Le Nouvel Observateur - Citizen

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Culture
Denis Robert : "Que les jeunes se rendent compte du bulldozer
que Cavanna a été"
Par Le Nouvel Observateur
Publié le 30-01-2014 à 18h55
Le journaliste Denis Robert lutte pour la mémoire de l'écrivain. Il y a un an, il a commencé un documentaire sur lui, et
compte bien le terminer. Interview.
François Cavanna par luimême
"Cavanna savait débusquer
le talent et le génie"
La gloire de Cavanna
Denis Robert : "Que les
jeunes se rendent compte
du bulldozer que Cavanna
a été"
"Bukowski, ta gueule !"...
et autres sorties fleuries de
Cavanna
Cavanna est mort
EXTRAITS. Mr Cavanna et
Miss Parkinson
Et si on se refaisait "HaraKiri"?
"Cavanna laisse un
héritage monumental"
Cavanna : "On a
commencé à nous appeler
les Ritals quand j’ai eu dix
ans"
Tôt ce matin, il était encore bouleversé. Le journaliste Denis Robert a appris le décès de François Cavanna, jeudi
30 janvier, comme "quelque chose qu'on attend, mais auquel on est jamais vraiment préparé". Le documentariste
se battait depuis près d'un an pour réaliser un film (C’était comme une figure paternelle.) sur
Cavanna afin de rappeler ce qu'on lui doit de liberté.
Denis Robert commence à tourner l’an dernier, réunit les archives disponibles et filme plusieurs entretiens. Avec
difficulté, car Cavanna, s'il a toujours la pêche, a déjà 90 ans et la maladie de Parkinson. Il tombe, régulièrement,
et se fracture une première fois le col du fémur : quatre mois de rééducation cet automne. Puis une seconde
fracture, une semaine avant sa mort, aura raison de lui :
Parkinson a finit par l’avoir. La 'Lune de Miel'
(http://bibliobs.nouvelobs.com/documents/20101221.OBS5094/mr-cavanna-etmiss-parkinson.html) (nom de son dernier roman sorti en 2011, qui parle de sa
maladie) n’a pas vraiment duré", commente Denis Robert.
Le journaliste a vécu intensément les derniers mois de l’auteur des "Ritals", qu'il décrit comme presque
abandonné, à l'écart de ses anciens amis de "Charlie Hebdo" : "Maintenant qu'il est mort, ça va être des hommages
un peu partout, alors qu'il était relativement oublié", raconte-t-il, amer, entre deux invectives contre " l'équipe Val"
(qui aurait "détourné l’héritage, triché avec Cavanna") et les oublieux d'aujourd'hui et d'hier.
Si le scénario du documentaire sera inévitablement modifié par la mort de l’écrivain, "impossible de ne pas faire le
film maintenant". Pour Denis Robert, on lui doit au moins ça.
Comment avez-vous connu François Cavanna ? Quelle était votre relation ?
- C'était comme une figure paternelle. A 22 ans, je créais un journal qui s’appelait "Santiag" et Cavanna était venu
nous aider. A l’époque j’étais un universitaire, en "psycho". Mes conversations avec lui m'ont fait bifurquer, parce
qu'il m'a appris la liberté. En lisant ses livres, ça m'a paru assez simple d'écrire, et ça m'a décidé à devenir aussi
écrivain. Si Cavanna et ses livres n’avaient pas traversé ma vie, j’aurais eu une autre vie, c’est sûr.
Qu’est-ce qui vous a donné envie de faire un film sur lui ?
- Il y a cinq ans, j’avais déjà envie avec mon copain LeFred de faire un film sur Cavanna, mais je n’étais pas pressé.
Puis, en donnant des cours dans des écoles de journalisme, je me suis rendu compte que sur des classes de 30-40
personnes, 4 ou 5 connaissaient Cavanna. Ça m’a tué. Merde ! Ces gens là qui veulent devenir journalistes, qui ont
20, 30 ans ne savent pas que ce métier existe, que cette liberté d'expression existe en France grâce à lui ! Il faut que
les jeunes se rendent compte du bulldozer que ça a été, de la manière dont ils ont fait exploser une France gaulliste.
J'avais envie d’expliquer à ma fille de 20 ans que s'il y avait eu un mec, même si les médias n'en parlent pas, qui est
bien plus important qu'un paquet de valeurs frelatées de philosophes à la noix, c'était François Cavanna
(http://tempsreel.nouvelobs.com/tag/francois-cavanna).
Pourquoi cette campagne de crowdfunding (http://www.kisskissbankbank.com/jusqu-a-l-ultimeseconde-j-ecrirai) pour réunir l’argent ?
- Au début, je pensais que ça ne poserait pas de problème de trouver une chaîne mais là, le drame a commencé :
personne ne voulait faire de film sur Cavanna. La télé n'aime pas les vieux, on ne fait pas d'audience avec un type
de 90 ans. En y repensant, je n'ai pas de colère mais plutôt de la tristesse... Ensuite, on a lancé cette souscription,
et ça a été un tel engouement que ça nous a permis de trouver deux chaînes.
La souscription, ça le faisait un peu chier, il me disait : "T'as fini de faire la manche ?". Mais il était content que je
me décarcasse pour faire un film. Et après la souscription, on a reçu beaucoup de messages très chaleureux, et ça
l'avait réchauffé. Les 560 donateurs aimaient vraiment Cavanna, et ça c'est quelque chose qui va au-delà de la
mort.
Qu’est-ce qu’il faut garder de Cavanna ? Cette liberté d’expression dont beaucoup se réclament
aujourd'hui ?
- On peut dire que Cavanna a contribué à créer la liberté d'expression dont on parle beaucoup en ce moment, avec
la polémique sur Dieudonné. Cette histoire, je n'ai pas réussi à en discuter avec lui car c'était difficile pour lui de
parler à la fin.
En tous cas, contrairement à des tas de types qui essayent d’avoir de l'humour, Cavanna n'avait pas une once de
haine, et surtout beaucoup d'intelligence. Il était féministe, très courageux, lucide, il adorait la vie. Ça nous
manque vraiment aujourd'hui. Ce n’est pas Stéphane Guillon, Dieudonné, ou Nicolas Bedos qui remplacent ça. En
même temps, ces gens-là sont quelque part ses héritiers, mais ils ne lui arrivent pas à la cheville.
Ce qu'on oublie aussi, c'est que Cavanna était plus que "Charlie Hebdo" et "Hara-Kiri", c'était avant tout un
écrivain, un philosophe, qui lisait beaucoup, qui était très cultivé et vif. Récemment on m’a rappelé une anecdote :
"Le Figaro" faisait passer à des écrivains les sujets de philo du bac, il y avait des académiciens, des types comme ça.
Le seul qui a eu 20, c’était Cavanna.
Qu'est-ce qui va primer dans votre film ?
- Je ne veux pas faire un film triste, un hommage grandiloquent. Je veux un film lumineux, comme ses yeux bleus.
Il y avait quelque chose de douloureux chez lui, qu'on retrouve dans ses livres : le STO, la guerre qui le hantaient…
mais ce qui emportait tout chez lui, ce n’était pas la douleur, c’était le recul, l'humour et l’intelligence.
Propos recueillis par Alice Maruani , le 30 janvier - Le Nouvel Observateur

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