La séduction de la pseudo-vérité » Le Da Vinci code de Dan Brown

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La séduction de la pseudo-vérité » Le Da Vinci code de Dan Brown
« La séduction de la pseudo-vérité »
Le Da Vinci code de Dan Brown (2003)
par Frère Silouane PONGA
A Willy, jusque dans la Vérité toute entière.
Le succès planétaire du Da Vinci code ne laisse personne dans l’indifférence.
Ce roman, qui est sans conteste l’un des best seller de ce temps, mérite une attention
toute particulière. Car, il suscite curiosité, intérêts de tout genre et même des réflexions
de grande envergure, touchant les grandes questions aux frontières du religieux et du
culturel. Notre approche sera avant tout analytique et critique. Ce roman qui a, selon
nous, perdu la fonction littéraire d’une narration fictive et non pas réelle, a fini par
donné l’impression d’un tissu de vérités historiques à « consommer » en toute quiétude
rationnelle.
La grande interrogation qui a suscité cette étude est de savoir : «Que recèle en
réalité ce roman auquel on accorde un crédit de confiance démesuré et qui, à cause
même de sa fonction littéraire, ne peut avoir aucune réelle prétention historique ? ».
Notre étude a voulu voir où se trouvent la tromperie et la malhonnêteté historicolittéraire de Dan Brown. Nous avons qualifié cette entreprise romanesque comme étant
une sorte de « séduction de la pseudo-vérité ». Nous aborderons notre exposé en trois
parties :
1. Le Da Vinci code, un roman à succès et les raisons du succès d’un roman.
2. Relecture analytique et critique du Da Vinci code de Brown.
3. La séduction d’une pseudo-vérité, ou un autre christianisme revu et interprété par
Dan Brown.
1. Le Da Vinci code, un roman à succès et les raisons du succès d’un
roman
Vendu aujourd’hui à plus de vingt millions d’exemplaires (presque deux
millions d’exemplaires en France avec la nouvelle édition de poche), le Da Vinci code
(paru en 2003) est sans conteste le plus grand succès littéraire du moment. Comme
beaucoup le savent, un film de Ron Howard est en préparation avec des acteurs
célèbres et populaires tels que Tom Hanks et Audrey Tautou et c’est en France que se
réalisera la quasi-totalité du film. Mais, par delà le phénomène marketing, quel est le
secret du succès de Dan Brown ? Ce roman est à sa manière un questionnement et une
tentative de réponse à la quête de vérité sur le christianisme « authentique » et sur son
fondateur : Jésus de Nazareth. N’y aurait-il pas comme deux christianismes, voir deux
« Eglises » : un Christianisme officiel pour le commun des mortels et un autre, qui
serait l’authentique et qui serait celui de quelques illuminati (initiés). Dan Brown ose
pour sa part dénoncer publiquement, l’inavoué de l’inconscient collectif, à savoir que
l’Eglise catholique romaine cache un « secret » qu’il serait périlleux de mettre au
grand jour, sous peine de se voir condamner à mort comme on le voit dès le début de
son intrigue, lorsque un membre de l’Opus Dei (le moine albinos) assassine Jacques
Saunière – célèbre conservateur et chef du musée du Louvre – qui était l’un des
derniers à posséder ce secret sur la véritable identité de la personne du Christ et sur les
origines cachées du Christianisme.
Son approche, volontairement choquante et provocatrice, a pour but de susciter
de la curiosité chez quiconque veut pouvoir réagir face à l’apparente toute puissance
du Christianisme. On retrouve le même procédé dans le film de Martin Scorsese : La
dernière tentation du Christ, qui développait déjà un des thèmes majeurs du roman de
Dan Brown, à savoir la vie amoureuse et les noces secrètes de Jésus et de MarieMadeleine. On retrouve le même procédé dans le film de John Turteltaub : Benjamin
Gates et le trésor des Templiers, avec Nicolas Cage (décembre 2004), qui serait la
démonstration que l’Eglise catholique cache le plus grand trésor du monde dans les
catacombes d’une église aux Etats-Unis. Il est presque inutile de rappeler que la
culture actuelle est la culture de la puissance des médias et surtout de l’image. N’ayant
plus de références objectivantes de la vérité – de type métaphysique ou religieuse –
valable pour tous, seul le monde des médias serait la référence ultime pour accéder à la
vérité. Voilà pourquoi, on croit plus volontiers ce que l’on voit à la télévision – par le
seul fait que ce soit diffusé à la télévision – que la parole d’un proche qui en sait tout
autant sinon quelque fois mieux encore que ce qui passe au cinéma, sur Internet, à la
télévision ou à la radio. Ainsi, on considère que ce qu’a écrit Dan Brown est
totalement vrai parce que c’est un roman à succès. Ce succès ne viendrait donc pas
d’abord de la validité de son contenu, mais du fait de son impact médiatique. Un grand
nombre de ceux qui ont lu le Da Vinci code n’ont eu aucun recul culturel de type
historique, philosophique ou même théologique. C’est un roman écrit pour être prêt à
consommer sans discernement. Son but est nettement subversif, autrement dit, de créer
une sournoise polémique qui doit conduire à discréditer publiquement l’Eglise
catholique, la personne et le message du Christ et enfin, la totalité du Christianisme.
La démarche de l’auteur consiste très clairement à faire hésiter son lecteur, puis à le
faire douter de ce qu’il sait et finalement aussi de ce qu’il croit.
Enfin, le Da Vinci code joue aussi sur le registre de la quasi-ignorance
collective du monde contemporain en matière de Christianisme. Dans son ouvrage
récent, Da Vinci, la grande mystification, Amy Welborn fait elle aussi remarquer que :
« Les gens qui ne lisent pas de livre sérieux lisent le Da Vinci code et c’est peutêtre ce qu’ils liront de plus ‘sérieux’ comme roman ; l’ignorance est telle, surtout
dans le domaine religieux qu’elle autorise les affirmations les plus insensées sans
que quiconque trouve cela anormal ; et comme le faux est mélangé avec le vrai,
le vrai sert facilement d’argument à prouver le reste [qui demeure faux]. C’est
une exploitation de l’ignorance largement répandu »1.
1
A. WELBORN, Da Vinci, la grande mystification. La réponse à une supercherie ésotérique, Ed. Le
Forum Diffusion, Perpignan, 2005, p. 18.
2
Il faudrait pour s’en convaincre voir la quantité impressionnante de personnes
qui viennent parfois de très loin, pour une sorte de « pèlerinage » à l’église SaintSulpice à Paris, à cause d’une affirmation ambiguë, que l’on retrouve au début des
romans de Dan Brown, lorsqu’il ose affirmer sous l’intitulé d’ouverture : « Les Faits »,
que : «toutes les descriptions de monuments, d’œuvre d’art, de documents et de rituels
secrets évoqués sont avérées »2. Les études critiques les plus sérieuses attestent par
exemple que les descriptions de certains monuments et œuvres d’art sont vraies,
cependant que les documents, tels que : le « Dossier secret » qui serait à la
Bibliothèque Nationale de France, ou encore le fameux Prieuré de Sion, ne sont pas
tels que les décrit Dan Brown dans son roman. Le « Dossier secret » est un faux
document monté de toute pièce en 1979 par un faussaire dénommé Jean-Luc
Chaumeil. En outre, le Prieuré de Sion n’a jamais eu pour membre Léonard de Vinci,
Isaac Newton et Victor Hugo, c’est selon les dernières recherches une simple
association loi 1901 répertoriée dans le Journal officiel du 20 juillet 1956. Celle-ci
avait été créée par un certain Pierre Plantard à Saint-Julien-en-Genevois en HauteSavoie au mois de juin de la même année 19563.
Enfin, le Da Vinci code est une propagande bon marché pour les sciences
occultes et l’ésotérisme qui exercent une grande fascination sur l’inconscient. On est
beaucoup plus prompt à croire le mystérique, c’est-à-dire l’irréel et le magique, que de
se contenter de « simples » dogmes qui, de surcroît sont présentés comme des carcans
obscurantistes et instruments du pouvoir de l’Eglise pour asservir les croyants. Dans
les sciences occultes et dans la gnose, chacun s’élève par la connaissance vers le divin
et n’a pas besoin des limites institutionnelles d’une Eglise. La prétention de Dan
Brown est d’ouvrir cette initiation le plus largement possible.
2. Relecture analytique et critique du Da Vinci code de Brown
Quel est ce code secret que contiendrait le Da Vinci code de Dan Brown ? Avec
cette question, il nous faut à présent rentrer dans le vif du sujet par une relecture
analytique de la narration romanesque de Brown. L’ouvrage de Dan Brown repose sur
un prétendu secret qu’il doit absolument dévoiler à son lecteur au terme des 571 pages
de sa narration. Il s’agit de la « vérité » selon laquelle l’Eglise catholique aurait
toujours rejeté et caché au sujet d’un « Féminin Sacré » (= la Grande Déesse)4 présente
dans toutes les traditions religieuses de l’humanité et qui nous est dévoilé dans la
personne de Marie de Magdala. Selon notre auteur, Marie de Magdala serait l’épouse
cachée de Jésus de Nazareth à qui elle a donné une descendance. Le témoignage de
cette vérité occultée de tout temps par l’Eglise catholique, pourrait être décrypté sur la
célèbre fresque de La Cène de Léonard de Vinci (ou le dernier repas de Jésus avec ses
disciples avant sa mort, au cours duquel il institua l’Eucharistie). Le génie florentin du
XVème siècle aurait caché dans ce chef d’œuvre, réalisé entre 1494 et 1498 au couvent
2
D. BROWN, Da Vinci code, Ed. JC. Lattès, Paris, 2004, p. 9. Comme aussi déjà dans son précédent
roman : Anges et démons, (Ed. Pocket Book, New-York, 2000) Ed. JC. Lattès, Paris, 2005, pp. 8-9.
3
M-F. ETCHEGOIN – F. LENOIR, Code Da Vinci : L’Enquête, Ed. Robert Lafont, Paris, 2004, pp. 5461.
4
Id, p. 34.
3
des dominicains de Santa Maria delle Grazie à Milan, l’énigme sacrée de la présence
de Marie Madeleine (présence du féminin sacré) au côté droit de Jésus pendant la
dernière Cène. Le personnage aux traits quelques peu féminins ne serait donc pas Jean,
le disciple bien aimé, mais plutôt la Magdaléenne5.
Dans le récit de Brown on constate au fil de la lecture que le professeur
Langdon fait comprendre pendant le déroulement de l’enquête liée à l’assassinat de
Jacques Saunière que, Léonard de Vinci « […] avait incorporé dans divers scènes
religieuses des symboles cachés qui n’avaient rien de chrétiens, mais traduisaient des
croyances personnelles» (p. 62). Ces croyances étaient de type ésotérico-gnostique.
Jacques Saunière, que l’on retrouve mort au début du roman et dont la posture
imitait le croquis de Léonard de Vinci décrivant l’homme de Vitruve révèlerait
justement que :
« […] Saunière a consacré toute sa vie à étudier l’histoire de [la grande déesse],
une histoire que l’Eglise catholique s’est acharnée comme nulle autre à effacer. Il
est plausible qu’il ait voulu marquer une dernière fois sa désapprobation au
moment de disparaître »6.
Le roman de Dan Brown a donc pour objectif la révélation du code que De
Vinci aurait caché dans la fresque célèbre de la Cène de l’Eglise milanaise de Santa
Maria delle Grazie. A cette effet, observant attentivement une reproduction de la Cène
de Léonard de Vinci avec Sir Leigh Teabing (qui est présenté comme un historien par
Brown), Sophie [petite fille de Saunière] réalise que sur la table où se déroula le
dernier repas de Jésus avec ses disciples il y a du pain, mais il n’y a pas de calice ; et
5
Dans l’analyse qu’en fait Simon Cox : « Une observation minutieuse de l'œuvre révèle que le
personnage situé à la droite de Jésus (à gauche pour nous) possède incontestablement des traits
féminins ou efféminés. Picknett et Prince vont jusqu'à affirmer que les plis de la tunique de ce
personnage révèlent le contour d'une poitrine féminine. Léonard de Vinci n'était pas opposé au fait
d'octroyer des traits ou des attributs féminins à certains de ses personnages masculins. Par exemple, un
examen soigneux de son fameux portrait de Jean-Baptiste montre que le prophète possède une peau
pâle et glabre, une silhouette presque hermaphrodite. Mais qu'en est-il de cette position singulière dans
La Cène occupée par Jésus et la figure Jean / femme, qui forme un V avec l'espace et un M si on y
ajoute les deux corps ? Cette disposition implique-t-elle une quelconque signification symbolique ?
Selon Picknett et Prince, l'alignement particulier des silhouettes, associé aux traits féminins de
« Jean », induisent que ce personnage est en réalité Marie-Madeleine, le signe V symbolisant le
Féminin sacré et le M, Marie/Madeleine » (in., S. COX, Le Code Da Vinci. Décrypté, Ed. Le pré au
clercs, Londres-Paris, p.44) […] Que l'on soit ou non d'accord avec cette interprétation, nul ne peut
nier son caractère original et séduisant. Nous arrivons maintenant à la fameuse main privée de corps.
Quelle est cette main visible à gauche de la table, près de la silhouette de Pierre ? Pourquoi tient-elle
un couteau ou une dague d'une manière aussi menaçante ? Un autre trait remarquable de la fresque est
la main gauche de Pierre, qui semble prête à s'abattre sur le cou du personnage féminin, dans un autre
geste inquiétant. Que veut nous dire Vinci à propos de Pierre ? […] Après une inspection attentive et
rapprochée, il apparaît que main et couteau appartiennent effectivement à Pierre. Ce dernier appuie sa
main droite tordue vers l'arrière contre sa hanche, d'une manière maladroite et peu naturelle. Quant à la
main gauche de Pierre s'abattant sur le cou de Jean/Marie, une autre interprétation veut qu'il se
contente de poser la main sur l'épaule dudit personnage. Le débat reste ouvert » (S. COX, ibid, p. 44).
6
Ibid, p. 63.
4
ce Calice, pourrait bien être la coupe du saint Graal. Cette fresque serait donc en
réalité, « […] la clé de tout le mystère du Graal » (p. 295) ; en outre, son observation
attentive lui donne de comprendre aussi que : « le Graal n’est pas une chose… [mais]
une personne » (p. 296).
Ce sera l’universitaire américain, le professeur Robert Langdon qui, au chapitre
56 du Da Vinci code, révèlera à Sophie Neveu (et par conséquent au lecteur) que le
Saint Graal est le symbole d’une «femme » (p. 297). En effet, comme on le lit sous la
plume de Dan Brown, « le Graal est l’ancien symbole féminin, le Féminin sacré, la
Déesse, cette dimension religieuse perdue, éradiquée par l’Eglise. Les anciennes
images sacrées du pouvoir procréateur de la femme représentaient une menace pour la
puissance naissante d’une Eglise à prédominance masculine. Le Féminin sacré a donc
été diabolisé, considéré comme impur » (pp. 298-299). Ce saint Graal (ou le féminin
sacré) est inscrit sur la fresque du célèbre peintre De Vinci et c’est sans aucun doute
Marie de Magdala, que l’auteur considère comme l’épouse cachée du Christ. Plus loin,
Teabing l’expliquera lui aussi à Sophie, lorsqu’il dit : « – […] si vous considérez Jésus
et Marie Madeleine comme des éléments de la composition du tableau et non plus
comme des personnages, vous allez percevoir une autre forme, qui va vous sauter aux
yeux. Une lettre de l’alphabet » (p. 306). En regardant attentivement, Dan Brown nous
rapporte que Sophie Neveu fait le constat que : « les lignes de force du centre de la
fresque dessinaient un M énorme, impeccablement tracé » (p. 306). Ce M (= qui
renvoie à Marie Madeleine) serait le code secret que Léonard de Vinci aurait
ingénieusement dissimulé dans sa fresque.
Le Saint Graal (= Sangréal) est donc le Sang real (ou sang royal) qui plaiderait
en faveur d’une descendance charnelle d’une union entre Jésus de Nazareth et Marie
Madeleine. Pour finir de convaincre Sophie, Sir Teabing affirmera en fin de compte
que : « – la légende du Saint Graal est celle du Sang réal. Lorsqu’on y parle du
‘Calice qui contient le sang du Christ’, c’est pour évoquer Marie Madeleine, qui
portaient la lignée royale de Jésus […] Elle portait en elle la lignée royale du
Christ… ? » (p. 312), s’interrogea Sophie. Sur cette interrogation, toutes les
spéculations sont possibles.
Dans l’imagination de notre auteur, comme le fait remarquer dans son étude Amy
Welborne :
« Saunière était grand maître d'une curieuse société secrète appelée le ‘Prieuré de
Sion’ qui avait pour mission de préserver la vérité à propos de Jésus, de MarieMadeleine et par extension, de toute la race humaine […]. Selon ce que dit le
livre, l'humanité, dès l'origine et pendant des millénaires, avait pratiqué une
spiritualité fondée sur un équilibre entre le masculin et le féminin, dans laquelle
on révérait les déesses et le pouvoir des femmes. C'était là tout l'objet de la
mission de Jésus : il a vécu et prêché un message de paix, d'amour et d'unité de
l'humanité et, pour incarner ce message, il a pris Marie Madeleine pour femme et
lui a confié la direction de ce mouvement. Lorsqu'il fut crucifié, elle attendait un
enfant de lui. Jaloux du rôle de Marie Madeleine, Pierre a pris la tête d'une partie
5
du mouvement créé par Jésus avec pour idée d'étouffer le véritable enseignement
de Jésus et de le remplacer par le sien, et de supplanter Marie Madeleine à la tête
du mouvement […] Marie Madeleine fut obligée de s'enfuir, elle se réfugia en
France, où elle mourut. Elle et la fille de Jésus furent à l'origine de la lignée
royale des Mérovingiens, les premiers rois de France ; et le véritable ‘Saint
Graal’, est, non pas une coupe matérielle, mais Marie-Madeleine elle-même,
ainsi que le ‘Féminin sacré’ dont elle est l’incarnation […] Ainsi, cachée derrière
tous les événements que nous lisons dans les livres d'histoire (lesquels sont écrits
par les ‘vainqueurs’, bien entendu !), la véritable histoire de ces deux derniers
millénaires est celle de la lutte entre l'Eglise catholique (attention ! pas tout le
christianisme : uniquement l'Eglise catholique) et le Prieuré de Sion. En fixant le
canon des Ecritures, par ses affirmations doctrinales et même par son attitude
envers les femmes, l'Eglise s'est efforcée d’étouffer la vérité relative au Saint
Graal et, par extension, au ‘Féminin sacré’, alors que les Templiers et le Prieuré
de Sion s’efforçaient de protéger le Graal (les ossements de Marie Madeleine), sa
lignée et le culte du ‘Féminin sacré’ »7.
C’est pour cette raison que l’Opus Dei continuerait aujourd’hui encore de
combattre, au nom de l’Eglise, la société secrète du Prieuré de Sion car, elle possède le
secret du Graal (p. 349).
Après cette analyse du cœur de l’intrigue du Da Vinci code éprouvons à présent
sa véracité et sa validité sur les différents plans : littéraire, historique, philosophique et
théologique.
1. Critique littéraire : Il s’agit tout d’abord de la malhonnêteté de notre auteur qui,
après avoir annoncé que son ouvrage est un roman, fait croire que les faits décrits sont
« avérés ». Il s’agit là d’un abus du genre littéraire romanesque. Comme le fait
remarquer Amy Welborn : « Pour Dan Brown, la frontière entre la fiction et le réel est
très mince »8. Si la prétention de notre auteur était effectivement d’en faire un roman à
caractère historique, il aurait dû avoir plus de rigueur quant à l’utilisation de ses
sources surtout dans la relation souvent falsifiée entre les personnages, les époques et
les lieux. Malheureusement, on retrouve chez Brown quelques procédés critiquables
tels que : s’éloigner volontairement des faits bien connus de tous pour s’intéresser au
sensationnel, au mystérieux, autrement dit à l’invérifiable ; il substitue aux faits des
suppositions et des opinions (parfois erronés), qui conduisent à des conclusions
arbitraires. Enfin, il admet quelques inexactitudes qu’il met sur le compte du genre
littéraire, pour mieux affirmer ce qu’il veut faire valoir. Comme le dit encore Welborn,
« C’est une inversion complète des valeurs ; la fiction (comme la prétendue opposition
de l’Eglise aux femmes) devient les faits réels et les faits (comme la divinité du Christ)
sont considérés comme fiction »9. Le roman de Dan Brown ne manque pas de
dénaturer, voir même de fausser la réalité. Il aurait dû choisir soit d’être dans la fiction,
soit d’être dans l’histoire.
7
A. WELBORN, ibid, pp. 26-27.
Ibid, p. 16.
9
Ibid, pp. 17-18.
8
6
2. Critique historique : On est surpris d’apprendre dans le Da Vinci Code de Dan
Brown, par Sir Teabing, un énorme mensonge historique comme celui-ci : « La Bible,
telle que nous la connaissons aujourd’hui, a été collationnée par un paï en, l’empereur
Constantin le Grand» (p. 289). Comme l’a écrit Raphaël Stainville, « l’un des
problèmes que l’on rencontre face à cette fiction [de Brown], c’est son caractère
prétendument historique »10. On sait bien qu’il y a des règles précises du roman
historique. Frédéric Lenoir, l’a bien montré dans son ouvrage Le code Da Vinci.
L’Enquête. Dans son épilogue, il rappelait les deux règles suivantes :
« Il y a deux manières d’écrire un polar historique. La première consiste à
respecter scrupuleusement la vérité des faits et des événements cités et broder
autour d’une intrigue avec des personnages totalement inventés. La deuxième
consiste à mentionner des faits réels, mais à en détourner les sens, à les ‘tordre’
en quelque sorte, pour les ajuster à la trame romanesque […] C’est ce procédé
qu’utilise Dan Brown. Il ne cesse de citer des faits ou des personnages connus,
comme la polémique des manuscrits de Qumram ou le concile de Nicée, Léonard
de Vinci ou Constantin… jusqu’à François Mitterrand. Mais il leur attribue un
sens fort éloigné de la réalité historique. Cela ne porte pas à conséquence si le
lecteur désire simplement être transporté par un bon polar. Mais, s’il s’intéresse
aux fondements historiques et au message véhiculé par le roman, il doit alors
s’obliger de faire preuve d’esprit critique et de discernement pour démêler le vrai
du faux. Et là où les choses se compliquent encore, c’est que Dan Brown ajoute à
la confusion en exposant dans un avertissement des ‘faits’ censés être vrais… qui
ne le sont pas ! »11.
Il faut donc en déduire que Brown ne fait aucunement œuvre d’historien dans
cette époustouflante narration et qu’il ne faut pas donner plus d’importance que ça aux
allégations soit disant historiques de ce livre12. Selon Welborn, « toute la construction
du roman est articulée autour d’une accumulation d’éléments historiques, mélangeant
le vrai, le faux, l’approximatif, l’inexact… »13. On sait bien que ses sources principales
ne sont pas celles de vrais historiens. Il s’agit de « découvertes » que l’on pourrait
aisément qualifier de touristiques, faites au cours d’un voyage dans le sud de la France
par Michael Baigent et ses amis Richard Leigh et Henry Lincoln, et que l’on va
retrouver dans leur célèbre essai L’Enigme sacrée ( = The Holy Blood and the Holy
Grail [1981]). En outre, le roman de Brown utilise aussi des données tirées des
investigations de Lynn Picknett et Clive Prince, tous les deux auteurs de : La
10
R. STAINVILLE, « Da Vinci Code décodé », art. cit, in. Famille chrétienne, n° 1425, (mai 2005), p18.
M-F. ETCHEGOIN – F. LENOIR, ibid, pp. 245-246.
12
S. NEWMAN, La Vérité historique derrière le Code Da Vinci, Ed. Guy Tredaniel, Paris, 2005 ; et
aussi : différentes études dans : D. BURSTEIN, Les secrets du Code Da Vinci. Le guide non officiel des
mystère du Code Da Vinci, Ed. City Editions- Les intouchables, Paris, 2004, pp. 81-85.
13
A. WELBORN, ibid, p. 17.
11
7
Révélation des templiers : Les gardiens secrets de la véritable identité du Christ (=
The Templar revelation [1997]) 14.
L’ensemble des affirmations de ces auteurs repose sur des suppositions et des
déductions non fondées historiquement. On pourra, pour le vérifier, se référer à
l’ouvrage bien mené de Jean Jacques Bedu : Les sources secrètes du Da Vinci Code
(2005)15.
3. Critique philosophique : elle portera sur les deux points suivants, le relativisme
post-moderne de la valeur métaphysique de la vérité et l’éclectisme doctrinal de Dan
Brown. Face à cette entreprise Brownienne, un discernement philosophique s’impose.
En effet, comment donner du crédit à une œuvre non fondée en raison et qui a un réel
déficit du point de vue de la vérité ? Comme on vient de le voir, son relativisme
littéraire et historique lui fait perdre toute crédibilité sur le plan rationnel. D’un point
de vue philosophique, la vérité ne peut pas être relative à un individu (ou à un groupe
d’individus seulement) car, elle ne serait plus une vérité objective mais subjective ; ce
qui signifie qu’elle ne peut pas être partagée universellement en tant que vérité. Ceci
dit, elle peut être partagée sur la base d’une ignorance commune en tant que pseudovérité. Selon Jean Paul II, on doit affirmer qu’ : « en soi, toute vérité, même partielle,
si elle est réellement une vérité, se présente comme universelle. Ce qui est vrai doit
être vrai pour tous et pour toujours »16. Or, il faut ajouter qu’une telle affirmation
soutient en même temps l’unicité de la vérité. En effet, ce qui est vrai ne peut pas ne
pas être vrai pour tous et pour toujours. Car on peut dire d’un point de vue de logique
formelle que : «L'unité de la vérité est déjà un postulat fondamental de la raison
humaine, exprimé dans le principe de non contradiction »17. La vérité apparaît donc
nécessairement une et universelle. Une telle affirmation obéit à la fois aux lois de
l’ontologie et de la logique formelle. Dans cette perspective, Fides et Ratio prend ses
distances par rapport au relativisme des courants de pensée postmodernes18. La
présentation que Dan Brown fait du Christianisme n’a rien de l’universalité de sa foi et
de son message. En outre, les vérités qu’il énonce n’ont aucune fondation rationnelle
fiable.
Enfin, l’œuvre de Brown est encore critiquable sur le plan philosophique car
elle mêle les plans et les genres des doctrines qu’elle manie sans trop de rigueur
scientifique. On peut dire que :
« Nous sommes bien ici en présence d’une [autre] forme de subjectivisme, car
l’éclectisme est une pensée qui fait fi de toute logique et de tout principe de
régulation objective de la connaissance. Ainsi donc, la vérité n’est rien d’autre
que le produit d’un « amalgame » de considérations et de concepts sans lien réel
14
M. BAIGENT -. R. LEIGH -. H. LINCOLN, L’Enigme sacré, Ed. J’ai Lu, 2005 ; L. PICKNETT -. C.
PRINCE, La Révélation des templier. Les gardiens secrets de la véritable identité du Christ, Ed. du
Rocher, Paris, 1999.
15
J-J. BEDU, Les sources secrètes du Da Vinci Code, Ed. du Rocher, Paris, 2005.
16
FR 27.
17
FR 34.
18
S. PONGA, Transcendantalité et universalité de la Vérité, Mémoire de maîtrise (Pro manuscripto),
ICT, Toulouse, 2003.
8
entre eux, et même avec leur sens originel. Autrement dit, l’éclectisme est à la
pensée ce que le syncrétisme est à la religion »19.
Le roman de Dan Brown est une parfaite illustration de cet éclectisme. Son
utilisation de données diverses venant à la fois du Christianisme historique que des
autres formes de christianismes (surtout gnostiques), sans aucune distinction formelle,
atteste que sa pensée ne repose pas sur une recherche objective de la vérité.
4. Critique théologique : Bien que se disant chrétien lui-même, on peut dire que Dan
Brown ignore tout de l’essentiel en matière de foi chrétienne20. Puisqu’il nie jusqu’à la
divinité du Christ ; on peut alors se demander, quel pourrait être le fondement
théologique de son christianisme ? Le pseudo-christianisme de Brown repose sur une
approche gnostique de la foi. Ses sources scripturaires reposent sur des évangiles
apocryphes (ou non canoniques) : L’évangile de Philippe ; l’évangile de Thomas et
l’évangile de Marie [de Magdala]. On peut à juste titre se demander pourquoi cette
disqualification des Evangiles canoniques de Matthieu, Marc, Luc et Jean ? Par
ailleurs ses principales sources d’informations proviennent très clairement de la
nébuleuse ésotérique prônée par trois principales sociétés secrètes ésotériques : la
Franc-maçonnerie, la Théosophie (et son féminisme : d’où l’idée du « Féminin
sacrée » qui vient de Helena Patrovna Blavatsky et Annie Besant)21, et quelques
variantes doctrinales en provenance du Nouvel âge.
1. La révélation biblique de Dieu comme Père en Jésus-Christ n’est pas le rejet ou le
mépris de la femme dans le Christianisme. La figure paternelle de Dieu révèle l’œuvre
créatrice et primordiale de Celui de qui tout provient et en qui tout s’accomplit. Ce
n’est ni une invention humaine, ni même une invention du Christianisme. C’est une
révélation divine, qui procède de Dieu lui-même. Comme le dit le prologue de Jean :
« Nul n'a jamais vu Dieu ; le Fils unique, qui est tourné vers le sein du Père, lui, l'a fait
connaître » (Jn 1, 18).
2. Le Christ ne devient pas Dieu par une déclaration conciliaire à Nicée I (325),
comme le prétend Brown. Les chrétiens ont tout de suite reconnu Jésus comme
Seigneur, autrement dit en tant qu’il est Dieu, le Fils de Dieu, engendré éternellement
et non pas créé, de même nature que son Père (Lc 1, 43 ; Ac 2, 36 ; Ph 2, 11 ; Rm 10,
9 ; He 1, 3). Il est celui en qui, dit l’apôtre Paul : «[…] habite corporellement toute la
Plénitude de la Divinité » (Col 2, 9). Il s’est révélé et manifesté comme Dieu et
Sauveur. Il a vécu comme Verbe incarné de la plénitude de sa divinité et, il n’a pas
besoin de s’accoupler à une femme, selon le témoignage des Evangiles canoniques,
pour s’accomplir. Le choix libre et volontaire de son état de vie dans le célibat, en tant
qu’«eunuque » pour le Royaume de Dieu (Mt 19, 12) manifeste bien clairement sa
mission universelle de salut ; il est le « Seigneur de tous » (Ac 10, 36). Comme
l’écrivait saint Jean :
« Ce qui était dès le commencement,
19
Id, p. 56.
A. WELBORN, ibid, p. 18.
21
J-J. BEDU, Ibid, pp. 272-281.
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ce que nous avons entendu,
ce que nous avons vu de nos yeux,
ce que nous avons contemplé,
ce que nos mains ont touché
du Verbe de vie ; car la Vie s'est manifestée :
nous l'avons vue, nous en rendons témoignage
et nous vous annonçons cette Vie éternelle,
qui était tournée vers le Père et qui nous est apparue
ce que nous avons vu et entendu,
nous vous l'annonçons,
afin que vous aussi soyez en communion avec nous.
Quant à notre communion,
elle est avec le Père
et avec son Fils Jésus Christ. Tout ceci, nous vous l'écrivons
pour que notre joie soit complète » (1Jn 1, 1-4).
Selon une déclaration du cardinal Bertone, archevêque de Gène, le Da Vinci
code de Brown, « traite plus de fiction que de théologie »22. Ce n’est donc pas dans ce
livre qu’il faut rechercher une authentique théologie chrétienne.
3. Une dernière interrogation au sujet de la critique que Brown fait du christianisme,
que l’on pourrait aborder sous forme d’une question : pourquoi un tel acharnement de
Dan Brown sur l’Opus Dei ? Car, cette œuvre de Dieu (Opus Dei) qui a un vrai statut
canonique dans l’Eglise en tant que « prélature personnelle » (CIC, § 265) n’a rien de
sectaire ou même de critiquable sur le plan purement institutionnel. Ses membres sont
autant reprochables que ceux de n’importe quel groupement humain. Leur discipline et
leur fidélité à la tradition de l’Eglise plaide en faveur d’une certaine cohérence et
authenticité de leur christianisme. Peut-être, est-ce cette radicalité évangélique de leur
Christianisme qui est dérangeant pour le monde ? En outre, cette importante
organisation protège l’Eglise catholique de toute intrusion des mouvements
ésotériques tels que la Franc-maçonnerie ; d’où cet acharnement injustifié (et même
très grave parfois) en terme de calomnies et fausses accusations dont ils sont victimes.
Dan Brown commet une erreur quand il considère que l’Opus Dei est un ordre
religieux et que ses membres sont des moines (tueurs). Il ne s’agit pas d’un ordre
religieux, mais plutôt un institut de vie apostolique, qui accueille aussi des laï cs en son
sein et qui n’est en rien hostile aux femmes.
22
A. ROLLIER, « Da Vinci code. Faut-il le mettre à l’Indexe », art. cit, in., Famille chrétienne, n°1419
(avril 2005), p. 10.
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3. La séduction d’une pseudo-vérité, ou un autre christianisme revu et
interprété par Dan Brown
L’œuvre de Dan Brown qui a la prétention de nous révéler un christianisme
caché (= ésotérique), que l’Eglise aurait fait disparaître depuis plus de deux milles ans,
est un autre « christianisme » que celui réellement voulu par le Christ pour son Eglise.
C’est un christianisme revu, corrigé et réinterprété par Brown pour des raisons
inavouées sur un plan ésotérique mais aussi sur un autre plan, celui du marketing.
Beaucoup l’ont présenté comme une sorte «d’anti-Bible ». On sait très bien que cette
œuvre se veut intentionnellement dirigée contre l’Eglise catholique. Selon Mgr. Di
Falco, Dan Brown « sème volontairement le doute sur les fondements de la foi
chrétienne et sur l’Eglise. A travers des affirmations péremptoires et farfelues, étayées
de prétendues recherches universitaires, l’auteur entreprend de démolir l’Eglise
catholique, qui serait coupable d’avoir dénaturé le message du Christ»23. Le succès de
cette œuvre prouve que, d’une certaine manière, Brown a atteint son objectif. Le Da
Vinci code est donc la séduction romanesque porteuse d’une pseudo-vérité sur le
Christ et sur l’Eglise. Cette anti-bible est aussi anti-Christ.
Le Da Vinci Code aura au moins apporté comme avantage pour les chrétiens de
se replonger sérieusement sur les raisons de leur foi et de prendre de nouveau position
pour le Christ. L’apôtre Jean, le disciple bien aimé, écrivait à la fin du premier siècle
de l’ère chrétienne cette exhortation riche d’actualité :
« Petits enfants, c'est la dernière heure, et comme vous avez appris qu'un
antéchrist vient, il y a maintenant plusieurs antéchrists : par là nous connaissons
que c'est la dernière heure. Ils sont sortis du milieu de nous, mais ils n'étaient pas
des nôtres ; car s'ils eussent été des nôtres, ils seraient demeurés avec nous, mais
cela est arrivé afin qu'il fût manifeste que tous ne sont pas des nôtres. Pour vous,
vous avez reçu l'onction de la part de celui qui est Saint, et vous avez tous de la
connaissance. Je vous ai écrit, non que vous ne connaissiez pas la vérité, mais
parce que vous la connaissez, et parce qu'aucun mensonge ne vient de la vérité.
Qui est menteur, sinon celui qui nie que Jésus est le Christ ? Celui-là est
l'antéchrist, qui nie le Père et le Fils. Quiconque nie le Fils n'a pas non plus le
Père ; quiconque confesse le Fils a aussi le Père » (1Jn 2, 18-23).
Puisse donc cette œuvre de Dan Brown nous provoquer à la manière d’un
avertissement ; et, puissions-nous être prêt en toute circonstance et devant quiconque
« à donner les raisons de l’espérance qui nous habite » (1P3, 15).
2323
J-M. DI FALCO LEANDRI, “Préface”, cit. in., A. WELBORN, ibid, p. 6.
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