Le dveloppement rapide de nouvelles applications, tel que la VoIP

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Le dveloppement rapide de nouvelles applications, tel que la VoIP
Premier séminaire de la chair sur l’Innovation et la Régulation dans l’économie numérique
Séminaire sur la Neutralité de Réseau :
Perspectives Américaines et Européennes
Le 29 mai, 2007
Ce séminaire s’est déroulé dans le cadre de la chaire sur l’innovation et la régulation pilotée
par Pierre-Jean Benghozi de l’école Polytechnique, Laurent Gille de l’ENST, et Alain Vallée
de l’ENST. Il a été conçu et préparé par Marvin A. Sirbu de l’université de Carnegie Mellon.
L’objectif de ce premier séminaire sur la question de la neutralité du net était de confronter
dans une perspective internationale, les analyses académiques les plus récentes avec le point
de vue des principaux acteurs économiques et publics. Malgré l’absence d’un ou deux acteurs
du marché des contenus, la journée a ainsi permis aux principaux industriels des
télécommunications, opérateurs de réseaux, acteurs du monde de la régulation des
télécommunications d’échanger très directement avec les meilleurs experts mondiaux de la
question.
Rappels théoriques sur la « Neutralité de Réseau »
(NR) et enjeux économiques 1
“Now, what they would like to do is use my pipes free, but I ain't going to let them do
that because we have spent this capital and we have to have a return on it. So there's
going to be some mechanism for these people who use these pipes to pay for the
portion they're using. Why should they be allowed to use my pipes?” CEO of AT&T
Ces propos positionnent clairement un des aspects du débat sur la NR : comment s’effectuera
la répartition des rentes économiques générées par l’industrie des technologies de
l’information. Cependant, il serait réducteur de limiter le débat sur la NR à de simples
discussions de manne financière. Le développement rapide de nouvelles applications, telles
que la VoIP ou la vidéo à la demande, nécessitant des qualités de service et des niveaux de
sécurité de plus en plus importants, soulève également de nouvelles questions concernant
l’utilisation du réseau et la répartition de la bande passante. Les opérateurs de réseaux
disposent principalement de deux outils pour améliorer la qualité du service et la transmission
des données. Ils peuvent investir dans des nouvelles technologies de sorte à améliorer la
capacité de leur réseau et/ou procéder à une hiérarchisation du trafic. Dans un contexte de
congestion, la hiérarchisation du trafic peut apparaître comme une alternative à des
investissements risqués et souvent irréversibles.
Ces deux solutions envisagées sont source de débats. D’un côté, l’extension de la qualité et
l’amélioration du réseau soulèvent la question de la répartition du financement de
l’infrastructure. De l’autre, apparaissent des craintes sur la possibilité des opérateurs de
réseaux d’utiliser la hiérarchisation du trafic de manière anticoncurrentielle pour bloquer ou
détériorer des services concurrents.
Il n’existe actuellement pas de définition reconnue et adoptée par tous du concept de NR. Une
régulation basée sur la NR aurait pour conséquence de contraindre le comportement d’un
fournisseur d’accès Internet vis-à-vis des fournisseurs de contenus. En particulier, les
fournisseurs d’accès Internet ne pourraient pas imposer un droit d’accès (access-tiering), pour
atteindre chacun de leurs usagers, aux fournisseurs de contenu, dont les applications
nécessitent des statuts prioritaires et/ou utilisent une part importante de bande passante. En
outre, il leur serait interdit de bloquer l’accès de certains sites ou certaines applications.
Enjeux théoriques
Rappelons que la structure de marché est caractérisée par des relations verticales, où des
fournisseurs de contenus peuvent être en concurrence avec des services proposés par des
1
Vous trouverez en annexe les présentations des différents intervenants. FAI ; c’est le cas de la VoIP ou de la vidéo à la demande par exemple. Les défenseurs de la
NR soutiennent que celle-ci est nécessaire pour empêcher les fournisseurs d’accès Internet
(FAI) de dégrader ou de bloquer l’accès à certaines applications concurrentes et pour
permettre l’émergence et le développement de nouveaux services (le « Google » de demain !).
T Wu: « innovation rate is slower in the mobile market compare to Internet »
Pour étayer son argumentaire, T. Wu évoque le cas du marché sans fil américain, qualifiant la
politique de régulation en vigueur sur ce marché de « do nothing », il constate que les
innovations sur les applications et les contenus sont faibles comparativement au marché
filaire.
En outre, garantir un libre accès au réseau, non discriminatoire, permettrait de maintenir
l’identité même du marché de l’Internet - caractérisé par des coûts et des barrières à l’entrée
relativement faible - et de soutenir ainsi son rythme élevé de croissance.
J. G. Sidak: « blocking on content or application… is not the main driver. The issue is
the manner which broadband access will switch its business model from subscription
to advertising”
Pour des opposants à la NR tels que J. G. Sidak, ces arguments ne sont pas convaincants. A
leur sens, le débat sur la NR est essentiellement un débat sur le meilleur moyen de répartir le
coût de l’infrastructure et d’ouvrir la discussion sur les modèles de répartition de revenus à
venir.
La problématique concernant le financement d’une infrastructure de réseau, a été
rigoureusement abordée dans la littérature, il en ressort qu’une tarification à la RamseyBoiteux fournit une solution de second rang. Dans cet esprit, consentir que les opérateurs de
réseaux puissent discriminer et proposer des services (payants) différenciés aux fournisseurs
de contenus, est un moyen socialement bénéfique de répartir le coût de l’infrastructure, entre
les usagers et les fournisseurs de contenus.
À l’opposé, les défenseurs de la NR, considèrent qu’une différenciation de traitement et de
tarification n’est acceptable que si elle s’applique aux utilisateurs finaux et selon le contenu
circulant sur les infrastructures. Les usagers, grands consommateurs de bande passante,
paieraient alors un tarif plus important, selon le volume de bande passante utilisé et les statuts
prioritaires nécessaires à la livraison de leur trafic.
Pour les opposants à la NR, les problèmes connexes, concernant les menaces d’abus de
position dominante des fournisseurs d’accès Internet et les risques de ralentissement des
innovations ne semblent pas pertinents. Ils considèrent qu’il est peu vraisemblable qu’un FAI
puisse abuser de sa position car celle-ci tend à se réduire au fur et à mesure que la
concurrence sur ce marché s’installe. Le marché américain du haut débit est considéré par
exemple, notamment par la FCC, comme concurrentiel.
Les opérateurs de réseaux : le rejet du dogme de la neutralité
B. Briscoe (BT & UCL): « TCP fairness goal has meaningless »
B. Briscoe note qu’Internet donne plus à ceux qui prennent plus, d’où des comportements
qualifiés d’égoïstes, consistant à générer le plus de trafic possible pour obtenir le plus grand
bénéfice en retour.
R. Clarke (AT&T): « Real-time applications like VoIP or IPTV need always to “see”
an open pipe…but many IP applications tolerate packet loss, delay…Should all
applications be treated equally in terms of service quality, pricing structures and
levels? »
« There is both private and social value in controlling or limiting the spread and/or
effects of malware traffic »
R. Clarke insiste sur la diversification rapide des contenus délivrés par Internet, sur la
demande croissante et hétérogène de qualité de service qui en découle, ainsi que sur les
nécessités de fournir aux consommateurs des systèmes de protection de plus en plus
performants.
R. Doll (DTAG): « quality differentiation is welfare enhancing and thus widespread »
Dans une perspective européenne, R. Doll s’interroge sur la pertinence d’une régulation exante basée sur la NR. Il rappelle que la structure du marché haut débit en Europe et plus
particulièrement en Allemagne, suite notamment aux obligations de dégroupage, peut être
considérée comme concurrentielle. Plus fondamentalement, il souligne que la différenciation
que redoutent les partisans de la NR est très couramment admise et utilisée dans d’autres
domaines tels que les secteurs du transport ou des médias où elle permet même d’accroître le
surplus social.
En résumé, pour les différents opérateurs, les principes historiques à la base du
fonctionnement d’Internet, associés au développement d’un trafic de plus en plus sensible au
temps de latence, nécessitent une discrimination du trafic.
Dans un cadre européen, quelle serait la pertinence d’une régulation exante fondée sur la neutralité de réseau ?
Les discussions du séminaire ont permis de faire ressortir l’absence de réponse théorique
tranchée quant aux effets d’une régulation fondée sur la NR. Une des composantes
essentielles de la discussion tient à l’analyse que l’on peut faire de la nature du marché des
opérateurs de réseaux. Est-il suffisamment concurrentiel pour dés-inciter les opérateurs de
réseaux d’adopter des stratégies outrancièrement discriminatoires ?
Depuis 2000, un règlement de l'Union européenne impose aux opérateurs historiques
l'obligation d'accès des opérateurs alternatifs à la boucle locale. Cette option, appelée
dégroupage de la boucle locale, a permis de favoriser l’essor de la concurrence dans l’Internet
haut débit. Conscients de la dynamique concurrentielle d’un tel mouvement, les régulateurs
européens adoptent une position relativement neutre sur la hiérarchisation du trafic, qui leur
apparaît être une stratégie efficace de gestion du trafic et représentant une faible menace de
comportement anticoncurrentiel.
C. Carter (Ofcom): « easy to migrate from a service provider to another »
Toutefois pour éviter que les choix de hiérarchisation d’un fournisseur d’accès Internet ne
nuisent aux consommateurs, les régulateurs préconisent d’accroître la transparence des
opérateurs. Les choix des FAI concernant la classification des contenus et/ou les applications
susceptibles d’être bloquées doivent être mis à disposition des consommateurs. En outre, ils
recommandent de diminuer les coûts et d’assouplir les contraintes pesant sur les utilisateurs
finaux lors du changement de fournisseur d’accès. De telles dispositions visent à favoriser une
forme d’autorégulation du marché : un opérateur de réseaux bloquant intentionnellement
certaines applications fortement appréciées par ses usagers, se verrait pénalisé par des pertes
de parts de marché.
Perspectives sur la « Neutralité de Réseau»
Le sujet de la NR soulève des questions qui semblent déterminantes pour l’avenir d’Internet et
des principes qui lui ont permis de se développer, et cela, aussi bien d’un point de vue
conceptuel (connexion « end to end ») que technique (principe du « best effort » des
opérateurs) ou encore politique (ex. ouverture et liberté d’expression). Le débat s’est ouvert
aux Etats-Unis pour des raisons principalement inhérentes à la structure du marché, mais il
pourrait aussi susciter des controverses en Europe si les discussions se résumaient à des
conflits d’intérêts pour le partage de la rente. Le débat a permis de constater que l’Europe
dispose d’un temps stratégique sur la question de la NR, qui devrait être utilisé à la
compréhension des perspectives de l’Internet de demain. L’impact des décisions qui
pourraient être prises, au nom ou pas de la NR affecterait en effet l’écosystème de l’Internet
au delà de ses seules dimensions économiques.
Après les chevauchées sauvages, puis les galops balisés, allons-nous vers les
tours de manège sur des chevaux de bois ?
Le choix de l’Europe pour le « LLU » (Local Loop Unbundling ou dégroupage de la boucle
locale) modifie la perception des enjeux d’une régulation par le « laisser faire » ou la NR,
telle qu’elle se discute actuellement aux US. Grâce au LLU, le niveau de concurrence en
Europe se soutient en effet relativement bien comparativement aux US. Le régulateur
européen, qu’il s’agisse de l’OFCOM ou l’ARCEP, a pris soin de maintenir une concurrence
au niveau de la boucle locale et particulièrement sur le dernier kilomètre qui permet de
connecter l’abonné à Internet. Ainsi, les efforts en faveur du dégroupage ont contribué à
l’existence d’une compétition active et efficace en Europe. On peut donc légitimement se
poser la question des effets ou risques que susciteraient, du point de vue de la concurrence, la
remise en cause (ou pas) de la NR et les conséquences qui naîtraient de telles évolutions
changements. Pour certains acteurs, il y a un réel besoin d’offrir des réseaux proposant une
meilleure qualité de service, une meilleure sécurité et de meilleures performances (sans que
tous ces points n’aillent forcément nécessairement ensemble). C’est, pour l’Internet de
demain, une question de viabilité afin d’éviter que la qualité du service ne soit profondément
remise en cause par les risques actuels de trop fortes congestions et de vulnérabilité aux
attaques virales de tous genres. Aussi populaire et utilisé qu’il soit, Internet ne peut continuer
d’évoluer par les seuls mécanismes et forces de marché qui l’ont jusqu’à présent porté et
rendu incontournable. En permettant aux opérateurs de réseau de tirer profit des applications
les plus demandées, une hiérarchisation ou une certaine forme de discrimination pourrait
constituer une forme d’incitation à réinvestir les innovations d’infrastructure et dans de
nouvelles générations de services pertinents (ex. télémédecine ou vidéoconférence). La
culture et le succès de l’internet peuvent à l’inverse inciter à relativiser la menace de
dégradation de service dans un cadre de concurrence ouvert, surtout si l’on tient compte que
cette dégradation pénalisera d’abord la position de marché des acteurs. La question est donc
de savoir si un Internet à plusieurs vitesses est envisageable et s’il pourrait opérer
efficacement dans un cadre concurrentiel. La majorité des Internautes y trouverait-elle un
bénéfice ou un intérêt accru ? Une augmentation du coût pour les entrants des extrémités du
réseau serait-elle de nature à maintenir ou favoriser la concurrence sur ces segments ? Le
débat et la confrontation des points de vue montrent que ces questions ne trouvent pas
facilement de réponse.
Internet a besoin d’innovations pour se développer
Le sujet de la NR trouve un écho important aux U.S et en Europe sur les questions de
l’innovation, mais aussi de l’accès à l’innovation. Grâce aux modalités actuelles d’accès au
réseau, des entreprises telles que Google ou Yahoo ont pu accéder au grand public par
Internet sans supporter spécifiquement de lourds coûts d’infrastructure. Avec une structure de
tarifs différenciés différente, ce type d’acteurs aurait sans doute émergé plus difficilement. Ce
point est d’autant plus significatif qu’une partie importante de l’innovation dans l’industrie
des technologies de l’information est apparue grâce aux start-up sur la fin du 20e siècle. Le
séminaire a donc permis de s’interroger sur l’impact de la NR sur l’innovation applicative,
mais aussi sur l’innovation d’infrastructure. C’est en effet par une course à la bande passante
de qualité et au haut débit que les services se sont multipliés sur Internet. Une remise en cause
de ce principe n’est pas neutre sur l’évolution d’Internet. L’émergence d’un futur « Google »
tirant parti des nouvelles capacités d’Internet et favorisant son utilisation n’est pas assurée si
les coûts d’accès au réseau ne sont pas une barrière potentiellement trop forte à l’entrée. Plus
largement, ce sont la créativité et la diversité même des innovations sur Internet qui risquent
d’être en jeu si ce sont les mêmes acteurs ou des acteurs d’un même groupe qui possèdent une
prise sur les réseaux et certains contenus de réseau. La menace d’une guerre larvée entre
modèles d’affaires du « contenu » et du « tuyau » peut rendre l’équilibre économique des
activités difficiles à trouver. Il s’avérerait, dans ce cas, sans doute nécessaire de calibrer les
gains ou espérances de gains de la chaîne d’innovation sur Internet, ou bien d’imposer des
normes institutionnelles que les acteurs ne pourraient atteindre et se fixer contractuellement,
sans entente qui ne freine l’innovation. Ces questions ne sont pas sans effets sur les
possibilités d’entrée dans une industrie de l’Internet encore en phase de développement.
L’internaute dans les discussions sur la NR
La NR a enfin des effets sur la nature même des contenus circulant : diversité et liberté de
parole. Le modèle ouvert de l’Internet a jusqu’ici permis aux Internautes du grand public de
bénéficier d’un véritable droit de libre expression et d’une garantie de ses droits individuels
dans un cadre non contraignant. Ne peut-on légitimement penser que cette libre expression ne
puisse être détournée par des mécanismes de hiérarchisation ? Les nouvelles qualités de
services et la NR ne vont-elles pas créer des « Internautes d’en haut et des Internautes d’en
bas » ? La perspective de nouveaux principes de régulation ne va-t-elle pas freiner les
processus de création des Internautes qui, avec notamment l’apparition du Web2.0, ont
démontré une capacité à produire et générer des contenus radicalement nouveaux? Le débat a
montré qu’une fois ces questions posées, on ne peut écarter l’hypothèse où la remise en cause
de la NR pourrait aussi représenter une opportunité de meilleure diffusion des connaissances
et de l’information pour l’Internaute, avec un rôle plus actif de l’Internaute dans les choix des
services et des qualités de services qu’il souhaiterait laisser entrer dans son réseau
domestique. Dans ce cadre, une « auto-discrimination » pourrait par contre être envisagée
beaucoup plus sereinement qu’une discrimination subie (notamment via le contrôle opéré par
la « box » des foyers). La vigilance des acteurs européens serait souhaitable pour que les
récentes batailles pour réduire la fracture numérique ne se transforment en guérilla sur
d’autres formes de fragmentation de l’industrie de l’Internet et des standards de services.
Internet est un écosystème ouvert où la voix de chaque acteur compte
Il est enfin utile de rappeler qu’Internet est un écosystème riche et vivant. Les opérateurs de
services, les fournisseurs de contenus et d’applications ont un rôle décisif à jouer, mais ils ne
sont pas seuls. De grands noms de l’industrie des technologies ont contribué au décollage
d’Internet (ex. Intel, Microsoft, Cisco, etc.) ; l’Internet en situation de mobilité est également
maintenant un puissant vecteur de croissance pour une grande partie de l’écosystème. Il paraît
fondamental d’impliquer ces acteurs dans le débat que la NR soulève et qui pourrait
potentiellement peser sur la croissance d’Internet et donc de la croissance économique. La
concertation et la coordination des acteurs américains et européens sur un sujet qui posent des
questions d’ordre technologique (ex. attachement des terminaux et systèmes sur le réseau),
économique (ex. prochains services ou innovations), politique (ex. pression chinoise pour
développer un modèle d’Internet contrôlé), mais aussi sociologique (ex. discrimination
d’accès) sont elles suffisamment importantes ? Sur ces enjeux majeurs de l’internet, la
discussion a montré que les U.S et l’Europe peuvent potentiellement harmoniser leurs
positions, dessiner les infrastructures publiques, et orienter les contours de la société
numérique de demain.
Rapport de séminaire juin 2007
Ramesh Caussy & Joeffrey Drouard