Les valeurs républicaines se perdent

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Les valeurs républicaines se perdent
Grand témoin
Les valeurs républicaines
se perdent
Elle s’est fait connaître en étant présidente de la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité, puis en
devenant Secrétaire d’Etat à la jeunesse et à la vie associative du gouvernement Fillon. Avant cela, Jeannette Bougrab avait
fait une brillante carrière universitaire en obtenant un doctorat de droit public et en étant maitre des requêtes au Conseil
d’Etat.
Q Jeannette Bougrab,
Avocate et ancienne Secrétaire d’Etat
L’
Information Agricole – Que ressentez-vous après l’annulation
par la Cour de cassation du
licenciement d’une employée voilée de
la crèche Baby-loup ?
Jeannette Bougrab Q Une grande tristesse
de voir une digue céder devant les revendications communautaires. La laïcité est un
principe constitutionnel qui permet de vivre
ensemble quelles que soient la confession
et l’origine. C’est aussi un principe émancipateur pour les femmes, et lorsqu’on
voit la Cour de cassation expliquer que ce
principe ne s’applique pas dans les établissements privés, il s’agit là d’un recul. Les
hautes juridictions sont parfois coupées des
réalités. Ce pays que l’on aime tant avec ses
valeurs universelles, tend à disparaître au
profit d’un modèle communautariste anglosaxon. La crèche Baby-loup à Chantelouples-Vignes (78) tenait par miracle compte
tenu des pressions et des violences qu’elle
subissait, notamment de milieux intégristes.
Après cette décision, les menaces et les
appels anonymes sont montés d’un cran.
Déjà avant, le personnel était injurié, leurs
pneus régulièrement crevés, on leur faisait le sourire kabyle, signe qu’ils allaient
être égorgés. On ne s’imagine pas de telles
situations en France, ce quartier est devenu
une zone de non-droit. Nous allons être
obligés de fermer la crèche, et 120 familles
8 | L’Information Agricole - N° 866 Avril 2013
I. A. – Craignez-vous que cette décision de justice fasse jurisprudence ?
modestes ou monoparentales vont se
retrouver sans mode de garde. Il y a une
telle omerta que personne n’ose s’opposer
à certains groupes de la population.
Aujourd’hui, il appartient au législateur de
créer une loi pour affirmer clairement le
principe de laïcité au moins dans les établissements de la petite enfance, comme cela
a été fait pour l’école. On doit protéger les
enfants en laissant à l’entrée de la crèche
ses croyances religieuses et toute manifestation ostentatoire.
J. B. Q Cet arrêt de la Cour de cassation va
renforcer les revendications communautaires qui existent déjà, sur les salles de
prière, les horaires adaptés au ramadan. Il
y a, en milieu hospitalier, des hommes qui
refusent que leur femme soit auscultée par
un homme, certains d’entre eux ont même
fait de la prison pour avoir battu leur femme
à cause de cela, mais aussi des aides-soignantes qui refusent de prodiguer des soins
à des hommes. Du coup dans certains hôpitaux, des femmes gynécologues consultent
en priorité des patientes musulmanes pour
éviter des problèmes. Au nom d’une culpabilité postcoloniale et d’une interprétation
erronée de l’Islam, on abandonne ce qui
faisait l’essence de la République en anticipant des revendications communautaires
qui ne sont pas toujours exprimées. Comme
par exemple la ville du Havre jetant des
tonnes de mousses au chocolat qui contiendrait de la gélatine de porc, alors qu’il y a
des gens qui meurent de faim en France et
que l’on parle de couper les subventions
européennes aux associations caritatives.
Autre exemple, les horaires de piscine aménagés pour exclure la mixité. On est dans
une situation qui ne dit pas son nom, ce
contrat social a été modifié sans l’aval des
Français, et tant que les politiques cèderont
Grand témoin
à des revendications communautaires pour
récupérer des voix, les choses iront de mal
en pis.
I. A. – Quelle est la réalité, un an après
les assassinats perpétrés par Merah,
de l’islamisme en France et dans les
pays arabes ?
J. B. Q Il y a une véritable installation de
courants fondamentalistes dans les quartiers, une centaine de Français font le djihad en Syrie, d’autres au Mali, et quand on
remet en cause les services de l’Etat avant
de remettre en cause Mohamed Merah, ça
me pose un problème. On ne peut justifier l’ignominie par une détresse sociale,
mes parents ont échappé au massacre en
Algérie, ont été accueillis déplorablement
en France, jamais mon père n’a basculé
dans la délinquance ou le fondamentalisme.
L’humain possède toujours un libre-arbitre,
et trouver chaque fois des excuses au pire,
ne participe pas à rendre service à la République. C’est dans l’école que se trouve la
réponse pour endiguer l’islamisme, et en
même temps l’Etat doit avoir une politique
très ferme, en n’hésitant pas à expulser les
personnes prêchant des valeurs qui ne sont
pas les nôtres.
Concernant les pays arabes, la culpabilité
d’avoir soutenu des dictateurs ne doit pas
nous pousser à soutenir des islamistes. Ces
partis ont gagné le pouvoir grâce à l’argent
des Saoudiens et des Qataris qui leur a
permis de financer des œuvres sociales, et
lorsque l’on connaît la misère en Tunisie
et en Egypte, les islamistes ont pu récolter
ainsi les voix populaires. Il n’y a pas d’islamisme modéré, l’application de la charia
signifie une inégalité entre les hommes et
les femmes, le port du voile, la lapidation.
I. A. – En matière d’éducation, comment réagissez-vous aux réformes
engagées ?
J. B. Q Il y a 300 000 enfants qui sortent
chaque année du système scolaire sans
diplôme, et je trouve stupide de supprimer l’apprentissage à 14 ans. Pour tous ces
gamins qui sont en échec, c’est une voie
essentielle, même s’il y a des choses à améliorer comme la somme de paperasserie
décourageante dès que l’on veut faire un
apprentissage. En Allemagne, qui a l’un
des taux de chômage les plus faibles pour
les jeunes, l’axe fort de la vie professionnelle est l’apprentissage. Par ailleurs, on
ne peut pas demander à l’école de lutter
contre l’échec scolaire si l’on n’accompagne
pas financièrement les familles, notamment
les monoparentales ou celles avec plus de
4 enfants. On a le sentiment que l’on veut
opposer des catégories. Une chose est sûre,
on ne peut pas faire peser sur les classes
intermédiaires tous les efforts de la société
française.
Sur la réforme des rythmes scolaires, certaines collectivités locales n’auront pas les
moyens de l’assurer, et je vois plusieurs
communes de gauche reporter au maximum sa mise en application. Pour ma
part, j’y suis favorable et lorsque j’étais
Secrétaire d’Etat à la jeunesse, j’avais travaillé avec Boris Cyrulnik sur le mal-être à
l’école dont l’une des raisons provient des
rythmes scolaires, mais aussi de la notation. Pour autant, je ne suis pas sûre que
notre pays soit prêt à ces réformes. Dès que
l’on veut toucher à quelque chose dans le
domaine de l’Education, c’est toujours très
compliqué. On a l’impression qu’à chaque
fois que Vincent Peillon bouge, on parle
de gaffe.
I. A. – Quels sont les points sur lesquels vous attendez des avancées
concernant les droits des femmes ?
J. B. Q L’écart de salaire moyen entre les
hommes et les femmes est de 28 %. En plus
les femmes sont les premières victimes des
plans de licenciement et du chômage en
général, vu que le simple fait d’être une
femme est la première cause de discrimination au travail, sans compter qu’il n’existe
pas suffisamment de modes de garde pour
leur permettre de travailler. Il faut que les
syndicats jouent leur rôle en matière de
lutte contre les discriminations. Lorsque
j’étais présidente de la Halde, jamais un
syndicat ne m’a saisi pour une discrimination raciale ou liée à un état de grossesse,
mais uniquement pour une discrimination à
l’appartenance syndicale. Quant à la parité,
on est obligé d’adopter une loi pour la
faire respecter dans le conseil d’administration des grandes entreprises, et même
lorsqu’une loi paritaire existe déjà, elle
n’est pas appliquée, regardez l’Assemblée
Nationale. De même dans la haute fonction
publique, il y a très peu de femmes, c’est
une constante dans la société française, qui
est très conservatrice. Il ne faut pas uniquement des dispositifs pour le secteur privé,
le secteur public doit être exemplaire et il
ne l’est pas.
Propos recueillis par Michel Monsay
Photo : Thomas Laisné
« MA RÉPUBLIQUE SE MEURT », éditions Grasset.
A 39 ans, Jeanette Bougrab est aujourd’hui avocate, et vient
d’écrire un livre dans lequel elle porte un regard douloureux
sur la République. Elle s’explique :
« C’est d’abord un livre pour rendre hommage à mes parents
harkis, en particulier à mon père, caporal-chef dans l’armée
française, qui avait toutes les raisons de détester la France et
qui au contraire n’a cessé de la chérir. Je pense que c’est
important de connaître l’histoire de ces gens qui ne savaient
pas lire ni écrire, et ont inculqué à leurs enfants l’amour de
la patrie, de l’école. Ils incarnaient les valeurs républicaines
bien plus que certains milieux parisiens. Ces valeurs, malheureusement, se perdent aujourd’hui et nous sommes une poignée avec Elisabeth Badinter ou Manuel Valls à essayer de
les défendre ».
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