Chapitre I - Institut de Chimie des Substances Naturelles
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Chapitre I - Institut de Chimie des Substances Naturelles
Olivier LAPRÉVOTE SPECTROMÉTRIE DE MASSE ORGANIQUE ET BIO-ORGANIQUE - 2001 – O. Laprévote, Directeur de Recherche, Laboratoire de Spectrométrie de Masse, Institut de Chimie des Substances Naturelles, UPR CNRS 2301, avenue de la Terrasse, 91 198 Gif-sur-Yvette cedex, [email protected] 2 INTRODUCTION Parmi les différentes méthodes d’analyse structurale utilisées en Chimie organique, la spectrométrie de masse présente l’originalité de s’adresser à des substances analysées en phase gazeuse et non en phase condensée comme la Résonance Magnétique Nucléaire (RMN) ou la cristallographie par diffraction des rayons X. Cette particularité conditionne la plupart des paramètres expérimentaux qui vont être mis en œuvre lors d’une analyse par Spectrométrie de Masse, notamment ceux qui sont impliqués lors de la phase d’évaporation de l’échantillon. Par ailleurs, toutes les techniques de Spectrométrie de Masse font appel non aux espèces moléculaires en tant que telles mais aux entités ioniques qui en proviennent. Tous les procédés de Spectrométrie de Masse reposent en effet sur les déplacements de particules chargées dans des champs électromagnétiques. Cela nécessite donc, pour que l’analyse d’une substance organique soit réalisable en Spectrométrie de Masse, une étape préalable d’ionisation de l’échantillon. L’objet analysé en Spectrométrie de Masse correspond par conséquent à un flux gazeux ionique généré à partir des molécules introduites dans le spectromètre. Il est à noter, comme conséquence de ce qui précède, que la Spectrométrie de Masse est une méthode d’analyse destructrice, l’échantillon ne pouvant être recouvré après analyse. De façon très classique, un spectromètre de masse se compose de trois parties distinctes : Une source d’ions, enceinte au sein de laquelle les ions sont formés à partir de l’échantillon vaporisé ; un analyseur dont l’objet consiste à mesurer, pour chacune des espèces ioniques issues de la source d’ion, le rapport entre sa masse (m) et sa charge (q). De façon conventionnelle, ce n’est pas la valeur de la charge (q) qui est utilisée mais plutôt la valeur absolue du nombre de charge (z). Les ions se voient donc attribuer une valeur m/z caractéristique qui s’exprime en «Thomson» (Th) ; un détecteur qui mesure, en fonction des différentes valeurs de m/z, l’intensité de signal (I) qui leur correspond. Le spectre de masse montre donc la variation du courant ionique détecté en fonction de m/z. Intensité IA IB IC Dans l’exemple présenté, la valeur de z correspond à l’unité. Ce n’est pas toujours le cas. Les valeurs d’intensité sont souvent indiquées par référence au pic le plus intense de la gamme de masse présentée (pic «de base») auquel est attribué l’intensité relative 100 % De nombreuses techniques d’ionisation, d’analyse et de détection ont été développées. mC/z mA/z mB/z Le choix de la méthode à mettre en œuvre est donc particulièrement important. Plusieurs paramètres sont à prendre en compte, en particulier les propriétés physico-chimiques du produit à analyser, la quantité d’échantillon disponible et, surtout, le type d’information que l’on attend du spectre (poids moléculaire, information de structure, formule brute, etc …). 3 CHAPITRE I L’IONISATION I . 1 Méthodes d’ionisation conventionnelles « directes » I . 1 . A Ionisation électronique I . 1 . B Ionisation chimique Ces techniques sont chronologiquement les premières à avoir été utilisées à des fins d’analyse structurale, l’ionisation électronique précédant l’ionisation chimique. Bien qu’anciennes, elles demeurent encore répandues même si leur part se réduit progressivement. Elles font toutes deux appel à une évaporation des échantillons par effet thermique associé au vide imposé à la source d’ions. Le substrat est introduit dans la source après avoir été déposé dans un creuset, sur une céramique ou un filament (tel quel ou après une solubilisation préalable). La source d’ion IE/IC peut également être couplée à la sortie d’une colonne de CPG, auquel cas l’échantillon pénètre dans la source en phase vapeur. . M + e- → M+ + 2 e- I . 1 . A Ionisation électronique (IE) filament ℓℓℓℓℓℓℓℓℓℓℓℓℓℓ 70 V électrons repousseur vers l’analyseur ions molécules V0 cathode (trappe) Un filament porté à haute température (2000°C) par passage d’un courant émet des électrons qui peuvent être accélérés par une certaine différence de potentiel. L’énergie cinétique des électrons est un paramètre important de l’ionisation électronique qui influe aussi bien sur le rendement de l’ionisation que sur l’énergie d’excitation moyenne des ions formés. On considère ainsi que le rendement d’ionisation (section efficace) optimal est atteint aux alentours d’une énergie de 70 eV. Dans le cas où les phénomènes de fragmentation seraient trop nombreux (lorsqu’ils amènent à une diminution trop importante de l’intensité du pic moléculaire), il est possible de réduire l’énergie des électrons. Cela conduit souvent à la formation d’espèces moléculaires plus stables qui auront donc moins tendance à fragmenter. Les électrons, après avoir traversé le volume de la source sont captés par une cathode (appelée “trappe”) alors que les ions formés par impact des électrons avec les espèces moléculaires sont 4 expulsés de la source par un repousseur porté à un certain potentiel de même signe. Ils sont ensuite accélérés, à l’interface de la source et de l’analyseur, par une différence de potentiel V0. Dans la source, l’ion formé possède une certaine énergie (principalement vibrationnelle) due au processus d’ionisation: c’est l’énergie interne qui peut donner lieu aux diverses réactions de fragmentation. Celles-ci se produisent en fonction des données thermodynamiques et cinétiques correspondant aux différents processus envisageables (ruptures simples ou réarrangements). Lorsque l’énergie interne est assez importante, les ruptures simples peuvent être très abondantes alors qu’à un niveau plus faible, les ruptures avec réarrangement peuvent dominer le spectre (voir Chapitre III). L’intérêt de l’IE réside d’une part dans sa sensibilité (on forme 1 ion pour 1000 molécules présentes) et d’autre part dans l’importance du phénomène de fragmentation qui est une source d’informations structurales précieuses. L’absence fréquente du pic moléculaire (c’est à dire le pic +. correspondant à l’ion M ) reste malgré tout un inconvénient majeur de cette méthode. L’ionisation électronique s’adresse à des composés suffisamment volatils, apolaires et stables à la chaleur pour que l’évaporation puisse avoir lieu sans pyrolyse. Il s’agit encore d’une majorité des composés issus de la Chimie organique. I . 1 . B Ionisation Chimique (IC) La source IC est similaire à la source IE, seules sont modifiées ses conditions d’utilisation (on commercialise le plus souvent des sources « duales » IE/IC). L’ionisation se produit par interaction entre des ions réactifs, préparés eux-mêmes par ionisation électronique, et les molécules de l’échantillon. Þ introduction d’un gaz réactif (ammoniac, méthane, isobutane, …) Þ "haute pression" dans la source d’ions (jusqu'à 10-1 à 1 mbar) Le gaz réactif, sous sa forme protonée GH+, se comporte essentiellement comme un acide de Brönsted vis à vis de la molécule. Il se produit donc une réaction de protonation de celle ci via un complexe ionmolécule intermédiaire (= solvatation du proton) qui peut apparaître sur les spectres. Exemple: Première étape: formation de l'ion réactif (ammonium) par ionisation électronique du gaz (ammoniac) NH3 + e- → . NH3+ + 2 e. NH3+ + NH3 . → NH4+ + NH2 Deuxième étape: protonation de la molécule M par l'ion ammonium M + NH4+ Pics observés → m/z 18 → (M …..H….. NH3)+ m/z M+18 → MH+ + NH3 m/z M+1 Lorsque l'on utilise un gaz réactif GH+, la réaction qui se produit avec la molécule M peut s'écrire de la façon suivante: M + GH+ → MH+ + G Cette réaction, correspondant à la différence des deux réactions suivantes, ne se produit que si elle est exothermique: ∆H°G = APG GH+ → G + H+ MH+ → M + H+ ∆H°M = APM Les enthalpies de ces deux réactions s'appellent "affinités protoniques" respectivement du gaz et de la molécule à analyser, elles correspondent au terme enthalpique de la basicité en phase gazeuse. 5 La réaction de protonation aura lieu lorsque APG < APM Concrètement, on choisira un gaz réactif adapté à la molécule étudiée (de plus faible AP), en général dans le but de limiter les phénomènes de fragmentation. GAZ REACTIF H3+ 4 CH5+ H3O+ 5 6 7 (CH3)3C+ 8 NH4+ 9 (AP kJ.mol-1) alcools éthers aldéhydes cétones acides esters amines L'IC s'adresse à des composés aussi volatils, apolaires et stables à la chaleur que l'IE (évaporation initiale de l'échantillon). Ces composés doivent être susceptibles de se protoner (présence d'hétéroatomes). L'IC complète l'IE en cela que les espèces formées sont plus stables. Elle s'applique donc tout particulièrement aux produits qui fragmentent trop abondamment en IE. I . 2 Méthodes d’ionisation dites "douces" ou "indirectes": désorption/désolvatation d'ions I . 2 . A Désorption sous ionisation chimique (DIC; DCI) I . 2 . B Désorption Laser assistée par matrice (MALDI) I . 2 . C Bombardement par des atomes ou des ions rapides (FAB; LSIMS) I . 2 . D Electronébulisation (Electrospray, ESI) Dans le cas de l'IE et de l'IC, l'ionisation des composés est réalisée en phase gazeuse, c'est à dire après la volatilisation de l'échantillon sous l'effet conjugué du vide et de la chaleur. Il faut donc disposer de techniques complémentaires pour parvenir à l'ionisation des composés polaires, peu volatils ou thermiquement fragiles qui peuvent être dégradés par pyrolyse. Ce problème est d'autant plus sérieux que les molécules polaires dont il s'agit appartiennent à des familles structurales dont l'importance est considérable en chimie ou dans les sciences de la vie: oligosaccharides, peptides et protéines, acides nucléiques, complexes supramoléculaires, etc… Pour transférer ces substances en phase gazeuse, le moyen envisagé peut consister à fournir beaucoup d'énergie aux molécules de l'échantillon dans un temps suffisamment bref pour que les dégradations thermiques n'aient pas le temps de se produire. Cela revient à provoquer une évaporation des molécules ionisées pendant le processus d'ionisation lui-même. Ce phénomène d'ionisation et d'évaporation simultanées avec un transfert rapide d'énergie s'appelle la désorption. L'énergie d'ionisation peut être apportée à l'échantillon par différents vecteurs: un chauffage rapide (DCI), des photons (MALDI), un bombardement de particules (FAB, LSIMS). Une autre approche consiste, à partir d'une solution aqueuse, à désolvater progressivement l'échantillon ionisé en solution. C'est le principe de base de l'électronébulisation. I . 2 . A Désorption sous ionisation chimique (DIC; desorption/chemical ionisation DCI) Le procédé est identique à l'IC à cela près que l'échantillon est déposé en solution sur un filament. Après évaporation du solvant, il est introduit dans la source où règne une certaine pression de gaz 6 réactif. Un chauffage rapide du filament conduit à l'évaporation de l'échantillon et à son ionisation par le gaz réactif avent que les phénomènes de pyrolyse n'aient eu lieu. Les gaz réactifs utilisés sont les mêmes qu'en IC conventionnelle. Cette méthode fournit, en mode positif, des molécules protonées MH+ et des adduits [MGH]+ susceptibles (ou pas) de se fragmenter. De même que l'IC, la DCI peut être utilisée en mode négatif. I . 2 . B Désorption Laser assistée par matrice (Matrix-Assisted Laser Desorption-Ionisation MALDI)1 Cible MALDI permettant le dépôt de 384 échantillons Cette technique fait appel à une matrice solide aromatique (ac. Α-cyanocinnamique, sinapinique, 2,5dihydroxybenzoïque, etc…) dans laquelle est dispersé l'échantillon (104 molécules de matrice pour une d'échantillon, l'ensemble étant cocristallisé). L'irradiation laser se traduit par une excitation électronique et thermique des molécules de matrice qui peuvent céder des protons à l'échantillon, conduisant ainsi à son ionisation. La matrice sert donc de vecteur d'énergie entre le faisceau laser et la molécule d'échantillon. Couplée à un analyseur à temps de vol, la désorption laser assistée par matrice est une méthode de choix pour l'étude de composés de haute masse (voir chapitre V). I . 2 . C Bombardement par des atomes ou des ions rapides (Fast-Atom Bombardment FAB; LiquidSecondary Ion Mass Spectrometry LSIMS) L'échantillon est dissout dans une matrice liquide à faible tension de vapeur, susceptible de céder des protons (glycérol, thioglycérol, alcool meta-nitrobenzylique). Dans le cas du FAB, des atomes accélérés à près de 10 KeV (Xe, Ar, Kr) bombardent la solution d'échantillon. Il s'agit d'ions Cs+ (20-30 KeV) dans le cas de la LSIMS. Sonde FAB (JEOL). La goutte de matrice est nettement visible. Les mécanismes initiaux qui conduisent à la protonation de l'échantillon seraient, au moins pour une part, de nature radicalaire, de façon analogue aux processus rencontrés en ionisation chimique. Outre les molécules protonées ([M+H]+), FAB et LSIMS conduisent aussi, en mode positif, à la formation de molécules cationisées telles que [M+Na]+, ce qui se traduit par un accroissement de 22 Th par rapport à la valeur de m/z attendue pour l'ion [M+H]+. Ceci peut constituer une gêne lorsque le composé est inconnu et que l'ion [M+Na]+ est accompagné par un ion [M+2Na-H]+. En cas de doute sur le poids moléculaire, il peut être utile de passer en mode négatif, de changer les propriétés de la matrice ou encore de lui additionner un autre cation alcalin (par exemple Li+). FAB et LSIMS ont joué un rôle très important en Spectrométrie de Masse. Ces techniques ont en effet permis d'apporter des solutions à de nombreux problèmes de séquençage de peptides. L'utilisation de matrices peu volatiles permet la production d'ions pendant plusieurs minutes, ce qui rend possible l'accumulation de spectres et par voie de conséquence, accroît la sensibilité. Cela, ajouté à la stabilité des espèces protonées fournies avec un bon rendement, est très utile pour les études en MS/MS. 1 M. Karas et al., Angew. Chem. Int. Ed. Engl., 28 (6), 760 (1989) 7 Les défauts de ces méthodes sont liés à la présence de pics de matrice qui apparaissent sur les spectres de masse et augmentent le "bruit chimique". Par ailleurs, l'ionisation se produisant à la surface de la goutte de matrice, elle est sensible au caractère hydrophile ou lipophile de l'échantillon. Ce problème est d'autant plus important que l'on étudie des composés en mélange. Certains produits, même majoritaires, peuvent ne pas apparaître sur les spectres au profit de substances minoritaires ou d'impuretés dont l'activité de surface serait supérieure (effet de suppression spectrale). Impureté Pic de matrice Spectre LSIMS d'une saponine. Matrice: m-NBA + LiI I . 2 . D Electronébulisation (Electrospray Ionisation, ESI) Jusqu'en 1987, la limite de poids moléculaire des composés analysables par spectrométrie de masse ne dépassait pas 35 000 Daltons dans les cas les plus favorables (252Cf-PDMS). Depuis 1988, date à laquelle elle est apparue, la technique d'électronébulisation (electrospray) permet l'analyse en routine de protéines de masse supérieure à 100 000 Da. L'electrospray repose sur l'introduction d'une solution aqueuse du composé à analyser par un capillaire très fin porté à haut potentiel. Cette tension crée des charges dans la solution et, au sortir du capillaire, un nébulisat ("spray") de fines gouttelettes (1 µ) est formé, favorisé par une nébulisation pneumatique. Dans la source à pression atmosphérique, ces gouttelettes rencontrent un flux d'azote chaud à contrecourant qui conduit à l'évaporation progressive du solvant. Le premier effet en est la diminution de la taille de la gouttelette ainsi que, corrélativement, l'augmentation de la densité de charges au sein de la solution. Lorsque la répulsion coulombienne excède la tension superficielle de la gouttelette, celle-ci explose en formant des gouttelettes de seconde génération, beaucoup plus petites. Après plusieurs étapes de désintégration, la densité de charge dans la gouttelette devient telle que le champ électrique local, très intense, conduit à la désorption des ions par effet de champ. Cela se traduit par la production d'ions en phase gazeuse, physiquement intacts et pouvant porter plusieurs charges en raison de l'attachement de protons aux sites basiques des molécules. L'interface entre source et analyseur de masse est Source electrospray (Sciex) réalisée par une série de lentilles (cône 8 d'échantillonnage, "écumoire" ou skimmer) qui réalise, d'une part, la désolvatation complète des ions et, d'autre part, leur activation par collision, phénomène que l'on peut mettre à profit pour obtenir des ions-fragments et donc des informations de structure. La région d'activation se situe, sur le schéma de source ci-dessous, entre le cône d'échantillonnage (Sampling cone) et l'écumoire (Skimmer). Le potentiel du skimmer étant fixe (dans le cas présent, la valeur de 4000 V est adaptée au couplage avec un spectromètre magnétique), il suffit d'augmenter le potentiel variable du sampling cone pour favoriser les fragmentations. 5000 V 4000 V 4000-4240 V 8000 V N2 Ion intact Fragment Capillaire Sampling cone Contre-électrode Skimmer P intermédiaire (10-3 mbar) P atm. Vide Schéma général de la source electrospray dite "pepperpot" (Micromass, Manchester, UK). Dans le cas des séries d'ions multichargés rencontrées avec les protéines, le calcul du poids moléculaire s'effectue à partir des différentes valeurs de m/z rencontrées sur le spectre de masse, chaque pic différant de son voisin, à masse m constante, par son nombre de charge z associé au nombre de protons correspondant. Un calcul simple permet ensuite à l'ordinateur de tracer un spectre fictif, dit de "déconvolution", montrant le pic qui correspondrait à la molécule M neutre. Le nombre de charges est parfois tel que, même pour des protéines de grande taille, les valeurs de m/z obtenues entrent dans le domaine de masse des spectromètres conventionnels tels que les quadripôles. 10+ 757 7566 11+ 689 9+ 842 8+ 946 7+ 1082 m/z Spectre de masse electrospray d'une protéine (en rouge: nombre de charge z, en bleu: valeur de m/z, en insert, déconvolution du spectre).