Un cas d`acrodermatite léthale chez un Bull Terrier

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Un cas d`acrodermatite léthale chez un Bull Terrier
Un cas d'acrodermatite léthale chez un Bull Terrier
Emmanuel BENSIGNOR (1), Frédérique DEGORCE-RUBIALES (2), Agnès POUJADE (2), Luc
CHABANNE (3), Françoise QUINTIN-COLONNA (4), Pascal PRELAUD (1,5), Annie BOITEAU
(5), Corine BOUCRAUT-BARALON (6), Olivier REINEAU (1)
1- Clinique Vétérinaire du Dr Kupfer, 75 Paris; 2- LAPVSO, 31 Toulouse, 3- ENVL-69 Marcy l'Etoile; 4ENVA- 94 Maisons-Alfort; 5- CERI, 75 Paris; 6- SCANELIS, 31 Toulouse
Introduction: dans l'espèce humaine, l'acrodermatitis enteropathica est une entité rare,
correspondant à un défaut d'assimilation du zinc, à l'origine de lésions cutanées
pathognomoniques, chez des nourrissons. Chez le Bull Terrier, une génodermatose
caractérisée par l'apparition chez des chiots de lésions cutanées, respiratoires et digestives,
conduisant inexorablement à la mort, a été intitulée "acrodermatite léthale du Bull Terrier"
(ALBT) à cause de similitudes cliniques et histopathologiques troublantes avec la maladie
humaine 1,2. Nous rapportons ici le premier cas d'ALBT en France.
Cas clinique: un chiot Bull Terrier âgé de 3 mois est présenté à la consultation de
dermatologie pour des lésions des extrémités podales. L'examen clinique montre un chiot
chétif, anormalement agressif, souffrant de lésions cutanées localisées aux espaces
interdigités, aux coussinets plantaires, au chanfrein et aux pavillons auriculaires. Il s'agit
d'érythème, d'érosions, de papules et de squames. Les examens cytologiques par tests à la
cellophane adhésive montrent de nombreuses levures évoquant Malassezia spp. Une culture
fongique sur milieu de Dixon permet d'identifier des Malassezia pachydermatis. L'examen
histopathologique de biopsies cutanées montre une hyperkératose parakératosique, confirmant
la suspicion clinique d'acrodermatite léthale. Un dosage des anticorps antinucléaires est
négatif. L'électrophorèse des protéines sériques montre un tracé normal. Une PCR pour
recherche de maladie de Carré (sang total sur EDTA) est négative. La biochimie sanguine est
normale (en particulier le dosage des PAL). La numération-formule montre une neutrophilie
modérée. Un dosage de zinc sérique s'avère normal (10.2 µmol/l), ainsi qu'un dosage du zinc
dans les poils et dans une biopsie cutanée (valeurs comparables à celles d'un témoin du même
âge et de la même race). L'examen des lymphocytes sanguins par cytométrie en flux ne montre
pas d'anomalie du rapport CD4/CD8 (4.97). Un test de transformation lymphoblastique est
effondré. Le dosage de l'interleukine 2 est très faible par rapport à un témoin du même âge et
de la même race. Malgré la mise en place d'un traitement antibiotique (marbofloxacine 5
mg/kg/j PO) et antifongique (kétoconazole 10 mg/kg/j PO), et d'une supplémentation orale en
zinc (zinc méthionine 2 mg/kg/j PO), les lésions cutanées ne présentent pas d'amélioration
après 2 mois de traitement et l'animal est euthanasié. L'autopsie ne montre pas d'anomalie
notable.
Discussion: dès 1986, Jesyk et collaborateurs ont rapporté chez le Bull Terrier une entité
particulière, transmise sur un mode autosomique récessif, et la rapprochent de
l'acrodermatitis enteropathica, un déficit en zinc décrit chez des enfants, sur la base de
critères cliniques et histopathologiques1. Cependant, contrairement à la dermatose humaine,
les symptômes ne s'améliorent pas chez les chiens atteints à la suite d'une supplémentation en
zinc. Une étude récente a rapporté 28 cas en Grande-Bretagne sur une période de 14 ans2, mais
aucun cas n'avait été décrit jusqu'à présent en France.
Les premiers symptômes apparaissent dans le très jeune âge, deux à douze semaines après la
naissance. Les chiots présentent tous des troubles de la déglutition, à l'origine d'un mauvais
état général et d'un aspect chétif 1,2,3. Les symptômes cutanés regroupent une décoloration des
poils noirs chez les animaux bicolores ou bringés, un érythème et un état kératoséborrhéique
des extrémités podales, des membres et du chanfrein. Les anomalies podales sont assez
caractéristiques de la maladie, avec une alopécie, des squames adhérentes et des érosions,
initialement localisées sur les coussinets, puis ayant tendance à l'extension aux espaces
interdigités 1,2,3. Les doigts sont souvent épaissis, donnant un aspect de gros pied, avec des
boiteries associées. Des troubles respiratoires (toux, exsudat nasal, bronchopneumonie),
osseux (déformations osseuses), cardiaques (souffle systolique mitral) et oculaires
(persistance de la membrane pupillaire, opacités cornéennes, cataracte) sont également parfois
notés 1,2,3. L'évolution est invariablement fatale, avec une aggravation des lésions cutanées
(épaississement des coussinets, déformations des griffes) et générales (bronchopneumonie,
entérite hémorragique) conduisant à la mort ou à l'euthanasie avant l'âge d'un an dans la
plupart des cas 1,2,3.
L'examen cytologique par tests à la cellophane adhésive montre dans de nombreux cas la
présence de levures 1,2,3. L'examen mycologique permet de confirmer la présence de
Malassezia pachydermatis ou de Candida albicans. Les chiots atteints ne répondent
cependant pas totalement au traitement antifongique, ce qui suggère qu'il s'agit d'infections
secondaires.
L'examen histopathologique de biopsies cutanées est caractérisé par la présence d'une
parakératose intense, évoquant une anomalie de l'absorption intestinale de zinc 1,2,3.
Les analyses hématologiques et biochimiques ne montrent pas d'anomalie spécifique. Parfois,
il est possible de noter une baisse des phosphatases alcalines, mais cette découverte n'est pas
constante 1,2,3.. Les taux de zinc sériques sont normaux 1,2,3, ou abaissés 1,4. Dans notre cas, le
dosage de zinc sérique était dans les valeurs usuelles. Nous avons en outre dosé le zinc dans
les poils et dans la peau. Ces dosages n'ont pas révélé d'anomalie. Il est important de souligner
la difficulté d'interprétation des dosages de zinc chez le chien (contamination des échantillons
au moment du prélèvement, variations physiologiques de la zincémie pendant la journée) 5.
La supplémentation en zinc ne permet pas d'améliorer la dermatose et le pronostic est
invariablement fatal 1,2,3. Les symptômes cutanés et l'examen histopathologique des lésions
évoquent cependant une anomalie du métabolisme du zinc. Mais les difficultés de dosage du
zinc chez le chien et l'absence de réponse à une supplémentation chez les animaux malades
sont en défaveur de cette hypothèse. Comme l'absorption du zinc semble normale chez les
chiots atteints 6, on peut raisonnablement supposer qu'une anomalie du métabolisme du zinc
au niveau cellulaire pourrait être responsable du tableau clinique observé, comme suggéré par
Smits et al. 7. Ceci expliquerait l'apparition d'une immunodépression, responsable des
surinfections bactériennes et fongiques. Les études immunologiques pratiquées dans notre cas
n'ont pas montré de déséquilibre des sous-populations lymphocytaires, mais une
immunodépression T-lymphocytaire a été notée. Des études supplémentaires semblent donc
indiquées pour explorer le système immunitaire des chiots atteints d'ALBT. En outre,
l'identification de l'anomalie génétique en cause, en cours chez l'homme, est également
nécessaire chez le chien pour confirmer/infirmer la parenté de ce syndrome avec la maladie
décrite chez l'enfant 8.
1 Jezyk PF et al. Lethal acrodermatitis in bull terriers. J Am Vet Med Assoc, 1986, 188, 833-839
2 McEwan NA et al. Diagnostic features, confirmation and disease progression in 28 cases of lethal acrodermatitis of Bull Terriers. J Small Anim Pract, 2000, 41,
501-507
3 Scott DW et al. Muller and Kirk's Small Animal Dermatology. 6th Ed, WB Saunders, Philadelphia, 2000.
4 Uchida Y et al. Serum concentatrions of zinc and copper in Bull terriers with lethal acrodermatitis and tail-chasing behavior. Am J Vet Research, 1997, 58, 808810.
5 Van den Broek AH et al. Diagnostic value of zinc concentration in serum, leucocytes and hair of dogs with zinc-responsive dermatosis. Res in Vet Science, 1988,
44, 41-44.
6 Stewart JL. Newly reported skin diseases syndromes in the dog. Vet Clin North Am, 1990, 20, 1610-1611.
7 Smits B. et al. Lethal acrodermatitis in Bull Terriers: a problem of defective zinc metabolism. Vet Dermatol, 1991, 2, 91-96.
8 Wang K et al. Homozygosity mapping places the acrodermatitis enteropathica gene on chromosomal region 8q24.3. Am J Hum Genet 2001, 68, 1055-1060.

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