Première évaluation économique de la cogénération

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Première évaluation économique de la cogénération
Eclairages
Première évaluation économique de la
cogénération nucléaire pour le chauffage
urbain en France
par Frédéric JASSERAND,
Jean­Guy DEVEZEAUX DE LAVERGNE,
CEA/I­tésé
L
L’année 2015 est l’occasion pour la France d’affirmer ses ambitions en matière de
politique environnementale. Durant l’été elle a voté la «La loi de transition
énergétique pour la croissance verte», qui précise son engagement dans
l’amélioration de ses performances énergétiques et de réduction d’émission de
GES [1], et en novembre et décembre elle accueille à Paris la conférence
internationale COP 21 dédiée aux actions internationales de lutte contre le
changement climatique [2].
Le but de cet article est donc de proposer une première approche du potentiel de
la cogénération nucléaire pour le chauffage urbain en France vu sous angle
économique.
a cogénération, technique associant la production
simultanée d’électricité et de chaleur à partir d’un
même combustible, s’inscrit parfaitement dans ces
ambitions gouvernementales puisqu’elle permet de
réduire très significativement la quantité d’énergie
primaire consommée pour de mêmes usages finaux.
Ainsi, cette technique a­t­elle été reconnue comme l’un
des moyens d’atteindre les objectifs de division des
émissions de GES par un facteur 4 en 2050 par les
prévisionnistes de l’alliance ANCRE qui regroupe les
principaux organismes de recherche sur l’énergie en
France [3].
Ces scénarios suggèrent que si de nombreuses unités de
production thermiques en France fonctionnent en
cogénération en produisant également de l’électricité,
l’utilisation «à l’inverse» des réacteurs nucléaires
électrogènes pour produire également de la chaleur
pourrait ouvrir un gisement potentiel très important et
actuellement totalement inexploité de plusieurs dizaines
de TWhth.
basse température (< 40°C) ou de vapeur d’eau. Au
niveau de température de ces rejets, cette énergie
thermique ne peut pas être valorisée dans un usage
industriel ou domestique, et il est donc nécessaire
d’adapter les circuits et leurs échanges afin de récupérer
une énergie utilisable… dès lors que l’on accepte une
baisse de la production électrique. En effet, si une partie
de la chaleur du circuit secondaire est utilisée à des fins de
chauffage à une température supérieure, alors le
rendement mécanique (donc électrique) baisse et la
diminution de production associée constitue un coût (coût
d’opportunité) dans le calcul économique de la chaleur.
Dans le cas d’un réacteur nucléaire à eau, le ratio
d’énergie électrique perdue par rapport à l’énergie
thermique récupérée est de l’ordre de 1/5 pour de l’eau à
120°C.
1 ­Cogénération nucléaire pour le chauffage urbain
1.1 ­Principaux concepts
Tous
les
réacteurs
électrogènes
français
en
fonctionnement actuellement sont des REP dont le design
a été conçu pour atteindre des rendements électriques qui
varient de 32% (palier 900 MWe) à 35% (palier N4 de 1450
MWe).
L’énergie thermique évacuée à la source froide des
réacteurs
est
principalement
dispersée
dans
l’environnement par le circuit tertiaire sous forme d’eau à
16
La lettre de l'I­tésé ­ Numéro 26­ Antomne 2015
Fig. 1. Fonctionnement schématique de la cogénération pour le
chauffage urbain (from Tuomisto [4])
Evidemment l’utilisation de la cogénération n’est
économiquement justifiée que si les recettes associées à la
Automne 2012 ­ Numéro 17 ­ La lettre de l'I­tésé
16
Eclairages
vente de chaleur sont supérieures aux pertes dues à la
diminution de vente de l’électricité. Dans la mesure où les
courbes de demande dans le temps de la chaleur et de
l’électricité suivent approximativement la même
cinétique, ce coût d’opportunité peut être élevé en
période hivernale lorsque le prix de l’électricité atteint son
maximum en Europe occidentale.
Outre le coût de production, celui de distribution
constitue le plus souvent un frein au développement du
chauffage urbain. Indépendamment du fait que le
chauffage domestique et tertiaire en France est en bonne
part assuré par l’électricité [5], le coût de déploiement des
réseaux de transport et distribution limite de facto la
fourniture de chaleur aux zones suffisamment densément
peuplées et utilisant déjà un mode de chauffage
compatible (chauffage central ou collectif déjà installé).
Cet investissement est toutefois pérenne puisque la durée
d’exploitation du réseau se chiffre en décennies (par
exemple le réseau de chaleur français le plus ancien est
celui de Paris dont les premières canalisations datent de
1927 [6]).
Fig. 2. Construction du réseau de transport (from Refuna [7])
1.2 ­Spécificités du chauffage urbain nucléaire
Les réacteurs nucléaires de puissance sont généralement
éloignés des agglomérations. Si cet éloignement est géré
très efficacement pour le transport de l’électricité, la
question du transport de la chaleur sur longue distance,
qui nécessite des conduites isolées, apparait nouvelle,
même si des projets ont été étudiés dans les années 70
pour chauffer Paris et Grenoble par de l’énergie
nucléaire [8].
Les coûts associés peuvent être contenus dans le cas de
l’utilisation de canalisations à l’air libre, mais les
contraintes environnementales et d’urbanisation incitent
le plus souvent l’utilisation de canalisations enterrées en
tranchées ou en tunnels. L’investissement associé (de
l’ordre du M€/km) peut alors devenir trop lourd pour
permettre un développement compétitif du transport sur
longue distance. De plus un réacteur nucléaire est capable
de produire une très grande quantité de chaleur comparé
aux unités de production habituelles (CTG(1), UIOM(2) ,
etc.) et son indisponibilité (notamment programmée pour
le chargement du combustible) est alors plus difficile à
gérer(3) : il faut plutôt raisonner par paire de réacteurs ou
disposer d’une réserve de back­up régulièrement
sollicitée
La faisabilité socio­technique pourrait s’avérer aussi
délicate. Si l’accident de Fukushima n’a pas modifié
significativement la perception qu’ont les français de
l’énergie nucléaire [9], nous ne disposons actuellement à
notre connaissance d’aucune étude sur la faisabilité
sociale du développement de cette technique en France.
Peut­être des mesures techniques, telle la redondance des
barrières séparant le cœur du réacteur du circuit
domestique (4 barrières entre les 5 circuits pour Beznau
en Suisse [10]) peuvent­elles contribuer à cette faisabilité,
mais cette question est ouverte.
1.3 ­Le chauffage urbain en Europe
Comparativement aux pays d’Europe Centrale ou de
l’Est, la France ne dispose pas de réseaux de chaleur très
développés puisqu’ils ne desservent que 7,4% de la
population. La région la plus densément fournie est l’Île­
de­France (13,6 TWhth dont 5,5 pour Paris), suivie par
Rhône­Alpes (2,9 TWhth répartis sur 3 principales
agglomérations éloignées les unes des autres). Les autres
sites de consommation, presque tous situés dans le quart
nord­ouest, se limitent à quelques centaines de GWhth par
an [11].
Pour la seule Île­de­France, qui dispose déjà
d’infrastructures, le potentiel de développement des
réseaux est toutefois considérable puisqu’il a été
récemment évalué que la chaleur fournie via ces réseaux
devrait doubler pour atteindre 28 TWhth d’ici à 2030 [12].
Ce doublement s’explique par un triplement du nombre
de foyers connectés conjointement à une amélioration
globale des performances énergétiques du parc
immobilier (la LTE va encourager les travaux de
rénovation des anciens logements et les nouvelles
constructions respectent des normes plus rigoureuses).
La cogénération nucléaire appliquée au chauffage urbain
est déjà mise en œuvre dans de nombreux pays
d’Europe [10], mais ses spécificités limitent actuellement
son utilisation à des projets d’envergure restreinte, que ce
soit du point de vue de la chaleur produite (puissance
«installée» limitée à moins de 60 MWth) ou du
raccordement entre les sites de production et de
consommation (distance de transport ≤ 30 km).
L’antériorité de ces réalisations ne préjuge par ailleurs pas
de leur faisabilité économique aux conditions actuelles.
Des projets de plus grande envergure ont toutefois déjà
fait l’objet d’études mais ne sont pas encore en phase de
réalisation comme Loviisa­Helsinki (1000 MWth, 60
km) [4].
(1) Centrale Thermique à Gaz
(2) Unité d'incénération des ordures Ménagères
(3) Analogie avec la difficulté d'implanter un réacteur nucléaire sur un réseau
de faible capacité
Printemps
2010­­Numéro
Numéro26
10­­La
Lalettre
lettrede
del'I­tésé
l'I­tésé
Automne 2015
17
Eclairages
1.4 ­ Intérêt du chauffage urbain nucléaire dans la
perspective de la transition énergétique
On a vu plus haut que l’ANCRE propose et étudie
différents scénarios prospectifs d’évolution énergétique en
France [3]. Dans son scénario «vecteurs diversifiés» (DIV),
les réseaux de chaleur et la cogénération nucléaire
participent fortement à la diminution de la consommation
d’énergie primaire par le secteur résidentiel/tertiaire. Le
scénario DIV table ainsi en 2050 sur la production
d’environ 240 TWh de chaleur, produits par des
technologies «bas carbone», soit pour moitié par des EnR,
et pour moitié par cogénération nucléaire.
Une des dispositions de la loi de transition énergétique
vise à réduire la part du nucléaire dans la production
électrique à 50% à l’horizon 2025 contre 75%
actuellement [1]. Avec cette disposition, le potentiel très
important d’utilisation des réacteurs pour la cogénération
permettrait de bénéficier de la disponibilité des réacteurs
tout en diversifiant la production de chaleur. Cette
démarche est très cohérente avec un prolongement de la
durée d’exploitation des réacteurs de 10 voire 20 ans. Un
tel prolongement, fréquemment réalisé dans d’autres
pays [13] présente un intérêt économique certain puisque
les centrales sont déjà construites et largement amorties et
que les montants des travaux de jouvence restent très
inférieurs à ceux de construction d’une nouvelle unité,
ceci même en corrigeant ces montants d’investissements
de la durée prévisible des équipements, évidemment
nettement supérieure dans le cas d’un nouveau réacteur.
aux modifications d’une tranche en exploitation et une
durée d’exploitation attendue plus longue.
2.2 ­Description du modèle
Nous proposons de structurer l’ensemble des coûts
caractéristiques du projet en trois grandes catégories :
1. «Conception» : les dépenses nécessaires à l’étude d’un
site (couple centrale nucléaire – réseau de chauffage
urbain) : études techniques, de marché, aspects
réglementaires (dossier de sûreté, enquête publique…)
etc. ;
2. «Investissement» : les dépenses relatives à la
réalisation du projet une fois qu’il a été retenu :
modifications de la centrale pour extraire la chaleur (dont
coût lié à l’immobilisation de la production électrique
pendant les travaux), construction du réseau de transport
(achat des tuyaux et installation en tranchées ou tunnels),
connexion au réseau de distribution (construction de
sous­stations accueillant les échangeurs de chaleurs), etc. ;
3. «Fonctionnement» : les coûts opérationnels mis en
œuvre durant la vie technique du projet (salaires,
maintenance, pompage, etc.) et les recettes liées à la vente
de chaleur.
Dans le cas français, la forte standardisation du parc (58
réacteurs constituant 4 «paliers») pourrait permettre une
mutualisation d’une partie des coûts liés au
développement de la cogénération (études, décrets).
2 ­Modèle technico­économique
2.1 ­Principaux objectifs
Le but de cet article est de proposer une première
synthèse du potentiel de développement de la
cogénération nucléaire pour le chauffage urbain à partir
de centrales nucléaires existantes. Pour ce faire, un
modèle technico­économique générique est conçu, qui
intègre les principaux éléments caractéristiques de la
cogénération et permet de décrire chaque éventualité de
fourniture de chaleur par une des centrales nationales
selon ses propriétés techniques et d’en déduire des
indicateurs économiques afin en particulier d’identifier les
projets les plus intéressants, selon leur localisation.
Notons aussi que le modèle qui suit est adapté à l’étude
de la mise en œuvre de la cogénération au sein des
réacteurs existants. Il est aussi possible d’examiner cette
question pour de nouveaux réacteurs, sachant que, dans
ce cas, le projet permet tout à la fois une meilleure
conception d’ensemble, l’absence des perturbations liées
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La lettre de l'I­tésé ­ Numéro 26­ Antomne 2015
Fig. 3. Structure des coûts
Parmi les autres postes de coûts, les frais financiers
(impôts, taxes, assurances) ne sont pas évalués ici dans le
cadre de cette première approche. Inversement,
Eclairages
d’éventuelles subventions au titre de l’usage d’une
énergie fortement décarbonnée ne sont pas envisagées ici
(cf. infra). Un autre poste de coûts non modélisé est
constitué de la mise en place d’un «back­up» (par
exemple une centrale thermique à gaz), capable de
prendre le relai en cas d’indisponibilité du réacteur
nucléaire connecté. Il faut considérer cette question avec
souplesse, selon par exemple que de tels moyens existent
déjà ou que –par exemple – l’équipement de plusieurs
tranches d’un même site permettrait de limiter les risques
de rupture d’approvisionnement. Le premier cas présente
l’avantage de limiter l’investissement en matière de
puissance de back­up, puisque des unités de production
sont déjà en place. Leur amortissement et leur
fonctionnement quelques centaines d’heure par an, selon
les cas, doit toutefois être pris en compte puisqu’elles ne
seront pas autant sollicitées que ce qui avait été prévu lors
de leur conception.
2.4 ­Evaluation économique
Enfin, l’évaluation économique doit être faite en se
projetant à un horizon de l’ordre de la dizaine d’années,
voire plus. A cet horizon, l’effet de mécanismes destinés à
renchérir l’usage d’énergies carbonées (taxe carbone,
marché de quotas…) peut être pris en compte, dans le
cas où la cogénération nucléaire se substitue à un moyen
de production émettant des GES (chaufferie au gaz, fioul
ou UIOM).
La chaleur doit être produite à un coût tel qu’elle puisse
être vendue dans des conditions proches du marché
actuel. En 2014 le prix moyen en France était de
70 €/MWhth répartis en 25 € de part fixe (abonnement) et
45 € de part variable liée à la consommation [11].
2.3 ­Paramètres techniques
Les principaux paramètres caractérisant les sites étudiés
sont la chaleur produite et la distance de transport entre le
site de production et le réseau de distribution. La durée
d’appel de la chaleur sur le site de distribution retenue est
de t = 3000 h/an (soit 3 mois à pleine puissance et 3 mois à
mi­puissance). Etant définie (par extrapolation à la date de
couplage) la chronique de fourniture de la chaleur
appelée, on peut dimensionner la puissance thermique
maximale P (MWth) qui doit être extraite de la centrale
nucléaire. Couplée à la puissance, la distance de transport
D (km) détermine notamment les besoins en termes de
pompage (la pression du fluide surchauffée doit être
maintenue entre deux bornes limites) et d’isolation des
tuyaux de transport (afin de limiter les pertes thermiques).
Les pertes de charge et thermiques nécessitent toutefois
de connaître le diamètre (mm) des tuyaux de transport du
fluide caloporteur.
Dans tous les cas nous avons supposé quele fluide
caloporteur retenu est de l’eau surchauffée à 110°C, à une
pression de l’ordre de 10 à 20 bars. L’interface avec le
réseau de distribution est supposée ajustée de manière à
ce que la température de retour soit de 60°C. La ligne de
transport est constituée de deux tuyaux (un pour l’aller,
un pour le retour) en fonte et calorifugés par un isolant de
type polyuréthane couramment utilisé pour ce type
d’applications [14].
Les calculs liés à la durée de vie du projet intègrent un
taux d’actualisation variant de 3% (qui serait homogène
avec un soutien fort du projet par les instances publiques)
à 8% (taux convenant à un investisseur privé).
En période hivernale où la chaleur est principalement
consommée, le prix de l’électricité est actuellement au
maximum de 80 €/MWhe sur le marché SPOT (prix en
pointe en déc. 2013) et inférieur à 50 €/MWhe sur le
marché à terme [15]. Pour les calculs effectués ici, nous
nous plaçons dans une perspective de hausse modérée
mais continue du prix de l’électricité, en cohérence avec
de très nombreux travaux sur les trajectoires de
transitions, tels que ceux de l’ANCRE. Deux hypothèses
seront ainsi retenues : un prix «favorable» à la
cogénération de 60 €/MWhe et un second plus prudent
de 70 €/MWhe.
Les grandeurs économiques suivantes sont évaluées :
montant des investissements (CapEx actualisés et
overnight), flux opérationnels (OpEx) et leurs évolution
au cours de la vie du projet (cash­flows). Ces différentes
informations permettent d’évaluer la valeur actuelle nette
(VAN) du projet et le temps de retour sur investissement
(TRI). L’ensemble des dépenses est également représenté
sous la forme d’un coût actualisé de la chaleur (LCOH).
3 ­Cas d’étude Nogent­Paris
3.1 ­Principaux paramètres
La centrale de Nogent­Sur­Seine est constituée de deux
réacteurs de type PWR­1300 MW mis en service en 1987
et 1988 respectivement. Ils ont affiché des taux de charge
(Kp) de 83 et 80% en 2014 [16].
La centrale de Nogent est la plus proche de Paris, elle est
distante de 95 km de Notre­Dame à vol d’oiseau soit
environ 90 km de Créteil en suivant les principaux axes
de communication existants. Afin d’optimiser les coûts de
construction des lignes de transport, on sépare cette
distance en deux composantes. La première située en
zone «rurale» serait constituée de lignes de transport
principales en tranchées. Une fois en zone «urbaine», le
tracé de la ligne devient plus complexe et sa mise en
œuvre délicate, on considère alors que la fin de
l’acheminement serait réalisée dans un tunnel. La
distance de base de 90 km reste en toute rigueur
hypothétique, les contraintes techniques et de tracé
imposeront en réalité un tracé plus important. Deux
hypothèses seront donc étudiées, qui majorent
respectivement les distances de transport de 25 et 50%.
Automne 2015 ­ Numéro 26 ­ La lettre de l'I­tésé
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Eclairages
3.2 ­Étude économique : résultats
Le Tableau 2 présente les principaux résultats fournis par
les deux scénarios présentés ci­avant :
Fig. 4. Aperçu de la liaison Nogent s/Seine ­ Paris
La région parisienne a consommé, en 2013, 13,6 TWh de
chaleur fournis par des installations dont la puissance
cumulée est de 10000 MWth [11]. La seule agglomération
parisienne a consommé 5 TWh fournis par la CPCU
(Compagnie Parisienne de Chauffage Urbain) pour
Paris [17]. Comme première hypothèse on retient une
puissance thermique «de référence» fournie par un
réacteur de 1500 MWth ce qui correspond à la fourniture
de 4,5 TWhth pour un fonctionnement de 3000 h. Cette
valeur peut paraître élevée en regard de la consommation
actuelle mais elle s’inscrit dans les projections de la
demande de chaleur sur les décennies à venir. La DRIEE(4)
de l’Île­de­France a ainsi évalué l’augmentation de la
consommation à 28 TWhth en 2030 [12]. A cette date, la part
de la cogénération nucléaire ne serait alors que de 12,5%
dans le Mix total, ce qui reste très raisonnable.
Sur ces bases, nous avons calculé le débit massique d’eau
et le diamètre des tuyaux afin de minimiser le coût de
l’investissement.
Tableau 2 : Evaluation économique pour Nogent­Paris
Les deux scénarios analysés encadrent le champ des
possibles. Le scénario «bas» est clairement défavorable à
l’emploi de la cogénération tandis que dans le scénario
«haut» la vente de la chaleur produite par le réacteur
nucléaire permet de rentabiliser le projet en moins de 15
ans. Pour explorer plus en profondeur cet aspect temporel
du projet, la Fig. 5 présente la variation des VAN de
chacun des deux scénario sur une durée de
fonctionnement étendue, ce qui est bien entendu fonction
de la prolongation de la durée d’exploitation des
réacteurs.
Le Tableau 1 synthétise les principales hypothèses
retenues et les associe à deux scenarios d’étude. Le
premier, dit “Bas” cumule des paramètres défavorables
au calcul économique de la cogénération. Le second, dit
“Haut” est au contraire optimiste puisqu’il retient des
hypothèses opposées. Ces deux scénarios extrêmes sont
supposés encadrer le modèle réel d’un recours à la
chaleur de la centrale de Nogent pour chauffer une partie
de l’agglomération parisienne.
Fig. 5. Evolution de la VAN en fonction de la durée de
fourniture de la chaleur
Tableau 1 : Hypothèses d'entrée Nogent­Paris
Cette figure montre que le scénario «bas» pénalisé par un
investissement plus important (+33% que pour le scénario
«haut»), dispose de cash­flows insuffisants qui ne
permettent pas de rentabiliser cet investissement sur le
long­terme.
(4) Direction Régionale et interdépartementale de l'Environnement et de
l'Energie
20
La lettre de l'I­tésé ­ Numéro 26­ Antomne 2015
Eclairages
La durée de fourniture de la chaleur est également reliée à
celle de fonctionnement des réacteurs. Pour Nogent, le
décret d’exploitation des réacteurs de 1300 MWe prévoit
une durée de fonctionnement de 40 ans, soit des arrêts
théoriques vers 2027 et 2028. Les études et travaux
nécessaires avant la production de la chaleur pouvant
durer de l’ordre de 10 ans, il apparaît évident que la
cogénération sur ce site ne peut être envisagée qu’en cas
de prolongation de la durée d’exploitation des réacteurs.
La question peut aussi être posée en termes d’opportunité
de déployer une nouvelle paire de réacteurs sur ce site
dans le cadre du renouvellement du parc, auquel cas la
quasi­totalité des investissements réalisés pour le
transport de la chaleur pourrait continuer à être amortie
Indépendamment des grandeurs intégrées analysées ci­
dessus, la répartition des différents postes de coût est
présentée sur la base du coût moyen actualisé dans la
Fig. 6 .
l’usage de la cogénération pour la majorité des principales
agglomérations.
Fig. 7. Chaleur fournie sur des réseaux urbains
en 2013 en France [11]
Fig. 6. Structure du LCOH pour Nogent­Paris (scénario «bas»)
Pour ce projet, la majeure partie des coûts est liée à la
construction de la ligne de transport. La perte de
production électrique est également importante
puisqu’elle représente un quart du coût de la chaleur dans
le scénario le plus défavorable.
4 ­Autres sites
4.1 ­Situation actuelle
Une fois examiné le cas des réacteurs de Nogent sur Seine,
il est intéressant de généraliser l’approche en examinant
les autres sites présentant le plus d’intérêt vis­à­vis de la
cogénération nucléaire pour le chauffage urbain. Pour
aller au plus juste on se focalise en premier lieu sur les
régions les plus consommatrices de chaleur par les
réseaux. En­dehors de l’Île­de­France il s’agit de Rhône­
Alpes, Nord­Pas­de­Calais, Lorraine, Alsace et Centre (cf.
Fig. 7).
La Fig. 8 présente la localisation des centrales nucléaires
française. On y a fait figurer des cercles d’un rayon de
100 km autour de chacune d’elle. Leur répartition
homogène sur l’ensemble du territoire permet d’envisager
Fig. 8. Evaluation économique d'autres sites français
(scénarios «haut»)
Pour évaluer le potentiel économique de la cogénération,
une recherche des réseaux de ces régions a été menée, et
les principaux sites de consommation (assortis de leur
puissance «raisonnable» que la cogénération pourrait
fournir) ont été reliés à la centrale nucléaire la plus
proche.
Pour chaque site étudié on réalise alors un calcul dérivé
de celui présenté plus haut pour Nogent­Paris, en
adaptant notamment le calcul du coût de modification de
la centrale à la puissance extraite, et en tenant compte du
fait que pour tous les projets hors région parisienne un
premier examen laisse augurer qu’il est possible d’éviter
le recours à des tunnels .
In fine cette étude est plus prospective et ne cherche à
fournir en premier lieu que des éléments de réflexion
amenant à hiérarchiser les sites, pour retenir ceux qui
apparaissent les plus intéressants.
Automne 2015 ­ Numéro 26 ­ La lettre de l'I­tésé
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Eclairages
4.2 ­Résultats
La Fig. 9 présente un comparatif en relatif des coûts
actualisés de la chaleur (LCOH) évalués pour les plus
significatifs des sites étudiés avec des courbes de niveau
situant les zones de compétitivité par rapport aux prix
actuel de la chaleur.
Fig. 9. Evaluation économique d’autres sites français (scénario
«haut»)
Le projet Lyon­Bugey se dégage nettement, il présente un
LCOH final inférieur à celui de Paris­Nogent résultant
d’un bon compris entre la distance de transport et une
puissance thermique à fournir (300 MWth). Il se révèle
ainsi être un meilleur candidat au déploiement de la
cogénération nucléaire.
Il ressort également que la distance n’est pas le seul
déterminant de la viabilité du projet : c’est bien
l’adéquation entre cette distance et la puissance fournie
qui joue un rôle majeur. Ainsi le potentiel d’emploi de la
cogénération pour Metz (35 km de Cattenom) est
supérieur à celui de Dunkerque (15 km de Gravelines) :
pour le premier la consommation actuelle de chaleur est
compatible avec l’installation de la cogénération alors que
pour le second il faut envisager de doubler cette
consommation pour atteindre la zone de «viabilité»
économique du projet. Il pourrait à ce propos être très
pertinent de mobiliser une partie de la chaleur produite
pour alimenter des industries grosses consommatrices
locales, ce qui pourrait améliorer l’économie d’ensemble
de façon significative.
A l’instar des études réalisées pour l’Île­de­France, des
études spécifiques peuvent évaluer le potentiel de
développement des réseaux de ces villes. Si de manière
sommaire on considère que comme pour la région
parisienne, il est possible d’envisager un doublement de
la consommation de chaleur d’ici 2030, un bon nombre
des villes présentées sur la Fig. 9 peut atteindre la zone
d’intérêt. De plus, une extension de nos travaux pourra
prendre en compte le besoin de chaleur industrielle, qui
dans certaines zones du territoire français peut être
22
La lettre de l'I­tésé ­ Numéro 26­ Antomne 2015
localement supérieur à celui du chauffage du secteur
résidentiel et tertiaire (cf. supra, le cas de Dunkerque).
5 ­Conclusions
Le chauffage urbain par cogénération nucléaire est
actuellement utilisé dans plusieurs pays d’Europe.
L’orientation actuelle de nombreux pays vers une
politique énergétique volontariste de transition ainsi que
les progrès techniques réalisés en matière de transport de
la chaleur sur longue distance amènent à réétudier cette
technologie dans le cadre français. Les premiers résultats
fournis ici, même s’ils sont encore partiels et doivent être
confirmés par des analyses complètes, permettent
d’espérer un développement significatif de cette
technologie, en région parisienne, mais aussi dans
quelques agglomérations urbaines du reste du pays.
Ces résultats demandent validation. Ainsi, les études
futures pourraient porter sur l’évaluation du coût du
back­up, la prise en compte des potentialités de
développement des réseaux de chaleur existants ou
envisagés, une meilleure caractérisation des coûts de
certains éléments prépondérants dans l’analyse (tuyaux
de transport et leur installation, modifications de la
centrale...). En règle générale, il faut maintenant mener
des approches d’une part très ciblées sur des cas précis, et,
d’autre part, d’échelle nationale. Il faudrait ainsi évaluer
au plan du pays les mesures qui permettraient de
dépasser les obstacles inhérents à cette technologie, à
l’instar des actions menées pour d’autres énergies « bas
carbone » dans le cadre de la transition énergétique qui se
structure actuellement en France.
Au final, le déploiement de la cogénération nucléaire en
France, à des fins de chauffage urbain, sera, s’il s’engage,
un processus graduel. Cette première analyse montre
qu’il peut disposer d’un réel intérêt, étant donné les
perspectives de la transition énergétique, le
renchérissement annoncé de l’énergie fossile à terme, les
progrès technologiques des techniques de transport.
Eléments de bibliographie
[1] http://www.developpement­durable.gouv.fr/
­La­transition­energetique­pour­la­.html
[2] http://www.cop21.gouv.fr/
[3] ANCRE, “Scénarios de l’ANCRE pour la transition
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[5] ADEME, “Catalogue Climat, Air et Energie”, edition 2014
Eclairages
[6] “La gestion de la délégation de service public du chauffage
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0220/S3/2080226/MC (2008)
[7] “Geschäftsbericht vom 1. Juli 2003 bis 30. Juni 2004”,
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[9] “Baromètre IRSN – La perception des risques et de la sécurité
par les français”, IRSN, 2014
[10] IAEA, “Opportunities for cogeneration with nuclear
power”, to be edited
[11] FEDENE (Fédération des services énergie environnement)
& SNCU (Syndicat National du chauffage urbain et de la
climatisation urbaine), « Enquête nationale sur les réseaux de
chaleur et de froid », Rapport 2014
[12] DRIEE, “Evaluation du potentiel de développement du
chauffage urbain en Île­de­France”, 2012
[13] “Nuclear Power Plant Life Management and Longer­term
Operation”, OCDE 2006, NEA n°6105
[14] R. Narjot, « Réseaux de chaleur », Les Techniques de
l’Ingénieur, B 2 170
[15] Commission de Régulation de l’Energie, www.cre.fr
[16] Elecnuc – Les centrales nucléaires dans le monde, Edition
2014, CEA/I­tésé, www.cea.fr
[17] CPCU, www.cpcu.fr
Automne 2015 ­ Numéro 26 ­ La lettre de l'I­tésé
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