emile galle et l`affaire dreyfus dossier de l`enseignant

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emile galle et l`affaire dreyfus dossier de l`enseignant
EMILE GALLE ET L’AFFAIRE DREYFUS
DOSSIER DE L’ENSEIGNANT
Niveaux : 4ème, 1ère
Disciplines : Histoire, Éducation Civique Juridique et Sociale (ECJS), Lettres
A l’occasion du centième anniversaire de la réhabilitation du capitaine Dreyfus, le Musée de l’École de
Nancy propose, du 27 septembre au 10 décembre, une exposition sur l’engagement d’Emile Gallé
dans l’affaire Dreyfus.
L’exposition présentée dans la petite galerie du verre du musée illustre les différentes dimensions de
cet engagement. Des verreries du musée sont mises en relation avec les dessins, documents, écrits
préparatoires et photographies de l’exposition universelle de 1900. Des extraits de lettres, de journaux
et de comptes-rendus de réunion permettent de mettre en lumière les aspects dépassant le champ
artistique.
AVANT LA VISITE
LIENS AVEC LES PROGRAMMES
En classe de 4ème :
- En histoire : dans le cadre du cours sur la France de 1818 à 1914.
- En ECJS : La liberté et les droits « les enjeux de l’information ». Comment une
information est-elle traitée par les médias ? Ce travail permet l’exercice de l’esprit critique
chez les élèves. L’étude de l’affaire Dreyfus serait un point de départ pour une réflexion
plus générale sur le rôle de la presse.
- Ce travail peut également se prolonger en classe de 3ème, puisque le programme d’ECJS
porte également sur le problème de l’information.
En classe de 1ère
- En histoire, l’affaire Dreyfus est étudiée dans les séries générales (ES et L) et en STG.
En classe de 1ère scientifique, il est possible de l’aborder par l’intermédiaire de l’ECJS
(exercice de la citoyenneté, formes de participation collective et action collective) : quelles
formes l’engagement du citoyen peut-il prendre ?
- En TPE, dans le cadre du thème « Art et Politique », il est possible de proposer aux
élèves une recherche sur l’engagement de l’artiste dans la vie de la cité, à travers
l’exemple de Gallé.
COMMENT PREPARER LA VISITE ?
Il est conseillé d’avoir étudié l’affaire Dreyfus avant la visite afin que les élèves possèdent des pré
acquis.
Si le nombre d’élèves de la classe est supérieur à 15, la classe sera divisée en 2 groupes. Dans ce
cas, vous pouvez faire travailler un groupe sur l’affaire Dreyfus pendant que l’autre fait une visite sur
d’autres thèmes au programme (le mode de vie bourgeois, les caractéristiques de l’Art Nouveau).
Pour cela, faites-en la demande lors de votre réservation auprès du service éducatif. De cette façon,
vous pourrez réinvestir des notions déjà abordées en cours à propos de la société industrielle ou de
l’évolution culturelle.
DOCUMENT RESSOURCE
L’affaire Dreyfus en France
L’affaire Dreyfus commence comme une banale histoire
d‘espionnage militaire, par la découverte d’un bordereau adressé
par un officier français à l’attaché militaire de l’ambassade
allemande, le major Schwartzkoppen. La femme de ménage à
l’ambassade avait récupéré le bordereau dans une corbeille à
papier et remis au service français de contre-espionnage pour
lequel elle travaillait en secret. On soupçonne alors un officier de
l’État-major. Après une enquête rapide fondée sur des
impressions et après quelques expertises d’écriture, le général
Boisdeffre, chef de l’état-major, et le commandant Paty de Clam,
commandant au 3ème bureau de l’état-major, sont convaincus de
la culpabilité du capitaine Dreyfus, alors stagiaire à l’état-major.
Du Paty de Clam convoque alors Dreyfus et lui fait écrire sous la
dictée le fameux bordereau. Ce dernier est alors arrêté et accusé
de haute trahison (15 octobre 1894). Le rapport d’enquête remis
par Du Paty au ministre de la guerre, le général Mercier, ne suffit
pas à faire condamner Dreyfus.
C’est finalement la presse qui oblige le ministre à poursuivre
Dreyfus. En effet, le colonel Henry, officier d’état-major, envoie
une lettre au journal antisémite, la Libre Parole ; il y explique
qu’un traître nommé Dreyfus, convaincu d’espionnage, avait été
arrêté à l’état-major. Cette nouvelle est une aubaine pour les
antisémites et leur chef, Drumont, qui avait publié la France juive
en 1886. Le 29 octobre 1894, le journal de Drumont publie un
entrefilet demandant s’il était vrai qu’un espion avait été arrêté à
l’état-major en s’étonnant que l’autorité militaire n’en parlât pas.
Par la suite, d’autres journaux confirment « l’information ».
Finalement, le 1er novembre 1894, la Libre Parole peut titrer à la
une « Haute trahison. Arrestation de l’officier juif A. Dreyfus ».
Suit un article qui, tout en se consolant (« ce n’est pas un
Français qui a commis un tel crime »), laisse prévoir l’étouffement
de l’affaire (immunité juive, complot). La presse se déchaîne
alors : les ragots les plus invraisemblables courent sur Dreyfus,
l’honneur de Mercier est mis en cause.
Le général Mercier et le gouvernement ne peuvent alors se
dérober et engagent une instruction judiciaire. Il construit alors de
toute pièce un dossier d’accusation. Le procès s’ouvre le 19
décembre et se termine par la condamnation à l’unanimité de
Dreyfus à la déportation perpétuelle et à la dégradation militaire.
La presse dans son ensemble célèbre l’acte de justice rendu. La
Libre Parole est donc parvenue à influencer l’opinion : personne
en France ne doute de la culpabilité de Dreyfus, mis à part sa
femme Lucie et son frère Mathieu. Ils font alors appel au
journaliste Bernard-Lazare pour chercher des motifs de révision
du procès.
La Dégradation de Dreyfus, le 5 janvier
1895.
Tout se complique en 1896, lorsque le lieutenant-colonel Picquart, qui dirige le deuxième bureau (service de
renseignements) reçoit un document (un « petit bleu ») qui révèle la correspondance entre Schwartzkoppen et
un officier français d’origine hongroise, le commandant Esterhazy, joueur impénitent. Il découvre que le procès
de Dreyfus est fondé sur un dossier secret contenant des pièces trafiquées et sans valeur. Il fait part de ses
doutes au général Boisdeffre, chef de l’état-major. Il est alors limogé et envoyé en Tunisie. Entre temps,
Bernard-Lazare publie une brochure sur l’affaire sans rencontrer d’écho, sauf auprès du sénateur de
Strasbourg, Auguste Scheurer-Kestner et du député Joseph Reinach. En 1897, le sénateur publie une lettre
dans le journal Le Temps, annonçant des faits nouveaux et assurant l’innocence de Dreyfus. Mathieu Dreyfus
dénonce alors officiellement Esterhazy comme le véritable auteur du bordereau. L’Affaire débute véritablement
à ce moment. Mathieu Dreyfus, le sénateur et le député obtiennent qu’Esterhazy soit traduit en conseil de
guerre. Le 10 janvier 1898, ce dernier est triomphalement acquitté malgré les graves présomptions qui pèsent
sur lui.
Dès lors, l’opinion publique se divise :
• D’un côté ceux qui considèrent qu’on ne transige pas
avec les principes et que Dreyfus, comme tout
citoyen, a droit à un procès équitable. Ce sont les
dreyfusards.
• De l’autre, les antidreyfusards qui considèrent que
l’intérêt national prime sur les droits de la personne. Il
n’est pas question pour eux de porter atteinte au
moral de l’armée à une époque où la France attend
de prendre sa revanche sur l’Allemagne. L’origine
juive de Dreyfus ne fait qu’attiser les passions.
Le 13 janvier 1898, le premier intellectuel s’engage : Émile
Zola publie une lettre ouverte au président de la République
dans l’Aurore sous le titre « J’accuse ». Il y dénonce les
manigances qui ont entouré le procès de Dreyfus, et
l’acquittement du vrai coupable Esterhazy. Ce faisant, Zola
prend le risque de se faire arrêter et condamner pour
diffamation. Il est traduit en cour d’assises et condamné à un
an de prison. L’Affaire prend alors de l’ampleur, l’opinion
publique s’enflamme.
L’Affaire connaît un nouveau rebondissement en août 1898 :
le colonel Henry, qui avait divulgué la « trahison » de Dreyfus
à la presse, met au jour un nouveau document accablant
Dreyfus, le billet « Alexandrine ». Mais un examen minutieux
révèle des anomalies. Le colonel Henry est alors convoqué
par le ministre de la guerre, Godefroy Cavaignac, auquel il
avoue avoir « arrangé les choses ». Il est emprisonné, mais
se suicide dans sa cellule. Face au scandale, le ministre doit
démissionner ; il est remplacé par Dupuy qui consent à une
révision du procès de Dreyfus qui rentre du bagne. Le procès
se tient à Rennes en 1899 ; Dreyfus est à nouveau
condamné pour haute trahison, mais seulement à dix ans de
réclusion en raison de « circonstances atténuantes ». Le
président de la République gracie Dreyfus, mais ses
défenseurs demandent son acquittement.
Ce n’est qu’en 1906, sous le gouvernement de Georges
Clémenceau, que l’Affaire trouve son épilogue : la cour de
cassation casse le jugement de Rennes ; Dreyfus est
définitivement innocenté. A titre de réparation, il est réintégré
dans l’armée avec le grade de chef d’escadron. Le colonel
Picquart, qui a risqué sa carrière au nom de la justice et de
l’honneur, est nommé général et devient ministre de la guerre
dans le gouvernement Clémenceau.
Zola, mort en 1902, ne connut pas le dénouement de l’Affaire.
Ses cendres furent transférées au Panthéon le 4 juin 1908.
L’ANTISEMITISME EN FRANCE
L’antisémitisme est vivace en France à la fin du XIXe
siècle et se trouve à la convergence d’une multitude
de sentiments. Pour les conservateurs, le Juif est le
bénéficiaire de la révolution qui lui a permis
d’accéder à la citoyenneté. Il est le révolutionnaire,
l’internationaliste, l’apatride qui ne peut pas
comprendre et respecter les valeurs nationales.
Pour les catholiques, le Juif est le traître par
excellence, le déicide. Pour le mouvement ouvrier,
le Juif est le symbole du capitalisme ;
l’antisémitisme apparaît donc comme un premier
pas vers le socialisme. Drumont fait en quelque
sorte la synthèse de tous ces sentiments, défendant
le peuple contre les capitalistes, les chrétiens contre
les révolutionnaires, apparaissant comme un
nostalgique de l’Ancien Régime. Il est le « Français
de la France » contre le cosmopolite. Son livre,
mélange de fantasmes, de légendes, de statistiques
erronées, ne propose aucune solution, mais procure
un semblant de doctrine et présente un bouc
émissaire aux haines et aux ressentiments qui ne
demandaient qu’à s’exprimer librement.
Dessin de Caran D’ache
PENDANT LA VISITE
NANCY ET L’AFFAIRE DREYFUS
Depuis la défaite de 1870, la ville de Nancy se situe à 25 km de la frontière : c’est un avant-poste avec
une garnison de 8000 hommes. En 1898, le XXe corps d’armée et créé et siège à Nancy. Le sentiment
nationaliste y est donc particulièrement fort et l’esprit de revanche sans cesse présent. Le prestige de
l’armée n’est pas remis en cause. Nancy est aussi une ville catholique ; elle apparaît donc comme un
avant-poste face au protestantisme, cela depuis le XVIe siècle. Les traditions sont profondément
ancrées dans les esprits.
Aussi n’est-il pas étonnant de voir la majorité des Nancéiens se rallier à la cause antidreyfusarde, la
volonté de défendre l’honneur de l’armée et de l’État se mêlant à l’antisémitisme. Dès la fin des
années 1880, les manifestations antisémites se multiplient : un groupe d’étudiants nationalistes très
actifs se forme ; en 1898, ils organisent une manifestation lors de laquelle Zola et Dreyfus sont
conspués. Ils fondent alors un comité antisémite dirigé par un avocat du nom de Gervaize. Ce dernier
est victorieux lors des élections législatives de 1898. Le climat est donc particulièrement tendu à
Nancy lors de l’affaire Dreyfus.
COMMENT EXPLIQUER L’ENGAGEMENT DE GALLE DANS LE COMBAT DREYFUSARD ?
Il faut sans doute trouver le fondement de son engagement dans l’histoire personnelle de Gallé. Ce
dernier, protestant, a toujours eu le sentiment d’appartenir à une minorité religieuse, souvent mal
acceptée à Nancy. Il y a donc dès le départ une forme d’empathie vis-à-vis de Dreyfus.
Gallé est, bien avant l’affaire Dreyfus, un homme engagé dans la vie associative. Il joue un rôle
important dans la presse locale, prenant part aux débats artistiques et régionaux, souvent en
opposition avec les discours nancéiens officiels1. Les relations avec sa ville natale sont donc souvent
ombrageuses. La presse locale n’est pas toujours élogieuse à son égard. Cet homme engagé prend
également position en faveur des catholiques irlandais en lutte contre le pouvoir anglais et pour les
Arméniens massacrés par les Turcs.
L’engagement de Gallé s’explique aussi par ses amitiés et ses relations : Mathieu Dreyfus, le frère
d’Alfred Dreyfus, est un ami intime du banquier Christ, apparenté à Henriette Gallé, l’épouse d’Emile
Gallé. Ce dernier est également le beau-frère de Charles Keller, qui fréquente le sénateur ScheurerKestner, un des premiers défenseurs de Dreyfus. C’est presque naturellement que Gallé entre en
dreyfusisme.
L’affaire Dreyfus heurte enfin la foi chrétienne et républicaine de Gallé : pour lui, ce n’est pas
seulement un innocent qui est envoyé au bagne ; ce sont les hommes qui, collectivement et
consciemment, se sont rendus coupables d’une injustice et ont outragé Dieu. Selon Gallé, la IIIe
République a oublié l’héritage de 1789.
UN COMBAT QUI PREND PLUSIEURS FORMES
Les pétitions et les campagnes de presse
Gallé commence son combat de manière classique, en signant de nombreuses pétitions. Il signe la
deuxième pétition publiée dans l’Aurore. Celle-ci rappelle ses devoirs de justice à la République. Cela
lui vaut d’ailleurs d’être désigné par l’Est républicain et d’être publiquement attaqué, dans ce même
journal, par Maurice Barrès.
En 1898, il souscrit pour une médaille offerte à Zola en 1900 en hommage à la publication de
« J’accuse ». La même année, il signe une protestation pour soutenir le commandant Picquart.
Gallé est également polémiste : convaincu qu’il fallait gagner l’opinion publique, Gallé utilise la presse
comme une arme. Après l’attaque de Maurice Barrès dans l’Est Républicain, Gallé se donne un droit
de réponse. Malheureusement pour lui, l’Est Républicain refuse souvent de publier ses lettres ou n’en
reproduit qu’une partie. Pour cette raison, Gallé décide de fonder un nouveau journal, après le dépôt
de bilan du Progrès de l’Est en 19002. Il rédige les statuts du nouveau journal, l’Étoile de l’est et
dessine lui-même l’en-tête3. Ce journal d’opinion, qui doit permettre de gagner ce combat d’idées, est
Il soutient Rodin en 1892 pour son monument à Claude Gelée aujourd’hui à la pépinière. A l’époque, le monument choqua
de nombreux Nancéiens.
2 Les positions dreyfusardes du journal lui font perdre près de 1000 abonnés.
3 Une étoile à cinq branches surmontant des monuments nancéiens.
1
fondamental à Nancy, car il est le seul média dreyfusard face à l’Est Républicain, le Courrier de l’Est,
la Croix de l’Est, tous antidreyfusards.
Le militantisme de Gallé vaut à ce dernier de solides inimitiés : on n’ose plus le saluer dans la rue ;
l’amitié née avec Barrès quelques années plus tôt a volé en éclats. Ses relations, comme ses affaires,
sont maintenant à Paris.
L’engagement artistique
Pour Gallé, le beau a des vertus éducatives4. Cet engagement artistique n’est pas nouveau chez
Gallé, puisque, dans les années 1880, des œuvres comme la table Le Rhin faisaient passer un
message patriotique. La nouveauté réside dans le caractère symbolique des œuvres dreyfusardes,
dont le message n’est pas immédiatement accessible. La nature devient alors le support essentiel de
son message ; elle constitue à elle seule un symbole. Et comme pour expliquer ces symboles, Gallé a
recours de manière croissante aux citations dans ses verreries.
Vase Le Figuier ou Le Graal (1900)
C’est l’une des premières verreries consacrées à la
cause de Dreyfus. Sa forme en calice rappelle le saint
Graal censé avoir contenu le sang du Christ, ce qui fait
référence à la recherche d’absolu de l’Homme, mais
également au martyr du Christ et de Dreyfus. Le long
du pied s’écoulent des larmes de verre, imitant la
transpiration des feuilles du figuier et rappelant les
larmes du Christ ou des victimes de l’injustice.
L’inscription tirée d’un poème d’Hugo, gravée sur la
base, renforce la signification : « Car tous les hommes
sont les fils d’un même père / Ils sont la même larme.
Ils sortent du même œil ».
En outre, Gallé utilise deux symboles religieux
confondant christianisme et judaïsme : le chrisme (XP
en grec correspond à CHR, les trois premières lettres
du Christ) est utilisé comme signe de ralliement des
premiers chrétiens persécutés ; le figuier desséché qui,
dans la symbolique chrétienne, qualifie le peuple
d’Israël châtié pour n’avoir pas reconnu Jésus comme
le fils de Dieu. Mais ici, Gallé a inversé la symbolique
en représentant un figuier vert et porteur d’un fruit mûr
pour inciter les chrétiens à vaincre l’antisémitisme.
Table Sicut Hortus (1898)
Cette table à thé à double
plateau, éditée en petite série,
fait clairement référence à
l’affaire Dreyfus. La citation est
empruntée à la Bible : « Sicut
Hortus semen suum germinat /
sic Deus germinabit, Justitiam. »,
ce qui signifie « De même que le
jardin fait germer la semence,
ainsi Dieu fera germer la justice.
Isaïe. »
« Le beau avait des vertus éducatives qui permettaient de convertir les adversaires, convaincre les indécis et de conforter
les partisans pour réparer les injustices » in Bertrand Tillier, Émile Gallé et l’affaire Dreyfus : vers une mutation des arts
décoratifs, Paris, les Editions de l’Amateur, 2004.
4
Vase Les Hommes noirs (1900)
Ce vase est réalisé en collaboration avec Victor Prouvé qui
conçoit le décor. Le message dreyfusard prend plusieurs
formes :
- L’opposition entre la ciguë noire, symbole du mensonge, de la
calomnie antidreyfusarde et le lys doré, symbole de l’innocence
et annonçant le triomphe de la vérité.
- Les contrastes de matière et de teintes, opposant le mat et le
brillant, le noir et le jaune, par allusion aux hommes de l’ombre
qui furent les comploteurs. Ainsi, dans une note adressée à Gallé
Prouvé explique son objectif : « Je n’ai pas multiplié les figures
[…], je les ai indiquées se dégageant des mauvaises vapeurs
[…], j’ai maintenu les têtes blanches en haut, têtes de lumière et
de justice stupéfiées […]. Quant aux anses, il faudrait je crois en
développer le caractère afin d’en faire des hydres menaçants ».
Cette volonté de faire émerger les silhouettes est en accord avec
la citation gravée sur le vase et empruntée à un pamphlétaire de
la première moitié du XIXe siècle, Pierre-Jean Béranger :
« Hommes noirs d’où sortez-vous ? Nous sortons de dessous
terre. » Cette citation fait bien sûr allusion au mensonge et à la
conscience aveuglée par le mal.
Vase La Berce des prés (1900)
L’ombelle fleurie sert de motif à la
pièce et lui donne sa forme tubulaire.
Elle renvoie directement aux prairies
de la citation gravée dans la partie
inférieure du vase : « Nos arts
exhaleront des senteurs de prairies /
Altruisme et beauté parfumeront nos
vies ». Par sa teinte verte, l’emploi du
futur dans la citation et sa forme
élancée, ce vase constitue le symbole
de l’espoir, celui de voir reconnue
l’innocence
de
Dreyfus.
Cette
hypothèse est confirmée par un écrit
de Gallé dans lequel il associe la berce
des près à des vers de Hugo : « La
berce élève vers le ciel les ombelles
légères en nous invitant à aimer l’idée
sous tous ses aspects : puissance,
vérité,
liberté,
paix,
justice,
innocence. »
Table Sagittaire d’eau (1900)
Cette œuvre en bois marqueté et sculpté est
une table tripode à deux plateaux. Les trois
parties de la plante constituent les éléments
de la table : les feuilles aériennes,
ressemblant à une flèche, forment le plateau
supérieur sur lequel on distingue les fleurs
blanches de la sagittaire ; le plateau inférieur
reprend les feuilles rondes flottant sur l’eau ;
ces deux plateaux sont reliés par les feuilles
aquatiques en forme de rubans qui
constituent les pieds de la table.
Sur le plateau de cette table réalisée pour
l’Exposition universelle de 1900, Gallé a
gravé l’inscription suivante : « La grâce est
une arme au combat pour l’idée ». Le beau,
l’art, sont donc pour lui les vecteurs de son
engagement politique.
Toutes les œuvres analysées dans ce document sont présentées à l’Exposition universelle de 1900
qui fut pour Gallé l’occasion de mettre en avant son combat pour Dreyfus. Il avait utilisé la même
stratégie à l’exposition de 1889 pour faire passer son message patriotique.
En 1900, Gallé présente ses œuvres autour d’un four verrier qui témoigne publiquement de son
engagement dreyfusard. Il le nomme d’ailleurs le « four vengeur ». Sur le four est placardée une
invocation du poète grec Hésiode :
« Mais si tous les hommes sont méchants, faussaires et prévaricateurs / A moi les mauvais démons
du feu : Eclatent les vases ! Croule le four !/ Afin que tous apprennent à pratiquer la justice. »
Devant le four sont présentés sept vases inspirés des sept cruches de Marjolaine décrites dans « La
Rêveuse », conte extrait du Livre de Monelle (1894) de Marcel Schwob. L’auteur y évoque Marjolaine,
une orpheline qui a reçu de son père « sept grandes cruches décolorées, enduites de fumée, pleines
de mystère, semblables à un arc-en-ciel creux et ondulé. » Mais ce « grouillement de merveilles, de
rêves et de mystères » n’est visible que pour Marjolaine qui « savait la vérité ». Les ignorants ne
voyaient que de vieilles poteries insignifiantes. Gallé s’approprie cette histoire pour faire passer son
message et on ne peut ignorer le parallèle avec l’affaire Dreyfus.
L’ensemble est dominé par le vase Le Figuier que nous avons évoqué.
La participation de Gallé à l’exposition de 1900 présente un risque. A l’époque en effet, Dreyfus est
libre puisque gracié par le président de la République. Aussi Gallé aurait-il pu cesser le combat. On
comprend bien ses motivations : il veut plus qu’une libération, il veut la justice et la vérité, en bref que
l’innocence de Dreyfus soit reconnue. Le combat de Gallé se situe donc dans le domaine de la
morale. L’exposition est d’ailleurs pour Gallé un échec économique, mais elle vaut au verrier
l’admiration et le soutien des nombreuses personnalités, comme Louis de Fourcaud, professeur
d’histoire de l’art, qui commence alors à rédiger la biographie de l’artiste, saluant la vigueur de son
combat dreyfusard.
Dans les années les plus intenses de l’affaire Dreyfus, Gallé réalise à plusieurs reprises des verreries
qu’il offre à des grandes figures dreyfusardes. Ainsi, en 1901, il crée un Vase aux hippocampes
(conservé au musée des arts décoratifs) qu’il offre à Joseph Reinach, un des premiers défenseurs de
Dreyfus et qui publie à cette date le premier volume de son Histoire de l’affaire Dreyfus. Le décor
composé d’hippocampes en relief appartient au monde sous-marin qui fascine Gallé. Son lien avec
l’affaire Dreyfus réside dans le fait que le nom de l’animal sert à désigner la partie du cerveau humain
régissant la mémoire. Ce vase constitue sans doute un hommage au travail de mémorialiste de
Reinach.
Reconstitution d’un four verrier, Exposition universelle de 1900
APRES LA VISITE
AU-DELA
L’HOMME
DE L’ENGAGEMENT DREYFUSARD, UN CITOYEN ENGAGE POUR LA DEFENSE DES DROITS DE
C’est dans le contexte de l’affaire Dreyfus qu’est créée la section nancéienne de la Ligue des droits de
l’Homme, dont Gallé est l’un des initiateurs. Il est également le trésorier et sa femme, Henriette Gallé,
lui succède après sa mort en 1904. La présidence est assurée par Charles Keller, cousin d’Henriette
Gallé.
La fondation de la Ligue des droits de l’Homme repose sur une volonté d’étendre l’activité militante à
d’autres victimes de l’injustice et de l’arbitraire. Les valeurs de droit, de vérité et de justice sont donc
communes aux membres de la Ligue des droits de l’Homme. C’est dans cet esprit, conformément à
l’héritage de 1789 que sont rédigés les statuts de la Ligue des droits de l’Homme en 1898. Si au
départ la Ligue des droits de l’Homme ne semble qu’un rassemblement de dreyfusards, elle recueille
au fil des années un nombre croissant d’adhérents (800 en 1898, 4500 en janvier 1899, 12 000 en
décembre 1899). C’est dans ce mouvement que la section de Nancy est créée. On ignore
pratiquement tout sur l’action et le rôle de Gallé au sein de l’association, faute d’archives. Son
engagement nous est cependant connu par le biais d’un secrétaire dédié à sa femme ; l’inscription
incrustée illustre les principes au nom desquels Gallé se bat et rappelle son rôle dans la Ligue :
« A ma brave femme, Henriette Gallé, en mémoire des luttes patriotiques pour les principes
d’humanité, de justice et de liberté. Mai 1899. Émile Gallé, trésorier de la Ligue française pour la
défense des droits de l’Homme et du citoyen. »
L’ENGAGEMENT SOCIAL DE GALLE
Dans le sillage de l’affaire Dreyfus, Gallé s’engage en faveur de l’Université populaire de Nancy. La
création de ces universités, présentes sur tout le territoire à l’époque, correspond à une vision
humaniste de la société. Gallé, comme nombre de syndicalistes, universitaires, médecins ou chefs
d’entreprise, veut apporter la culture aux ouvriers pour leur éviter le piège de la démagogie et du
populisme. Il s’agit autant d’un idéal moral (une humanité meilleure) que politique (asseoir le
sentiment républicain et faire en sorte que les ouvriers soient de véritables citoyens).
L’Université populaire est créée en 1899 et installée, au début du siècle, au 2 rue Drouin, à la maison
du Peuple. Elle est édifiée sous l’impulsion de Charles Keller qui milite pour la condition ouvrière.
Financée par Keller, la construction est conduite par l’architecte Paul Charbonnier, qui fait appel à
Eugène Vallin pour les menuiseries et à Victor Prouvé pour les sculptures. Ces dernières représentent
un forgeron et une allégorie de la Pensée Libre, symbolisant la montée en force des ouvriers.
La maison du Peuple remplit plusieurs fonctions : on peut lire ou emprunter des livres à la
bibliothèque, faire du sport, s’initier à la langue allemande, apprendre la photographie ou le solfège.
On peut également consulter gratuitement un médecin ou un juriste. Des conférences sont organisées
régulièrement sur des sujets d’actualité (antisémitisme, les lois récentes), mais aussi sur des thèmes
de culture générale (sciences, géographie, justice). Le dimanche ont lieu des sorties à la campagne,
dont Gallé est l’un des animateurs ; il peut ainsi partager sa passion pour la botanique et la nature en
général. Il donne également des conférences sur l’histoire de l’art et présente certaines de ses pièces.
Il apparaît comme l’un des piliers de la maison du Peuple, encourageant ses collaborateurs à y
adhérer.
REFLEXION SUR LE ROLE DE LA PRESSE
A travers l’affaire Dreyfus, on peut souligner la nécessité d’avoir un regard critique sur les médias.
L’Affaire Dreyfus est réellement devenue une affaire lorsqu’elle a été médiatisée tant par les
antidreyfusards que par les dreyfusards. Il peut donc être intéressant de faire réfléchir les élèves sur le
recul nécessaire que l’on doit avoir par rapport à l’information, afin de faire la différence entre la
rumeur et l’information, entre le message orienté et les faits objectifs. L’actualité, les récents
scandales politico-financiers peuvent être l’occasion de réfléchir sur ce thème.
Si vous désirez travailler sur la presse, vous trouverez des informations utiles sur le site du Centre de
Liaison de l’Enseignement et des Médias d’Information (CLEMI) : www.clemi.org
Pistes pédagogiques en français
Tout travail en français sur ce sujet a intérêt à être fait en interdisciplinarité avec le professeur d’histoire,
car c’est plutôt à lui qu’incombe de donner une information historique complète et objective sur l’Affaire
et ses implications. En revanche, l’engagement profond des écrivains et des artistes, en particulier
Émile Zola et Émile Gallé, marque une date dans l’histoire littéraire et intellectuelle de notre pays, et à
ce titre concerne le professeur de lettres (l’engagement est souvent un thème abordé tant en lycée
qu’en collège). Comme le professeur d’histoire, il aura intérêt à lire l’ouvrage de Bertrand Tillier, Émile
Gallé, le verrier dreyfusard, Les éditions de l’Amateur, Paris, 2004, qui lui donnera beaucoup de
références et d’extraits de textes inédits de Gallé ou des personnes impliquées dans l’Affaire. En outre,
la dimension littéraire et artistique des œuvres produites à cette occasion ressortit au cours de français.
Et ce, d’autant plus que Gallé est un artiste profondément marqué par la littérature ; grand lecteur de
Victor Hugo, de Charles Baudelaire, de Paul Verlaine et des poètes contemporains, il oriente depuis
toujours une grande part de sa production vers une création tout imprégnée de symbolisme ; son culte
de la nature est soutenu par ses lectures des poètes exaltant le sentiment de la nature. « Ma racine est
au fond des bois », certes, mais elle se nourrit du riche terreau des chantres de la terre.
Un engagement à décrypter : œuvres de Gallé en rapport avec l’Affaire
La culture littéraire de Gallé est étonnante, surtout quand on songe que sa culture scientifique est
encore plus vaste. Cette culture a un fort retentissement dans son œuvre même, à la fois par ses choix
iconographiques et par les nombreuses citations qui émaillent ses productions, spécialement celles en
verre. On nomme « vases parlants » ces verreries qui contiennent des fragments de textes. « Sur les
cinquante-cinq écrivains ou poètes à qui Émile Gallé a fait des emprunts, Victor Hugo arrive de très loin
en tête avec près de soixante citations. Plus de cinquante sont gravées sur des œuvres de verre, trois
sont mentionnées dans le Décor symbolique, le discours de réception d’Émile Gallé à l’Académie de
Stanislas, une est apposée sur bois et pas une seule sur céramique. »5 On voit donc tout le parti qu’on
peut tirer en cours de français de ces emprunts : en s’appuyant sur les références trouvées par F. Le
Tacon, effectuer des recherches documentaires sur les textes hugoliens utilisés, étudier le rapport entre
l’œuvre du poète et celle du verrier, vérifier l’exactitude des citations (elles sont parfois faites de
mémoire et les différences peuvent être révélatrices). Beaucoup sont utilisées à propos de l’affaire
Dreyfus, il est alors intéressant de rechercher les thématiques les plus fortes ; les élèves ne
manqueront pas de remarquer que celle de l’ombre et de la lumière est dominante ; par là, Gallé se
situe dans une tradition à la fois spirituelle (la Bible) et laïque, l’idéal des Lumières du XVIIIe siècle, dont
V. Hugo avait fait siennes les valeurs humanistes de vérité, justice et progrès : par exemple, la phrase
« Lumière, tu ne seras pas éteinte », que l’on trouve gravée sur le vase offert à Dreyfus par Gallé, et
avec quelques modifications dans les versions de La Solanée , est une adaptation d’un tercet
apparaissant dans le dernier poème de « Ce que dit la Bouche d’ombre », Les Contemplations, VI, 26 :
« La clarté montera dans tout comme une sève ;
On verra rayonner au front du bœuf qui rêve
Le céleste croissant. »
Mais ce thème de la lumière n’est pas seulement emprunté à V. Hugo, on trouve Shakespeare sur
le vase offert à Sarah Bernhardt à l’occasion de son attitude dans l’Affaire : « de la lumière ! de la
lumière ! de la lumière ! Hamlet ». Sur le célèbre vase Les Hommes noirs, c’est une citation de Pierre
Jean de Béranger : « Hommes noirs, d’où sortez-vous / Nous sortons / de dessous terre », allusion au
travail de sape des forces de l’obscurantisme. Le plus intéressant, au niveau artistique, reste que ce
thème de la lumière est traduit dans l’œuvre même : c’est la préoccupation première de l’artiste
François Le Tacon, Hugo dans Gallé, http://www.atilf.fr ; Cet article, long et très documenté, par l’un des meilleurs
connaisseurs de Gallé, fait le point sur les sources hugoliennes de Gallé ; il a l’avantage d’être disponible facilement sur le
net. Nous en conseillons la lecture pour tout professeur de lettres qui s’intéresse au verrier.
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verrier, qui joue avec toutes les modulations de la couleur à travers le matériau, allant de l’opacité à la
transparence.
En réfléchissant sur ce rapport évident qui va des Lumières à la lumière, on voit que tombe
immédiatement un reproche que Maurice Barrès avait fait à Gallé ; « il voyait dans ces bribes littéraires
de Gallé un aveu de faiblesse de son œuvre : ‘ Les inscriptions de Gallé – Qu’il laisse son œuvre parler.
Il était parfaitement inutile qu’il les mît sur ses œuvres, car on doit pouvoir les lire dans ses verreries et
sur ses tables, sinon ce n’est pas la peine d’en parler. ’ »6 . Il n’en demeure pas moins vrai que Barrès
pose un problème esthétique fondamental sur les rapports entre l’image et le texte : pléonasme
ou complicité ? Soutien ou affaiblissement de l’un par l’autre ? Dans quelle mesure et jusqu’à quel point
une œuvre d’art plastique peut être « littéraire » ? B. Tillier, lui, a tranché pour ce qui est du cas de
Gallé, quand il conclut après avoir fait remarquer que le verrier préféra utiliser les symboles de la nature
plutôt que les allégories traditionnelles pour faire parler ses vases justement au moment de son
engagement pour Dreyfus : « l’efficacité de cette réalisation tient précisément à l’alliance de
l’iconographie, des formes, des matériaux, des couleurs et du texte poétique, substituée à l’allégorie
plus directement lisible et compréhensible, mais moins mystérieuse et moins inquiétante que
l’occultisme antidreyfusard ici fait signe. »7
Ne pas oublier que Gallé était un farouche partisan du symbolisme, comme en témoigne son
intervention lors de sa réception à l’Académie de Stanislas : « le symbole est un point lumineux parmi
l’insignifiance paisible et voulue des rinceaux et des arabesques ; le symbole pique l’attention ; c’est lui
qui fait entrer en scène la pensée, la poésie et l’art. Les symboles sont des pointes où se concrétisent
les idées. »8 La force vivifiante du symbole nous rapproche aussi de la théorie des correspondances de
Baudelaire, dont Gallé était un fervent lecteur. Nul doute que pour Émile Gallé, tout est lié. La recherche
de la vérité et de la beauté en art, en science, en morale et en politique est une autre piste de réflexion
pour nos élèves.
Enfin, la riche culture du verrier pourrait être l’occasion de réfléchir sur la notion d’intertextualité et
de rattacher l’exposition à d’autres parties du cours. Les renvois d’un écrivain à l’autre sont incessants,
parfois à l’intérieur d’une même œuvre. Ainsi quand Gallé offre à Joseph Reinach, un des meilleurs
défenseurs de Dreyfus et son premier mémorialiste, le vase Les Hippocampes, il l’orne de la devise de
J.-J. Rousseau, Vitam impendere vero (consacrer sa vie à la vérité), que le philosophe avait empruntée
à Juvénal, Satires, IV, 91, et qui se trouvait ici bien en situation pour quelqu’un qui avait consacré tant
de temps à faire jaillir la vérité. Autre exemple : le four de verrier présenté à l’Exposition universelle de
1900 était orné d’une citation d’Hésiode, poète grec du VIIIe siècle av. J. C. :
« Mais si tous les hommes sont méchants, faussaires et prévaricateurs,
A moi, les mauvais démons du feu : Éclatent les vases ! Croule le four !
Afin que tous apprennent à pratiquer la justice. »
Et ce four était garni de sept pièces inspirées du Livre de Monelle de Marcel Schwob, les sept cruches
de Marjolaine, dont seule l’héroïne pouvait percer le secret en visualisant la richesse de l’intérieur :
allusion à la difficulté de voir la vérité enfouie. Enfin, y était mis en valeur Le Figuier, vase combinant
des allusions au sacrifice du Christ (forme du vase en Saint Graal), au symbole juif du figuier, et à V.
Hugo par la citation. Ce four, tout matériel qu’il était, était bien comme un symbole vivant du creuset de
la création.
Autres pistes
L’engagement par l’écrit
L’engagement de Gallé par les pétitions, les lettres de soutien, les articles polémiques dans la presse
est un autre aspect exploitable en français. Il inscrit le verrier dans la grande lignée des artistes et
intellectuels qui n’hésitèrent pas à combattre pour un idéal de justice et de vérité, dussent-ils en pâtir.
B. Tillier, op. cit., p. 65.
B. Tillier, op. cit., p. 74.
8 Émile Gallé, Écrits pour l’Art, Paris, Renouard et Laurens, 1908 ; reprint Marseille, Jeanne Laffitte Éditeur, 1998, p. 218.
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On rapprochera cette action de celle de Voltaire, de Zola, de Sartre etc. Cet aspect de la question est
bien documenté dans l’ouvrage de B. Tillier, op. cit. ; on y trouve des extraits des lettres envoyées aux
protagonistes, ou d’articles publiés dans la presse locale, ainsi que quelques éléments de la polémique
avec M. Barrès, anti-dreyfusard notoire, qui changea donc de sentiments vis-à-vis de Gallé à partir de
1898. Il serait intéressant de comparer les prises de position des quotidiens régionaux entre eux9, et de
les mettre en perspective avec les articles plus connus de la presse nationale. Cela permettrait, par
exemple, d’étudier le registre polémique et certaines facettes de l’argumentation.
À ce propos, signalons que les textes de Zola relatifs à l’Affaire sont publiés dans plusieurs éditions de
poche, la moins onéreuse étant sans doute « J’accuse !... » Émile Zola et l’Affaire Dreyfus, éd. établie
par P. Oriol, Librio, 1998. On pourrait étudier de près l’argumentaire de Zola dans « J’accuse » et voir à
quel point il suit les conseils de la rhétorique pour le structurer : exorde en captatio benevolentiae,
narration des faits orientée vers sa vision de la vérité (en fonction de ce qu’on pouvait savoir en 1898),
confirmation par une discussion des arguments, pour finir par une des péroraisons les plus célèbres de
l’histoire de la littérature française avec ces imprécations scandées par les anaphores de « J’accuse » ;
on y trouvera ainsi tout le répertoire des figures de rhétorique, mais utilisées avec un accent de vérité et
une force visionnaire portées par des images qui seront celles d’Émile Gallé ; par exemple, la
métaphore de la fin de la confirmation (« Quand on enferme la vérité sous terre, elle s’y amasse, elle y
prend une telle force d’explosion, que, le jour où elle éclate, elle fait tout sauter avec elle ») est à
rapprocher des citations sur la lumière dont nous avons parlé.
Plaisirs de la narration
Si on veut aborder l’Affaire sous un angle narratif, on pourrait étudier la satire d’Anatole France10, L’Île
des pingouins (que l’on trouve en poche dans l’édition Presse Pocket, 1995, avec une préface de P.
Gascar). Des huit livres qui constituent cette histoire de France transposée de façon burlesque en
Pinguinie, on pourrait surtout lire le sixième, « L’Affaire des quatre-vingt mille bottes de foin », qui est
une parodie de l’affaire Dreyfus, simplifiée, grossie jusqu’à la caricature pour exprimer le scepticisme et
le pessimisme de l’auteur : un lot de bottes de foin a été dérobé ; on accuse sans preuve un certain
Pyrot, qui est une victime toute désignée parce qu’il est juif. Peu importe si un militaire, Hastaing (=
Picquart dans la véritable Affaire) découvre le vrai traître, le comte Maubec de la Dentdulynx
(=Esterhazy). Mais c’est sans compter sans Colomban (=Zola), qui accuse violemment les fautifs. La
Pinguinie est déchirée en deux camps, les pyrotins et les anti-pyrotins dans une crise de folie où la
presse et l’armée ont un rôle considérable. A. France joue sur une palette de tons variés où le
burlesque, l’humour et l’ironie le disputent au sérieux., pour mettre l’accent sur les défauts collectifs et
individuels des Français, et, si possible, les corriger, à la façon d’un conte voltairien.
L’autobiographie
Le livre qu’Alfred Dreyfus publia en 1901 pour relater comment il avait vécu ce qui lui arrivait a été
réédité en 1985 aux éditions La Découverte/Poche, avec une préface de P. Vidal-Naquet et une
postface de Jean-Louis Lévy, petit-fils d’Alfred Dreyfus. C’est un témoignage très émouvant,
remarquablement bien écrit (n’oublions pas que Dreyfus était polytechnicien), émaillé d’extraits du
journal de sa déportation et de la correspondance entre le capitaine et son épouse Lucie. Il nous donne
à voir l’image d’un homme intègre, profondément ébranlé par sa dégradation : engagé dans l’armée par
idéal patriotique et républicain, il n’arrive pas à comprendre que l’Autorité peut être faillible et
compromise. Il résiste néanmoins, avec une force d’âme peu commune, soutenu par son amour
conjugal et paternel, et par sa foi inébranlable en la découverte de la vérité. Le livre est accessible à
tout lycéen et peut même être lu en troisième.
L’Est Républicain devient anti-dreyfusard et, à partir de ce moment, Gallé retire publiquement son abonnement et son
soutien ; en revanche il contribue au lancement de L’Etoile de l’Est en concevant la manchette du journal et en envoyant
quelques articles.
10 A. France était dreyfusard.
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BIBLIOGRAPHIE
SUR L’AFFAIRE DREYFUS
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BACHOLLET R., Les 100 plus belles images de l’Affaire Dreyfus à travers les journaux
illustrés de l’époque, Édition DABECOM, 2006.
DROUIN M. dir., Dictionnaire de l’Affaire Dreyfus, Flammarion, 1994, réédité en 2006.
DUCLERT V., Alfred Dreyfus, Fayard, 2006.
Site Internet de la Société Internationale d’Histoire de l’Affaire Dreyfus (SIHAD) : de nombreux
dessins, cartes postales et photographies : www.sihad.com
SUR L’ENGAGEMENT DREYFUSARD DE GALLE
•
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•
LE TACON F., Émile Gallé Maître de l’Art Nouveau, Strasbourg, La Nuée Bleue, 2004.
THIEBAUT P., Émile Gallé, le magicien du verre, Découvertes Gallimard, 2004.
TILLIER B., Émile Gallé, le verrier dreyfusard, Edition de l’Amateur, 2004.

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