Interprété par Joe Pesci Les années 80

Transcription

Interprété par Joe Pesci Les années 80
100 icônes badass du cinéma
Les années 80
• John Plissken •
TOMMY DeVITO
Interprété par Joe Pesci
• Le film : Les affranchis (Goodfellas, 1990). Réalisé par Martin Scorsese •
P
resque dix ans avant les
Soprano et dans un registre radicalement plus léger que les
Parrain de Francis Ford
Coppola, Martin Scorsese nous
fit aimer dans Les affranchis un
mafieux de la pire espèce. Je ne
parle ni du héros du film Henry
Hill (prodigieux Ray Liotta), ni de son complice
Jimmy Conway (Robert De Niro, impeccable),
encore moins de leur boss Paul Cicero (Paul
Sorvino, impérial), mais bien du fou furieux
Tommy DeVito, incarné par un Joe Pesci aux antipodes du bouffon grimaçant de L’arme fatale 2
sorti un an plus tôt. Scorsese, qui avait déjà dirigé
Pesci dans le rôle du frère cadet de Jake LaMotta
(De Niro) dans Raging Bull, savait très bien de
quel bois se chauffait le petit nerveux. À savoir un
acteur à l’immense potentiel charismatique,
capable de passer en un clignement d’yeux d’un
rigolard facétieux à un psychopathe meurtrier
quasi animal. Talent indispensable pour pouvoir
incarner DeVito avec toute la crédibilité requise.
Tourné par Scorsese dans la foulée de La
dernière tentation du Christ, Les affranchis (probablement son meilleur film) adapte le livre documentaire Wiseguy de Nicolas Pileggi, inspiré de
la vie authentique du mafieux repenti Henry Hill,
entre 1955 et 1980. Le personnage de Tommy
DeVito est lui-même calqué sur un véritable truand :
Tommy “ Two-Gun ” DeSimone, réputé pour tuer
comme il respirait, parfois pour les motifs les plus
futiles. Dans son livre Gangsters and Goodfellas :
The Mob, Witness Protection, and Life on the
Run (2007), Hill décrit ainsi son ex-associé trépassé comme un “ pur psychopathe ” que les gens
cherchaient à éviter la plupart du temps :
“ DeSimone pouvait tuer quelqu’un juste parce
qu’il voulait essayer une nouvelle arme et avait
besoin d’une cible humaine ”. Selon Hill, l’interprétation de Joe Pesci est fidèle entre “ 90 et 95 %
à la réalité ”, la seule véritable différence concernant la carrure de l’acteur, nettement plus “ format
de poche ” que son modèle.
À l’écran, le choix de Pesci s’avère pourtant
payant au centuple : à chacune de ses apparitions,
il éclipse littéralement tout le reste du casting par
son invraisemblable abattage et ses vannes d’une
drôlerie sans nom. Quand Pesci-DeVito fait plier
de rire des convives avec ses souvenirs du gnouf,
on rit avec eux tant l’acteur manie la chute en
orfèvre. Mais lorsque sa logorrhée s’interrompt
brutalement parce qu’un misérable a prononcé le
mot de trop, son regard s’embrase d’une lueur démente aussi incontrôlable que la violence qui va
suivre. Et là, il fout salement les jetons, le nabot.
Avec lui, un banal accrochage se termine en
bain de sang : la haine et la rage qu’il déploie en
s’acharnant sur le corps ensanglanté de son rival
Billy Bats font d’autant plus froid dans le dos que
la scène est tirée d’un souvenir authentique. Tout
comme le meurtre de sang-froid du pauvre Spider
(Michael Imperioli, plus tard recruté par David
Chase dans Les Soprano, comme 80 % du casting
des Affranchis), abattu sans sommation par
DeVito pour une simple insulte.
Un monstre, Tommy DeVito ? Assurément. Et
pourtant, sa bonhomie, son affection pour sa mère
(jouée dans le film par la propre maman de
Scorsese) et son amitié fidèle pour Hill et Conway
parasitent toute antipathie radicale, telles de fragiles trouées d’humanité scintillant dans l’obscurité du fauve. Joe Pesci, qui remporta l’Oscar du
Meilleur second rôle masculin en 1991 pour cette
sidérante prestation, a fait plus que prêter ses traits
et son jeu à son alter ego : il en a écrit certaines
répliques, comme son inoubliable monologue
“ Funny How ? ”, pétrifiant sur place Ray Liotta,
peu à peu interloqué par la vraie-fausse colère piquée par DeVito. Joe Pesci ou l’art de faire basculer toute une tablée du rire au silence de mort, en
nous intimidant de concert avec le groupe avant
de tout désamorcer in extremis. Quoique… Une
grande performance pour l’un des plus grands
chefs-d’œuvre de Scorsese et dans la foulée, osons
l’excès, de toute l’histoire du cinéma.
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