ANTHOLOGIE 2015 La Poésie n`a pas d`âge

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ANTHOLOGIE 2015 La Poésie n`a pas d`âge
PRINTEMPS POÉTIQUE
La poésie
n’a pas d’âge
. Baie de Somme 2013 Photo Robert Froger
ANTHOLOGIE
Partez à la découverte de cette anthologie
qui, d’âge en âge, de manière linéaire,
essaie de vous montrer que
La poésie
n’a pas d’âge
***
ème
31
PRINTEMPS POÉTIQUE
du 27 MAI au 5 JUIN 2015
La Suze-sur-Sarthe
***
L’usage de cette anthologie est réservé aux enseignants, membres de l’association
« Les Amis des Printemps Poétiques », à des fins purement pédagogiques.
Les ouvrages, présentés dans l’anthologie et disponibles au « Promenoir de Poésie
Contemporaine » ( Médiathèque Les Mots Passants à La Suze-sur-Sarthe), peuvent
comporter des textes qui ne sont pas adaptés à un jeune public.
2
DANS LE VENTRE DE MAMAN
Dans le ventre de maman,
j'en ai lu des livres,
des poèmes à petits bruits,
la mélodie d’un long roman,
des chansons pour taper du pied,
pour faire en rond des voyages.
Dans le ventre de maman,
je savais bien quand vient la nuit,
quand c’est le jour,
ce qu’est l’amour.
Je riais déjà. J’avais chaud.
J’attendais seulement les mots.
Carl Norac
D’îles en ailes
Couleur livres, 2012
RETOURNER DANS LE VENTRE DE MA MÈRE
Je ne me sens en sécurité nulle part
Ni dans la maison grouillante
Ni dans la jungle de la rue
Ni dans ma peau carcasse
Ni dans ma vie de galère
Ni dans mon cœur broyé
Par la douleur d’avoir perdu
Des êtres qui jadis m’étaient chers
Et qui sont partis de l’autre côté
Du rideau de l’au-delà
Je ne me sens en sécurité nulle part
Ni dans ma vie, ni dans mes soucis
Ni dans la joie, ni dans la douleur
Ni dans la paix vidée par la guerre
Ni dans la gaieté, ni dans la colère
Ni dans le vacarme du jour
Lorsque les armes pétaradent
Lorsque les tours s’écroulent
Lorsque le sida décime les Hommes
Lorsque les enfants sautent sur des mines
BERCEUSE POUR UN FUTUR-NÉ
…
Dans mes entrailles
Mon enfant
Je te sens qui vis
Tes pleurs, tes rires, tes cris,
Et même tes joies, je t’entends qui vis !
Dans ses entrailles
Mon fils ma fille
Je te sens qui vis
Mon oreille sur son cœur,
Je t’entends qui m’appelles !
Et le vent, et les feuilles, et le ciel,
Je t’entends, et tout me parle !
Symplice B. Mvondo
in
Naissance/s/, anthologie
L’épi de seigle, 2006
Je ne me sens en sécurité nulle part
Dans ce monde où il fait chaud en hiver
Et froid sous les tropiques
Ce monde qui tremble de toutes parts
Ce monde qui tue les enfants…de pauvreté
Ce monde qui glorifie la terreur et la guerre
Ce monde où meurent les riches trop pleins
De fric, de luxe, de loisir et de plaisirs
Je ne me sens en sécurité nulle part
C’est pourquoi je veux retourner
Dans le ventre de ma mère
Et plonger dans les délices de l’enfer.
Stella Engama
in
Naissance/s/, anthologie
L’épi de seigle, 2006
3
À quel âge cesse-t-on de naître ?
Dominique Saint-Dizier
Questions qui posent problème
Corps Puce, 2009
PREMIER JOUR
Des draps blancs dans une armoire
Des draps rouges dans un lit
Un enfant dans sa mère
Sa mère dans les douleurs
Le père dans le couloir
Le couloir dans la maison
La maison dans la ville
La ville dans la nuit
La mort dans un cri
Et l’enfant dans la vie.
Jacques Prévert
Paroles
Gallimard, 1949
Avec ce vieux nounours qui en retrouvera son œil
avec les mobiles qui voudraient bien
perdre la tête à nouveau
Avec la pâte à modeler qui s’étire en rêve
avec les premiers albums soucieux de leurs
couleurs
avec les jouets prêts à courir
les risques du métier
Ivre, ébloui, je t’attends
Gérard Noiret
Maélo
l’idée bleue, 2006
Si le monde n’était habité que par des vieux
à quel âge naîtraient les plus jeunes ?
Dominique Saint-Dizier
Questions qui posent problème
Corps Puce, 2009
TU ES VENU
à Pierre-Olivier
Nous cherchons le nom de l’enfant à venir
dans nos pensées dans nos désirs
La vieille demeure avait
Perdu peu à peu ses couleurs.
Le temps prenait de l’âge.
On ne savait plus voir les fleurs,
Tous les arbres se ressemblaient.
nous inventons pour lui pour elle
le plus doux le plus glorieux
le nom qui résonne le mieux
aussi léger qu’une aile
aussi fort qu’une main tendue
Tu es venu. Nos yeux soudain
Se sont emplis d’images oubliées,
De chemins reconnus, de lumières.
Chaque chose trouvait enfin
Le mot qui la nommait le mieux.
ce nom qui multiplie nos vies
avec les clés de l’avenir
un nom échappé du passé
qui rime
avec ciel
avec soleil
avec élan
Ta place était là, parmi nous.
Toute prête. Nous t’attendions.
Tu es venu.
un nom pour relier l’amour à l’infini.
Pierre Gabriel
Le cheval de craie
le dé bleu, 1997
pour Célian
Luce Guilbaud
L’enfant sur la branche
l'idée bleue, 2008
4
J’ai des poussins
sous les ailes
une ribambelle
qui fait « piou piou »
RECONNAISSANCE
toujours un qui manque
ou un de trop
Qu’il est dur d’enfanter
quand on ne sait pas compter
Michel Besnier
Mes poules parlent
møtus, 2004
je t’aime petite fille,
À travers ta soie rouge orangé
Et je t’embrasse
Sur ta toison douce
Pas encore chevelure
Je t’aime et te dépose là
Trois feuilles de silence clair
Pour écrire le calme du monde.
Michel Lautru
Les jupes s’étourdissent
SOC et FOC, 2005
Quand je suis né
Je me souviens de ta fierté
Pour ma mère
Un baiser
Les voisins
Pour trinquer
Quand je suis né
Tu as gagné
Une part d’éternité
Tu as le ventre rond
Comme un petit ballon
Notre enfant tu le portes déjà
Tu le souffres
Tu t’inquiètes et tu l’imagines
Tu le portes
Dans tes bras dans ta tête dans ton ventre
Tu l’aimes et tu le sublimes
Tu le rayonnes
Tu éclabousses de douleur
Tu veux vieillir pour le sentir
Bouger
Tu vas donner la vie à un autre mortel
Tu as le ventre rond
Comme un petit ballon
Tu es belle et je t’aime
Autant que toujours
Notre enfant tu le portes déjà
Tu le protèges
Tu le crées
Il existe déjà
Dans tes bras dans ta tête dans ton ventre
Dans tes paroles dans ta hâte
Dans ton impatience
Dans ton désir de t’ouvrir
Tu as le ventre rond
Comme un petit ballon
Et moi comme un con
Je ne t’ai pas encore dit
Merci
Jean-Claude Touzeil
Itinerrances bis
Gros Textes, 1997
Michel Lautru
Mon papa a de gros bras
SOC et FOC, 2002
5
KANGOUROU
Tu es là
déjà
dans l’attente
et sa douceur de laine
Bourgeon bondissant
au ventre de ta mère
ma fille
Ses mains posées
sur ton front peut-être
ton épaule ou ta joue
Caresse sans impatience
comme pour elle le fit sa mère
ma femme
il y a trente ans.
Père kangourou
Est en courroux
Mère kangourou
Vient de donner naissance
À trois petits
Qu’elle a appelés
L’oùgourou
Le quigourou
Le quandgourou
(un cousin temporaire)
Père kangourou
Voudrait savoir la raison
De ces prénoms interrogatifs
Mais mère kangourou
Se contente de répondre
Que l’affaire est dans la poche…
Joël Sadeler
Ménagerimes
Corps Puce, 1990
Alain Boudet
Pleine lune et bout de soie
Corps Puce, 2010
Sous les pins
qui se balancent
la fourmi
dans les mousses
seule
avec son œuf.
Dagadès
Miettes
Corps Puce, 1992
À VIF
La vie
La vie tout court
La vie
À cloche-pied
À deux roues
À quatre pattes
La vie
À pas de velours
Sans trompettes
Ni tambours
La vie
À tue-tête
À cœur et à cris
À corps perdu
À bras ouverts
La vie
À toi ouvrant
Simone Schmitzberger
in
L’écharpe d’iris
Le Livre de Poche Jeunesse, 1990
6
Les blessures
Les morsures
Les murmures
Les déchirures
Les tortures
Les guerres
Les misères
Tu viens de naître
Tu ne peux pas les connaître
Alors pourquoi pleurer
Bébé ?
Un enfant est né
Il grandira jusqu’à l’arbre
Pour manger ses fruits
Il tombera à terre
Amoureux du soleil
Et même si quelques larmes effeuillent sa joie
Il est une chance de plus pour le monde
Yvon Le Men
Nous sommes des enfants de vouloir des enfants
La Part Commune, 1999
François David
Le calumet de la paix
Lo Païs, 2002
LA NAISSANCE
Trois fois trois jours la cloche des douleurs
t’éveilla et ton visage prit la couleur qui
m’avertissait. Toute ta chair se hâtait vers ce
dernier travail.
L’éternel miracle était encore une fois à notre
porte.
WATATI BALALOU
Watati balalou
pati navou déla
Didon, didon,
en quoi tu causes, là ?
Japonais ? Sardino ?
Amazodoutuvien ?
J’appelle un mien cousin
mangeur de sable fin
qui parle gazouillis
au pays des enfants.
Mais ça ne s’apprend pas.
On l’a su, on l’oublie,
une fois devenu grand.
Pef
in
Chaque enfant est un poème
Rue du monde, 2012
La grande poussée victorieuse libéra le poisson
tout luisant de sa mère. Il était là, dangereux à
tenir, et nous ne savions pas s’il était déjà lui ou
encore nous.
C’est alors que nos yeux se reconnurent. Nous
échangeâmes nos joies d’avoir mené la tâche, nos
vigueurs d’avoir résisté à d’autres tentations, nos
confiances de nous connaître.
Notre poisson restait là, endormi, après le grand
effort de ses poumons et nous ne savions pas
encore si son âme était arrivée.
Gabriel Cousin
in
Paroles des poètes d’aujourd’hui
Albin Michel, 1997
7
D’abord il y eut le monde
et tu es né comme le soleil
L’horizon s’est ouvert
te voici dans la création
Tu fais ta vie
tu portes haut tous les espoirs
Tu es fort comme un arbre
le monde peut compter sur toi
Marc Baron
Un enfant comme un autre
Couleur livres, 2012
Ton âge tient
sur les doigts
d’une seule main
Ton sourire tient
dans la paume
d’une seule main
Mais ton chagrin
a bien besoin
de tout l’espace de mes bras.
Jacques Fournier
in
Poèmes pour s’éclairer à la luciole
l'épi de seigle, 1998
Sommeil, toi qui prends les bébés
Viens chercher
Mon tout-petit
Et ramène-le moi grandi
Comptine de Grèce
in
Ohé ! les comptines du monde entier !
Rue du monde, 2003
Si un enfant grandit d’un pouce par mois
Combien en aura-t-il à vingt ans ?
Dominique Saint-Dizier
Questions qui posent problème
Corps Puce, 2009
Maman m’aime
A bien vu que je courais ce matin
Après les mouettes sur la plage
Sans pouvoir les attraper
Aussi dans la boutique de souvenirs
Elle m’a acheté un goéland
Qu’elle a installé au-dessus de mon lit
Et sous le ventre duquel
Pend une ficelle
Que je peux tirer à loisir
Et qui actionne des ailes.
Gilles Brulet
Maman m’aime
L'épi de seigle, 1998
8
IL ÉTAIT UNE FOIS
QUAND JE SERAI GRAND
Si maman voulait
j'élèverais un lapin angora
tout doux et tout blanc,
mais Maman me dit
que je n’ai pas le temps.
Si Maman voulait
j'aurais un petit chat
tout rond et tout gris,
mais Maman me dit
que ce n’est pas le moment.
Si Maman voulait
je prendrais un canari,
mais Maman me dit
d’attendre d’être grand.
S’il faut être grand
pour avoir le temps
je vais patienter
mais juré, craché !
Quand je serai grand
voici ce que j’aurai :
un lapin angora
un petit chat gris
un beau canari
un fox à poil ras
une souris blanche
un chien d’avalanche
un hamster en cage
un gros mouton sage
un renard futé
un écureuil roux
un éléphant gris
et un vieux hibou.
Mais Papa me dit
que je changerai d’avis !
D’avis, certainement pas !
Mais si je pouvais
je changerais de nom,
pourquoi m’ont-ils donc
appelé Noé ?
Nadia Aubrier
In
Drôles de poèmes et poèmes drôles
Volume 2
l'épi de seigle, 1995
― T’as pas une histoire pour les enfants ?
― Mais c’est une histoire pour les enfants.
― J’y comprends rien.
― Alors, c’est que t’es pas encore devenu un
enfant.
André Schetritt
Eux autres, moi-je et le monde
Donner à Voir, 2005
L’ENFANT AU H.L.M.
Six ans
au quatorzième étage
À la lisière du silence
l’enfant
sur la pointe des pieds
habite un instant la lumière
Et c’est dans le feu du regard
que la feuille
au bout du rameau
devient la forêt qu’il espère.
Alain Boudet
Anne-Laure à fleur d’enfance
Donner à Voir, 1994
L’enfant sourit
Sur l’épaule
Un papillon.
Ghislaine Lejard
Un papillon sur l’épaule
Echo Optique, 2005
9
― Qu’est-ce que tu veux mon petit ?
― Je veux grigner, gritailler, grognurer,
craquendre, tuçouiller, cragnouter !
― Dis, tu veux quoi ?
― Je veux aspitouiller, sustivaler, grignartir,
dégnustiller, cracagnouter, dévlariller,
macrasaugner, fourchitourpir, choupinailler,
machanouiller !
― Écoute bien ! Je n’y comprends rien. Qu’est-ce
que tu veux ?
― Je veux mirmijoliner, marchartourniller !
― Enlève-moi ce chewing-gum de ta bouche et
articule !
― Je veux MANGER !!!
Dan Bouchery
in
Agape/agape(s)
Donner à Voir, 2006
ENFANCE
Enfance aux yeux de cristal,
Aux paupières de corail,
Enfance aux mains de rivière,
Enfance aux pieds de lumière,
Enfance aux paroles tues,
Enfance aux paroles bues
Enfance aux lèvres légères
Aux couleurs de primevères
Enfance en nous enfouie
Toute proche, pour la vie !
Georges Jean
Écrit sur la page
Gallimard folio, 1992
AU TEMPS DES DINOSAURES
Au temps des dinosaures,
J’aimais me promener.
Je disais : « Dis, Nosaure !
Tu as bien profité ! »
« La fougère était bonne »
Me disait le Dino !
Et je croquais la pomme,
En voyant la télé
Où les super mammouths
Pilotaient des fusées,
Sur les célestes routes,
De ces temps reculés.
Georges Jean
Écrit sur la page
Gallimard folio, 1992
L’ÂGE DE RAISON
Quand on a sept ans,
Et qu’on perd ses dents,
On atteint, dit-on,
L’âge de raison.
Alors les parents
Disent : « Il est temps
De devenir grands !
Faites votre lit,
Rangez vos habits,
Soignez vos chaussures,
Et votre coiffure…"
Mais nous on leur dit :
« On n’est pas si bêtes :
On a une couette
Dessus notre lit,
Aux pieds des baskets
Qui sont toujours nettes !
Nos habits sont chouettes
Blue-jeans et Ticheurtes
Quant à nos cheveux,
Avec de la colle,
Ils sont super coole… »
Georges Jean
Écrit sur la page
Gallimard folio, 1992
10
Dis-moi, Papi,
pourquoi on vit ?
Mais…pour grandir !
Alain Boudet
Poèmes pour sautijouer
Les Carnets du Dessert de Lune, 2010
LE DROIT CHEMIN
À chaque kilomètre
chaque année
des vieillards au front borné
indiquent aux enfants la route
d’un geste de ciment armé.
Jacques Prévert
Paroles
Gallimard, 1949
FLORA
Fille de Florence
Âge : 6 ans
Je n’aime pas
aller à l’école
J’ai peur de rentrer
et de ne plus trouver
ma maman
Maram al-Masri
Les âmes aux pieds nus
Le Temps des Cerises, 2009
L’enfant
regardait l’eau
et l’eau
le regardait aussi
L’enfant
avait six ans
l’eau ne disait
pas son âge
Il n’y avait pas
entre eux
l’épaisseur d’un ange
et pourtant
ils étaient deux
Le jour
ne comptait pas
ses heures
ni l’aile
des libellules
ses battements légers
L’enfant
regardait l’eau
et l’eau
le regardait aussi
Le pouls
des galaxies
battait de son
imperceptible
et lent
bouillonnement
de lait
sur un feu doux
Un souffle
dans les feuilles
faisait voler
des fils de la Vierge
comme des cils
de faon
11
L’enfant rêvait
sur la berge
et l’eau
s’en retournait
dans les nuages
LE JOURNAL
Werner Lambersy
in
Tout l’espoir n’est pas de trop
Douze voix francophones
Le Temps des Cerises, 2002
Le soir quand on mange
Papa ouvre le journal télévisé
Toujours des choses qui me font peur
Alors je cogne avec ma cuillère
Sur mon assiette
Pour que personne n’entende.
le soir descend le ciel s’allonge,
le petit ciel de ta naissance,
tu peux en compter les feux sur tes doigts,
plus tard dans l’aveuglante nuit d’été
tu chercheras ton étoile
parmi la foule de ceux
qui recherchent la leur
Pierre Dubrunquez
in
Nous, la multitude
Le Temps des Cerises, 2011
Gilles Brulet
Hibou chez les nounours
Pluie d’étoiles, 2004
IL FAUT LAISSER L’ENFANCE
Il faut laisser l’enfance
choisir ses territoires
délier lentement
les fils de l’horizon.
Il faut laisser l’enfance
cogner ses rêves
aux murs chancelants
de nos demeures.
LE COIFFEUR
Papa ne sait pas me coiffer
Il tire trop fort sur mes cheveux
Les mains des papas
Ne sont pas prévues
Pour coiffer les cheveux des petites filles
Comme les épaules des mamans
Ne sont pas prévues
Pour leur transport.
Gilles Brulet
Hibou chez les nounours
Pluie d’étoiles, 2004
Déjà
Ses mains embrasent les violons
Ses pas arpentent l’espérance
La ville se recouvre
D’un crépi de lavande.
Jean-Luc Pouliquen
( France)
in
Voix Vives
de Méditerranée en Méditerranée
Anthologie Sète 2011
Bruno Doucey, 2011
12
Les enfants ne comprennent
pas les informations
ni les montagnes russes de la Bourse
ni les crises économiques
Dans le pli d’un livre ancien
l'enfant sépia d’une photographie
me fixe et me ressemble
Fus-je ce garçon aux yeux béants
rêvant mers et vaisseaux
dans les recoins blanchis
d’un jardin à la française ?
L’enfant
lorsqu’il fut surpris
absorbait
le vide autour de lui
il en buvait l’espace
Des promesses de vie
luisaient
en billes claires
dans ses lampées de regard.
François-Xavier Maigre
Dans la poigne du vent
Bruno Doucey, 2012
Les enfants rêvent
de chevaux
de chiens, de chats
d’amis
et surtout ils rêvent
de baisers, de sourires
et de mains tendres
Les enfants ne comprennent pas
le silence de la joie
et de la foire
ni les refus de leurs parents
quand ils réclament des pommes d’amour
et des chocolats
ou un tour de manège
sur les chevaux de bois
Les enfants ne comprennent pas la guerre
même quand ils imitent les policiers
et qu’ils se déguisent en Peaux-Rouges
Les enfants, précieux dépôts
de la vie.
Maram al-Masri
La jupe froissée
Bruno Doucey, 2012
Une petite fille
au rose à la bouche
C’est la fin des vacances
l'odeur n’a pas changé
sa glace
rafraîchit ses lèvres
et mes yeux
Celle des protège-cahiers
de la colle UHU
de l’encre Waterman
du paquet de copies doubles perforées à grands
[ carreaux
La même odeur
de la fatigue du jour
Yvon Le Men
Sous le plafond des phrases
Bruno Doucey, 2013
Un acharnement.
Stéphane Bataillon
Les Terres rares
Bruno Doucey, 2013
13
Enfant ma chambre échouée dans un érable
mes jeux de couleurs fraîches
ces années bues lentement
dans la paume des étoiles
Ma mère unique saison de l’enfance
mon père posé sur la branche cruciverbiste du
[fauteuil
et moi rêvant d’un verger pour nos cœurs
où les arbres bleuiraient au pollen des voiliers
Adolescence ― étreintes manquées ―
longs couloirs que creusaient les heures
mes mots en collage sur les murs du dégoût
VISITE DES SOUVENIRS
Arithmétiques, aria de mon enfance.
Alignements, robinetteries, rythmes d’arbres,
rythmes d’eau.
Je suivais les méandres falots des dessins de la
toile cirée. Peut-être me mèneraient-ils vers la
caverne de la solution ? La voix de mon
père m’arrêtait en chemin. Il fallait chercher dans
ma tête. Où ça ?
Anne Salem-Marin
Voler selon
le dé bleu, 1997
Ceux qui sont incapables de voir
m'ont traité de voyou
moi perdu dans le songe ténu
d’un paradis perdu
Gamin aux cris abrupts
j'avais en moi la candeur nécessaire à l’idéal
Seul sous l’uppercut des vents
je m’inventais chaque jour des paradis noirs
où l’on me foutait la paix
Jack Küpfer
Dans l’écorchure des nuits
Bruno Doucey, 2011
Un enfant est né
Il grandira jusqu’à l’arbre
Pour manger ses fruits
Il tombera par terre
Amoureux du soleil
Et même si quelques larmes effeuillent sa joie
Il est une chance de plus pour le monde
Yvon Le Men
À l’entrée du jour
Flammarion, 1984
tu ajoutes chaque année
une branche à ton arbre
rameau léger
tige à tige
que le soleil désigne
toi l’arbrisseau
ta danse au vent
ton devenir d’arbre mûr
aux fruits ardents.
Luce Guilbaud
L’enfant sur la branche
l'idée bleue, 2008
L’oiseau
Un étourneau
Tu l’as pris délicatement par une aile
Et tu m’as dit :
Hein grand-père qu’il n’est pas toujours mort
Hein grand-père qu’il s’envole
Et tu m’as donné la main
Jean Rivet
Le soleil meurt dans un brin d’herbe
møtus
14
ÉDUCATION
− Quand je serai grand, je serai fort !
Fort comme un dinosaure !
− Comme un brontosaure ou un tyrannosaure ?
− Comme un diplodocus ou un deinonychus ?
Papa avait une voiture
Une très belle voiture
Au sortir de la guerre
Peu de gens en possédaient
Une
Cela nous rendait
Respectables
Maman aimait les sorties
À la mer
Elle aimait les sorties
Le dimanche
En voiture
Avec son mari
Qui était
Aussi mon père
Et
Mes deux frères
Plus grands
Plus forts
Que moi
À l’arrière
De la voiture
Ma place était celle
Du milieu
Juste sur
La bosse sous les fesses
Là où
Les pieds n’ont pas de place
J’ai acquis le sens de l’équilibre
Et gardé de petits pieds
Dan Bouchery
Les éphémères
SOC et FOC, 2009
− Tu me prends pour un herbivore faiblus ?
Non, je serai plus fort que le plus fort des
tyrannosaures !
− D’accord, dans ce cas, prends des forces.
Mange ta purée… et n’oublie pas l’jambon !
Joëlle Brière
Une baleine, deux baleines, trois baleines, six
cachalots…
La Renarde Rouge, 1998
L’ARBRE BERCÉ
pour Anaïs
Mon enfant, ne tremble pas
tu portes un arbre dans tes bras
le vent te coiffe
et l’oiseau glisse dans ta voix
Allonge-toi fragile
dans le drap odorant d’une ombre
caresse la barque des feuilles
Dors, mon enfant
dans tes branches closes
tu tiens dans ton poing fermé
le fruit chaud du silence
Et chaque jour plus haut
mon enfant
tu deviens l’arbre que j’attends
Jean-Pierre Siméon
La nuit respire
Cheyne, 1987
15
SOUDAIN LES ENFANTS
− Le présent, le passé, l’avenir
ça commence où ? Ça finit où ?
− Ici. Là. Là-bas.
− Maintenant. Hier. Après demain.
À la fenêtre. Sur la branche de l’arbre.
Dans l’œil rond du merle. Au fond du ciel.
Mais surtout, dans ton sourire
que j’aime plus que tout
au monde !
Plus rien ne bouge
Pas un souffle, pas un soupir
Le chat dort sur la chaise rouge
Son lait figé
Attend
Soudain les enfants
Crient dans le jardin
Et un ballon vient rebondir
Dans mon poème
Catherine Leblanc
Le monde n’est jamais fini
La Renarde Rouge, 2005
Joëlle Brière
Une baleine, deux baleines, trois baleines, six
cachalots…
La Renarde Rouge, 1998
Un peu d’herbe de fumée
les clefs du jardin magique
le vent
la vie
l’envie d’aimer
Tu voudrais tailler ton poème
dans le vif du monde
Coudre ensemble le fer et le feu
La source et le tumulte
Les friches du soleil les galères de l’ombre
Sous le charme sous le chêne
je suis l’enfance qui traîne
son vieux manège à musique.
Arlette Chaumorcel
Visages traversés
L’Épinette, 2001
Tu voudrais en découdre
avec tout ce qui brûle
ce qui noie ce qui broie ce qui brise
Ce qui prétend à l’empreinte
sur la peau des jours et des joues
à force de coups et de larmes
Tu voudrais
De retour
de l’école
l’enfant
sur la route
Mais tu as dix ans.
Alain Boudet
Si peu, mais quelques mots
La Renarde Rouge, 2006
poussant du pied
un caillou.
Dagadès
Miettes
Corps Puce, 1992
16
PAR LES TEMPS QUI COURENT
Fillettes
au soleil
Par les temps qui courent,
Les jours paraissent courts.
sautant
à la corde
Par les semaines qui trottent,
Ce sont des heures qu’on grignote.
les rosiers
qui se penchent.
Dagadès
Miettes
Corps Puce, 1992
Par les mois qui galopent
L’année est finie ! Hop !
François David
Comptines pour donner sa langue au chat
Actes Sud Junior, 1998
La pelle
l'arrosoir
de plastique
rouge
restés
dans le sable
battus
par la pluie.
Dagadès
Miettes
Corps Puce, 1992
Le cœur de la lune
Éclaire l’île des rêves
Un champ de blé
Boit la pluie
À petites gorgées
Et là-bas
Un vieil arbre
Se penche sur des mots d’écolier.
Chantal Couliou
Le soleil est dans la lune
Corps Puce, 2008
Trois enfants,
Trois jeunes enfants,
Deux ans,
Trois ans,
Quatre ans
Peut-être.
Le plus jeune est assis
Dans une poussette.
Les deux autres trottent
À côté.
Une toute jeune fille,
Petite,
Frêle
Et très pâle
Pousse la poussette.
Elle marche
Vite.
Elle est pressée.
Les enfants aussi
Se dépêchent.
Qui peut supposer que
Cette grande fille
Est
Leur mère ?
Dan Bouchery
C’est ça la ville
Corps Puce, 2007
17
Un enfant court autour de l’arbre en criant
Si on faisait le tour ! Si on faisait le tour !
Qu’est-ce qu’on attend pour le suivre ?
François Philipponnat
Cent remarques sur tout
Tome I
Gros Textes, 2011
Dans le navire de nos bras
nous sommes là
comme des vigies attentives
dans les eaux calmes de tes yeux
Un bruit
une lueur
dessinent des vagues à ton front
Souvenir de mer intérieure
où le monde avait peu de prise
Sur le terrain vague
on jouait au foot
L’un disait
Il y est !
L’autre
Il y est pas !
Moi Il y a poteau !
Alain Boudet
Pleine lune et bout de soie
Corps Puce, 2010
Et je voyais bien qu’il n’y avait pas de poteau
François Philipponnat
Cent remarques sur tout
Tome I
Gros Textes, 2011
INFORMATION / DÉSINFORMATION ?
Tandis que les télés passent
En boucle
Des images vides
Des mots sonores
Disant :
LE MARRONNIER
−Ne pense pas :
Ce n’est pas nécessaire…
SURTOUT ne pense pas.
Les enfants sont partis
Dans la cour de l’école
le marronnier
qui reste
piaille
de tous ses oiseaux.
Alain Boudet
La Volière de Marion
Corps Puce, 1989
Des enfants naissent.
Des enfants jouent.
Des enfants pour demain…
QUEL demain ?
Jacqueline Held
Mots sauvages pour les sans-voix
Gros Textes, 2004
18
Le bonheur, c’est l’enfance.
Une petite fille joue à la corde
Avec ses rêves.
Chaque nuit elle escalade le visage du vent.
Elle cultive des pensées
Pour les papillons.
Immobile,
Elle dans le jardin
Quand elle dort,
Elle garde toujours un œil ouvert
Pour entendre les feuilles tomber.
Dominique Cagnard
Tzigane, je veux être ton papillon
Corps Puce, 2012
Maël
C’est la voix de ta mère
qui te guide dans la nuit de ce monde
Une chanson
Une complainte
Une parole qui invente la lueur et l’éveil
Alain Boudet
Pleine lune et bout de soie
Corps Puce, 2010
FAMILLE
Avant moi, il y avait mes parents
Mes grands-parents
Mes arrière-grands-parents
Et leurs parents
Leurs grands-parents
Leurs arrière-grands-parents
Il y avait mes aïeux
Des tas et des tas de vieux
Moi, je suis leur descendance
Leur dernière chance
Je suis leur progéniture
Je bouffe leurs confitures
Je suis leur postérité
De leur maison j’ai hérité
Un jour j’aurai des enfants
Des petits-enfants
Des arrière-petits-enfants
Qui auront des enfants
Des petits-enfants
Des tas et des tas de bébés
Qui sont pas encore nés
Ils boufferont mes confitures
Sous mes couvertures
Ils vivront dans ma maison
Fichue saison !
Philippe Fournier
Les épées de pépé
Gros Textes, 2001
TRÉSORS DE MES QUATRE ANS
Trésors de mes quatre ans :
Mousse de la forêt
Caillou du jardin
Galet de la plage
Épine de sapin
Fleur de lavande
Et la terre toute entière
Dans ma poche trouée !
Liska
Moinette et Moineau
Corps Puce, 2009
Tu dors
dans une turbulette
Un joli nom pour dire
le cocon où s’éveille
le bijou de tes mains.
Alain Boudet
Suite pour Nathan
Corps Puce, 2006
19
COMPTINE POUR UN JOYEUX MILLÉNAIRE
Deux mille, transformons les villes
Deux mille un, créons des jardins
Deux mille deux, des matins heureux
Deux mille trois, abracadabra
Deux mille quatre comme un grand théâtre
Deux mille cinq, la vie se requinque
Deux mille dix, un feu d’artifice
Deux mille vingt, tout va bien
Deux mille cinquante, la Terre est vivante
Deux mille cent, nous nous aimons tant
Deux mille deux cents, nous vivons longtemps
Deux mille cinq cents, nous sommes des géants
Deux mille neuf cents, est-ce la fin des temps ?
Deux mille neuf cent quatre-vingt-dix-neuf,
La Terre se fait un habit neuf
Trois mille, la Terre est une île,
Et l’Univers une immense ville.
Cécile Bidault
in
Les poètes de l’an 2000
Le Livre de Poche Jeunesse, 2000
JE NE VEUX PAS GRANDIR
Je ne veux pas grandir
Laissez-moi dormir.
Je suis gai, turbulent
Dans une âme d’enfant.
Je ne veux pas grandir
Dans un monde de délires.
Je veux rester innocent
Fermer les yeux sur les méchants.
Qu’on me laisse rester un bébé
À m’agiter sans comprendre,
À croire que le monde est à prendre.
Laissez-moi voir en l’éternité.
Pasaphone Soumpholchareune
in
Les poètes de l’an 2000
Le Livre de Poche Jeunesse, 2000
ENFANT-DEMAIN
Enfant-demain,
Dis-moi où va le monde ;
Enfant-demain,
Toi qui as dans ta poche
Les clefs de l’avenir.
Prends bien soin
De la Terre décharnée,
Prends bien soin
De l’Eau, de l’Air viciés
Du feu de tes aînés ;
De toi,
Surtout, prends bien soin
De toi :
Tu portes dans tes veines
L’Espoir, Enfant-demain.
Raphaël Terreau
in
Les poètes de l’an 2000
Le Livre de Poche Jeunesse, 2000
CŒUR D’ENFANT
Mon cœur ? Il est à prendre
Comme tout cœur d’enfant.
Il n’est pas à comprendre,
C’est un cœur cerf-volant.
Déjà tous les oiseaux
En ont fait la conquête.
Il chante à clairs roseaux
Comme une cage en fête.
Mon cœur ? Il est à prendre
Comme tout cœur d’enfant.
Il n’est rien à comprendre,
Vire et vole le vent !
Maurice Carême
Pigeon vole
Le Livre de Poche Jeunesse, 1958
20
Nous aurons
dit l’enfant
un automne poétique
Sous les racines d’un arbre
généalogique
les oiseaux d’une cordée
spéléologique
cherchaient pour leur société
ornithologique
leurs ancêtres papapa
léontologiques
J’ai vu les oiseaux du printemps
écrire leur nom sur les feuilles.
Alain Boudet
Mots de saison
Magnard, 1983
L’ENFANT ET L’AÏEUL
C’est un petit enfant
Qui voudrait être grand :
Il se met des échasses
Et devient cet espace
Que traverse un géant.
Et voici son grand-père
Qui retrouve une terre
Où les deux voyageurs
Sont à même hauteur
Dans le temps sans frontière.
L’un devenant très vieux,
L’autre rapetissant,
Ils s’en vont tous les deux
Dans l’espace et le temps,
Lentement, lentement.
Pierre Menanteau
Pour un enfant poète
Le Livre de Poche Jeunesse, 1997
Chic !
Alain Boudet
Mots de saison
Magnard, 1983
à mon papa fantastique
j’offre tout ce qui pique :
un cactus et un moustique
un hérisson colérique
à ma maman polissonne
j’offre tout ce qui sonne :
un facteur, un xylophone
un réveil qui s’époumone
à mon petit frère Henri
j’offre tout ce qui rit :
une vache, un colibri
une chanson de bandit
mais à mon meilleur copain
moi je n’offre jamais rien
qu’un quartier d’orange au vin
et un rêve pour demain
Françoise Lison-Leroy
Les bretelles du crayon
Éditions du Rocher, 2004
21
LE TRAIN DES ENFANTS
Tu m’as dit
que tu m’aimais
pour la vie
Dis, c’est grand
comment
la vie ?
Joël Sadeler
Dis, c’est grand comment, la vie ?
Éditions du Jasmin, 2011
Il est un pays où les enfants
ont des trains, tant et tant,
mais de vrais trains qu’on ne pourrait pas
faire fonctionner dans cette pièce,
des trains longs d’ici jusque-là,
qui, toute la ville, traversent.
Le chef de gare est un garçonnet
à peine plus haut que son sifflet ;
le chef de train une fillette
joyeuse comme sa trompette ;
tous sont des enfants, le mécanicien,
le contrôleur et le serre-frein.
Et chaque voyageur peut s’asseoir
près d’une fenêtre pour mieux y voir.
Au portillon,
on a fixé un petit carton :
« Mesdames et messieurs,
les parents qui souhaitent voyager
doivent se faire accompagner. »
MARCHANDS D’HISTOIRES
― Quand je serai grand,
― Quand je serai grande,
― Je serai marchand,
― Je serai marchande.
Gianni Rodari
De la terre et du ciel
Rue du monde, 2010
― Nous serons tous deux
Des marchands d’histoires :
― Du dragon sans feu,
― De l’ogre au miroir,
― Du monstre à trois yeux,
― Du fantôme noir.
― Quand je serai grand,
― Quand je serai grande,
― Nous serons tous deux
Marchands de légendes.
Pierre Coran
J’y suis, j’y rêve
Éditions du Rocher, 2004
À quoi rêvent les enfants
bien rangés à l’arrière
de la petite voiture de leur mère ?
À un grand lit flottant sur la mer
pour le soleil et son mystère ?
Au chant du tournesol
quand il rentre de l’école ?
Non, ils se demandent en silence
à quoi les mamans pensent.
Alain Serres
La ville aux 100 poèmes
Rue du monde, 2006
22
Salomon Grundy,
Born on a Monday,
Christened on Tuesday,
Married on Wednesday,
Took ill on Thursday,
Died on Friday,
Buried on Saturday,
And on Sunday,
Everything is starting
Again !
Salomon Grundy
Est né un lundi
Baptisé le mardi
Marié le mercredi
Malade le jeudi
Mort le vendredi
Enterré le samedi
Et puis le dimanche
Tout recommence !
Comptine américaine
in
Ohé ! les comptines du monde entier !
Rue du monde, 2003
Ngogui zing isia mvama nga kat nyia mvam na
Ake fet mbé
Nyia mvam a nga kat ndomni djié na Ake fet mbé
Ndomi djié I nga kat ngal na Ake fet mbé
Ngal a nga kat món wé Jean na Ake fet mbé
Món wé Jean a nga kat kal yé Jeannette na Ake
fet mbé
Eyón alou ou nga vin
Ibwem I mane di nda bot ise
Akia fianga
Un soir, un grand-père dit à la grand-mère d’aller
fermer la porte.
La grand-mère dit au fils d’aller fermer la porte.
Le fils dit à sa femme d’aller fermer la porte.
La femme dit à son fils Jean d’aller fermer la
porte.
Jean dit à sa sœur Jeannette d’aller fermer la
porte.
Voilà comment à la nuit tombée, la grande famille
s’est fait dévorer,
Par un lion, tout petit, minuscule ;
Comme c’est ridicule !
Comptine du Cameroun en Ewondo
in
Ohé ! les comptines du monde entier !
Rue du monde, 2003
Quando era pequeñito
Me lavabán el culito
Y ahora que soy mayorcito
Me lo lavo yo solito.
Quand j’étais un petit gamin
On me lavait le popotin
Maintenant que je suis plus grand,
Je me lave les fesses seul comme un grand !
Comptine espagnole
in
Ohé ! les comptines du monde entier !
Rue du monde, 2003
DE ZAGORA À OUARZAZATE
Quelques branchages
sur leur tête,
elles ont
tout à la fois
le pas grave et léger.
Et je sens
à les voir
que c’est le monde qu’elles portent,
ces fillettes
de Zagora à Ouarzazate.
Alain Boudet
in
Je suis un enfant de partout
Rue du monde, 2008
23
JEUX
SALAH DE BAGDAD
à Salah Al Hamdani
À Bagdad il y a un enfant
un seul enfant
le seul que j’entende
le seul que je voie
le seul qui compte à cet instant
Il avait un fleuve un ciel
une maison de toile
et un tapis volant
(tous les enfants du monde ont un tapis volant
c’est leur secret)
Mais à cet instant
Salah le gamin de Bagdad
cherche pieds nus dans les pierres
Il cherche son tapis volant
sa maison de toile
son fleuve son ciel
Sous un tapis de bombes
Salah cherche son secret dans les ruines
Jean-Pierre Siméon
in
Je suis un enfant de partout
Rue du monde, 2008
Rythmes et rires
vitesse des manèges
timing de poupées
cadences de cabrioles
bousculades à bascules
embouteillages de dragons
accidents de trottinettes
attentas à dada
drames de porcelaine
guerres de dunes
bombes de bonbons
famines ignorées
enfance protégée
Dan Bouchery
in
Je suis un enfant de partout
Rue du monde, 2008
CAUCHEMAR
Que fais-tu donc, mon enfant ?
Mère, je rêve. Je rêve, ô mère, que je chante
et que tu me demandes, en songe, que fais-tu
donc, mon fils ?
Et que dit la chanson de ton rêve, mon enfant ?
Mère, elle dit que j’avais une maison.
Maintenant, je n’en ai plus. Voilà ce qu’elle dit, ô
mère.
VOYAGE BLANC
Quand je serai petite
je partirai en voyage
avec mon sac de plumes.
Je choisirai d’aller loin
là-bas où il fait blanc
sur la banquise.
Françoise Lison-Leroy
in
Je suis un enfant de partout
Rue du monde, 2008
Mère, elle dit que j’avais une voix, que j’avais une
langue.
Désormais, je n’ai plus ni voix ni langue.
De cette voix que je n’ai plus, en cette langue que
je n’ai plus
Je chante, mère, une chanson sur la maison que
je n’ai plus.
Abdulah Sidran
in
On n’aime guère que la paix
Rue du monde, 2003
24
Si mon père était un ourson,
Ma tante Alice, un gros pigeon,
Si mon oncle était un trapèze,
Ma sœur Anne, un bâton de chaise,
Si ma marraine était un mât,
Mon grand frère, un œuf sur le plat,
Si mon maître était une autruche
Et l’école, une vieille cruche,
Je ne sais pas comment irait
Le monde étroit que je connais,
Mais je rirais, ah, je rirais
À faire sauter les volets.
Maurice Carême
in
Une baleine dans mon jardin
Rue du monde, 2010
LES SPORTS D’HIVER
Maurice, avec ses deux souliers
Qui ne prennent pas l’humidité,
Dans la neige fait des creux :
Deux fois un, deux.
Il court avec sa sœur là-bas ;
Deux fois deux font quatre pas.
Les voilà sur un mur assis,
Deux fois trois, six.
Puis, soudain, ils prennent la fuite,
Deux fois quatre, huit…
Car leurs pieds sont engourdis,
Deux fois cinq, dix.
CHANSON BÊTE
Maman,
je voudrais être en argent.
Mon fils,
tu auras bien froid.
Maman,
je voudrais être de l’eau.
Mon fils,
tu n’auras pas chaud.
Maman,
brode-moi sur ton oreiller.
Oui, mon fils,
sans tarder !
Mais, en courant sur la pelouse,
Deux fois six, douze,
La fille se fait une entorse,
Deux fois sept, quatorze !
Le garçon n’est pas à son aise,
Deux fois huit, seize…
Il crie : « Hé là ! Vite ! Vite ! »
Deux fois neuf, dix-huit,
« Qu’on amène le médecin ! »
Deux fois dix, vingt.
Jean Tardieu
in
Une baleine dans mon jardin
Rue du monde, 2010
Federico Garcia Lorca
in
Une baleine dans mon jardin
Rue du monde, 2010
25
ZOIN-ZOIN
Un zoin-zoin petiot,
une zoin-zoin petiote
s’en vont au zoin-zoin marché,
par un beau zoin-zoin dimanche,
acheter du zoin-zoin poulet
et puis des zoin-zoin roses blanches.
Le zoin-zoin petiot,
la zoin-zoin petiote
trouvent au marché voisin
tout ce dont ils ont besoin,
zoin-zoin !
Alain Serres
Salade de comptines
Rue du monde, 2002
DU HAUT DU TOBOGGAN
Du haut du toboggan
tu domines la plage
tu envoies des discours
de sable
et des baisers choco-B.N.
au monde entier
je sais
pourquoi
j’étais comme toi
avant de glisser
sur le serpent de bois
du toboggan usé
Joël Sadeler
in
Chaque enfant est un poème
Rue du monde, 2012
RÉPONSE
Tu me demandes pourquoi, pourquoi
Moi je t’invente des réponses
Pourquoi la fourmi est petite
Pourquoi le ciel est si obscur
Et pourquoi toi tu vas grandir
Pendant que moi je vais vieillir
Je me demande pourquoi tout ça
C’est peut-être toi la réponse
Hervé Le Tellier
in
Chaque enfant est un poème
Rue du monde, 2012
Tu as dit : porte-moi.
Et ton père t’a pris
sur ses épaules de géant.
Tout en bas tes copains
sont devenus des nains.
Tu as dit : emmène-moi
jusque dans ton pays.
Et vous avez marché
dans le petit sentier,
seuls avec votre tendresse,
dans l’intimité de l’été.
Tu as dit : raconte-moi
L'histoire de ta vie.
Et ton père a souri.
Que sais-tu du passé,
toi, l’enfant d’aujourd’hui ?
Claude Cailleau
Des mots pour vivre
Le Pré de la Roche, 2009
26
CHAQUE JOUR PLUS PRÈS DU MONDE
Chaque jour,
grandir d’une poignée de réalité
vers le monde
et son théâtre d’ombre et de lumière.
PETIT DROMADAIRE
Maman dromadaire
Est très en colère
Petit dromadaire
A mordu son frère
Maman dromadaire
Prend son air sévère
« Petit dromadaire !
Dit-elle en colère
Privé de désert ! »
Jean-Marie Robillard
Saperlipopette !
Milan, 2000
S’enfoncer
dans la jungle des choses
comme dans la neige poudreuse
du premier hiver émerveillé.
Atteindre
l'épaule de la fenêtre,
puis la fourche du cerisier,
enfin l’horizon découvreur.
Chaque jour,
la vie en herbe.
Michel Monnereau
Poèmes en herbe
Milan, 1994
CHAGRIN D’AMOUR
QUELQUE PART DANS L’ENFANCE
La peur étend ses ailes
dans l’ombre,
le petit garçon frissonne
au fond de l’enfance.
Autour de la maison,
la nuit froisse ses draps noirs
et crépite de rêves
mal éteints.
Ici, grandir est encore
une légende.
Michel Monnereau
Poèmes en herbe
Milan, 1994
Lucie aime le voisin
Qui est plus grand qu’elle
De deux ou trois ans.
Elle a du mal à le quitter,
Quand on l’appelle
Pour rentrer à la maison.
Elle rentre en pleurs
Et sans cesse elle proclame
Sur tous les tons :
« Je veux un grand frère,
Je veux un grand frère. »
Mais on laisse Lucie dire.
Jean Foucault
in
Dis-moi si tu m’aimes
Milan, 2010
27
APRÈS LES ANNÉES
― Papa, quand je serai grande,
après les années,
est-ce que j’aurai un cœur grand comme ça ?
― Oui, il va grandir un peu.
― Est-ce que ça veut dire que je pourrai mettre
plus de gens à l’intérieur ?
― Pourquoi dis-tu ça ?
― Parce que moi, j’aime tout le monde.
Question d’un poussin à sa mère :
« Est-ce que tu me câlines assez ? »
Michel Besnier
In
Premiers poèmes avec les animaux
Milan, 2007
Carl Norac
in
Dis-moi si tu m’aimes
Milan, 2010
CHŒUR D’ENFANTS
( À tue-tête et très scandé)
Tout ça qui a commencé
il faut que ça finisse :
LE PÉLICAN
Une maman pélican
Donne tout à ses enfants
Les merlus et les merlans
Les oursins et les piquants
Le caviar de l’Agha Khan
Un lion premier décan
Transformé en pemmican
Des yaourts des Balkans
La fourrur’ de l’astrakan
Et les plumes du toucan
L’or noir de l’Ouzbékistan
Le sucre candi d’Iran..
Et quand toi tu seras grand
Si tu n’en fais pas autant
Cloue ton bec
Et fich’le camp !
Jean-Hugues Malineau
In
Premiers poèmes avec les animaux
Milan, 2007
La maison zon sous l’orage
le bateau dans le naufrage
le voyageur chez les sauvages.
Ce qui s’est manifesté
il faut que ça disparaisse :
feuilles vertes de l’été
espoir jeunesse et beauté
an-ci-en-nes vérités.
Moralité.
Si vous ne voulez rien finir
évitez de rien commencer.
Si vous ne voulez pas mourir,
quelques mois avant de naître
faites-vous décommander.
Jean Tardieu
In
Mille ans de poésie
Milan, 1999
28
Un jour
Petits enfants
Vous irez voir l’arbre
Le vrai
Celui qui donne des feuilles au printemps
Et peut-être des fruits à l’automne
L’arbre, l’ancêtre de la tronçonneuse
Je suis l’arbre
Petits enfants
Et vous
Que serez-vous ?
Des outils sans printemps
Des avenirs sans présent ?
Les enfants ouvrent les murs
comme ils ouvrent les bras
ils tissent de lumière
la couleur de notre sang
ils iront demain
tracer des chemins
à travers les orages
et donner à l’éclair
le temps de nommer
les bâtisseurs d’espoir.
Michel Lautru
Je cours sur ma planète
Chanson Poésie Orne, cotcodi n°31
Luce Guilbaud
Poèmes du matin au soir
Écrits des Forges / le dé bleu, 2003
RENTRÉE
Dans les rues du bourg, ce matin
Les enfants rentrent à l’école.
Les tableaux vides les attendent
Dans les classes qui sentent bon
La cire et le désinfectant
Et tout l’été silencieux.
LA FAMILLE IDÉALE
Papa essuie la vaisselle
avec un sourire de moustache
Maman rabote l’étagère
deux clous serrés entre les lèvres
Moi je balaie le salon
ma sœur bêche le long des rhododendrons.
La télé parlera toute seule
car bientôt nous irons
le cœur en sacoche
tous quatre
nous rouler dans l’herbe
des pique-niques improvisés.
Michel Voiturier
in
L’enfance lucide
Unimuse, 1989
Lorsque volaient dans le soleil
Les poudres dorées du savoir.
Ils vont, cartables neufs au dos ;
Riants, bruyants, silencieux…
Sous le ciel tout gris de septembre,
Où l’automne annonce ses traces.
Et je me revois, écolier
Sous le noir tablier d’alors.
Dans la classe au plancher sonore
Le maître m’attend et je sais
Que j’ai tout à apprendre encore.
Georges Jean
Airs d’enfance
Fuzeau, 2001
29
LES ENFANTS
Remplissant nos paniers de rires
ils ont éclaboussé partout
et bousculé la mort.
Elle est partie vexée.
Dominique Stein
in
Dix poètes du Prix Casterman
Unimuse, 1993
il a pris ma main dans la sienne
et je m’y suis accroché
ce n’étaient que trois ou quatre pas
le début du chemin
mais j’ai su où j’allais
et même si je suis tombé
j’ai continué
ce sera mon tour
un jour
de lui tenir la main
le jour où il devra partir
de l’autre côté du chemin
il y a dans le chant des enfants
des voix de lumières
inventées
elles ne se taisent pas
vont par-delà
jusqu’à plus loin
l’épaisseur du vent
devant
le jour
Danielle Fournier
Je reconnais la patience de l’arbre
Tarabuste, 2008
il lâchera ma main
je sais
sans prévenir
peut-être je pleurerai
peut-être pas
je penserai à ce temps-là
où il guidait mes premiers pas
et puis
longtemps après
j’irai où il ira
prendre sa main
Bernard Friot
peut-être oui
De La Martinière, 2006
30
LES RAISONS QUI TIENNENT
Fils donne-moi ton pays
donne-moi le pays
où jamais je n’irai
Enseigne-moi le chemin qui va
du rêve le plus vieux
à ton bonheur futur
S’il faut abandonne-moi
parmi les ruines de mon siècle
et gagne sur l’autre rive
le chant bâti dans nos poèmes
Fais sonner s’il faut
ta colère sur mon front
interdis-moi de renoncer
fils
je parie ton monde
contre le mien
Jean-Pierre Siméon
Sans frontières fixes
Cheyne, 2001
POT DE COLLE
― Pourquoi maman a-t-elle toujours
Deux fossettes sur ses joues ?
― Pourquoi les chattes
Courent-elles à quatre pattes ?
― Pourquoi les oiseaux
Ne portent-ils pas de sabots ?
― Pourquoi ma grande sœur, dis,
S’assied-elle pour faire pipi ?
― Pourquoi les grenouilles
Ont-elles le ventre qui gargouille ?
― Pourquoi les bonbons
Ne poussent-ils pas sur les buissons ?
― Parce que ta bouche, mon chou,
N’est pas fermée par un verrou !
Sacha Tchiorny
in
Ça fait rire les poètes
Anthologie
Rue du Monde, 2009
L’ENFANT DOUBLE
Un jour, un enfant était deux.
Ils étaient assis
l'un à côté de l’un,
parlant d’une même voix :
« Et moi, émoi…
L’avis, la vie…
L’amor, la mort… »
Le temps passa,
sans rien apprendre
d’eux.
Et un soir, hop !
L'enfant double
Était vieux.
La vie est simple
comme un et un
font d’eux
un enfant unique,
poétique
et mystérieux.
Alain Serres
in
Ça fait rire les poètes
Anthologie
Rue du Monde, 2009
VERT
Quand j’étais petit
J'aimais m’étendre
Au pied des arbustes.
À travers les feuilles
tout était vert :
les nuages,
le ciel,
les vautours,
mes pensées.
Jusqu’au jour où j’appris
que le vert
aussi se fane.
Umberto Ak’abal
Le gardien de la chute d’eau
L’Harmattan, 2010
31
Les enfants de la liberté
ne s’habillent pas en Petit Bateau.
Leur peau s’habitue vite à une étoffe rêche.
Les enfants de la liberté
ont des vêtements usés
et des chaussures trop grandes pour leurs pieds.
Souvent ils enfilent l’air nu ou la terre.
Les enfants de la liberté
ne connaissent pas le goût de la banane
ni de la fraise.
Ils mangent du pain sec
trempé dans l’eau de la patience.
Le soir,
les enfants de la liberté
ne prennent pas de bain,
ils ne soufflent pas dans des bulles de savon.
Ils jouent avec des pneus, des cailloux
et les débris
des bombes.
Le ciel bleuit
que la mer accompagne…
Tas de sable
sur le rivage,
les enfants jouent
comme des rois…
Et, par-delà les cris,
les sourires,
l’azur des cœurs
chante tout bas…
Bernard Perroy
Une gorgée d’azur
Al Manar, 2011
Avant de dormir,
les enfants de la liberté
ne se brossent pas les dents.
Ils n’attendent pas les histoires magiques
de prince et de princesse.
Ils écoutent le bruit de la peur et du froid.
Sur les trottoirs de la rue,
devant les portes de leur maison détruite,
dans les camps des pays voisins
ou
dans les tombes.
Les enfants de la liberté
attendent comme
tous les enfants du monde
le retour de leur mère.
Maram al-Masri
Elle va nue la liberté
Bruno Doucey, 2013
Mon papa est très grand,
Plus haut que le buffet,
Mais dans pas très longtemps
Je le dépasserai.
Quand je vais arroser
Les choux du potager
Je m’asperge en secret
Le bout de mes souliers.
Michel Piquemal
in
Cairns n°3
La Pointe Sarène, 2008
32
Si mon père était un ourson,
Ma tante Alice, un gros pigeon,
Si mon oncle était un trapèze,
Ma sœur Anne, un bâton de chaise,
Si ma marraine était un mât,
Mon grand frère, un œuf sur le plat,
Si mon maître était une autruche,
Et l’école, une vieille cruche,
Je ne sais pas comment irait
Le monde étroit que je connais,
Mais je rirais, ah je rirais
À faire sauter les volets.
Maurice Carême
in
Il était une fois, demain…
messidor / la farandole, 1983
Dans tes yeux il y a la mer.
Sur la mer il y a la tempête.
Dans la tempête :une barque.
Dans la barque : une petite fille.
Dans la petite fille il y a ton enfant
et je vais me noyer maman
si tu ne cesses de gronder.
Gisèle Prassinos
in
Il était une fois, les enfants…
messidor / la farandole, 1987
L’ÉCOLIER
L’ENFANT PRÉCOCE
Une lampe naquit sous la mer
Un oiseau chanta
Alors dans un village reculé
Une petite fille se mit à écrire
Pour elle seule
Le plus beau poème
Elle n’avait pas appris l’orthographe
Elle dessinait dans le sable
Des locomotives
Et des wagons pleins de soleil
Elle affrontait les arbres gauchement
Avec des majuscules enlacées et des cœurs
Elle ne disait rien de l’amour
Pour ne pas mentir
Et quand le soir descendait en elle
Par ses joues
Elle appelait son chien doucement
Et disait
« Et maintenant cherche ta vie »
J’écrirai le jeudi j’écrirai le dimanche
quand je n’irai pas à l’école
j’écrirai des nouvelles j’écrirai des romans
et même des paraboles
je parlerai de mon village je parlerai de mes
[parents
de mes aïeux de mes aïeules
je décrirai les prés je décrirai les champs
les broutilles et les bestioles
puis je voyagerai j’irai jusqu’en Iran
au Tibet ou bien au Népal
et ce qui est beaucoup plus intéressant
du côté de Sirius ou d’Algol
où tout me paraîtra tellement étonnant
que revenu dans mon école
je mettrai l’orthographe mélancoliquement
Raymond Queneau
in
Il était une fois, les enfants…
messidor / la farandole, 1987
René-Guy CADOU
Les Amis d’enfance
Maison de la Culture de Bourges, 1965
33
BOSNIAS
Dispersas la niña y la anciana
En Paris subterráneo
Disputan a la indeferencia
El espacio de la mendicidad
Es Bosnia del horror
El grito del este
Vergüenza señores y señoras
De importunar sus trayectos
Una canta en los vagones del metro
Con voz de entraña en lengua natal
La otra al final del pasillo
En las escaleras que desembocan
Al muelle del tren
Balbuciendo en un francés prestado
Plañeñ en medio de plegarias
Después
Vieja y muchacha se encuentran
Para contar cuántas monedas.
Trésors de mes quatre ans :
Mousse de la forêt
Caillou du jardin
Galet de la plage
Épine de sapin
Fleur de lavande.
Et la terre toute entière
Dans ma poche trouée !
Liska
in
Cairns n°9
La Pointe Sarène, 2011
CAÑEDO
À Paquita
BOSNIENNES
La fillette et la vieille femme à distance
Dans Paris souterrain
Disputent à l’indifférence
Un espace où mendier
C’est la Bosnie de l’horreur
Le cri de l’Est
La honte messieurs dames
D’importuner votre trajet
L’une chante dans les voitures du métro
D’une voix venue des entrailles en sa langue
[natale
L’autre au bout du couloir
Dans les escaliers qui débouchent
Sur le quai
En balbutiant dans un français précaire
Larmoie au milieu des prières
Plus tard
La vieille et l’enfant se retrouvent
Pour compter leurs quelques sous.
Myriam Montoya
Déracinements / Desarraigos
Traduit de l’espagnol (Colombie) par Claude
Couffon
Indigo, 1999
Tu as raison de passer
tes après-midis à jouer
dans les branches du figuier
Car tout cela n’était qu’une poignée d’étés
Tu as raison de courir
Jusqu'à perdre haleine
Le loup il va t’attraper
Car tout cela n’était qu’une poignée d’étés
Tu as raison de traquer
le ver luisant caché
les nuits de lune pleine
et perdre encore la tête
à rêver de vies nouvelles…
… Car tout cela n’était qu’une poignée d’étés
Isabel Asúnsolo
Marmotades
L’iroli, 2005
34
Ton âge
tient sur les doigts
d’une seule main
Ton sourire
dans la paume
d’une seule main
Mais ton chagrin
a besoin
de tout l’espace de mes bras
Jacques Fournier
in
Cairns n°9
La Pointe Sarène, 2011
À l’aube de ce jour
je t’envoie ce poème
que des oiseaux facteurs
te chanteront demain
pour te dire simplement
que le soleil se balance
que les arbres sont en fête
que le ciel rit à belles dents
que la rivière fait toilette
que l’on est prêt,
que l’on t’attend
Paul Bergèse
Danser sourire et grandir
© Paul Bergèse, 1997
À Maël, 2 ans
Tu marches au hasard
dans le plaisir de tes pas
un peu à gauche
un peu à droite
dans l’ignorance des boussoles
Ce qui te guide assurément
C'est un petit rêve de plein jour
Tu déambules à l’intérieur.
Locmaria, mai 2008
Alain Boudet, inédits
in
Cairns n°3
La Pointe Sarène, 2008
d'en bas un enfant
regarde la lune
et la lune est blanche
et bonne comme du lait
rien ne rattache l’enfant
à cette blancheur
sinon à jamais
l’ombre d’une soif
Marc Dugardin
la peur la plénitude
l’arbre à paroles, 1994
35
Quels seront les soleils
quels seront les espoirs
du monde où vous vivrez
enfants de nos désirs ?
Quels pouvoirs de bonheur
quelles chances de fête
trouverez-vous encore
dans votre devenir ?
Je vous prends par le cœur
je vous tiens par la main
m’interroge de peur
sur votre dur destin
Aux plus humbles de vous
je demande pardon
de ma joie d’exister
au devant de votre âge
Qu’aurons-nous donc laissé
à vos envies d’amour
à vos embrasements
de plus haute clarté ?
Mais nous allons vers vous
préparant des miracles
d’empires étoilés
et d’immenses splendeurs
Nous brûlons nos vaisseaux
Nul recours, nulle grâce
Mais dans nos poings fervents
vibre votre avenir.
Arthur Haulot
in
Nous empruntons la terre à nos enfants
l’arbre à paroles, 1998
QUE DIT TAMARA
― QUI NE PARLE PAS ENCORE ―
EN SUÇANT SA TÉTINE
ET EN CONTEMPLANT CE VASTE MONDE
QUI N’EST PEUT-ÊTRE PAS LE PLUS PARFAIT
Pourvu
que les enfants ne brisent les pattes d’aucun chat
Pourvu
que les balles ne tuent aucun ours dans la forêt
Pourvu
qu'aucun bouleau ne soit abattu par un obus
Pourvu
Que tous les peuples du monde se réconcilient
Pourvu
Que reviennent tous les promis de la mort
Pourvu
Qu’il n’y ait pas de tremblement de terre
Pourvu
Que tous les avions atterrissent sans encombre
Pourvu
que mon père termine son poème
Pourvu
Que tous les pères deviennent poètes
1964
Izet Sarajlic
Nés en vingt-trois, morts en quarante-deux
n&b, 1999
36
le photographe a commandé
le soleil et l’ordre
les mains sur les genoux
les filles du premier rang
semblent gober les mouches
il manque deux dents aux plus jeunes
debout derrière elles
nous nous pinçons les tabliers
les paumes et les lèvres
Depuis des années,
Des années,
Un stalactite,
Un stalagmite
Se regardaient.
Ils durent attendre
Des années,
Des années,
Pour pouvoir se donner
Un petit baiser glacé !
Françoise Bobe
in
Poèmes pour s’éclairer à la luciole
l'épi de seigle, 1998
l’institutrice fait les yeux ronds
(la photo de classe)
Françoise Lison-Leroy
le dit de petite elle
l’arbre à paroles, 2000
L’ENFANCE
Mon enfance aux doigts tachés d’encre !
Les cloches au matin.
Le muezzin au crépuscule.
Des collections de vieilles boîtes et de timbres
anciens,
L’échange d’un Ceylan
Contre deux Luxembourg.
C’est ainsi qu’il s’en est allé
Le temps de l’enfance.
Il a couru en soulevant de la poussière et des cris
À la poursuite d’une balle en chiffons.
Une balle en chiffons,
De ces chiffons gris de l’Albanie
Ismaïl Kadaré
in
Un poème, un pays, un enfant
le cherche midi / UNESCO, 2002
Cet âge
féroce et tendre
incrédule et naïf
hâbleur et angoissé
téméraire et fragile
crispant et adorable :
adolescence…
Clod’Aria
Micro-climat
Echo Optique, 1992
AXIOME
Dans mon cahier de brouillon
j'ai brouillé la piste des étoiles
hachuré la courbe des ans
dessiné les contours du futur
schématisé la forme des saisons
tracé le diagramme des tropiques
souligné les paramètres de la vie
illustré les arcanes de l’amour
décalqué les lunaisons des sentiments
Reste à boucler le cycle de ma jeunesse
Maggy de Coster
in
Terre de femmes
150 ans de poésie féminine en Haïti
Bruno Doucey, 2010
37
Ne rien écrire
Ou juste pour toi
Parce que tu grandis
M’échappes
Ne rien écrire
Tourner seulement la page
Comme l’un de ces livres
Que je te lisais
Relisais
Près d’une herbe foulée
Qui se redressait quand
Un vol d’étourneaux
S’échappait au crépuscule
je les vois
l’une et l’un
leurs vélos ont le nez à terre
eux s’envolent
les bras clos
ivres du premier baiser
je ne dirai rien à ma mère
derrière la haie vigile
les cerises mûrissent par cœur
(les fugitifs)
Ne rien écrire
Jean Rivet
Le soleil meurt dans un brin d’herbe
møtus
Françoise Lison-Leroy
le dit de petite elle
l’arbre à paroles, 2000
ADOLESCENT
LETTRE D’UNE MÈRE
Ses traits s’affirment et sa voix mue
avec des graves et des aigus
l’homme enfant
l’adolescent.
Parfois il voudrait s’attarder
dans la chaleur
la douceur
des jeux
mais il doit s’affirmer
quitter
détruire
construire
l’homme enfant
l’adolescent.
Avec insolence
et impertinence
avec innocence
et parfois violence,
il s’arrache à l’enfance.
Michelle Daufresne
Envol
Lo Païs, 2000
Va dans le vaste monde, mon cher enfant,
Va vers une vie libre !
Tant que le vent souffle en poupe.
Va vers la vaste mer, mon cher enfant,
Va vers le monde libre !
Tant qu’il ne fait pas encore noir
Et que le crépuscule ne rougit pas le ciel.
Lorsque les ombres s’effaceront,
Que l’aigle de mer sera retourné à son nid,
Que le vent soufflera vers la terre
Et que le timonier sera sans boussole,
Alors tu pourras revenir vers moi !
Reviens alors, mon cher enfant,
Reviens de l’autre côté de la nuit !
Et lorsque ton navire sera près du rivage,
Alors nous parlerons
De l’amour et de ta vie demain matin.
Asrul Sani
in
Un poème, un pays, un enfant
le cherche midi / UNESCO, 2002
38
J’ai 44 ans
L’olivier en a 800
Je suis un enfant
La vie est longue
disait la pierre
depuis des millénaires
que je suis pierre
de quoi se plaignent
les humains ?
Clod’aria
La pierre, l’arbre, l’âne
l'épi de seigle, 2001
Patrick joquel
Un bleu formidable
Le Chat qui tousse, 2011
Nous disons aujourd’hui
Nous disons hier ou demain
Nous retenons le temps
au sablier des mots
pour oublier qu’il passe
en nous
comme une flèche
LE TEMPS
Tu exagères
Le temps
Tu fais
Tout à l’envers
Tu accélères
Quand tu devrais
Faire marche arrière
Et tu prends ton temps
Quand on est pressé
Tu n’es jamais
Comme on t’attend
On ne peut pas
Compter sur toi
Et pas question
De divorcer
On est
Bien obligé
De vivre
Avec son temps
Liska
Le temps étoilé
l'épi de seigle, 1999
Mais il est pourtant là
avec sa rectitude
avec sa certitude
avec son poids d’aiguilles
entre pointe et plume
entre vie et rêve
en nous
comme une banderille
Alain Boudet
Quelques mots pour la solitude
l’épi de seigle, 1996
On sait seulement
que les rêves n’en finissent pas
de s’éteindre
et chaque fois reprendre le tissage
croire à l’histoire ancienne
inventer des suites
pour avancer dans le nu des jours
Patricia Cottron-Daubigné
Le scalpel des jours
Le Chat qui tousse, 2000
39
CRÉPUSCULE
DETTES
Il tenait de sa mère
Ci-devant poissonnière
Des yeux de merlan frit
Lui venaient de son père
Hautboïste amateur
Des naseaux en trompette
D’oreilles en feuille de chou
Il avait hérité
D’un oncle jardinier
Son menton en galoche
Révélait l’existence
D’un sabotier aïeul
En été le crépuscule fait reculer la nuit.
Paresse.
Soulagement.
Jour rempli de promesses…
Nous sommes assis côte à côte, dans l’ombre.
Nous regardons sur le ciel le vol aigu des
martinets…
La ligne blanche que trace un avion qui revient
peut-être des Amériques.
Le chat couché de tout son long devant nous,
nous garde des sortilèges, ses yeux ouverts sur
l’éternité ;
Il y a encore un lézard sur le mur de pierres
sèches.
Et on entend parfois jusqu’aux franges de la nuit
les moissonneuses dans le champ proche qui
avalent la paille…
Nous bavardons doucement des choses
quotidiennes,
Le ciel est violet ce soir…
Nous vieillissons doucement…
Il avait par ailleurs
La bouche en cul de poule
− Sa grand-mère jadis
Élevait la volaille –
Georges Jean
in
L’Arbre à mots
Donner à Voir, 2008
Et quant à ses moustaches
En guidon de vélo
C’était le souvenir
D’un grand-papa coursier
Il avait enfin
Un ancêtre boucher
Ce qui justifiait
Sa tête de cochon
Des voix se mêlent
dans l’ombre et la lumière
comme un chant de soleil
accordé au rythme de l’arbre
Mais c’est à lui seul
Qu’il devait son visage
Taillé à la serpe
C’est le temps qui vibre
au mouvement des feuilles
Il redit le nom
Il était bûcheron
Jean-Claude Touzeil
in
Visage/visage(s)
Donner à Voir, 2004
des amis perdus.
Marilyse Leroux
Herbes
Donner à Voir, 1995
40
Il y a des jours de lenteur
où nous pensons que le monde s’arrête
Elle dans le bruit
les voix lui disent rien
Elle s’enferme
dans sa tête
Le silence lui va bien
Sa peau d’avant
accrochée aux ronces
Nue
dans le ventre du sentier
Mais
sous l’écorce des choses visibles
la vie
déjà
invite à la lumière
Alain Boudet
Les mots des mois
Donner à Voir, 2005
Errance dépouillée
Pascale Albert
Un dernier battement d’elle
Donner à Voir, 2011
RÊVER
Rêver
Tourner le dos aux voyages
aux rires des cartes postales
soleil figé
papier glacé
Partir en restant là
peut-être
Retrouver l’enfance en nous-mêmes
libérée
Partir comme Hélice
au pays des merveilles
Alain Boudet
Carrés de l’hypothalamus
Donner à Voir, 1999
Tu sais le manque ?
Tu sais le creux,
Là dans le ventre ?
Tu sais les larmes ?
Tu sais le froid,
Là dans le cœur ?
Tu sais l’attente ?
Tu sais l’espoir,
Là dans la tête ?
Petite flamme jamais morte.
Suffit d’un soir
Pour mettre le feu.
Pascale Albert
Seize fois sans
Echo Optique, 2005
Tu regardes en passant,
comme un voyageur du temps
qui erre sur les chemins,
sans portes, sans maisons,
sans sourires à l’horizon.
En voiture sur une petite route, alors que je
me laissais guider par le hasard.
Claude Cailleau
Tout ce qui reste
Traces, 2003
41
Avant de franchir le pas
qui mène au froid
du bloc opératoire,
le soleil amical
me glisse un ultime clin d’œil.
Il va falloir plonger
dans le néant anesthésique
d’où aucun rêve
ne revient vivant.
À tout à l’heure…
peut-être ?
Marcel Bréchet
Itin’errance
Echo Optique, 2007
L’ÂGE
Mains fraîches, et ces yeux si légers et couleur
Des ruisseaux clairs que le ciel presse…
Ce que je nomme encore aujourd’hui ma
jeunesse
Quand nul ne peut m’entendre et que même
mon cœur
Plein de honte pour moi, fait le sourd, se
dépêche,
Me laisse sans chaleur.
Jules Supervielle
Le forçat innocent
Gallimard Poésie, 1969
LES ARÈNES DE FRÉJUS
Te souviens-tu des arènes de Fréjus ? La guitare
de Carlos Santana dans le jour qui tombe. Notre
amour n’était plus à son zénith mais enflammait
encore le ciel. Tu étais ma compagne sur ce banc,
dans le chaud soleil de fin d’après-midi, dans le
tendre rougeoiement du soir, dans la nuit qui
monte. Tu étais celle avec qui ma vie faisait route.
Le visage entre tous, le corps familier, la voix
proche. La guitare de Carlos Santana n’en finissait
pas d’emplir la nuit de ses accords et nous nous
aimions si fort. Te souviens-tu des arènes de
Fréjus ?
Christian Bulting
La saison violente
Echo Optique, 1995
Que m’importent lieu, durée,
si je demeure assurée
de garder toujours l’instant.
Seconde ou siècles, autant
le vent sur sa route emporte.
Lieu, durée, ah, que m’importe,
tout défile au même train.
Je ne saisirai qu’un grain
Du sable des destinées,
Pour le cueillir, je suis née.
Liliane Wouters
in
20 poètes pour l’an 2000
Gallimard Jeunesse, 1999
42
L’AMITIÉ
Qu’est-ce qui passe ici si tard ?
Un chemin creux n’est pas un boulevard !
LE PONT MIRABEAU
Sous le pont Mirabeau coule la Seine
Et nos amours
Faut-il qu’il m’en souvienne
La joie venait toujours après la peine
Vienne la nuit sonne l’heure
Les jours s’en vont je demeure
Les mains dans les mains restons face à face
Tandis que sous
Le pont de nos bras passe
Des éternels regards l’onde si lasse
Vienne la nuit sonne l’heure
Les jours s’en vont je demeure
L’amour s’en va comme cette eau courante
L’amour s’en va
Comme la vie est lente
Et comme l’Espérance est violente
Vienne la nuit sonne l’heure
Les jours s’en vont je demeure
Passent les jours et passent les semaines
Ni temps passé
Ni les amours reviennent
Sous le pont Mirabeau coule la Seine
Vienne la nuit sonne l’heure
Les jours s’en vont je demeure
C’est un ami des temps anciens
Voyageur seul et sans bagage
Femme prépare les vins fins
Les liqueurs des chaussons de feutre
Ne viens pour boire ni manger
Mais pour parler des années douces
Max Jacob retour de Quimper
Le chat roux le quai de la Fosse
Fosse au passé fosse aux remords
Ne te dérange pas si tu dors !
Et pour qui me dérangerais-je
Sinon pour vous Amis les Anges ?
Les salles tristes du collège
Mais les dimanches sous les pins !
Je te retrouve après quinze ans
Mon lointain mon parent trop rare
Faut-il que tu passes si tard
Dans le corridor du destin !
René-Guy Cadou
in
L’amour et l’amitié en poésie
anthologie
Gallimard folio, 1980
Guillaume Apollinaire
Alcools
Gallimard Poésie, 1966
43
fillette fillette
ce que tu te goures
LE TEMPS L’HORLOGE
L’autre jour j’écoutais le temps
qui passait sous l’horloge.
Chaînes, battants et rouages
il faisait plus de bruit que cent
au clocher du village
et mon âme en était contente.
J’aime mieux le temps s’il se montre
que s’il passe en nous sans bruit
comme un voleur dans la nuit.
Jean Tardieu
in
L’amour et l’amitié en poésie
anthologie
Gallimard folio, 1980
SI TU T’IMAGINES
Si tu t'imagines
si tu t'imagines
fillette fillette
si tu t'imagines
xa va xa va xa
va durer toujours
la saison des za
la saison des za
saison des amours
ce que tu te goures
Si tu crois petite
si tu crois ah ah
que ton teint de rose
ta taille de guêpe
tes mignons biceps
tes ongles d'émail
ta cuisse de nymphe
et ton pied léger
si tu crois petite
xa va xa va xa
va durer toujours
ce que tu te goures
fillette fillette
ce que tu te goures
les beaux jours s'en vont
les beaux jours de fête
soleils et planètes
tournent tous en rond
mais toi ma petite
tu marches tout droit
vers sque tu vois pas
très sournois s'approchent
la ride véloce
la pesante graisse
le menton triplé
le muscle avachi
allons cueille cueille
les roses les roses
roses de la vie
et que leurs pétales
soient la mer étale
de tous les bonheurs
allons cueille cueille
si tu le fais pas
ce que tu te goures
fillette fillette
ce que tu te goures
Raymond Queneau
in
128 poèmes composés en langue française
choisis par Jacques Roubaud
Gallimard, 1995
44
LES YEUX
Où est-il, l’enfant que je fus ?
Est-il en moi ? Est-il parti ?
Sait-il que je ne l’ai aimé
et qu’il ne m’aimait pas non plus ?
Pourquoi tout ce long bout de route,
et grandir pour nous séparer ?
Pourquoi n’être pas morts tous deux
avec la mort de mon enfance ?
Pourquoi, si mon âme est tombée,
ai-je conservé mon squelette ?
Pablo Neruda
Le livre des questions
Gallimard Jeunesse, 2008
Les enfants bavardent dans la rue.
Ils ne savent rien encore
ni de la vie
ni de la mort.
Les oiseaux en savent quelque chose.
Et moi, entre les enfants et les oiseaux
je m’étonne de ne savoir
ni revivre les contes
ni m’envoler.
Sreten Perović
(Monténégro)
in
Voix Vives
de Méditerranée en Méditerranée
Anthologie Sète 2011
Bruno Doucey, 2011
MÉLANCOLIE DU SOIR DANS LES VILLES DE PROVINCE
Grandir n’est rien d’autre que d’oublier
une part du secret, du rêve…
Nir gran…rienk oubli in bout lo sekré,
limazinèr…
Grandir n’est rien d’autre que d’oublier
une part du secret, du rêve…
Nir gran…rienk oubli in bout lo sekré,
limazinèr…
Grandir n’est rien d’autre que d’oublier
une part du secret, du rêve…
Nir gran…rienk oubli in bout lo sekré,
limazinèr…
Grandir n’est rien d’autre que d’oublier
une part du secret, du rêve…
Nir gran…rienk oubli in bout lo sekré,
limazinèr…
Mikaël Kourto
(île de la Réunion)
in
Outremer
Trois océans en poésie
Bruno Doucey, 2011
La mélancolie du soir dans les villes de province
Est la même chose aux quatre coins du monde
Le ciel clair et les silhouettes des maisons
Et le regard triste des femmes
Des lointaines campagnes
Le vent répand la voix du soir
Progressivement le corps des montagnes
Sombre dans la nuit
J’ai passé mon enfance dans les villes de province
Cette tristesse grise du soir
M’est restée au cœur
Il y a des années que je vis cette tristesse
Je regrette, ô combien je regrette
Mon nom prononcé par ma mère quand elle
m’appelait
Ataol Behramoglu
( Turquie)
in
Voix Vives
de Méditerranée en Méditerranée
Bruno Doucey, 2011
45
LES ANNÉES PASSENT
Je ne comprends plus
La nature du monde
Le tourbillon qui m’emporte
Me fait suffoquer
Je sens que je suis
Au carrefour de plusieurs vérités
Les années passent
Et toujours rien
Je regarde plus loin
Je vois la misère
L’indifférence et la violence
La terre malmenée
Perd sa saveur
L’intolérance défigure la ville
Les années passent
Et toujours rien
Pourtant je suis faite
Pour me planter dans la terre
Pourtant je suis faite
Pour boire l’eau du ciel
Pourtant je suis faite
Pour toucher l’écorce des arbres
Les années passent
Et toujours rien
Nous retrouverons-nous
À la frontière du monde ?
Nous retrouverons-nous
Pour bâtir enfin
Pierre par pierre
La maison de nos rires d’enfance ?
Les années passent
Les années passent
Véronique Tadjo
in
Tout l’espoir n’est pas de trop
Douze voix francophones
Le Temps des Cerises, 2002
Ô mon passé
Toi qui es mort
comment t’es-tu évadé de mon coffre-fort
et as-tu retrouvé la route qui mène à moi
Je ne veux ni te bannir
ni t’ouvrir ma porte
mais dis
que me veux-tu
Quel besoin as-tu de moi
Il y a un autre rêve
qui m’entraîne à sa suite
Ô mon passé
Chut !
Tu es vivant
et mon dîner brûle
Maram al-Masri
Je te menace d’une colombe blanche
Seghers, 2008
Toujours je conterai
l'odeur perdue du temps jadis,
la moiteur verte de l’enfance,
la brume des horizons
où veille la fillette que je fus,
l’espace reconquis
de ma vie circulaire
et, plantée là, dans la chair
de la terre, la haute profusion
du pommier-labyrinthe
où je grimpais, enfant,
à l’assaut des soleils !
Béatrice Libert
Un arbre cogne à la vitre
Pluie d’étoiles, 2000
46
Avec sa pelle en plastique
elle prend du sable
et le lance
loin dans la mer
Je me souviens
tous les matins
sur le chemin de l’école
le long du port
cette route sinueuse
à proximité du Café de la Jeunesse
où se retrouvaient les vieux du quartier
(Mon cœur se serre)
Je me souviens du serveur tout petit
qui laissait son travail
pour me fredonner une chanson
ou m’envoyer un soupir
Je cachais mon sourire dans mon petit mouchoir
Ou je le jetais à la mer
(Sourire chez nous est un péché)
Je me souviens
le soir
de la corniche à six heures
à l’heure du Jugement dernier
où se croisent pieds et rêves
garçons et filles de Lattaquié
Je me souviens de visages et de noms
Je me souviens
de parcs et de rues
Je me souviens et je pleure
Maram al-Masri
Je te menace d’une colombe blanche
Seghers, 2008
Très loin
Un peu plus tard
elle remplit le seau d’eau
puis le vide
sur la plage
Tu le sais
tu en as fait autant
si loin que tu ne t’en souviens plus
Une autre vie
Aujourd’hui
tu n’as plus ni seau ni pelle
mais tu regardes encore la mer
Patrick Joquel
Croquer l’orange
Pluie d’étoiles, 2008
Dans un vieux livre de récitations
je retrouve des fleurs séchées
et des promenades d’enfance
Jean-Hugues Malineau
Trente haïku rouges ou bleus
Pluie d’étoiles, 2000
47
Ton kit mains libres
palpite
comme une sirène
et tu vis
d’une urgence à l’autre
avec un gyrophare
à ton cou
Tu portes des lunettes à écran plat
webcam et cours de la Bourse intégrés
Tu as le cœur bien à l’abri
sous ta carte bancaire internationale
avec options multiples
assurance incluse
Tu es moderne
on line
et tes vêtements siglés
te mondialisent
Patrick Joquel
Croquer l’orange
Pluie d’étoiles, 2008
TOUJOURS TOI
Où est l’héritage de l’exil
le fruit du vent
et qui se souviendra de toi
dans les moments de joie ?
Toi qui t’éloignes
comme une averse tourmentée
les villes heureuses ne te pleureront pas
et sur le chemin
regarde
les années tissent l’oubli
comme le liseron
se propage sur les tombes
Il y a une armoire à peine luisante
Qui a entendu les voix de mes grand-tantes,
Qui a entendu la voix de mon grand-père,
Qui a entendu la voix de mon père.
À ces souvenirs l’armoire est fidèle.
On a tort de croire qu’elle ne sait que se taire
Car je cause avec elle.
Il y a aussi un coucou en bois.
Je ne sais pourquoi il n’a plus de voix.
Je ne veux pas le lui demander.
Peut-être bien qu’elle est cassée,
La voix qui était dans son ressort,
Tout bonnement comme celle des morts.
Il y a aussi un vieux buffet
Qui sent la cire, la confiture,
La viande, le pain et les poires mûres.
C’est un serviteur fidèle qui sait
Qu’il ne doit rien nous voler.
Il est venu chez moi bien des hommes et des
[femmes
Qui n’ont pas cru à ces petites âmes.
Et je souris que l’on me pense seul vivant
Quand un visiteur me dit en entrant :
― Comment allez-vous, monsieur Jammes ?
Francis Jammes
in
Les voix du poème
Anthologie
Bruno Doucey, 2013
Salah Al Hamdani
in
Bagdad Jérusalem
À la lisière de l’incendie
Salah Al Hamdani et Ronny Someck
Bruno Doucey, 2012
48
BAGDAD, FÉVRIER 91
Dans les rues bombardées on poussait ma voiture
d’enfant.
Les jeunes filles de Babylone pinçaient mes joues,
éventaient les palmes
au-dessus de ma tête blonde.
Ce qui est resté depuis a bien noirci,
comme Bagdad,
comme le landau sorti des abris
dans l’attente d’une nouvelle guerre.
Ô Tigre, Ô Euphrate serpents d’agrément sur la
première carte de ma vie,
vous avez mué en vipères !
Ronny Someck
in
Bagdad Jérusalem
À la lisière de l’incendie
Salah Al Hamdani et Ronny Someck
Bruno Doucey, 2012
Qui sommes-nous devenus
entre les points d’enfance ?
Quelles sont les intentions
de ceux qui ont grandi ?
Passer sans faire de bruit
et se recroqueviller ?
L’enclos secret de nos vacances
veille son propre oubli
blotti contre l’hiver
vasque de silence
sous un rideau d’averses
Passer le long couloir
où le temps s’épanche
comme pluie battante
dans le tamis
des volets fossiles
Frôler le galbe des tomettes
avant que d’autres pas
demain ne les piétinent
avant que l’objet
ne redevienne chose
Avant que tout ne soit soldé
fouiller un instant encore
les miettes de l’enfance
― cette disparue
Qui hurle tout bas.
François-Xavier Maigre
Dans la poigne du vent
Bruno Doucey, 2012
Emprunter d’autres voies
entre les tourbillons ?
Le théorème a-t-il servi ?
Stéphane Bataillon
Les terres rares
Bruno Doucey, 2013
49
LES GÂTEAUX AUSSI SE MANGENT FROID
5 minutes de retard
Est-ce que j’ai bien fait
de quitter ma maison
laissant les enfants ?
Je ne savais pas
que les jours et les nuits
allaient se décolorier
en leur absence
10 minutes de retard
Oh, peut-être qu’ils ne viendront pas
mais non
ils vont venir
certainement
15 minutes de retard
J’ai préparé
le gâteau qu’ils aimaient chaud
lorsqu'ils en sentaient l’odeur
ils me disaient en le mangeant
« Maman, tu es la meilleure »
25 minutes de retard
Il y a beaucoup de voitures
dans les rues
c’est bouché partout
mais
ils vont arriver
1 heure de retard
Ce n’est pas grave
le gâteau se mange froid aussi
2 heures de retard
Un SMS arrive :
« Maman, nous viendrons
demain. »
Maram al-Masri
La jupe froissée
Bruno Doucey, 2012
CHANSON DE LA FILEUSE
Vous y croyez vous à la vie
à la vie à la vie à la vie
vous y croyez donc au temps
qui passe qui passe qui passe
vous y croyez donc à la vie
qui passe qui passe qui passe
vous y croyez à la vie au temps
au temps au temps au temps
Philippe Soupault
Poésies pour mes amis les enfants
Lachenal et Ritter, 1985
Jetez-vous sur l’avenir
au vol, comme l’indien sur les reins du cheval
sauvage
et n’en cherchez pas davantage
Prenez votre monture au col
foncez
avalez le temps avant qu’il ne vous avale
frappez des deux talons les flancs de la cavale
Yeux fermés
Cheveux au vent
Lèvres entrouvertes
courez courez à votre perte
Allez au-devant du temps
faites voler en éclats horizon et raisonnements
tout ce qui est inerte ment
prenez les devants
bousculez Dieu comme une idée reçue
Ruez-vous sur l’avenir avant que les vers ne vous
mangent
pressez votre cœur comme on presse une éponge
faites-lui rendre tous les prénoms
tous les instantanés d’amour
tous les rêves inassouvis
qu’il a stockés
dans ses greniers
Jean-Pierre Rosnay
Fragment et Relief
Collection Club des Poètes, 1994
50
TOUT REPRENDRE
Quand nous revenons
dans la maison d’Ardèche
il faut tout reprendre.
Arracher scier couper
ronces branches genêts
soulever porter déplacer
pierres planches meubles
dégager les accès les abords
se battre contre le temps.
C’est un peu tout reprendre
des jours passés ici.
Les mois sont les années
les années font la vie
et puis la vie la mort
et puis la mort la vie.
(Les enfants ne savaient pas marcher
ils se sont lâchés ils sont tombés
ils ont couru sur le chemin
leurs corps ont dépassé nos corps.
Sous une couche de graviers
retenus par des pierres
― ramassées en chemin ―
La tombe de leur grand-père
Regarde la montagne).
Et ce qui passe ici
entre les feuilles dans le ciel
le vent ou au fond du ravin
nous le reprenons.
Comme si c’était possible
de nous reprendre avec.
François de Cornière
Tout cela
le dé bleu / Les Écrits des Forges / l’Arbre à
Paroles, 1992
…
À Paris quand je musarde, je croise en silence
tant de fantômes que j’en oublie un peu les
vivants.
Quai de la Rapée, un métro grince au tournant
et je revois un adolescent débarquant jadis
gare d’Austerlitz pour reconquérir
la ville natale trop tôt quittée.
L’ami d’enfance m’y attendait,
qui avait grandi en battant le pavé des quartiers
dont j’ai découvert les recoins à travers
nos pérégrinations et les troquets
d’une bohème inventée.
…
Michel Baglin
Un présent qui s’absente
Bruno Doucey, 2013
Quand j’aurai pu d’chien
pu d’chats
quand la mère sera disparue
la fille mariée
le mari occis
la maison fermée
le jardin fichu
Je voyagerai
oui oui !
si je suis encore en vie…
Clod’Aria
Mon chat son chien et le cochon du voisin
le dé bleu, 1998
51
LE VIEUX POUCET
Il a marché la vie entière
Sur les sentiers du bout du monde.
Jour après jour il n’a cessé
D’interroger l’herbe et le vent,
De chercher sur le sol les repères
Qu’il avait semés tout enfant,
Ses vieux poèmes oubliés,
Graines vives, bulles de songe,
Pour mieux retrouver son chemin.
Parfois s’amorce sous la neige
Une trace aussitôt perdue,
Ses pas s’égarent dans la boue,
Et toute route est sans issue.
Mais il va droit sans s’attarder,
Le poids des ans sur les épaules,
Car l’espoir ne l’a pas quitté
De voir enfin, alors que la nuit tombe,
Briller doucement dans le noir
Les cailloux blancs de la mémoire.
LA TORTUE GÉANTE
La tortue géante a cent ans,
elle se souvient de sa maman,
qui vivait très lentement
et qui, à deux cent cinquante ans,
se souvenait de sa maman
qui vivait très lentement
Denise Miège-Simansky
Animalimages
le dé bleu, 2002
Pierre Gabriel
L’oiseau de nulle part
l’idée bleue, 2005
LA DEUXIÈME GÉNÉRATION
je te parle d’ici et d’ailleurs. Ce que j’aurai pu
emprunter les transports en commun ! Notre
premier baiser, ce fut gare Montparnasse. Elle
partait pour Morlaix. Les millions de piétinements
en tête de voie, les TGV, les distributeurs de
billets, les écrans électroniques, les portables n’y
changent rien. Chaque fois, jetant un œil, je nous
revois. Toi qui vivras sous le signe des navettes
spatiales, je te souhaite pareille bonne étoile !
Gérard Noiret
Maélo
l’idée bleue, 2006
La fille de la tortue géante
vient d’avoir deux cents ans
Elle se souvient de sa maman
qui vivait très lentement
et qui, à deux cent cinquante ans,
se souvenait de sa maman
qui vécut très lentement
jusqu’à trois cent cinquante ans
se souvenant de sa maman
qui vivait très lentement,
se souvenant, se souvenant…
Denise Miège-Simansky
Animalimages
le dé bleu, 2002
52
AVANT LA GUERRE
Avant la guerre
le pain était de mie
maintenant c’est du vieux pain rassis
Avant la guerre
les pommes étaient des pommes
aujourd’hui ce sont des navets
Avant la guerre
on avait le vin gai
maintenant il assomme
Avant la guerre
on riait du rire des enfants
maintenant il fait pleurer
Avant la guerre
les chiens avaient une âme
et maintenant ils sont féroces
Avant la guerre
les gens étaient bien en chair
et maintenant ils sont faits d’os
J’avais trainé
En chemin
Une vitrine
Des crayons
Des gommes
M’avaient retenue
De petites gommes
À la dimension de ma main
Une gomme pour effacer
Pour se racheter
Une autre
Pour recommencer
Je n’ai pas trouvé
De
Gomme
Pour refaire
Ma vie
Dan Bouchery
Les éphémères
SOC et FOC, 2009
On passait sa vie dans les rues
pour prendre le soleil
et maintenant il s’est caché
Et la pluie
la douce pluie tiède et sucrée
devenue grêle et sel gelé
Dans les villes d’avant guerre
les maisons se tenaient debout très fières
et maintenant elles sont couchées
Après la guerre…oh ! après la guerre
tout sera encore plus beau qu’avant
le pain la pluie le soleil les gens
On ira le raconter sur les tombes
À ceux qui sont tombés
Jean-Louis Maunoury
Guerres et paix
møtus, 1997
J’habite
dans ma mémoire d’enfance
d’immenses près d’étoiles
des Voies Lactées vaporeuses
sur les champs de blé de juillet
en pente vers la vallée.
Sur les chemins
sans trop lever la tête
on croyait avoir
les constellations à portée de mains.
Nulle part ailleurs
Les nuits ne sont plus neuves.
Colette Andriot
Pattes d’oiseaux, pattes de chat
La Renarde Rouge, 2007
53
Dans trois cents ans
les gens qui parleront en verlan
ne diront pas Kanlipé
mais Pélican
Ils ne diront pas Kéropé
mais perroquet
comme avant
Michel Besnier
Le verlan des oiseaux
et autres jeux de plume
møtus, 1995
Comme les perles d’un collier
Qu’on égrène distraitement
Les jours s’additionnent aux jours
Sans nul souci de qui les porte.
*
On dit toujours que le temps passe.
Je me sens plutôt dépassé
Par ce qui en moi m’outrepasse
Et qui dévore mon passé.
Jean-Louis Jacques
Quatrains de veille
La Renarde Rouge, 2003
GUSTAVE C.
25 ANS
Chaque homme est un enfant. Que ne pouvonsnous être encore au temps de l’innocence ? Je
regarde mes camarades, sales et hirsutes, je les
imagine en culotte courte, s’amusant à des jeux
enfantins, aux billes ou à cache-cache peut-être. Il
y a parmi eux les tristes et les gais, les timides, les
rêveurs, les paresseux, les chefs de bande, les
calmes ou les nerveux, ceux qui ne quittaient pas
les jupons de leur mère. Qu’il soit cet enfant-ci ou
cet enfant-là, appellera-t-il sa maman au moment
de mourir ? Elle est la seule qui saura prendre son
fils dans ses bras, elle seule saura le bercer.
« Maman ! Maman ! », pas une nuit où nous
n’entendons cet appel d’amour éperdu. Chaque
homme est un enfant et la mort, cette
charognarde, l’oblige à se le rappeler. Nous
sommes les obligés de la mort. Il y a dans ce
départ une renaissance. Chaque oiseau n’a qu’un
seul nid pour s’endormir. Un seul. « Maman !».
Patrick Bertrand
Un champ pour des grands-pères qui n’ont jamais
été pépés
1914-1918
La Renarde Rouge, 2002
L’amour n’a pas d’âge
Il court d’une aube à l’autre
sans rien qui le retienne
Il sait les peines et les joies
qui cousent les deux bords
de la vie
Ses feux d’herbes
le long de nos routes
sont une seule et même lumière
Son secret est sa confiance
souffle épars ou cœur suspendu
Notre amour n’a pas d’âge
il est l’horizon de ce qui vient.
Marilyse Leroux
Le temps d’ici
Rhubarbe, 2013
54
Du poème des visages
tu retiens une ride
et un sourire
Tu les poses sur la buée d’une voix
pour qu’ils voyagent
empruntant l’insensible chemin de l’air
Souvenirs
Le pays de nos yeux
abrite des mémoires de lumière
Des murs
et des lézardes
et des éclats de lierre
Des chemins ruisselants dans les odeurs de pluie
nous gardons des parfums où la vie se concentre
Et chaque mot
écharde ou miel
peut éveiller en nous
l’éclat des images voilées
que l’on n’attendait plus.
Alain Boudet
Ici là, sur le rivage
La Renarde Rouge, 2010
L’arbre d’hier
qui m’arrivait au menton
L’arbre d’aujourd’hui
qui accroche le ciel pour de bon
L’arbre de demain
qui oubliera mon nom.
Joëlle Brière
Arbres et compagnie
La Renarde Rouge, 2007
Combien verront ces mots
trembler dans le jour
offert encore
à l’ombre et à la lumière ?
Combien auront les mains ouvertes
quand
ride
et
sourire
déposeront leur douceur ?
Alain Boudet
Si peu, mais quelques mots
La Renarde Rouge, 2006
TU M’AS DIT
Tu m’as dit oui
Pour aujourd’hui
Pour mercredi
Et pour jeudi
Tu as promis
Pour vendredi
Et puis et puis
Tu n’as rien dit
Pour samedi
Ni pour la vie
Moi pour la vie
J’ai bien envie
Que ce soit oui
Aussi
Liska
A comme love
La Renarde Rouge, 2003
55
Le lanceur
du bord de l’eau
a-t-il pensé
aux millénaires
qu’il a fallu
pour façonner
le galet
qui a réussi
quatre ricochets ?
Si on est devenus grands
c'est qu’on devait s’ennuyer
Les trains électriques tournent en rond
Paul Bergèse
Au gré des galets
La Renarde Rouge, 2006
il regarde sa chaise
il a posé dessus pipe et tabac
c’est une simple chaise
de pauvre chambre mal meublée
il la peint avec son bois de paille
et le tabac dessus
après il fume une pipe
et disparaît dans la fumée
c’est la chaise de Vincent
sur le tableau en couleurs et douleurs.
Luce Guilbaud
Par les plumes de l’alouette
Corps Puce, 2012
Entre les veilles et les lendemains
la marge de manœuvre est étroite
On comprend la fébrilité des jours
François Philipponnat
Cent remarques sur tout
Tome 2
Gros Textes,
François Philipponnat
Cent remarques sur tout
Tome I
Gros Textes, 2011
ENFANT
Enfant, j’étais déjà un enfant
Je le suis resté
Je ne suis pas grand
J’ai fini de téter
Mais je saute toujours les problèmes
En leur tournant le dos
Devant les dilemmes
Je me cache dans le frigo
Face aux réalités
Je baisse les yeux, je tire la langue
Je me gratte les pieds
Je suce une mangue
Et quand les ennuis s’amoncellent
Derrière et devant
Je monte dans ma nacelle
Et je file avec le vent
Philippe Fournier
Les épées de pépé
Gros Textes, 2001
56
NOSTALGIE
Gouttelettes blanches,
Lentes gouttelettes,
Gouttelettes de lait frais,
Clartés fugitives le long des fils télégraphiques,
Le long des longs jours monotones et gris,
Où vous en allez-vous ?
Où vous en allez-vous ?
À quel paradis ? Je dis : paradis,
Clartés premières de mon enfance
Jamais retrouvée.
AU GUICHET DU TEMPS
Donnez-moi un aller d’âge simple :
le retour ne m’intéresse pas.
Michel Monnereau
Les zhumoristiques
Gros Textes, 2006
Léopold Sédar Senghor
Œuvre poétique
Le Seuil, 1964
SI J’ÉTAIS PETIT…
L’HOMME QUI A OUBLIÉ
J’ai rencontré l’homme
Qui a oublié
Qu’il a été un enfant
Oublié
Les larmes et les jubilations
Les désespoirs et les folies
Oublié
La cabane de Robinson
La fugue rageuse
Oublié
Le rêve insolent
Ou la bouche gourmande
N’y a-t-il plus de déesse
Dans le ciel
Pour semer en sa tête nocturne
L’éblouissant paraphe
D’une étoile filante
Claude Haller
Poèmes du petit matin
Le Livre de Poche Jeunesse, 1998
Si j’étais petit
j'aurais des jeux à l’infini
neige à pleins duvets
sur mes errances de forêt
Des ports imaginaires
aux quatre coins de ma chambrette
(le tapis est la mer
qui me mène où je le souhaite)
J’aurais de grands oiseaux
blancs ondulant comme des vagues
qui me conduiraient jusqu’à Prague
où s’endort mon château
J’aurais pour m’éblouir
cent lumières entre les mains
des secrets souterrains
et des coffrets de souvenirs
Si j’étais petit…
− mais ce n’est pas permis
Jean-Pierre Vallotton
Chansons en mie de pain
Lo Païs, 2000
57
LE BALAYEUR
D’OÙ VENONS-NOUS ?
― D’où venons-nous ?
― Du fond des temps.
― Que sommes-nous ?
― De pauvres gens.
― Où allons-nous ?
― Où va le vent.
Maurice Carême
in
À l’ami Carême
Le Livre de Poche Jeunesse, 1987
LA BARBE DES SAISONS
Le Printemps a une barbe fleurie
comme Charlemagne
à ce qu’on dit
L’Été a une barbe noire
sous la rôtissoire
du soleil
L’Automne a une barbe rousse
comme les frères Barberousse
fameux pirates
L’Hiver a une barbe blanche
comme les pères Noël
des grands magasins
Ma barbe à moi est poivre et sel
pour assaisonner mes joues
Daniel Schmitt
La barbe des saisons
Lo Païs, 1998
Je suis celui qui doit frotter et ramasser
avec ma pelle et mon balai :
papiers, chiffons, vieilles peaux,
savates, épluchures, journaux
et mégots de cigarettes,
tout finit dans ma charrette.
Depuis des années, je balaie, balaie,
mais quand je serai vieux,
vous savez ce qu’ils feront ?
Que le balai existe encore ou non,
C'est moi-même qu’ils balayeront.
Gianni Rodari
De la terre et du ciel
Rue du monde, 2010
Ô JEUNESSE
Ô jeunesse voici que les noces s’achèvent
Les convives s’en vont des tables du banquet
Les nappes sont tachées de vin et le parquet
Est blanchi par les pas des danseurs et des rêves
Une vague a roulé des roses sur la grève
Quelque amant malheureux jeta du haut du quai
Dans la mer en pleurant reliques et bouquets
Et les rois ont mangé la galette et la fève
Midi flambant fait pressentir le crépuscule
Le cimetière est plein d’amis qui se bousculent
Que leur sommeil soit calme et leur mort sans
[rigueur
Mais tant qu’il restera du vin dans les bouteilles
Qu’on emplisse mon verre et bouchant mes
[oreilles
J’écouterai monter l’océan dans mon cœur.
Robert Desnos
in
Drôles d’oiseaux
17 poèmes à chanter, 19 poèmes à lire
Didier Jeunesse, 2006
58
JE DIS DOUCEUR
Quand j’aurai assez de janviers févriers mars
assez d’avrils mais juins juillets assez d’aoûts
septembres octobres et mon compte de
novembres décembres
Assez de lundis de mardis assez de mercredis
jeudis de vendredis samedis dimanches
Assez de midis de minuits assez de quatre heures
assez d’heures
Mon temps de parole bien passé je m’en irai faire
mon silence
Valérie Rouzeau
in
Drôles d’oiseaux
17 poèmes à chanter, 19 poèmes à lire
Didier Jeunesse, 2006
Douceur,
Je dis : douceur
Je dis : douceur des mots
Quand tu rentres le soir du travail harassant
Et que des mots t’accueillent
Qui te donnent du temps.
Car on tue dans le monde
Et tout massacre nous vieillit.
Je dis : douceur,
Pensant aussi
À des feuilles en voie de sortir du bourgeon,
À des cieux, à de l’eau dans les journées d’été,
À des poignées de main.
Je dis : douceur, pensant aux heures d’amitié,
À ces moments qui disent
Le temps de la douceur venant pour tout de bon,
Cet air tout neuf,
Qui pour durer s’installera.
Guillevic
in
On n’aime guère que la paix
Rue du monde, 2003
MONSIEUR, MADAME
JE SAIS
JE SAIS bien que la faim ôte le rêve.
Mais il me faut continuer de chanter.
Que la prison brouille le rêve.
Mais il me faut continuer de chanter.
Que la mort tue le rêve.
Mais il me faut,
mais il me faut continuer de chanter.
Rafaël Alberti
in
Dis-moi un poème qui espère
Rue du monde, 2004
Monsieur Comment
et madame Comme-ça
s’embrassent, s’embrassent…
S’embrassent comment ?
S’embrassent comme-ça.
Monsieur Combien de fois
et madame Le-Plus-Souvent
s’embrassent, s’embrassent…
S’embrassent combien de fois ?
S’embrassent le plus souvent.
Monsieur Encore
et madame Toujours
s’embrassent, s’embrassent…
S’embrasseront encore,
s’embrasseront toujours.
Alain Serres
Salade de comptines
Rue du monde, 2002
59
PHOTO
On dérange sa journée
avec une photo qu’on retrouve.
Le cliquetis rouillé des années
se remet en marche.
D’un visage,
l'imagination dresse une vie
comme quelques mots
frottés les uns aux autres
allument l’incendie du verbe.
Avec une photo,
on creuse une ride de plus
au temps.
Dans le métro
Les enfants jouent, rient, chantent
Font des signes de la main
Au train d’à côté
Envoient même des baisers
Nous, on a les yeux rivés au sol
Ou dans un livre
Ou sur la ligne à suivre
C’est la même chose
C’est la même chose qu’on veut
Antonello Palumbo
Carnet d’un poète assis sur l’horizon
Les Carnets du Dessert de Lune, 2005
Michel Monnereau
Poèmes en herbe
Milan, 1994
UN MARIAGE
Un garçon comme ça
se rencontre rarement :
bon comme le pain,
vif comme la poudre,
fort comme un Turc,
doux comme un mouton.
Et une fille comme ça :
belle comme le jour,
fraîche comme la rose,
pure comme l’or,
se rencontre rarement.
Eh bien ils se rencontrèrent.
Ils ont une fille laide comme un pou
et une vie bête comme chou.
Elle est amoureuse
Elle a 68 ans
Cela fait plus de vingt ans
Qu’elle n’était plus tombée amoureuse…
Comme dans beaucoup d’histoires
Lui, il ne sait pas
Il passe tous les jours devant sa maison
Lui aussi est amoureux
On ne sait pas de qui
Il passe tous les jours devant sa maison
Antonello Palumbo
Carnet d’un poète assis sur l’horizon
Les Carnets du Dessert de Lune, 2005
Norge
in
Dis-moi si tu m’aimes
Milan, 2010
60
parfois nous marchons
avec l’appréhension
de ce qui est devant
et que l’on ne peut voir
rien ne trouble la cadence
des pas sur le gravier
pourtant cela se découpe
déjà en nous
et un peu plus loin
c’est là
comme d’ordinaire
nous poursuivons en sachant
que cela ressemble
à une peur d’enfant
et c’est à peu près tout.
Michel Bourçon
quelque chose comme la paix le calme
Les Carnets du Dessert de Lune, 2002
Je rends grâce à des riens que la distance irise,
une agate dans la poche,
un goût de coco imprégnant les jeudis, des
souvenirs de cuisses rouges sur les rampes
d’escaliers.
Aux robes à fleurs de ma mère légères dans le
soleil du séjour, aux tablées d’amis des
dimanches,
aux blagues de mon père et au tapis qu’on
finissait toujours par rouler pour danser.
À l’appui rouillé de la fenêtre d’où je regardais
Paris le soir
et d’où j’attendis un jour le camion des
déménageurs sans parvenir tout à fait à croire
que l’éternité n’a qu’un temps.
Michel Baglin
L’alcool des vents
Rhubarbe, 2010
ici nous nous attachons à la
terre et aux nôtres car nous
nous savons de passage.
Michel Bourçon
quelque chose comme la paix le calme
Les Carnets du Dessert de Lune, 2002
On revient sur un peu d’enfance
la lessive étendue sur le pré
un dimanche de vêpres
une veillée
un jeu de cour une marelle
l’odeur des confitures
et de la cire d’abeille
Les yeux ouverts on remonte le temps
Il y a les pleins à l’encre violette
et les pages déliées.
Véronique Joyaux
Les âmes petites
Les Carnets du Dessert de Lune, 2011
Quand les souvenirs bruissent
aux ailes des oiseaux,
un vent de sable roux
est écharpe d’embruns
et la crainte des nuits
source de chansons douces.
Quand les souvenirs voguent
aux franges des roseaux,
la légende prend vie
au pistil des jonquilles
et l’aile d’un sourire
au regard du chevreuil
berce la nostalgie
qui germe à la fontaine.
Paul Bergèse
C’est un peu comme si tu venais chez moi
SOC ET FOC, 2001
61
ONDES INEXPLICABLES
Les outils du jardin sont restés sous la pluie. Ils
n’ont qu’ici à pouvoir être entiers avec le temps.
La brouette vert sombre couchée sur le côté au
bord d’une fosse où de l’herbe se décompose, on
la dirait ici pour l’éternité. Pas comme nous et
notre crainte de vieillir dès cinq heures du soir
dans novembre.
Marcel Migozzi
Des heures jardinières
Autres Temps, 1994
L’APPEL DE LA SIRÈNE
Adieu, je vous quitte,
bye bye je rembarque
mes mots et mes mythes
ma clique et mes cracks !
J’ai plein mes bagages
de ces biscuits secs
qui font un langage
du Havre à Québec.
Où le vent me mène
je m’en vais au loin,
avec mes baleines,
avec mes marsouins.
J’entends la sirène
qui siffle un taxi,
vite, elle m’entraîne
dans sa galaxie !
Charles Dobzynski
Les premiers de la glace
le dé bleu / Écrits des Forges, 1996
À cause d’une musique
À cause d’un vent qui passe
Et qui vient de très loin
À cause d’un paysage
Qui n’a pas changé d’une ride
À cause d’un visage d’enfant
Qui coupe les pensées
Voilà qu’on rencontre des choses
Et des hommes d’il y a longtemps
Voilà qu’on reconnaît des voix
Qui se sont tues des siècles plus tôt
Quel tour est-ce encore ô mémoire
Pour qu’on reconnaisse des regards
Que la terre a mangés pourtant
Avant que nous soyons venus
Robert Momeux
On a beau dire
Multiples, 1991
Tu as un an de plus
aujourd'hui
Tu as oublié l’enfant
qui sommeillait en toi
Tu aimerais pourtant le rappeler
Pour qu’il puisse voir
ce que tu es devenu
Pour enfin vivre au soleil
Certains soirs
tu te manques
Yann Sénécal
Je ne m’adresse plus la parole
clarisse, 2009
62
se dire aujourd’hui que demain nous irons
c’est comme un défi à notre mort
car c’est bien de cela dont il s’agit n’est-ce pas
non d’y échapper
mais bien de résister à son avance
à cette usure
un peu plus longtemps que possible
et de tenter ce pas
juste un pas plus loin
Patrick Joquel
Un emploi du temps de chamois
clarisse,2008
J’aurais aimé être l’éclat de rire d’une drôle de
vie.
**
J’aurais aimé être assis sur un banc de poissons.
**
J’aurais aimé être les rides soucieuses d’un front
de mer.
**
J’aurais tant aimé être la cerise sur le gâteau.
Jean-Louis Massot
Sans envie de rien
Éditinter, 2003
LETTRE À ANISSA, MA FILLE
J’ignore
si je vis dans l’ordre
ou le désordre
Si aujourd’hui est hier
ou demain
ou les deux ensemble
Anise Koltz
Chants de refus II
Phi, 1995
Prends ma main
et laisse-moi traîner Bagdad jusqu’à tes pieds.
Bagdad ma faillite
étrangère à ses morts,
à ses années perdues
Tu verras le temps qui remonte la colline,
les instants consommés par le silence
Que dire ma fille
devant la dépouille d’un exilé ?
Que dire face à un étranger qu’on envelopperait
de poussière et priverait de ses ailes ?
Salah Al Hamdani
Bagdad à ciel ouvert
Écrits des Forges / L’idée bleue, 2006
63
CONFIANCE
Tu cherches une épaule
où ta main pourrait faire escale
Un coin de ciel où recharger tes yeux
LES PORTABLES
Dans les trains,
Dans les gares,
Les rues, les autocars,
Sur les plages,
Sur les toits du village,
On en voit,
Des Messieurs,
Et des Dames,
Des tout jeunes,
Des très vieux,
Des timides,
Des hurlants,
Des couchés, des courant,
Des paumés, des notables,
Collés à
Leurs portables
Téléphones redoutables
Car ils sont,
Tous ceux-là
Tous pareils,
Ne voyant
Plus le temps,
Ni les fleurs,
Ni le cœur
Des passants !
Ça s’explique
Mes enfants
Car ces gens
COMMUNIQUENT !
Georges Jean
Airs d’enfance
Fuzeau, 2001
Un mot
comme un murmure de fontaine
posé haut
sur l’échelle du vent
Là où tu marches
la route n’a pas de mémoire
et le regard n’offre pas d’horizon
dans la lumière grise
Ton sourire est contraint
dans les poches de l’ombre
Tu cherches
C’est pour ça que tu marches.
Vers quel visage ?
Alain Boudet
À vif
Jacques André, 2008
habillée par des mots qui ressemblent
aux désastres croisés sur des chemins incendiés
je marche dans
la mélancolie
l’éloignement des vertiges
le désarroi
je marche dans la mélancolie
désaccompagnée de celui au loin
vivant
égarée
Danielle Fournier
Je reconnais la patience de l’arbre
Tarabuste, 2008
64
VIVRE
Vivre n’est pas durer
je ne suis plus un enfant
Vivre n’est pas durer seulement
ce serait bien
pourtant
le soir
quand dans ma chambre vide
je ne reconnais plus
mon ombre sur les murs
Attendre un jour de plus
attendre un autre instant
Nous l’oublions parfois
nous que fuit le silence
Nous cherchons des repères où vibrerait la vie
Nous tissons l’immédiat avec les souvenirs
Nous colmatons en nous les brèches du désir
avec des pans d’aurore et des murs de feuillages
Mais ce qui manque
en fin
c’est un peu de lumière
je me souviens alors
d’un jeu que j’aimais bien
et je ferme les yeux
pour oublier
juste un instant
que
je ne suis plus un enfant
Bernard Friot
peut-être oui
De La Martinière, 2006
Un simple instant d’amour
battant au cœur du jour.
Alain Boudet
Au cœur, le poème
La Vague à L’Âme, 1995
MALGRÉ TOUT CE QUE J’AI PU
Il n’en finit pas le chemin
Il est en moi, je suis en lui
Malgré tout ce que j’ai pu noter au bout de ces
chemins communs, j’ai laissé partir des fragments
de vies derrière chaque année laissée en amont ;
des pièces du puzzle ont vogué sur des bateaux
de papier qui ne sont jamais, jamais revenus à
leur point de départ comme ces vagues de brise
qui couvrent les rivières et s’en vont au loin sans
que nous puissions les retenir.
Il s’efface quand je le fuis
Je crois le suivre, il me dépasse
Jean-Louis Massot
La valse des mots toupies
Éditinter, 1999
Marc Baron
Variations Sur Le Chant Intérieur
L’Harmattan, 1998
65
CREDO
Je crois en ceux qui marchent
à pas nus
face à la nuit
LABYRINTHE DU PARDON
Je crois en ceux qui doutent
et face à leur doute
marchent
Je crois en la beauté oui
parce qu’elle me vient des autres
Je crois au soleil au poisson
à la feuille qui tremble
et puis meurt
en elle je crois encore
après sa mort
Je crois en celui
qui n’a de patrie
que dans le chant des hommes
et je crois qu’on aime la vie
comme on lutte
à bras le corps
Que font ces hommes autour de moi ?
Soudain la page se tait
et la voix de mon père
son auréole de poussière
surgissent de mon corps
Alors je m’abandonne au tremblement
blessé
et sans appui
Je ferme les yeux
Ma mère monte la garde sur l’autre rive
Faut-il que je me précipite
dans un vide
si lointain ?
Salah Al Hamdani
Saisons d’argile
Al Manar, 2011
Jean-Pierre Siméon
Sans frontières fixes
Cheyne, 2001
Tu quittes tes rivages,
franchis l’enfance du gué.
Tu perds de vue la berge
mais s’ouvre large
l’horizon des pas
en liberté.
Isabelle Poncet-Rimaud
Denis Émorine
Rivages contigus
Éditinter, 2002
Je voudrais pas mourir
Sans qu’on ait inventé
Les roses éternelles
La journée de deux heures
La mer à la montagne
La montagne à la mer
La fin de la douleur.
Boris Vian
in
Il était une fois, demain…
messidor / la farandole, 1983
66
À Béatrice Pernier
Je m’allume
Je m’éteins
J’ai cru voir
C’était rien
Philippe Avron
Les poèmes missives de Philippe Avron
Guilde du Poème
Au fond de moi,
il y a un petit enfant
qui veut écouter
le chant des violettes
André Rochedy
L’enfant du songe
l'arbre à paroles, 2001
Elle est belle
La vie
Elle se conjugue au présent et à l’infini
Elle se conjugue en printemps
En lys et en pâquerettes
Elle court après l’amour et l’enfantement
Elle est simple comme la beauté
Jean-Claude Bardot
Poèmes au tournesol
L’iroli, 2008
Je n’ai pas tué l’enfant en moi
Je l’ai nourri de mes pensées
Il a été le soleil de ma solitude
La rivière enchantée
L’arbre en fleurs de ma liberté
Je n’ai pas tué l’enfant en moi
Il m’a nourri de son innocence
De sa présence comme un oiseau en vol
Pour son eldorado
Et à nous deux nous avons refait le monde
Contre la misère et le malheur l’ennemi éternel
Jean-Claude Bardot
Poèmes au tournesol
L’iroli, 2008
J’écoute Bach
J’écoute Vivaldi
J’écoute le bruit de la vie
Les oiseaux qui chantent dans les verts feuillages
Je n’ai plus d’âge
Je ne suis que plaisir et envie
Note sensible sur le clavier du temps
Note qui vibre libre avec l’univers
Jean-Claude Bardot
Poèmes au tournesol
L’iroli, 2008
Changer le monde, j’y passe un de ces temps.
Fermer les centrales, donner plus d’ailes au vent,
parler à une étoile, qu’elle reste au levant,
protester dans la rue, rire partout ailleurs,
changer le monde avant
que se comptent les heures, que je devienne
[grand.
En fait, ça m’arrangerait
que vous changiez le monde avec moi.
Carl Norac
( Anne-Marie Wilwerth, Pierre Coran)
D’îles en ailes
Couleur livres, 2012
67
Ce jardin libère l’enfance de ses liens.
Désormais, tu peux revenir sur ces lieux
heureusement préservés de tout. De ce jardin
s’échappent des couleurs, des senteurs que tu
n’as pas oubliées et qui, en cet après-midi,
t’assaillent de nouveau : il a évincé le temps pour
n’être que présence diaphane et cependant si
tenace au point de mettre à jour le moindre
souvenir qui, tout à l’heure encore, n’était que
tache blanche dans la mémoire.
Max Alhau
Proximité des lointains
L’arbre à paroles, 2006
comme les amoureux
ceux des films et ceux des taillis
mes parents se cachent
pour s’aimer
ils me croyaient au jardin
je les ai vus
elle
roulée sur ses genoux
surprise
elle a feint de recoudre
le bouton blanc de la chemise
(l’étreinte)
Françoise Lison-Leroy
le dit de petite elle
l’arbre à paroles, 2000
Mais des amis avez-vous des
nouvelles ? Le temps court comme un cheval fou.
Le sable a bu leurs images, l’herbe recouvre leur
chemin.
Et nous levons les yeux vers le
grand fleuve d’astres où monte, éperdue, la
barque du passeur.
André Rochedy
Chants de la traversée
l'arbre à paroles, 1999
Les témoins arrogants d’un temps que l’on renie
se persuaderont-ils de la fragilité
d’un roncier, de la proximité d’une étoile déjà
morte à leurs yeux ? Et tout ce qui fait foi : la
grotte de Lascaux, les châteaux Renaissance, la
conquête de l’espace déjà caduque,
a sombré dans le frémissement des images.
Mais cette émotion qui naît avec la pluie, quel
pèlerin marchant vers d’autres Compostelle ne
l’éprouve-t-il pas en réprimant ses songes, au
point de s’accorder une trêve innocente pour
oublier la route et revenir à soi ?
Max Alhau
Le bleu qui précède la nuit
l'arbre à paroles, 1998
68
CHANT D’ORPHELIN
Si je dois mourir à la guerre
Nulle femme n’aura de larmes,
Je n’ai jamais connu leurs charmes
Ni la tendresse d’une mère.
Quant aux amis, je n’en ai guère.
Un orphelin n’a pas d’histoire.
Mourir en héros pour la gloire
N’allègera pas ma misère.
Je n’ai eu pour seul héritage
Qu’une fortune de souffrances,
Un plein coffre-fort de malchance
Et de maux que nul ne partage.
Je quitterai ce monde hostile
Comme j’y suis venu : bohème,
La tête farcie de poèmes
Et de souvenirs inutiles.
Dimtcho Débélianov
in
Un poème, un pays, un enfant
le cherche midi / UNESCO, 2002
Un bol ébréché trébuche
sur la toile cirée.
Ni les sanglots,
ni les souvenirs
ne lui redonneront jeunesse.
Chantal Couliou
Le chuchotement des jours ordinaires
l'épi de seigle, 1997
La vieillesse et la solitude,
deux âmes en peine.
Un bol de café,
des miettes de pain,
des lettres jaunies.
Attendre patiemment
la mort.
Chantal Couliou
Le chuchotement des jours ordinaires
l'épi de seigle, 1997
MINUIT VOLE !
La pendule n’est pas folle :
elle a bien sonné minuit.
Elle dit que le temps vole,
que la vie la vie s’enfuit.
Douze coups l’un contre l’autre
se sont fondus dans le noir.
Douze oiseaux l’un après l’autre
s’envolent de leur perchoir.
Déjà minuit : le temps vole
la vie brûle, l’ombre luit…
La pendule n’est pas folle :
elle a bien sonné minuit.
Mon assurance maladie
me prend en charge
pendant dix ans
dix ans c’est long
pour une guérison
mais si la vie me fait crédit
j’en reprendrai bien
pour une autre décennie
Joël Sadeler
Le Cancre du Cancer
l’épi de seigle, 2000
Armand Monjo
Le monde est mon cousin
l'épi de seigle, 1998
69
Je suis un vieux précoce
et sans force
À soixante ans barbe blanche
cheveux en bataille
maintenant clairsemés
qui se rabibochent
− solidarité capillaire−
sur mon crâne dénudé
doigts gelés
−mains et pieds
toujours fourrés−
L’heure du repas
arrive sans joie
je n’aime que
les rillettes du Mans
à la graisse de porc
à la grâce de Dieu
Mon équilibre est fragile
mes jambes en péril
et il me faut bâton de bois
pour faire quelques pas
Je suis un vieux précoce
et sans force
mais je n’en fais pas une maladie
pardi
je l’ai déjà en moi en ami
mon cancer favori
et il m’emmènera bien
en enfer ou en
paradis
Joël Sadeler
Le Cancre du Cancer
l’épi de seigle, 2000
Il y aura toujours
un poète
pour dessiner un vieil arbre
un sage
pour ramasser une vieille pierre
un enfant
pour aimer un vieillard
LE PARFUM DE MÉMÉ
J’aime le parfum de mémé
Elle sent la soupe aux choux
Le dimanche elle sent le poulet
J’aime l’embrasser, c’est doux
J’aime quand elle revient
De chez le coiffeur
Elle n’a plus un cheveu blanc
Ils sont noirs, c’est surprenant
On dirait qu’elle est tombée
Dans le vidangeur
J’aime quand elle prend le thé
Elle éventre toujours le sachet
Tous les grains se mettent à nager
Elle le boit, elle a la santé
J’aime quand elle parle avec sa voisine
Elles chuchotent entre leurs dentiers
Elles se montrent leurs pieds
Elles disent du mal de l’autre voisine
J’aime quand elle fait le ménage
Elle fait sauter les plombs
En branchant l’aspirateur
À califourchon
Il y a de l’explosif dans l’allumage
J’aime bien quand elle marche
On dirait qu’elle a des oursins
Dans les godasses
Mais pour elle, la terre est basse
Elle est haute
Comme trois marches
J’aime le parfum de mémé
Jamais je ne l’oublierai, non jamais.
Philippe Fournier
Les épées de pépé
Gros Textes, 2001
Clod’aria
La pierre, l’arbre, l’âne
l'épi de seigle, 2001
70
SOUVENIRS DES ANNÉES 40
( à Renée)
Je me souviens
de mon arrivée sur la côte
en 1940
de ce clocher roman
modeste trapu
si séduisant
pour mon œil de peintre
qui est resté intact
dans ma mémoire
lui et son curé amoureux
qui t’offrait des bas de soie…
Le petit tortillard
longeait la côte en toussant
nous emmenant à la ville
Dans la rue des Sables
la bise régnait en tyran
Sur le remblais
peu de monde
La plage était à nous
la jeunesse aussi
et la guerre
Les soldats ennemis
ravis d’être là
loin du front russe
surveillaient l’horizon
(le débarquement ???)
Mais la mer était innocente
comme nous
et nous regardions ces jeunes
qui avaient envie de vivre
comme nous…
Nous ignorions tout
de ce qui se passait ailleurs
rien des camps de la mort
ni des fours crématoires
rien des atrocités
et peu de chose de la résistance
Rien de notre chance
à nous
et nous trouvions le temps long…
de poulets de lapins…
Il fallait bien nourrir
les Parisiens !
la Vendée était riche
elle, classée pauvre
dans les géographies d’alors !!!
Cette nuit en rêve
nous volions
la main dans la main
et j’éprouvais pour toi
la même amitié que jadis
immense et éternelle…
Dans les rêves
le temps est immobile
Clod’Aria
Inventaires
Le Chat qui tousse, 2000
Ami que ferons-nous
lorsque le tout sera dénoué
l’hiver, les chagrins
et les voiles qui reposent
lorsque le tout sera confié
que ferons-nous, ami
Mais l’amour, ma mie
cette douce chose
Marianne Gallet
Ajours
L'épi de seigle, 1994
Le jeudi
nous courions les fermes
à la recherche d’œufs
71
LE VIEIL HOMME À LA CANNE
De sa main
posée sur le monde
le vieil homme a gardé
le sillage des routes
Simples chemins d’éternité
qu'il regarde
assis près du feu.
Alain Boudet
Anne-Laure à fleur d’enfance
Donner à Voir, 1994
Te souviens-tu ma sœur
de la bonne odeur des fricots de grand-mère,
la soupe embaumait la sarriette.
Le mironton et la blanquette
qui mijotaient sur le vieux fourneau noir
ont régalé notre jeunesse.
Le riz cuisait longtemps, longtemps,
nous nous disputions souvent
pour gratter la casserole
car il prenait toujours au fond.
C’est comme ça qu’il est bon disait grand-mère
… il y a longtemps qu’elle est partie !
Qu’est-ce qu’elle mijote maintenant au paradis ?
C’était une fameuse cuisinière
et elle avait beaucoup d’esprit !!!
C’est elle qui bat en neige les nuages
et la crème fouettée sur mon visage
les jours de neige et de grand vent…
C’est elle qui fait tout ce remue-ménage
maintenant… elle a beaucoup de temps.
Denise Bourré
in
Agape/agape(s)
Donner à Voir, 2006
Sursitaire
Comme chacun
À l’instant réduit
À rebours d’ivresse
Par la peur souvent secoué
Locataire
D’un corps vieillissant
Gourmand de joie et de lumière
J’habite la terre
Marcher encore un peu
jusqu'à la prochaine racine
jusqu’au prochain croc-en-jambe
Et de là peut-être
atteindre un quelconque havre
Et comme l’on vieillit
progresser à tâtons
Et sans reconnaître le chemin
rejoindre le premier pas
En passant
Philippe Quinta
Ni le jour ni l’heure
Donner à Voir, 2008
Celui de l’enfant qui attend
depuis le fond de la nuit
que le cercle se referme
Hervé Lesage
Dans l’ordre des choses
Echo Optique, 2008
72
DE LA VIE III
Ce monde refroidira
étoile parmi les étoiles
et même des plus petites,
une pépite d’or sur fond de velours bleu en
somme,
notre univers immense en somme.
Ce monde un beau jour refroidira
même pas comme un bloc de glace
ou un nuage mort,
il roulera comme une coquille de noix vide
dans l’obscurité sans bornes ni limites…
Dès maintenant tu en éprouveras la douleur
tu en ressentiras la tristesse dès maintenant.
C’est ainsi que tu dois aimer le monde
pour pouvoir dire : j’ai vécu.
Nâzim Hikmet
Il neige dans la nuit
Gallimard Poésie, 1999
EFFACEMENT
L’herbe a grandi au fossé profond
l’homme en marchant fixe
le nuage étiré
frangé comme son habit gris
des chiens aux horizons béants
diversement aboient
pourtant c’est la paix
le jour va s’incliner
il faudra bien encore
couper le pain à la nuit
assis sur le billot rustique
avec en fin de compte
l’impensable mort.
Jean Follain
Exister
Gallimard Poésie, 1969
SUR UN VOYAGE
Nous ouvrons les portes,
nous fermons les portes,
nous franchissons les portes
et tout au bout de l’unique voyage
ni ville
ni port.
Le train déraille,
le bateau fait naufrage,
l’avion s’écrase.
Une carte est gravée sur la glace.
Si j’avais le choix
de recommencer ou non ce voyage
je le recommencerais.
Léningrad, 1958
Accepter ne se peut
comprendre ne se peut
on ne peut pas vouloir accepter ni comprendre
On avance peu à peu
comme un colporteur
d’une aube à l’autre
Philippe Jaccottet
Poésie 1946-1967
Gallimard Poésie, 1971
Nâzim Hikmet
Il neige dans la nuit
Gallimard Poésie, 1999
73
LE VIVANT PROLONGÉ
(Avec naturel.
Familièrement, comme ça)
VERBE ET MATIÈRE
J’ai je n’ai pas
J’avais eu je n’ai plus
J’aurai toujours
Un béret Un cheval de bois
Un jeu de construction Un
père Une mère Les taches
de soleil à travers les arbres
Le chant du crapaud la nuit
Les orages de septembre.
J’avais je n’ai plus
Je n’aurai plus jamais
Le temps de grandir, de
désirer. L’eau glacée tirée
du puits Les fruits du verger
Les œufs frais dans la paille.
Le grenier La poussière Les
images de femmes dans
une revue légère Les gifles à
l’heure du piano Le sein nu
de la servante.
Si j’avais eu
J’aurais encore
Le fuite nocturne dans les
astres La bénédiction de
l’espace L’adieu du monde à
travers la clarté La fin de
toute crainte de tout espoir
L’aurore démasquée Tous
les pièges détruits Le temps
d’avant toutes choses.
Jean Tardieu
L’accent grave et l’accent aigu
Gallimard Poésie, 1986
Le mort qui est en moi
S'impatiente
Il tape dans sa caisse
à bras raccourcis
Il voudrait qu’on le montre
une dernière fois.
Quant au vivant
ça va pas mal merci
pour le moment.
Jean Tardieu
L’accent grave et l’accent aigu
Gallimard Poésie, 1986
À LA LISIÈRE DU TEMPS
Quand on marche le soir à la lisière du temps
il monte soudain une bouffée d’enfance
les cris d’hirondelles folles d’un préau d’école
ou le silence de la barque sur la rivière
à la tombée du jour quand le soleil rase l’eau qui
moucheronne
ou bien la sonnette (deux fois) de l’épiceriemercerie
où on achète après l’école les rouleaux de réglisse
Zan
qui barbouillent de noir et font les doigts collants
On tend l’oreille le long du voile de la brume
Quelqu’un parle à voix basse
sans qu’on puisse reconnaître la voix
et sans comprendre les paroles
les mots chuchotés loin
à l’envers du silence
Hôpital de la Pitié
25 août 1983
Claude Roy un poète
Présenté par Serge Koster
Gallimard Jeunesse, 2001
74
LE MIROIR
Le miroir se souvient des visages,
le miroir se souvient des milliers de visages
qui se sont posés sur lui
comme des papillons, un instant, sur le reflet
se posent, puis mortels sont emportés
par le vent qui les efface :
visages d’enfants, d’hommes, de femmes,
de vieillards,
visage velu d’un chien,
parfois visage d’un fantôme,
penché sur une épaule,
et qui regarde
de son regard sans yeux
dans le miroir
les innombrables visages,
les innombrables feuilles
de cette forêt de visages.
Ah ! miroir, forêt d’images,
empire de la mémoire,
rends-moi le jeune visage
de celle qui jadis dans cette chambre
vers ton eau profonde se pencha
et dénoua, pour la première fois, sa chevelure.
Jean Joubert
in
20 poètes pour l’an 2000
Gallimard Jeunesse, 1999
SAULE
Le miroir au fond des chambres
voit s’écheveler dehors
un saule en proie à l’ondée.
Un miroir au fond du cœur
voit s’agiter les futurs
Mais le passé dort
comme un vieillard sur un banc,
comme un soldat tué.
LE TEMPS
À On Kawara
C’était le temps, c’était le temps, c’était le temps,
c'était le temps, était le temps, le temps,
et c’était le temps, et c’était le temps, et c’était le
temps,
et c’était le temps, était le temps, le
temps,
car ce fut le temps, ce fut le temps, ce fut le
temps,
ce fut le temps, fut le temps, le temps
qui fut le temps, qui fut le temps, qui fut le
temps,
qui fut le temps, fut le temps, le temps,
qui aura été le temps, qui aura été le temps, qui
aura été le temps,
qui aura été le temps, été le temps, le
temps,
et cessé d’être le temps, et cessé d’être le temps,
et cessé d’être le temps,
et cessé d’être le temps, d’être le temps,
le temps
de sa vie,
sa vie,
vie.
Jacques Roubaud
La forme d’une ville change plus vite,
hélas, que le cœur des humains
Gallimard, 1999
Jean Grosjean
Nathanaël
Gallimard, 1996
75
LES DEVOIRS
pour Monique Royer
je dois d’abord éteindre les oiseaux.
Dans mon jardin les fleurs galopent :
je dois d’abord les arrêter
comme on arrête un cheval
devant la mer boudeuse.
Je dois d’abord repeindre les objets
qui furent mes amis :
le rasoir ; la carafe
et les livres sacrés.
Je dois d’abord rendre à l’horloge
les heures
que depuis soixante ans je lui ai dérobées.
Je dois d’abord abattre tous les arbres,
pommier, platane, eucalyptus,
où j’ai gravé,
voyageur imprudent, mes initiales.
Je dois d’abord mettre en lieu sûr l’éternité.
Mon grand-père m’a transmis
un calme malicieux
Celui de ce pays
qui fait partie de moi
sans autre prétention
Celui que le vent mène
bien au-delà du temps
de l’exil et de l’ombre
Celui qui me rappelle
ce frisson dans tes yeux
Comme si d’ordinaire.
Stéphane Bataillon
Où nos ombres s’épousent
Bruno Doucey, 2010
Alain Bosquet
Demain sans moi
Gallimard, 1994
SILLAGE
WOHIN
Le vent secoue les ronciers sur le mur,
secoue sur le coteau les pins hurleurs.
Où va le vent ? Où va le temps ? Où vais-je ?
La clarté même a changé de nature.
Les yeux fermés j’entends battre mon sang,
faiblir le jour, se retirer les heures.
La nuit du ciel m’enferme dans ma nuit
Soudain la voix, l’ombre et la voix du garde,
la lueur d’acier, l’instant, le vent qui passe,
la lueur des yeux, la paix du cœur et rire.
Une vie, à peine un peu
d'écume dans son sillage,
guère plus de traces
que l’oiseau n’en laisse
dans l’air qu’il fend.
Une vie, ce qu’il en reste,
cette traînée d’images
dans les mémoires amies
s’évaporant avec les ans.
Une vie, une voile, un vol,
un grain de lumière
dans les sillons du vent.
Michel Baglin
Un présent qui s’absente
Bruno Doucey, 2013
Jean Grosjean
Nathanaël
Gallimard, 1996
76
C’était un vieux monsieur
Qui criait « Oh mon Dieu !
J’ai tiré la sonnette d’alarme
Mais personne n’est venu, quel drame !
Ça fait soixante ans que j’attends
Mes cheveux sont devenus blancs ! »
Edward Lear
Poèmes sans queue ni tête
Très librement adaptés par François David
møtus, 2004
Dans la maison
De mamie
On parle d’amour
Papi ramène du bois
Qu’il chauffe
Sur son cœur
Et mamie
Comme autrefois
Brûle encore et toujours
De lui parler d’amour.
Michel Lautru
Les jupes s’étourdissent
SOC et FOC, 2005
Ah ! une rob’ de quoi ?
Une rob’de mariée !
C’était à qui ?...
Qui ? qui
a mis cette robe-là ?
Quell’grand-mère ? Peut-être
la grand-mèr’ de papa.
C’est pas d’hier
c'est pas d’hier les gars :
dans l’bas la dentelle a
des trous supplémentaires.
Xavier Bouguenec
Y a plus d’enfants
SOC et FOC, 2006
J’ai crié que j’aimais.
J’ai aimé sans rien dire
et la vie est passée…
Clod’aria
Mes mots vous regardent
SOC et FOC, 1999
Grand-mère sur le seuil
avec son sourire
et autour un visage
bien ridé déjà
(elle a quel âge ? on ne compte pas !)
Elle est là avec la maison
les chambres les fenêtres
les escaliers la cheminée
tout ça pêle-mêle
avec les valises les raquettes
les épuisettes
et la mer tout à côté
qui commence à chanter.
Luce Guilbaud
Du sel sur la langue
SOC et FOC, 2004
La vieillesse se traîne
comme un train de marchandises
laid
lent
essoufflé
mais plein de richesses…
Clod’aria
Mes mots vous regardent
SOC et FOC, 1999
77
Et quand on est né en 16
Oh là là !
on n’ose plus l’annoncer.
On entend tout de suite
résonner dans sa tête :
« Et tous ces jeunes
qui sont morts avant vous,
vous n’avez pas honte ? »
Laisse tes cheveux blancs
Dépasser de ton chapeau
Ils sont la preuve
De tes plus belles patiences
Joëlle Brière
Et ZEN alors !...
La Renarde Rouge, 2003
Oh si !
Clod’aria
Mes mots vous regardent
SOC et FOC, 1999
V
I
E
I
L
L
I
R
c'est ajouter
du temps au temps
des livres sur ton étagère
des pas sur un chemin qui va
dans un lointain étrange où tour à tour
tu es la source
tu es le diable
tu es le feu
et
tu es
L’
A
N
G
E
Joëlle Brière
Une baleine, deux baleines, trois baleines, six
cachalots…
ÉLOGE DE LA VIEILLESSE
J’aime les très vieux
assis à la fenêtre
qui regardent en souriant
le ciel perclus de nuages
et la lumière qui boite
dans les rues de l’hiver
j’aime leur visage
aux mille rides
qui sont la mémoire des mille vies
qui font une vie d’homme
j’aime la main très vieille
qui caresse en tremblant
le front de l’enfant
comme l’arbre penché
effleure de ses branches
le sommeil d’une rivière
j’aime chez les vieux
leur geste fragile et lent
qui tient chaque instant de la vie
comme une tasse de porcelaine
comme nous devrions faire nous aussi
à chaque instant
avec la vie
Jean-Pierre Siméon
Ici
Cheyne, 2009
La Renarde Rouge, 1998
78
IL SERA BON DE VIEILLIR
Il sera bon de vieillir
le long des chemins calmes
d’avoir le droit enfin
de jouer sans souci
avec le vent
avec les pierres
Année après année
le grenier se remplit de vieilleries
Encore un peu
et on ne pourra plus faire un pas
paralysé par nos souvenirs
comme un automobiliste
coincé dans un bouchon de la mémoire
d’écouter l’ombre
qui grandit
et sa caresse
au mur de l’âge
d’avoir goûté le fruit
de toutes les fontaines
et d’admirer en soi
la soif de l’enfant
Simon Martin
Dans ma maison
Cheyne, 2013
Jean-Pierre Siméon
À l’aube du buisson
Cheyne, 1985
Quand je serai très vieux
dans le très vieux matin
d’une très vieille ville
IMPATIENCE
J’ai hâte disait-elle
que les tourterelles roucoulent
sur le toit du voisin. J’ai hâte
que l’herbe soit drue et augmente
le jour de ce vert inespéré qui fait croire
à la vie. J’ai hâte que fondent les fleurs
des deux cerisiers et que les fruits se nouent.
J’ai hâte que le couple de merles se poursuive
sur les tuiles du vieux mur comme des voleurs.
J’ai hâte que les nuits soient douces et claires
pour reconnaître le Carré de Pégase au milieu des
étoiles. J’ai hâte de vieillir encore un peu avant de
mourir.
Joëlle Brière
Pinpanicaille
La Renarde Rouge, 1994
j’irai comme un ivrogne
me tenant au mur défait
de la mémoire
et cette ivresse en moi
sera comme une enfance
Cette envie
de crier pour rien
dans le ciel clair
et cette faim gourmande
de tout ce qui commence
de tout ce qui s’éveille
pour préserver le ciel
Jean-Pierre Siméon
Un homme sans manteau
Cheyne, 1996
79
Quand le caillou s’effrite
et que l’oiseau s’épuise
Quand l’arbre s’oublie dans son ombre
Là où l’horizon s’amenuise
Jusqu'à l’oubli de la lumière
On ne sait pas ce qui s’efface
et qui peut-être disparaît
Mais le veilleur qui les a vus
y voit plus clair
Et le poème qui en parle
gagne en durée à chaque instant.
Alain Boudet
Ici là, sur le rivage
La Renarde Rouge, 2010
Est-ce que l’on tue le temps par crainte de
vieillir ?
Dominique Saint-Dizier
Questions qui posent problème
Corps Puce, 2009
PROPOS SUR LES LENDEMAINS QUI CHANTENT
Il se pourrait que le ciel nous tombe sur la tête
Il se pourrait qu’un jour
Il ne reste plus rien de nous
Qu’une image qui flotte sur l’eau des mares
Qu’une trace laissée sous les fougères
Dans l’ombre odorante et mystérieuse des sousbois
Qu’un souvenir épars dans la poussière du temps
Il se pourrait aussi que nul ne passe
Et ne trouve cette trace image ou souvenir
Et que plus rien ni personne jamais
N’atteste que nous avons été
Le temps est chose incertaine,
Inexplicable et traitre
Où l’homme demi-dieu
N’est pourtant pas le maître
Contre le temps qui nous agresse
Nous ne possédons aucune arme
Nous n’avons que notre sagesse
Que nos espoirs et puis nos larmes
Je me bats contre le temps
Je me battrai contre le temps
Je me suis battu contre le temps
J’ai été battu par le temps
Jean Émery
Marqueurs du temps
La Renarde Rouge, 2010
LE SABLIER
Le sable qui s’écoule en filet minuscule
Est notre temps qui passe sans retour
De l’aurore au doux crépuscule
Sans arrêt file toujours
Le fin ruisseau jaune
Qui glisse et coule
Tel un fil
D’or
Or
Est-il
Artifice ou complice
Ce sable du temps, cette poussière
Amas de nos bonheurs, de nos misères
De tous nos instants un à un chassés et recouverts
Dans ce petit cône renversé notre vie lentement ensablée
???????????????????????????????????????????
Jean Émery
Marqueurs du temps
La Renarde Rouge, 2010
Robert Momeux
Lanterne sourde
Potentille, 2008
80
Sous la caresse
du sable
et de l’eau,
plus le galet vieillit,
moins il a de rides.
L’homme en est jaloux !
Paul Bergèse
Au gré des galets
La Renarde Rouge, 2006
La plus vieille femme du monde n’arrête pas de
changer de nom
La plus jeune aussi
Les autres aussi
François Philipponnat
Cent remarques sur tout
Tome I
Gros Textes, 2011
Sous
son parapluie
la vieille
tout en noir
toits d’ardoises
qui luisent.
Dagadès
Miettes
Corps Puce, 1992
COMMUNICATION
À Bauchi −Nigéria−
Juste à côté de la poste
Là où on peut téléphoner
Au-to-ma-ti-que-ment
Aux quatre coins du monde
En un rien de temps
À Bauchi −Nigéria−
Juste à côté de la poste
Il y a une vieille femme
Qui parle toute seule
Se-crè-te-ment
En faisant de grands gestes
À ses ancêtres
Jean-Claude Touzeil
Itinerrances bis
Gros Textes, 1997
Le vieille dame aux yeux de ciel
éteint le feu qui durcissait son regard
se replie entre silence et tendresse
sa violence semble bridée
l’enfant blessée retournée au loin
chemine-t-elle encore
portant toute son histoire
oubliant les mots
ne se cognant plus contre les murs invisibles
en échange elle a trouvé son âge
nous entend-elle maintenant
la vie de celles qui nous ont portés
aidés à grandir
glisse sans bruit vers la fin
notre définitive séparation sera
douce douleur inévitable
Colette Andriot
Pourquoi pas 2005
Gros Textes, 2012
81
LA VIEILLE MAISON
SUSURREMENTS SÛREMENT
Papi papote
Mamie marmotte
Pomme-ci pommote
Pomme-là mijote
L’anthropomm’morphe dorlotte
Les pommes sans culotte.
Happy birthmotte
Apple hibernote
Laisse my people pommes
(et sans fausse note)
L’automne sanglote
(vous savez, le violon de l’automne)
De voir que sur la côte
On prépare déjà la hotte
Des pommes de proche récolte.
Jean Foucault
Anthropo-Pommes
Corps Puce, 2013
La vieille maison
A laissé tomber ses briques
Sur le côté.
De colère
La porte
Est sortie de ses gonds.
De peur
Les tuiles
Se sont envolées.
Le liseron
En a profité pour entrer
Et la pluie pour l’arroser.
Un petit enfant voyant cela
A remis
Les briques
À leur place
A jeté
Dehors
Le liseron
Et vite
Refermé
La porte
SAIS-TU ?
Sais-tu ce qui éclaire encore
Le visage de ce vieil homme
Assis sur ce banc
La tête inclinée vers le trottoir ?
Tout simplement la marelle
Que retrace sur le sol
La craie de sa mémoire.
Gilles Brulet
Poèmes à l’air libre
Le Livre de Poche Jeunesse, 1996
Une à une
A attrapé
Les tuiles
Près du mur
A planté
Des rosiers
Et tout autour
Une haie d’aubépines
Qui protège du vent.
Lydia Devos
Un dimanche à la campagne
Lo Païs, 1999
82
ÂGES
Me voici
Quadragénaire
Annonce Eulalie
En colère
PETITES OMBRES
Les petites ombres se promènent
serrant contre elles
un cabas,
un chien, un chat.
Personne ne les voit
on ne remarque pas
ces sombres
ombres
Elles ont été
dans la passé
des charmantes,
des importantes,
des méchantes,
des vibrantes.
Elles ont été, cela les hante,
des amantes.
Dans les glaces des magasins,
glaces sans tain
elles croisent des reflets éteints
de fantômes anciens.
Pourquoi rentrer
retrouver
un passé
envolé ?
Qui les attend ?
Qui les entend ?
Les petites ombres se promènent
serrant contre elles
un chien, un chat
un cabas.
Elles déambulent
Funambules.
Michelle Daufresne
Envol
Lo Païs, 2000
Me voilà
Quinquagénaire
Avoue Eulalie
Amère
Sexagénaire
Douairière
Pleure Eulalie
En jachère
Septuagénaire
Octogénaire
Chuchote Eulalie
Sédentaire
Nonagénaire
Centenaire
Rabâche Eulalie
Débonnaire.
Andrée Chédid
Naître plus loin
Lo Païs, 1997
GRAND’MÈRE
Grand’mère
Se courbe toujours vers la terre
Et au début
Je me demandais ce qu’elle avait perdu ?
Mais elle n’a rien perdu du tout
Elle a plein de tours polissons
Et si elle plie comme ça les genoux
À les rentrer dans le menton
C’est pour mieux jouer à saute-mouton.
René de Obaldia
in
Chaque enfant est un poème
Rue du monde, 2012
83
Tu me reconnaîtras
quand je viendrai un jour.
Nous nous reconnaîtrons.
Le soleil aura mis de l’or dans tes cheveux,
Le temps de la neige dans les miens.
Et dans ma barbe aussi,
que j’ai voulu garder bien qu’elle me vieillisse.
J’aurai longtemps marché sur le chemin des mots,
et quelques-uns seront tombés de mon stylo
pour qu’un jour tu les dises à tes petits-enfants,
toi qui auras de la neige dans tes cheveux.
Et dans ta barbe aussi,
que tu auras gardée bien qu’elle te vieillisse.
Quand tu diras mes vers que tu auras faits tiens,
moi, je ne serai plus qu’une ombre, un souvenir ;
mais la chaîne de mon poème
fera revivre encore l’enfant que j’ai été.
On l’appelle la petite dame d’en face
Tous les matins elle sort avec son cabas
la tête baissée la marche lente
On ne sait rien d’elle on ne lui parle pas
On la croit tournée au-dedans d’elle-même.
Véronique Joyaux
Les âmes petites
Les Carnets du Dessert de Lune, 2011
Cela use
un peu plus chaque jour
On se rétracte
Finalement
on tient si peu de place
On se retire de soi comme d’une mue.
Véronique Joyaux
Les âmes petites
Les Carnets du Dessert de Lune, 2011
Claude Cailleau
Des mots pour vivre
Le Pré de la Roche, 2009
L’HIVER
tout le jour
un homme à sa fenêtre
tente de capturer le présent
attend une réponse
et demeure là
flanqué de sa mélancolie
à porter ses morts en lui
regarder la vie lui échapper
gagner le silence
en d’infinis ondoiements.
Michel Bourçon
quelque chose comme la paix le calme
Les Carnets du Dessert de Lune, 2002
L’hiver
Les enfants croient que les arbres sont morts
Mais, avez-vous vu un mort debout ?
Le vieillard fatigué se couche et s’endort
Pourtant, ne croyez pas d’un seul coup
Qu’il va mourir
Non
Il attend le printemps
Il y pense de tout son vieux cœur
Et dans un sourire
Il se voit mille fleurs
Au bout des doigts.
Michel Lautru
Poèmes en liberté
Chanson Poésie Orne, cotcodi n° 17
84
SILLAGE
Une vie, à peine un peu
d’écume dans son sillage,
guère plus de traces
que l’oiseau n’en laisse
dans l’air qu’il fend.
Une vie, ce qu’il en reste,
cette traînée d’images
dans les mémoires amies
s’évaporant avec les ans.
Une vie, une voile, un vol,
un grain de lumière
dans les sillons du vent.
C’est une vieille dame, assise sur un banc.
Elle sort de son panier un petit mouchoir blanc.
Elle se lève et, d’un geste,
envoie voler au vent
des trésors de miettes
que cent pigeons tout blancs,
cent pigeons qui volettent,
picorent en un instant.
Michel Piquemal
Poèmes à poils et à plumes pour enfants en
pyjama
Pluie d’étoiles, 2000
Michel Baglin
De chair et de mots
Le Castor Astral, 2012
LES ÉTAGÈRES DE MA GRAND-MÈRE
Dans l’armoire de ma grand-mère
Il y a quatre étagères.
Elle le sait elle
la mémoire
on la tient pas toujours
par le bon bout
parce qu’elle perd la tête
qu’elle n’aurait pas cru pourtant
elle ne s’est aperçu de rien
elle a laissé filer
avec le temps
les visages les voix
elle cherche :
« c’était quand déjà ? »
les visages les voix
ne gardent plus que l’âge de leur rencontre à
peine.
Franck Cottet
Ce qui flotte encore
clarisse, 2005
La première est pour les souris :
Elles y élèvent leurs petits.
La seconde est aux araignées
Pour qu’elles y dansent la bourrée.
La troisième est pour les serpents :
Ils écoutent pousser leurs dents.
La quatrième est pour les vers :
Ils habitent dans les cuillers.
Il y a quatre étagères
Dans l’armoire de ma grand-mère.
Jacqueline et Claude Held
Un ridicule éléphant
l'épi de seigle, 1998
85
C’EST FADE
CONTONS ET TRICOTONS
Il faut faire la visite à grand-mère
elle a tous les jeux dans une boîte à couture
on les connaît par cœur et il faut être sage.
Il n’y a pas assez de cubes
pour faire un garage
et la voiture n’a plus de roues.
C’est très lent et très long
encore après le thé.
On va voir grand-mère quand il pleut.
Quand on allume chez elle
il fait déjà nuit
depuis tout le temps.
Trois mailles à l’endroit
Deux mailles à l’envers
Jean-Hugues Malineau
Les goûts de mon enfance
La Renarde Rouge, 2000
Ah ! Ma douce grand-mère
Avec tes doigts de fée
Des tricots tu en fais
Trois mailles à l’endroit
Deux verbes à l’envers
N’embrouillons pas, grand-mère
N’embrouillons pas nos comptes
Aux contes d’autrefois
Trois pages à l’endroit
Deux phrases de travers
Ah ! Ma douce grand-mère
Tu tricotes, j’écris
Tes récits de jadis.
Vieillir c’est voir mourir les autres
Tout un chacun n’a pas l’opportunité
de mourir jeune
José Millas-Martin
De fond en comble
Le Sémaphore
Elle a six pattes
Elle a six pattes :
Les deux siennes
Et quatre
Du déambulateur.
Elle ne va
Pas plus vite.
Surtout :
Je lui souhaite
D’aller plus loin
Liska
Tango pour José
Donner à Voir, 2010
Georges-Emmanuel Clancier
in
Pourquoi ma grand-mère tricote des histoires ?
Bayard Jeunesse, 2012
POURSUITE DU CHEMIN
Main dans la main
Avec grand-père
Je poursuis
Mes chemins
Sous l’ombre
Ou la lumière
Je dessine mon nom
Plus tard
plus tard
Grand-père
C’est moi qui saisirai
Ta main.
Andrée Chédid
in
Pourquoi ma grand-mère tricote des histoires ?
Bayard Jeunesse, 2012
86
GÉNÉALOGIE
Par mes arrière-arrière-arrièregrands-grands-pépères et grand-mères-grand
et mères et pères et pères et mères
et par ceux qui les précédèrent
tous ceux si loin si loin si vieux
si vieux zaïeux
par tous mes macchabées zancêtres
je suis de zorigine humaine
Louis Calaferte
in
Ça fait rire les poètes
Anthologie
Rue du Monde, 2009
Toute sa vie
il avait cultivé les soucis
À soixante printemps
il découvrait
que la généalogie a ses arbres
et les mots leurs racines
Il comprenait enfin
que la raison d’être d’une pépiniériste
ce n’est pas de produire des pépins…
Alain Boudet
in
Cairns n°4
La Pointe Sarène, 2009
L’ÉTRANGE TARTE AUX POMMES
Mon aïeule est un admirable cordon-bleu.
Devant ses plats l’on s’agenouille.
Mais dimanche, ventre-saint-gris de sacrebleu ,
Voilà qu’elle nous sert une tarte aux grenouilles.
Pour l’œil, c’était assez agréable, ma foi,
Sous sirop blond, ces tranches vertes
Sur pâte faite à la manière d’autrefois.
Mais pour la bouche, pouah, l’horrible
[découverte !
La dame perdait-elle l’esprit brusquement ?
Non, non, pour moi la chose est nette :
L’orthographe manquant à Bonne-Maman,
Elle avait confondu reinette et rainette.
Lucienne Desnoues
Les mots donnent faim
Couleur livres, 2012
portrait de jeunesse
la vieille aux mains tremblantes
laisse choir le cadre
**
temblando
deja caer su retrato
de juventud
Joëlle Brethes
in
La lune dans les cheveux
Haïkus
L’iroli, 2010
87
À Patrice Pichère
La rivière a coulé
Le nuage est passé
Ce pauvre temps aussi
Et ma vie
Et mon pauvre sort
La bateau au port
Toutes voiles baissées
Semble un oiseau mort
Et j’entends marcher
Dans mon pauvre cœur
Une troupe lointaine
Qui cherche demeure
La rivière a coulé
Le nuage est passé
Ce pauvre temps aussi
Et ma vie
Et mon pauvre sort
Jean-Claude Bardot
Poèmes au tournesol
L’iroli, 2008
sur la photo de famille
j’éclabousse mes frères
papa maman ont le tournis
quatre tresses pour trois cousines
six bretelles mais cinq cousins
quelques tantes très veuves
des oncles rescapés
ma marraine et son militaire
au milieu de la scène
mes grands-parents heureux
se tiennent par la main
(les noces d’or)
Françoise Lison-Leroy
le dit de petite elle
l’arbre à paroles, 2000
On ne s’était pas aperçu que le temps
glissait comme l’eau d’un fleuve, portant toute
chose vers l’extrême couchant et on aurait
tellement voulu rejoindre la rive où l’on voyait
parfois courir un enfant, dans la lumière
d’éternité.
André Rochedy
Chants de la traversée
l'arbre à paroles, 1999
SUR LE SABLE DU TEMPS
Mon cheval à roulettes
noir et blanc pommelé
galope encore
sur la terrasse de l’enfance
et les frêles bateaux de papier
dansent
vers le bassin de l’Esplanade
par les étroits canaux de la fontaine
canyons géants du Colorado
la cadence des roulettes
accompagne les voix profondes
du violoncelle de ma mère
inaltérées pour toujours
seul j’ai vieilli
mais demeure l’enfant
comme la mer soupire
sur le sable du temps
Frédéric Jacques Temple
in
Enfances
Regards de poètes
Bruno Doucey, 2012
88
UNE AUTRE FOIS, JE SAURAI
J’ai trop peu joui des averses printanières
et des couchers de soleil.
Je me suis trop peu délecté de la beauté des
chants anciens
et des promenades au clair de lune.
ON SAVAIT QUE C’ÉTAIT DIMANCHE
Je me suis trop peu enivré du vin de l’amitié
bien que sur terre il n’y ait de pays
où je n’ai compté au moins deux amis.
J’ai préservé trop peu de temps pour l’amour,
qui s’est tenu à ma disposition tout au long de
mon âge.
Une autre fois,
je saurais incomparablement mieux profiter de la
vie.
Une autre fois, je saurai.
Izet Sarajlic
Nés en vingt-trois, morts en quarante-deux
n&b, 1999
Maman ouvrait la grande armoire
prenait une savonnette
et nous lavait avec pour sentir bon.
― Tu changeras aussi de ruban, disait-elle à Dylla,
et, à moi, elle répétait souvent :
― Mets pas tes doigts à ta bouche !
Elle demandait aussi :
― Avez-vous un mouchoir propre ?
que déjà elle nous en donnait un.
Elle « renversait » la bouteille d’odeur dessus,
ça faisait un rond sur la toile.
― Maintenant vous pouvez partir, vous êtes
propres.
Elle nous suivait de son regard bleu
jusqu'au dernier tournant,
là-bas, sur la route du dimanche.
LA VIE
La vie est un nœud coulant
Plus on vieillit
Plus il rétrécit
Jules Mougin
in
Enfances
Regards de poètes
Bruno Doucey, 2012
Jusqu’à l’étranglement
Joël Sadeler
Le nœud coulant
L'épi de seigle, 1995
89
VENIR PARTIR
Continuez sans moi. Continuez ce qui fut
commencé sans me connaître et se poursuivra
au-delà de toute imagination. Continuez sans
moi, là où j’aurai pris la parole avec véhémence
et ignorance, où j’aurai pris le pas, un court
instant, sur le rythme des choses, là où j’aurai
voulu poser l’empreinte d’un regard ou d’une
respiration. Continuez sans moi, je tourne à
l’angle. Se comprendre ne dure que quelques
heures. La suite nous échappe. La vie aime ce qui
éclate. Il faut nous quitter. Je cède la place. Et
vous, cédez la vôtre. Nous, dont si vite s’effacera
la trace alors que nous avons fait et défié la vie.
Je continue sans vous cependant que vous vous
éloignez – forts croyons-nous – et l’endroit reste
vide. À saisir. Continuez sans moi cette
conversation à peine amorcée depuis des siècles
et qui ne parle que d’amour. Continuez, je tourne
à l’angle. Merci. Merci quand nous avons su nous
combler ou quand nous avons attisé nos douleurs
sans le savoir. Ce qui reste gravé dans le cœur ne
nous appartient pas. Je porte en moi votre
sourire et votre souffle comme vous porterez
peut-être mon visage et ma voix. Il faut nous
séparer. Aimons-nous aussi à l’horizon. Continuez
sans moi : je m’absente pour quelque temps, qui
sait…
Yves-Jacques Bouin
Une passée de paroles
l’épi de seigle, 1997
Si l’homme était immortel
combien de temps pensez-vous
pouvoir supporter votre conjoint ?
Vous supporter vous-même ?
Dominique Saint-Dizier
Questions qui posent problème
Corps Puce, 2009
Devant toi le cimetière
Sous le jour naissant.
Les visiteuses du petit matin
Éparpillées parmi les tombes
Rangent les chrysanthèmes,
Ratissent un bout d’allée,
Disparaissent en silence
D’un trot pressé de souris.
La feuille d’un marronnier
Voltige, se pose
Sur le portrait d’un enfant
En médaillon sépia.
Tu te sens comme le ciel
Neutre, sans couleur.
Jacqueline Held
Pourquoi courir ?
l'épi de seigle, 1999
MÉMÉ
Je me souviens de toi,
on t’appelait mémé
Et chaque année
tu meurs une seconde fois
Un jour de gel et de Janvier,
un jour de froid
Un jour mon tour viendra
et qui dira pour moi
« Je me souviens de toi,
on t’appelait mémé » ?
Liska
Le temps étoilé
l'épi de seigle, 1999
90
MON PÈRE
Les cendres d’Éole furent
dispersées
aux
qua
tre
vents
Quand tu es parti
As-tu emporté
Sur tes lèvres
Ta cédille de tabac
Souvenir papier-maïs
Pour l’au-delà
Joël Sadeler
Le nœud coulant
L'épi de seigle, 1995
LA VIE
Jacky Legge
La Mort, 366 fois. Sans remords
l'épi de seigle, 2004
VITE, LES ÉPHÉMÈRES
Que la vie est courte et belle
sous le soleil d’un lampadaire !
On se marie
Bras dessus
Bras dessous
Une heure, peut-être,
à peine le temps de naître,
On se défie
Bras de feu
Bras de fer
de voler, d’aimer, de rêver
− à peine le temps d’être.
On meurt
Bras en croix
Bras en l’air
Que la vie est courte et cruelle
sous le soleil d’un lampadaire !
Michel Monnereau
28 poèmes pour la route
L'épi de seigle, 2008
On nous crucifie
Bras de bois
Bras de pierre
Joël Sadeler
Le nœud coulant
L'épi de seigle, 1995
PÉPÉ
ANTHOLOGIE
Sous son nom
L’année de sa naissance
L’année de sa mort
Le vie d’un poète
Une vie entre parenthèses
Joël Sadeler
Le nœud coulant
L'épi de seigle, 1995
Houlala pépé
Hou ! papa l’est laid
Où papa l’est né
Papa n’est pas né là
Papa n’est pas né laid
Papa l’aîné l’a le nez pâle et pas laid
Mais papa n’est pas né Népalais.
André Schetritt
Eux autres, moi-je et le monde
Donner à Voir, 2005
91
Certains soirs d’automne
le poirier
décroche l’accordéon
pendu à ses branches
Il est une colère
Qui ne tarit pas
Celle qu’on adresse
À nos grands absents
Ceux dont le silence
Est intolérable
Et dont la patience
Épuise nos pas
Colère qui veille
Au feu même
De nos prières
Une vie durant
Philippe Quinta
Ni le jour ni l’heure
Donner à Voir, 2008
Il joue un vieux blues
de derrière l’horizon
pour lui tout seul
histoire de dire
la tristesse
du temps qui passe
avec la mort
à tout bout de champ
en maraude
Et quand on l’entend
la tristesse
nous gagne
aussi
certains soirs
Jean-Claude Touzeil
Poirier proche
Le Chat qui tousse, 2004
Parfois
il me revient
des odeurs d’enfance
de pain d’épices
et de fraise
de vanille
et de caramel
Sont-ils encore vivants
Jean-Baptiste et Marie
Qui gravèrent leurs noms
Sur le tronc d’un vieux hêtre ?
Mais j’ai beau
me passer la langue
sur les lèvres
je ne sens
que gerçures
et crevasses
endurées par le temps
Sont-ils encore vivants
Et s’aiment-ils encore
Jean-Baptiste et Marie
Marie et Jean-Baptiste
Qui gravèrent leurs noms
À l’intérieur d’un cœur
Sur le tronc d’un vieux hêtre ?
le vilain temps
qui passe
Thierry Piet
Les jours sans bagages
Echo Optique, 2004
Et s’aiment-ils encore
Jean-Baptiste et Marie
À l’intérieur d’un cœur ?
Jean-Claude Touzeil
in
Arbres
Donner à Voir, 1999
92
Dans les yeux de l’enfant
brûle le feu
Dans les yeux du vieil homme
brille la lumière
Thierry Piet
Les jours sans bagages
Echo Optique, 2004
L’ADIEU
J’ai cueilli ce brin de bruyère
L’automne est morte souviens-t’en
Nous ne nous verrons plus sur terre
Odeur du temps brin de bruyère
Et souviens-toi que je t’attends
Guillaume Apollinaire
Alcools
Gallimard Poésie, 1966
BICYCLETTE
LE MESSAGE
« Et ta grand-mère, elle fait du vélo ? » Elle faisait
de la bicyclette. Au feu rouge, l’air de rien, elle
glissait sur le côté et ne s’arrêtait pas. Son coup
de pédale était sûr et régulier. Quand elle dut
renoncer à sa haute bicyclette grise une part de
sa vie l’abandonna.
Christian Bulting
La saison violente
Echo Optique, 1995
La porte que quelqu’un a ouverte
La porte que quelqu’un a refermée
La chaise où quelqu’un s’est assis
Le chat que quelqu’un a caressé
Le fruit que quelqu’un a mordu
La lettre que quelqu’un a lue
La chaise que quelqu’un a renversée
La porte que quelqu’un a ouverte
La route où quelqu’un court encore
Le bois que quelqu’un traverse
La rivière où quelqu’un se jette
L’hôpital où quelqu’un est mort.
SUR LE CHEMIN DE LA MORT
Sur le chemin de la Mort,
Ma mère rencontra une grande banquise ;
Elle voulut parler,
Il était déjà tard ;
Une grande banquise d’ouate.
Elle nous regarda mon frère et moi,
Et puis elle pleura.
Nous lui dîmes ― mensonge vraiment absurde ―
que nous comprenions bien.
Elle eut alors ce si gracieux sourire de toute jeune
fille,
Qui était vraiment elle,
Un si joli sourire presque espiègle ;
Ensuite elle fut prise dans l’Opaque.
Jacques Prévert
Paroles
Gallimard, 1949
LE BOUQUET
Que faites-vous là petite fille
Avec ces fleurs fraîchement coupées
Que faites-vous là jeune fille
Avec ces fleurs ces fleurs séchées
Que faites-vous là jolie femme
Avec ces fleurs qui se fanent
Que faites-vous là vieille femme
Avec ces fleurs qui meurent
J’attends le vainqueur.
Henri Michaux
Plume
Gallimard Poésie, 1985
Jacques Prévert
Paroles
Gallimard, 1949
93
Reportage
Le moribond criait : Maman !
De l’arrière, le journaliste
A entendu : vive la France !
Ce qui a disparu
ce n’est que ton écorce
Ta chair et ton esprit
vivent en moi
Testament
De sa poitrine déchirée
Sortit, en guise d’âme,
Un portrait de fillette blonde.
Je ne suis pas seul
Je suis accompagné
de ton être transparent
Nous sommes accordés pour la fin du voyage
Marc-Adolphe Guégan
in
En pleine figure
Haïkus de la guerre de 14-18
Bruno Doucey, 2013
Plus loin encore que nos désirs d’autrefois
Et maintenant
comblés.
Je n’irai pas au cimetière
Je cherche son souvenir,
Et non son cadavre.
René Maublanc
in
En pleine figure
Haïkus de la guerre de 14-18
Bruno Doucey, 2013
UN DIMANCHE APRÈS-MIDI
Faudrait que j’y aille
murmurait-elle parfois
Un dimanche après-midi
elle emmène son petit garçon
au cimetière d’Ivry
Elle chercha en vain
la tombe de la grand-mère
qui l’avait élevé
José Millas-Martin
Le temps et l’espace
Le sémaphore, 2002
Georges Jean
Des mots pour elle
le cherche midi, 2010
ÂGES DE L’HUMANITÉ
Dix ans déjà
un sucre d’orge
vingt ans à peine
une canne et des gants
trente et quarante ans
de la barbe au menton
voici la cinquantaine
un miroir et des mitaines
pour les plus de soixante ans
des lunettes et des boutons
la fleur de l’âge soixante-dix
une fleur à la boutonnière
quatre-vingts ans quatre-vingt-dix
un sucre d’orge
c’est déjà trop
Philippe Soupault
Poésies pour mes amis les enfants
Lachenal et Ritter, 1985
94
POUR UN DICTIONNAIRE
Philippe Soupault dans son lit
né un lundi
baptisé un mardi
marié un mercredi
malade un jeudi
agonisant un vendredi
mort un samedi
enterré un dimanche
c’est la vie de Philippe Soupault
Philippe Soupault
Poésies pour mes amis les enfants
Lachenal et Ritter, 1985
On marche comme on s’arrime à la terre, on va
pour ne pas s’enliser dans la vase d’un port,
pour ne pas devenir le jouet d’un décor,
s’oublier tout à fait en ne pensant qu’à soi.
La vie est là, l’insaisissable vie, devant.
Faite de faims comblées, de soif et de fontaines,
De fatigue et de sueur dans une journée pleine
qu'on ne saura pourtant habiter qu’en passant.
Du sable entre les doigts, le cœur payant
comptant,
et ne pouvant savoir si l’on aura le temps,
on marche comme on s’arrime à la terre, on va
où l’on croit que jamais on ne pourra mourir.
Et l’on mourra quand même en chemin, qui de
froid,
qui du mal qu’il portait en soi et croyait fuir.
Michel Baglin
Un présent qui s’absente
Bruno Doucey, 2013
Combien de secondes pour naître
combien de minutes pour mourir
combien d’heures n’avons-nous fait que paraître
combien de jours n’avons-nous fait que souffrir
combien de mois pour nous connaître
combien d’années avons-nous aimé
combien de vies sommes-nous nés
Jack Küpfer
Dans l’écorchure des nuits
Bruno Doucey, 2011
tu mets tes habits à l’envers. Tu dors habillée. Tu
sors nue. Tu enfiles deux culottes. Tu ouvres les
robinets. Tu oublies de les refermer. Tu laisses le
gaz ouvert. Tu cuisines des plats immangeables.
Tu cherches la porte. Tu te cognes dans les murs.
Tu déambules dans les pièces. Tu te perds dans la
rue.
Lundi matin, c’était jour de marché. Tu prenais
beaucoup de soin pour m’habiller et me coiffer.
Rien n’était laissé au hasard.
Dans la rue, tu étais très fière de me présenter à
tes amies.
…
Pas vendre ta maison, pas en finir avec ta vie, pas
en finir avec toi, pas violer ton intimité, pas
toucher à tes affaires, pas faire les cartons ; pas
tout vider, pas voir la maison vide, pas
déménager, pas couper le dernier fil, pas rompre
le dernier lien, pas éteindre la lumière, pas partir.
En fin de repas, tu te levais, prenais une feuille de
papier journal dans le buffet de la cuisine. Tu la
pliais, pliais, pliais.
Quand le morceau de papier était tout petit, tu
tirais sur les deux extrémités. Un bateau
apparaissait. Tu remplissais ton plateau d’eau, tu
le déposais au centre de la table. Nous jouions à
souffler dessus. Le premier, qui avait touché le
rebord opposé, avait gagné. C’était souvent moi.
Magali Thuillier
Tu t’en vas
le dé bleu, 2004
95
DE L’AUT’ CÔTÉ
De l’aut côté
j'sais pas c’qu’il y a
des Dieux ? des morts ?
des diables ? des rats ?
Si seulement
j'retrouvais mes chats
Bouly Zamour
Minnie Pacha…
Les gens j’m’en fous :
j'préfère les chats
Clod’Aria
Mon chat son chien et le cochon du voisin
le dé bleu, 1998
Un semainier s’abrite
entre deux buffets.
Il compte les jours,
les semaines.
Les tiroirs pleins de secrets,
Il conte le passé :
Ce que le père
Et le grand-père
Et le père du grand-père
Lui ont confié ―
Petits trésors de vie.
Daniel Leduc
Un rossignol sur le balcon
le dé bleu, 1999
Bien que mort de votre belle mort
en resteriez-vous là ?
Dominique Saint-Dizier
Questions qui posent problème
Corps Puce, 2009
ELLE S’AGRIPPE
Son mari est mort, ses enfants, mariés, sont loin.
Dans sa grande maison, elle a peur des bruits, elle
se sauve en ville, chez les gens, elle voyage.
Rentrer le soir est un supplice. L’hiver, elle tricote
en face de la télé, elle prend des somnifères. Dès
l’aube, elle court à la boîte aux lettres. Le journal
est là. C’est encore le monde.
Le soir glisse
au ras des glycines,
Effleure la rouille du volet
devenu lisse,
Pâlit la lumière
sur la tuile,
efface encore un jour.
Et nous.
Je pense au cri des grives,
au goût vert des olives,
au mordoré des giroflées
sur un vieux mur d’enfance.
À toi, qui n’es plus là.
Jacqueline Held
Couleur jardin
le dé bleu, 1999
Georges L. Godeau
On verra bien
le dé bleu, 1995
96
DE LUI L’ON DIRA
Voli voli
Il a volu
Voli pas comme un ange
Comme une petite meusange
Voli dans les feunêtres
Voli en travers des arbres
Et dans les pierres
De lui l’on dira
Quand en sera par-dessous la terre
Voli voli il a volu
Volu
Mais l’a pas pu
Paul Vincensini
Je dors parfois dans les arbres
møtus, 2007
J’ai vécu
(mais pas de ma plume)
j’ai pondu
j’ai couvé
j’ai gratté
sans ergoter
j’ai chanté
kot kot kot
coûte que coûte
j’ai pris des
coups dans l’aile
et travaillé du jabot
Toute une vie
doux gésier !
pour finir
en cocotte
Michel Besnier
Mes poules parlent
møtus, 2004
Les sardines à l’huile d’olive
ont été des poissons
Les maquereaux à la moutarde
ont eu des yeux
Les cornichons au vinaigre
se sont cachés sous les feuilles
Les petits pois en boîte
ont porté un bel habit vert
Les œufs un jour ont chanté
Michel Besnier
Mon KDI n’est pas un KDO
møtus, 2008
Le vrombissement
le tressaillement
le martèlement
le grondement
le grésillement
le sifflement
le crépitement
le craquement
le croassement
le crissement
le grincement
le claquement
le couinement
le braillement
l’éclatement
le hurlement
et soudainement
le silence
François David
Bouche cousue
møtus, 2010
97
Quand tu ne seras plus là
L’absence s’installera
Doucement
Une espèce de grand silence
Marquera en cadence
Les jours et les jours
Mais mon cœur sera
Toujours rempli de toi
Michel Lautru
Mon papa a de gros bras
SOC et FOC, 2002
Feriez-vous don de votre corps
à quelqu’un qui n’en a pas ?
De préférence à qui ?
Dominique Saint-Dizier
Questions qui posent problème
Corps Puce, 2009
Avant d’être une maison
ma maison était un tas de cailloux de terre
Sa charpente poussait à l’état naturel
de l’autre côté de la vallée
Ses fenêtres étaient du sable de la chaux
et de la soude éparpillés dans l’espace
Je sais qu’avec le temps, les personnes décédées
deviennent plus présentes, que les fantômes ne
sont plus au-dehors mais au-dedans de nous.
Ito Naga
Je sais
Cheyne, 2006
D’un jour à l’autre
je ricoche ma vie
vers des ondes affaiblies
Viendra une heure
inattendue bien que certaine
où le rebond sera absent
Et c’est tout
Quand ma maison ne sera plus
elle redeviendra tout ça
Simon Martin
Dans ma maison
Cheyne, 2013
Ceux que nous aimons sont en nous
Nos silences éloignés
sont peuplés de paroles
que nous n’avons pas dites
et qu’ils ont entendues
L’heure où s’effaceront nos mots
Leur vie s’allège d’un poids de plume
quand ils ont nos sourires au cœur
Où commencera le silence.
C’est ainsi que nous avançons
Alain Boudet
Ici là, sur le rivage
La Renarde Rouge, 2010
Alain Boudet
Si peu, mais quelques mots
La Renarde Rouge, 2006
98
Le gel s’inscrit dans nos veines
avec ses fleurs de faux cristal
épaisses
lourdes
derrière lesquelles le sang se barricade
Si tu n’es pas pluie, mon amour,
Sois arbre
Fécond… Sois arbre.
Et si tu n’es pas arbre, mon amour,
Sois pierre
Humide… Sois pierre.
Et si tu n’es pas pierre, mon amour,
Sois lune
Dans le songe de l’aimée… Sois lune.
Ainsi parla une femme
À son fils qu’on enterrait.
Mahmoud Darwich
Anthologie (1992 – 2005)
Édition bilingue
Actes Sud, 2009
MORTS
à l’annonce du compte à rebours
de la mort.
(14-1-91)
Jean-Noël Guéno
Barbares à la barre du jour
Gros Textes, 2012
CE CHEMIN
Le vent pousse les ans et ajoute des
nombres à mon âge
Puis un beau jour du mois d’août je
mourrai
J’irai sous terre dans ce labyrinthe où on
joue à cache-cache avec la mort ou le bonheur
Et comme le hasard choisira la mort je
suivrai ce chemin sans me plaindre
Et les plus beaux jours de ma vie seront
ceux de ma naissance et de ma mort
à Paul Van Melle
Frédéric Jimenez
L’oiseau et le ciel
Gros Textes, 2012
les morts ne nous quittent jamais
ceux qui nous aimaient
ceux que nous aimions
leurs ombres circulent
de la cave au grenier
ils vont-ils passent
dès que nous approchons
les morts restent vivants
près de nous loin de nous
et si tout change
ils demeurent ce qu’ils furent.
Georges Cathalo
Au carrefour des errances
Airelles, 2011
Je rendrai l’âme
Elle est consignée
Toutefois, je doute qu’elle puisse resservir
François Philipponnat
Cent remarques sur tout
Tome I
Gros Textes, 2011
99
Nous prenons la main qui meurt
Elle nous agrippe
Bien des années plus tard
alors que nous traversons une rue
elle est toujours là
−Ça nous rassure
François Philipponnat
Cent remarques sur tout
Tome II
Gros Textes, 2011
Le premier pavot
de la saison
rouge ponceau
déploie ses voiles
le hérisson
est en visite
comment fait-on avec les mauvaises
nouvelles
Certains soirs
l'enfance s’enfuit un peu plus
là-bas dans cet hôpital
la mort est passée
Je garde sa voix
tonique
la tendresse dans le bleu de ses yeux
trop tard pour ce qui n’a pas été dit
toi ma douce
qui as parfois veillé sur moi
tu ne verras plus la délicatesse
des pétales des coquelicots
Colette Andriot
Pourquoi pas 2005
Gros Textes, 2012
PENSÉES HAUTEMENT PROFONDES
SUR LA MORT ET SES ALENTOURS
Quand je serai mort, je vais me manquer.
**
La première nuit sans moi, ça va me faire drôle.
**
Mourir un beau soir n’est rien. C’est ne pas se
lever le lendemain qui est le plus pénible.
**
Si vous voyez venir la mort, fermez les yeux.
…/…
Michel Monnereau
Les zhumoristiques
Gros Textes, 2006
DERNIÈRE HEURE
Pépé,
ta dernière heure est arrivée.
Elle tient dans ses bras
le bébé que tu étais
et Dédée ta mariée,
et aussi tes petits,
le premier, le dernier,
une feuille de maladie,
un bouquet d’hôpital.
Elle met tout ça à tes pieds,
C'est pour toi.
Et elle s’en va,
et toi aussi,
adieu la vie…
Pef
Poëtic-Tac
Lo Païs, 1994
100
J’habite le souvenir
D'un homme dans la mort.
Il avait un couteau
de labeur dans sa poche,
une peine sereine à vivre,
avec un cœur infatigable.
Je l’aimais parce que.
Il faisait du bois le dimanche
pour les feux de l’hiver
dans la maison du pauvre.
Je me souviens de la joie qui
éclairait nos matins. Des soirs
assis dehors dans la splendeur
des crépuscules.
LE MOT FATAL
Une première fois , il écrit le mot « mort »:
il est terrorisé.
Une deuxième fois , il écrit le mot « mort »:
il tremble, il tremble un peu.
Une troisième fois , il écrit le mot « mort »:
il se maîtrise.
Une dixième fois , il écrit le mot « mort »:
il se raisonne, il est serein.
Une vingtième fois , il écrit le mot « mort »:
C'est un mot très aimable.
Une centième fois , il écrit le mot « mort »,
comme il écrit « sommeil », comme il écrit
« cheval »,
comme il écrit « océan » ou « musique ».
Une millième fois , il écrit le mot « mort »,
pour empêcher la mort, croit-il,
de le surprendre.
Alain Bosquet
in
Le tireur de langue
Anthologie
Rue du Monde, 2000
J’habite le souvenir
d’un homme, son sourire
en noir et blanc sur la photo.
Claude Cailleau
Des mots pour vivre
Le Pré de la Roche, 2009
Parfois j’ai peur que tout meure,
les loups, les abricots,
l’heure et l’eau.
Mais toujours survient un side-car,
un bruit de petit moqueur,
un bel hasard.
Parfois j’ai peur
que le prochain matin
ne meure avant demain.
Mais après le bruit de ma rue,
une autre rue
toujours s’en va,
une autre rue toujours s’en vient.
Alain Serres
La ville aux 100 poèmes
Rue du monde, 2006
101
LA PETITE FILLE
(extrait)
C’est moi qui frappe à votre porte
Ici comme ailleurs, à toutes les portes
Ne vous effrayez pas si je reste invisible
On ne peut voir une petite morte.
J’étais ici voici dix ans déjà
J’ai trouvé la mort à Hiroshima
Je ne suis qu’une enfant, je n’avais que sept ans
Mais les enfants morts ne grandissent pas.
Mes longs cheveux tout d’abord ont pris feu
Mes mains ont brûlé tout comme mes yeux
Mon corps ne fut plus rien qu’une poignée de
cendres
Mêlées au vent dans le ciel nuageux.
Je ne veux rien de vous en vérité
Pour moi, nul ne peut plus me dorloter
Car l’enfant qui brûla comme papier journal
Vos bonbons jamais ne pourra goûter.
Nazim Hikmet
in
On n’aime guère que la paix
Rue du monde, 2003
Un jour, j’aurai mille ans pour tous ceux que j’ai
enterrés. Je ne verrai plus les autres, seulement
mes rides s’imprimer sur un verre et déjà le goût
de la terre dans la bouche. Je n’attendrai plus
grand-chose, ni soleil ni repos, mais que les radios
diffusent les bruits de la mer.
Michel Bourçon
Carnet de petits riens
Les Carnets du Dessert de Lune, 1995
Sólo vivo para romper
Uno a uno
Los cordones invisibles
Que me vuelven pertenencia
Sólo vivo
Para desprenderme y abordar
El viaje cósmico de la muerte.
Je ne vis que pour rompre
Un à un
Les fils invisibles
Qui me font dépendance
Je ne vis
Que pour me détacher et aborder
Le voyage cosmique de la mort.
Myriam Montoya
Je viens de la nuit
Vengo de la noche
Anthologie
Le Castor Astral, 2004
Chaque jour tu plies bagages
tu tries
tu empiles
tu choisis
le soir le sac est plein
il est toujours trop lourd
ne pense pas à ce jour
où tout bagage sera superflu
Luce Guilbaud
Rouge incertain
Écrits des Forges / le dé bleu, 2002
102
Mon ombre se couche
sur chaque tombe
comme un chien
la mort a enfanté le temps
Anise Koltz
Chants de refus II
Phi, 1995
Les enfants de Syrie,
emmaillotés dans leurs linceuls
comme des bonbons enveloppés.
Mais ils ne sont pas en sucre.
Ils sont de chair
et de rêves
et d’amour.
Les rues vous attendent,
les jardins, les écoles et les fêtes
vous attendent,
enfants de Syrie.
C’est trop tôt pour être des oiseaux
et pour jouer
dans le ciel
JE VIS J’AI VÉCU…
Maram al-Masri
Elle va nue la liberté
Bruno Doucey, 2013
( Lire en commençant par la dernière ligne)
Je vis j’ai vécu.
Je sors et j’éteins
J’entre et j’allume
Lampe électrique et va-et-vient
LA VIE
Hier
aujourd’hui
demain
Bonjour grand-père
Bonjour monsieur
Bonjour bébé
Pierre-Albert-Birot
in
Pourquoi ma grand-mère tricote des histoires ?
Bayard Jeunesse, 2012
Partir sans plus de bruit qu’une feuille morte
Abandonner le temps enfin
Retrouver les fruits de la terre dans la terre
Ton ventre s’étonne d’un oubli
L’arbre te recommence
Guy Allix
Survivre et mourir
Rougerie, 2011
103
COMIAT
No ens és donat d’estar
a l’altura de la mort:
se’n van els qui més estimem,
de sobte o lentament, tant és,
peròel moment arriba
i res no podem fer per acostar-nos
I acomboiar-los en el seu darer viatge:
Més que no la mort
És la vida la qui ens separa
Dràsticament d’ells
I prossegueix implacable
El seu curs
Cap a estacions cada cop
Més fredes i desavinents.
No ens és donat d’estar
a l’altura de la mort,
car ells marxen massa avall
com per poder seguir-los :
dels baixos de la mort
no ens n’arriba mai més res
i la vida en fuig esperitada
per tal de sobreposar-se
a la seva pròpia fi.
(texte en catalan)
pour que nous puissions les suivre.
Des tréfonds de la mort
il ne nous parvient plus rien
et la vie s’enfuit éperdue
pour se remettre
de sa propre fin.
Àlex Susanna
Les cernes du temps
Traduit du catalan par Jep Gouzy
fédérop, 1999
Quand la barque de la nuit
s'immobilise en son milieu
je regarde venir la mort
encore toute petite là-bas,
j’entends la vie qui bat des ailes
dans le noir effrayant qui m’entoure.
Marie-Florence Ehret
que la musique
l’Arbre, 2007
ADIEUX
Il ne nous est pas donné d’être
à la hauteur de la mort.
Ceux que nous aimons le plus s’en vont,
brutalement ou avec lenteur, peu importe,
mais le moment arrive
et nous ne pouvons rien faire pour être auprès
[d’eux
et les escorter dans leur dernier voyage.
Plus que la mort elle-même
C'est la vie qui nous sépare
D’eux impitoyablement
Et poursuit implacable
Son cours
Vers des haltes de plus
En plus froides, inhospitalières.
La vie aura passé comme une fête
Et mes souvenirs ont mangé la paille
Où ils dormaient
Les chemins du village peuvent au soir
Causer doucement entre eux
Je compte sur mes doigts
Les aurores et les deuils
Des maisons ensoleillées
Paul Vincensini
Inquiétude en sentinelle
l'arbre à paroles, 1991
Il ne nous est pas donné d’être
à la hauteur de la mort,
car les défunts s’en vont trop bas
104
Quand
Près de lui
Vous m’enfouirez
À l’abri des pluies
Et du vent
Il suffira d’un peu de terre
Pour nous couvrir
De quelques herbes
Pour lier nos membres
De trois cailloux
Blancs comme sel
Ne reste pas à pleurer devant ma tombe,
Je n’y suis pas, je n’y dors pas.
Je suis un millier de vents qui soufflent ;
Je suis le scintillement du diamant sur la neige,
Je suis la lumière du soleil sur le grain mûr ;
Je suis la douce pluie d’automne.
Quand tu t’éveilles dans le calme du matin,
Je suis le prompt essor
Qui lance vers le ciel où ils tournoient les oiseaux
silencieux.
Je suis la douce étoile qui brille la nuit.
Ne reste pas à te lamenter devant ma tombe.
Je n’y suis pas ; je ne suis pas mort.
Anonyme
in
Paroles d’espoir
Albin Michel, 1995
Pour que le sort
Nous soit paisible
N’allez pas
Surtout n’allez pas
Nous pétrifier sous une dalle
Ne gravez pas en lettres d’or
Un nom
Qui fuyait le renom
Nous sommes des oiseaux du ciel
Libres amants
Des fabuleux nuages
Nous qui n’avons pas su nous taire
N’allez pas surtout
N’allez pas nous lester d’un marbre
Pour mieux étouffer notre voix.
Hélène Cadou
La mémoire de l’eau
Rougerie, 1993
Je ne sais pas quand je suis mort la première fois.
Je ne sais pas tout à fait pourquoi. Mais je sais
que quelque chose est mort ou a cessé de vivre.
C’est une histoire de panier mal rempli et de
parents défaits. C’est un arbre
qui de branche en branche avec la sève fait
passer quelque chose d’acide et de mortel.
Un jour pourtant on décide de regarder en
face le nœud de la peur et d’être ce qu’on est et
de répandre la nuit paisible
et le jour clair dans les veines. La prochaine fois
que je mourrai je veux avoir vécu avant.
Raymond Jacq
Lorsque le voyageur
La petite édition, 2012
105
En rire
pourquoi pas
marelle tracée
à la craie blanche et rose
par une main d’enfant,
la première pluie l’effacera.
Ainsi nos voix, ainsi nos ombres.
André Rochedy
L’enfant du songe
l'arbre à paroles, 2001
de la mort
qui dévore
en rires et en chansons
lui boucler le klaxon
d’ailleurs faut-il encore
le dire
ceux qui se laissent aller
à mourir
manquent cruellement
de savoir-vivre !
Anne Poiré
in
Cairns n°4
La Pointe Sarène, 2009
Tu as rejoint pépé aujourd’hui
après sept ans de séparation
je l’entends te dire
avec son sourire
et sa façon de secouer la tête
ah enfin te voilà
tu en as mis du temps
vous allez reprendre vos conversations
tu lui remettras des flocons d’avoine
dans sa soupe de nuages
La lumière te poignardera si
tendrement que tu ne t’apercevras pas de la
blessure, de la mort que nul mot n’appréhende.
Tu seras, à l’aube de l’éternité, ce
voyageur étonné de son absence et dont le destin
aura passé outre, léger, à l’infini.
Max Alhau
Proximité des lointains
L’arbre à paroles, 2006
Amandine Marembert
à perpète
pré # carré, 2007
On ne reviendra pas du voyage, les
chemins se sont faits vieux, le vent noir les efface.
L’île bercée est un bateau perdu, la mort a
déplacé les rives. On ne saura jamais le bout de la
nuit.
André Rochedy
Chants de la traversée
l'arbre à paroles, 1999
106
J’institue
pour légataire universelle
la jeunesse du monde.
Le plus grand malheur
qui puisse vous arriver,
c’est de n’être utile à personne,
Je me demande où est passée ma jeunesse.
***
Je me demande pourquoi maintenant et pas plus
tard.
c’est que votre vie ne serve à rien.
***
Soyez riches, vous,
du bonheur des autres.
S’il manque quelque chose
à votre vie,
c’est parce que vous n’avez pas regardé
Je me demande en quelle année je suis mort si
j’ai eu une première vie.
***
Je me demande si mon anniversaire tombera un
dimanche en l’an 1 200 326.
assez haut.
Et puis croyez en la bonté,
en l’humble et sublime bonté.
Pierre Barachant
Je me demande
Atelier du hanneton, 2005
Le trésor que je vous laisse,
c’est le bien que je n’ai pas fait,
que j’aurais voulu faire
et que vous ferez après moi.
Raoul Follereau
in
Paroles d’espoir
Albin Michel, 1995
Plus quelques paroles
sans leurs notes de musique…
107
MON ENFANCE
(Barbara)
J´ai eu tort, je suis revenue,
dans cette ville au loin, perdue,
où j´avais passé mon enfance.
J´ai eu tort, j´ai voulu revoir
le coteau où glissait le soir
bleu et gris ombre de silence.
Et j’ai retrouvé, comme avant,
longtemps après,
le coteau, l´arbre se dressant,
comme au passé.
J´ai marché les tempes brûlantes,
croyant étouffer sous mes pas.
Les voies du passé qui nous hantent
et reviennent sonner le glas.
Et je me suis couchée sous l´arbre
et c´étaient les mêmes odeurs.
Et j´ai laissé couler mes pleurs,
mes pleurs.
J´ai mis mon dos nu à l´écorce,
l´arbre m´a redonné des forces
tout comme au temps de mon enfance.
Et longtemps j´ai fermé les yeux,
je crois que j´ai prié un peu,
je retrouvais mon innocence.
Avant que le soir ne se pose
j´ai voulu voir
la maison fleurie sous les roses,
j´ai voulu voir
le jardin où nos cris d´enfants
jaillissaient comme source claire.
Jean-Claude, Régine, et puis Jean tout redevenait comme hier le parfum lourd des sauges rouges,
les dahlias fauves dans l´allée,
le puits, tout, j´ai tout retrouvé.
Hélas
La guerre nous avait jetés là,
d´autres furent moins heureux, je crois,
au temps joli de leur enfance.
La guerre nous avait jetés là,
nous vivions comme hors la loi.
Et j´aimais cela quand j´y pense
Oh mes printemps, Oh mes soleils,
Oh mes folles années perdues,
Oh mes quinze ans, Oh mes merveilles -
que j´ai mal d´être revenue Oh les noix fraîches de septembre
et l´odeur des mûres écrasées,
c´est fou, tout, j´ai tout retrouvé.
Hélas
Il ne faut jamais revenir
aux temps cachés des souvenirs
du temps béni de son enfance.
Car parmi tous les souvenirs
ceux de l´enfance sont les pires,
ceux de l´enfance nous déchirent.
Vous ma très chérie, ô ma mère,
où êtes-vous donc aujourd´hui?
Vous dormez au chaud de la terre.
Et moi je suis venue ici
pour y retrouver votre rire,
vos colères et votre jeunesse.
Et je suis seule avec ma détresse.
Hélas
Pourquoi suis-je donc revenue
et seule au détour de ces rues
J´ai froid, j´ai peur, le soir se penche.
Pourquoi suis-je venue ici,
où mon passé me crucifie?
Elle dort à jamais mon enfance…
108
C’ÉTAIT BIEN
(Robert Nyel / Gaby Verlor)
C'était tout juste après la guerre,
Dans un p’tit bal qu'avait souffert.
Sur une piste de misère,
Y'en avait deux, à découvert.
Parmi les gravats ils dansaient
Dans ce petit bal qui s'appelait...
Qui s'appelait...
Qui s'appelait...
Qui s'appelait...
Non je ne me souviens plus
Du nom du bal perdu.
Ce dont je me souviens
Ce sont ces amoureux
Qui ne regardaient rien autour d'eux.
Y'avait tant d'insouciance
Dans leurs gestes émus,
Alors quelle importance
Le nom du bal perdu ?
Non je ne me souviens plus
Du nom du bal perdu.
Ce dont je me souviens
C'est qu'ils étaient heureux
Les yeux au fond des yeux.
Et c'était bien...
Et c'était bien...
Ils buvaient dans le même verre,
Toujours sans se quitter des yeux.
Ils faisaient la même prière,
D'être toujours, toujours heureux.
Parmi les gravats ils souriaient
Dans ce petit bal qui s'appelait...
Qui s'appelait...
Qui s'appelait...
Qui s'appelait...
Non je ne me souviens plus
Du nom du bal perdu.
Ce dont je me souviens
Ce sont ces amoureux
Qui ne regardaient rien autour d'eux.
Y'avait tant d'insouciance
Dans leurs gestes émus,
Alors quelle importance
Le nom du bal perdu ?
Non je ne me souviens plus
Du nom du bal perdu.
Ce dont je me souviens
C'est qu'ils étaient heureux
Les yeux au fond des yeux.
Et c'était bien...
Et c'était bien...
Et puis quand l'accordéoniste
S'est arrêté, ils sont partis.
Le soir tombait dessus la piste,
Sur les gravats et sur ma vie.
Il était redevenu tout triste
Ce petit bal qui s'appelait,
Qui s'appelait...
Qui s'appelait...
Qui s'appelait...
Non je ne me souviens plus
Du nom du bal perdu.
Ce dont je me souviens
Ce sont ces amoureux
Qui ne regardaient rien autour d'eux.
Y'avait tant de lumière,
Avec eux dans la rue,
Alors la belle affaire
Le nom du bal perdu.
Non je ne me souviens plus
Du nom du bal perdu.
Ce dont je me souviens
C'est qu'on était heureux
Les yeux au fond des yeux.
Et c'était bien...
Et c'était bien.
109
MISTRAL GAGNANT
(Renaud Séchan)
À m´asseoir sur un banc cinq minutes avec toi
Et regarder les gens tant qu´y en a
Te parler du bon temps qu´est mort ou qui
r´viendra
En serrant dans ma main tes p´tits doigts
Pis donner à bouffer à des pigeons idiots
Leur filer des coups d´ pieds pour de faux
Et entendre ton rire qui lézarde les murs
Qui sait surtout guérir mes blessures
Te raconter un peu comment j´étais mino
Les bonbecs fabuleux qu´on piquait chez l´
marchand
Car-en-sac et Minto, caramel à un franc
Et les mistrals gagnants
A r´marcher sous la pluie cinq minutes avec toi
Et regarder la vie tant qu´y en a
Te raconter la Terre en te bouffant des yeux
Te parler de ta mère un p´tit peu
Et sauter dans les flaques pour la faire râler
Bousiller nos godasses et s´ marrer
Et entendre ton rire comme on entend la mer
S´arrêter, r´partir en arrière
Te raconter surtout les carambars d´antan et les
cocos boer
Et les vrais roudoudous qui nous coupaient les
lèvres
Et nous niquaient les dents
Et les mistrals gagnants
A m´asseoir sur un banc cinq minutes avec toi
Et regarder le soleil qui s´en va
Te parler du bon temps qu´est mort et je m´en
fou
Te dire que les méchants c´est pas nous
Que si moi je suis barge, ce n´est que de tes yeux
Car ils ont l´avantage d´être deux
Et entendre ton rire s´envoler aussi haut
Que s´envolent les cris des oiseaux
Te raconter enfin qu´il faut aimer la vie
Et l´aimer même si le temps est assassin
Et emporte avec lui les rires des enfants
Et les mistrals gagnants
Et les mistrals gagnants
AVEC LE TEMPS
(Léo Ferré)
Avec le temps...
Avec le temps va tout s'en va
On oublie le visag' et l'on oublie la voix
Le cœur quand ça bat plus c'est pas la pein' d'aller
Chercher plus loin faut laisser fair' et c'est très
bien
Avec le temps...
Avec le temps va tout s'en va
L'autre qu'on adorait qu'on cherchait sous la pluie
L'autre qu'on devinait au détour d'un regard
Entre les mots entre les lign's et sous le fard
D'un serment maquillé qui s'en va fair' sa nuit
Avec le temps tout s'évanouit
Avec le temps...
Avec le temps va tout s'en va
Mêm' les plus chouett's souv'nirs ça t'as un' de
ces gueul's
A la Gal'rie j'Farfouill' dans les rayons d' la mort
Le samedi soir quand la tendress' s'en va tout'
seule
Avec le temps...
Avec le temps va tout s'en va
L'autre à qui l'on croyait pour un rhum' pour un
rien
L'autre à qui l'on donnait du vent et des bijoux
Pour qui l'on eût vendu son âme pour quelques
sous
Devant quoi l'on s' traînait comme traînent les
chiens
Avec le temps va tout va bien
Avec le temps...
Avec le temps va tout s'en va
On oublie les passions et l'on oublie les voix
Qui vous disaient tout bas les mots des pauvres
gens
Ne rentre pas trop tard surtout ne prend pas froid
Avec le temps...
Avec le temps va tout s'en va
Et l'on se sent blanchi comme un cheval fourbu
Et l'on se sent glacé dans un lit de hasard
Et l'on se sent tout seul peut-être mais peinard
Et l'on se sent floué par les années perdues
Alors vraiment
Avec le temps ... on n'aime plus.
110
MON ENFANCE M’APPELLE
(Serge Lama)
COIN DE RUE
(Charles Trenet)
Je me souviens d'un coin de rue
Aujourd'hui disparu
Mon enfance jouait par là
Je me souviens de cela
Il y avait un' palissade
Un taillis d'embuscades
Les voyous de mon quartier
Venaient s'y batailler
À présent il y a un café
Un comptoir tout neuf qui fait d’ l'effet
Une fleuriste qui vend ses fleurs aux amants
Et même aux enterrements
Je revois mon coin de rue
Aujourd'hui disparu
Je me souviens d'un triste soir
Où le cœur sans espoir
Je pleurais en attendant
Un amour de quinze ans
Un amour qui fut perdu
Juste à ce coin de rue
Et depuis j'ai beaucoup voyagé
Trop souvent en pays étrangers
Mondes neufs constructions et démolitions
Vous me donnez des visions
Je crois voir mon coin de rue
Et soudain apparus
Je revois ma palissade
Mes copains mes glissades
Mes deux sous de muguet de printemps
Mes quinze ans… mes vingt ans
Tout ce qui fut et qui n'est plus
Tout mon vieux coin de rue.
Mon enfance m´appelle sur des plages de sable
Mon enfance m´appelle sur des plages dorées
Sur elles sont venues s´inscrire impitoyables
De nombreuses années
Qu´ai-je fait? Qu´ai-je dit?
Qui suis-je en ce pays?
Quelle neige est déjà tombée dans mes cheveux?
Les hommes ne sont-ils nés que pour devenir
vieux?
Ô mon enfance disparue
Quel était le nom de ma rue?
Qu´ai-je fait? Qu´ai-je dit?
Qui suis-je en ce pays?
Quelle fleur a courbé sa tige sous mes pas
Pour que je sois tombé tout à coup aussi bas?
Ô mon enfance prends ma main
Puisque tu es sur mon chemin
Mon enfance m´appelle sur des plages de sable
Mon enfance m´appelle sur des plages dorées
Sur elles sont venues s´inscrire impitoyables
De nombreuses années
Qu´ai-je fait? Qu´ai-je dit?
Qui suis-je en ce pays?
Quel espoir de départ vers des lieux inconnus
Pour oublier plus tard qui je suis devenu?
Ô mon enfance revenue
Dis-moi, qui suis-je devenu?
Qu´ai-je fait? Qu´ai-je dit?
Qui suis-je en ce pays?
Quelle éternelle nuit se lève dans mes yeux?
On récolte l´ennui quand on a ce qu´on veut
Ô mon enfance quelle envie
D´aller chez toi finir ma vie!
Mon enfance m´appelle sur des plages de sable
Mon enfance m´appelle sur des plages dorées
Sur elles sont venues s´inscrire impitoyables
De nombreuses années
111
LES MENSONGES D’UN PÈRE À SON FILS
( Jean-Loup Dabadie
)
Le temps, petit Simon
Où tu m’arrivais à la taille
Ça me semble encor’ tout à l’heure
Mais déjà tu m’arrives au cœur
Pour toi commence la bataille...
Le temps, petit Simon
Que je te fasse un peu l’école
Me semble venir aujourd’hui
Redonne-moi de cet alcool
Que je te parle de la vie...
Tu verras...
Les amis ne meurent pas
Les enfants ne vous quittent pas
Les femmes ne s’en vont pas...
Tu verras...
On rit bien sur la Terre
Malbrough ne s’en va plus en guerre
Il a fait la dernière
Tu verras...
Et puis, petit Simon
Chez nous, personne ne vieillit
Nous sommes là et ne crois pas
Que nous partirons d’aujourd’hui
Pour habiter dans autrefois...
L’amour, c’est tous les jours
Qu’on le rencontre dans la vie
Et rien ne passe et rien ne casse
Redonne-moi de l’eau-de-vie
A peine à peine, voilà merci
Il a fait la dernière
Tu verras...
Les femmes infidèles
On les voit dans les aquarelles
Elles vous querellent sous les ombrelles
Dans la vie ce ne sont pas les mêmes
Elles nous aiment, elles nous aiment...
Un homme, petit Simon
Ce n’est jamais comme un navire
Qu’on abandonne quand il chavire
Et tout le monde quitte le bord
Les femmes et les enfants d’abord...
Tu verras...
Les maisons ne meurent pas
Les idées ne vous quittent pas
Le cœur ne s’en va pas
Tu verras...
Tu vas suivre en beauté
Les chemins de la liberté
Tu vivras tu verras
...comme moi...
Le temps, petit Simon
Où tu m’arrivais à la taille
Ça me semble encore tout à l’heure
Mais déjà tu m’arrives au cœur
Pour toi commence la bataille
Alors, petit garçon
Moi qui t’aimais, toi qui m’aimais
Souviens-toi que ton père avait
Une sainte horreur du mensonge
Une sainte horreur du mensonge....
Tu verras...
Les amis ne meurent pas
Les enfants ne vous quittent pas
Les femmes ne s’en vont pas...
Tu verras...
On rit bien sur la terre
Malbrough ne s’en va plus en guerre
112
QUAND LES HOMMES VIVRONT D’AMOUR
(Raymond Lévesque)
Quand les hommes vivront d'amour
Il n'y aura plus de misère
Et commenceront les beaux jours
Mais nous nous serons morts mon frère
Quand les hommes vivront d'amour
Ce sera la paix sur la terre
Les soldats seront troubadours
Mais nous nous serons morts mon frère
VISITEUR
(Claude Nougaro / Aldo Romano)
Dans la grande chaîne de la vie
Où il fallait que nous passions
Où il fallait que nous soyons
Nous aurons eu la mauvaise partie...
Passe, passe dans la vie en visiteur
C'est beau, applaudis c'est laid, passe ailleurs
Passe sans que tes pas blessent une fleur
Le ciel te le rendra passe en douceur
Quand les hommes vivront d'amour
Il n'y aura plus de misère
Et commenceront les beaux jours,
Mais nous, nous serons morts, mon frère...
Les parfums de la terre, les couleurs de l'eau, l'or
de l'été
On est prié de laisser les lieux dans l'état où ils
[étaient
Mais quand les hommes vivront d'amour
Qu'il n'y aura plus de misère,
Peut-être songeront-ils un jour
A nous qui serons morts, mon frère
Passe, passe dans la vie en visiteur
Nous qui aurons, aux mauvais jours
Dans la haine et puis dans la guerre
Cherché la paix, cherché l'amour
Qu'ils connaîtront, alors, mon frère,
Vois, vois c'est ta vie, sois aussi créateur
Oui, crée, ne fût ce qu'un cri
Et saigne en seigneur
Les parfums de la terre, les couleurs de l'eau, l'or
de l'été
On est prié de laisser les lieux dans l'état où ils
[étaient
Dans la grande chaîne de la vie,
Pour qu'il y ait un meilleur temps
Il faut toujours quelques perdants,
De la sagesse ici bas c'est le prix
Quand les hommes vivront d'amour
Il n'y aura plus de misère
Et commenceront les beaux jours
Mais nous, nous serons morts, mon frère...
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Baie de Somme 2013 Photo Robert Froger
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