Comment le web change le monde

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Comment le web change le monde. L'alchimie des multitudes.
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Francis Pisani & Dominique Piotet
Comment le web
change le monde
L’alchimie des multitudes
Par Francis Pisani et Dominique Piotet
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Par Francis Pisani et Dominique Piotet
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SOMMAIRE
V
Sommaire
1
Introduction
Première partie
Le web d’aujourd’hui
1 Les jeunes et le web : ensemble, dans les nuages
2 De la dynamique relationnelle
3 Les techniques discrètes du web d’aujourd’hui
17
35
51
Deuxième partie
L’alchimie des multitudes
4 Les webacteurs, créateurs de valeur
5 L’alchimie des multitudes
85
117
Troisième partie
Ce que cela change
6
7
8
9
Une économie de la relation peut-elle être rentable ?
Vers l’entreprise liquide ?
Les multitudes et leurs médias
Le web de demain
151
179
203
231
Postface, par Antoine Sire
Notes
Remerciements
245
249
265
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Introduction
« Never mistake motion for action. »
Ernest HEMINGWAY
DES INTERNAUTES AUX WEBACTEURS
Le nombre d’utilisateurs de l’internet croît si vite que bientôt, au début de l’année 2009 peut-être, il devrait correspondre au quart de la population mondiale1. Encore faut-il
tenir compte de toutes les zones qui échappent à la mesure
faite depuis les pays développés, de la vitesse de pénétration
des technologies de l’information et de la communication
(TIC) en Chine et en Inde et du fait que l’accès par le biais
des téléphones mobiles s’accélère. Mais le nombre d’internautes n’est qu’une pâle indication. Ce qui a le plus changé,
c’est ce que nous faisons sur et avec l’internet dont nous
sommes en train de devenir les vrais acteurs.
Au milieu des années 1990, les premiers internautes
s’émerveillaient de toutes ces informations brusquement disponibles, de leur facilité d’accès grâce aux premiers moteurs
de recherche, et de la puissance de la communication par le
courriel. Ils commençaient à acheter en ligne, à faire des rencontres, à chercher l’âme sœur, à suivre des conversations de
groupe. Progressivement, par petites touches, ils se sont mis
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à participer. Les outils pour le faire sont devenus courants,
simples à manier. Les logiciels gratuits de création de blogs
(ces fameux journaux personnels en ligne) leur permettent
de créer leurs sites et de s’exprimer aussi bien directement
qu’en laissant des commentaires sur les blogs des autres. Ils
publient leurs photos sur Flickr.com ou Snapfish.com, par
exemple, pour que leurs amis les voient. Pour les vidéos familiales et autres, ils ont maintenant YouTube.com et Dailymotion.com. Les sites de réseaux sociaux enfin – MySpace,
Facebook, Bebo et les autres – comptent leurs utilisateurs en
dizaines de millions.
Ils sont loin ces internautes un peu passifs, qui consommaient sans réagir l’information qui leur était proposée sur
des sites réalisés par des spécialistes. Les utilisateurs du web
d’aujourd’hui proposent des services, échangent des informations, commentent, s’impliquent, participent. Ils et elles produisent l’essentiel du contenu du web. Ces internautes en
pleine mutation ne se contentent plus de naviguer, de surfer.
Ils agissent. Nous avons décidé de les appeler « webacteurs ».
Ce livre leur est consacré.
Pour bien comprendre ces nouveaux acteurs, il faut marquer la distinction entre l’internet et le web. Les deux sont
souvent confondus, par facilité de langage, et du fait de leur
indissociable proximité. L’internet est le réseau informatique mondial qui nous permet d’accéder à nos courriers électroniques ou à des sites web par exemple. Le web, ou world
wide web, est une des applications majeures permises par
l’internet. C’est un système qui permet de consulter, avec un
navigateur, des pages mises en ligne sur des sites2. Nous
avons donc d’un côté un ensemble d’ordinateurs connectés
entre eux et de l’autre un ensemble de documents modifiables, également connectés entre eux.
L’internet est le réseau, le web une de ses applications les
plus populaires. Les premiers utilisateurs étaient d’abord
des voyageurs, passant grâce à ce réseau de site web en site
web, sans être trop capables d’y faire autre chose que d’y
recueillir les informations disponibles. Mais ces sites sont
devenus de plus en plus ouverts aux utilisateurs, et de plus
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en plus simples à créer et à développer, même pour des néophytes. Ainsi, avec le temps, les utilisateurs sont-ils passés
du statut de voyageurs de l’internet (internautes) au statut
d’acteurs du web, façonnant tous ces sites à leur manière,
proposant services et contenus qui leur sont propres, commentant ou discutant les informations disponibles. En se
simplifiant, le web est devenu une plateforme plus ouverte
aux utilisateurs, alors que l’internet s’est lui-même ouvert à
des débits croissants, permettant d’accéder à des contenus et
à des services plus « riches ». Un autre rapport devenait
possible, et c’est ainsi que sont nés les webacteurs, ces internautes qui s’impliquent sur les sites qu’ils visitent, quand
ils ne les créent pas eux-mêmes. L’attitude n’est pas la
même. Les internautes consultent Wikipedia.org, l’encyclopédie en ligne, les webacteurs écrivent des articles ou corrigent ceux dans lesquels ils trouvent des erreurs.
La mutation est profonde, mais elle est arrivée comme
par surprise, sans que nous nous en rendions bien compte.
COMMENT EN EST-ON ARRIVÉ LÀ ?
S’abaisser pour conquérir est une tactique souvent oubliée
dans la stratégie, notamment dans celle de la séduction. La
pièce classique de l’auteur irlandais du 18e siècle, Olivier
Goldsmith, She stoops to conquer3, met en scène le jeune et riche
Charles Marlow, intimidé par les jeunes femmes de sa classe
sociale. Pour le conquérir, Kate Hardcastle, héritière fortunée,
se fait passer pour une servante. Au terme de nombreuses
péripéties, elle finit, grâce à son stratagème, par vaincre la
timidité de son bien-aimé ; elle apparaît alors sous son vrai
visage, obtient le mariage et peut reprendre sa place légitime.
Et si le web avait suivi le même mouvement ces dernières années ? D’abord étincelant jusqu’en 2000-2001,
puis modeste après l’éclatement de la bulle, mais dur à la
tâche, il finit par s’imposer. C’est un web plus mûr auquel
nous avons affaire.
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Souvenons-nous de la première période (avant 2000). On y
mettait en scène des « barbares » qui devaient briser les chaînes de valeurs de l’économie des « empereurs » en dématérialisant totalement l’acte d’achat. On nous promettait une
« nouvelle économie », selon l’expression popularisée par
Newsweek dès 1995. Elle allait faire trembler les acteurs traditionnels dans tous les domaines. Le temps internet se comptait en « années chien » (tout allait si vite qu’une année
d’existence en ligne valait bien sept ans de vie dans le monde
réel, « de briques et de mortier » comme disent les anglophones). La Silicon Valley se trouvant en Californie, il était naturel d’invoquer le mythe de la ruée vers l’or : les pelles et les
pioches du jour étaient dans les mains des opérateurs de télécom déployant le réseau. Les nouveaux chercheurs d’or étaient
les créateurs de « dot-coms ».
Et Wall Street, mise en appétit par des modèles d’affaires
exubérants et des espoirs de retour sur investissements
importants et rapides, était à l’affût d’investissements mirobolants. Il y eut 78 introductions en Bourse de sociétés
technologiques de la Silicon Valley en 2000 (contre sept en
2005). Trop d’argent investi trop vite, alors que les bons
projets manquaient et que, faute d’utilisateurs en nombre
suffisant, le marché n’était pas encore mûr.
Paradoxe : ce sont ces mêmes utilisateurs, oubliés dans la
première vague, qui dessinent les contours de cette nouvelle
phase de l’internet. La révolution du peuple après la tentative de révolution bourgeoise, en quelque sorte…
Le 19e siècle aura connu ses enthousiasmes débridés suivis
de crises de « luddisme » (du nom d’un mouvement ouvrier
de rébellion contre les métiers à tisser). Avec moins de violence, le 20e siècle aura lui aussi été secoué par des phases
d’espoir exagéré en certaines technologies, suivies de déceptions puis d’acceptation et de diffusion. Ces différentes phases
– généralement accompagnées de fortes spéculations boursières – sont caractéristiques des « attentes démesurées »
(inflated expectations, selon l’expression du Gartner Group4)
que nous avons aujourd’hui tendance à placer dans les TIC.
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Le concept de hype cycle (« cycle de frénésie », dans une
traduction littérale) a été développé par le Gartner Group
pour représenter de façon graphique le cycle de maturité,
d’adoption et d’application commerciale des différentes
technologies.
L’analyse sous-jacente reprend l’hypothèse d’un enthousiasme exagéré, doublé d’un effet de mode. Cette démesure
des attentes – parfois savamment orchestrées par les acteurs
eux-mêmes pour valoriser leurs découvertes – est généralement suivie d’une phase de déception proportionnelle. Les
innovations technologiques qui passent cette phase avec
succès peuvent ensuite aspirer à la maturité, associée à la
profitabilité et au développement de nouvelles générations.
Le hype cycle le plus célèbre est celui consacré au e-business
en 1999.
Fin du e-business
(qui devient du
commerce usuel)
Visibilité
Pic d'intérêt
Plateau de
rentabilité
Renaissance
Naissance de
la technologie
Désillusion
1990-96
1998
2000
2002
2004
2006
2008
2010
1997
1999
2001
2003
2005
2007
2009
Source : Gartner Group, 1999.
Le hype cycle du Gartner Group appliqué au e-business
Il prédisait l’explosion de la bulle internet pour
l’année 2000, mais annonçait aussi que l’e-business atteindrait son plateau de rentabilité aux alentours des années
2006-2007. Nous y sommes ! Et des entreprises comme
Yahoo!, Google, eBay ou Amazon, qui ont survécu à cette
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phase d’attentes démesurées, sont aujourd’hui très largement profitables.
Alors que Wall Street tombait, et que les investisseurs se
désengageaient comme ils le pouvaient des « valeurs technologiques », l’internet entamait sa véritable croissance
auprès du grand public. Les chiffres sont éloquents et la
concordance troublante… Il y avait 400 millions d’utilisateurs d’internet en 2000, ce qui n’était déjà pas négligeable,
mais pas encore suffisant pour générer un business de masse.
Malgré l’éclatement de la bulle, il y en avait trois fois plus à
l’automne 2007.
L’internet est l’un des réseaux de communication dont la
pénétration aura connu la progression la plus forte et la plus
rapide dans l’histoire. Il a été vingt fois plus vite que le téléphone, dix fois plus que la radio et trois fois plus vite que la
télévision. Sans parler du développement de la route ou du
chemin de fer5.
La croissance des connexions à haut débit est particulièrement impressionnante. Selon Point-Topic.com, il y avait
près de 330 millions d’abonnés à l’internet à haut débit
dans le monde au troisième trimestre 2007. À la même
date, en France, l’Arcep (Autorité de régulation des communications électroniques et des postes) recensait 14,3 millions
de foyers connectés à l’internet à haut débit. À cela, il faut
ajouter l’augmentation constante des débits disponibles,
permettant des usages toujours plus riches et rapides. En
cinq ans à peine, les débits offerts par les technologies DSL6
ont été multipliés par 40, passant de 512 Kbits/s à
20 Mbits/s. Les technologies de fibre optique, qui permettent aujourd’hui des débits jusqu’à 100 Mbit/s, sont en
cours de déploiement.
La progression est fulgurante, mais une large partie de
la population mondiale reste exclue de l’internet. Il en
résulte une géographie bien particulière : dans les pays
développés, on distingue les zones rurales et défavorisées
des zones urbaines et riches. À l’échelle mondiale, cette
géographie recoupe très souvent la carte du développement. À peine 2,9 % de la population africaine est connectée.
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La proportion est de 3,7 % pour l’Inde, 12,3 % pour la
Chine et 19,8 % pour l’Amérique latine7. Mais les grandes
villes, et surtout leurs quartiers les plus nantis, peuvent
réserver des surprises.
LA GÉNÉRATION GOOGLE ET LA « GOOGLE ÉCONOMIE »
Présent sur tous les fronts – un peu trop peut-être –, Google
remplit une fonction structurante du web, tant par sa fonction de moteur de recherche dominant que par sa capacité
d’innovation et par son modèle économique. C’est l’introduction en Bourse réussie en août 2004 qui a permis au
mouvement de création d’entreprises de retrouver son souffle après la bulle, mettant en lumière l’intérêt et la puissance
de ces nouveaux usages.
19 août 2004, Wall Street : Larry Page, cofondateur de
Google, fait sonner la cloche pour marquer l’ouverture de la
Bourse. Il lance l’introduction du titre de l’entreprise qu’il a
cofondée cinq ans plus tôt avec Sergeï Brin. L’homme
timide et réservé a endossé un costume strict pour l’occasion… historique à plus d’un titre.
Le style, d’abord. Refusant le jeu traditionnel, l’introduction est faite en août, une période calme, même à New York.
Les banquiers d’affaires n’ont pas été invités à déterminer le
prix d’introduction, ni même à contribuer à la réussite de
l’opération grâce à des « préventes » bien rémunérées. Les
deux fondateurs ont imposé leurs propres règles au marché.
Ils se sont même autorisés quelques fantaisies avec la législation, en accordant notamment une interview au magazine
PlayBoy en pleine période dite de « silence »8. Un mélange
de naïveté et de rébellion contre les règles établies accompagnées d’un zeste de provocation. Car cette introduction
hors normes est un indéniable succès. Le titre, introduit à
85 dollars, atteindra plus de 470 dollars en janvier 2005, à
peine six mois plus tard, faisant de Google l’une des entreprises les plus capitalisées au monde9.
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Ainsi menée, l’opération avait le mérite de montrer qu’il
était de nouveau possible d’introduire en Bourse avec succès
une entreprise high-tech née dans la Silicon Valley et que
Wall Street était à l’écoute.
L’initiative de Larry Page et Sergeï Brin bénéficiait des
critiques formulées après l’éclatement de la bulle. Bill Draper, l’un des pionniers du capital-risque, dira : « il y avait
trop d’argent, pas assez de bons projets, et trop de spéculations, alors que les conditions n’étaient pas encore réunies
pour le succès10 ». Parmi ces conditions : un nombre suffisant d’ordinateurs connectés à internet, le haut débit, une
période d’apprentissage et l’arrivée d’une nouvelle génération. Le temps d’adoption normal pour toute nouvelle technologie un tant soit peu perturbatrice…
Le style des deux acolytes issus de Stanford correspond
aussi à un changement profond dans la région de la baie de
San Francisco. Frappé plus que tout autre par l’éclatement
de la bulle, puisque l’ensemble de l’économie locale est
tourné vers les nouvelles technologies, le microcosme a
brièvement donné l’impression de se replier sur lui-même.
Ingénieurs et développeurs en ont profité pour retourner à
leurs ébauches, alors que les hommes d’affaires cherchaient
de nouveaux modèles économiques. La réussite de Google a
redonné un moteur à l’économie de la région et débridé les
énergies toujours disponibles.
Plus important encore, les conditions n’ont jamais été
aussi favorables à la création d’entreprise. La généralisation
d’internet, la baisse des coûts des équipements et de la
bande passante, le recours de plus en plus répandu aux logiciels libres ont beaucoup fait baisser la barrière à l’entrée de
la création d’entreprise11. Les levées de fonds, quand elles
sont nécessaires, n’ont plus rien à voir avec les montants
investis avant la bulle. Et les internautes sont là, en masse,
prêts à utiliser les nouveaux services proposés.
Le renouveau touche aussi les femmes et les hommes.
C’est une nouvelle génération d’entrepreneurs, de chercheurs, de créateurs, mais aussi d’utilisateurs qui prennent
le pouvoir. C’est la génération internet qui arrive, une
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« génération Google » qui monte au créneau après les générations Hewlett-Packard (HP), Apple et Microsoft. Les nouveaux acteurs qui comptent ont grandi et fait leurs études
avec le web. Certains n’ont jamais vécu sans. Ils savent intéresser les jeunes, comme le montre le succès de MySpace,
mais aussi WordPress, le programme pour blogs, ou encore
Skype, YouTube, Facebook, Flikr, Twitter…
1 + 1 = BEAUCOUP, OU L’ALCHIMIE DES MULTITUDES
Les outils de création de blogs, de partage de photos, de messagerie instantanée, de téléphonie, poussent un nombre étonnamment élevé d’utilisateurs à devenir des webacteurs, parce
qu’ils sont plus simples, plus accessibles, plus transparents. Connectés en réseaux, ils permettent de créer des
liens, de tisser des relations aussi bien entre données qu’entre
personnes ou qu’entre personnes et données. La dimension
relationnelle du web s’est ainsi trouvée accélérée par l’augmentation très forte du nombre d’utilisateurs et d’outils à
leur disposition. Plus il y a de webacteurs, plus ils tissent de
relations, plus le système est riche et mieux il marche. C’est
ce qu’on appelle les effets de réseaux dont, après avoir expliqué la mécanique très concrète à l’œuvre sur certains des
sites les plus connus, nous évoquerons le fonctionnement
notamment dans les domaines de l’économie, de l’entreprise
et des médias.
Une publication sur un blog va générer des commentaires, des réactions, des reprises, des révisions. L’inscription
d’un webacteur sur le site de réseau social Facebook va lui
permettre, en quelques clics, d’entrer en relation avec des
milliers de personnes et d’échanger, de partager, d’organiser
des événements.
Sur le web, aujourd’hui, 1 + 1 est très vite égal à beaucoup.
Et cela produit du sens, du contenu, des richesses, de la
nouveauté, des services utiles. Un moteur de recherche
comme Google s’améliore au fur et à mesure qu’on l’utilise.
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Chacune de nos utilisations précise au moteur la pertinence
des réponses que son algorithme propose. Plus nous l’utilisons, plus nous sommes nombreux à l’utiliser, meilleur il
sera. Il se passe quelque chose qui nous dépasse quand nous
sommes si nombreux à y participer. Les dizaines de millions
d’utilisateurs de MySpace, Facebook ou Beebo trouvent un
intérêt plus grand à être en relation que s’ils n’étaient
qu’une poignée. Chaque agissement des webacteurs connectés entre eux et avec des données ajoute un petit quelque
chose, une valeur qui n’y était pas et dont l’ensemble débouche sur ce que certains sont tentés d’appeler « intelligence
collective » ou « sagesse des foules ». Des termes peut-être
trop ambitieux, qui promettent beaucoup et risquent de
décevoir tout autant.
Nous préférons, pour notre part, parler d’« alchimie des
multitudes ».
Les contours de cette foule, ou de ce « collectif », sont
difficiles à préciser. Les webacteurs sont hétérogènes et
divers, au gré de leur implication, de leur participation…
La seule chose sûre étant leur grand nombre, autant les
reconnaître comme ce qu’ils constituent, des multitudes. Et
il nous semble difficile de qualifier de « sagesse » ou
d’« intelligence » des phénomènes encore si contradictoires,
trop souvent décevants. Ces étranges effets peuvent nous
donner de l’or, mais ça n’est jamais sûr. On trouve sur Wikipedia des articles qui valent bien ceux de l’Encyclopædia Britannica, mais la qualité d’ensemble, toujours perfectible,
demeure inégale. C’est le processus lui-même qui veut ça.
Voilà pourquoi nous avons choisi l’expression « alchimie
des multitudes ». Passionnant, stimulant, prometteur, le phénomène peut être porteur du meilleur, mais aussi du pire, ce
qu’il ne faut jamais oublier et contre lequel il faut toujours
agir. Nous l’illustrerons largement dans le cours de l’ouvrage.
L’alchimie des multitudes, c’est la participation des webacteurs. C’est le cœur de notre lecture de ce qui se joue
aujourd’hui, aussi bien sur le web que dans les rapports de
celui-ci avec le monde réel, dans la dimension digitale de nos
vies comme dans leur dimension physique.
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L’ALCHIMIE DES MULTITUDES
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NOTRE APPROCHE
Parler du web aujourd’hui, oblige à se situer par rapport à
l’expression « web 2.0 », inventée en 2004, puis propulsée
par l’équipe de l’éditeur californien Tim O’Reilly. Peu
explicite, elle est en plus très contestée. L’auteur et consultant Don Tapscott préfère « wikinomics », qui souligne le
rôle essentiel de la collaboration et du partage (les « wikis »
sont des outils simples et ouverts de travail collaboratif en
ligne). Pour certains, c’est la notion d’intelligence collective
qui est centrale. D’autres, comme l’auteur et rédacteur en
chef de la célèbre revue Wired, Chris Anderson, caractérisent
le moment par ce qu’ils appellent la « longue traîne », pour
mettre en valeur l’émergence de nouveaux modèles économiques basés sur l’abondance et la diversité permises par cet
internet sans limites. Mais le terme web 2.0 est celui qui a
fait à la fois fortune et le tour du monde. Nous avons pourtant décidé de prendre nos distances avec lui.
« Web 2.0 » nous semble trop réducteur et trop marqué
par l’idée qu’il s’agirait d’une « nouvelle version » du web.
Il reste très ancré dans les racines du web d’avant, même s’il
en est aussi très différent par les usages qu’on en fait, son
ampleur, le développement de certaines fonctionnalités et
les nouveaux modèles d’affaires qu’il induit.
L’important, c’est que le web auquel nous avons affaire
aujourd’hui est le produit des effets de réseaux qui surgissent
quand un grand nombre d’internautes réalisent une bonne
partie de leurs activités sur le web en utilisant sa dimension
collaborative et interactive. Nous assistons en fait à l’appropriation du web par les webacteurs connectés les uns aux
autres en réseaux.
Les développements les plus intéressants s’articulent
autour de six éléments :
1. Plateforme : le web devient la plateforme sur laquelle on
peut « presque » tout faire : courriels, partage de documents, transactions commerciales, conversations téléphoniques, etc.
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2. Recevoir/publier/modifier : la plateforme permet les interactions. Quand l’information est trouvée ou modifiée, la
conversation commence. Les utilisateurs contribuent en
apposant leurs commentaires et en « montant » leur propre contenu sur les blogs et wikis.
3. Haut débit : les « gros tuyaux » par lesquels transitent
textes, images, musique et vidéos attirent de plus en plus
d’utilisateurs. L’essentiel est sans doute qu’ils permettent
d’être toujours connecté (always on). Les réseaux mobiles
sont en passe d’ajouter une dimension au phénomène.
4. Contributions : le haut débit encourage les contributions
et facilite les modifications de la plateforme.
5. Effets de réseaux : les contributions s’ajoutent, au point de
créer un ensemble qui est plus grand que la somme de ses
parties. Sociétés et technologies exploitent le contenu
généré par les usagers pour développer de nouveaux types
d’affaires. La nature du savoir change et laisse entrevoir la
possibilité de tirer parti de formes émergentes d’intelligence collective.
6. La « longue traîne » : le web donne lieu à de nouvelles
opportunités de création de valeurs, notamment sur des
marchés de niches, ouvrant la voie à une économie de la
diversité et de l’abondance.
Le web peut donc être abordé comme une plateforme
dynamique. Par « plateforme dynamique », nous entendons
qu’elle est aussi bien l’endroit où l’on va chercher du contenu
que celui où on en publie, et qu’elle peut être modifiée à tout
moment.
Les éléments technologiques radicalement innovants sont
rares. Les services originaux naissent souvent du mélange de
technologies et/ou de sources d’informations différentes, les
mashups. Hétérogénéité et interopérabilité deviennent des
notions dominantes.
Tout cela contribue à la naissance d’une nouvelle économie et d’une nouvelle culture. C’est le sujet de notre livre.
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L’ALCHIMIE DES MULTITUDES
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Faut-il définir le web 2.0 ?
Rencontre avec Tim O’Reilly
Tim O’Reilly est patron et fondateur d’une célèbre maison d’édition qui
porte son nom. Il est aussi celui qui a popularisé le terme « web 2.0 », en
organisant la première conférence web 2.0 à San Francisco en octobre
2004 et en posant les premières bases du concept dans un texte qu’on
peut retrouver sur son blog12.
O’Reilly nous a reçus dans ses locaux de la Russian River, à Sebastopol, loin de l’effervescence de la Silicon Valley. Un homme facile à
aborder, à la pensée riche et originale, dont voici les éléments les plus saisissants concernant web 2.0… aujourd’hui.
« Les définitions sont des constructions de langage pour expliquer
des choses. Or, le web 2.0 n’est pas vraiment une chose. C’est plutôt la
description d’un “tipping point”13, un point de bascule, de ce moment où
un phénomène un peu unique et isolé devient commun et se généralise.
Une sorte de point de rupture et de passage à une nouvelle ère, avec de
nouveaux acteurs et de nouvelles règles.
Pour bien le comprendre, on peut faire une analogie avec le développement de l’ordinateur personnel dans les années 1980. Les ordinateurs
sont progressivement devenus de plus en plus personnels, et à un certain
moment (difficile à dater avec précision), le centre de gravité est passé du
mainframe à l’ordinateur personnel. Tout à coup, des acteurs comme
IBM, au centre du développement des ordinateurs dont ils étaient les
constructeurs, perdent la main au profit de nouveaux acteurs comme
Microsoft, qui proposent les outils d’exploitation de cet objet personnel.
D’une certaine façon, nous sommes alors passés de l’ère du PC 1.0,
avec IBM comme acteur principal, à celle du PC 2.0, beaucoup plus personnel, avec Microsoft comme acteur principal. Il ne s’agit pas d’une
définition, mais d’un fait !
Le web 2.0 est très similaire. Il y a aujourd’hui un tipping point dans le
développement du web. Internet a 25 ans, le web a déjà 15 ans. Au
début, ils n’étaient qu’un “plus” parmi les applications et les services utilisés sur les PC. Il sont aujourd’hui passés au centre. L’introduction en
bourse de Google en août 2004 a certainement été emblématique de ce
tournant, mais en fait il faut analyser ce passage comme l’arrivée d’internet au cœur des PC. Le pouvoir s’est déplacé à nouveau. »
Le web appartient maintenant à ceux qui l’utilisent…
dans les deux sens : pour recevoir et pour créer, pour accéder
à l’information et la partager, la faire circuler. Il est façonné
Par Francis Pisani et Dominique Piotet
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Comment le web change le monde. L'alchimie des multitudes.
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http://alchimiedesmultitudes.atelier.fr
COMMENT LE WEB CHANGE LE MONDE
par les webacteurs qui s’en servent à leur tour pour changer
le monde. Ce changement de pratique (pas d’outil) est au
cœur de l’évolution en cours, de celle que nous devons tous
comprendre.
Nous l’aborderons en trois parties.
Le web d’aujourd’hui : une analyse de ce que font les jeunes
sur le web nous ouvrira les premières pistes de ce qui bouge,
des grandes tendances porteuses (Chapitre 1). Nous insisterons ensuite sur ce qui apparaît comme l’énergie dont s’anime
l’ensemble : la dynamique relationnelle créée par la participation de milliards d’individus, d’entreprises, de groupes et
de documents (Chapitre 2). La technologie, certes fondamentale, l’est d’autant plus qu’elle a su s’effacer (Chapitre 3).
L’alchimie des multitudes : convaincus de ce que l’entrée en
scène des webacteurs est essentielle, nous nous attacherons à
montrer comment ils opèrent et le genre de valeurs qu’ils
créent (Chapitre 4). Partant d’une écoute attentive des critiques les plus sérieuses à l’évolution du web, nous expliquerons la notion d’« alchimie des multitudes » et proposerons
des attitudes et des actions utiles aux webacteurs (Chapitre 5).
Ce que cela change : pour terminer, nous montrerons les
changements entraînés par une telle dynamique dans trois
domaines : l’économie (Chapitre 6), l’entreprise (Chapitre 7)
et les médias (Chapitre 8).
La conclusion, enfin, nous permettra d’évoquer les principales composantes de ce que pourrait être… le web de
demain.
Nous poursuivrons ces débats sur nos sites respectifs :
www.transnets.net et www.alchimie-des-multitudes.atelier.fr.
Bons voyages…
Par Francis Pisani et Dominique Piotet
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Première partie
Le web d’aujourd’hui
Par Francis Pisani et Dominique Piotet
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Les jeunes et le web :
ensemble, dans les nuages
Ce que font les jeunes sur l’internet dessine de grandes tendances. Celles qui vont se généraliser, à mesure qu’ils vont
grandir, entrer dans le monde du travail, entraînant avec eux
leurs usages du web d’aujourd’hui. Ils vont disséminer ces
usages nouveaux autour d’eux : amis, parents, collègues.
Car le web, ce sont d’abord les jeunes qui se l’approprient
et le popularisent. Leur rôle de early adopters (« utilisateurs de
la première heure ») nous montre la voie des usages futurs.
Ils nous montrent aussi que la technologie importe peu,
surtout si elle sait se faire simple et peu intrusive. Ce qu’ils
aiment avant tout : les réseaux sociaux et tous leurs outils.
Cela traduit une rupture générationnelle, mais surtout des
ruptures d’usages.
LE WEB, LIEU SOCIAL DE L’ADOLESCENCE
L’internet, parce qu’il permet de créer des liens, est un très
puissant outil de réseau social. Les jeunes en sont friands et
un premier éclairage s’impose. Car c’est d’emblée vers les
relations amicales que se sont créés les premiers sites de
réseaux sociaux : le site d’anciens camarades de classes
Par Francis Pisani et Dominique Piotet
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Comment le web change le monde. L'alchimie des multitudes.
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COMMENT LE WEB CHANGE LE MONDE
Classmates.com dès 1995, puis le site d’amis Friendster en
2002. Ils permettent aux jeunes de rester en contact avec
leurs amis en ligne, et de faire de nouvelles connaissances.
Mais c’est MySpace, le site permettant aux jeunes de créer
en ligne un espace personnel à leur image et de partager
leurs passions avec leurs amis, qui a popularisé le système
et connu le premier un succès de grande ampleur. Facebook, à l’origine simple trombinoscope électronique pour
étudiants d’universités, s’est largement ouvert fin 2006 et
connaît lui aussi un grand succès. Dans le monde professionnel, LinkedIn est le plus connu. Ce site permet de
publier en détail son profil professionnel et d’entrer en relation avec des collègues, des amis, mais aussi de se créer un
réseau professionnel, pour chercher un emploi, recruter ou
monter un projet.
Facebook, Myspace… les réseaux sociaux
Selon Wikipedia, « un réseau social est composé de nœuds (qui sont
généralement des individus ou des organisations) reliés entre eux par un
ou plusieurs types de relations, comme des valeurs, des visions, des
idées, des échanges financiers, de l’amitié, des goûts ou des dégoûts
communs, des conflits, du commerce, des relations sexuelles, pour ne
citer que quelques possibilités1 ».
Le web a remplacé la voiture d’Harrison Ford dans American
Graffiti2, mais aussi le parking ou la falaise éloignée, c’est-àdire ce lieu où, au cinéma, les jeunes se retrouvent en quête
de leur identité, à l’abri de l’intrusion des adultes. Le web
est à la fois l’outil relationnel et l’espace où les relations ont
lieu.
À cet égard, MySpace est un site emblématique. Il est
élaboré par les jeunes et pour les jeunes. Les adultes ont
parfois du mal à le comprendre3. Si la technologie n’a rien
d’exceptionnel, son usage est propre à bouleverser les modes
de développement personnel et de rapports sociaux des
Par Francis Pisani et Dominique Piotet
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L’ALCHIMIE DES MULTITUDES
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nouvelles générations. Très prisé par les adolescents américains, qu’il séduit en leur offrant un espace inégalé d’expression libre, MySpace est un des sites les plus visités au
monde, en compétition directe avec les leaders de l’internet : Yahoo!, Google et MSN.
Lancé par des passionnés de musique indépendante de Los
Angeles, MySpace compte fin 2007 plus de 100 millions de
comptes. En février 2006, il a reçu 35 millions de visiteurs
qui ont vu 22 milliards de pages. En 2008, il gagne 300 000
nouveaux inscrits chaque jour. L’usager moyen regarde
500 pages par mois et 37 pages par visite. Un flux considérable qui n’a pas échappé à l’attention de Rupert Murdoch, le
magnat des médias, qui a acheté le site pour 580 millions de
dollars en juillet 2005. Depuis, ses revenus publicitaires
doublent tous les six mois.
Beaucoup de jeunes Américains s’identifient très tôt avec
MySpace. Originellement fixé à 18 ans, l’âge limite est passé
à 16 ans puis à 14 ans.
La première chose que fait un nouveau membre de
MySpace est de créer un « profil ». Sur cette page personnalisée, il fait part à la communauté de ses goûts, de ses envies,
des musiciens qu’il adore, des livres qu’il a lus (ou qu’il
aimerait lire), des membres de MySpace qu’il connaît (avec
des liens renvoyant à leurs pages). Clips, vidéos, musique et
photos rendent le tout sympa… ou « cool ».
« Les profils sont comme des personnes digitales. Ils sont
la représentation numérique publique de l’identité4 »,
déclare Danah Boyd, anthropologue américaine qui se spécialise dans la recherche sur les communautés de jeunes en
ligne (voir son interview en fin de chapitre). Elle ajoute :
« Pour les adolescents, donner une image cool de soi-même
est fondamental. MySpace leur permet de décrire leur propre identité au travers de ces pages personnelles incroyables.
Et, ce faisant, cela leur permet de montrer une image d’euxmêmes et de recueillir des réactions. » Ils définissent virtuellement leur image par petites touches et ajustent en
fonction des réactions de leurs copains.
Par Francis Pisani et Dominique Piotet
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COMMENT LE WEB CHANGE LE MONDE
Il en résulte souvent une atmosphère spéciale qu’on ne
peut sentir qu’en visitant les pages en question avec leurs
collages sur fond le plus souvent sombre de photos, clips,
vidéos, images et textes pas toujours faciles à lire. « Ça ressemble à une chambre d’ado », suggère Danah Boyd, en
référence à une forme plus traditionnelle de recherche et
d’affirmation d’identité.
Les commentaires laissés par les visiteurs transforment le
site en un espace public virtuel. C’est, avec la production
d’identité, l’autre notion clé. « Ce n’est pas la technologie qui
pousse les jeunes à passer du temps connecté, c’est le manque
de mobilité et d’accès à un espace réel et physique pour les
jeunes, où ils peuvent être ensemble sans être interrompus et
observés », ajoute Danah Boyd. Elle explique que l’absence
d’espaces publics où se retrouver entre copains est une des
caractéristiques de la situation de la jeunesse américaine
d’aujourd’hui. MySpace offre une alternative.
À la différence de certains de ses prédécesseurs (Friendster
notamment), MySpace a choisi de laisser les jeunes fixer les
règles, définir la culture. C’est bien pour cela qu’ils aiment s’y
retrouver.
L’enjeu pour les jeunes Américains : trouver des espaces
publics d’expression libre avec leurs amis, indispensables à
leur développement. Ces espaces sont de moins en moins
existants dans le monde réel des jeunes Américains. Alors,
ils se digitalisent. Ils créent des espaces où se jouera une
bonne partie du futur du web.
LE RÔLE PRÉPONDÉRANT DES RÉSEAUX SOCIAUX
De nombreuses études permettent d’appréhender de façon
quantitative les usages des jeunes à travers le monde. L’institut américain Pew Internet Research est un des organismes qui fournit de façon la plus régulière la matière la plus
abondante sur les États-Unis. Pour l’Europe, les données
sont plus dispersées, alors que les études sur l’Asie sont plus
Par Francis Pisani et Dominique Piotet
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L’ALCHIMIE DES MULTITUDES
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difficilement accessibles5. Ces études permettent de mettre
en avant quelques divergences, mais surtout des similarités
et des grandes tendances. Quel que soit le moyen d’accès
(plutôt l’ordinateur pour les États-Unis, plutôt le téléphone
mobile pour l’Asie et mixte pour l’Europe), les usages semblent converger : ce que les jeunes cherchent avec l’internet,
c’est un outil puissant de socialisation.
Les jeunes Américains
Les jeunes Américains vivent « enveloppés » dans les nouvelles technologies. L’internet surtout, et les téléphones mobiles
dans une moindre mesure pour le moment, rythment leur
vie quotidienne.
D’après le Pew Internet Research, le nombre d’adolescents utilisant l’internet a augmenté aux États-Unis de
24 % entre 2003 et 20066. Quatre-vingt treize pour cent
des 12-17 ans sont connectés, soit 21 millions de jeunes.
Pour la même tranche d’âge, ils sont 45 % à posséder un
téléphone mobile.
Les adolescents américains privilégient avant tout les
réseaux sociaux, comme le montrent les résultats d’une étude
réalisée en 2006 sur des enfants américains de 12 à 17 ans
par le Pew Internet7 :
◆
◆
◆
55 % des jeunes Américains utilisent les réseaux sociaux.
Les jeunes filles de 15 à 17 ans sont les plus nombreuses
(70 % contre 54 % pour les garçons). Plus d’un sur deux
s’y rendent quotidiennement ;
55 % des jeunes ont un « profil » (70 % des filles). Seuls
31 % d’entre eux le rendent public, alors que les autres
en restreignent l’accès à leurs amis ;
91 % d’entre eux le font pour rester en contact avec des
amis proches, 82 % pour rester en contact avec des amis
éloignés, 72 % pour organiser des soirées, 49 % pour se
faire de nouveaux amis. Le rôle dominant tenu par les
réseaux sociaux est à la fois celui de ciment et d’outil
quotidien de la relation amicale ;
Par Francis Pisani et Dominique Piotet
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◆
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COMMENT LE WEB CHANGE LE MONDE
leurs activités préférées consistent à laisser des commentaires sur les pages de leurs copains (84 %) et sur leurs
blogs (76 %), s’envoyer des messages privés (82 %), ou
de groupes (61 %).
Les jeunes Européens
En Europe, une enquête NetObserver menée sur cinq pays
par l’institut d’études Novatris/Harris Interactive nous
donne des clés très similaires aux analyses que nous trouvons
aux États-Unis. En y ajoutant une dimension comparative
intéressante, puisque l’étude introduit des données sur les
plus de 25 ans8 :
◆ la majorité des jeunes internautes européens se connectent à internet plusieurs fois par jour ; 46 % des Allemands de 15-24 ans passent plus de 3 heures en ligne
chaque jour, devant les Italiens (36 %), les Britanniques
(32 %), les Français (27 %). La différence avec la tranche
d’âge immédiatement supérieure est significative. En
Grande-Bretagne, par exemple, à peine 20 % des plus de
25 ans se connectent 3 heures par jour ;
◆ les 15-24 ans utilisent plus que leurs aînés les outils de
communication disponibles sur le net, à commencer par
la messagerie instantanée ; 80 % des jeunes Espagnols y
ont recours régulièrement (75 % des Français, 69 % des
Italiens, 59 % des Allemands qui sont de plus gros utilisateurs de chats que leurs pairs) ;
◆ la principale activité de la plupart des jeunes Européens
consiste à consulter des blogs ou des sites communautaires. Les plus férus dans ce domaine sont les jeunes Français (46 %) qui sont aussi les plus nombreux à déposer
des commentaires. Viennent ensuite les Italiens (41 %) et
les Allemands (40 %). Ces derniers, là encore, se distinguent de leurs homologues européens par un engouement spécifique pour les jeux vidéos en ligne (49 %).
Enfin, les Espagnols affichent un intérêt particulier pour
le développement de leur espace personnel (30 %), que
celui-ci soit une page personnelle ou un blog ;
Par Francis Pisani et Dominique Piotet
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L’ALCHIMIE DES MULTITUDES
◆
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les jeunes plébiscitent la publication et l’échange d’informations (texte, audio, vidéo) au sein d’une communauté
(Myspace, Skyblog...). Cette fonctionnalité est principalement appréciée des jeunes Italiens et Espagnols (88 %)
et dans une moindre mesure des Français (81 %). Vient
ensuite la personnalisation de pages d’accueil de sites, de
blogs ou de pages personnelles, en particulier chez les
jeunes Anglais et Espagnols (70 %). La contribution au
contenu de sites collaboratifs arrive en troisième position.
Elle se taille d’ailleurs un succès tout particulier auprès
des jeunes Allemands (79 % la trouvent utile). Les flux
RSS (Really simple syndication, ou flux d’informations auxquels il est très simple de s’abonner) sont l’outil de collaboration le moins utilisé par les Européens de 15-24 ans.
L’information et le commerce électronique ne font pas recette
Une étude réalisée par le Joan Shorenstein Center de l’université de Harvard montre que les jeunes Américains ne
s’intéressent pas aux nouvelles que leur donnent les médias,
qu’il s’agisse des conflits en Irak et en Afghanistan ou de la
présidentielle de 20089.
Soixante pour cent des adolescents ne font pas attention
aux actualités quotidiennes. La proportion est de 48 % chez
les jeunes adultes (18 à 30 ans) et de 23 % chez les plus âgés.
Même en ligne, les actualités ennuient les jeunes.
Parmi les conclusions de l’étude :
◆
◆
les moins de 30 ans utilisent plus l’internet que les plus
de 30 ans, mais leur intérêt pour les news est si faible que
les deux groupes consacrent à peu près le même temps
aux actualités en ligne ;
la lecture quotidienne d’un journal occupe un adolescent
sur vingt, un jeune adulte sur cinq et un « plus de 30 ans »
sur cinq.
La nature du rapport aux news semble également changer.
Les moins de 30 ans grappillent des informations de différentes sources, sur différents médias, à différents moments
Par Francis Pisani et Dominique Piotet
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COMMENT LE WEB CHANGE LE MONDE
de la journée, alors qu’ils se livrent à diverses activités. Ils se
contentent souvent d’un survol et d’une approche superficielle. Ils préfèrent les faits divers (soft news) aux nouvelles de
la guerre (hard news).
Le web met en évidence le fait que la conception de ce
qui constitue l’actualité diffère en fonction du groupe social,
du pays, de la génération. Les médias traditionnels n’en ont
pas encore tiré toutes les conséquences.
Leur pouvoir d’achat inférieur et des moyens de paiement
inadéquats font que les jeunes Européens de 15-24 ans
consomment moins sur le web que leurs aînés. Ce qui ne
signifie pas qu’ils n’y ont pas recours.
Quel que soit le pays considéré, 60 % d’entre eux déclarent avoir utilisé l’internet au cours des six derniers mois
pour se renseigner avant d’effectuer un achat on- ou off-line,
contre 70 % des plus de 25 ans.
En dehors du Royaume-Uni, les jeunes internautes ont
une moins bonne perception de la publicité en ligne que
leurs aînés. Pour les séduire, les campagnes en ligne doivent
donc intégrer davantage d’outils d’expression personnelle et
jouer sur le registre du divertissement10.
Ce sont donc les outils de la dynamique relationnelle, sur
lesquels nous revenons dans le chapitre suivant, qui sont
plébiscités par les jeunes, au mépris des usages plus « classiques » de l’internet. La communauté, la relation, la création
de l’identité : l’internet est devenu consubstantiel d’une certaine partie de la jeunesse du monde, de sa formation et de
son passage à l’âge adulte. Pour ceux qui y ont accès…
Ruptures de génération, ruptures d’usages
L’expression « digital natives », les « autochtones du monde
numérique » ou « ceux qui sont nés avec », est en train de
rentrer dans le langage courant, un peu de la même façon
que « to google » est devenu un verbe. Elle peut nous aider à
mieux poser certaines questions concernant le futur du web.
L’expression a été lancée par le consultant et auteur spécialisé dans l’éducation et le savoir Marc Prensky, d’abord
Par Francis Pisani et Dominique Piotet
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L’ALCHIMIE DES MULTITUDES
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dans un article en 2001, puis reprise dans un essai écrit en
2004 sous le titre The Death of Command and Control11. Il
l’oppose à la notion de digital immigrants, les immigrés du
monde digital, venus aux nouvelles technologies du web sur
le tard. La différence la plus importante entre les deux générations étant, selon l’auteur, que les autochtones sont les
« scribes » du nouveau monde, capables de créer les instruments dont ils se servent dans des langages que les autres ne
comprennent pas. Et quand ils ne programment pas les instruments dont ils se servent, ils utilisent à leur façon ceux
qui sont aujourd’hui sur le marché. La seconde dimension se
révèle bien plus importante et répandue que la première.
Prensky ne retient pas moins de dix-sept domaines dans
lesquels les « natifs » agissent différemment de ceux qui sont
arrivés dans le cyberespace à un âge plus avancé. Ils communiquent, échangent, créent, se rencontrent, coordonnent leurs
activités, apprennent, analysent, évoluent et grandissent différemment. Leurs jeux ne sont plus les mêmes et leur façon
d’écrire des logiciels n’est pas la même.
Prenons quelques exemples : l’orthographe remaniée en un
code incompréhensible par les adultes ; les SMS inscrits d’une
seule main dans la poche ; les messageries instantanées avec
dix fenêtres et dix dialogues simultanés. Les immigrants ont
tendance à mener une conversation jusqu’à sa conclusion
avant de passer à autre chose.
Courants dans le monde des affaires, du journalisme et de
la politique, les blogs d’immigrants sont un « instrument
de partage des connaissances intellectuelles ». Par contraste,
les blogs d’autochtones visent avant tout à partager des
émotions. Il s’agit presque d’un média différent.
Pour les autochtones, eBay ou Craigslist ne sert pas seulement à acheter et vendre. Ils y trouvent emplois, amis et
même partenaires amoureux ou sexuels. Ça n’est plus un sujet
d’émerveillement, mais une évidence de leur vie ordinaire.
Leur rapport à l’information est différent. L’excès ne les
préoccupe pas et, selon Prensky : « Au contraire de leurs
parents, qui adoraient garder leurs informations secrètes (“Le
savoir est le pouvoir” était leur devise), les digital natives
Par Francis Pisani et Dominique Piotet
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COMMENT LE WEB CHANGE LE MONDE
aiment partager et diffuser l’information dès qu’ils la reçoivent (peut-être que “Partager le savoir est le pouvoir” est leur
devise implicite). »
Leur rapport au jeu, notamment vidéo, est aussi différent.
Alors que les jeux vidéos les plus anciens étaient surtout individuels, linéaires (il fallait tuer le plus de monde possible pour
arriver à un but facilement identifiable), les plus récents
dépendent de la participation et de la coordination de dizaines,
de centaines, voire de milliers de joueurs. « Le jeu solitaire est
dépassé – une réminiscence du temps où les ordinateurs
n’étaient pas encore connectés », écrit Prensky. Les joueurs
d’aujourd’hui créent des outils ou des armes, des espaces, des
univers et, parfois, des jeux entiers. Ils ne se contentent plus
d’utiliser la technologie, ils se l’approprient.
Pourtant, les digital natives ne sont pas tous égaux. De fortes inégalités d’accès demeurent : différences sociales et géographiques ont un impact fort. Être né à l’heure du digital ne
garantit pas le statut de insider (membre). La fracture numérique est, en fait, double : sans accès, ils sont également écartés
de ce qui est considéré comme un common knowledge (savoir
partagé) par toute une génération. Il leur faudra, le jour où ils
pourront se connecter, combler ce double fossé.
Les ruptures qui comptent sont des ruptures d’usages. Si
elles sont plus fortes et plus visibles chez les jeunes générations, elles existent aussi dans les générations précédentes.
Ainsi, les jeunes ne sont pas les seuls à utiliser les réseaux
sociaux. Si MySpace est très marqué par la jeunesse de sa
population, en partie du fait de la culture musicale forte qui
le soutient, un site comme Facebook, issu de la culture universitaire, est plus mixte. D’ailleurs, son ouverture au grand
public en septembre 2006 a permis l’entrée de nombreux
jeunes désireux de s’associer à la culture de réseau des grandes universités, mais aussi de personnes plus âgées. Il n’y a
donc pas que des ruptures de génération. Facebook est
devenu en moins d’un an l’un des sites les plus utilisés au
monde, pas seulement grâce aux jeunes qui l’utilisent, mais
aussi avec le concours de tous les autres qui y trouvent un
réel intérêt. Ces ruptures d’usages comptent plus que les
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L’ALCHIMIE DES MULTITUDES
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ruptures de générations. Mais ce sont bien les jeunes nés
après l’internet qui, le plus souvent, nous révèlent ces usages
nouveaux qui façonneront le web de demain.
OÙ VA LE WEB ?
L’exemple de MySpace et de Facebook, symboles américains
des sites utilisés par les jeunes, permet d’éclairer cinq tendances de fond.
Les technologies comptent peu
Les débats dont les médias rendent compte sont souvent le
fait de passionnés de technologie, de développeurs, d’éditeurs ou de journalistes spécialisés. Or, les jeunes ne semblent pas massivement attirés par les technologies complexes
et se désintéressent de leur fonctionnement. Les technologies
de sites comme MySpace n’ont rien d’exceptionnel. Facebook
est plus intéressant, mais pas fondamentalement différent du
point de vue de l’utilisateur. Ce sont donc les fonctionnalités,
la souplesse, le capacité de créer, d’animer un réseau qui vont
compter. La simplicité prime.
La technologie s’efface au profit de l’utilisation que nous
en faisons. Les jeunes l’ont compris tout de suite, eux qui ne
cessent d’explorer ce qu’ils peuvent faire avec toutes les nouvelles techniques mises à leur disposition sur le web. Ils ne
sont pas tous programmeurs ou hackers, loin de là ! Mais les
barrières à l’entrée sont faibles, les connaissances nécessaires
à son utilisation limitées, et le potentiel fort. Pas besoin
d’être ingénieur pour utiliser la messagerie instantanée ou
créer son profil sur Facebook ou monter un blog.
Par Francis Pisani et Dominique Piotet
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COMMENT LE WEB CHANGE LE MONDE
L’appropriation du web par ses utilisateurs est décisive
Le web permet aux jeunes d’utiliser l’outil comme bon leur
semble, les aider à construire leur identité en relation avec
les autres et au-delà de toute mécanique institutionnelle
classique. Les outils comme Facebook, MySpace ou les blogs
le leur permettent, car ils sont des plateformes ouvertes,
modifiables, aux règles souples. SMS et messagerie instantanée permettent de s’exprimer spontanément, avec ses mots,
son propre langage (alors que le courriel introduit la distance de l’écrit réfléchi et de l’envoi différé). Créer, publier
et modifier son profil sur un site de réseau social, c’est ajuster son identité par petites touches face aux autres. Créer un
blog, commenter sur ceux de ses amis, c’est forger son opinion, s’affirmer, dire ce que l’on pense et se confronter. Toutes ces fonctions, très largement utilisées par les jeunes,
montrent une dimension très différente des potentialités de
l’internet dans la sphère économique et sociale. C’est sans
doute pour cela que ces sites comptent parmi les plus visités
et les plus utilisés au monde. Mieux vaut les suivre de près.
Communiquer « dans les nuages »
Le téléphone ou le mail sont orientés vers un destinataire
spécifique, dont on attend une réponse, une interaction.
C’est une communication sous contrôle. Le web, lui, permet
d’envoyer des informations tout en laissant aux intéressés
(les happy few, dirait Stendhal) la possibilité de répondre
comme et quand ils le désirent. C’est ce qui se passe quand
un jeune crée son profil et l’ouvre à ses amis ou qu’il laisse
un commentaire sur la page publique de ses amis (le wall de
Facebook). On passe d’une communication proactive et institutionnalisée à une communication souple et non maîtrisée. Twitter, l’outil qui permet à tous les membres d’une
communauté de savoir en permanence ce que les autres
membres font grâce à de très courts messages instantanés,
est l’archétype de cet usage naissant.
Par Francis Pisani et Dominique Piotet
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L’ALCHIMIE DES MULTITUDES
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Le web comme espace et outil relationnel
Pour les jeunes, le potentiel du web est d’abord un potentiel
relationnel : absence de normes préétablies, liberté d’expression, multiplicité des outils et des moyens, présence d’un
très grand nombre d’utilisateurs, des proches et des plus
éloignés. Possibilités de rencontre, de découvertes.
Même des sites comme eBay ou Craigslist sont des sites
relationnels, avec la mise en relation d’un vendeur et d’un
acheteur, comme l’est Skype qui nous permet de parler pour
très peu cher. Le potentiel relationnel du web apparaît
comme un des piliers de la compréhension de son succès.
Mais la possibilité de la relation n’est pas efficace si elle
ne peut pas être un tant soit peu organisée. Le web conçu
comme une plateforme s’organise très bien et très facilement en communautés souples, aux frontières changeantes.
La beauté de la chose, c’est qu’il semble repousser les frontières de ces communautés plus loin que dans le monde physique. Un jeune peut à la fois appartenir au groupe de ses
amis sur Facebook et MySpace, mais aussi au groupe des
fans de ses chanteurs préférés, de son équipe de foot favorite
et de sa classe d’école. Il y agira différemment, y rencontrera
des gens différents, y proposera une image de lui différente.
Les possibilités d’appartenir à plusieurs communautés sont
plus grandes, et les possibilités de participations et d’interactions plus fortes. C’est la puissance de l’effet de réseau.
Mais, à y regarder de plus près, ce phénomène ne concerne
pas que les jeunes.
Les amateurs experts prennent la parole
Le web qui se construit est un web de participation, comme
le montrent abondamment les usages des jeunes qui n’y
agissent pas en tant que consommateurs, qu’ils ne sont pas
encore vraiment, mais bien en tant qu’acteurs engagés. C’est
aussi un web d’amateurs qui accèdent à des outils d’experts,
à commencer par des outils de publication et de création.
Cela change beaucoup de choses, notamment dans toutes les
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mécaniques institutionnelles bien établies de production du
savoir et de sa diffusion. Cela change déjà les choses dans la
façon dont les jeunes apprennent, par exemple en utilisant
Wikipedia, une encyclopédie d’experts amateurs collectifs
et actifs… plutôt que l’Encyclopædia Britannica.
Parce qu’il est ouvert, relationnel, communautaire, qu’il est
construit par ceux qui l’utilisent et qu’il est plus porté par des
usages en cours d’invention, le web se théorise mal. Il se prête
peu à la conceptualisation, et il ne poursuit pas des buts prédéfinis, ce qui ne facilite pas la compréhension. La très forte multiplicité des sites, des usages, des services, des possibilités le
rend finalement très divers. Il est souvent une réponse à un
besoin mal appréhendé qui rencontre des utilisateurs.
Un bon exercice consiste à interroger les créateurs, souvent eux-mêmes très jeunes, des sites les plus à la mode. Les
cofondateurs de Google expliquent qu’ils ont créé leur
moteur de recherche parce qu’ils n’étaient pas satisfaits de ce
qu’ils trouvaient sur le marché. Les fondateurs de YouTube
racontent qu’ils ne trouvaient pas de site leur permettant
d’échanger facilement de la vidéo et de la partager avec leurs
amis. Le créateur de Facebook cherchait simplement à construire le trombinoscope électronique de son université…
Tout cela sans trop bien savoir ce que cela allait donner. Les
utilisateurs ont décidé !
Cette difficulté de conceptualisation peut rendre le web
délicat à comprendre, et le soumet aux jugements de valeurs
et aux analyses approximatives dont il n’est pas toujours
facile de faire la part. L’expression « web 2.0 » en est probablement l’archétype.
Finalement, ce sont les grandes lignes de forces du web
que nous désignent les usages des jeunes. Ce que nous
appelons la dynamique relationnelle peut se décrire de la
manière suivante :
◆
◆
les technologies sont présentes, mais se font oublier au
profit des usages ;
une vraie souplesse de la plateforme, qui permet une
appropriation facile par ses utilisateurs ;
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L’ALCHIMIE DES MULTITUDES
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une capacité à communiquer « dans les nuages », avec le
plus grand nombre et de façon très libre ;
un espace social et relationnel ;
qui donne la parole aux amateurs experts.
La parole à un expert : ce qui compte,
c’est la combinaison de la technologie
et du style de vie
Interview de Danah Boyd,
anthropologue et doctorante de la School of Information
de l’université de Berkeley12
Pourquoi les adolescents aiment-ils tellement
les sites de réseaux sociaux ?
Les adolescents ne s’intéressent pas spécialement à la technologie en
tant que telle. En revanche, ils s’intéressent beaucoup à leurs amis, et il
leur importe de passer du temps avec eux (hanging out) où qu’ils soient.
La plupart d’entre nous avons eu la possibilité de sortir, nous promener
dans notre quartier, traîner avec nos copains dans des lieux publics tels
que supermarchés, parcs, ou parkings. Aujourd’hui, les adolescents américains n’ont plus cette liberté. Lentement, mais sûrement, nous leur avons
fermé les portes du monde extérieur. Il y a eu une très belle émission diffusée par la BBC montrant que le grand-père, à 8 ans, avait le droit de
s’éloigner de plusieurs kilomètres, alors qu’aujourd’hui ses petits-enfants
n’ont pas le droit de sortir du jardin. Alors ils trouvent d’autres moyens.
Tous leurs amis sont en ligne, dans l’espace public numérique… un
superbe endroit pour hang out. On peut y faire beaucoup de choses que
nous avions l’habitude de faire off-line. Pas toutes... mais beaucoup. Les
adolescents vont où leurs amis se trouvent, en ligne.
Qu’entendez-vous par l’expression « hanging out » ?
Dans une société centrée sur la productivité, nous pensons que tout doit
être utile et mesurable. « Hanging out » c’est autre chose : c’est se réunir
et ne rien faire, écouter de la musique, parler de Dieu sait quoi. C’est une
façon de se positionner socialement par rapport aux autres, interagir avec
eux, se créer des relations sociales et donc se créer une identité. C’est
une façon de donner une image de soi, et que cette image soit reçue par
d’autres. Ce n’est pas parce qu’il n’y a pas une action concrète, mesurable, que cela n’a pas de valeur. Les adultes comprennent souvent mal
cela et parfois le détestent. Mais ce n’est pas très différent de ce qu’ils
font dans les bars avec leurs amis. Ils n’y font rien. Les adolescents ne
font rien en buvant des sodas au lieu de ne rien faire en buvant de l’alcool.
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Quels outils les jeunes utilisent-ils ?
Et que font-ils que les adultes ne font pas ?
Leur premier outil est la messagerie instantanée qu’ils utilisent pour
parler à leurs amis. C’est aujourd’hui la norme chez les collégiens. À
mesure qu’ils grandissent, ils commencent à utiliser les sites de
réseaux sociaux. Le décollage de MySpace, après Xanga, a vraiment
marqué une étape.
Il y a maintenant deux usages dominants chez les adolescents : les
sites de réseaux sociaux et les téléphones mobiles. C’est universel.
Ils utilisent tous YouTube, mais ils consomment et ne produisent pas
de vidéos. Sauf, évidemment, une minorité plus créative qui aurait de
toute façon trouvé des moyens d’expression. Ils ne regardent pas les
mêmes vidéos que les adultes, mais leur comportement n’est pas très
différent. Sur Facebook par exemple, ils font ce que font leurs parents :
du networking ! À leur manière.
Le networking est l’action explicite et volontaire d’essayer de rencontrer de nouvelles personnes, de construire un réseau et de l’animer. C’est
très fort dans un contexte professionnel. On dit plutôt des adolescents
qu’ils socialisent. Ils organisent le réseau des gens qu’ils connaissent et
échangent avec eux.
Que se passe-t-il quand ces adolescents, un peu plus âgés,
entrent dans le monde du travail ? Le font-ils changer ?
Pas vraiment. Ils vont utiliser les e-mails, dont ils ne se servent pas pour
socialiser. Pendant un temps, ils continuent à hanging out avec leurs
amis, alors même qu’ils sont dans le monde du travail. Mais ils arrêteront
quand ils songeront à se marier et à avoir des enfants. Aux États-Unis,
c’est la fin du hanging out et le déplacement vers la banlieue. Les dingues
de technologies, les accros, les geeks sont une minorité. La majorité des
« 20 ans et quelques » ont un petit boulot, vivent chez leurs parents et
socialisent chez eux.
Malgré cela, ils contribuent à faire évoluer les outils dont se servent les
entreprises – la messagerie instantanée par exemple, qui leur est très
familière.
La façon dont les personnes se contactent spontanément est la distinction la plus forte entre générations dans l’univers du travail. Les plus
seniors utiliseront le téléphone, les générations d’en-dessous utiliseront
volontiers l’e-mail et les plus jeunes, la messagerie instantanée.
Dans vos travaux récents, vous analysez la différence entre
MySpace et Facebook. Vous tentez notamment de comprendre
pourquoi certains adolescents quittent l’un pour l’autre.
Pouvez-vous nous l’expliquer ?
Il faut d’abord se souvenir que nous parlons des adolescents aux ÉtatsUnis. MySpace a émergé grâce aux jeunes qui n’étaient pas satisfaits de
Friendster, et a touché les adolescents grâce à la culture musicale. C’est
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très différent de la population attirée par Facebook à ses débuts. C’était
une application dédiée aux grandes universités américaines. Il a remplacé
le trombinoscope (facebook en anglais) physique, une série de photos et
de profils que les étudiants ont pris l’habitude de regarder pour voir avec
qui ils ont envie d’entrer en contact pendant leurs études. Quand Facebook s’est lancé, ceux qui souhaitaient entrer dans ces grandes universités voulaient y avoir accès.
Les spécialistes pensaient que tout le monde allait quitter MySpace
pour Faceboook quand ce dernier s’est ouvert en septembre 2006. Or,
ça n’est pas ce qui est arrivé. MySpace a continué de grandir.
On constate en fait une sorte de rupture sociale en fonction des origines des adolescents. Une sorte de rupture de classes. C’est un sujet
tabou aux États-Unis, difficile à aborder et à quantifier. Et ça n’est pas
seulement une question de niveaux de revenus. Les modes de vie, l’origine… marquent l’appartenance de classe. Cela ne ressemble pas du
tout à ce qu’on peut voir en Europe.
Les deux sites ont des publics, des mondes très différents, qui ne
parviennent pas à communiquer. Bien sûr, beaucoup d’adolescents qui
connaissent des gens sur les deux sites ont des profils sur chacun, mais
ils parlent à des groupes différents.
Que pensez vous de la distinction
« digital natives »/« digital immigrants » ?
Je n’aime pas le terme. Mais je comprends pourquoi les gens l’utilisent.
En fait l’expression est utile pour les politiciens. En utilisant « digital natives » ils pensent à une partie de la population qui n’est pas comme eux !
Et c’est une source de problèmes car ils présument que tout jeune est un
« digital native », ce qui est faux.
D’abord, la génération des 30 ans est beaucoup plus à l’aise avec les
technologies un peu avancées et les usages du web. Nous savons ce
qu’est une adresse URL, par exemple, et comment l’entrer dans la barre
correspondante, alors que les jeunes n’ont pas cette connaissance. Ils
vont utiliser Google. Ils vont sur MySpace et c’est tout. Ils sont natifs d’un
monde dont ils ont du mal à imaginer qu’il ait pu exister sans internet.
Comme nous avons du mal à imaginer un monde dans lequel le téléphone n’existait pas. Mais on ne s’appelle pas des « phone natives » !
Mais la vraie séparation est entre ceux qui utilisent internet et ceux qui
ne l’utilisent pas, elle dépend aussi de la profondeur de leurs usages. Aux
États-Unis, une famille avec un seul enfant dont les deux parents travaillent
aura probablement un ou deux ordinateurs à la maison auquel l’enfant aura
un accès quasi illimité. Dans une famille plus nombreuse, avec la mère au
foyer et un père n’ayant pas accès à l’internet à son travail, l’ordinateur de
la maison sera pris d’assaut par les membres de la famille. L’accès en sera
très certainement plus limité et les usages de chacun très différents. Il faut
donc aller un peu plus en profondeur.
Par Francis Pisani et Dominique Piotet
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Est-ce que la façon dont les jeunes utilisent le web aujourd’hui
nous dit quelque chose du futur ?
Ce qui compte, c’est la combinaison de la technologie et du style de vie.
La façon dont un adolescent utilise une technologie est probablement différente de la façon dont quelqu’un de 30 ou 60 ans l’utilise.
À 16 ans, on n’a pas forcément envie ou besoin d’utiliser un site de
rencontres. Ça change quand on approche de la trentaine.
Cette génération qui va grandir, va probablement utiliser les technologies qu’elle utilise déjà, mais en adapter les usages à ses besoins et son
style de vie, qui va changer avec l’âge. Donc finalement, cela ne nous dit
pas beaucoup de choses du futur.
Il est évident, en revanche, que le téléphone mobile va très certainement finir par décoller aux États-Unis. Il y a une très forte pression pour
« devenir mobile ». On ne veut pas rester bloqué devant son ordinateur
comme aujourd’hui. Les barrières ne sont pas technologiques, elles nous
sont imposées par les opérateurs de téléphonie mobile.
Comment voyez-vous le web aujourd’hui, et le rôle des jeunes ?
Nous assistons au fond à une rupture d’usages et à une réorganisation
de la façon dont les gens s’informent et se socialisent. C’est la notion
magique « d’amis ».
Les « amis », ce sont les gens avec lesquels vous parlez, ceux qui
constituent votre audience, ceux auxquels vous êtes attentifs.
Ce qui fait que le web d’aujourd’hui est si puissant, c’est qu’il permet
aux gens d’organiser leurs activités avec l’audience et la communauté de
leur choix. C’est une sorte de petit monde dont le contenu est généré par
ses utilisateurs, avec une dimension de communication, de partage, de
socialisation, de mise en commun entre amis. Les gens n’ont pas forcément envie de communiquer avec des étrangers. Ils ont plutôt envie de
passer du temps avec ceux qu’ils inviteraient volontiers à dîner.
Par Francis Pisani et Dominique Piotet

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