anges. Pour lui, l’amour pur, l’amour comme on le rêve au jeune âge, était la collision de deux natures angéliques. Aussi, rien n’égalait-il l’ardeur avec laquelle il désirait rencontrer un ange-femme ; mais il était bien digne d’inspirer et de ressentir l’amour.¶. Hé ! qui plus que lui devait inspirer, ressentir l’amour ? Si quelque chose pouvait donner l’idée d’une exquise sensibilité, c’était, certes, n’était-ce pas le naturel aimable et bon empreint dans ses sentimens sentiments, dans ses paroles, dans ses actions et ses moindres gestes, enfin dans la conjugalité qui nous liait l’un à l’autre, et que nous exprimions en nous disant : Faisans. Il n’y avait disant Faisants ? Il n’existait aucune distinction entre les choses qui venaient ou de lui ouet celles qui venaient de moi. Nous contrefaisions mutuellement nos deux écritures, afin que l’un pût faire, à lui seul, les devoirs de tous les deux ; et alors, quand. Quand l’un de nous avait à achever un livre qu’il était nécessairefinir un livre que nous étions obligés de rendre à monau maître de mathématiques, nous pouvionsil pouvait le lire sans interruption, l’un de nous brochant la tâche et les pensum de l’autre. Nous nous acquittions de nos devoirs comme d’un impôt frappé sur notre tranquillité. Souvent ils étaient, siSi ma mémoire n’est pas infidèle, souvent ils étaient d’une supériorité remarquable lorsque Lambert les faisait.composait. Mais nous passions,, pris l’un et l’autre, pour deux idiots, et le professeur analysait toujours nos devoirs sous l’empire d’un préjugé fatal ; il, et les réservait même pour en amuser nos camarades. Je me souviens qu’un soir, en finissantterminant la classe qui avait lieu de deux à quatre heures, le maître prit s’empara d’une version de Lambert. Le texte commençait par : Caïus Gracchus, vir nobilis..... Louis avait traduit ces mots par : Caïus Gracchus était un noble cœur.¶ – Où voyez-vous du cœur dans nobilis ?... dit brusquement le professeur.¶ Et tout le monde de rire. pendant que Lambert regardait le professeur d’un air hébété.¶ – Que dirait madame la baronne de Staël en apprenant que vous traduisez par un contre-sens le mot qui signifie de race noble, d’origine patricienne ?¶ – Elle dirait que vous êtes une bête !... m’écriai-je à voix basse.¶ – Monsieur le Poètepoète, vous allez vous rendre en prison pour huit jours !..., répliqua le professeur, qui malheureusement m’entendit. .¶ Lambert reprit doucement en me jetant un regard d’une inexprimable tendresse :¶ – : Vir nobilis !...¶ Madame de Staël faisaitcausait, en partie, le malheur de Lambert. A tout propos, maîtres et disciples lui jetaient ce nom à la tête, soit en comme une ironie, soit comme un reproche.¶ Louis ne tarda pas à se faire mettre en prison pour me tenir compagnie. Nous étions bien Là, plus libres en prison que partout ailleurs. Là, nous pouvions causer parler pendant des journées entières, dans le silence des dortoirs où chaque élève possédait une niche de quatre six pieds carrés, dont les cloisons étaient garnies de barreaux par le haut, et dont la porte à claire-voie se fermait tous les soirs, et s’ouvrait tous les matins sous les yeux d’un du Père, qui assistait chargé d’assister à notre lever et à notre coucher. Le cric-crac de ces portes, manœuvrées avec une singulière promptitude par les garçons de dortoirs, était encore une des singularités particularités de ce collége.¶ Ces alcôves ainsi bâties nous servaient de prison, et nous y restions quelquefois enfermés pendant des mois entiers. Les écoliers mis en cage tombaient sous l’œil sévère du préfet, espèce de censeur qui venait, à ses heures ou à l’improviste, d’un pas léger, pour savoir si nous causions au lieu de faire nos pensum. Mais les coquilles de noix semées dans les escaliers, ou la délicatesse de notre ouïe, nous permettaient, presque toujours, de prévoir son arrivée ;, et nous pouvions nous livrer, sans trouble, à nos études chéries. Cependant, la lecture nous étant interdite, les heures de prison étaient toujours consacréesappartenaient ordinairement à des discussions métaphysiques, ou au récit de quelques accidensaccidents curieux relatifs aux phénomènes de la pensée.¶ Un des faits les plus extraordinaires est, certes, celui que je vais raconter.¶ Le , non-seulement parce qu’il concerne Lambert, mais encore parce qu’il décida peut-être sa destinée scientifique. Selon la jurisprudence des colléges, le dimanche et le jeudi étaient, comme dans tous les colléges, nos deux jours de congé ; mais le dimanche était presque toujours pris par les offices, auxquels nous assistions très exactement. Donc,, employaient si bien le dimanche, que nous considérions le jeudi comme notre seul jour de bonheur. Une fois la fête. La messe une fois entendue, nous avions assez de temps loisir pour faire, rester long-temps en promenade dans les campagnes voisines,situées aux environs de longues promenades. Aller au Vendôme. Le manoir de Rochambeau était l’objet de la plus célèbre de nos excursions., peut-être à cause de son éloignement. Rarement les Petitspetits faisaient une course aussi fatigante ; néanmoins, une fois ou deux par an, les régensRégents leur proposaient la partie de Rochambeau comme une récompense.¶ Vers En 1812, vers la fin du printemps de 1812, nous dûmes y aller pour la première fois, et le . Le désir de voir le fameux château de Rochambeau, dont le propriétaire donnait quelquefois du laitage aux élèves, les nous rendit tous sages, et rien. Rien n’empêcha donc la partie.¶ Louis Ni moi ni Lambert, nous ne connaissait pas, ni moi non plus,connaissions la jolie vallée du Loir, où cette habitation a été construite. Aussi, son imagination et la mienne furent-elles très -préoccupées la veille de cette promenade, qui causait dans le collége une joie traditionnelle. Nous en parlâmes pendant toute la soirée, en nous promettant d’employer en fruits et ou en laitage l’argent que nous possédions contrairement aux lois vendômoises. Le lendemain, après le dîner, nous partîmes, à midi et demi, tous munis tous d’un cubique morceau de pain presque cubique que l’on nous distribuait d’avance pour notre goûter, et. Puis, alertes comme des hirondelles, nous marchâmes en troupe vers le célèbre castel, avec une ardeur qui ne nous permettait pas de sentir tout d’abord la fatigue.¶ Quand nous fûmes arrivés sur la colline, d’où nous pouvions apercevoircontempler et le château assis à mi-côte, et la vallée tortueuse où brille la rivière en serpentant dans une prairie artistement découpée par le hasard,gracieusement échancrée ; admirable paysage, un de ceux auxquels les vives sensations du jeune âge, ou celles de l’amour, ont imprimé tant de charmes, que, plus tard, il ne faut jamais les aller revoir, Louis Lambert me dit :¶: – Mais, j’ai vu cela !.... cette nuit, en rêve !....¶ Il reconnut et le bouquet d’arbres sous lequel nous étions, et la disposition des feuillages, la couleur des eaux, les tourelles du château, les accidensaccidents, les lointains, enfin tous les détails du site qu’il voyaitapercevait pour la première fois. Nous étions bien enfansenfants l’un et l’autre, ; moi, du moins, qui n’avais que treize ans ; car, à quinze ans, Louis pouvait avoir la profondeur d’un homme de génie ; mais à cette époque nous étions tous deux incapables de mensonge dans les moindres actes de notre vie d’amitié. D’ailleurs, si Lambert comprenait,Si Lambert pressentait d’ailleurs par la toute-puissance de sa pensée, l’importance des faits, il était loin d’en apercevoirde deviner d’abord l’leur entière portée, ; aussi commença-t-il par être étonné de celui-ci. Je lui demandai même s’il n’était pas venu à Rochambeau pendant son enfance, ma question le frappa ; mais, après avoir consulté ses souvenirs, il me répondit négativement.¶ J’ai rapporté cet Cet événement, d’abord parce que chaque homme peut dont l’analogue peut se retrouver dans son existence quelque phénomène deles phénomènes du sommeil ou de veille analogue à celui-ci ; puis, parce qu’il est véritable et beaucoup d’hommes, fera comprendre la prodigieuse intelligenceles premiers talents de Lambert. En ; en effet, il sut en déduire tout un système, en s’emparant, comme fit Cuvier dans un autre ordre de choses, d’un fragment de viepensée pour reconstruire toute une création.¶ En ce moment, nous nous assîmes tous deux sous une vieille truisse de chêne ; etpuis, après quelques momensmoments de réflexion, Louis me dit :¶: – Si le paysage n’est pas venu à vers moi, ce qu’il qui serait absurde de à penser, jej’y suis donc venu à lui.... Si j’étais ici pendant que je dormais dans mon alcovealcôve, ce fait ne constitue-t-il pas une séparation complète entre mon corps et mon être intérieur ? Ne prouveN’atteste-t-il pas laje ne sais quelle faculté locomotive de celui-ci ?l’esprit ou des effets équivalant à ceux sur la locomotion du corps ? Or, s’ilssi mon esprit et mon corps ont pu mese quitter pendant le sommeil, pourquoi ne les ferais-je pas également divorcer ainsi pendant la veille ?¶ – N’y aurait-il pas toute une science dans ce phénomène ?... ajouta-t-il en se frappant fortement le front. S’il n’est pas le principe d’une science, il trahit certainement en l’homme un singulier pouvoir ; il accuse au moins la désunion fréquente de nos deux natures, fait que je pressentais. Je n’aperçois point de moyens termes entre ces deux propositions. Mais allons plus loin, pénétrons les détails ? Ou ces faits se sont accomplis par la puissance d’une faculté qui met en œuvre un second être à qui mon corps sert d’enveloppe, puisque j’étais dans mon alcôve et voyais le paysage, et ceci renverse bien des systèmes ; ou ces faits se sont passés, soit dans quelque centre nerveux dont le nom est à savoir et où s’émeuvent les sentiments, soit dans le centre cérébral où s’émeuvent les idées. Cette dernière hypothèse soulève des questions étranges. J’ai marché, j’ai vu, j’ai entendu. Le mouvement ne se conçoit point sans l’espace, le son n’agit que dans les angles ou sur les surfaces, et la coloration ne s’accomplit que par la lumière. Si, pendant la nuit, les yeux fermés, j’ai vu en moi-même des objets colorés, si j’ai entendu des bruits dans le plus absolu silence, et sans les conditions exigées pour que le son se forme, si dans la plus parfaite immobilité j’ai franchi des espaces, nous aurions des facultés internes, indépendantes des lois physiques extérieures. La nature matérielle serait pénétrable par l’esprit. Comment les hommes ont-ils si peu réfléchi jusqu’alors aux accidents du sommeil qui accusent en l’homme une double vie ? N’y aurait-il pas une nouvelle science dans ce phénomène ? ajouta-t-il en se frappant fortement le front ; s’il n’est pas le principe d’une science, il trahit certainement en l’homme d’énormes pouvoirs ; il annonce au moins la désunion fréquente de nos deux natures, fait autour duquel je tourne depuis si long-temps. J’ai donc enfin trouvé un témoignage de la supériorité qui distingue nos sens intérieurslatents de nos sens apparens !....¶apparents ! homo duplex ! – Mais, reprit-il après une pause et en laissant échapper un geste de doute, peut-être n’existe-t-il pas en nous deux natures ? Peut-être sommes-nous tout simplement doués de qualités intimes et perfectibles dont l’exercice, dont les développements produisent en nous des phénomènes d’activité, de pénétration, de vision encore inobservés. Dans notre amour du merveilleux, passion engendrée par notre orgueil, nous aurons transformé ces effets en créations poétiques, parce que nous ne les comprenions pas. Il est si commode de déifier l’incompréhensible ! Ah ! j’avoue que je pleurerai la perte de mes illusions. J’avais besoin de croire à une double nature et aux anges de Swedenborg ! Cette nouvelle science les tuerait-elle donc ? Oui, l’examen de nos propriétés inconnues implique une science en apparence matérialiste, car L’ESPRIT emploie, divise, anime la substance ; mais il ne la détruit pas.¶ Il demeura pensif, triste à demi. Peut-être voyait-il ses rêves de jeunesse comme des langes qu’il lui faudrait bientôt quitter.¶ – La vue et l’ouïe, dit-il en riant de son expression, ne sont peut-être quesans doute les gaînes d’un outil merveilleux !...¶!¶ En cet instant, comme pendant tous ceuxPendant tous les instants où il m’entretenait du cielCiel et de l’enfer,l’Enfer, il avait coutume de regarder la nature en maître ; mais surtout en disant, en proférant ces dernières paroles grosses de science, il planaitplana plus audacieusement que jamais sur le paysage, regardait la nature en maître, et son front me paraissait prêt à parut près de crever sous l’effort du génie ; il était tout intelligence, et : ses forces, qu’il faut nommer morales jusqu’à nouvel ordre, semblaient jaillir par les organes destinés à les projeter ; ses yeux dardaient la pensée. Sa puissance intellectuelle passait par tous les organes qui semblent destinés à la projeter : ; sa main levée, ses lèvres muettes et tremblantes, parlaient ; son regard brûlant, parlaient et rayonnaient. Enfin, rayonnait ; enfin sa tête, comme trop lourde, ou fatiguée par un élan trop violent, retomba sur sa poitrine ; cet. Cet enfant, ce géant se voûta ; puis, me prenantprit la main et, la serrant dans la sienne, qui était chaudemoite, tant il était enfiévré par la recherche de la vérité :¶; puis après une pause il me dit : – Je serai célèbre !... me dit-il.¶ – Mais toi aussi !...., ajoutat-il vivement. Nous serons tous deux les alchimistes de la pensée.¶volonté.¶ Cœur exquis !... Je reconnaissais sa supériorité ;, mais lui se gardait bien de jamais me la faire sentir. Il partageait avec moi les trésors de sa pensée, me comptait pour quelque chose dans ses idéesdécouvertes, et me laissait les miennes en propre ; il était propre mes infirmes réflexions. Toujours gracieux comme une femme qui aime, ayant il avait toutes les pudeurs de sentiment et, toutes les délicatesses d’âme qui rendent la vie et si bonne et si douce à porter.¶ Il commença le lendemain même un ouvrage qu’il intitula : Traité de la Volonté. Ses ; ses réflexions en modifièrent souvent le plan et la méthode ; mais l’événement de cette journée solennelle en fut certes le germe, comme la chute de la poire devint la cause première des découvertes de Newton. Cette sensation électrique toujours ressentie par Mesmer à l’approche d’un valet fut l’origine de ses découvertes en magnétisme, science jadis cachée au fond des mystères d’Isis, de Delphes, dans l’antre de Trophonius, et retrouvée par cet homme prodigieux à deux pas de Lavater, le précurseur de Gall. Éclairées par cette soudaine clarté fit prendre , les idées de Lambert prirent des proportions immenses aux idées de Lambertplus étendues ; il démêla dans ses acquisitions les des vérités éparses, et les rassembla ; puis, comme un fondeur, il coula sa statue !....¶ son groupe. Après six mois d’un travail assidu, les manuscrits de Lambert ayant excitéd’une application soutenue, les travaux de Lambert excitèrent la curiosité de nos camarades, et furent l’objet de quelques plaisanteries cruelles qui devaient avoir une funeste issue. Un jour, l’un de nos persécuteurs, ameutant tous ses partisans, voulant qui voulut absolument les voir, nos manuscrits, ameuta quelques-uns de nos tyrans, et vint s’emparer violemment d’une cassette où ils étaient déposés. Lambert et moi défendîmes était déposé ce trésor que Lambert et moi nous défendîmes avec un courage inouï. La boîte étant était fermée, il était fut impossible à nos agresseurs de l’ouvrir ; mais ils essayaient doncessayèrent de la briser dans le combat ; et, comprenant leur dessein, nous jetions, noire méchanceté qui nous fit jeter les hauts cris. Quelques camarades, animés d’un esprit de justice et ou frappés de notre résistance héroïque, conseillaient de nous laisser tranquilles tout en nous accablant de quolibets, lorsque, soudain, le père Haugoultd’une insolente pitié. Soudain, attiré par le bruit de la bataille, le père Haugoult intervint brusquement, et s’enquit de la dispute. Nos adversaires nous ayantavaient distraits de nos pensum, le régent Régent venait défendre ses esclaves. Pour s’excuser, les assaillansassaillants révélèrent l’existence des manuscrits ; alors, le . Le terrible Haugoult nous ordonna de lui remettre la cassette et de l’ouvrir. Il cassette : si nous résistions, il pouvait la faire briser, si nous résistions ; Lambert lui en livra donc la clef ;, le régentRégent prit les papiers, les feuilleta ; puis, les confisqua en disant :¶ il nous dit en les confisquant : – Voilà donc les bêtises pour lesquelles vous négligez vos devoirs !...¶ De grosses larmes tombèrent des yeux de Lambert, arrachées autant par la conscience qu’il avait de sa supériorité morale offensée, que par l’insulte gratuite dont nous étions victimes, et par la trahison de nos camarades.qui nous accablaient. Nous lançâmes à nos accusateurs un regard de reproche. Ne : ne nous avaient-ils pas vendus à l’ennemi commun ?... Aussi, eurent-ils pendant un moment quelque honte de leur lâcheté. S’ils s’ils pouvaient, suivant le Droit écolierÉcolier, nous battre, ils ne devaient -ils pas garder le silence sur nos péchés. Nous restâmes tous silencieux.fautes ? Aussi eurent-ils pendant un moment quelque honte de leur lâcheté. Le père Haugoult vendit probablement à un épicier de Vendôme le Traité de la Volonté à un épicier de Vendôme.¶, sans connaître l’importance des trésors scientifiques dont les germes avortés se dissipèrent en d’ignorantes mains.¶ Six mois après cet événement, je quittai le collége ; j’ignore. J’ignore donc si Lambert, que notre séparation plongea dans une noire mélancolie, a recommencé son ouvrage.¶ Ce fut en mémoire de la catastrophe arrivée au livre de Louis que, récemment, dans l’ouvrage par lequel commence la série de ces contescommencent ces Études, je me suis servi pour une œuvre fictive du titre réellement inventé par Lambert. Mais, et que j’ai donné le nom d’une femme qui lui fut chère, à une jeune fille pleine de dévouement ; mais cet emprunt n’est pas le seul que je lui ai fait. Son : son caractère, ses occupations, m’ont été très -utiles dans cette composition, dont le sujet est dû à quelque souvenir de nos jeunes méditations. Maintenant cette NoticeHistoire est destinée à lui élever le seul monument qui puisse attesterun modeste cippe où soit attestée la vie de celui qui m’a légué tout son bien :, sa pensée.¶ Dans cet ouvrage d’enfant, Lambert déposa des idées d’homme. Dix ans plus tard, en rencontrant quelques savanssavants sérieusement occupés des phénomènes qui nous avaient frappés, et que Lambert analysa si miraculeusement, je compris l’importance de ses travaux, oubliés déjà comme un enfantillage. Je passai donc plusieurs mois à me rappelerrappeler : les principales découvertes de mon pauvre camarade. Or, après Après avoir rassemblé mes souvenirs, je puis affirmer que, dès 1812, il avait établi, deviné, discuté, dans son Traité, plusieurs faits importans,importants dont, me disait-il, les preuves arriveraient tôt ou tard. Ses spéculations philosophiques devraient certes le faire admettre au nombre de ces géniesgrands penseurs apparus à divers intervalles parmi les hommes pour leur révéler les principes tout nus de quelque science à venir, en un seul mot, qui pousse ses dont les racines dans l’entendement humain.poussent avec lenteur et portent un jour de beaux fruits dans les domaines de l’intelligence. Ainsi, un pauvre artisan, Bernard, occupé à fouiller les terres pour trouver le secret des émaux, affirmait au seizième siècle, avec toute l’l’infaillible autorité du génie, les faits géologiques dont la démonstration fait aujourd’hui la gloire de Buffon et de Cuvier.¶ Je crois pouvoir donneroffrir une idée du traitéTraité de Lambert par les propositions capitales qui en faisaientformaient la base, ; mais je les dépouillerai, malgré moi, des idées dans lesquelles il les avait enveloppées, et qui en étaient le cortége indispensable ; car, marchant. Marchant dans un autre sentier autre que le sien, je prenais dans, de ses recherches, celles qui servaient le mieux mon système. Je ne saisJ’ignore donc pas si, moi, son disciple, traduiraije pourrai fidèlement traduire ses pensées, après me les être assimilées de manière à leur donner la couleur des miennes, malheureusement pour lui, peut-être.¶ Donc, suivant Lambert, la vie humaine consiste en deux mouvemens distincts : l’Action et la Réaction.¶ Une de ses phrases expliquera ces deux principes autant qu’il est possible de démontrer brièvement un système vaste :¶ – Un désir, disait-il, est un fait entièrement accompli par la pensée avant de l’être dans le monde extérieur.¶ La Volonté est le nom qu’il donnait à toute la A des idées nouvelles, des mots nouveaux ou des acceptions de mots anciens élargies, étendues, mieux définies ; Lambert avait donc choisi, pour exprimer les bases de son système, quelques mots vulgaires qui déjà répondaient vaguement à sa pensée. Le mot de VOLONTÉ servait à nommer le milieu où la pensée fait ses évolutions ; ou, dans une expression moins abstraite, la masse de force par laquelle l’homme peut reproduire au-, en dehors les faits accomplis déjà par l’Action.¶ Ainsi l’ensemble de nos actes physiques, nos mouvemens, la parole, tout ce qui est extérieur, constitue la Réaction.¶ Ces deux principes usent du de lui-même appareil, de l’homme entier ; ils résolvent par leur jeu, auquel Lambert rattachait tous, les phénomènes du corps et de la pensée, le problème de notre double vie. Mais nos sens, ayant une double destination, possèdent également une double action, en prenant ici ce mot dans son usage ordinaire. Or, la première de ces actions, participant de toute la supériorité de la pensée qui voit, veut et agit en nous avant toute démonstration corporelle, n’est soumise à aucune des conditions que subit l’action de nos sens extérieurs. En d’autres termes, l’être actionnel ou intérieur ne connaît ni le temps ni l’espace qui arrête l’être extérieur et visible sur lequel réagit la volonté du premier.¶ actions qui composent sa vie extérieure. La VOLITION, mot dû aux réflexions de Locke, exprimait l’acte par lequel l’homme use de la Volonté. Le mot de PENSÉE, pour lui le produit quintessentiel de la Volonté, désignait aussi le milieu où naissaient les IDÉES auxquelles elle sert de substance. L’IDÉE, nom commun à toutes les créations du cerveau, constituait l’acte par lequel l’homme use de la Pensée. Ainsi la Volonté, la Pensée étaient les deux moyens générateurs ; la Volition, l’Idée étaient les deux produits. La Volition lui semblait être l’idée arrivée de son état abstrait à un état concret, de sa génération fluide à une expression quasi solide, si toutefois ces mots peuvent formuler des aperçus si difficiles à distinguer. Selon lui, la Pensée et les Idées sont le mouvement et les actes de notre organisme intérieur, comme les Volitions et la Volonté constituent ceux de la vie extérieure.¶ Cette théorie, que je tâche de rendre compréhensible, expliquait parfaitement, selon Louis Lambert, les phénomènes les plus merveilleux de notre merveilleuse nature, les évocations du génie, et celles si contestées des sorcières ; toutes lui semblaient être un effet de la faculté locomotrice qu’il avait reconnue dans l’être intérieur, un très simple phénomène de l’action.¶ Accordant aux idées une sorte d’existence, il prétendait que les hommes ne se trompaient pas en disant d’un style qu’il était coloré, nerveux, etc.¶ L’idée était, selon lui, le produit ; et, la pensée, le moyen ; comme la volonté était la force ; et, la volition, l’acte par lequel l’homme en usait. Donc la pensée était le mouvement de l’être intérieur ; et les idées composaient les actes de sa vie, comme les actions, ceux de l’être extérieur. Un poète était, pour lui, l’appareil habitué à courir à travers la nature pour s’y nourrir d’images, et Napoléon, un appareil habitué à vouloir.¶ La volonté Une logique et simple déduction de ses principes lui avait fait reconnaître que la Volonté pouvait, par un mouvement tout contractile de l’être intérieur, s’amasser ; etpuis, par un autre mouvement, être projetée au- dehors., et même être confiée à des objets matériels. Ainsi, la force entière d’un homme pouvait devait avoir la propriété de réagir sur les autres, et de les pénétrer d’une substanceessence étrangère à la leur, s’ils ne se défendaient pas contre cette agression.¶ Aussi, pour lui, la volonté, la pensée, étaient des forces vives. Les preuves de ce théorème de la Science humaine sont nécessairement multipliées ; mais rien ne les constate authentiquement. Il a fallu, soit l’éclatant désastre de Marius et son allocution au Cimbre chargé de le tuer, soit l’auguste commandement d’une mère au lion de Florence, pour faire connaître historiquement quelques-uns de ces foudroiements de la pensée. Pour lui donc la Volonté, la Pensée étaient des forces vives ; aussi en parlait-il de manière à vous faire partager ses croyances. Pour lui, ces deux puissances étaient en quelque sorte et visibles et tangibles. Pour lui, la penséePensée était lente ou prompte, lourde ou agile, claire ou obscure. Il ; il lui donnaitattribuait toutes les qualités des êtres agissansagissants, la faisait saillir, se reposer, se réveiller, grandir, vieillir, se rétrécir, s’atrophier, s’aviver. Il ; il en surprenait la vie en en spécifiant tous les actes par les bizarreries de notre langage. Il ; il en constatait la spontanéité, la force, les qualités avec une sorte d’intuition de la chose ellemême.¶qui lui faisait reconnaître tous les phénomènes de cette substance.¶ – Souvent au milieu du calme et du silence, me disait-il, lorsque nos facultés intérieures sont endormies, et que quand nous nous abandonnons à la douceur du repos, qu’il y as’étend des espèces de ténèbres en nous, et que nous tombons dans la contemplation des choses extérieures ;, tout à coup, une idée s’élance, passe, avec la rapidité de l’éclair, à travers les espaces infinis dont notre cerveau la perception nous donne la perception ; puis, cette est donnée par notre vue intérieure. Cette idée brillante, surgie comme un feu follet, s’éteint sans retour ;: existence éphémère, pareille à celle de ces enfansenfants qui font connaître aux parensparents une joie et un chagrin sans bornes ; espèce de fleur mort-née dans les champs de la pensée. Parfois aussi l’idée, au lieu de jaillir avec force, et de mourir sans consistance, commence à poindre, se balance dans les limbes inconnus des organes où elle naîtprend naissance ; elle nous lasseuse par un long enfantement ; puis, elle, se développe, elle devient féconde, grandit, elle est féconde, elle est riche et se produit au- dehors dans toute la grâce de la jeunesse et avecparée de tous les attributs d’une longue vie ; elle soutient les plus curieux regards, elle les attire, elle les provoque et ne les lasse jamais : l’examen qu’elle provoque commande l’admiration comme en toutes que suscitent les œuvres long-temps élaborées. Tantôt les idées naissent par essaim :, l’une entraîne l’autre ;, elles s’enchaînent ;, toutes sont agaçantes ;, elles abondent, elles sont folles ; tantôt. Tantôt elles se lèvent pâles, confuses, dépérissantdépérissent faute de force ou d’alimensd’aliments ; la substance génératrice leur manque. Enfin, à certains jours, elles se précipitent dans les abîmes pour en éclairer les immenses profondeurs ; elles nous épouvantent et laissent notre âme abattue. Les idées sont en nous un système complet, semblable à l’un des règnes de la nature, une sorte de floraison dont il serait possible à l’iconographie sera retracée par un homme, à un de génie qui passera pour fou peut-être, de donner l’iconographie.. Oui, tout, en nous et au dehors, atteste la vie de ces créations ravissantes que je compare à des fleurs, en obéissant à je ne sais quelle révélation de leur nature !... Au reste, leur Leur production comme fin de l’homme, n’est d’ailleurs pas plus étonnante que celle des parfums et des couleurs dans la plante. Les parfums sont des idées peut-être ! En pensant que la ligne où finit notre chair finit et où l’ongle commence contient l’inexplicable et invisible mystère de cette la transformation constante de nos fluides en corne, il faut ne rien reconnaître d’que rien n’est impossible dans les merveilleuses modifications de la substance humaine !.... Enfin, n’y a. Mais ne se rencontre-t-il donc pas dans la nature morale des phénomènes de mouvement et de pesanteur semblables à ceux de la nature physique ?... L’attente, pour choisir un exemple qui puisse être vivement senti de tout le monde, n’est si douloureuse que par l’effet de la loi en vertu de laquelle le poids d’un corps est multiplié par sa vitesse. La pesanteur du sentiment que produit l’attente ne s’accroît-elle paspoint par l’une addition constante des souffrances passées, à la douleur du moment ?¶ Enfin, à quoi, si ce n’est à une substance électrique, peut-on attribuer la magie par laquelle la Volonté s’intronise si majestueusement dans les regards pour foudroyer les obstacles aux commandements du génie, éclate dans la voix, ou filtre, malgré l’hypocrisie, au travers de l’enveloppe humaine ? Le courant de ce roi des fluides qui, suivant la haute pression de la Pensée ou du Sentiment, s’épanche à flots ou s’amoindrit et s’effile, puis s’amasse pour jaillir en éclairs, est l’occulte ministre auquel sont dus soit les efforts ou funestes ou bienfaisants des arts et des passions, soit les intonations de la voix, rude, suave, terrible, lascive, horripilante, séductrice tour à tour, et qui vibre dans le cœur, dans les entrailles ou dans la cervelle au gré de nos vouloirs ; soit tous les prestiges du toucher, d’où procèdent les transfusions mentales de tant d’artistes de qui les mains créatrices savent, après mille études passionnées, évoquer la nature ; soit enfin les dégradations infinies de l’œil, depuis son atone inertie jusqu’à ses projections de lueurs les plus effrayantes. A ce système Dieu ne perd aucun de ses droits. La Pensée matérielle m’a raconté de lui de nouvelles grandeurs !¶ Après l’avoir vuentendu parlant ainsi, vous plongeant après avoir reçu dans l’âme son regard dans l’âme comme une lumière, il était difficile de ne pas être ébloui par sa conviction, séduitentraîné par ses raisonnemens.raisonnements. Aussi, LA PENSÉE m’apparaissait-elle comme une puissance toute physique, accompagnée de ses innombrablesincommensurables générations. Elle était une nouvelle humanitéHumanité sous une autre forme.¶ Ce simple aperçu des lois que Lambert prétendait être la formule de notre intelligence, et par lesquelles il expliquait très logiquement des choses que nous regardons encore comme incompréhensibles, doit suffire pour faire concevoirimaginer l’activité prodigieuse avec quelle activité cette laquelle son âme se dévorait elle-même.¶ Lambert cherchait Louis avait cherché des preuves à ses principes dans l’histoire des grands hommes dont l’existence, mise à jour par les biographes, fournit des particularités curieuses sur les actes de leur intelligence.entendement. Sa mémoire lui ayant permis de se rappeler les faits qui pouvaient servir de développement à ses assertions, il les avait annexés à chacun des chapitres auxquels ils servaient de démonstration, en sorte que plusieurs de ses maximes en acquéraient une certitude presque mathématique.¶ Les œuvres de Cardan, homme doué d’une singulière puissance de vision, lui fournirent des donnèrent de précieux matériaux. Il n’avait oublié ni Newton, qui resta pendant vingt-quatre heures à méditer, sans apercevoir les changemens introduits autourApollonius de lui par Tyanes annonçant en Asie la nuitmort du tyran et le jourdépeignant son supplice à l’heure même où il avait lieu dans Rome ; ni Plotin, qui, séparé de par Porphyre, devinasentit l’intention où était celui-ci de se tuer, et accourut pour l’en dissuader ; ni l’aventure plus récente et moins contestable arrivée,le fait constaté dans le siècle dernier, à une jeune Anglaise à la face de la plus moqueuse incrédulité qui se soit jamais rencontrée, fait surprenant pour les hommes habitués à faire du doute une arme contre Dieu seul, mais tout simple pour quelques croyants : Alphonse-Marie de Liguori, évêque de Sainte-Agathe, donna des consolations au pape Ganganelli, qui le vit, l’entendit, lui répondit ; et dans ce même temps, à une très-grande distance de Rome, l’évêque était observé en extase, chez lui, dans un fauteuil où il s’asseyait habituellement au retour de la messe. En reprenant sa vie ordinaire, il trouva ses serviteurs agenouillés devant lui, qui tous le croyaient mort. – » Les amis, leur dit-il, le Saint-Père vient d’expirer. » Deux jours après, un courrier confirma cette nouvelle. L’heure de la mort du pape coïncidait avec celle où l’évêque était revenu à son état naturel. Lambert n’avait pas omis l’aventure plus récente encore, arrivée dans le siècle dernier à une jeune Anglaise qui, aimant passionnément un marin, partit de Londres pour aller le retrouver, et le retrouvatrouva, seule, sans guide au milieu des , dans les déserts de l’Amérique septentrionale, où elle arriva pour lui sauver la vie. Il Louis avait mis à contribution les mystères de l’antiquité, les sorcelleriesactes des martyrs où sont les plus beaux titres de gloire pour la Volonté humaine, les démonologues du moyen âge, les procès criminels, les recherches médicales ; , en discernant partout le fait vrai, le phénomène probable avec une admirable sagacité.¶ Cette riche collection d’anecdotes scientifiques recueillies dans tant de livres, la plupart dignes de foi, servit sans doute à faire des cornets de papier, ; et ce travail au moins curieux, dû àenfanté par la plus extraordinaire des mémoires humaines, a dû périr.¶ Entre toutes les preuves dontqui enrichissaient l’œuvre de Lambert était enrichie, se trouvait une histoire arrivée dans sa famille, et qu’il m’avait racontée avant d’entreprendre son traité. Ce fait, relatif à la post-existence (de l’être intérieur, si je puis me permettre de forger un mot nouveau pour rendre un effet innommé) de l’être intérieur, me frappa si vivement que j’en ai gardé le souvenir.¶ Son père et sa mère eurent à soutenir un procès dont la perte devait entacher leur probité, seul bien des gens pauvres.qu’ils possédassent au monde. Donc, l’anxiété fut grande quand il fut s’agita la question de savoir si l’on céderait à l’injuste agression du demandeur, ou si l’on se défendraitdétendrait contre lui. La délibération eut lieu par une nuit d’automne, devant un feu de tourbe, dans la chambre du tanneur et de sa femme.¶ A ce conseil furent appelés deux ou trois parensparents et le bisaïeul maternel de Louis, vieux laboureur tout cassé, mais d’une figure vénérable et majestueuse, dont les yeux étaient clairs, dont le crâne jauni par le temps conservait encore quelques mèches de cheveux blancs épars. Semblable à l’Obi des nègres, au SachemSagamore des sauvages, c’il était une espèce d’esprit oraculaire que l’on consultait dans les grandes occasions. Habituellement, il parlait peu, restait assis chez lui sans se mouvoir. Ses biens étaient cultivés par ses petits-enfansenfants, qui le nourrissaient et le servaient. Il ; il leur pronostiquait la pluie, le beau temps ; , et leur indiquait le moment où ils devaient faucher les prés ou rentrer les moissons ; et la. La justesse barométrique de sa parole, devenue célèbre, augmentait toujours la confiance dans et le culte dont il était l’objet.qui s’attachaient à lui. Il demeurait des journées entières immobile sur sa chaise. Cet état d’extase lui était devenu familier depuis la mort de sa femme, pour laquelle il avait eu la plus vive et la plus constante des affections.¶ Le débat eut lieu devant lui, sans qu’il parût y prêter une grande attention. Enfin, – Mes enfants, leur dit-il quand il fut requis de donner son avis.¶ – Mes enfans, leur dit-il, cette affaire est trop grave pour que je la décide seul ; il . Il faut que j’aille consulter ma femme !...¶. Le bonhomme se leva, prit son bâton, et sortit, au grand étonnement de tous les assistans,des assistants qui le crurent tombé en enfance ; mais il . Il revint bientôt et leur dit :¶: – Je n’ai pas eu besoin d’aller jusqu’au cimetière, votre mère est venue au-devant de moi, je l’ai trouvée au coinauprès du ruisseau. Elle m’a dit que vous retrouveriez chez un notaire de Blois des quittances qui vous feraient gagner levotre procès.¶ Ces paroles furent prononcées d’une voix ferme. L’attitude, et la physionomie de l’aïeul, annonçaient un homme pour lequelqui cette apparition était familière.habituelle. En effet, les quittances contestées se retrouvèrent, et le procès n’eut pas lieu.¶ Cette aventure arrivée sous le toit paternel, et dont Louis fut témoin à l’âgeaux yeux de Louis, alors âgé de neuf ans, contribua beaucoup à luile faire croire aux visions miraculeuses de Swedenborg ; et, en , qui donna pendant sa vie plusieurs preuves de la puissance de vision acquise à son être intérieur. En avançant en âge, et à mesure que son intelligence se développait, ilLambert devait être conduit à rechercher dans les lois de la nature humaine les causes du miracle qui dès l’enfance avait attiré son attention dès l’enfance. Quel. De quel nom donner auappeler le hasard qui rassemblait, autour de lui, les faits, les livres relatifs à ces phénomènes, et le rendaitrendit lui-même le théâtre et l’acteur des plus grandes merveilles de la pensée ?....¶ Quand Louis n’aurait, pour touteseul titre à la gloire, que d’avoir, à dès l’âge de quinze ans, affirmé le fait si étonnant de la faculté possédée par l’homme de projeter sa volonté ; puis, d’avoir deviné la possibilité de cette séparation curieuse entre les deux natures dont, tôt ou tard, la science s’occupera ; enfin, quand il n’aurait fait que proclamer la nécessité d’une analyse spéciale pour les phénomènes émanés de ces deux actions distinctes ; ou, quand il n’aurait émis que cette pensée :¶ « Les événemens émis cette maxime psychologique : « Les événements qui attestent l’action de l’Humanité, et qui sont le produit de son intelligence, ont des causes génératrices, dans lesquelles ils sont virtuellement préconçus, comme nos actions sont accomplies dans notre pensée, avant de se reproduire au- dehors : les pressentimens et ; les pressentiments ou les prophéties sont l’aperçu des de ces causes. »¶ Je ; » je crois qu’il faudrait déplorer en lui la perte d’un génie égal à celui des Pascal, des NewtonLavoisier, des Laplace.¶ Il formula peut-être au profit de sa chimère d’anges les principes sur lesquels s’appuieront les travaux futurs des psycologistes ; mais, Peut-être ses chimères sur les anges dominèrent-elles trop long-temps ses travaux ; mais n’est-ce pas en cherchant à faire de l’or que quelques hommes les savants ont insensiblement créé la chimie ?¶Chimie ? Cependant, si plus tard Lambert étudia l’anatomie comparée, la physique, la géométrie et toutes les sciences qui se rattachaient à ses découvertes, il duteut nécessairement l’intention de rassembler des faits et de procéder par l’analyse, le seul flambeau qui puisse nous guider aujourd’hui à travers les obscurités de la moins saisissable de toutes lesdes natures. Il avait certes trop de sens et de talent pour rester dans les langes nuages des théories : elles , qui toutes peuvent se traduisent toutes par traduire en quelques mots, par des principes ; et, aujourd’hui. Aujourd’hui, la démonstration la plus simple est appuyée sur les faits n’est-elle pas plus précieuse que ne le sont les plus beaux systèmes. défendus par des inductions plus ou moins ingénieuses ? Mais ne l’ayant pas connu pendant l’époque de sa vie où il dut travaillerréfléchir avec le plus de fruit, je ne puis que conjecturer la portée de ses œuvres d’après celle de ses premières méditations.¶ Il est facile de saisir en quoi péchait son traité de la Volonté. Quoique doué déjà des qualités qui distinguent les hommes supérieurs, il était encore enfant. Quoique riche et habile aux abstractions, son cerveau se ressentait encore des délicieuses croyances qui flottent autour de toutes les jeunesses. Sa conception touchait donc aux fruits mûrs de son génie par quelques points, et par une foule d’autres elle se rapprochait de la petitesse des germes. A quelques esprits amoureux de poésie, sou plus grand défaut eût semblé une qualité savoureuse. Son œuvre portait les marques de la lutte que se livraient dans cette belle âme ces deux grands principes, le Spiritualisme, le Matérialisme, autour desquels ont tourné tant de beaux génies, sans qu’aucun d’eux ait osé les fondre en un seul. D’abord spiritualiste pur, Louis avait été conduit invinciblement à reconnaître la matérialité de la pensée. Battu par les faits de l’analyse au moment où son cœur lui faisait encore regarder avec amour les nuages épars dans les cieux de Swedenborg, il ne se trouvait pas encore de force à produire un système unitaire, compacte, fondu d’un seul jet. De là venaient quelques contradictions empreintes jusque dans l’esquisse que je trace de ses premiers essais. Quelque incomplet que fût son ouvrage, n’était-il pas le brouillon d’une science dont, plus tard, il aurait approfondi les mystères, assuré les bases, recherché, déduit et enchaîné les développements ?¶ Six mois après la confiscation du traité sur la volonté, Volonté, je quittai le collége. Notre séparation fut brusque. Ma mère, alarmée de la d’une fièvre que j’avaisqui depuis quelque temps ne me quittait pas, et à laquelle mon inaction corporelle donnait les symptômes du coma, m’enleva du collége en quatre ou cinq heures. A l’annonce de mon départ, Lambert étaitdevint d’une tristesse effrayante ; nous. Nous nous cachâmes pour pleurer.¶ – Te reverrai-je jamais ?.... me dit-il de sa voix douce, en me serrant dans ses bras.¶ – Tu vivras, toi, reprit-il ; mais moi, je mourrai.... Si je le peux, je t’apparaîtrai !...¶ Il faut être jeune pour prononcer de telles paroles avec un accent de conviction qui les fasse fait accepter comme un présage, comme une promesse dont on redoute l’effroyable accomplissement. sera redouté. Pendant long- temps, j’ai pensé vaguement à cette apparition promise ; et il . Il est encore certains jours de spleen, de doute, de terreur, de solitude, où je suis obligé de chasser les souvenirs de cet adieu mélancolique, qui cependant ne futdevait pas être le dernier.¶ Lorsque je traversai la cour par laquelle nous sortions, Lambert était collé à une fenêtre grilléel’une des fenêtres grillées du réfectoire pour me voir passer. Sur mon désir, ma mère obtint la permission de le faire dîner avec nous à l’auberge ; et, à. A mon tour, le soir, je le ramenai au seuil fatal du collége. Jamais un amant et une maîtresse ne versèrent en se quittèrent avecséparant plus de larmes que nous n’en répandîmes.¶ – Adieu ;– Adieu donc ! je vais être seul dans ce désert, me dit-il en me montrant les cours où deux cents enfansenfants jouaient et criaient. Quand je reviendrai fatigué, demi-mort, de mes longues courses à travers les champs de la pensée, dans quel cœur me reposerai-je ? Un regard me suffisait à pour te dire tout ; mais qui. Qui donc maintenant me comprendra ?... Adieu ;! je voudrais ne pas t’avoir jamais rencontré, je n’auraisne saurais pas su tout ce qui va me manquer....¶ – Et moi, lui dis-je, que deviendrai-je ?... ma situation n’est-elle pas plus affreuse ? Je je n’ai rien là pour me consoler, ajoutai-je en me frappant le front.¶ Il hocha la tête par un mouvement empreint d’une grâce pleine de tristesse, et nous nous quittâmes. Je l’ai revu depuis ; mais ce n’était plus le Lambert étincelant que j’avais connu !...¶En ce moment, Louis Lambert avait cinq pieds deux pouces :, il n’a plus grandi. Sa physionomie s’était développée, et , devenue largement expressive, attestait la bonté d’ange qui faisait le fonds de son caractère. Son visage et son regard n’avaient pas cette fierté audacieuse qui plaît dans certaines figures humaines ; mais il y éclatait un sentiment paisible et une sérénité ravissante : c’était la force dans toute sa conscience. Jamais rien de moqueur, d’ironique, n’altérait l’expression de sa figure.Une patience divine développée par les mauvais traitements, une concentration continuelle exigée par sa vie contemplative, avaient dépouillé son regard de cette audacieuse fierté qui plaît dans certaines figures, et par laquelle il savait accabler nos Régents. Sur son visage éclataient des sentiments paisibles, une sérénité ravissante que n’altérait jamais rien d’ironique ou de moqueur, car sa bienveillance native tempérait la conscience de sa force et de sa supériorité. Il avait de jolies mains, bien effilées, et presque toujours humides. Son corps était une merveille digne de la sculpture ; mais nos uniformes gris- de- fer, à boutons dorés, nos culottes courtes, nous donnaient une tournure si disgracieuse, que la gentillesse de Lambert ne s’apercevait le fini des proportions de Lambert et sa morbidesse ne pouvaient s’apercevoir qu’au bain. Quand nous nagions dans notre bassin du Loir, Louis se distinguait par la blancheur de sa peau, qui tranchait sur les différensdifférents tons de chair de nos camarades, tous violacés, marbrés par l’eau et le froid. Il était, comme une fleur, délicat ou violacés par l’eau. Délicat de formes, gracieux dans ses mouvemensde pose, doucement coloré, ne frissonnant pas hors de l’eau, peut-être parce qu’il allaitévitait l’ombre et courait toujours se mettre au soleil, en s’étendant sur le gazon comme un jeune faon.¶Louis ressemblait à ces fleurs prévoyantes qui ferment leurs calices à la bise, et ne veulent s’épanouir que sous un ciel pur. Il mangeait très -peu, ne buvait que de l’eau, et généralement ; puis, soit par instinct, soit par goût, il se montrait sombre de tout mouvement qui voulait une dépense de force ; ses gestes étaient rares et simples comme le sont ceux des Orientaux ou des Sauvages, chez lesquels la gravité semble être un état naturel. Généralement, il n’aimait pas tout ce qui ressemblait à de la recherche pour sa personne. Il penchait assez habituellement sa tête à gauche, et restait si souvent accoudé, que les manches de ses habits étaient toujours percés au coude.¶neufs étaient promptement percées. A ce léger portrait de l’homme, je dois ajouter une esquisse de son moral, car je crois aujourd’hui pouvoir impartialement en juger.¶ Quoique naturellement religieux, il ; Louis n’admettait pas les minutieuses pratiques de l’Église ; mais l’Église romaine ; ses idées sympathisaient plus particulièrement avec celles de sainte Thérèse et de Fénelon, avec celles de plusieurs Pères et de quelques Saintssaints, qui, de nos jours, seraient traités d’hérésiarques. et d’athées. Il était impassible pendantdurant les offices. Sa prière procédait par des élancemensélancements, par des élévations d’âme, mais capricieusement ; car qui n’avaient aucun mode régulier ; il se laissait aller en tout à la nature, et ne voulait pas plus prier que penser à heure fixe ; en sorte qu’à . Souvent, à la chapelle, il pouvait tout aussi bien songer à Dieu que méditer sur quelque idée philosophique.¶ Jésus-Christ était pour lui le plus beau type de son système. Le : Et Verbumverbum caro factum est !... lui semblait de sublimes paroles destinées une sublime parole destinée à exprimer l’alliance de l’ange et de l’homme. Cette phrase était la formule traditionnelle de la Volonté, du Verbe, de l’Action se faisant visibles. Le Christ ne s’apercevant pas de sa mort, ayant assez perfectionné, par ses œuvres divines, l’être intérieur, par des œuvres divines pour qu’un jour, la forme invisible en apparût à ses disciples, enfin tous les mystères de l’Évangile, même le don des langues, et les guérisons magnétiques du Christ, tout et le don des langues lui confirmaitconfirmaient sa doctrine.¶ Je me souviens de lui avoir entendu dire, à ce sujet, que le plus bel ouvrage à faire aujourd’hui était l’Histoire de l’Église primitive. Jamais il ne s’élevait autant vers la poésie qu’au moment où il abordait, dans une conversation du soir, l’examen des miracles opérés par la puissance de la volontéVolonté pendant cette grande époque d’innocence et de foi. Il trouvait les plus grandes fortes preuves de la séparation des deux naturessa Théorie dans presque tous les martyres subis pendant le premier siècle de l’Église, qu’il appelait la grande ère de la pensée.¶– – » Les phénomènes arrivés dans la plupart des supplices si héroïquement soufferts par les chrétiens et pour l’établissement de leurs croyances ne prouvent-ils pas , disait-il, que les forces matérielles du pouvoir ne prévalentne prévaudront jamais contre la force des idées etou contre la volontéVolonté de l’homme ?... Concluons.¶ Chacun peut conclure de cet effet produit par la volonté de tous, en faveur de la sienne. »¶ Je ne crois pas devoir parler de ses idées sur la poésie et sur la littératurel’histoire, ni de ses jugemensjugements sur les chefs-d’œuvre de notre langue. Il n’y aurait rien de bien curieux à consigner ici des opinions devenues presque vulgaires aujourd’hui, mais qui, dans la bouche d’un enfant, pouvaient êtrealors paraître extraordinaires. Il Louis était à la hauteur de tout. Pour exprimer en deux mots son talent :, il eût écrit Zadig et le Dialogueaussi spirituellement que l’écrivit Voltaire ; il aurait aussi fortement que Montesquieu pensé le dialogue de Sylla et d’Eucrate. La grande rectitude de ses idées lui faisait désirer, avant tout, dans une œuvre, un caractère d’utilité, ; de même que son esprit fin y exigeait la nouveauté de la pensée et autant que celle de la forme.¶ Tout ce qui ne remplissait pas ces conditions lui causait un profond dégoût. L’une de ses appréciations littéraires les plus remarquables, et qui fera comprendre l’espritle sens de toutes les autres aussi- bien que la lucidité de ses jugemensjugements, est celle-ci, qui m’est restée dans la mémoire :¶–: « L’Apocalypse est une extase écrite.¶ » Il considérait la Bible comme une portion de l’histoire traditionnelle des peuples anté-diluviens, qui s’était partagée l’humanité nouvelle. Pour lui, la mythologie des Grecs tenait à la fois de la Bible hébraïque et des Livres sacrés de l’Inde, que cette nation amoureuse de grâce avait traduits à sa manière.¶ – Il est impossible, disait-il, de révoquer en doute la priorité des Écritures asiatiques sur nos Écritures saintes. Pour qui sait reconnaître avec bonne foi ce point historique, le monde s’élargit étrangement. N’estce pas sur le plateau de l’Asie que se sont réfugiés les quelques hommes qui ont pu survivre à la catastrophe subie par notre globe, si toutefois les hommes existaient avant ce renversement ou ce choc : question grave dont la solution est écrite au fond des mers. L’anthropogonie de la Bible n’est donc que la généalogie d’un essaim sorti de la ruche humaine qui se suspendit aux flancs montagneux du Thibet, entre les sommets de l’Himalaya et ceux du Caucase. Le caractère des idées premières de la horde que son législateur nomma le peuple de Dieu, sans doute pour lui donner de l’unité, peut-être aussi pour lui faire conserver ses propres lois et son système de gouvernement, car les livres de Moïse sont un code religieux, politique et civil ; ce caractère est marqué au coin de la terreur : la convulsion du globe est interprétée comme une vengeance d’en haut par des pensées gigantesques. Enfin, ne goûtant aucune des douceurs que trouve un peuple assis dans une terre patriarcale, les malheurs de cette peuplade en voyage ne lui ont dicté que des poésies sombres, majestueuses et sanglantes. Au contraire, le spectacle des promptes réparations de la terre, les effets prodigieux du soleil dont les premiers témoins furent les Hindous, leur ont inspiré les riantes conceptions de l’amour heureux, le culte du feu, les personnifications infinies de la reproduction. Ces magnifiques images manquent à l’œuvre des Hébreux. Un constant besoin de conservation, à travers les dangers et les pays parcourus jusqu’au lieu du repos, engendra le sentiment exclusif de ce peuple, et sa haine contre les autres nations. Ces trois Écritures sont les archives du monde englouti. Là est le secret des grandeurs inouïes de ces langages et de leurs mythes. Une grande histoire humaine gît sous ces noms d’hommes et de lieux, sous ces fictions qui nous attachent irrésistiblement, sans que nous sachions pourquoi. Peut-être y respirons-nous l’air natal de notre nouvelle humanité.¶ Pour lui cette triple littérature impliquait donc toutes les pensées de l’homme. Il ne se faisait pas un livre, selon lui, dont le sujet ne s’y pût trouver en germe. Cette opinion montre combien ses premières études sur la Bible furent savamment creusées, et jusqu’où elles le menèrent. Toujours placé plus haut que Planant toujours au-dessus de la société, qu’il ne connaissait que par les livres, et sur laquelle il planait, il la jugeait froidement.¶ – – « Les lois, disait-il, n’y arrêtent jamais les entreprises des grands ou des riches, et frappent les petits, qui ont, au contraire, besoin de protection !...¶. » Sa bonté ne lui permettait donc pas de sympathiser avec les idées politiques ; mais son système conduisait à l’obéissance passive dont JésusChrist donna l’exemple.¶ fut donné par Jésus-Christ. Pendant les derniers momensmoments de mon séjour à Vendôme, il Louis ne sentait plus l’aiguillon de la gloire. Il , il avait, en quelque sorte, abstractivement joui de la renommée, abstractivement ; et, après l’avoir ouverte, il n’avait, comme les anciens sacrificateurs qui cherchaient la vérité dans le l’avenir au cœur des hommes, il n’avait rien trouvé dans les entrailles. de cette Chimère. Méprisant donc un sentiment tout personnel :¶: – La gloire, me disait-il, est l’égoïsme divinisé.¶ Telle est la créature accomplie que j’ai connue pendant deux ans, et qui m’a offert le combat de la pensée réagissant sur elle-même et cherchant à surprendre les secrets de sa nature, comme un médecin qui étudierait les progrès de sa propre maladie.¶ Louis Lambert est l’être humain qui m’a donné l’idée la plus poétique et la plus vraie de cette créature imaginaire que nous appelons un ange ! en exceptant toutefois une femme dont je voudrais pouvoir dérober au monde les traits, le nom, la personne et la vie, pour avoir été le seul dans le secret de son existence, et l’ensevelir au fond de mon cœur. J’ai cru devoir, malgré les difficultés de cette entreprise, essayer de peindre la jeunesse de Lambert, cette vie cachée à laquelle je suis redevable des seules bonnes heures et des seuls souvenirs agréables de mon enfance : hors de ces deux années, je n’ai eu qu’ennuis et troubles.¶ J’ai été très diffus, sans doute ; mais faute de pénétrer dans la vaste étendue de l’âme, de l’imagination et du cœur de Lambert, trois mots qui représentent imparfaitement les modes infinis de sa vie intérieure, il serait presque impossible de comprendre la dernière partie de son histoire. Ceux qui n’auront pas encore quitté cette Notice seront, je l’espère, dans tout le secret des événemens qui me restent à raconter.¶ Lambert sortit du collége, à l’âge de dix-huit ans, vers le milieu de l’année 1815. Il avait perdu son père et sa mère depuis environ six mois. Ne rencontrant personne dans sa famille avec qui son âme, tout expansive, mais toujours comprimée depuis notre séparation, pût sympathiser, il se réfugia chez son oncle, nommé son tuteur, et qui, chassé de sa cure en qualité de prêtre assermenté, était venu demeurer à Blois.¶ Louis y resta pendant quelque temps ; mais, dévoré par le désir d’achever des études qu’il dut trouver incomplètes, il vint à Paris pour revoir madame de Staël, et pour puiser la science à toutes ses sources. Le vieux prêtre ayant une grande faiblesse pour Louis, lui laissa manger son héritage pendant un séjour de trois années à Paris, quoiqu’il y vécût dans la plus profonde misère. Il étudia le sanskrit, le grec, l’arabe, fouilla les bibliothèques, suivit tous les cours publics ; mais il finit par revenir à Blois vers le commencement de l’année 1820, chassé de Paris par les souffrances qui attendent les gens sans fortune. Son cœur y fut constamment froissé, son âme contristée ; car il n’y rencontra ni amis pour le consoler, ni ennemis pour donner du ton à sa vie.¶ Toujours contraint de vivre en lui-même, et ne partageant avec personne ses exquises jouissances, il voulut peut-être résoudre l’œuvre de sa destinée par l’extase, et rester sous une forme végétale, comme un anachorète des premiers temps de l’Église, abdiquant ainsi l’empire du génie et de la gloire. Certes, il avait dû beaucoup souffrir, recueillir bien de l’amertume en voyant les hommes, ou presser le monde entier par quelque terrible ironie, sans pouvoir en rien tirer, pour arriver, pauvre, à l’acte que certains souverains ont accompli, après avoir lassé toutes les choses humaines.¶ Peutêtre aussi venait-il achever, dans la solitude, quelque grande œuvre entreprise dans son cerveau ; car personne, à cette époque, n’a été dans le secret de ses pensées. Il dut être en proie à de bien violens orages, à ces ouragans de volonté, à ces tempêtes de pensées par lesquelles tous les artistes sont agités, s’il faut en juger par le seul fait dont son oncle avait gardé la mémoire.¶ Ici peut-être, avant de quitter cette enfance exceptionnelle, dois-je la juger par un rapide coup d’œil.¶ Quelque temps avant notre séparation, Lambert me disait : – « A part les lois générales dont la formule sera peut être ma gloire, et qui doivent être celles de notre organisme, la vie de l’homme est un mouvement qui se résout plus particulièrement, en chaque être, au gré de je ne sais quelle influence, par le Cerveau, par le Cœur, ou par le Nerf. Des trois constitutions représentées par ces mots vulgaires, dérivent les modes infinis de l’Humanité, qui tous résultent des proportions dans lesquelles ces trois principes générateurs se trouvent plus ou moins bien combinés avec les substances qu’ils s’assimilent dans les milieux où ils vivent. » Il s’arrêta, se frappa le front, et me dit : – Singulier fait ! chez tous les grands hommes dont les portraits ont frappé mon attention, le col est court. Peut-être la Nature veut-elle que chez eux le cœur soit plus près du cerveau. Puis il reprit : De là procède un certain ensemble d’actes qui compose l’existence sociale. A l’homme de Nerf, l’Action ou la force ; à l’homme de Cerveau, le Génie ; à l’homme de Cœur, la foi. Mais, ajouta-t-il tristement, à la Foi, les Nuées du Sanctuaire ; à l’Ange seul, la Clarté. Donc, suivant ses propres définitions, Lambert fut tout cœur et tout cerveau.¶ Pour moi, la vie de son intelligence s’est scindée en trois phases.¶ Soumis, dès l’enfance, à une précoce activité, due sans doute a quelque maladie ou à quelque perfection de ses organes ; dés l’enfance, ses forces se résumèrent par le jeu de ses sens intérieurs et par une surabondante production de fluide nerveux. Homme d’idées, il lui fallut étancher la soif de son cerveau qui voulait s’assimiler toutes les idées. De là, ses lectures ; et, de ses lectures, ses réflexions qui lui donnèrent le pouvoir de réduire les choses à leur plus simple expression, de les absorber en lui-même pour les y étudier dans leur essence. Les bénéfices de cette magnifique période, accomplie chez les autres hommes après de longues études seulement, échurent donc à Lambert pendant son enfance corporelle ; enfance heureuse, enfance colorée par les studieuses félicités du poète. Le terme où arrivent la plupart des cerveaux fut le point d’où le sien devait partir un jour à la recherche de quelques nouveaux mondes d’intelligence. Là, sans le savoir encore, il s’était créé la vie la plus exigeante et, de toutes, la plus avidement insatiable. Pour exister, ne lui fallait-il pas jeter sans cesse une pâture à l’abîme qu’il avait ouvert en lui ? Semblable à certains êtres des régions mondaines, ne pouvait-il périr faute d’aliments pour d’excessifs appétits trompés ? N’était-ce pas la débauche importée dans l’âme, et qui devait la faire arriver, comme les corps saturés d’alcool, à quelque combustion instantanée ? Cette première phase cérébrale me fut inconnue ; aujourd’hui seulement, je puis m’en expliquer ainsi les prodigieuses fructifications et les effets. Lambert avait alors treize ans.¶ Je fus assez heureux pour assister aux premiers jours du second âge. Lambert, et cela le sauva peutêtre, y tomba dans toutes les misères de la vie collégiale, et y dépensa la surabondance de ses pensées. Après avoir passé des choses à leur expression pure, des mots à leur substance idéale, de cette substance à des principes ; après avoir tout abstrait, il aspirait, pour vivre, à d’autres créations intellectuelles. Dompté par les malheurs du collége et par les crises de sa vie physique, il demeura méditatif, devina les sentiments, entrevit de nouvelles sciences, véritables masses d’idées ! Arrêté dans sa course, et trop faible encore pour contempler les sphères supérieures, il se contempla intérieurement. Il m’offrit alors le combat de la pensée réagissant sur elle-même et cherchant à surprendre les secrets de sa nature, comme un médecin qui étudierait les progrès de sa propre maladie. Dans cet état de force et de faiblesse, de grâce enfantine et de puissance surhumaine, Louis Lambert est l’être humain qui m’a donné l’idée la plus poétique et la plus vraie de cette la créature imaginaire que nous appelons un ange !, en exceptant toutefois une femme dont de qui je voudrais pouvoir dérober auan monde le nom, les traits, le nom, la personne et la vie, pour afin d’avoir été le seul dans le secret de son existence, et pouvoir l’ensevelir au fond de mon cœur. J’ai cru devoir, malgré les difficultés de cette entreprise, essayer de peindre la jeunesse de Lambert, cette vie cachée à laquelle je suis redevable des seules bonnes heures et des seuls souvenirs agréables de mon enfance : hors de ces deux années, je n’ai eu qu’ennuis et troubles.¶ J’ai été très diffus, sans doute ; mais faute de pénétrer dans la vaste étendue de l’âme, de l’imagination et du cœur de Lambert, trois mots qui représentent imparfaitement les modes infinis de sa vie intérieure, il serait presque impossible de comprendre la dernière partie de son histoire. Ceux La troisième phase dut m’échapper. Elle commençait lorsque je fus séparé de Louis, qui n’auront pas encore quitté cette Notice seront, je l’espère, dans tout le secret des événemens qui me restent à raconter.¶Lambert ne sortit du collége, qu’à l’âge de dix-huit ans, vers le milieu de l’année 1815. Il Louis avait alors perdu son père et sa mère depuis environ six mois. Ne rencontrant personne dans sa famille avec qui son âme, tout expansive, mais toujours comprimée depuis notre séparation, pût sympathiser, il se réfugia chez son oncle, nommé son tuteur, et qui, chassé de sa cure en sa qualité de prêtre assermenté, était venu demeurer à Blois.¶ Louis y restaséjourna pendant quelque temps ; mais, dévoré. Dévoré bientôt par le désir d’achever des études qu’il dut trouver incomplètes, il vint à Paris pour revoir madame de Staël, et pour puiser la science à toutes ses plus hautes sources. Le vieux prêtre, ayant une grande faiblesse pour Louis, lui un grand faible pour son neveu, laissa Louis libre de manger son héritage pendant un séjour de trois années à Paris, quoiqu’il y vécût dans la plus profonde misère. Il étudia le sanskrit, le grec, l’arabe, fouilla les bibliothèques, suivit tous les cours publics ; mais il finit par revenir à Cet héritage consistait en quelques milliers de francs. Lambert revint à Blois vers le commencement de l’année 1820, chassé de Paris par les souffrances qui attendentqu’y trouvent les gens sans fortune. Son cœur y fut constamment froissé, son âme contristée ; car il n’y rencontra ni amis pour le consoler, ni ennemis pour donner du ton à sa vie.¶Pendant son séjour, il dut y être souvent en proie à des orages secrets, à ces horribles tempêtes de pensées par lesquelles les artistes sont agités, s’il en faut juger par le seul fait que son oncle se soit rappelé, par la seule lettre que le bonhomme ait conservée de toutes celles que lui écrivit à cette époque Louis Lambert, lettre gardée peutêtre parce qu’elle était la dernière et la plus longue de toutes.¶ Toujours contraint de vivre en lui-même, et ne partageant avec personne ses exquises jouissances, il voulut peut-être résoudre l’œuvre de sa destinée par l’extase, et rester sous une forme végétale, comme un anachorète des premiers temps de l’Église, abdiquant ainsi l’empire du génie et de la gloire. Certes, il avait dû beaucoup souffrir, recueillir bien de l’amertume en voyant les hommes, ou presser le monde entier par quelque terrible ironie, sans pouvoir en rien tirer, pour arriver, pauvre, à l’acte que certains souverains ont accompli, après avoir lassé toutes les choses humaines.¶ Peut-être aussi venait-il achever, dans la solitude, quelque grande œuvre entreprise dans son cerveau ; car personne, à cette époque, n’a été dans le secret de ses pensées. Il dut être en proie à de bien violens orages, à ces ouragans de volonté, à ces tempêtes de pensées par lesquelles tous les artistes sont agités, s’il faut en juger par le seul fait dont son oncle avait gardé la mémoire.¶ Louis, se trouvantVoici d’abord le fait. Louis se trouvait un jour au Théâtre-Français, assis placé sur la troisième une banquette des secondes galeries, près d’un de ces piliers entre lesquels sont étaient alors les troisièmes loges, vit, en. En se levant pendant le premier entr’acte, il vit une jeune femme qui venait d’arriver dans la loge voisine. La vue de cette femme, sans doute jeune et belle, bien mise et, décolletée, peut-être, et accompagnée d’un amant pour lequel sa figure s’animait de toutes les grâces de l’amour, produisit sur l’âme et sur les sens de Lambert un effet si cruel, qu’il fut obligé de sortir de la salle. S’il n’eût pas n’eut profité des dernières lueurs de sa raison, qui, dans le premier moment de cette brûlante passion, ne s’éteignit pas complétement, il peut-être aurait peut-être -il succombé au désir presque invincible qu’il ressentit alors, de tuer le jeune homme auquel s’adressaient les regards de cette femme. C’était, N’était-ce pas dans notre monde de Paris, un éclair de l’amour du Sauvage qui se jette sur la femme comme sur sa proie ou comme sur son ennemi ; c’était l’instinct brutal, un effet d’instinct bestial joint à toute la rapidité des jets presque lumineux d’une âme comprimée sous la masse de ses pensées ;? Enfin n’était-ce pas le coup de canif dans une sphèreimaginaire ressenti par l’enfant, devenu chez l’homme le coup de foudre de son besoin le plus large et plus élevée impérieux, l’amour.¶ Maintenant voici la lettre dans laquelle se peint l’état de son âme frappée par le spectacle de la civilisation parisienne. Son cœur, sans doute constamment froissé dans ce gouffre d’égoïsme, dut toujours y souffrir ; il n’y rencontra peut-être ni amis pour le consoler, ni ennemis pour donner du ton à sa vie. Contraint de vivre sans cesse en lui-même et ne partageant avec personne ses exquises jouissances, peutêtre voulait-il résoudre l’œuvre de sa destinée par l’extase, et rester sous une forme presque végétale, comme un anachorète des premiers temps de l’Église, en abdiquant ainsi l’empire du monde intellectuel. La lettre semble indiquer ce projet, auquel les âmes grandes se sont prises à toutes les époques de rénovation sociale. Mais cette résolution n’est-elle pas alors pour certaines d’entre elles l’effet d’une vocation ? ne cherchent-elles pas à concentrer leurs forces dans un long silence, afin d’en sortir propres à gouverner le monde, par la Parole ou par l’Action ? Certes, Louis avait dû recueillir bien de l’amertume parmi les hommes, ou presser la société par quelque terrible ironie sans pouvoir en rien tirer, pour jeter une si vigoureuse clameur, pour arriver, lui pauvre ! au désir que la lassitude de la puissance et de toute chose a fait accomplir à certains souverains. Peut-être aussi venait-il achever dans la solitude quelque grande œuvre qui flottait indécise dans son cerveau ? Qui ne le croirait volontiers en lisant ce fragment de ses pensées où se trahissent les combats de son âme au moment où cessait pour lui la jeunesse, où commençait à éclore la terrible faculté de produire à laquelle auraient été dues les œuvres de l’homme ? Cette lettre est en rapport avec l’aventure arrivée au théâtre. Le Fait et l’Écrit s’illuminent réciproquement, l’âme et le corps s’étaient mis au même ton. Cette tempête de doutes et d’affirmations, de nuages et d’éclairs qui souvent laisse échapper la foudre, et qui finit par une aspiration affamée vers la lumière céleste, jette assez de clarté sur la troisième époque de son éducation morale pour la faire comprendre en entier. En lisant ces pages écrites au hasard, prises et reprises suivant les caprices de la vie parisienne, ne semble-t-il pas voir un chêne pendant le temps où son accroissement intérieur fait crever sa jolie peau verte, le couvre de rugosités, de fissures, et où se prépare sa forme majestueuse, si toutefois le tonnerre du ciel ou la hache de l’homme le respectent !¶ A cette lettre finira donc, pour le penseur comme pour le poète, cette enfance grandiose et cette jeunesse incomprise. Là se termine le contour de ce germe moral, les philosophes en regretteront les frondaisons atteintes par la gelée dans le bourgeon ; mais sans doute ils en verront les fleurs écloses dans des régions plus élevées que ne le sont les plus hauts lieux de la terre.¶ Paris, septembre-novembre 1819.¶ « Cher oncle, je vais bientôt quitter ce pays, où je ne saurais vivre. Je n’y vois aucun homme aimer ce que j’aime, s’occuper de ce qui m’occupe, s’étonner de ce qui m’étonne. Forcé de me replier sur moimême, je me creuse et je souffre. La longue et patiente étude que je viens de faire de cette Société donne des conclusions tristes où le doute domine. Ici le point de départ en tout est l’argent. Il faut de l’argent, même pour se passer d’argent. Mais quoique ce métal soit nécessaire à qui veut penser tranquillement, je ne me sens pas le courage de le rendre l’unique mobile de mes pensées. Pour amasser une fortune, il faut choisir un état ; en un mot, acheter par quelque privilége de position ou d’achalandage, par un privilége légal ou fort habilement créé, le droit de prendre chaque jour, dans la bourse d’autrui, une somme assez mince qui, chaque année, produit un petit capital ; lequel par vingt années donne à peine quatre ou cinq mille francs de rente quand un homme se conduit honnêtement. En quinze ou seize ans et après son apprentissage, l’avoué, le notaire, le marchand, tous les travailleurs patentés ont gagné du pain pour leurs vieux jours. Je ne me suis senti propre à rien en ce genre. Je préfère la pensée à l’action, une idée à une affaire, la contemplation au mouvement. Je manque essentiellement de la constante attention nécessaire à qui veut faire fortune. Toute entreprise mercantile, toute obligation de demander de l’argent à autrui, me conduirait à mal, et je serais bientôt ruiné. Si je n’ai rien, au moins ne dois-je rien en ce moment. Il faut matériellement peu à celui qui vit pour accomplir de grandes choses dans l’ordre moral ; mais quoique vingt sous par jour puissent me suffire, je ne possède pas la rente de cette oisiveté travailleuse. Si je veux méditer, le besoin me chasse hors du sanctuaire où se meut ma pensée. Que vais-je devenir ? La misère ne m’effraie pas. Si l’on n’emprisonnait, si l’on ne flétrissait, si l’on ne méprisait point les mendiants, je mendierais pour pouvoir résoudre à mon aise les problèmes qui m’occupent. Mais cette sublime résignation par laquelle je pourrais émanciper ma pensée en la libérant de mon corps ne servirait à rien : il faut encore de l’argent pour se livrer à certaines expériences. Sans cela, j’eusse accepté l’indigence apparente d’un penseur qui possède à la fois la terre et le ciel. Pour être grand dans la misère, il suffit de ne jamais s’avilir. L’homme qui combat et qui souffre en marchant vers un noble but, présente certes un beau spectacle ; mais ici qui se sent la force de lutter ? On escalade des rochers, on ne peut pas toujours piétiner dans la boue. Ici tout décourage le vol en droite ligne d’un esprit qui tend à l’avenir. Je ne me craindrais pas dans une grotte au désert, et je me crains ici. Au désert, je serais avec moi-même sans distraction ; ici, l’homme éprouve une foule de besoins qui le rapetissent. Quand vous êtes sorti rêveur, préoccupé, la voix du pauvre vous rappelle au milieu de ce monde de faim et de soif, en vous demandant l’aumône. Il faut de l’argent pour se promener. Les organes, incessamment fatigués par des riens, ne se reposent jamais. La nerveuse disposition du poète est ici sans cesse ébranlée et ce qui doit faire sa gloire devient son tourment : son imagination y est sa plus cruelle ennemie. Ici l’ouvrier blessé, l’indigente en couches, la fille publique devenue malade, l’enfant abandonné, le vieillard infirme, les vices, le crime lui-même trouvent un asile et des soins ; tandis que le monde est impitoyable pour l’inventeur, pour tout homme qui médite. Ici, tout doit avoir un résultat immédiat, réel ; l’on s’y moque des essais d’abord infructueux qui peuvent mener aux plus grandes découvertes, et l’on n’y estime pas cette étude constante et profonde qui veut une longue concentration des forces. L’État pourrait solder le Talent, comme il solde la Baïonnette ; mais il tremble d’être trompé par l’homme d’intelligence, comme si l’on pouvait long-temps contrefaire le génie. Ah ! mon oncle, quand on a détruit les solitudes conventuelles, assises au pied des monts, sous des ombrages verts et silencieux, ne devait-on pas construire des hospices pour ces âmes souffrantes qui par une seule pensée engendrent le mieux des nations, ou qui préparent les progrès d’une science ? »¶ 20 septembre.¶ « L’étude m’a conduit ici, vous le savez ; j’y ai trouvé des hommes vraiment instruits, étonnants pour la plupart ; mais l’absence d’unité dans les travaux scientifiques annule presque tous les efforts. Ni l’enseignement, ni la science n’ont de chef. Vous entendez au Muséum un professeur prouvant que celui de la rue Saint-Jacques vous a dit d’absurdes niaiseries. L’homme de l’École de Médecine soufflette celui du Collége de France. A mon arrivée, je suis allé entendre un vieil académicien qui disait à cinq cents jeunes gens que Corneille est un génie vigoureux et fier, Racine élégiaque et tendre, Molière inimitable, Voltaire éminemment spirituel, Bossuet et Pascal désespérément forts. Un professeur de philosophie devient illustre, en expliquant comment Platon est Platon. Un autre fait l’histoire des mots sans penser aux idées. Celui-ci vous explique Eschyle, celui-là prouve assez victorieusement que les Communes étaient les Communes et pas autre chose. Ces aperçus nouveaux et lumineux, paraphrasés pendant quelques heures, constituent le haut enseignement qui doit faire faire des pas de géant aux connaissances humaines. Si le gouvernement avait une pensée, je le soupçonnerais d’avoir peur des supériorités réelles qui, réveillées, mettraient la société sous le joug d’un pouvoir intelligent. Les nations iraient trop loin trop tôt, les professeurs sont alors chargés de faire des sots. Comment expliquer autrement un professorat sans méthode, sans une idée d’avenir ? L’Institut pouvait être le grand gouvernement du monde moral et intellectuel ; mais il a été récemment brisé par sa constitution en académies séparées. La science humaine marche donc sans guide, sans système et flotte au hasard, sans s’être tracé de route. Ce laissez-aller, cette incertitude existe en politique comme en science. Dans l’ordre naturel, les moyens sont simples, la fin est grande et merveilleuse ; ici, dans la science comme dans le gouvernement, les moyens sont immenses, la fin est petite. Cette force qui, dans la Nature, marche d’un pas égal et dont la somme s’ajoute perpétuellement à elle-même, cet A + A qui produit tout, est destructif dans la Société. La politique actuelle oppose les unes aux autres les forces humaines pour les neutraliser, au lieu de les combiner pour les faire agir dans un but quelconque. En s’en tenant à l’Europe, depuis César jusqu’à Constantin, du petit Constantin au grand Attila, des Huns à Charlemagne, de Charlemagne à Léon X, de Léon X à Philippe II, de Philippe II à Louis XIV, de Venise à l’Angleterre, de l’Angleterre à Napoléon, de Napoléon à l’Angleterre, je ne vois aucune fixité dans la politique, et son agitation constante n’a procuré nul progrès. Les nations témoignent de leur grandeur par des monuments, ou de leur bonheur par le bien-être individuel. Les monuments modernes valent-ils les anciens ? j’en doute, Les arts qui procèdent immédiatement de l’individu, les productions du génie ou de la main ont peu gagné. Les jouissances de Lucullus valaient bien celles de Samuel Bernard, de Beaujon ou du roi de Bavière. Enfin, la longévité humaine a perdu. Pour qui veut être de bonne foi, rien n’a donc changé, l’homme est le même : la force est toujours son unique loi, le succès sa seule sagesse. Jésus-Christ, Mahomet, Luther n’ont fait que colorer différemment le cercle dans lequel les jeunes nations ont fait leurs évolutions. Nulle politique n’a empêché la Civilisation, ses richesses, ses mœurs, son contrat entre les forts contre les faibles, ses idées et ses voluptés d’aller de Memphis à Tyr, de Tyr à Balbeck, de Tedmor à Carthage, de Carthage à Rome, de Rome à Constantinople, de Constantinople à Venise, de Venise en Espagne, d’Espagne en Angleterre, sans que nul vestige n’existe de Memphis, de Tyr, de Carthage, de Rome, de Venise ni de Madrid. L’esprit de ces grands corps s’est envolé. Nul ne s’est préservé de la ruine et n’a deviné cet axiome : Quand l’effet produit n’est plus en rapport avec sa cause, il y a désorganisation. Le génie le plus subtil ne peut découvrir aucune liaison entre ces grands faits sociaux. Aucune théorie politique n’a vécu. Les gouvernements passent comme les hommes, sans se transmettre aucun enseignement, et nul système n’engendre un système plus parfait que celui du système précédent. Que conclure de la politique, quand le gouvernement appuyé sur Dieu a péri dans l’Inde et en Égypte ; quand le gouvernement du sabre et de la tiare a passé ; quand le gouvernement d’un seul se meurt ; quand le gouvernement de tous n’a jamais pu vivre ; quand aucune conception de la force intelligentielle, appliquée aux intérêts matériels, n’a pu durer, et que tout est à refaire aujourd’hui comme à toutes les époques où l’homme s’est écrié : Je souffre ! Le code que l’on regarde comme la plus belle œuvre de Napoléon, est l’œuvre la plus draconnienne que je sache. La divisibilité territoriale poussée à l’infini, dont le principe y est consacré par le partage égal des biens, doit engendrer l’abâtardissement de la nation, la mort des arts et celle des sciences. Le sol trop divisé se cultive en céréales, en petits végétaux ; les forêts et partant les cours d’eau disparaissent ; il ne s’élève plus ni bœufs, ni chevaux. Les moyens manquent pour l’attaque comme pour la résistance. Vienne une invasion ; le peuple est écrasé, il a perdu ses grands ressorts, il a perdu ses chefs. Et voilà l’histoire des déserts ! La politique est donc une science sans principes arrêtés, sans fixité possible ; elle est le génie du moment, l’application constante de la force, suivant la nécessité du jour. L’homme qui verrait à deux siècles de distance mourrait sur la place publique chargé des imprécations du peuple ; ou serait, ce qui me semble pis, flagellé par les mille fouets du ridicule. Les nations sont des individus qui ne sont ni plus sages ni plus forts que ne l’est l’homme, et leurs destinées sont les mêmes. Réfléchir sur celui-ci, n’est-ce pas s’occuper de celles-là. Au spectacle de cette société sans cesse tourmentée dans ses bases comme dans ses effets, dans ses causes comme dans son action, chez laquelle la philanthropie est une magnifique erreur, et le progrès un non-sens, j’ai gagné la confirmation de cette vérité, que la vie est en nous et non au dehors ; que s’élever au-dessus des hommes pour leur commander est le rôle agrandi d’un régent de classe ; et que les hommes assez forts pour monter jusqu’à la ligne où ils peuvent jouir du coup d’œil des mondes, ne doivent pas regarder à leurs pieds. »¶ 5 novembre.¶ « Je suis assurément occupé de pensées graves, je marche à certaines découvertes, une force invincible m’entraîne vers une lumière qui a brillé de bonne heure dans les ténèbres de ma vie morale ; mais quel nom donner à la puissance qui me lie les mains, qui me ferme la bouche, et m’entraîne en sens contraire à ma vocation ? Il faut quitter Paris, dire adieu aux livres des bibliothèques, à ces beaux foyers de lumière, à ces savants si complaisants, si accessibles, à ces jeunes génies avec lesquels je sympathisais. Qui me repousse ? est-ce le Hasard, est-ce la Providence ? Les deux idées que représentent ces mots sont inconciliables. Si le Hasard n’est pas, il faut admettre le Fatalisme, ou la coordination forcée des choses soumises à un plan général. Pourquoi donc résisterions-nous ? Si l’homme n’est plus libre, que devient l’échafaudage de sa morale ? Et s’il peut faire sa destinée, s’il peut par son libre arbitre arrêter l’accomplissement du plan général, que devient Dieu ? Pourquoi suis-je venu ? Si je m’examine, je le sais : je trouve en moi des textes à développer ; mais alors pourquoi possedé-je d’énormes facultés sans pouvoir en user ? Si mon supplice servait à quelque exemple, je le concevrais ; mais non, je souffre obscurément. Ce résultat est aussi providentiel que peut l’être le sort de la fleur inconnue qui meurt au fond d’une forêt vierge sans que personne en sente les parfums ou en admire l’éclat. De même qu’elle exhale vainement ses odeurs dans la solitude, j’enfante ici dans un grenier des idées sans qu’elles soient saisies. Hier, j’ai mangé du pain et des raisins le soir, devant ma fenêtre, avec un jeune médecin nommé Meyraux. Nous avons causé comme des gens que le malheur a rendus frères, et je lui ai dit : – Je m’en vais, vous restez, prenez mes conceptions et développez-les ! – Je ne le puis, me répondit-il avec une amère tristesse, ma santé trop faible ne résistera pas à mes travaux, et je dois mourir jeune en combattant la misère. Nous avons regardé le ciel, en nous pressant les mains. Nous nous sommes rencontrés au Cours d’anatomie comparée et dans les galeries du Muséum, amenés tous deux par une même étude, l’unité de la composition zoologique. Chez lui, c’était le pressentiment du génie envoyé pour ouvrir une nouvelle route dans les friches de l’intelligence ; chez moi, c’était déduction d’un système général. Ma pensée est de déterminer les rapports réels qui peuvent exister entre l’homme et Dieu. N’est-ce pas une nécessité de l’époque ? Sans de hautes certitudes, il est impossible de mettre un mors à ces sociétés que l’esprit d’examen et de discussion a déchaînées et qui crient aujourd’hui : – Menez-nous dans une voie où nous marcherons sans rencontrer des abîmes ? Vous me demanderez ce que l’anatomie comparée a de commun avec une question si grave pour l’avenir des sociétés. Ne faut-il pas se convaincre que l’homme est le but de tous les moyens terrestres pour se demander s’il ne sera le moyen d’aucune fin ? Si l’homme est lié à tout, n’y a-t-il rien au-dessus de lui, à quoi il se lie à son tour ? S’il est le terme des transmutations inexpliquées qui montent jusqu’à lui, ne doit-il pas être le lien entre la nature visible et une nature invisible ? L’action du monde n’est pas absurde, elle aboutit à une fin, et cette fin ne doit pas être une société constituée comme l’est la nôtre. Il se rencontre une terrible lacune entre nous et le ciel. En l’étal actuel, nous ne pouvons ni toujours jouir, ni toujours souffrir ; ne faut-il pas un énorme changement pour arriver au paradis et à l’enfer, deux conceptions sans lesquelles Dieu n’existe pas aux yeux de la masse ? Je sais qu’on s’est tiré d’affaire en inventant l’âme ; mais j’ai quelque répugnance à rendre Dieu solidaire des lâchetés humaines, de nos désenchantements, de nos dégoûts, de notre décadence. Puis comment admettre en nous un principe divin contre lequel quelques verres de rhum puissent prévaloir ? comment imaginer des facultés immatérielles que la matière réduise, dont l’exercice soit enchaîné par un grain d’opium ? Comment imaginer que nous sentirons encore quand nous serons dépouillés des conditions de notre sensibilité ? Pourquoi Dieu périrait-il, parce que la substance serait pensante ? L’animation de la substance et ses innombrables variétés, effets de ses instincts, sont-ils moins inexplicables que les effets de la pensée ? Le mouvement imprimé aux mondes n’est-il pas suffisant pour prouver Dieu, sans aller se jeter dans les absurdités engendrées par notre orgueil ? Que d’une façon d’être périssable, nous allions après nos épreuves à une existence meilleure, n’est-ce pas assez pour une créature qui ne se distingue des autres que par un Instinct plus complet ? S’il n’existe pas en morale un principe qui ne mène à l’absurde, ou ne soit contredit par l’évidence, n’est-il pas temps de se mettre en quête des dogmes écrits au fond de la nature des choses ? Ne faudrait-il pas retourner la science philosophique ? Nous nous occupons très-peu du prétendu néant qui nous a précédés, et nous fouillons le prétendu néant qui nous attend. Nous faisons Dieu responsable de l’avenir, et nous ne lui demandons aucun compte du passé. Cependant il est aussi nécessaire de savoir si nous n’avons aucune racine dans l’antérieur, que de savoir si nous sommes soudés au futur. Nous n’avons été déistes ou athées que d’un côté. Le monde est-il éternel ? le monde est-il créé ? Nous ne concevons aucun moyen terme entre ces deux propositions : l’une est fausse, l’autre est vraie, choisissez ! Quel que soit votre choix, Dieu, tel que notre raison se le figure, doit s’amoindrir, ce qui équivaut à sa négation. Faites le monde éternel : la question n’est pas douteuse, Dieu l’a subi. Supposez le monde créé, Dieu n’est plus possible. Comment serait-il resté toute une éternité sans savoir qu’il aurait la pensée de créer le monde ? Comment n’en auraitil point su par avance les résultats ? D’où en a-t-il tiré l’essence ? de lui nécessairement. Si le monde sort de Dieu, comment admettre le mal ? Si le mal est sorti du bien, vous tombez dans l’absurde. S’il n’y a pas de mal, que deviennent les sociétés avec leurs lois ? Partout des précipices ! partout un abîme pour la raison ! Il est donc une science sociale à refaire en entier. Écoutez, mon oncle : tant qu’un beau génie n’aura pas rendu compte de l’inégalité patente des intelligences, le sens général de l’humanité, le mot Dieu sera sans cesse mis en accusation, et la société reposera sur des sables mouvants Le secret des différentes zones morales dans lesquelles transite l’homme se trouvera dans l’analyse de l’Animalité tout entière. L’Animalité n’a, jusqu’à présent, été considérée que par rapport à ses différences, et non dans ses similitudes ; dans ses apparences organiques, et non dans ses facultés Les facultés animales se perfectionnent de proche en proche, suivant des lois à rechercher. Ces facultés correspondent à des forces qui les expriment, et ces forces sont essentiellement matérielles, divisibles. Des facultés matérielles ! songez à ces deux mots. N’est-ce pas une question aussi insoluble que l’est celle de la communication du mouvement à la matière, abîme encore inexploré, dont les difficultés ont été plutôt déplacées que résolues par le système de Newton. Enfin la combinaison constante de la lumière avec tout ce qui vit sur la terre, veut un nouvel examen du globe. Le même animal ne se ressemble plus sous la Torride, dans l’Inde ou dans le Nord. Entre la verticalité et l’obliquité des rayons solaires, il se développe une nature dissemblable et pareille qui, la même dans son principe, ne se ressemble ni en deçà ni au delà dans ses résultats. Le phénomène qui crève nos yeux dans le monde zoologique en comparant les papillons du Bengale aux papillons d’Europe est bien plus grand encore dans le monde moral. Il faut un angle facial déterminé, une certaine quantité de plis cérébraux pour obtenir Colomb, Raphaël, Napoléon, Laplace ou Beethoven ; la vallée sans soleil donne le crétin ; tirez vos conclusions ? Pourquoi ces différences dues à la distillation plus ou moins heureuse de la lumière en l’homme ? Ces grandes masses humaines souffrantes, plus ou moins actives, plus ou moins nourries, plus ou moins éclairées, constituent des difficultés à résoudre, et qui crient contre Dieu. Pourquoi dans l’extrême joie voulons-nous toujours quitter la terre, pourquoi l’envie de s’élever qui a saisi, qui saisira toute créature ? Le mouvement est une grande âme dont l’alliance avec la matière est tout aussi difficile à expliquer que l’est la production de la pensée en l’homme. Aujourd’hui la science est une, il est impossible de toucher à la politique sans s’occuper de morale, et la morale tient à toutes les questions scientifiques. Il me semble que nous sommes à la veille d’une grande bataille humaine ; les forces sont là ; seulement je ne vois pas de général. »¶ 25 novembre.¶ « Croyez-moi, mon oncle, il est difficile de renoncer sans douleur à la vie qui nous est propre, je retourne à Blois avec un affreux saisissement de cœur. J’y mourrai en emportant des vérités utiles. Aucun intérêt personnel ne dégrade mes regrets. La gloire est-elle quelque chose à qui croit pouvoir aller dans une sphère supérieure ? Je ne suis pris d’aucun amour pour les deux syllabes Lam et bert : prononcées avec vénération ou avec insouciance sur ma tombe, elles ne changeront rien à ma destinée ultérieure. Je me sens fort, énergique, et pourrais devenir une puissance ; je sens en moi une vie si lumineuse qu’elle pourrait animer un monde, et je suis enfermé dans une sorte de minéral, comme y sont peut-être effectivement les couleurs que vous admirez au col des oiseaux de la presqu’île indienne. Il faudrait embrasser tout ce monde, l’étreindre pour le refaire ; mais ceux qui l’ont ainsi étreint et refondu n’ont-ils pas commencé par être un rouage de la machine ? moi, je serais broyé. A Mahomet le sabre, à Jésus la croix, à moi la mort obscure ; demain à Blois, et quelques jours après dans un cercueil. Savez-vous pourquoi ? Je suis revenu à Swedenborg, après avoir fait d’immenses études sur les religions et m’être démontré, par la lecture de tous les ouvrages que la patiente Allemagne, l’Angleterre et la France ont publiés depuis soixante ans, la profonde vérité des aperçus de ma jeunesse sur la Bible. Évidemment, Swedenborg résume toutes les religions, ou plutôt la seule religion de l’Humanité. Si les cultes ont eu des formes infinies, ni leur sens ni leur construction métaphysique n’ont jamais varié. Enfin l’homme n’a jamais eu qu’une religion. Le Sivaïsme, le Vichnouvisme et le Brahmaïsme, les trois premiers cultes humains, nés au Thibet, dans la vallée de l’Indus et sur les vastes plaines du Gange, ont fini, quelques mille ans avant Jésus-Christ, leurs guerres, par l’adoption de la Trimourti hindoue. La trimourti, c’est notre trinité. De ce dogme sortent, en Perse, le Magisme ; en Égypte, les religions africaines et le Mosaïsme ; puis le Cabirisme et le Polythéisme gréco-romain. Pendant que ces irradiations de la Trimourti adaptent les mythes de l’Asie aux imaginations de chaque pays où elles arrivent conduites par des sages que les hommes transforment en demi-dieux, Mithra, Bacchus, Hermès, Hercule, etc., Bouddha, le célèbre réformateur des trois religions primitives s’élève dans l’Inde et y fonde son Église, qui compte encore aujourd’hui deux cent millions de fidèles de plus que le Christianisme, et où sont venues se tremper les vastes volontés de Christ et de Confucius. Le Christianisme lève sa bannière. Plus tard, Mahomet fond le Mosaïsme et le Christianisme, la Bible et l’Évangile en un livre, le Coran, où il les approprie au génie des Arabes. Enfin Swedenborg reprend au Magisme, au Brahmaïsme, au Bouddhisme et au Mysticisme chrétien ce que ces quatre grandes religions ont de commun, de réel, de divin, et rend à leur doctrine une raison pour ainsi dire mathématique. Pour qui se jette dans ces fleuves religieux dont tous les fondateurs ne sont pas connus, il est prouvé que Zoroastre, Moïse, Bouddha, Confucius, Jésus-Christ, Swedenborg ont eu les mêmes principes, et se sont proposé la même fin. Mais, le dernier de tous, Swedenborg sera peut-être le Bouddha du Nord. Quelque obscurs et diffus que soient ses livres, il s’y trouve les éléments d’une conception sociale grandiose. Sa théocratie est sublime, et sa religion est la seule que puisse admettre un esprit supérieur. Lui seul fait toucher à Dieu, il en donne soif, il a dégagé la majesté de Dieu des langes dans lesquels l’ont entortillée les autres cultes humains ; il l’a bissé là où il est, en faisant graviter autour de lui ses créations innombrables et ses créatures par des transformations successives qui sont un avenir plus immédiat, plus naturel que ne l’est l’éternité catholique. Il a lavé Dieu du reproche que lui font les âmes tendres sur la pérennité des vengeances par lesquelles il punit les fautes d’un instant, système sans justice ni bonté. Chaque homme peut savoir s’il lui est réservé d’entrer dans une autre vie, et si ce monde a un sens. Cette expérience, je vais la tenter. Cette tentative peut sauver le monde, aussi bien que la croix de Jérusalem et le sabre de la Mecque. L’une et l’autre sont fils du désert. Des trente-trois années de Jésus, il n’en est que neuf de connues ; sa vie silencieuse a préparé sa vie glorieuse. A moi aussi, il me faut le désert ! »¶ Malgré les difficultés de l’entreprise, j’ai cru devoir essayer de peindre la jeunesse de Lambert, cette vie cachée à laquelle je suis redevable des seules bonnes heures et des seuls souvenirs agréables de mon enfance. Hormis ces deux années, je n’ai eu que troubles et ennuis. Si plus tard le bonheur est venu, mon bonheur fut toujours incomplet. J’ai été très-diffus, sans doute ; mais faute de pénétrer dans l’étendue du cœur et du cerveau de Lambert, deux mots qui représentent imparfaitement les modes infinis de sa vie intérieure, il serait presque impossible de comprendre la seconde partie de son histoire intellectuelle, également inconnue et au monde et à moi, mais dont l’occulte dénoûment s’est développé devant moi pendant quelques heures. Ceux auxquels ce livre ne sera pas encore tombé des mains comprendront, je l’espère, les événements qui me restent à raconter, et qui forment en quelque sorte une seconde existence à cette créature ; pourquoi ne dirais-je pas à cette création en qui tout devait être extraordinaire, même sa fin ?¶ Quelques jours après son arrivée à Blois, Quand Louis fut mené par de retour à Blois, son oncle, qui était très désireux s’empressa de lui procurer des distractions, dans l’une des maisons où il allait habituellement passer la soirée. Ce . Mais ce pauvre prêtre se trouvait dans cette ville dévote comme un véritable lépreux, car personne. Personne ne se souciait de recevoir un révolutionnaire, un assermenté. Sa société consistait donc en quelques personnes de l’opinion dite alors libérale, patriote ou constitutionnelle, chez lesquelles il se rendait pour faire sa partie de wisth ou de boston. Pendant cette soirée, Dans la première maison où le présenta son oncle, Louis vit une jeune personne que sa position forçait à rester dans cette société réprouvée par les gens du grand monde, mais dont la quoique sa fortune était fût assez considérable pour faire supposer que, plus tard, elle pourrait contracter une alliance dans la haute aristocratie du pays.¶ Mademoiselle Pauline de Villenoix se trouvait seule héritière des richesses amassées par son grand-père, un juif, nommé Salomon, qui, contrairement aux usages de sa nation, avait épousé dans sa vieillesse une femme de la religion catholique. Il eut un fils élevé dans la communion de sa mère. A la mort de son père, le jeune Salomon acheta, suivant l’expression du temps, une savonnette à vilain, et fit ériger en baronnie la terre de Villenoix, dont il prit le nom. devint le sien. Il était mort sans avoir été marié, mais en laissant une fille naturelle à laquelle il avait légué la plus grande partie de sa fortune, et notamment sa terre de Villenoix. Un de ses oncles, M.monsieur Joseph Salomon, fut nommé, par M.monsieur de Villenoix, tuteur de l’orpheline. Ce vieux juif avait pris une telle affection pour sa pupille, qu’il paraissait devoirvouloir faire de grands sacrifices pour afin de la marier honorablement. Mais l’origine de mademoiselle de Villenoix et les préjugéspréjuges que l’on conserve en on province contre les Juifs,juifs ne lui permettaient pas, malgré sa fortune et celle de son tuteur, d’être reçue dans cette société tout exclusive qui s’appelle, à tort ou à raison, la Noblesse.noblesse. Cependant M.monsieur Joseph Salomon prétendait qu’à défaut d’un hobereau de province, sa pupille pourraitirait choisir à Paris un époux parmi les pairs libéraux ou monarchiques. Quant ; et quant à son bonheur, le bon tuteur croyait pouvoir le lui garantir par les stipulations du contrat de mariage.¶ Mademoiselle de Villenoix avait alors vingt ans, et sa. Sa beauté remarquable, les grâces de son esprit, étaient pour sa félicité des garanties moins équivoques que toutes celles que donne données par la fortune.¶ Ses traits offraient dans sa plus grande pureté le caractère de la beauté juive, : ces lignes ovales, si larges et si chastes,virginales qui ont je ne sais quoi d’idéal, et respirent les délices de l’Orient, l’azur inaltérable de son ciel, toutes les splendeurs de sa terre, et les fabuleuses richesses de sa vie. Elle avait de beaux yeux noirs voilés par de longues paupières garniesfrangées de cils bien épais et recourbés, épais et fournis.. Une innocence toute biblique animaitéclatait sur son front, et son. Son teint avait la blancheur mate des robes du lévite. Elle restait habituellement silencieuse et recueillie ; mais ses gestes, ses mouvemens,mouvements témoignaient d’une grâce cachée, et de même que ses paroles attestaient l’esprit doux et caressant de la femme. Cependant elle n’avait pas cette fraîcheur rosée, ces couleurs purpurines, dont qui décorent les joues de la femme sont décorées pendant son âge d’insouciance ; des. Des nuances brunes, mélangées de quelques filets rougeâtres, remplaçaient dans son visage la coloration, et trahissaient un caractère fort, une énergieénergique, une irritabilité nerveuse que beaucoup d’hommes n’aiment pas à trouver dans une femme, mais qui, pour certains autres, est sont l’indice d’une passion supérieure et d’une fierté peu commune.¶chasteté de sensitive et de passions fières. Aussitôt que Lambert aperçut mademoiselle de Villenoix, il devina l’ange caché sous cette forme. Alors toutes lesLes riches facultés de son âme, si grandes, si fortes ; sa pensée si vive, si exercée ; sa pente vers l’extase, tout en lui se résolut alors par un amour sans bornes, par le premier amour du jeune homme, passion déjà si vigoureuse chez les autres, mais que la vivace ardeur de ses sens, que la nature de ses idées et son genre de vie durent porter à une puissance incalculable. Cette passion fut un abîme profond où le malheureux jeta tout !..., abîme où la pensée s’effraie de descendre, puisque la sienne, ; si riche, si mobileflexible et si aciéréeforte, s’y perdit. Là tout est mystère, car tout se passait dans le ce monde moral dont il avait cru deviner l’existence et , clos pour la plupart des hommes, et dont les lois.¶ lui furent peut-être révélées pour son malheur. Lorsque le hasard me mit en relation avec son oncle, le bonhomme m’introduisit dans la chambre habitée à cette époque par Lambert. Je voulais y chercher quelques traces de ses œuvres, s’il en avait laissé. Là, parmi des papiers dont le vieillard respectait le désordre était respecté par ce vieillard avec cet exquis sentiment de douleurdes douleurs qui distingue les vieilles gens, je trouvai plusieurs lettres trop illisibles pour avoir été remises à mademoiselle de Villenoix.¶ La connaissance que je possédais de l’écriture de Lambert me permit, avec le à l’aide du temps, de déchiffrer les hiéroglyphes de cette sténographie créée par l’impatience et par la frénésie de la passion. Emporté par ses sentimenssentiments, il écrivait sans s’apercevoir de l’imperfection des lignes trop lentes à formuler sa pensée si rapide.. Il avait dû être obligé de recopier ces ses essais informes où souvent les lignes se confondaient ; mais peut-être aussi craignait-il de ne pas donner à ses idées des formes assez décevantes, ; et s’y prenait-il , dans le commencement , s’y prenait-il à deux fois pour ses lettres d’amour.¶ Quoi qu’il en soit, il a fallu toute l’ardeur de mon culte pour sa mémoire, et l’espèce de fanatisme que donne une entreprise de ce genre pour deviner et rétablir le sens des cinq lettres qui suivent. Ces papiers, que je conserve avec une sorte de piété, sont les seuls témoignages matériels de son ardente passion, mademoiselle. Mademoiselle de Villenoix ayant sans doute détruit les véritables lettres qui lui furent adressées, fastes éloquenséloquents du délire qu’elle excita.¶causa. La première de ces lettres , qui était évidemment ce qu’on nomme un brouillon, et il attestait par sa forme et par son ampleur, ces hésitations, ces troubles dedu cœur, ces craintes sans nombre éveillées par l’envie de plaire, ces changemens d’expressions, etchangements d’expression et ces incertitudes entre toutes les pensées qui assaillent un jeune homme écrivant sa première lettre d’amour !... Lettre: lettre dont on se souvient toujours, dont chaque phrase est le fruit d’une rêverie, dont chaque mot excite de longues contemplations, où le sentiment le plus effréné de tous comprend la nécessité des tournures les plus modestes ;, et, comme un géant qui se courbe pour entrer dans une chaumière, se fait humble et petit pour ne pas effrayer une âme de jeune fille.¶ Jamais antiquaire n’a manié desses palimpsestes avec plus de respect que je n’en eus à étudier, à reconstruire ces monumensmonuments mutilés d’une souffrance et d’une joie si sacréesacrées pour ceux qui ont connu la même souffrance et la même joie et la même souffrance.¶.¶ I.¶ MADEMOISELLE, « Mademoiselle, quand vous aurez lu cette lettre, si toutefois vous la lisez, ma vie sera entre vos mains, car je vous aime, ; et, pouvoir vous aimer, c’est pour moi , espérer d’être aimé, c’est la vie !.... Je ne sais pas si d’autres n’ont point, en vous parlant d’eux, abusé déjà des mots que j’emploie ici pour vous peindre l’état de mon âme ; croyez cependant à la vérité de mes expressions :, elles sont faibles, mais sincères. Peut-être est-ce mal d’avouer ainsi son amour ? Oui, la voix de mon cœur me conseillait d’attendre en silence que ma passion vous eût touchée, afin de la dévorer, si les ses muets témoignages vous en déplaisaient ; ou pour l’exprimer plus chastement encore que par d’impuissantes des paroles, si je trouvais grâce à vos yeux. Mais, après avoir long-temps écouté les délicatesses dont desquelles s’effraie un jeune cœur, j’ai obéi, en vous écrivant, à l’instinct qui arrache des cris inutiles aux mourans.mourants. J’ai eu besoin de tout mon courage pour imposer silence à la fierté du malheur et pour franchir les barrières que les préjugés mettent entre vous et moi. Enfin, j’aiJ’ai dû comprimer bien des pensées pour vous aimer malgré votre fortune, et pour ! Pour vous écrire en redoutant, ne fallait-il pas affronter ce mépris sique les femmes réservent souvent exprimé par une femme pour un amour dont elle écoute à des amours dont l’aveu ne s’accepte que comme une flatterie de plus parmi toutes celles qu’elle reçoit ou qu’elle pense.. Aussi, faut-il s’élancer de toutes ses forces vers le bonheur, être attiré vers la vie de l’amour, comme l’est une plante vers la lumière, et avoir été bien malheureux, pour savoir vaincre les tortures, les angoisses de ces délibérations secrètes où la raison nous démontre de mille manières la stérilité des vœux de notre cachés au fond du cœur, et où cependant l’espérance nous fait tout braver. J’étais si heureux de vous admirer en silence, j’étais si complétement abîmé dans la contemplation de votre belle âme, qu’en vous voyant, je n’imaginais presque rien au- delà. Non, je n’aurais pas encore osé vous parler, si je n’avais entendu annoncer votre départ !. A quel supplice un seul mot m’a livré !... Enfin mon chagrin m’a fait apprécier l’étendue de mon attachement pour vous :, il est sans bornes !.... Mademoiselle, vous ne connaîtrez jamais, du moins je désire que jamais vous n’éprouviez la douleur causée par la crainte de perdre le seul bonheur qui soit éclos pour nous sur cette terre, le seul qui nous ait jeté quelque lueur dans l’obscurité de la misère !.... Hier, j’ai senti que ma vie n’était plus en moi, mais en vous. Il n’y an’est plus pour moi qu’une femme dans le monde, comme il n’y an’est plus qu’une seule pensée dans mon âme. Je n’ose même vous dire à quelle alternative me réduit l’amour que j’ai pour vous ; ne . Ne voulant vous devoir qu’à vous-même, je dois éviter de me présenter accompagné de tous les prestiges du malheur : ne sont-ils pas plus puissansactifs que ceux de la fortune sur de nobles âmes ?... Je vous tairai donc bien des choses ; car . Oui, j’ai une idée trop belle de l’amour, pour le corrompre par des pensées étrangères à sa nature. Si mon âme est digne de la vôtre, si ma vie est pure, votre cœur en aura quelque généreux pressentiment, et vous me comprendrez ! Il est dans la destinée de l’homme d’offrir le premier la fleur de ses vœuxde s’offrir à celle qui le fait croire au bonheur ; mais votre droit, d’éternelle mémoire, est de refuser même le sentiment le plus vrai, s’il ne s’accorde pas avec les voix confuses de votre cœur : je le sais. Mais si Si le sort que vous me ferez doit être contraire à mes espérances, Mademoisellemademoiselle, j’invoque toutes les délicatesses de votre âme vierge, aussi- bien que l’ingénieuse pitié de la femme ; oui,. Ah ! je vous en supplie à genoux, brûlez ma lettre !..., oubliez tout !. Ne plaisantez pas d’un sentiment respectueux et trop profondément empreint dans l’âme pour pouvoir s’en effacer. Brisez mon cœur, mais ne le déchirez pas !... Que l’expression de mon premier amour, d’un amour jeune et pur, n’ait retenti que dans un cœur jeune et pur ;! qu’il y meure, comme une prière mentale va se perdre dans le sein de Dieu !... Je vous dois de la reconnaissance : j’ai passé des heures délicieuses occupé à vous voir, en m’abandonnant aux rêveries les plus douces de ma vie. Ne ; ne couronnez donc pas cette frêlelongue et passagère félicité par quelque moquerie de jeune fille. Contentez-vous de ne pas me répondre, je . Je saurai bien interpréter votre silence : , et vous ne me verrez plus. Si je dois être condamné à toujours comprendre le bonheur, et à le perdre toujours ; si je suis, comme l’ange exilé, conservant le sentiment des délices célestes, mais sans cesse attaché dans un monde de douleur, ; eheh ! bien !, je garderai le secret de mon amour, comme celui de mes misères. Et..., adieu... ! Oui, je vous confie à Dieu, que j’implorerai pour vous, à qui je demanderai de vous faire une belle vie ; car je ne vous quitterai jamais, même , fussé-je chassé de votre cœur., où je suis entré furtivement à votre insu, je ne vous quitterai jamais. Autrement, quelle valeur auraient les paroles saintes de cette lettre, ma première et ma dernière prière peut-être !... Je mériterais toutes mes angoisses si? Si je cessais un jour de penser à vous, de vous aimer, heureux ou malheureux !¶ ne mériterais-je pas mes angoisses ?¶ ¶ II.¶ VOUS « Vous ne partez pas !... Je suis donc aimé ! moi, pauvre être obscur ?. Ma chère Pauline, vous ne connaissez pas toute la puissance du regard auquel je crois, et que vous m’avez jeté pour m’annoncer que j’avais été déjà choisi par vous, par vous, jeune et belle, qui voyez tout le monde à vos pieds. Pour vous faire comprendre mon bonheur, il faudrait vous raconter ma vie !. Si vous m’eussiez repoussé, pour moi tout était fini. J’avais trop souffert !. Oui, mon amour, ce bienfaisant et magnifique amour était un dernier effort vers la vie heureuse dont mon âme avait soif, cette à laquelle mon âme tendait, une âme déjà brisée par des travaux inutiles, consumée par des craintes qui me font douter de toutmoi, rongée par des désespoirs qui m’ont souvent persuadé de mourir. Non, personne dans le monde ne sait la terreur que ma fatale imagination me cause à moi-même. Elle m’élève souvent dans les cieux ; puis, , et tout à coup, me laisse tomber à terre d’une hauteur prodigieuse. D’intimes élans de puissanceforce, quelques rares et secrets témoignages de génie d’une lucidité particulière, me font croiredisent parfois que je puis tout ; j’enveloppe beaucoup. J’enveloppe alors le monde par ma pensée, je le pétris, je le façonne, je le pénètre, je le comprends ou crois le comprendre ; mais, soudain, je me réveille seul, et me trouvanttrouve dans une nuit profonde, tout chétif, oubliant presque ; j’oublie les lueurs que je viens d’entrevoir, je suis privé de secours, et surtout sans un cœur où je puisse me réfugier !... Ce malheur de ma vie morale agit également sur mon existence réelle.physique. La nature de mon esprit m’y livre sans défense aux joies du bonheur comme aux affreuses clartés de la réflexion ; et, voyant réflexion qui les détruisent en les analysant. Doué de la triste faculté de voir avec une même lucidité les obstacles et le les succès, ; suivant ma croyance du moment, je suis heureux ou malheureux. Ainsi, lorsque je vous visrencontrai, j’eus le pressentiment d’une nature angélique ;, je respirai l’air favorable à ma brûlante poitrine ; puis, je sentis, j’entendis en moi cette voix qui ne trompe jamais, et qui m’avertissait d’une vie heureuse ; mais apercevant aussi toutes les barrières qui nous séparaient, devinantje devinai pour la première fois les préjugés du monde, etje les comprenantcompris alors dans toute l’étendue de leur petitesse, et les obstacles m’effrayèrent encore plus que la vue du bonheur ne m’exaltait. Aussitôt : aussitôt, je ressentis cette réaction terrible par laquelle mon âme expansive est refoulée sur elle-même. Le , le sourire que vous aviez fait naître sur mes lèvres se changea tout à coup en contraction amère, et je tâchai de rester froid, pendant que mon sang bouillonnait, agité par mille sentimenssentiments contraires !.... Enfin, je reconnus cette sensation mordante à laquelle vingt-trois années pleines de soupirs réprimés et d’expansions trahies ne m’ont pas encore habitué. EhEh ! bien, Pauline, le regard par lequel vous m’avez annoncé le bonheur a fait fondre toutes les glaces detout à coup réchauffé ma vie, et vous a fait hériter de ces vingt-trois années si riches et changé mes misères en félicités rêvées !..... Je voudrais maintenant avoir souffert davantage. Mon amour s’est trouvé grand tout à coup. Mon âme était un vaste pays auquel manquaient les bienfaits du soleil, et votre regard y a jeté soudain la lumière. Bon ange !Chère providence ! vous serez tout pour moi, pauvre orphelin qui n’ai pas d’autre parent que mon oncle ! vous . Vous serez toute ma famille, comme vous êtes toute déjà ma seule richesse, et le monde entier pour moi. Vous Ne m’avez -vous pas jeté toutes les fortunes de l’homme par ce chaste, par ce prodigue, par ce timide regard. ? Oui, vous m’avez donné une confiance, une audace incroyable.s. Je puis tout tenter maintenant !...... J’étais revenu à Blois, découragé. Cinq ans d’études au milieu de Paris m’avaient montré le monde comme une prison. Je concevais des sciences entières, et je n’osais en parler. La gloire me semblait un charlatanisme à laquelleauquel une âme vraiment grande ne devait pas se prêter. Mes idées ne pouvaient donc passer que sous la protection d’un homme assez hardi pour monter sur les tréteaux de la Presse, et parler d’une voix haute aux niais qu’il méprise. Cette intrépidité me manquait. J’allais, brisé par les arrêts de cette foule, désespérant d’en être jamais écouté. par elle. J’étais et trop bas et trop haut !... Je dévorais mes pensées comme d’autres dévorent desleurs humiliations. J’en étais arrivé à mépriser la science, parce que je en lui reprochaisreprochant de ne rien ajouter au bonheur réel. Mais depuis hier, en moi, tout est changé !... Je veux pour vous,. Pour vous je convoite les palmes de la gloire et tous les triomphes du génie !....talent. Je veux, en apportant ma tête sur vos genoux, y faire reposer tous les regards du monde, comme je veux mettre dans mon amour toutes les idées, et tous les pouvoirs !... La plus immense des renommées est un bien que nulle puissance autre que celle du génie ne peut saurait créer... EhEh ! bien !, je puis, si je le veux, vous faire un lit de lauriers ; mais. Mais si les gloires paisibles ovations de la science ne vous satisfaisaient pas, je porte en moi le glaiveGlaive et la paroleParole, je courraisaurai courir dans la carrière des honneurs et de l’ambition, comme d’autres s’y traînent !..... Parlez, Pauline, je serai tout ce que vous voudrez que je sois... Je puis tout, car je possède une volonté de fer. Vous m’aimez !... Ma volonté de fer peut tout. Je suis aimé ! Armé de cette pensée, un homme ne doit pouvoir -il pas faire tout plier devant lui. Tout est possible à celui qui veut tout. Soyez le prix du succès, et demain j’entre en lice. Pour obtenir un regard comme celui que vous m’avez jeté, je franchirais le plus profond des précipices. Vous m’avez fait comprendre expliqué les fabuleuses entreprises de la chevalerie, et les plus capricieux récits des Mille et une Nuits ; . Maintenant je crois maintenant aux plus fantasques fantastiques exagérations de l’amour, et à la possibilitéréussite de tout ce quequ’entreprennent les prisonniers font pour avoir pour conquérir la liberté !.... Vous avez réveillé mille vertus endormies dans mon être : la patience, la résignation, toutes les forces du cœur, toutes les puissances de l’âme ; je . Je vis par vous, et, pensée délicieuse, pour vous. Maintenant tout a un sens, pour moi, dans cette vie : je. Je comprends tout, même les vanités de la richesse ; je voudrais . Je me surprends à verser toutes les perles de l’Inde à vos pieds, et ; je me plais à vous voir couchée, ou parmi les plus belles fleurs, ou sur le plus moëlleuxmoelleux des tissus : instinct de l’oiseau pour son nid !..... Toutes, et toutes les splendeurs de la terre sont me semblent à peine dignes de vous, en faveur de qui je voudrais pouvoir disposer des accords et des lumières que prodiguent les angesharpes des Séraphins et les étoiles dans les cieux. Pauvre studieux poète ! jema parole vous verse lesoffre des trésors de la parole, et que je n’ai pas, tandis que je ne puis vous donner que mon cœur, où vous régnerez toujours : ce. Là sont tous mes seuls biens. Mais n’est-ce n’existe-t-il donc pas un trésor que ma des trésors dans une éternelle reconnaissance éternelle, mon , dans un sourire, dont le bonheur variera les expressions et seront incessamment variées par un immuable bonheur, dans l’attention constante de mon amour à deviner les vœux de votre âme fraternelle.aimante ? Un regard céleste ne nous a-t-il pas dit que nous pourrions toujours nous comprendre et toujours nous aimer.entendre. J’ai donc maintenant une prière à faire tous les soirs à Dieu, une prière pleine de vous !...¶– : – » Faites que ma Pauline soit heureuse !...¶ » Mais vousne remplirez toutes mes heures-vous donc pas mes jours, comme déjà vous remplissez mon cœur !¶? Adieu, ange que je confie je ne puis vous confier qu’à Dieu !¶ »¶ III.¶ PAULINE ?« Pauline ! dis-moi si j’ai pu te déplaire en quelque chose, hier ?... Abjure cette fierté de cœur qui fait endurer secrètement les peines causées par un être aimé. Gronde-moi ?! Depuis hier, je ne sais quelle crainte vague de t’avoir offensée répand de la tristesse sur cette vie du cœur que tu m’as faite et si douce et si riche. Souvent, le plus léger voile qui s’interpose entre deux âmes devient un mur d’airain.... Il n’y an’est pas de légers crimes en amour ! Si vous avez tout le génie de ce beau sentiment, vous devez en ressentir toutes les souffrances. Mais, et nous devons veiller sans cesse à ne pas vous froisser par quelque parole étourdie. Aussi, mon cher trésor, sans doute la faute vient -elle de moi, s’il y a faute !..... Je n’ai pas l’orgueil de comprendre un cœur de femme dans toute l’étendue de sa tendresse, dans toute la grâcetoutes les grâces de ses dévouemens dévouements ; seulement, je tâcherai de deviner toujours deviner le prix de ce que tu voudras me révéler dans les secrets du tien. Parle-moi, réponds-moi promptement... ? La mélancolie dans laquelle nous jette le sentiment d’un tort est bien affreuse, elle enveloppe la vie et fait douter de tout. Je suis resté pendant cette matinée assis sur le bord du chemin creux, voyant les tourelles de Villenoix, et n’osant aller jusqu’à notre haie. Si tu savais tout ce que j’ai vu dans mon âme ;! quels tristes fantômes ont passé devant moi, sous ce ciel gris, dont le froid aspect augmentait encore mes sombres dispositions. J’ai eu de sinistres pressentimens.pressentiments. J’ai eu peur de ne pas te rendre heureuse !.... Il faut tout te le dire, ma chère Pauline. Il y ase rencontre des momensmoments où l’esprit qui m’anime semble se retirer de moi ; je . Je suis comme abandonné par ma force ;. Tout me pèse alors, tout me pèse, chaque fibre de mon corps devient inerte, chaque sens se détend, mon regard s’amollit, ma langue est glacée, les désirs meurent, l’imagination s’éteint, les désirs meurent, et ma forme force humaine subsiste seule. Alors, tuTu serais alors là dans toute la gloire de ta beauté, tu me prodiguerais tes plus curieuxfins sourires et tes plus tendres paroles, il y auraits’élèverait une puissance mauvaise qui m’aveuglerait, et me traduirait en sons discords la plus ravissante des mélodies. AlorsEn ces moments, du moins je le crois, il se dresse devant moi je ne sais quel génie raisonneur qui me fait voir le néant au fond des plus certaines richesses ;. Ce démon impitoyable qui fauche toutes les fleurs, et ricane des sentimenssentiments les plus doux, en me disant : « EhEh ! bien !, après ?... » Il flétrit la plus belle œuvre en m’en montrant le principe. Je vois, et me dévoile le mécanisme des choses et non leurs en m’en cachant les résultats harmonieux. En ces momensmoments terribles où le mauvais ange s’empare de mon être, où la lumière divine s’obscurcit en mon âme sans que j’en sache la cause, je reste triste et je souffre, je veux voudrais être seulsourd et muet., je souhaite la mort en y voyant un repos. Ces heures de doute et d’inquiétude sont peut-être nécessaires ; elles m’apprennent du moins à ne pas avoir d’orgueil, après les élans qui m’ont porté dans les cieux où je moissonne les idées à pleines mains ; car c’est toujours après avoir long-temps parcouru les vastes campagnes de l’intelligence, après des méditations lumineuses, que, lassé, fatigué, je tombe dans ces ténèbres.roule en ces limbes. En ce moment, mon ange, une femme devrait douter de ma tendresse, elle le pourrait du moins !.... Souvent, elle, capricieuse, maladive ou triste, elle réclamera tous lesles caressants trésors d’une tendresse ingénieuse tendresse, et je n’aurai pas un regard pour la consoler.... ! J’ai la honte, Pauline, de t’avouer qu’alors je pourrais pleurer avec toi ;, mais que rien ne m’arracherait un sourire. Et cependant, une femme trouve dans son amour la force de taire ses douleurs.... Elle sait, pour ! Pour son enfant, comme pour celui qu’elle aime, elle sait rire en souffrant.... Pour toi, Pauline, ne pourrais-je donc imiter la femme dans ses sublimes délicatesses ?... Depuis hier je doute de moi-même. Si j’ai pu te déplaire une fois, si je ne t’ai pas comprise, je tremble d’être emporté souvent ainsi par mon fatal génie démon hors de notre bonne sphère. Si j’avais beaucoup de ces momensmoments affreux !..., si mon amour sans bornes ne savait pas racheter les heures mauvaises de ma vie, si j’étais destiné à demeurer tel que je suis !... La?... Fatales questions ! la puissance est un bien fatal présent, si toutefois ce que je sens en moi est la puissance... Pauline, éloigne-toi de moi, abandonne-moi, ! je préfère souffrir tous les maux de la vie à la douleur de te savoir malheureuse par moi !.... Mais peut-être le démon n’a-t-il pris autant d’empire sur mon âme que parce qu’il ne s’est point encore trouvé près de moi de mains douces et blanches pour le chasser. Jamais une femme ne m’a versé le baume de ses consolations, et j’ignore si, lorsque, en ces momenslorsqu’en ces moments de lassitude, l’amour agitera ses ailes d’ange au-dessus de ma tête, il ne répandra pas dans mon cœur de nouvelles forces. Peut-être, ces cruelles mélancolies sont-elles un fruit de ma solitude, une des souffrances de l’âme abandonnée qui gémit et paie ses trésors inconnus par des douleurs inconnues. Aux légers plaisirs, les légères souffrances ; aux immenses bonheurs, des maux inouïs !.... Quel arrêt !... S’il estétait vrai, ne devons-nous pas frissonner pour nous, qui sommes sisurhumainement heureux !.... Si la nature nous vend les choses selon leur valeur, dans quel abîme allons-nous donc tomber ? Ah ! les amansamants les plus richement partagés sont ceux qui meurent ensemble au milieu des trésors de leur jeunesse et de l’amour !...leur amour ! Quelle tristesse !... Mon âme pressent-elle un méchant avenir ?... Je m’examine.... Je , et me demande s’il y ase trouve quelque chose en moi qui doive t’apporter le plus léger souci ?... Je t’aime peut-être en égoïste ?... Je mettrai peut-être sur ta chère tête d’amour un fardeau plus pesant que ma tendresse ne sera douce à ton cœur.... S’il y aexiste en moi une quelque puissance inexorable à laquelle j’obéis ;, si je dois maudire quand tu joindras les mains pour prier, si quelque triste pensée me domine lorsque je voudrai me mettre à tes pieds pour jouer avec toi comme un enfant... Ne , ne seras-tu pas jalouse de ce génie fantasque ?...cet exigeant et fantasque génie ? Comprends-tu bien, mon ange aimé, cœur à moi, que j’ai peur de n’être pas tout à toi...., que j’abdiquerais volontiers la gloire, le génie, tous les sceptres, toutes les palmes du monde pour faire de toi mon éternelle pensée ; pour voir, dans notre délicieux amour, une belle vie et un beau poëmepoème ; pour y jeter toute mon âme, y engloutir toutes mes forces, et demander à chaque heure les joies qu’elle nous doit !...? Mais voilà que reviennent en foule mes souvenirs d’amour, les nuages de ma tristesse vont se dissiper. Adieu ; je . Je te quitte pour être mieux à toi !.... Mon âme chérie, j’attends un mot, une parole qui me rende la paix du cœur. Que je sache si j’ai contristé ma Pauline, ou si j’ai été trompé par unequelque douteuse expression de ton visage ?....visage m’a trompé. Je ne voudrais pas avoir à me reprocher, même après toute une vie heureuse, d’être venu vers toi sans un sourire plein d’amour, sans une parole de miel. Affliger la femme que l’on aime !... Pour pour moi, Pauline, c’est un crime !. Dismoi la vérité, ne me fais pas quelque généreux mensonge ;, mais désarme ton pardon de toute cruauté !...¶. »¶ FRAGMENT.¶ UN« Un attachement si complet est-il un bonheur ? Oui ! , car des années de souffrance ne paieraient pas une heure d’amour. Hier, ton apparente tristesse a passé dans mon âme avec la rapidité d’une ombre qui se projette. Étais-tu triste ou souffrais-tu ? J’ai souffert !. D’où venait ce chagrin ? Écris-moi vite. Pourquoi ne l’ai-je pas deviné ? Nous ne sommes donc pas encore complétement unis par la pensée ? Je devrais, à deux lieues de toi comme à mille lieues, ressentir tes peines et tes douleurs !.... Je ne croirai pas t’aimer tant que ma vie ne sera pas assez intimement liée à la tienne pour que nous ayons la même vie, le même cœur, la même pensée...idée. Je dois être où tu es, voir ce que tu vois, ressentir ce que tu ressens, et te suivre par la pensée. N’ai-je pas déjà su, le premier, que ta voiture avait versé, que tu étais blessée ?...meurtrie ? Mais aussi ce jour-là, je ne t’avais -je pas quittée, je te voyais ; et, quand. Quand mon oncle m’a demandé pourquoi je pâlissais, je lui ai dit : « Mademoiselle de Villenoix vient de tomber.... ! » Pourquoi donc n’ai-je pas lu dans ton âme, hier ?... Est-ce que Voulais-tu voulais me cacher la cause de ce chagrin ? J’aiCependant j’ai cru cependant deviner que tu avais fait en ma faveur quelques efforts malheureux auprès du de ce redoutable M. Salomon, qui me glace. Cet homme n’est pas de notre ciel. Pourquoi veux-tu que notre bonheur, qui ne ressemble en rien à celui des autres, se conforme aux lois du monde !....? Mais j’aime trop tes mille pudeurs, ta religion, tes superstitions, pour ne pas obéir à tes moindres caprices. Ce que tu fais doit être bien, car ; rien n’est plus pur que ta pensée, comme rien n’est plus beau que ton visage où se réfléchit ton âme divine. J’attendrai ta lettre avant d’aller par les chemins chercher le doux moment que tu m’accordes. Ah ! si tu savais commecombien l’aspect des tourelles me fait palpiter, quand enfin, je les vois bordées de lueur par la lune, notre amie, notre seule confidente !¶. »¶ IV.¶ ADIEU« Adieu la gloire, adieu l’avenir, adieu la vie que je rêvais ! Maintenant, chère angema tant aimée, ma gloire est d’être à toi, digne de toi ; mon avenir est tout entier dans l’espérance de te voir ; et, ma vie.... c’est ? n’est-ce pas de rester à tes pieds, de me coucher sous tes regards, de respirer en plein dans les cieux que tu me fais.m’as créés ? Toutes mes forces, toutes mes pensées, doivent t’appartenir, à toi qui m’as dit ces enivrantes paroles : « Je veux tes peines ! » Ne serait-ce pas dérober des joies à l’amour, des momensmoments au bonheur, des sentimenssentiments à ton âme divine, que de donner des heures à l’étude, des idées au monde, des poésies aux poètes ?... Non, non, chère vie à moi, je te veux tout te réserver ;, je veux t’apporter toutes les fleurs de mon âme. Y aExiste-t-il rien d’assez beau, rien d’assez splendide dans les trésors de la terre et de l’intelligence, pour fêter un cœur aussi riche, un cœur aussi pur que le tien, et auquel j’ose allier le mien ; car, parfois, ? Oui, parfois j’ai l’orgueil de croire que je sais aimer autant que tu aimes !..... Mais non, tu es un ange-femme, et : il y aurase rencontrera toujours plus de charme dans l’expression de tes sentimenssentiments, plus d’harmonie dans ta voir, plus de parfum dans ton souffle, plus d’harmonie dans ta voix, plus de grâcesgrâce dans tes sourires, plus de pureté dans tes regards que dans les miens !..... Oui, laisse-moi penser que tu es un angeune création d’une sphère plus élevée que la mienne.... Tu celle où je vis ; tu auras l’orgueil d’en être descendue, et moij’aurai celui de t’avoir méritée. Et, et tu ne seras peut-être pas déchue en venant à moi, pauvre et malheureux, car. Oui, si le plus bel asile d’une femme est un cœur tout à elle, tu seras toujours souveraine dans le mien : aucune. Aucune pensée, aucune action ne ternira jamais ce cœur, ce riche sanctuaire, tant que tu voudras y résider ; mais n’y demeurerasdemeuras-tu pas sans sens cesse ?... Ne m’as-tu pas dit ce mot délicieux : Maintenant et toujours !... ET NUNC ET SEMPER !... J’ai gravé sous ton portrait ces paroles évangéliquesdu Rituel, dignes de toi, comme elles sont dignes de Dieu : il . Il est, et maintenant et toujours, comme sera mon amour !.... Non, non, je n’épuiserai jamais ce qui est immense, infini, sans bornes ; et tel est le sentiment que je sens en moi pour toi. J’en, j’en ai deviné l’incommensurable étendue, comme nous devinons l’espace, par la mesure d’une de ses parties !.... Ainsi, j’ai eu des jouissances ineffables, des heures entières pleines de méditations ravissantesvoluptueuses en me rappelant un seul de tes gestes, ou l’accent d’une phrase... Il y auranaîtra donc des souvenirs sous le poids desquels il faudra succomberje succomberai, si déjà la souvenance d’une heure douce et familière me fait pleurer de joie, attendrit, pénètre mon âme, et devient une intarissable source de bonheur. Aimer, c’est la vie de l’ange !... Il me semble que je n’épuiserai jamais le plaisir que je sensj’éprouve à tele voir. Ce plaisir, le plus modeste de tous, mais auquel le temps manque toujours, m’a fait comprendreconnaître les éternelles contemplations dans lesquelles restent les Séraphins et les Esprits devant Dieu ;: rien n’est plus naturel, s’il émane de son essence une lumière aussi fertile en sentimenssentiments nouveaux que l’est celle de tes yeux, de ton front imposant, de ta belle physionomie, céleste image de ton âme !...; l’âme, cet autre nous-mêmes dont la forme pure, ne périssant jamais, rend alors notre amour immortel !..... Je voudrais qu’il y eûtexistât un langage autre que celui dont je me sers, pour t’exprimer les renaissantes délices ineffables, de mon amour !.... il y; mais s’il en a bien un ; il n’est qu’à nous : c’est la vivante parole de est un que nous avons créé, si nos regards ; mais il regards sont de vivantes paroles, ne faut -il pas nous voir pour entendre par les yeux ces interrogations et ces réponses du cœur, si vives, si pénétrantes, que tu m’as dit un soir : – « » Taisez-vous ! » quand je ne parlais pas... T’en souviens-tu, ma chère vie ?... Mais de De loin, quand je suis dans les ténèbres de l’absence, il faut bien ne suis-je pas forcé d’employer des mots humains trop faibles pour rendre des sensations célestes, cardivines ? les mots accusent au moins les sillons qu’elles, tracent dans mon âme, comme le mot Dieu résume imparfaitement toutes les idées que nous avons de ce mystérieux principe !.... Encore, malgré la science et l’infini du langage, n’ai-je jamais rien trouvé dans l’infini de ses expressions qui pût te peindre la délicieuse étreinte par laquelle ma vie se fond dans la tienne quand je pense à toi.... Puis, par quel mot finir, lorsque je cesse de t’écrire sans pour cela te quitter ? Que signifie adieu, à moins de mourir... ? Mais la mort serait-elle un adieu ? Alors monMon âme ne se réunirait-elle pas alors plus intimement à la tienne ? O toi, mon éternelle pensée !... naguère, je t’offraist’offris à genoux mon cœur et ma vie ; maintenant, quelles nouvelles fleurs de sentimens trouverais-jesentiment trouverai-je donc en mon âme, pour te les envoyer ?que je ne t’aie données ? Ne serait-ce pas te donnert’envoyer une parcelle du bien que tu possèdes ? n’espossèdes entièrement ? N’es-tu pas mon avenir ? Combien je regrette le passé ! Ces années qui ne nous appartiennent plus, je voudrais te les offrirrendre toutes, et t’y faire régner comme tu règnes sur ma vie ; mais vie actuelle. Mais qu’est-ce qu’unque le temps de mon existence où je ne te connaissais pas ?... Ce serait le néant, si je n’avais pas été si malheureux.¶ »¶ FRAGMENT.¶ ANGE « Ange aimé, quelle douce soirée que celle d’hier ! QueCombien de richesses dans ton cher cœur !? ton amour est donc inépuisable, comme le mien !.... Chaque mot m’apportait de nouvelles joies, et chaque regard en étendait la profondeur. L’expression calme de ta physionomie donnait un horizon sans bornes à nos pensées ! oui. Oui, tout était alors infini comme le ciel, et doux comme son azur. La délicatesse de tes traits adorés se reproduisait, je ne sais par quelle magie, dans tes gentils mouvemens mouvements, dans tes gestes menus. Je savais bien que tu étais toute tout grâce et tout amour, mais j’ignorais combien tu étais diversement gracieuse !.... Tout s’accordait à me conseiller ces voluptueuses sollicitations, à me faire demander ces premières grâces qu’une femme refuse toujours, sans doute, pour se les laisser ravir ; mais. Mais non, toi, chère âme de ma vie, tu ne sauras jamais d’avance ce que tu pourras accorder à mon amour, et tu te donneras sans le vouloir peut-être ; car tu ! Tu es vraie, et n’obéis qu’à ton cœur... Comme la douceur de ta voix s’alliait aux tendres harmonies de l’air pur et des cieux tranquilles ! Pas un cri d’oiseau, pas une brise :; la solitude et nous ! Les feuillages immobiles ne tremblaient même pas dans ces admirables couleurs du couchant qui sont tout à la fois ombre et lumière. Tu as senti ces poésies célestes, toi qui unissais tant de sentimenssentiments divers, et reportais si souvent tes yeux vers le ciel pour ne pas me répondre ! Toi, fière et rieuse, humble et despotique, te donnant tout entière en âme, en pensée, et te dérobant à la plus timide des caresses ! Chères coquetteries du cœur !... elles vibrent toujours dans mon oreille, elles s’y roulent et s’y jouent encore, ces délicieuses paroles, à demi bégayées comme celles des enfansenfants, et qui n’étaient ni des promesses, ni des aveux, mais qui laissaient à l’amour ses belles espérances, sans craintes et sans tourmens !tourments ! Quel chaste souvenir dans la vie ! Quel épanouissement de toutes les fleurs qui naissent au fond de l’âme, et qu’un rien peut flétrir, mais qu’alors tout animait et fécondait !... Ce sera toujours ainsi, n’est-ce pas, mon aimée ?... En me rappelant, au matin, les vives et fraîches douceurs dontqui sourdirent en ce moment a été la source, je me sens dans l’âme un bonheur qui me fait concevoir le véritable amour comme un océan de sensations éternelles et toujours neuves, où l’on se plonge avec de croissantes délices : chaque. Chaque jour, chaque parole, chaque caresse, chaque regard doit y ajouter le tribut de sa joie écoulée... Oui, les cœurs assez grands pour ne rien oublier doivent vivre, à chaque battement, de toutes leurs félicités passées, comme de toutes celles que promet l’avenir !.... Voilà ce que je rêvais autrefois, et ce n’est plus un rêve aujourd’hui !. N’ai-je pas rencontré sur cette terre un ange qui m’en a fait connaître toutes les joies pour me récompenser peut-être d’en avoir supporté toutes les douleurs !...? Ange du ciel, je te salue par un baiser céleste !...¶ Je t’envoie cette hymne échappée à mon cœur, je te la devais ; mais elle te peindra difficilement ma reconnaissance et ces prières matinales que mon cœur adresse chaque jour à celle qui m’a dit tout l’évangile du cœur dans ce mot divin : –« CROYEZ !...¶ »¶ V.¶ COMMENT« Comment, cœur chéri, plus d’obstacles !... Nous serons libres d’être l’un à l’autre, chaque jour, à chaque heure, chaque moment, toujours.... Nous pourrons rester, pendant toutes les journées de notre vie, heureux comme nous le sommes furtivement en de rares instans !...instants ! Quoi ! nos sentimenssentiments si purs, si profonds, prendront les formes délicieuses des mille caresses que j’ai rêvées !.... Ton petit pied se déchaussera pour moi !...., tu seras tout toute à moi !.... Ce bonheur me tue, il m’accable. Ma tête est trop faible, elle éclate sous la violence de mes pensées. Je pleure et je ris ;, j’extravague. Chaque plaisir est comme une flèche ardente, il me perce, et son feu me brûle !... Mon imagination te fait passer devant mes yeux ravis, éblouis, sous les innombrables et capricieuses figures qu’affecte la volupté.... Enfin, toute notre vie est là, devant moi, avec ses torrenstorrents, ses repos, ses joies ; elle bouillonne, elle s’étale, elle dort ; puis elle se réveille jeune, fraîche. Je nous vois tous deux unis, marchant du même pas, vivant de la même pensée ; toujours au cœur l’un de l’autre, nous comprenant, nous entendant comme l’écho reçoit et redit les sons à travers les espaces.... ! Peut-on vivre long-temps en dévorant ainsi sa vie à toute heure ? Ne mourrons-nous pas dans le premier embrassement !....? Et que sera-ce donc, si déjà nos âmes se confondaient dans ce doux baiser du soir, qui nous enlevait nos forces ; ce baiser sans durée, dénouement de tous mes désirs, interprète impuissant de tant de prières échappées à mon âme pendant nos heures de séparation, et cachées au fond de mon cœur comme des remords. ? Moi, qui revenais me coucher dans la haiebaie pour entendre le bruit de tes pas quand tu retournais au château, je vais donc pouvoir t’admirer à mon aise, agissant, riant, jouant, causant, allant !..... Joies sans fin ! Tu ne sais pas tout ce que je sens de jouissances à te voir marcher, aller allant et venir ! Il venant : il faut être homme pour éprouver ces sensations profondes. Chacun de tes mouvemensmouvements me donne plus de plaisir que ne n’en peut en prendre une mère à voir son enfant joyeux ou endormi. Je t’aime de tous les amours ensemble. La grâce de ton moindre geste est toujours nouvelle pour moi.... Il me semble que je passerais les nuits à respirer ton souffle..., je voudrais me glisser dans tous les actes de ta vie, être la substance même de tes pensées.... Je , je voudrais être toi-même. Enfin, je ne te quitterai donc plus.... ! Aucun sentiment humain ne troublera plus notre amour, infini dans ses transformations et pur comme tout ce qui est un ; notre amour vaste comme la mer, vaste comme le ciel !... Tu es à moi !... tout toute à moi !... Je pourrai donc regarder au fond de tes yeux pour y deviner la chère âme qui s’y cache et s’y révèle ; tour à tour, pour y épier tes désirs !... Écoute, ange Ma bien-aimée, écoute certaines choses que je n’osais te dire encore, mais que je puis t’avouer aujourd’hui. Je sentais en moi je ne sais quelle pudeur d’âme qui s’opposait à l’entière expression de mes sentimenssentiments, et je tâchais de les revêtir des formes de la pensée. Mais, maintenant, je voudrais mettre mon cœur à nu, te dire toute l’ardeur de mes rêves, te révéler l’ambition effrénéedévoiler la bouillante ambition de mes sens irrités par la solitude où j’ai vécu, toujours enflammés par l’attente du bonheur, et réveillés par toi, par toi si douce de formes, si attrayante en tes manières !... Mais est-il possible d’exprimer combien je suis altéré de ces félicités inconnues que donne la possession d’une femme aimée, et auxquelles deux âmes bien étroitement unies par l’amour, doivent prêter une force de cohésion incalculable.effrénée ! Sache-le, ma Pauline, que je suis resté pendant des heures entières dans une stupeur causée par la violence même de mes souhaits passionnés, restant perdu dans le sentiment d’une caresse comme dans un gouffre sans fond. En ces momensmoments, ma vie entière, toutes mes pensées, toutes mes forces, se fondent, s’unissent dans ce que je nomme un désir, faute de mots pour exprimer un délire sans nom.... et ! Et maintenant, je puis t’avouer que le jour où j’ai refusé la main que tu me tendais par un si joli mouvement, triste sagesse qui t’a fait douter de mon amour, j’étais dans un de ces momensmoments de folie où l’on médite un meurtre pour posséder une femme !.... Oui, si j’avais senti la délicieuse pression que tu m’offrais, aussi vivement que ta voix retentissait dans mon cœur, je ne sais où m’aurait conduit la violence de mes désirs !.... Mais je puis me taire et souffrir beaucoup !.... Pourquoi parler de ces douleurs quand mes contemplations vont devenir des réalités. ? Il me sera donc maintenant permis de faire de toute notre vie une seule caresse !... Chère, Chérie aimée, il y a se rencontre tel effet de lumière sur tes cheveux noirs qui me ferait rester, les larmes dans les yeux, pendant de longues heures occupé à voir ta chère personne, si tu ne me disais pas en te retournant : « Finis, tu me rends honteuse !.... » Demain, notre amour se saura donc !... Ah ! Pauline !, ces regards des autres à supporter, cette curiosité publique me serre le cœur. Allons à Villenoix, restons-y loin de tout. Je voudrais qu’aucune créature ayant face humaine n’entrât dans le sanctuaire où tu seras à moi. Je ; je voudrais même qu’après nous il n’existât plus, qu’il fût détruit ;. Oui, je voudrais dérober à la nature entière un bonheur que nous sommes seuls à comprendre, seuls à sentir, et qui est tellement immense que je m’y jette pour y mourir : c’est un abîme. Ne t’effraie pas des larmes dontqui ont mouillé cette lettre est pleine, ce sont , c’est des larmes de joie !.... Mon ange !... seul bonheur, nous ne nous quitterons donc plus.¶ ! »¶ ¶ ¶ EN 1822En 1823, j’allais de Paris en Touraine par la diligence. A Mer, le conducteur prit un voyageur pour Blois. En le faisant entrer dans la partie de la voiture où je me trouvais, il lui dit en plaisantant :¶: – Vous ne serez pas gêné là, monsieur Lefebvre !¶ En effet, j’étais seul. A En entendant ce nom, et en voyant un vieillard à cheveux blancs, qui paraissait au moins octogénaire, je pensai tout naturellement à l’oncle de Lambert. Après quelques questions insidieuses, j’appris que je ne me trompais pas. Le bonhomme venait de faire ses vendanges à Mer, et il retournait à Blois. Aussitôt je lui demandai des nouvelles de mon ancien faisant ; mais au . Au premier mot, la physionomie du vieil oratorienOratorien, déjà grave et sévère comme celle d’un vieux soldat qui aurait beaucoup souffert, devint triste et brune ; les rides de son front se contractèrent légèrement ;, il serra ses lèvres, me jeta un regard équivoque, et me dit :¶: – Vous ne l’avez pas revu depuis le collége ?¶ – Non, ma foi, répondis-je ; mais . Mais nous sommes aussi coupables l’un que l’autre, s’il y a oubli ; car, vous . Vous le savez, les jeunes gens mènent une vie si aventureuse et si passionnée en quittant les bancs de l’école, qu’il faut se retrouver pour penser les uns aux autres.savoir combien l’on s’aime encore. Cependant, parfois, un souvenir de jeunesse arrive, et il est impossible de s’oublier tout- à- fait, surtout lorsqu’on a été aussi amis que nous l’étions Lambert et moi,. On nous avait appelés le Poète-etPythagore !...!¶ Je lui dis mon nom ;, mais, en l’entendant, sa la figure du bonhomme se rembrunit encore.¶ – Vous ne connaissez donc pas son histoire !, reprit-il. Mon pauvre neveu devait épouser la plus riche héritière de Blois, mais, la veille de son mariage, il est devenu fou.¶ – Lambert, fou !.... m’écriai-je frappé de stupeur. Et par quel événement ? C’était la plus riche mémoire, la tête la plus fortement organisée, le jugement le plus sagace que j’aie rencontrés !... Beau génie, frappé pour ainsi dire dans la logique, un peu trop passionné peut-être pour la mysticité... ; mais le meilleur cœur du monde !... Il lui est donc arrivé quelque chose de bien extraordinaire ?¶ – Je vois que vous l’avez bien connu !, me dit le bonhomme.¶ Alors depuis Depuis Mer jusqu’à Blois, nous parlâmes alors de mon pauvre camarade, en faisant de longues digressions par lesquelles je m’instruisis des particularités que j’ai déjà rapportées pour donner aux présenter les faits dans un ordre logique.qui les rendit intéressants. J’appris à son oncle le secret de nos études, la nature des occupations de son neveu ; etpuis le vieillard me raconta les événemensévénements survenus dans la vie de Lambert depuis que je l’avais quitté.¶ A entendre M.monsieur Lefebvre, Louis Lambert aurait donné quelques marques de folie avant son mariage ; mais ces symptômes lui étant communs avec tous ceux qui aiment passionnément, ils me parurent moins caractéristiques lorsque je connus et la violence de son amour et mademoiselle de Villenoix. En province, où les idées se raréfient, un homme plein de pensées neuves et dominé par un système, comme l’était Louis, pouvait passer au moins pour un original ; et, son . Son langage devait surprendre d’autant plus qu’il parlait plus rarement ; il . Il disait : Cet homme n’est pas de mon ciel, là où les autres disaient : Nous ne mangerons pas un minot de sel ensemble. Chaque homme de talent a ses idiotismes particuliers ; et, plus. Plus large est le génie, plus tranchées sont les bizarreries qui constituent les divers degrés d’originalité ; or, en. En province, un original passe pour un homme à moitié fou.¶ Les premières paroles de M.monsieur Lefebvre me firent donc douter de la folie de mon camarade ; et tout. Tout en écoutant le vieillard, j’en je critiquais intérieurement le son récit.¶ Le fait le plus grave était survenu quelques jours avant le mariage des deux amans.amants. Louis avait eu un quelques accès de catalepsie bien caractérisé de catalepsie.caractérisés. Il était resté pendant cinquante-neuf heures immobile, les yeux fixes, sans manger ni parler ; état purement nerveux dans lequel tombent quelques personnes en proie à une violente passionde violentes passions ; phénomène rare, mais dont les médecins connaissent effets sont bien parfaitement les effets.connus des médecins. S’il y avait quelque chose d’extraordinaire, c’est que Louis n’eût pas eu qu’un seul déjà plusieurs accès de cette maladie, vers à laquelle il était porté par sa constitution tout extatique, et par la nature de ses idées.¶le prédisposaient son habitude de l’extase et la nature de ses idées. Mais sa constitution extérieure et intérieure était si parfaite qu’elle avait sans doute résisté jusqu’alors à l’abus de ses forces. L’exaltation à laquelle dut le faire arriver l’attente du plus grand plaisir physique, encore agrandie chez lui par la chasteté du corps et par la puissance de l’âme, avait bien pu déterminer cette crise dont les résultats ne sont pas plus connus que la cause. Les lettres que le hasard a conservées accusent d’ailleurs assez bien sa transition de l’idéalisme pur dans lequel il vivait au sensualisme le plus aigu. Jadis, nous avions qualifié d’admirable ce phénomène humain dans lequel Lambert voyait la séparation fortuite des de nos deux natures, et les symptômes d’une absence complète de l’être intérieur usant de sa faculté locomotiveses facultés inconnues sous l’empire d’une cause inconnue.inobservée. Cette maladie, abîme tout aussi profond que le sommeil, se rattachait au système des de preuves que Lambert avait données dans sa Théorieson Traité de la Volonté. Au moment où M.monsieur Lefebvre me parla du premier accès de Louis, je me souvins tout à coup d’une conversation que nous eûmes à ce sujet, après la lecture d’un livre de médecine.¶ – Une méditation profonde et, une belle extase sont peut-être, me dit-il, en terminant, des catalepsies incomplètes.¶en herbe.¶ Le jour où il me formula si brièvement cette pensée, il avait tâché de lier les phénomènes moraux entre eux, par une chaîne d’effets, en suivant pas à pas tous les actes de l’intelligence, commençant par les simples mouvemensmouvements de l’instinct purement animal qui suffit à tant d’êtres, surtout à certains hommes dont les forces passent toutes dans un travail purement mécanique ; puis, allant à l’agrégation des pensées, arrivant à la comparaison, à la réflexion, à la méditation, enfin à l’extase et à la catalepsie. Certes, Lambert crut avec la naïve conscience du jeune âge avoir fait le plan d’un beau livre en échelonnant ainsi ces divers degrés des puissances intérieures de l’homme.¶ Je me rappelle que, par une de ces fatalités qui font croire à la prédestination, nous attrapâmes le grand Martyrologe, où sont contenus les faits les plus curieux sur l’abolition complète de la vie corporelle à laquelle l’homme peut arriver par la disjonction de ses deux modes d’existence. Alors Lambert, endans les paroxysmes de ses facultés intérieures. En réfléchissant aux effets du fanatisme, Lambert fut alors conduit à penser que les collections d’idées auxquelles nous donnons le nom de sentiment,s pouvaient bien être le jet matériel de quelque fluide puissant.que produisent les hommes plus ou moins abondamment, suivant la manière dont leurs organes en absorbent les substances génératrices dans les milieux où ils vivent. Nous nous passionnâmes pour la catalepsie, et, avec l’ardeur que les enfansenfants mettent dans leurs entreprises, nous essayâmes de supporter la douleur en pensant à autre chose. Nous nous fatiguâmes beaucoup à faire quelques expériences assez analogues à celles dues au fanatisme des aux convulsionnaires dans le siècle dernier., fanatisme religieux qui servira quelque jour à la science humaine. Je montais sur l’estomac de Lambert, et m’y tenais plusieurs minutes sans lui causer la plus légère douleur ; mais, malgré ces folles tentatives, nous n’eûmes aucun accès de catalepsie.¶ Cette digression m’a paru nécessaire pour expliquer mes premiers doutes sur la folie de Lambert, doutes, que M.monsieur Lefebvre dissipa complétement.¶ – Lorsque son accès fut passé, me dit-il, ilmon neveu tomba dans une terreur profonde, dans une mélancolie dont que rien ne put le sortir.dissiper. Il se crut impuissant. Je me mis à le surveiller avec l’attention d’une mère pour son enfant, et le surpris heureusement au moment où il allait pratiquer sur luimême l’opération à laquelle Origène crut devoir son talent. Alors je Je l’emmenai promptement à Paris pour le confier aux soins de M. Esquirol. Pendant le voyage, Louis resta plongé dans une somnolence presque continuelle, et ne me reconnut plus. A Paris, les médecins le regardèrent comme incurable, et conseillèrent unanimement de le laisser dans la plus profonde solitude, en évitant de troubler le silence nécessaire à sa guérison improbable, et de le mettre dans une salle fraîche, où le jour serait constamment adouci.¶ – Mademoiselle de Villenoix, à qui j’avais caché l’état de Louis, reprit-il en clignant les yeux, mais dont le mariage passait pour être rompu, vint à Paris, et apprit la décision des médecins. Aussitôt elle désira voir mon neveu, qui la reconnut à peine ; puis elle voulut, d’après la logiquecoutume des belles âmes, se consacrer à lui donner les soins nécessaires à sa guérison. « Elle y aurait été obligée, disait-elle, s’il eût été son mari ; devait-elle faire moins pour son amant ? » Aussi, elle a-t-elle emmené Louis à Villenoix, où ils demeurent depuis deux ans.¶ Au lieu de continuer mon voyage, je m’arrêtai donc à Blois dans le dessein d’aller voir Louis. Le bonhomme Lefebvre ne me permit pas de descendre ailleurs que chez luidans sa maison, où il me montra la chambre de son neveu, les livres et tous les objets qui lui avaient appartenu. A chaque chose, il échappait au vieillard une exclamation douloureuse par laquelle il accusait toutes les espérances que le génie précoce de Lambert lui avait fait concevoir, et le deuil affreux où le plongeait cette perte irréparable.¶ – Un Ce jeune homme qui savait tout, mon cher monsieur !... me disait dit-il en posant sur une table le volume où sont contenues toutes les œuvres de Spinosa.¶ Comment une tête si bien organisée a-t-elle pu se détraquer ?¶ – Mais, monsieur, lui répondis-je, ne serait-ce pas un effet de sa vigoureuse organisation ? S’il est réellement en proie à cette crise encore inobservée dans tous ses modes et que nous appelons folie, je suis tenté d’en attribuer la cause à sa passion. Ses études, son genre de vie avaient porté ses forces et ses facultés à un degré de puissance au delà duquel la plus légère surexcitation devait faire céder la nature ; l’amour les aura donc brisées ou élevées à une nouvelle expression que peut-être calomnions-nous en la qualifiant sans la connaître. Enfin, peut-être a-t-il vu dans les plaisirs de son mariage un obstacle à la perfection de ses sens intérieurs et à son vol à travers les Mondes Spirituels.¶ – Mon cher monsieur, répliqua le vieillard après m’avoir attentivement écouté, votre raisonnement est sans doute fort logique ; mais quand je le comprendrais, ce triste savoir me consolerait-il de la perte de mon neveu ?¶ L’oncle de Lambert était un de ces hommes qui ne vivent que par le cœur.¶ Le lendemain, je partis pour Villenoix, et le . Le bonhomme m’accompagna jusqu’à la porte de Blois ; mais, quand . Quand nous fûmes dans le chemin qui mène à Villenoix, il s’arrêta pour me dire :¶: – Vous pensez bien que je n’y vais point ; mais. Mais, vous, n’oubliez pas ce que je vous ai dit ; et, devant . En présence de mademoiselle de Villenoix, n’ayez pas l’air de vous apercevoir que Louis est fou.¶ Puis restantIl resta sans bouger à la place où je venais de le quitter, et d’où il me regarda jusqu’à ce qu’il m’eût perdu de vue.¶ Ce Je ne fut cheminai pas sans de profondes émotions que je cheminai vers le château de Villenoix. Mes réflexions croissaient à chaque pas dans ce chemincette route que Louis avait fait tant de fois faite, le cœur plein d’espérance, l’âme exaltée par tous les aiguillons de l’amour. Les buissons, les arbres, les caprices de cette route tortueuse dont les bords étaient déchirés par de petits ravins, acquirent un intérêt prodigieux pour moi : j’y . J’y voulais retrouver les impressions et les pensées de mon pauvre camarade. Sans doute ses ces conversations du soir, au bord de cette brèche où sa maîtresse venait le retrouver, avaient initié mademoiselle de Villenoix à tous les aux secrets de cette âme et si noble et si vaste, comme je le fus moi-même quelques années auparavant. Mais le fait qui me préoccupait le plus, et donnait à mon pélerinagepèlerinage un immense intérêt de curiosité, parmi les sentimenssentiments presque religieux qui me guidaient, était cette magnifique croyance de mademoiselle de Villenoix, dont que le bonhomme m’avait parlé.¶ Avaitexpliquée : avait-elle, à la longue, contracté la folie de son amant, ou était-elle entrée si avant dans son âme, qu’elle en pût comprendre toutes les pensées, même les plus confuses ? Je me perdais dans cet admirable problème de sentiment qui dépassait les plus belles inspirations de l’amour et ses dévouemensdévouements les plus beaux. Mourir l’un pour l’autre est un sacrifice presque vulgaire. Vivre fidèle à un seul amour est un héroïsme qui a rendu mademoiselle Dupuis immortelle ; et lorsque . Lorsque Napoléon-le-Grand et lord Byron ont eu des successeurs là où ils avaient aimé, il est permis d’admirer cette veuve de Bolingbroke ; mais mademoiselle Dupuis pouvait vivre par les souvenirs de plusieurs années de bonheur, tandis que mademoiselle de Villenoix, n’ayant connu de l’amour que les ses premières et pures émotions de l’amour, m’offrait le type du dévouement dans sa plus large expression. FolleDevenue presque folle, elle était sublime ; mais comprenant, expliquant la folie, elle ajoutait à toutes les aux beautés du d’un grand cœur un chef-d’œuvre de physiologiepassion digne d’être étudié.¶ Lorsque j’aperçus les hautes tourelles du château, dont l’aspect avait dû faire si souvent tressaillir le pauvre Lambert, mon cœur palpita vivement, car je . Je m’étais associé, pour ainsi dire, à sa vie et à sa situation en me rappelant tous les événemensévénements de notre jeunesse.¶ Enfin, j’arrivai dans une grande cour déserte, et pénétrai jusque dans le vestibule du château sans avoir rencontré personne ; mais le. Le bruit de mes pas fit venir une femme âgée, à laquelle je remis la lettre que M.monsieur Lefebvre avait écrite à mademoiselle de Villenoix.... Bientôt la même femme revint me chercher, et m’introduisit dans une salle basse, dallée en marbre blanc et noir, dont les persiennes étaient fermées, et au fond de laquelle je vis mais indistinctement Louis Lambert.¶ – Asseyez-vous, Monsieurmonsieur, me dit une voix douce qui allait au cœur.¶ Mademoiselle de Villenoix se trouvait à côté de moi sans que je l’eusse aperçue, et m’avait apporté sans bruit une chaise sans bruit !que je ne pris pas d’abord. L’obscurité était si grande,forte que , dans le premier moment, mademoiselle de Villenoix et Louis me firent l’effet de deux masses noires qui tranchaient sur le fond de cette atmosphère ténébreuse. Je m’assis, pénétré par en proie à ce sentiment qui nous saisit presque malgré nous sous les sombres arcades d’une église ; et mes. Mes yeux, encore frappés par l’éclat du soleil, ne s’accoutumèrent que par degrés graduellement à cette nuit factice.¶ – Monsieur, lui dit-elle, est ton ami de collége ?...¶ Lambert ne répondit pas.¶ Enfin je Je pus enfin le voir, et il m’offrit un de ces spectacles qui se gravent à jamais dans la mémoire.¶ Il étaitse tenait debout, tenant ses les deux coudes appuyés sur la saillie formée par la boiserie, en sorte que son buste paraissait fléchir sous le poids de sa tête qui retombait sur sa poitrine.inclinée. Ses cheveux, aussi longs que ceux d’une femme, se bouclaienttombaient sur ses épaules, en entourantet entouraient sa figure de manière à lui donner de la ressemblance avec les bustes qui représentent les grands hommes du siècle de Louis XIV. Son visage était d’une blancheur parfaite. Il frottait habituellement une de ses jambes sur l’autre par un mouvement machinal que rien n’avait pu réprimer, et ce le frottement continuel des deux os produisait un bruit affreux dont j’eus horreur de me rendre compte.¶. Auprès de lui se trouvait un sommier de crin, incliné comme un lit-de-camp et mousse posé sur une planche.¶ – Mais, me dit mademoiselle de Villenoix, il Il lui arrive très -rarement de s’y se coucher, me dit mademoiselle de Villenoix, quoique chaque fois il y dorme pendant trente-six ou quarante heures.¶plusieurs jours.¶ IlLouis se tenait debout comme je le voyais, jour et nuit, les yeux fixes et, sans jamais baisser et relever les paupières comme nous en avons tous l’habitude.¶ Après avoir demandé à mademoiselle de Villenoix si un peu plus de jour ne causerait aucune douleur à Lambert, j’ouvris, sur sa réponse, j’ouvris légèrement la persienne, et pus voir alors l’expression de la physionomie de mon ami. Hélas ! il n’y avaitdéjà ridé, déjà blanchi, enfin déjà plus de lumière dans son regard : ses yeux étaient, devenus vitreux comme ceux d’un aveugle, et tous. Tous ses traits semblaient tirés par une convulsion vers le haut de sa tête. J’essayai de lui parler à plusieurs reprises, ; mais il ne m’entendit pas. C’était un débris arraché à la tombe, une espèce de conquête faite par la vie sur la mort, ou par la mort sur la vie.¶ Il y avait J’étais là depuis une heure environ que j’étais là , plongé dans une indéfinissable rêverie, en proie à mille idées affligeantes, écoutant. J’écoutais mademoiselle de Villenoix, qui me racontait dans tous ses détails cette vie d’enfant au berceau ; lorsque tout. Tout à coup, Louis, cessant cessa de frotter ses jambes l’une contre l’autre, et dit d’une voix lente :¶: – Les anges sont blancs !...¶!¶ Je ne puis expliquer l’effet que produisit produit sur moi par cette parole et , par le son de cette voix qui m’était si connue, surtout après en avoir si tant aimée, dont les accents attendus péniblement attendu les accens. Mesme paraissaient à jamais perdus pour moi. Malgré moi mes yeux se remplirent de larmes malgré moi. Je ne sais quel. Un pressentiment involontaire passa rapidement dans mon âme et me fit douter encore que Louis eût perdu la raison. J’étais cependant bien sûrcertain qu’il ne me voyait ni ne m’entendait ; mais les irrésistibles harmonies de sa voix, qui eut quelque chose de céleste, et qui semblaitsemblaient accuser un bonheur divin, communiquèrent à cette phrase de mystérieux ces mots d’irrésistibles pouvoirs : c’était la. Incomplète révélation d’un monde inconnu qui tonna, sa phrase retentit dans mon âmenos âmes comme quelque magnifique sonnerie d’église au milieu d’une nuit profonde.....¶ Je ne m’étonnai plus que mademoiselle de Villenoix crût Louis parfaitement sain d’entendement. Peut-être la vie de l’âme avait-elle anéanti la vie du corps, et peut-être Pauline . Peut-être sa compagne avait-elle, comme je l’eus alors, de vagues intuitions de cette nature fleurie et mélodieuse et fleurie que nous nommons, dans sa plus large expression : LE le CIEL !...¶ Mademoiselle de Villenoix. Cette femme, cet ange restait toujours là, assise devant un métier à tapisserie, et chaque fois qu’elle tirait l’aiguille,son aiguille elle regardait Lambert en exprimant un sentiment triste et doux.¶ Hors d’état de supporter cet affreux spectacle, dontcar je ne savais pas, comme Pauline, mademoiselle de Villenoix, en deviner tous les secrets, ; je sortis, et nous allâmes nous promener ensemble pendant quelques momensmoments pour parler d’elle et de Lambert.¶ – Sans doute, me dit-elle, Louis doit paraître fou ; mais il ne l’est pas, si le nom de fou doit appartenir seulement à ceux dont, par des causes inconnues, le cerveau se vicie, et qui n’offrent aucune raison de leurs actes ; mais tout . Tout est parfaitement coordonné chez Louis...mon mari. S’il ne vous a pas reconnu physiquement, ne croyez pas qu’il ne vous ait point vu. Il a réussi à se dégager de son corps, et nous aperçoit sous une autre forme, je ne se sais laquelle. Quand il parle, il exprime des choses merveilleuses. Seulement, assez souvent, il achève par la parole une idée commencée dans son esprit, ou commence une proposition qu’il achève mentalement. Pour les Aux autres hommes, il paraîtrait aliéné ; mais pour moi, qui vis dans sa pensée, je toutes ses idées sont lucides. Je parcours le chemin fait par son esprit, et, quoique je n’en connaisse pas tous les détours, j’arriveje sais me trouver néanmoins au but avec lui... Peut-être un jour reviendra-t-il à cette vie dans laquelle nous végétons ; mais s’il respire l’air des cieux où il nous est permis d’exister, pourquoi souhaiterions-nous de le revoir parmi nous ?.... A qui n’est-il pas, maintes fois, arrivé de penser à une chose futile et d’être entraîné vers une pensée grave par des idées ou par des souvenirs qui s’enroulent ? Souvent, après avoir parlé d’un objet frivole, innocent point de départ de quelque rapide méditation, un penseur oublie ou tait les liaisons abstraites qui l’ont conduit à sa conclusion, et reprend la parole en ne montrant que le dernier anneau de cette chaîne de réflexions. Les gens vulgaires à qui cette vélocité de vision mentale est inconnue, ignorant le travail intérieur de l’âme, se mettent à rire du rêveur, et le traitent de fou s’il est coutumier de ces sortes d’oublis. Louis est toujours ainsi : sans cesse il voltige à travers les espaces de la pensée, et s’y promène avec une vivacité d’hirondelle, je sais le suivre dans ses détours. Voilà l’histoire de sa folie. Peut-être un jour Louis reviendra-t-il à cette vie dans laquelle nous végétons ; mais s’il respire l’air des cieux avant le temps où il nous sera permis d’y exister, pourquoi souhaiterions-nous de le revoir parmi nous ? Contente d’entendre battre son cœur, tout mon bonheur est d’être auprès de lui. N’est-il pas tout à moi ? Depuis deux trois ans, à deux reprises, je l’ai possédé pendant quelques heuresjours : en Suisse où je l’ai conduit, et j’ai été si heureuse que je puis bien au fond de la Bretagne dans une île où je l’ai mené prendre des bains de mer. J’ai été deux fois bien heureuse ! Je puis vivre avec par mes souvenirs.¶ – Mais, lui dis-je, écrivezécrirez-vous les paroles qui lui échappent ?¶ – Pourquoi ?... me répondit-elle.¶ Je gardai le silence ;, les sciences humaines étaient bien petites devant cette admirable créature.¶cette femme.¶ – Je me souviens de quelques mots qu’il a dits récemment, reprit-elle.¶ – Dans le temps où il se mit à parler, reprit-elle, je crois avoir recueilli ses premières phrases, mais j’ai cessé de le faire ; je n’y entendais rien alors.¶ Je les lui demandai par un regard qu’elle regard ; elle me comprit, et voici tout ce que je recueillis, en aidant toutefois sa mémoire ; car elle ne prêtait à ses paroles que l’attentionpus sauver de la femme aimante, et n’en soupçonnait ni le sens ni la portée :¶l’oubli.¶ La colère est un courant électrique. Sa commotion agit sur les personnes présentes à un accès, quoiqu’il ne les concerne pas.¶ Il se rencontre des hommes qui cohobent les volontés des masses par une décharge de leur volonté.¶ Le fanatisme et tous les sentimens collectifs sont des fleuves de volonté qui renversent tout.¶ Les faits ne sont rien, ils n’existent pas, il n’y a que des idées.¶ De ton lit aux frontières du monde, il n’y a que deux pas : LA VOLONTÉ – LA FOI !...¶ L’abstraction est le plus beau produit de la pensée. Elle est plus que la graine qui contient les fleurs, les odeurs, le feuillage et le système d’une plante ; elle peut enfermer toute une nature en germe. L’abstraction est la reine de l’âme.¶ Presque tout est un phénomène de la substance éthérée, base de l’électricité. C’est le grand principe des transformations d’une même matière....¶ L’intuition est une des facultés de l’être intérieur ; elle réagit par une sensation imperceptible : Napoléon s’en allant instinctivement de sa place avant qu’un boulet n’y arrive, sans savoir pourquoi....¶ I.¶ Ici-bas, tout est le produit d’une SUBSTANCE ÉTHÉRÉE, base commune de plusieurs phénomènes connus sous les noms impropres d’Électricité, Chaleur, Lumière, Fluide galvanique, magnétique, etc. L’universalité des transmutations de cette Substance constitue ce que l’on appelle vulgairement la Matière.¶ II.¶ Le Cerveau est le matras où l’ANIMAL transporte ce que, suivant la force de cet appareil, chacune de ses organisations peut absorber de cette SUBSTANCE, et d’où elle sort transformée en Volonté.¶ La Volonté est un fluide, attribut de tout être doué de mouvement. De là les innombrables formes qu’affecte l’ANIMAL, et qui sont les effets de sa combinaison avec la SUBSTANCE. Ses instincts sont le produit des nécessités que lui imposent les milieux où il se développe. De là ses variétés.¶ III.¶ En l’homme, la Volonté devient une force qui lui est propre, et qui surpasse en intensité celle de toutes les espèces.¶ IV.¶ Par sa constante alimentation, la Volonté tient à la SUBSTANCE qu’elle retrouve dans toutes les transmutations en les pénétrant par la Pensée, qui est un produit particulier de la Volonté humaine, combinée avec les modifications de la SUBSTANCE.¶ V.¶ Du plus ou moins de perfection de l’appareil humain, viennent les innombrables formes qu’affecte la Pensée.¶ VI.¶ La Volonté s’exerce par des organes vulgairement nommés les cinq sens qui n’en sont qu’un seul, la faculté de voir. Le tact comme le goût, l’ouïe comme l’odorat, est une vue adaptée aux transformations de la SUBSTANCE que l’homme peut saisir dans ses deux états, transformée et non transformée.¶ VII.¶ Toutes les choses qui tombent par la Forme dans le domaine du sens unique, la faculté de voir, se réduisent à quelques corps élémentaires dont les principes sont dans l’air, dans la lumière ou dans les principes de l’air et de la lumière. Le son est une modification de l’air ; toutes les couleurs sont des modifications de la lumière ; tout parfum est une combinaison d’air et de lumière ; ainsi les quatre expressions de la matière par rapport à l’homme, le son, la couleur, le parfum et la forme, ont une même origine ; car le jour n’est pas loin où l’on reconnaîtra la filiation des principes de la lumière dans ceux de l’air. La pensée qui tient à la lumière s’exprime par la parole qui tient au son. Pour lui, tout provient donc de la SUBSTANCE dont les transformations ne diffèrent que par le NOMBRE, par un certain dosage dont les proportions produisent les individus ou les choses de ce que l’on nomme les RÈGNES.¶ VIII.¶ Quand la SUBSTANCE est absorbée en un Nombre suffisant, elle fait de l’homme un appareil d’une énorme puissance, qui communique avec le principe même de la SUBSTANCE, et agit sur la nature organisée à la manière des grands courants qui absorbent les petits. La volition met en œuvre cette force indépendante de la pensée, et qui, par sa concentration, obtient quelques-unes des propriétés de la SUBSTANCE, comme la rapidité de la lumière, comme la pénétration de l’électricité, comme la faculté de saturer les corps, et auxquelles il faut ajouter l’intelligence de ce qu’elle peut. Mais il est en l’homme un phénomène primitif et dominateur qui ne souffre aucune analyse. On décomposera l’homme en entier, l’on trouvera peut-être les éléments de la Pensée et de la Volonté ; mais on rencontrera toujours, sans pouvoir le résoudre, cet X contre lequel je me suis autrefois heurté. Cet X est la PAROLE, dont la communication brûle et dévore ceux qui ne sont pas préparés à la recevoir. Elle engendre incessamment la SUBSTANCE.¶ IX.¶ La colère, comme toutes nos expressions passionnées, est un courant de la force humaine qui agit électriquement ; sa commotion, quand il se dégage, agit sur les personnes présentes, même sans qu’elles en soient le but ou la cause. Ne se rencontre-t-il pas des hommes qui, par une décharge de leur volition, cohobent les sentiments des masses ?¶ X.¶ Le fanatisme et tous tes sentiments sont des Forces Vives. Ces forces, chez certains êtres, deviennent des fleuves de Volonté qui réunissent et entraînent tout.¶ XI.¶ Si l’espace existe, certaines facultés donnent le pouvoir de le franchir avec une telle vitesse que leurs effets équivalent à son abolition. De ton lit aux frontières du monde, il n’y a que deux pas : LA VOLONTÉ – LA FOI !¶ XII.¶ Les faits ne sont rien, ils n’existent pas, il ne subsiste de nous que des Idées.¶ XIII.¶ Le monde des Idées se divise en trois sphères : celle de l’Instinct, celle des Abstractions, celle de la Spécialité.¶ XIV.¶ La plus grande partie de l’Humanité visible, la partie la plus faible, habite la sphère de l’Instinctivité. Les Instinctifs naissent, travaillent et meurent sans s’élever au second degré de l’intelligence humaine, l’Abstraction.¶ XV.¶ A l’abstraction commence la Société. Si l’Abstraction comparée à l’Instinct est une puissance presque divine, elle est une faiblesse inouïe, comparée au don de Spécialité qui peut seul expliquer Dieu. L’Abstraction comprend toute une nature en germe plus virtuellement que la graine ne contient le système d’une plante et ses produits. De l’abstraction naissent les lois, les arts, les intérêts, les idées sociales. Elle est la gloire et le fléau du monde : la gloire, elle a créé les sociétés ; le fléau, elle dispense l’homme d’entrer dans la Spécialité, qui est un des chemins de l’Infini. L’homme juge tout par ses abstractions, le bien, le mal, la vertu, le crime. Ses formules de droit sont ses balances, sa justice est aveugle : celle de Dieu voit, tout est là. Il se trouve nécessairement des êtres intermédiaires qui séparent le Règne des Instinctifs du Règne des Abstractifs, et chez lesquels l’Instinctivité se mêle à l’Abstractivité dans des proportions infinies. Les uns ont plus d’Instinctivité que d’Abstractivité, et vice versa, que les autres. Puis, il est des êtres chez lesquels les deux actions se neutralisent en agissant par des forces égales.¶ XVI.¶ La Spécialité consiste à voir les choses du monde matériel aussi bien que celles du monde spirituel dans leurs ramifications originelles et conséquentielles. Les plus beaux génies humains sont ceux qui sont partis des ténèbres de l’Abstraction pour arriver aux lumières de la Spécialité. (Spécialité, species, vue, spéculer, voir tout, et d’un seul coup ; Speculum, miroir ou moyen d’apprécier une chose en la voyant tout entière.) Jésus était Spécialiste, il voyait le fait dans ses racines et dans ses productions, dans le passé qui l’avait engendré, dans le présent où il se manifestait, dans l’avenir où il se développait ; sa vue pénétrait l’entendement d’autrui. La perfection de la vue intérieure enfante le don de Spécialité. La Spécialité emporte l’intuition. L’intuition est une des facultés de L’HOMME INTÉRIEUR dont le Spécialisme est un attribut. Elle agit par une imperceptible sensation ignorée de celui qui lui obéit : Napoléon s’en allant instinctivement de sa place avant qu’un boulet n’y arrive.¶ XVII.¶ Entre la sphère du Spécialisme et celle de l’Abstractivité se trouvent, comme entre celle-ci et celle de l’Instinctivité, des êtres chez lesquels les divers attributs des deux règnes se confondent et produisent des mixtes : les hommes de génie.¶ XVIII.¶ Le Spécialiste est nécessairement la plus parfaite expression de l’HOMME, l’anneau qui lie le monde visible aux mondes supérieurs : il agit, il voit et il sent par son INTÉRIEUR. L’Abstractif pense. L’Instinctif agit.¶ XIX.¶ De là trois degrés pour l’homme : Instinctif, il est au-dessous de la mesure ; Abstractif, il est au niveau ; Spécialiste, il est au dessus. Le Spécialisme ouvre à l’homme sa véritable carrière, l’infini commence à poindre en lui, là il entrevoit sa destinée.¶ XX.¶ Il existe trois mondes : le NATUREL, le SPIRITUEL, le DIVIN.¶ L’Humanité transite dans le Monde Naturel, qui n’est fixe ni dans son essence ni dans ses facultés. Le Monde Spirituel est fixe dans son essence et mobile dans ses facultés. Le Monde Divin est fixe dans ses facultés et dans son essence. Il existe donc nécessairement un culte matériel, un culte spirituel, un culte divin ; trois formes qui s’expriment par l’Action, par la Parole, par la Prière, autrement dit, le Fait, l’Entendement et l’Amour. L’Instinctif veut des faits, l’Abstractif s’occupe des idées, le Spécialiste voit la fin, il aspire à Dieu qu’il pressent ou contemple.¶ XXI.¶ Aussi, peut-être un jour le sens inverse de l’ET VERBUM CARO FACTUM EST, sera-t-il le résumé d’un nouvel évangile qui dira : ET LA CHAIR SE FERA le VERBE, ELLE DEVIENDRA LA PAROLE de DIEU.¶ XXII.¶ La résurrection se fait par le vent du ciel qui balaie les mondes. L’ange porté par le vent ne dit pas : – Morts, levez-vous ! Il dit : – Que les vivants se lèvent !¶ Telles sont les pensées auxquelles j’ai pu, non sans de grandes peines, donner des formes en rapport avec notre entendement. Il en est d’autres desquelles Pauline se souvenait plus particulièrement, je ne sais par quelle raison, et que j’ai transcrites ; mais elles font le désespoir de l’esprit, quand, sachant de quelle intelligence elles procèdent, on cherche à les comprendre. J’en citerai quelques-unes, pour achever le dessin de cette figure, peut-être aussi parce que dans ces dernières idées la formule de Lambert embrasse-telle mieux les mondes que la précédente, qui semble s’appliquer seulement au mouvement zoologique. Mais entre ces deux fragments, il est une corrélation évidente aux yeux des personnes, assez rares d’ailleurs, qui se plaisent à plonger dans ces sortes de gouffres intellectuels.¶ I.¶ Tout ici-bas n’existe que par le Mouvement et par le Nombre.¶ II.¶ Le Mouvement est en quelque sorte le Nombre agissant.¶ III.¶ Le Mouvement est le produit d’une force engendrée par la Parole et par une résistance qui est la Matière. Sans la résistance, le Mouvement aurait été sans résultat, son action eût été infinie. L’attraction de Newton n’est pas une loi ; mais un effet de la loi générale du Mouvement universel.¶ IV.¶ Le Mouvement, en raison de la résistance, produit une combinaison qui est la vie ; dès que l’un ou l’autre est plus fort, la vie cesse.¶ V.¶ Nulle part le Mouvement n’est stérile, partout il engendre le Nombre ; mais il peut être neutralisé par une résistance supérieure, comme dans le minéral.¶ VI.¶ Le Nombre qui produit toutes les variétés engendre également l’harmonie, qui, dans sa plus haute acception, est le rapport entre les parties et l’Unité.¶ VII.¶ Sans le Mouvement, tout serait une seule et même chose. Ses produits, identiques dans leur essence ne diffèrent que par le Nombre qui a produit les facultés.¶ VIII.¶ L’homme tient aux facultés, l’ange tient à l’essence.¶ IX.¶ En unissant son corps à l’action élémentaire, l’homme peut arriver à s’unir à la lumière par son INTÉRIEUR.¶ X.¶ Le Nombre est un témoin intellectuel qui n’appartient qu’à l’homme, et par lequel il peut arriver à la connaissance de la Parole.¶ XI.¶ Il est un nombre que l’impur ne franchit pas, le Nombre où la création est finie.¶ XII.¶ L’Unité a été le point de départ de tout ce qui fut produit ; il en est résulté des Composés mais la fin doit être identique au commencement. De là cette formule spirituelle : Unité composée, Unité variable, Unité fixe.¶ XIII.¶ L’Univers est donc la variété dans l’Unité. Le Mouvement est le moyen, le Nombre est le résultat. La fin est le retour de toutes choses à l’unité, qui est Dieu.¶ XIV.¶ TROIS et SEPT sont les deux plus grands nombres spirituels.¶ XV.¶ TROIS est formule des Mondes créés. Il est le signe spirituel de la création comme il est le signe matériel de la circonférence. En effet, Dieu n’a procédé que par des lignes circulaires. La ligne droite est l’attribut de l’infini ; aussi d’homme qui pressent l’infini la reproduit-il dans ses œuvres. Deux est le Nombre de la génération. TROIS est le Nombre de l’existence, qui comprend la génération et le produit. Ajoutez le Quaternaire, vous avec le SEPT, qui est la formule du ciel. Dieu est au-dessus, il est l’Unité.¶ Après avoir étéêtre allé revoir encore une fois Lambert, je quittai mademoiselle Pauline, sa femme et je revins à Blois en proie à des idées si bizarres, si extravagantescontraires à la vie sociale, que je renonçai, malgré ma promesse, à retourner à Villenoix.¶ La vue de Louis avait exercé sur moi je ne sais quelle influence sinistre. Je redoutai de me retrouver dans cette atmosphère enivrante où l’extase était contagieuse. Je n’ose dire qu’on y avait envie d’y tomber Chacun aurait éprouvé comme moi l’envie de se précipiter dans l’infini ;, de même que les soldats se suicidaienttuaient tous dans la guérite où s’était suicidé l’un d’eux au camp de Boulogne. On sait que l’Empereur Napoléon fut obligé de faire brûler ce bois, dépositaire d’idées arrivées à l’étatl’étal de miasmes mortels. Peut-être en était-il de la chambre de Louis comme de cette guérite ? Ces deux faits seraient des preuves de plus en faveur de son système sur la transmission de la Volonté. J’y éprouvai certesressentis des troubles extraordinaires dans la pensée, et qui surpassèrent les effets les plus fantastiques causés par le thé, le café, le spleen, l’opium, par le sommeil et la fièvre, agensagents mystérieux dont ma tête a souvent subi les terribles actions.¶ embrasent si souvent nos têtes. Peut-être aurais-je pu transformer en un livre complet tous ces débris de pensée, exorbitanss, compréhensibles seulement pour certains esprits habitués à se pencher sur le bord des abîmes afin, dans l’espérance d’en apercevoir le fond. La vie de cet immense cerveau, qui, sans doute, a craqué de toutes parts comme un empire trop vaste, y eût été développée dans ce livre par le récit des visions de cet être, incomplet par trop de force ou par faiblesse ; mais j’ai mieux aimé rendre compte de mes impressions que de faire une œuvre plus ou moins poétique.¶ Lambert mourut à l’âge de vingt-huit ans, le 25 septembre 1824, entre les bras de son amie, qui. Elle le fit ensevelir dans une des îles du parc de Villenoix. Son tombeau consiste en une simple croix de pierre, sans nom, sans date. Fleur née sur le bord d’un gouffre, elle devait y tomber inconnue avec ses couleurs et ses parfums inconnus. Comme beaucoup de gens incompris, n’avait-il avaitpas souvent voulu se précipiter plonger avec orgueil dans le néant en y perdantpour y perdre les secrets de sa vie !...¶ Cependant mademoiselle de Villenoix aurait bien eu le droit d’inscrire sur cette croix les noms de Lambert, en y indiquant les siens. Depuis la perte de son mari, cette nouvelle union n’est-elle pas son espérance de toutes les heures ? Mais les vanités de la douleur sont étrangères aux âmes fidèles. Villenoix tombe en ruines. La femme de Lambert ne l’habite plus, sans doute pour mieux s’y voir comme elle y fut jadis. Ne lui a-t-on pas entendu dire naguère : – J’ai eu son cœur, à Dieu son génie !¶ Au château de Saché, juin-juillet 1832.¶ FIN.¶ BIBLIOGRAPHIE Maître Cornélius manuscrit Ms partiel conservé dans la collection Lovenjoul à la Bibliothèque de l’Institut sous la cote A 126. 144 ff. correspondant à la 2e livraison de la publication dans la Revue de Paris. éditions la Revue de Paris : le 18 décembre 1831 (pp. 157-95) et le 25 décembre 1831 (pp. 235-58). Les Nouveaux contes philosophiques (Paris, Gosselin, 1832), pp. 1-151. au t. XI des Études philosophiques (Paris, Werdet, 1836); au t. II des Études philosophiques in La Comédie humaine (Paris, Furne, Dubochet et Hetzel, 1846), t. XV, pp. 413-67. études A MBRIÈRE -F ARGEAUD , Madeleine, Balzac et la Recherche de l’Absolu (Paris, Hachette, 1968). E ISENZWEIG ,Uri, « L’Instance du policier dans le romanesque : Balzac, Poe et le mystère de la chambre close », Poétique, n° 51, 1982, pp. 279-302. 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