L`Enchanteur de Barjavel, une réécriture

Transcription

L`Enchanteur de Barjavel, une réécriture
Ariane MANON
Master 1 Littérature
Année 2012-2013
L’Enchanteur de Barjavel,
une réécriture moderne du Conte du Graal
Introduction
Chrétien de Troyes est un très connu auteur du XIIe siècle qui a écrit plusieurs
romans concernant la cour du roi Arthur, prônant la chevalerie et l’amour courtois, comme Erec et
Enide ou encore le Chevalier à la charrette.
C’est Chrétien de Troyes qui a également inventé le mythe du Graal. Il l’a d’ailleurs
annoncé magistralement en donnant son roman le nom de Conte du Graal, plutôt que de lui donner
le nom du héros comme dans les romans précédents. Jamais l’auteur n’avait fait encore mention du
Graal et celui-ci apparaît presque brutalement à Perceval qui ne le cherchait tout d’abord pas.
Chrétien de Troyes a donc laissé inachevé un conte du graal et non une quête du Graal. En effet,
intrigué par le graal et cette histoire non terminée, de nombreux auteurs continueront le livre, le
transformant en quête du graal. Ainsi, dès les premières continuations de Chrétien de Troyes, le
Graal prend une dimension très symbolique et toute la cour du Roi Arthur part à sa recherche. Selon
les idées de certains auteurs postérieurs à Chrétien de Troyes, le roi Arthur lui-même n’aurait pu
monter sur le trône et régner uniquement parce qu’il avait cette quête à réussir. La fondation de la
Table Ronde est également liée à cette quête, idée totalement absente dans l’œuvre de Chrétien de
Troyes.
De nombreuses reprises du mythe ont été faites, par des continuateurs succédant directement
à Chrétien de Troyes, puis prenant plus de liberté en apportant leurs propres interprétations.
Ainsi, on peut se demander quelle vision du mythe du Graal peut avoir un auteur du XXème
siècle, après près de dix siècles de traditions orales et de littérature.
En effet, de Chrétien de Troyes aux continuateurs, de nombreux détails ont changé, ont
évolué. Avec la littérature contemporaine, les auteurs se permettent à leur tour de revisiter le mythe
du graal et les histoires de la table ronde, apportant à leur tour changement, tout en gardant une
certaine identité propre aux récits arthuriens.
Il est donc nécessaire de redéfinir ici ce qu'est ce Graal dont parle les textes médiévaux. Le
graal aurait pour étymologie le mot latin cratella qui signifie le vase. Mais dans ses autres formes
trouvées dans différents textes, on remarque que grial, greal, gradale, désignent plutôt un plat de
service utilisé dans les nobles maisonnées. Le graal est aussi interprétée comme une pierre
incandescente dans certains textes. Quant à son origine mythique, il est parfois rapproché d'une
corne d'abondance ou du chaudron de Dagda grâce à son rôle nourricier auprès du roi méhaigné.
Mais l'origine chrétienne est celle qui prime, transformant ce plat en vase qui a recueilli le sang du
Christ et qui a été emmené par Joseph d'Armimathie en Bretagne.
Ainsi, dans ce travail, nous étudierons l’Enchanteur de Barjavel. Cet auteur est né au début
du XXe siècle et mort dans les années 1980. Il a donc parcouru le siècle, ses guerres et ses
révolutions industrielles, ce qui est extrêmement sensible dans sa littérature. Auteur de grands
romans de science-fiction comme La Nuit des Temps ou Ravage, Barjavel avait dépeint la société du
XXIème siècle avec une incroyable justesse. Passionné par la littérature médiévale, il a également
choisi d’écrire un roman sur la matière arthurienne L’Enchanteur, donnant la parole à Merlin. Nous
nous intéresserons particulièrement à la place du Graal dans cette œuvre, la comparant avec le
Conte du Graal de Chrétien de Troyes, le Merlin de Robert de Boron, et plusieurs autres passages
des continuations.
Dans une première partie, nous verrons que Barjavel a gardé une vision très proche de la
littérature médiévale pour rapporter les contes d’antan. Puis, nous étudierons les interprétations qui
diffèrent de Chrétien de Troyes, en recherchant leurs sources dans les continuations plus tardives et
verrons la façon dont Barjavel les a exploitées. Enfin, nous analyserons le but qu’avait l’auteur du
XXème siècle en écrivant ce roman.
I/ Une vision fidèle mais moderne
Dans son roman, Barjavel reste très fidèle aux textes médiévaux. En effet, comme
nous allons le voir, la scène du graal proposée par l’auteur français contemporain est très fidèle à la
scène décrite par Chrétien de Troyes. Mais le nom même de l’œuvre « L’Enchanteur », montre un
déplacement dans les points de vue, puisque le Conte du Graal se nomme également Perceval et
Gauvain a un rôle important, mais Merlin n’y fait quant à lui aucune apparition. Concernant Merlin,
Barjavel s’est donc plutôt inspiré du Merlin de Boron, racontant la vie de l’enchanteur qui apparaît
en filigrane de tous les romans arthuriens. Nous allons donc étudier dans cette partie la réécriture de
Barjavel, s'appuyant sur la phrase de Jean Frappier :
« chacun finit par se faire à son usage personnel, du Graal et du
Saint-Graal, un univers ou même une cosmologie, une nébuleuse à
l'occasion »1
A/ Une Réécriture fidèle
1/ Une Ambiance en accord avec les attentes des lecteurs
Ce qui est frappant dans le roman de Barjavel, c’est que les thèmes, les personnalités
des personnages et leurs actions sont très semblables aux descriptions faites par Chrétien de Troyes,
alors même que l’écriture est beaucoup plus enlevée. En effet, Barjavel écrit au XXème siècle et
comme l’enchanteur, il a pu voir ce que l’avenir réservait aux personnages, plongés dans leur
temps. Ainsi, des références anachroniques sont faites, jouant sur le fait que Merlin peut connaître
l’avenir, pas forcément le sien ou celui de ses proches, mais en tout cas celui de l’humanité.
La première description de Perceval dans le Conte du Graal montre un jeune homme naïf et
avec un grand coeur, vers 83 :
« Ensi en la forest s'en entre.
Tot maintenant li cuers do ventre
Por lo dous tanz li resjoï
Et por lo chant que il oï
Des oisiaus qui joie faisoient.
Totes ces choses li plaisoient. »2
Dans l'Enchanteur de Barjavel, on a une description assez semblable, mais le personnage est
observé au travers des yeux de Merlin :
« Merlin souriait en pensant à lui. Il le voyait, pressé d'arriver,
pressant son cheval dans la campagne couverte de neige, riant
d'excitation, mordant le vent de ses dents éclatantes, naïf, ignorant de
tout, tout neuf... Il arrivait juste à temps. »3
La même joie, la même naïveté se dégage des deux descriptions, l'effet d'attente est néanmoins plus
accentué dans la réécriture. En effet, Chrétien de Troyes présente à ses lecteurs un nouveau
personnage. Si celui-ci n'est pas encore chevalier, son public attend qu'il le devienne, pensant
trouver un autre chevalier courtois, un peu comme Lancelot, Yvain ou Erec qui étaient les héros des
romans précédents. Mais justement, Chrétien de Troyes créé la surprise avec ce personnage qui sera
1 Jean FRAPPIER, Autour du Graal, Genève (Suisse), Droz, 1977, 405p.
2 Chrétien de Troyes, Le Conte du Graal, trad C. Méla, Lettres Gothiques, Librairie Générale Française, 1990, 640p
3L’Enchanteur, Barjavel, Collection Folio, Denoël, 1984, 471p
mis en contraste avec Gauvain. Au Moyen-âge, il y a un vrai effet de surprise. Mais à l'époque
contemporaine, Perceval est connu pour être un jeune homme naïf, tous les lecteurs contemporains
ont en mémoire sa rencontre avec les chevaliers qu'il prend pour des anges, la façon dont il arrache
l'anneau à la jeune fille en essayant de suivre les conseils de sa mère ou de se taire au château du
Graal. Barjavel assume donc l'effet d'attente que les lecteurs ont sur le personnage, le mettant à la
fois en valeur avec la répétition du verbe « presser ». La phrase « Il arrivait juste à temps » place la
quête du Graal dans une temporalité. La quête a commencé dès la naissance de Merlin. Celui-ci, en
tant que fils du diable, ne pouvait évidemment pas trouver le graal, mais c'était sa mission de
trouver et d'aider les chevaliers qui peuvent réussir la quête.
Dans le Conte du Graal, il n'y a pas cette idée de fin qui clôt la quête du graal, l'idée de cette fin du
monde arthurien lorsque quelqu'un trouvera le graal. Cette idée a été amenée avec les continuations
de Chrétien de Troyes. Reprise par Barjavel, il sait que ses lecteurs attendent une fin. L'auteur
propose donc une origine au Graal, le début d'une quête, les recherches des chevaliers jusqu'à la fin
de la quête avec la découverte du Graal et la mort des personnages.
2/ Une Translatio moderne
Au Moyen-âge, la conception d'invention était proscrite, puisque le seul créateur est
Dieu. Les clercs s'attachait à traduire des textes latins, parfois en rajoutant leurs commentaires,
comme dans l'Ovide moralisé, repris des Métamorphoses d'Ovide. Les contes de la table ronde sont
donc repris de la matière de Bretagne. Devenue matière arthurienne de nos jours, elle est toujours
une grande source d'inspiration, en particulier grâce à Chrétien de Troyes, qui en laissant inachevé
le Conte du Graal a donné involontairement une grande place au mystère et à l'imagination.
Le texte de Barjavel s'inscrit dans cette tradition et pourrait s'apparenter lui aussi à une
translatio. En effet, les événements sont repris de façon très fidèle, parfois presque littérale, mais
adaptés aux lecteurs modernes. Barjavel n'hésite pas à rajouter sa personnalité d'auteur, créant un
roman fidèle, mais légèrement modifié comme cela pouvait être fait au moyen-âge.
En choisissant Merlin comme narrateur, un personnage qui traverse le temps sans vieillir,
Barjavel ne réécrit pas simplement le Conte du Graal, mais prend en compte les autres textes qui
ont suivi ce conte et qui l'entoure temporellement. Ainsi, il y a de nombreuses références au Joseph
d'Arimathie, qui donne une légitimité au Graal, le Merlin, évidemment, mais également les autres
continuations, qui clôt la quête du Graal et la Mort du Roi Arthur qui finit le cycle arthurien. Ces
nombreux textes médiévaux sont donc à prendre en compte en lisant l'Enchanteur de Barjavel.
Ainsi, la conception de Merlin reprend le Merlin de Robert de Boron qui s'ouvre sur ces
phrases :
« Mout fu iriezli annemis quant Nostre Sire ot esté en Enfer et il en ot
gité Adan et Eve et des autres tant com il plot. »
De la même manière, Barjavel commence l'un de ces premiers chapitres par ces mots :
« Furieux, le Diable l’était de plus en plus, car malgré l’aide des
moines et des prêtres qui allongeaient chaque jour la liste des fautes
impardonnables, son enfer restait vide. Totalement vide. Jésus
pardonnait !... »4
On retrouve donc quasiment la même phrase, même si les prêtres ne sont évidemment accusés de
rien, ce qui serait un contre-sens anachronique pour l’époque.
Une fois Merlin conçu, Dieu vient lui parler. Dans le Merlin médiévale, se serait
particulièrement étrange d’avoir une vraie conversation, mais Barjavel explique l’enjeu de la
discussion en y amenant de l’humour :
« Dieu l’appela :
Tu m’entends, petit.
4L’Enchanteur, Barjavel, Collection Folio, Denoël, 1984, 471p
Oui, Dieu.
Tu sais qui t’a fait ?
Oui, Dieu.
[…]
On se rend compte, par ce dialogue, que le futur enfant ne disposait
pas encore d’un grand vocabulaire. Mais le lendemain il savait le
latin, le grec, l’araméen et le chaldéen, et le jour d’après tous les
mots du chinois. Aucun chinois n’en sait autant. »5
On voit donc ici un jeu entre un dialogue minimaliste de Dieu avec Merlin, puis la somme des
connaissances que l’enfant va bientôt apprendre, avec encore une touche humoristique en parlant
des chinois dont les écrivains médiévaux ne connaissaient pas l’existence et une accentuation,
montrant ici que la langue la plus difficile de toutes, mais que le fœtus la connaissait parfaitement à
son troisième jour inter-utérin.
Par la suite, Barjavel reprend toutes les péripéties qui arrivent à Merlin dans le texte de Robert de
Boron jusqu’à ce que l’enchanteur devienne le personnage puissant et mythique qui aide les
chevaliers à trouver le graal.
3/ L’arrivée au château graal et la figure du roi pêcheur
La cérémonie du graal dans Chrétien de Troyes semble survenir par hasard. En effet,
au détour d’un chemin, alors qu’il ne recherche rien de précis, Perceval rencontre le roi pêcheur et
suivant ses indications découvre un château qui semble avoir jailli du sol.
« C'est ainsi qu'il n'y a pas encore de « quête du graal » chez
Chrétien, car le héros ignore jusqu'à l'existence de cete objet; il le
rencontre par hasard. »6
Au contraire, comme dans les continuations, on voit chez Barjavel un glissement du conte
du graal devenant une quête du graal. Perceval sait déjà ce qu’il doit chercher, ainsi que le souligne
Barjavel :
« Enfin ! s’écria Perceval. Je le cherche depuis des années ! C’est
bien ici que se garde le… »
Le Roi pêcheur a donc un rôle important dans la quête du graal. Présenté par Chrétien de Troyes
comme un vieil homme, blessé, qui ne peut plus se servir de ses jambes, il pêche sur une barque,
sans ne jamais rien attrapé. Il guide également les chevaliers perdus jusqu'au château du graal,
faisant ici référence au passeur de la mythologie gréco-romaine, Charron, qui menait les morts dans
l'autre monde.
Dans le Conte du Graal, on comprend par la suite les liens de parenté qu'il y a entre Perceval
et le roi pêcheur, le lien entre la forêt gaste et le château du graal vers 6339 :
« Cil cui l'an en sert est mes frere,
Ma suer et soe fu ta mere,
Et del Riche Pescheor croi
Que del graal servir se fet. »7
5L’Enchanteur, Barjavel, Collection Folio, Denoël, 1984, 471p
6 P. WALTER, Chrétien de Troyes, chap VIII-Conte du graal, II-Le Graal, p 106-107, Que sais-je ? PUF, Paris, 1997,
127p
7 Chrétien de Troyes, Le Conte du Graal, trad C. Méla, Lettres Gothiques, Librairie Générale Française, 1990, 640p
B/ La Cérémonie du Graal
1/ Le Déroulement de la cérémonie...
a/ … dans Chrétien de Troyes
Dans le Conte du Graal, deux personnages voyagent parallèlement, Perceval et
Gauvain. Pourtant, le conte ayant été laissé inachevé, la partie concernant Perceval est plus
importante, avec un point culminant au château du graal. La cérémonie est en effet très décrite et il
y en a plusieurs références dans toute la suite du roman. À notre époque, la partie concernant
Gauvain est plutôt oubliée, d'autant plus qu'il n'arrive pas au château du graal, contrairement aux
continuations.
Le déroulement de la cérémonie est très important, les choix faits proposent une symbolique
différente selon les auteurs. Il est donc intéressant d'étudier la première scène du Graal, présente
chez Chrétien de Troyes pour en comprendre les grands thèmes et les influences qu'elle a pu donné
par la suite.
Perceval est donc convié à un repas et lors de celui-ci, ils assistent à une étrange cérémonie.
Plusieurs jeunes gens passent devant lui, portant des objets merveilleux dans leurs mains, avant de
disparaître dans la pièce d’à côté. Le premier porte une lance dont coule une goutte de sang, vers
3136 :
« Anpoigniee par lo milieu
[…]
La lance blanche et lo fer blanc,
s’an ist une goute de sanc
Do fer de la lance an somet,
Et jusqu’à la main au vallet
Corroit cele goute vermoille. »8
Puis, plusieurs autres jeunes hommes passent devant Perceval, portant quant à lui des chandeliers,
vers 3151 :
« Atant dui autre vallet vinrent,
Qui chandeliers en lor mains tindrent
De fin or, ovrez a neel.
Li vallet estoient molt bel
Qui les chandeliers aportoient.
En chascun chandelier ardoient
Dis chandoilles a tot lo meins. »9
C’est ensuite au tour d’une demoiselle d’apporter ce qui est devenu par la suite le plus important
objet de la cérémonie, le graal, objet d'orfévrerie associé à la lumière, vers 3158 :
« Un graal entre ses II meins
Une damoisele tenoit,
Qui aviau les venoit,
Et bele et gente et bien senee,
Quant ele fu leianz antree
Atot lo graal qu’ele tient,
Une si grant clartez i vint
Qu’ausin perdirent les chandoilles
Lor clarté comme les estoilles
8 Chrétien de Troyes, Le Conte du Graal, trad C. Méla, Lettres Gothiques, Librairie Générale Française, 1990, 640p
9 Chrétien de Troyes, Le Conte du Graal, trad C. Méla, Lettres Gothiques, Librairie Générale Française, 1990, 640p
Qant li solaux luist o la lune. »10
Et enfin une dernière demoiselle clôt le cortège avec un objet qui sera souvent oublié des
continuateurs, le tailloir d’argent, vers 3168 :
« Après celi en revint une
Qui tint un tailleor d’argent. »11
Ces objets ont donc une grande importance. Certains seront repris dans les continuations, d'autres
seront enlevés de la scène du Graal, mais seront gardés dans la quête, comme la lance qui saigne. Le
tailloir d'argent sera quant à lui généralement oublié.
Durant le passage du cortège, Perceval se pose des questions, mais n’ose les formuler à voix
haute, vers 3140 à 3149 et une seconde fois un peu plus tard 3181 :
« Et li vallez les vit passer,
Si n’osa mie demander
Do graal cui l’an en servoit,
Que toz jorz an son cuer avoit
La parole au prodome saige. »12
Pourtant, l’auteur explique qu’il aurait dû prendre la parole, vers 3186 :
« Si crient qu’il n’i ait domaige
Po ce qu’il l’a oï retraire,
Ansin bien se puet en trop traire
Con trop parler a la foiee.
O bien li praigne o mal li siee,
Ne lor anquiert ne ne demande. »
Et vers 3228 :
« Et li graaux andemantiers
Par devantes retrespasa,
Ne li vallez ne demanda
Do graal cui l’en an servoit. »13
En effet, les habitants du château semblent faire de leur mieux pour susciter l’attention et la
curiosité de Perceval, amenant devant lui des objets extraordinaires, tandis que le graal repasse
devant le jeune chevalier, lui donnant une nouvelle chance de prendre la parole.
Plusieurs éléments sont importants dans cette scène de cortège, puisqu’ils ont été parfois
repris par les continuateurs ou au contraire tombé dans l’oubli. On peut donc noter ce qu’il sera
nécessaire de rechercher dans les textes plus récents jusqu’à celui qui nous intéresse, l’Enchanteur
de Barjavel : les quatre objets qui passent dans le cortège, en s’attardant bien évidemment plus sur
la lance qui saigne et le graal ; la présence de la lumière et de l’éclat des pierres précieuses ; et le
fait que Perceval ne prenne pas la parole.
b/ … dans le Lancelot en prose
La cérémonie vécue par Gauvain dans le Lancelot en prose propose quelques
différences. On peut tout d’abord noter l’apparition d’un autre objet qui précède le cortège : un
encensoir qui remplit la salle d’odeurs délicieuses. On voit donc bien que la cérémonie a été
christianisée. Ce même encensoir, porté par un pigeon blanc (référence à la colombe blanche,
symbole de l'Esprit Saint) se retrouvera dans chacune des cérémonies de l'Enchanteur.
Puis le cortège passe, mais il n’est composé que d’une seule demoiselle qui porte le graal. Comme
dans le Conte du Graal, Gauvain est plus captivé par la jeune fille que par l’objet qu’elle porte, ce
qui l’empêchera de trouver le graal :
10
11
12
13
Chrétien de Troyes, Le Conte du Graal, trad C. Méla, Lettres Gothiques, Librairie Générale Française, 1990, 640p
Chrétien de Troyes, Le Conte du Graal, trad C. Méla, Lettres Gothiques, Librairie Générale Française, 1990, 640p
Chrétien de Troyes, Le Conte du Graal, trad C. Méla, Lettres Gothiques, Librairie Générale Française, 1990, 640p
Chrétien de Troyes, Le Conte du Graal, trad C. Méla, Lettres Gothiques, Librairie Générale Française, 1990, 640p
« messire Gauvain vit issir de la chambre ou li colons estoit entrés
une damoisele, la plus bele qu’il onques mes eust veue jor de sa vie, et
sans faille c’estoit la plus bele qui lors fust ne qui puis nasquist. »
c/ Un Cortège qui sollicite les sens
Dans l’Enchanteur, la cérémonie que voit Perceval se déroule en plusieurs étapes, s’attardant
sur les différents sens un à un :
Tout d’abord c’est la vue qui est sollicitée avec la description d’une pièce très éclairée (p 208) :
« Et Perceval se trouva tout à coup assis à une table ronde, dans une
pièce brillamment éclairée, bien qu’il n’y eût d’allumé qu’une seule
chandelle posée au milieu de la table »14
C’est ensuite le sens de l’odorat qui est sollicité, reprenant comme dans le Lancelot l’apparition
d’un encensoir :
« Il tenait dans son bec un chaînette d’argent à laquelle était
suspendue une cassolette d’où se répandait un parfum qui gonflait le
cœur et le soulageait de ses peines. »15
Le cortège arrive, composé de nombreuses demoiselles, mais au lieu de porter des objets sacrés,
hormis la septième et dernière qui porte le graal, elles jouent de la musique, sollicitant l’ouïe de
Perceval :
« six jeunes filles vêtues de blanc jouant du luth, de la harpe et de la
flûte »16
Le graal passe et la table se remplit de mets dont l’odeur est alléchante, comme dans le Conte du
Graal. Néanmoins, Perceval est privé du sens du goût puisqu’il n’a pas posé de question.
On voit ici qu'une christianisation du motif a été effectuée. En effet, la scène semble éthérée ( une
grande présence du blanc, une odeur pure et délicieuse, de la musique) et fait donc penser au
paradis. Dans l'iconographie religieuse, les anges sont souvent vêtus de blancs et jouent de la harpe.
Dans cette scène, on a donc plus l'impression d'être dans un château mystérieux où vivent des rois
blessés, mais dans un paradis qui attend son élu.
Il n’en va pas de même pour la cérémonie de Gauvain. En effet celui-ci est amené au
château du graal, mais s’il peut assister à la cérémonie, le roi pêcheur connaissait son identité et
savait qu’il ne pourrait réussir. Il lui laisse donc voir toute la beauté de la cérémonie, insistant sur
les odeurs suaves « une cassolette qui répandait un parfum suave » et la luminosité très pâle de la
scène « un linge blanc le recouvrait, d’une blancheur si blanche qu’il semblait tissé de lumière ».
Contrairement au Conte du Graal et au Lancelot, le graal flotte dans l’air, Gauvain ne peut donc être
distrait par une belle demoiselle, mais ses pêchés de luxure antérieur le feront tout de même
échouer : « Toi le chevalier plus couvert de péchés qu’un pestiféré de pustules ! ». A partir de cette
phrase, l'ambiance change. On a l'impression de voir l'horrible réalité qui se cachait sous cette
apparence de paradis. Le décors devient plus horrifique, déjà annoncé par « l’odeur horrible de la
blessure du mehaigné » qui avait contrasté avec la pureté de l’avancée du graal. Mais cette fois, il
n’y a nul point positif puisque Gauvain « recula avec un hoquet de dégoût » devant le plat de
« crapaud pourri » qui lui est servi. De nombreux termes sont négatifs dans la suite du texte, alors
que le château a disparu : « galeuse », « demi écroulées », « haillonneux », « l’insultait »,
« trognons de choux, de carottes pourries » etc… Contrairement à Eriu, la souveraineté d'Irlande,
on ne passe pas d'une apparence hideuse à une belle demoiselle, le chemin effectué ici est l'inverse.
Il représente également Gauvain, qui paraît être le chevalier valeureux et courtois en apparence,
mais qui aux yeux de la religion n'est que péchés et luxure, l'empêchant de pouvoir être l'élu.
14L’Enchanteur, Barjavel, Collection Folio, Denoël, 1984, 471p
15L’Enchanteur, Barjavel, Collection Folio, Denoël, 1984, 471p
16L’Enchanteur, Barjavel, Collection Folio, Denoël, 1984, 471p
Mais une nouvelle fois la scène s’efface puisqu’il se retrouve près de son écuyer endormi.
Ici, le monde féérique s'apparent au rêve, qui comme souvent, tourne rapidement au cauchemar,
ajoutant une multitude de détails déplaisants.
Ainsi que nous pouvons le voir dans le tableau récapitulatif qui suit, seul le Graal est une
constante dans les cérémonies. La lance qui saigne est souvent dissociée de la cérémonie et se
retrouve plus tard dans les romans. Le cortège se compose lui aussi de manière différente. Si le plus
souvent des jeunes filles portent le Graal, il a parfois le pouvoir de léviter. Le nombre des
participants au cortège varie également, même au sein d'un même roman comme dans l'Enchanteur,
puisqu'il y a sept jeunes filles pour Perceval, aucune pour Gauvain, et douze pour Lancelot et
Galaad.
C/ Les Personnages et le Graal
Dans le Conte du Graal, Perceval échoue à cette épreuve du Graal. Différents
personnages, ermite ou jeune fille, lui donne peu à peu des indices sur la cérémonie et ce qu'il fallait
faire. Perceval comprend alors son erreur et tente de la réparer. Même si on ne peut pas en être sûr,
on sent que dans le roman de Chrétien Troyes le personnage qui s'est repenti pourrait accéder à une
nouvelle chance. Au contraire, dans toutes les continuations, il n'est possible de voir le Graal qu'une
fois et celui qui ne correspond pas aux attentes sera définitivement chassé, ne pouvant obtenir une
seconde chance, puisqu'un seul élu est attendu. Comme dans les continuations, Barjavel fait passer
l'épreuve du graal à plusieurs chevaliers, jusqu'à Galaad, personnage inventé tardivement, qui est
l'Elu attendu.
Ainsi, on peut reprendre le schéma de XXX qui explique les manières différentes dont les
héros échouent à trouver le graal et où il se trouve par rapport à eux :
Dans le texte de Barjavel, un lecteur averti comprend que Perceval va échouer et la cause de
son échec dès la rencontre avec le roi pêcheur. En effet, la première question qui est posée amène
une réponse évidente de la part du roi pêcheur, faisant regretter à Perceval d'avoir parlé :
« Et il regretta d’avoir posé une question de pure curiosité, alors que
sa mère lui avait bien recommandé de n’en rien faire. »17
Il se permet néanmoins une autre question, pour demander son chemin. Le roi lui ayant répondu, il
veut alors poser une autre question, mais ce retient, jugeant qu’il s’agit là de « pure curiosité ».
Perceval se retrouve alors directement dans la salle du graal où le roi pêcheur l’attend depuis « une
semaine ». La temporalité est ici distendue, en tout cas, le roi infirme est allé bien plus vite que
Perceval qui a été déplacé instantanément, montrant qu’il appartient à l’autre monde. C’est ensuite
le roi Pêcheur en personne qui lui dit la raison de son échec
« Il fallait demander ! Il fallait demander !... »18
Le château disparait ensuite aussi vite qu’il est apparu.
17L’Enchanteur, Barjavel, Collection Folio, Denoël, 1984, 471p
18L’Enchanteur, Barjavel, Collection Folio, Denoël, 1984, 471p
Gauvain, quant à lui, demande aussi l’aide du roi pêcheur pour trouver son chemin, mais se
permet plus de questions, offrant un jeu de questions réponses avec le roi. C’est également celui-ci
qui lui révèlera la cause de son échec tandis que le château disparaîtra.
Pour Lancelot, cela sera encore une fois très semblable (la rencontre avec le roi pêcheur, le
début de la cérémonie), mais également différent. En effet, chaque personnage est présenté comme
un potentiel élu (Arthur le premier, nous y reviendrons), mais leurs différents péchés, à chaque fois
parfaitement identifié, les feront faillir. Ainsi, alors que le roi Arthur ne semble pas avoir un grand
rôle dans la quête du graal alors qu'il la commande lui-même à ses chevaliers, est envisagé par
Barjavel, révélant ce qu'il en est de lui : en ayant couché (même par erreur) avec sa demie-soeur, il
est devenu impur pour cette tâche et ne pourrait jamais trouvé le château.
Dans cette partie, nous avons vu que Barjavel s'inscrivait dans la lignée des auteurs
médiévaux, à qui il dédie en effet ce roman :
« aux bardes, conteurs, troubadours, trouvères, poètes, écrivains, qui
depuis deux mille ans ont chanté, raconté, écrit l'histoire des grands
guerriers brutaux et naïfs et de leurs Dames qui étaient les plus belles
du monde, et célébré les exploits, les amours et les sortilèges. »19
Nous verrons dans la partie suivante la manière dont cet auteur réinterprète donc la scène du Graal.
19L’Enchanteur, Barjavel, Collection Folio, Denoël, 1984, 471p
II/ Le Graal et ses interprétations
Même si Barjavel reprend fidèlement le Conte du Graal de Chrétien de Troyes, il
n’oublie pas qu’il est un auteur du XXème siècle réécrivant un texte vieux de plusieurs siècles. Il ne
fait donc pas une simple réécriture, ce qui n’est plus à la mode de nos jours contrairement au
moyen-âge et ses lecteurs attendant de la nouveauté, il donne donc une interprétation personnelle de
ces légendes.
A/ L’origine du Graal
L’une des questions qu’aurait dû poser Perceval concernait la nature du Graal.
Malgré les réponses données par les ermites et se cousine, on ne peut se faire qu’une idée très vague
de ce qu’est réellement le graal et d’où il vient.
Les continuateurs proposent donc différentes explications et les auteurs contemporains feront de
même, chercheurs ou romanciers.
Néanmoins, à partir de la première continuation, il semble acquis que le Graal soit la coupe
qui ait recueilli le sang de Jésus. Le nom de Joseph d’Arimathie apparaissant dans les textes
religieux prend alors une place importante dans la littérature.
Dans la première continuation, on trouve donc l’explication de ce qu’est le graal, vers 7497 :
« Bien en doit avoir le pooir,
car c’est icil Graaus por voir
Que nostre Sire tant ama
Que il de son sanc l’onora
Au jor que il fu en crois mis »
Et vers 7510 :
« Josep qui tant fist a loër,
Otot le Graal c’ot fait faire
Vint errant el mont [d]e Cauvaire
La u Dex ert crucefiiés. »
Dans le Joseph d’Arimathie attribué à Robert de Boron, on retrouve cette explication, ainsi que
toutes les pérégrinations du graal, qui devra être trouvé en Bretagne, par « le troisième homme »
après Joseph d’Arimathie.
Dans les réécritures modernes et les recherches contemporaines, le graal reste donc la coupe
qui a recueilli le sang du graal. Pour certains, le graal est également un objet mythologique celtique,
représentant la corne ou le chaudron d’abondance, car le graal a le pouvoir de nourrir une multitude
de personnes sans jamais se vider. Mais d’autres voient également dans ce cortège une cérémonie
liée à la fécondité (le graal nourricier allant lui aussi dans ce sens) avec une opposition des genres
masculins et féminins. La lance devient alors un objet phallique (d’autant plus qu’elle a blessé le roi
méhaigné entre les hanches) et le graal un objet féminin. Cette théorie est par exemple exploitée
dans le célèbre Da Vinci Code.
Barjavel consacre lui aussi deux pages entières à la création du graal, non lorsque les héros ont
trouvé le château du graal, mais bien avant, alors qu’Arthur se bat encore pour le trône.
Il retrace donc l’histoire de l’objet, lui donnant directement des origines divines puisque
c’est Eve, se réveillant au paradis qui la crée avec de la terre glaise afin de soigner Adam :
« Eve confectionna une coupe avec une poignée de glaise, et y
recueillit le sang d’Adam. La glaise but le sang du blessé, et la
blessure se ferma. »20
Par la suite, la coupe sera utilisée pour cueillir des fruits. Elle a donc le même rôle qu’elle tiendra
par la suite dans le monde des humains : recueillir le sang du Christ :
« C’est dans la même coupe que Joseph d’Arimathie recueillit le sang
de Jésus blessé d’un coup de lance pendant son agonie en croix ».21
Le voyage de la coupe est lié au merveilleux. Lorsqu’elle arrive dans le monde humain, une fois
Adam et Eve chassés du paradis, elle est brisée, avant d’être ressoudée (comme devra l’être l’épée
brisée) et est liée au sang et aux blessures. Le voyage de Joseph d’Arimathie, ainsi qu’il est décrit
par Barjavel est également intéressant puisqu’
« il étendit sur l’eau sa chemise qui flotta. Il invita son père à y
monter, ce que le vieil homme fit hardiment, et la chemise ne s’enfonça
pas. […] et la chemise fut obligée de s’agrandir, car la famille
comptait cent cinquante personnes. […] Alors la chemise se mit à
voguer et aborda peu après sur une côte »22
On retrouve ici le thème de la nef faé qui se dirige seule et amène les héros à bon port. Pourtant, elle
est ici réduite à son plus strict élément, puisque seule la voile blanche est présente, formée par la
chemise qui sert alors de barque. On voit donc là une transformation du thème, puisque ce n’est pas
une nef faé qui amène le graal en Angleterre, mais un miracle chrétien.
Barjavel fait également parlé Merlin à la place des ermites, pour expliquer à quoi sert le
Graal, donnant une explication non plus sur son origine, mais sur l'utilité de la quête.
« Mais qu'y a-t-il dans ce Graal ? Demanda Kou en frappant sa table
du plat de la main.
Voilà justement la question que devra poser le chevalier qui aura
découvert le Château Aventureux, qui y sera entré, et à qui le Graal
aura été présenté sous son voile. Je ne peux répondre à la question.
Seul connaîtra la réponse celui qui sera invité à regarder dans la
Coupe. Ce que je n'ai pas été admis à faire. Ce que je peux vous dire,
c'est que le Graal, même dissimulé dans son château introuvable, sert
à l'équilibre du monde. Et qu'il est nécessaire de temps en temps,
quand cet équilibre est menacé, un homme pur, courageux, chaste,
juste et servant Dieu, le cherche, le trouve et regarde l'ineffable vérité
contenue dans la Coupe. Alors l'ensemble des hommes retrouve des
forces pour continuer son chemin difficile. »23
Si Merlin ne sait pas ce qu'il y a réellement dans le Graal, c'est aussi parce que la réponse ne
semble pas être ce qu'il y a de plus important pour l'humanité. En effet, le Graal semble être ici un
objet divin, régulateur de l'humanité, poussant les hommes au meilleur d'eux-mêmes, une épreuve
divine envoyée pour rétablir un ordre menacé.
B/ Les différents personnages et leur rapport au Graal
Ainsi que nous l’avons déjà dit plusieurs fois, le Conte du Graal n’est pas une quête
du Graal. Seul Perceval trouve le château, tout à fait par hasard et Gauvain est mené sur une autre
quête, dans un autre château. Mais intrigué par cet objet merveilleux qui apparaît pour la première
fois dans un texte romanesque, les continuateurs en ont fait une quête qui mènera tous les chevaliers
principaux de la table ronde à entrer dans le château du graal.
Ainsi, Lancelot est l'un des personnage qui parviendra également au château du graal. Mais
20L’Enchanteur, Barjavel, Collection Folio, Denoël, 1984, 471p
21L’Enchanteur, Barjavel, Collection Folio, Denoël, 1984, 471p
22L’Enchanteur, Barjavel, Collection Folio, Denoël, 1984, 471p
23L’Enchanteur, Barjavel, Collection Folio, Denoël, 1984, 471p
comme les autres il échouera, puisqu’il est plus dédié à son amour pour Guenièvre plutôt qu’à Dieu.
Sa venue est néanmoins devenue nécessaire dans de nombreux textes, puisque c’est au château du
Graal qu’il rencontrera Elwenn, ou Hélène, qui se fera passée pour Guenièvre et mettra au monde
Galaad, le seul chevalier qui pourra trouver le Graal.
Barjavel reprend donc également cette idée, alors que de nombreux auteurs récents placent
la conception de Galaad ailleurs que dans le château Aventureux.
Ce qui est intéressant, présenté dans certains textes médiévaux, mais accentué ici, c'est que Lancelot
était prédestiné à être l'élu. Il se nomme en réalité Galaad, mais par ses péchés de luxure, il ne sera
jamais digne de son vrai nom qu'il transmettra donc à son fils. Ainsi, Barjavel explique bien
comment l'enfant doit être élevé par Viviane, et, clôt dans un monde de femmes, comme Perceval
avec sa mère, être éduqué tout en restant chaste.
Comme les autres personnages, c’est en quittant en château que Lancelot trouve celui du
graal, étrangement semblable à celui dont il s’éloigne, le faisant se questionner une première fois.
Lancelot arrive donc dans le château du graal et a exactement le comportement qu’il faut, posant
encore une fois les bonnes questions au bon moment :
« C’est la bonne question, dit Merlin, satisfait »24
qui regarde la scène d’ailleurs, surveillant avec Viviane leur protégé.
Lancelot doit donc soulever le voile du graal, qui recouvre également la jeune fille qui le porte.
Mais il échoue à son tour, car comme Gauvain dans les textes médiévaux, ce n’est pas le graal qu’il
voit, mais la jeune fille qu’il confond avec Guenièvre, sa maîtresse adultère :
« C’est perdu !..., dit Merlin.
Mais que lui est-il arrivé ? dit Viviane stupéfaite. Celle qui tient le
vase, c’est Elwenn, la fille du roi Pellès. Pourquoi lui a-t-elle produit
un tel effet ?
Ce n’est pas Elwenn qu’il a vue, dit Merlin. »25
Ce n’est qu’à la page suivante qu’on comprend la raison de cet échec, orchestré par le roi pêcheur
qui met le chevalier à l’épreuve :
« Ce n’était pas le Diable, c’était le Riche Pêcheur qui avait tout
élaboré. Sa fille Elwenn était jeune, belle et vierge. Elle avait accepté
que son père lui donnât l’apparence de Guenièvre, afin que fût révélé
à Lancelot, au moment suprême, quel désir était le plus fort en lui. »26
On peut voir ici, que sans la transformation, Lancelot aurait probablement réussi l’épreuve. Il
semble donc étrange que le roi pêcheur repousse l’échéance, pourtant, on en connaît les raisons
quelques pages plus loin : cette nuit-là a été conçu Galaad. Fils d’une vierge et d’un chevalier
adultère, pleins de pêché, il devient, à l’image de Merlin, un homme de Dieu, toujours chaste et pur.
Dans les continuations, la scène du graal se répète plusieurs fois, mais tous les chevaliers
sont alors en quête du graal. Plusieurs arrivent dans le château et échouent pour différentes raisons.
C/ la place de la religion
Au Moyen-Âge, la société était très religieuse, la place de Dieu, des prêtres, des
ermites et des prières étaient donc nécessaire dans les textes et la religion également une explication
pour certains phénomène. Barjavel a, au contraire, vécut dans une époque où la religion avait déjà
perdu de son influence. La plupart de ses romans ont d’ailleurs été écrits après la seconde guerre
mondiale. Marqué par la guerre, le monde présenté par l’auteur est souvent bien sombre et a perdu
24L’Enchanteur, Barjavel, Collection Folio, Denoël, 1984, 471p
25L’Enchanteur, Barjavel, Collection Folio, Denoël, 1984, 471p
26L’Enchanteur, Barjavel, Collection Folio, Denoël, 1984, 471p
sa foi en la religion. Malgré tout, il ne rejette pas totalement le dogme ni Dieu, puisqu’il s’interroge
sur ces questions et écrira même des livres sur le diable et sur Dieu comme La faim du tigre et de
façon plus humoristique Si j’étais Dieu.
En prenant comme personnage central Merlin, Barjavel était de toute manière obligé de parler de
religion.
Dans ce roman, on voit une lutte constante d’un Dieu effacé, mais omniprésent, et d’un
diable souvent bruyant, mais inefficace :
« Merlin sur son pommier avait assisté à tout ce remue-ménage [la
construction du château du val sans retour], et ne s’en inquiétait
guère. Le Diable fait toujours beaucoup de fracas pour pas grandchose. »27
Néanmoins, c'est également la manière de montrer que Dieu est partout, même s'il est moins
visible. On retrouve en effet sa présence dans de nombreux détails. Comme dans les romans de
Chrétien de Troyes, chaque événement important se passe lors d'une fête religieuse importante
comme Pentecôte.
En effet, au Moyen-âge, la religion a une place de plus en plus importante, das la littérature
comme dans la vie quotidienne. Chrétien de Troyes arrive donc à concilier la mythologie païenne
qui est de plus en plus proscrite tout en gardant les codes de la religion chrétienne :
« Le génie de Chrétien réside effectivement dans cette capacité
singulière à faire coexister des contraires, à animer les paradoxes,
voir à réconcilier le mythe et la réalité, l'imaginaire et le réel, mais
aussi la culture celtique et la culture méditerrannénne, le paganisme
et le christianisme, le masculin et le féminin. »28
Ainsi Barjavel agit de même pour rester en accord avec le roman médiévale tout en gardant
une cohérence à la fois dans la sphère religieuse et mythologique.
Ainsi dans cette partie, nous avons vu le travail effectué par Barjavel pour repenser et
réécrire le monde médiévale, en accord avec les premiers textes, mais également avec une
distanciation et un humour qui lui sont propre.
27L’Enchanteur, Barjavel, Collection Folio, Denoël, 1984, 471p
28
P. WALTER, Chrétien de Troyes, Conclusion, p 122, Que sais-je ? PUF, Paris, 1997, 127p
III/ Le but de l’auteur
Dans cette dernière partie, nous nous attarderons sur la manière dont Barjavel a
repris la matière Bretagne avec ce qu'elle comprend de magie et de symbole. Nous étudierons
également la place de l'amour dans le texte et enfin la figure de Merlin comme avatar de l'auteur.
A/ Un Mythe revisité
1/La Magie inhérente au monde arthurien
Les contes arthuriens nous paraissent merveilleux, rappelant un moyen-âge idéalisé
et glorieux, dirigé par une élite de la chevalerie courtoise. De plus, grâce à la trame principale de
l’histoire, il est assez facile de modifier des détails pour rendre le texte plus personnel. Ainsi,
l’auteur peut emmener ses lecteurs dans un cadre qu’il connaît bien, mais qu’il redécouvre à chaque
nouvelle réécriture.
Barjavel a pu ainsi reprendre des codes classiques dans les romans médiévaux, comme la
magie et les êtres faés. Ceux-ci sont moins visibles que dans les premiers romans médiévaux. En
effet, comme dans les lais de Marie de France, le mot « fée » n’est jamais écris, mais les
personnages correspondent à leurs descriptions, comme la femme qui vient enlever Lanval dans
l'autre-monde. Barjavel utilise le même procédé. Les jeunes filles qui font partie du cortège du
Graal sont toutes vêtues de blanc et vivent dans un château de l’autre monde. Elles pourraient
s'apparenter à des anges, comme il a été vu plus haut, mais de nombreux autres détails font penser
au monde féérique. Ainsi, les animaux blancs qui mènent les héros jusqu'aux fées sont présents à
plusieurs reprises. Merlin se transforme lui-même en « grand cerf blanc » qui est la représentation
du dieu-cerf Cernunnos, dieu qui fait le lien entre le monde des humains et celui des morts. Un peu
plus tard, Viviane monte une jument blanche :
« une jument blanche, sans selle, longue queue et longue crinière,
s'approcha de Viviane au petit trop [...] »29
qui s'oppose à la monture de Morgane, un :
« étalon noir qu'elle nommait Barberousse. Il avait effectivement
quatre poils au menton, comme une chèvre, et ils étaient roux ».30
On voit donc là une opposition féminin/masculin, blanc/noir et rouge, qui montre que ces animaux
sont des symboles faés des pouvoirs des deux femmes.
2/ Le pouvoir des noms
Appeler une chose par son nom, c'est la contrôler. Ceci est l'une des règles anciennes
de la magie, qui se retrouve plus ou moins dans de nombreux romans. Même si cette idée n'était pas
formalisée dans les textes médiévaux, elle est néanmoins présente. Merlin explique ainsi à Viviane :
« Tu as les pouvoirs, mais pour t'en faire obéïr tu dois connaître le
nom et le signe de chacun. Comment veux-tu qu'il t'obéisse si tu ne
29L’Enchanteur, Barjavel, Collection Folio, Denoël, 1984, 471p
30L’Enchanteur, Barjavel, Collection Folio, Denoël, 1984, 471p
l'appelles pas par son nom ? »31
De plus, dans la religion chrétienne, le nom du divin est unique et triple, tenu secret ou en tout cas
sacralisé. Le Graal fait partie de la sphère religieuse et son nom est lui-même mystérieuse.
Connaître son utilité, c'est connaître les secrets divins. Merlin explique ainsi plus tard la puissance
divine des mots :
« Mais il ne lui donna pas la clé universelle, le mot de trois lettres qui
est au commencement de chaque chose, le premier Verbe qui servit à
la Création, et qui lui aurait permis de faire dès maintenant tout ce
qu'elle aurait voulu. »32
3/ Pureté et Virginité
La pureté est un élément essentiel dans la quête du Graal. En effet, seul un homme
pur de tout péché, comme l'était le Christ, peut être digne et trouver le graal. La chasteté de cet
homme semble donc être primordial. Mais la viriginité est également importante : pour conserver
ses pouvoirs ou pour être digne de porter le graal.
Ainsi Merlin explique à Viviane :
« tu es vierge, je le suis aussi, et nous devons le rester, sous peine de
perdre nos pouvoirs... »
Elwenn confie également à son fils :
« T'ayant conçu par amour charnel, je ne suis plus apte à porter le
Graal »33
Quant aux hommes, potentiels élus, ils sont présentés comme :
« naïf, ignorant de tout, tout neuf » en parlant de Perceval. La première apparition de Lancelot est
marqué par la nudité : « elle vint prendre son fils, le mit tout nu, le lava dans l'eau du lac » et plus
tard « son fils tout nu, comme pour le présenter au soleil levant ». Lancelot est donc né nu,
évidemment, et dans cette scène, d'habillé, il est dénudé à sa mère pour le baigner (dans l'eau
magique du lac ce qui fait également penser au baptême), puis rhabillé et une nouvelle fois
déshabillé par Viviane. Par trois fois nu, lavé, il est prêt pour devenir l'élu.
Quant à Galaad, sa pureté, sa chasteté, connues de tous, ne sont pas particulièrement mis en valeur.
Non seulement il se suffit à lui-même, mais il est l'élu, il ne peut donc que correspondre aux critères
qui étaient recherchés chez les deux autres.
Ainsi la blessure du roi pêcheur et l'infertilité le forêt Gaste montre également une punition,
en rendant infertiles ceux qui ont échoué et qui protège le Graal.
4/ Le château du graal
Le roi pêcheur et le château du graal sont également fortement imprégnés de magie.
Dans le texte de Barjavel, le roi pêcheur, Pellès, n’est pas le roi Méhaigné. En effet, le roi méhaigné
est transporté sur une litière et est blessé à la jambe. Dans le Conte du Graal, on ne sait pas ce qu’il
en retourne. En revanche, c’est le pêcheur qui est blessé « entre les hanches », alors que dans
l’enchanteur, il est assis sur un banc près de l’eau. Néanmoins, le roi pêcheur garde des traits du
merveilleux puisqu’il semble téléporter les chevaliers directement dans le château, tandis que luimême va plus vite que cet instantanéité, puisqu’il les attend déjà. De plus, c’est lui qui rendra sa
fille elwenn, semblable à Guenièvre afin de tester Lancelot.
31L’Enchanteur, Barjavel, Collection Folio, Denoël, 1984, 471p
32L’Enchanteur, Barjavel, Collection Folio, Denoël, 1984, 471p
33L’Enchanteur, Barjavel, Collection Folio, Denoël, 1984, 471p
Le château en lui-même est rattaché à l’autre monde. Il apparaît soudainement, semblant
être, aux yeux des chevaliers, un lieu qu’ils avaient quitté quelques jours plus tôt. De plus, à
l’intérieur, de nombreux objets se déplacent sans être porté par quiconque, il y a toujours abondance
de nourriture et une foule anonyme. Dans l’expérience de Gauvain, on voit de plus que ce passage
dans l’autre monde est associé au rêve puisqu’il se retrouve près de son écuyer endormi, comme s’il
n’avait jamais quitté sa place. Le château semble donc obéir à la volonté du roi Pellès et changer
constamment de lieu et d’apparence.
B/ Un enchanteur aux pouvoirs immenses et pourtant dépassé
par la situation
La quête du graal est devenue le but ultime des chevaliers de la table ronde, en
particulier de Perceval et Galaad. De la même manière, si la découverte du graal par Perceval est
devenue une quête menée par tous les autres chevaliers, Merlin qui n’apparaissait que
ponctuellement dans les textes médiévaux pour aider les héros devient lui-même dans cette
relecture un moteur, un chaînon de la quête du graal.
Le Graal
« s'impose ainsi comme le lieu central et rayonnant où s'élaborent le
passé, le présent et le futur récit, avant que R. de Boron ne mette en
place le dispositif, plus complexe, de ce personnage de ce voyantnarrateur de sa propre histoire que sera Merlin. »34
Tout au long du roman, Merlin fait figure du narrateur. Comme l’écrivain, il sait, grâce aux
pouvoirs donnés par dieu et le diable, tout ce qui a précédé, tout ce qui suit son époque, et peut
passer d’un personnage à un autre instantanément, simplement en tournant la page du livre, semblet-il. Il sait donc tout ce que fait les autres personnages et peut les aider, les guider.
Pourtant, Merlin est aussi un homme. Malgré ces pouvoirs immenses, il est sensible au
charme féminin et rester près de Viviane l’empêche de contrer certaines actions du diable. Ainsi,
alors qu’il est près de Viviane, il ne peut empêcher Arthur de coucher avec sa demi-sœur et de
concevoir ainsi Mordret. Il ne jette qu’un regard distrait sur Morgane qui a pactisé avec le Diable et
pourtant, elle arrivera ainsi à retenir Lancelot prisonnier dans son château durant plus d’une année.
Lancelot délivre, c’est Arthur qui se rendra dans le château, comprendre l’adultère de Guenièvre et
poussé par Morgane précipitera la chute de son règne. Merlin peut également se tromper, puisque
même en ayant pris soin de faire élever Lancelot par Viviane, le chevalier échouera à l’épreuve du
graal.
Sa vision du monde est en effet un peu floué à cause de l'amour qu'il porte à Viviane. Ainsi,
son désir physique pour elle lui fait confondre la quête du graal et la quête de la femme aimée, ainsi
que nous le verrons ci-dessous.
C/ Une histoire d’amours, entre devoir et désir
Le mythe du graal, c’est aussi une histoire d’amour. En effet, l’amour humain,
passionnel, charnel ou maternel côtoie l’amour de Dieu.
Merlin a une vision déformée par le désir qu'il éprouve pour Viviane. À deux reprises, il la compare
au monde du divin :
« Tu es Dieu... Dieu est en toi, Dieu t'habite parce que tu es belle... Tu
es tous ses miracles... Les pointes de tes seins sont ses étoiles, tes
34 Hommage à F. Dubost, Paris, Champion, 2005 p 580
seins sont la Terre et le Ciel, tes hanches sont les balancements du
monde, ta peau est la douceur des fruits du Paradis, ta bouche dit la
vérité de ce qui est... »35
et plus loin, il la compare au graal :
« Tes seins sont sources et fontaines, sources de joie et fontaines de
vie... Si je suis un jour admis à regarder dans le Graal, c'est
certainement eux que je verrai. Ils sont la double perfection du
monde, ils expliquent les mouvements et les formes, et éclairent les
mystères. »36
Ainsi de cette manière, ce n'est pas tellement la femme qui devient image de Dieu, mais
contrairement à ce que souhaitait Merlin, il féminise et rend charnel ce qui ne devrait pas, le divin.
Merlin est donc tiraillé entre son devoir (mener les chevaliers à bien dans la quête du graal) et son
désir. Ainsi, Merlin et Viviane peuvent ressembler aux deux morceaux de l'épée brisée, toujours
proches, cherchant à être rassemblés, ils ne peuvent malgré tout pas concrétiser leur amour en étant
totalement réuni et uni. Ainsi, ils peuvent mener la quête du graal, car leurs corps restent chastes,
tandis que leurs âmes sont unies d'un amour sincère. De plus, Viviane s'épanouît dans la maternité et
si cet enfant n'est pas le sien, elle peut l'élever comme sa mère, en restant vierge. Une femme vierge
qui élève un élu, destiné à trouver le graal, fait évidemment penser à la Vierge Marie.
Mais l'enfant, Lancelot, ne répondra pas aux attentes de Merlin. En effet, contrairement à
Viviane et Merlin, il placera l'amour charnel avant l'amour spirituel. Si l'amour charnel est autorisé
au sein d'un couple, l'adultère est en revanche un péché. Ainsi, Guenièvre n'est pas heureuse avec
Arthur et n'arrive pas à avoir un enfant. Au contraire, Lancelot l'idéalise par-dessus, en faisant son
graal. Il abandonne la quête du saint-graal, pour une quête de la femme aimée, ainsi que se sera
clairement défini lorsqu'il soulève le voile du graal, mais voit Guenièvre à la place du graal.
D/ La figure de l'auteur
Le graal est un objet dans les livres, mais pour de nombreux chercheurs, il est
considéré plus comme un objet littéraire qu'une véritable relique. Selon certains comme E.
Baumgartner, le graal est le mythe littéraire lui-même, qui contient en lui la matière arthurienne et
l'encre des nombreux écrivains :
« à quoi sert le Graal ? Question qui, par son imprécision même,
ouvre grand le champ des investigations et autorise toutes les quêtes.
Une possible réponse, qui tire sa justification de l'énorme masse
textuelle qu'elle a suscitée, pourrait être : le Graal, vase vide, ne sert
à rien, sinon à fabriquer une fiction, un simulacre du temps, et le livre
qui l'enclôt. »37
Mais dans cette version, une autre figure apparaît, celle de Merlin qui devient un avatar de
l'auteur. En effet, comme l'auteur, il sait tout, le passé, le présent et le futur. Il sait comment va finir
l'histoire, et s'il se trompe, ses erreurs le rendent plus humains.
Barjavel était un passionné des romans de la table ronde et fasciné par le Graal. Ainsi dans
un de ses plus célèbres romans, La Nuit des Temps, il présente un symbole, l'équation de Zoltan :
« - Ceci est l'équation de Zoran. Elle se lit de deux façons. Elle se lit
avec les mots de tout le monde et elle se lit en termes de
mathématiques universelles.
« - Pouvez-vous la lire ? demanda Léonova.
- Je peux la lire dans les mots de tout le monde. Elle se lit ainsi : "Ce
35L’Enchanteur, Barjavel, Collection Folio, Denoël, 1984, 471p
36L’Enchanteur, Barjavel, Collection Folio, Denoël, 1984, 471p
37 E. BAUMGARTNER, L'arbre et le pain, essai sur la Queste del saint Graal, Paris SEDES, 1981, p154
qui n'existe pas existe."
- Et de l'autre façon ?
- Je ne sais pas, Coban sait. »38
Eléa décrit la manière dont l'équation se dessine :
« Éléa traça sur le papier le commencement d'une spirale ; puis elle
était coupée par une ligne droite verticale ; deux courtes lignes, une
verticale et une horizontale, était tracées à l'intérieur de la spirale.
Elea tendit le papier à Hoover.
« - Ceci est l'équation de Zoran. » »39
Certains chercheurs ont donc rapprocher ce symbole avec le Graal, de par sa signification, mais
également le tracé du dessin. En effet GRAAL se transforme de cette manière : le G reste lui-même
et le L vient passer en son milieu. Le R devient le point vertical et les deux A le trait horizontal.
38La Nuit des Temps, Barjavel, Pocket SF, Paris, 2005, 320p
39La Nuit des Temps, Barjavel, Pocket SF, Paris, 2005, 320p
Conclusion
Dans ce court travail sur le Graal et la reprise moderne qu'a pu en faire Barjavel,
nous avons vu que l'auteur s'attachait aux textes médiévaux tout en adaptant le mythe à son écriture
et son public. En effet, Barjavel propose une écriture fidèle aux textes médiévaux, recréant une
ambiance en accord avec les textes et les attentes de son public moderne. Par cela, on peut dire qu'il
a fait une translation moderne grâce à cette réécriture. Nous avons ensuite vu la manière dont les
scènes concernant le graal ont été réécrites à partir du Conte du Graal, mais également des
continuations.
Par la suite une étude sur le Graal et ses interprétations a été faite, retraçant l'origine du
Graal et la façon dont Barjavel s'en était inspiré. Le rapport des différents personnages face au Graal
a également été vu, tout comme la place de la religion, indissociable de ce genre de texte.
Enfin, nous avons également cherché à comprendre le but de l'auteur, au travers de ce mythe
revisité. En effet, la magie est inhérente au roman de Barjavel, comme l'est la religion, mais d'autres
faits sont également indissociable de ce roman, comme la pureté ou les particularité du château du
graal. Enfin, le personnage de Merlin a été étudié, particulièrement ces pouvoirs, mais également
son humanité et son amour pour Viviane. Pour finir, nous l'avons vu comme une figure de l'auteur.
Ainsi, Arlette Bouloumié résume :
« Le texte insiste sur l’aspect sylvestre de Merlin en même temps que
sur ses amours avec Viviane. Les exploits guerriers des chevaliers ne
sont pas pour autant négligés : Merlin est l’instigateur de la quête du
Graal (E, 119) et de la Table ronde (E, 120). Il recherche le chevalier
assez pur pour mener à bien la quête : il sauve Lancelot en le confiant
à Viviane, il éduque Perceval (E ; 136). C’est un héros solaire : « Une
lumière chaude rayonnait de lui comme si le soleil l’accompagnait »
(E, 166). Merlin incarne les valeurs spirituelles. Il s’oppose aux
forces du mal quand il démasque les intentions noires de Morgane, la
sœur du roi Arthur (E, 166) et l’alliée de son père le Diable.
26La dimension humoristique et parodique n’est pas absente de ce
conte : quand Merlin accorde la multiplication de la nourriture
comme le Christ accordait celle du pain, il invente ainsi les conserves
(E, 181 et E, 279). Il invente de même la flamme de gaz que l’on
contrôle par un robinet. Cette actualisation mise au compte de
l’esprit malin ne peut que faire sourire.
(…)
C’est donc une version optimiste de Merlin qu’offre Barjavel : Merlin
est jeune, beau, aimant, secourable. C’est un héros solaire, sans
ambiguïté, tel qu’un conte de fée peut l’offrir. Le Merlin sylvestre et le
héros de l’amour avec Viviane ont autant d’importance dans cette
version que l’aspect plus politique de Merlin, à l’origine de la Table
ronde. »40
Depuis mille ans, les contes sur la cour du roi Arthur fascinent. Les batailles et les tournois,
la vie des chevaliers errants, l'amour courtois pour les dames et la quête du Saint-Graal. Comme la
religion judéo-chrétienne, nous avons été élevé avec ses mythes qui peuplent notre inconscient et
ressurgissent dans les textes littéraires, mais également dans la culture populaire, via des films, de la
40 Arlette BOULOUMIE, Le mythe de Merlin dans la littérature française du XXe siècle, Cahiers de recherches
médiévales, 11, 2004, 181-193.
musique, des bandes-dessinées, etc.
« En introduisant une symbolique inédite au mythe du Graal, la
culture de masse et la littérature populaire peuvent prétendre à une
nouvelle réécriture de la quête. En associant plusieurs domaines
d'étude comme la peinture ou les sciences dures, ces médias font
entrer en communication des aspects que la Littérature avait laissés
de côté et peuvent ainsi apporter de nouvelles réflexions quant au rôle
de Graal et la réception que les lecteurs-spectateurs peuvent en
faire. »41
41
A. BEKHOUCHE, A la conquête du Graal ? Réécriture et avatars du mythe du Graal dans la littérature
populaire et la culture de masse contemporaines, volume 1, thèse de Littérature comparée, 2011
Ressources documentaires
Livres
Textes littéraires
Anonyme, la Mort du Roi Arthur, publication, traduction, présentation et notes par E. Baumgartner
et M-T de Medeiros, Champion classique, Paris 2007, 536p.
L’Enchanteur, Barjavel, Collection Folio, Denoël, 1984, 471p
La Nuit des Temps, Barjavel, Pocket SF, Paris, 2005, 320p
Robert de Boron, Merlin, roman du XIIIe siècle, éd. critique par A. Micha, Flammarion, Garnier
Flammarion, Littérature Française, 1999, 250 p.
Robert de Boron, Merlin, roman du XIIIe siècle, ed critique par A. Micha, DROZ 2000, Genève,
340p.
Marie de France, Lais, ed, traduits par Alexandre Micha, GF-Flammarion, Paris, 1994, 355 p.
Chrétien de Troyes :
Le Conte du Graal, trad C. Méla, Lettres Gothiques, Librairie Générale Française, 1990, 640p
Etudes
E. BAUMGARNTER, Dire et penser le temps au Moyen Âge. Frontières de l’histoire et du roman,
études recueillies par Emmanuèle Baumgartner et Laurence Harf-Lancner, Paris, Presses de la
Sorbonne Nouvelle, 2005, 264 p.
P. BRUNEL (sous la direction de), Dictionnaire des mythes littéraires, nouvelle édition augmentée,
édition du rocher, 1988, 1504p.
C. CASAGRANDE et S. VECCHIO, Histoire des pêchés capitaux au Moyen-Âge, Aubier,
collection historique, 2003, 409p
M. CAZENAVE, Encyclopédie des symboles, Encyclopédie d'aujourd'hui, Livre de poche, Librairie
Générale Française, 1996, 818p
C. DELATTRE (textes réunis par), Objets sacrés, objets magiques de l'Antiquité au Moyen-âge,
ePicard, 2007, p184
C. GAUVARD, de A de LIBERA et de M. ZINK (sous la direction de), Dictionnaire du Moyen-Âge,
PUF 2004, 1548p
D. POIRION, Le Merveilleux dans la littérature française du Moyen-âge, Que sais-je ? PUF, Paris,
1982, 127p
P. WALTER, Chrétien de Troyes, Que sais-je ? PUF, Paris, 1997, 127p
Thèses
A. BEKHOUCHE, A la conquête du Graal ? Réécriture et avatars du mythe du Graal dans la
littérature populaire et la culture de masse contemporaines, volume 1, thèse de Littérature
comparée, 2011
Aude LABROT, Le Haut Livre du Graal : Vers l'oubli de la souveraineté féminine au profit d'une
christianisation totale ? Master 1 Littératures, 2009.
G. ZUSSA, Merlin, rémanences contemporaine d'un personnage littéraire médiéval dans la
production culturelle francophone (fin 20e siècle et début 21e siècle) : origines et pouvoirs,
Thèse de doctorat lettres, sciences humaines et sciences sociales, 2008
Articles
M-P. HALARY, La Queste del Saint Graal : vers l'apparition du paysage, De Boeck Supérieur , Le
Moyen-âge, 2007/1 – Tome CXIII, pages 69 à 90
Sites Internet
BNF
(consulté le 27 mars 2013), Expositions, Arthur, [en ligne], Adresse URL :
http://expositions.bnf.fr/arthur/arret/02.htm
GODEFROY, dictionnaire en ligne (consulté le 16 mars 2013), [en ligne]. Adresse URL :
http://micmap.org/dicfro/chercher/dictionnaire-godefroy/
G.M. LOUP, Barjaweb (consulté de 12 avril 2013),
http://barjaweb.free.fr/SITE/ecrits/enchanteur/graal2z.htm
[en
ligne], Adresse
URL :
Arlette BOULOUMIE, Le mythe de Merlin dans la littérature française du XX e siècle, Cahiers de
recherches médiévales (consulté le 12 avril 2013) mis en ligne le 10 octobre 2007 [En ligne],
Adresse URL : http://crm.revues.org/1833
C. HOFFMANN et L MATHEY-MAILLE, Le Roi Pêcheur : des sources médiévales aux
réécritures contemporaines, Université du Havre (consulté le 12 avril 2013), [en ligne] Adresse
URL
:
http://www.univlehavre.fr/ulh_services/IMG/pdf/Roi_Pecheur_introduction_version_definitive-3.pdf
HISTOIRE DU MONDE, Perlesvaus – Le Haut Conte du Graal, extraits du texte, (consulté le 12
avril 2013) [en ligne], Adresse URL : http://www.histoiredumonde.net/-Perlesvaus-Le-hautconte-du-Graal-.html

Documents pareils