Des origines du ski.2

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Des origines du ski.2
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Reprenons les évènements là où j’ai laissé le lecteur il y a quelques temps.
Année 1965, l’admission en Grande Ecole une fois acquise, me
voilà devenu Parisien, étudiant, fauché, ouvert à toute
opportunité, pourvu qu’elle soit à coût nul, pour qui donc les
aventures alpestres s’éloignaient pour un certain temps.
Je découvre dès la deuxième année l’existence des stages francoallemands à l’UNCM, l’UCPA d’aujourd’hui.
Ce brave général de Gaulle, réconcilié avec notre voisin de l’Est,
avait créé un office franco allemand pour rapprocher la jeunesse
des deux pays, muni d’un budget conséquent, qui offrait des
stages d’alpinisme, de ski … à un tarif imbattable, revenant Paris
Paris à peine plus cher que le budget de nourriture habituel.
J’ai ainsi réappris les bases du ski, les stations à l’époque
n’avaient rien des usines actuelles, le ski aux Grands Montets
était « ad libitum » à l’UNCM d’Argentières.
Seul investissement, une carte d’abonnement SNCF, pour assurer
pendant l’hiver par des Aller Retour judicieusement planifiés en
train de nuit, le minimum de présence stratégique à l’Ecole
Nationale des Ponts et Chaussées …
Il y a prescription !
Nous pouvions de plus bénéficier par le statut de l’Ecole des
chalets dits des Ponts et Chaussées, dans des stations comme Val
d’Isère, Briançon, Courchevel où nous avions droit en prime aux
forfaits de remontées gratuits, comme d’ailleurs les fils à papa
locaux … que nous enfoncions largement en dénivelée skiée à la
fin de chaque journée.
Cette activité forcenée, avec l’UCPA et entre copains, a bien sûr
relevé sensiblement mon niveau technique … je garde de certains
guides un souvenir ému, – plusieurs sont disparus tragiquement
trop tôt – eux qui m’ont communiqué leur passion du ski et de la
montagne.
Je faisais aussi en été de nombreux stages d’alpinisme.
Un jour de juin 1967, juin parce que les stages de début de saison
étaient financièrement bradés, j’étais à la Bérarde, atteint à pieds
depuis Venosc, par absence de moyen de transport individuel ou
en commun … bonne mise en jambes …
Cette journée reste gravée dans ma mémoire.
Nous nous traînions en crampons piolet dans les séracs du glacier
du Chardon, encore bien enneigé, quand trois skieurs passent
sous mes yeux et disparaissent dans un chuintement derrière une
moraine …
Qu’est ce que c’est que c’est que ça ?
Le guide m’explique que ça, c’est des « randonneurs à skis », qui
ont probablement gravi les Rouies, et en redescendent sur leurs
skis, que quelques stages de ce « ski de randonnée » existent dans
le programme UNCM, et que d’ailleurs c’est lui-même qui les
encadre.
Stupéfaction, un monde nouveau s’ouvre, cette apparition furtive
a de fait décidé de la suite de ma vie …. du moins en montagne.
En 1967, le ski de montagne était si confidentiel, que le catalogue
UNCM se résumait à un Chamonix Zermatt et un Nice Briançon,
et encore avec départs non garantis du fait du manque chronique
de volontaires.
Je réserve d’office le Chamonix Zermatt de l’année suivante, et
nous remplissons facilement l’effectif nécessaire avec les copains
de l’Ecole que j’ai peut être un peu forcés dans la démarche.
Fin avril 1968, une « 2 chevaux » hors d’âge nous mène jusqu’à
Chamonix, ce qui était une petite expédition, les seuls tronçons
d’autoroute se limitaient alors à Paris Fontainebleau et Auxerre
Avallon ( pourquoi ce bout de 2x2 voies en pleine pampa ?? ).
La première journée du raid consistait en une découverte
apprentissage de la randonnée, au terme de la quelle 20% des
impétrants étaient impitoyablement refoulés vers l’activité plus
conventionnelle de ski de piste au Grands Montets ….
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Le matériel fourni par l’UNCM était encore préhistorique, mis à
part les très modernes skis Aluflex, invention d’Emile Allais, les
premiers skis à structure métallique ( pas légers ! ), des
chaussures en cuir et lacets, des fixations de piste à câble, tendeur
avant avec une simple butée – pas un étrier qui aurait maintenu la
chaussure, que Silvretta n’avait pas encore inventé …
À la descente, le câble passe derrière le talon et dans des ergots
sur les chants du ski, la seule pseudo sécurité est la chute avant.
Pour la montée, il suffit de sortir le câble des ergots, ce qui libère
le talon, mais fait perdre tout maintient du ski, le câble au trajet
raccourci ne pouvant être correctement tendu, conserver les skis
aux pieds était l’objectif majeur de chaque montée.
Quant aux peluches, c’était encore des modèles à lanières en toile,
( 3 sur la longueur du ski, une par-dessus le talon à l’arrière, une
en boucle sur la spatule ), fragiles, dont la tenue latérale était
nulle, et qui laissaient libre court à la formation de sabots entre
Chamonix Zermatt, avril mai 1968
semelle et peau …
Je n’ai pas le souvenir de l’existence des couteaux.
Je vous laisse imaginer l’aventure qui s’en est suivi, - dieu merci,
la neige était fraîche et abondante, les glaciers encore fournis,
l’envers du col du Chardonnet se descendait sans problème à ski,
qui maintenant nécessite souvent un rappel.
Les refuges étaient encore si peu fréquentés que, tout en étant
gardés, il n’y avait pas de réelle contrainte de réservation,
l’ambiance n’en était que plus sympathique ….
Imaginez aussi la surprise qui fut la notre en rentrant vivants à
Paris avec la même « 2 chevaux «, après 8 jours coupés du monde
extérieur, et en arrivant début mai 1968 sur le Boulevard Saint
Michel où la guerre faisait rage !!
Ce raid sera le premier d’une longue série.
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Ayant débuté dans le monde du travail, je me rapprochais du CAF
Ile de France, dont le siège ( rue la Boétie ) était à deux pas de
mon bureau du Faubourg Saint Honoré, ce qui facilitait la
logistique des réunions du jeudi soir.
L’état des finances de la section permettait alors de participer à
toutes les activités sans devoir payer une double cotisation.
Très vite, un petit groupe de fanatiques se forme, qui – sur le
principe d’aller retours du Week End, permettant de concilier
travail et loisirs, allait écumer la montagne hivernale, avec
comme bible pour les Alpes Françaises, la série des « 100 plus
belles » de Philippe Traynard, suivies des « 101 » et « 102 »,
livres qui avaient comme avantage d’être mal reliés, donc un
allègement substantiel du sac en détachant les seules deux pages
qui servaient de topo : les bouquins en question prirent
rapidement le nom de « les 100 poubelles ».
L’obligation statutaire était de faire 50 jours de ski de rando par
saison, chiffre souvent dépassé.
Je rappelle aux jeunes d’aujourd’hui que l’époque dite des « 30
glorieuses « - malgré la toute fraîche révolution de Mai 1968,
signifiait aussi 4 semaines de Congés Payés, point barre : pas de
rallonges diverses, ni de RTT, etc ….
C’était donc un objectif ambitieux.
Mais aussi pas de prévisions météo, pas de BRA ni d’ARVA, pas
de GSM ni de GPS, pas d’emmerdes juridico-sécuritifs, - pas de
contrainte familiale -, le changement climatique n’ayant pas
encore été inventé, chaque saison commençait début novembre,
Traversée de la Corse, février 1971
souvent dans d’excellentes conditions et se terminait fin juin
voire début juillet … et la SNCF avait encore un réseau de trains
de nuit qui permettaient au départ de Paris, d’être quasi n’importe
où dans les Alpes – y compris en Suisse, – très tôt le samedi
matin, et de se retrouver à Paris le lundi vers 06h00, avec
possibilité de multi réservations de précaution dans diverses
directions envisageables, puis annulation le jeudi soir, sans frais,
de toutes sauf de celle retenue.
La difficulté était d’assurer dans les délais requis la continuité du
transport entre les gares d’arrivée et le fin fond des vallées
d’altitude, ce qui se résolvait à base de liaisons par cars locaux
encore assez développées, puis par taxi, puis par marche à pieds
… avant de recommencer en sens inverse le dimanche soir.
Nous avions fini par laisser une voiture ( bien commun ) dans une
gare stratégique, soit un précieux gain de temps et de logistique.
Le challenge était d’être le premier à avoir torché les 100 courses
de chaque livre …
La méthode était simple : on part léger, on fonce, et on rentre au
boulot le lundi matin.
Il arrivait parfois de rentrer à Paris sans même avoir chaussé les
skis, les prévisions nivo-météo n’étant pas un élément de décision
dans le programme !!
Il y eu la période « foie de morue », dont on avait découvert les
vertus énergétiques, le faible poids, peu d’encombrement, la
solidité des emballages métalliques, le coût raisonnable, et qui
était devenu la nourriture de base du Weekend.
Cabane des Vignettes, année 1968
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Dieu seul sait où ??
Le matériel s’améliorait peu à peu : au début des années 70,
apparurent les peaux à brides alu ( Vinersa ), à lugeons ( Trima ),
les premières fixations Silvretta à câbles - nécessité d’avoir au
moins un - sinon deux - câbles de rechange dans le sac, puis les
premières plaques ( Petzl ), dont la durée de vie du plastique ne
dépassait pas beaucoup celle des câbles, les couteaux Weber aux
lames latérales toujours difficiles à poser, mais très faciles à
perdre, la technique de la cordelette d’avalanche, dont l’évolution
ultime fut une coloration qui permettait de savoir de quel côté se
trouvait le copain enfoui, et donc de le chercher dans la bonne
direction.
Il fallu attendre le début des années 80 pour voir des progrès
définitifs, les peaux autocollantes, les chaussures à coques en
plastique, les fixations Dynafit, les textiles modernes – vraie
révolution à mon sens par rapport au coton / nylon et laine de
jadis – et pour les parisiens, un net recul avec la politique
commerciale déplorable de la SNCF qui nous a ouvert l’usage des
cars couchettes.
Le champ d’action du groupe s’élargit vers l’ensemble des Alpes.
A tout seigneur tout honneur, la première traversée perso fut
dédiée aux Alpes Maritimes, traversée Tende > Larche, ce devait
être l’année 1971, autour du 5/15 mai.
En autonomie complète - aucun refuge n’était alors gardé,
seulement les locaux d’hiver, voire en bivouac improvisé, dans
une solitude totale, même le vallon de Salèzes était vierge, et
méritait alors d’être considéré comme un des plus beaux des
Alpes, avec ses colonies de Tétras parmi les mélèzes.
Pas la peine d’aller explorer le Caucase pour se retrouver au
milieu de nulle part …
Ça a bien changé depuis, même avec le Parc National ( ou à cause
du ?? )
Traversée de tous les sommets, et surtout avec un enneigement
colossal, traversée qui sera répétée n fois sous toutes ses
variantes !!
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Années 1970 : une traversée des Alpes Maritimes – Qui reconnaîtra les lieux précis ??
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et ce refuge ??
À mi raid, nous avions prévu de descendre sur Valdieri pour
refaire des provisions : le vallon de la Lombarde était rempli
jusqu’au dernier verrou du bas d’avalanches monstrueuses qui
s’étaient superposées depuis chaque versant, 5 à 10 mètres
d’épaisseur sur des kilomètres, bien sûr encombrées d’arbres, de
rochers, et où des crevasses commençaient à s’ouvrir….
Nous avons déchaussé à mi mai à quelques hectomètres
seulement de la Stura … à moins de 900 m d’altitude.
À la première auberge du premier hameau, je pense en fait une
simple habitation où la mamie locale nous a accueillis, nous
avons dû pour commencer ingurgiter un kilog de raviolis chacun.
Vint ensuite une traversée Nord Sud de la Corse, rarement
réalisée à l’époque, écourtée en ce qui me concerne du fait d’un
virage mal venu dans la dernière plaque de neige pourrie, résultat
une vilaine entorse du genou droit, trois jours ( et deux bivouacs )
à me traîner en sautillant sur une jambe pour arriver à Corte …
Pas d’hélico, ni d’IRM ou d’opération des croisés : 10 semaines
plus tard, je reprenais la randonnée par un raid en Oisans …
Puis, au gré des disponibilités des uns et des autres, toutes les
classiques des Alpes, les premiers voyages en Europe, ….
les premières expéditions lointaines, Spitzberg, Groenland,
Himalaya …
Valnontey, Biv Leonessa, Becca di Montandayne, Glacier de la Tribolazione, Cresta Gastaldi, Fenètre de roc, Glacier de Laveciau,
Chabot, Fenêtre du Tsasset, Colle del Herbetet, Eaux Rousses
Pour ceux qui y retourneraient, prévoir un rappel pour la descente : le retrait glaciaire a fait son œuvre !!
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Bien des aventures, heureuses ou malheureuses … dont ne subsistent que d’incertains souvenirs.
Un dimanche après midi, les copains achevant une traversée du
Finsteraarhorn en Oberland,
se heurtent au problème du lac du Grimsel, très encaissé.
Par mesure de simplicité et de rapidité ( apparentes ), pressés pour
ne pas rater l’enchaînement des moyens de transport retour, ils
décident - plutôt que de le contourner- de le traverser au plus
court : les voila pagayant assis sur un mini iceberg, les skis en
guise de rame et de gouvernail, luttant contre un vent contraire,
avec l’angoisse de couler sur leur glaçon fondant ….
Un week end en Oisans, couloir Maximin, puis la tête de
Lauranoure.
Nous étions deux, mon copain tordait un peu ses boyaux et s’était
arrêté dans le couloir final. Je continue seul dans l’ombre jusqu’à
la brèche, une brèche étroite en demi lune, skis sur le sac pour
terminer. Je plante le piolet sur la tâche de soleil sur l’arête, un
léger frémissement, devant mon nez depuis le petit trou de
l’ancrage du piolet se détache une plaque qui emporte l’intégralité
de la pente, un joli triangle, 300 m de haut, autant de large, saute
la barre qui ferme le couloir à sa base, et s’arête 600 m plus bas.
Heureusement, le pote s’était mis à l’abri au soleil complètement
sur le bord de la rive gauche, et a vu passer le convoi à quelques
mètres de ses pieds …
La redescente à skis a été psychologiquement ardue !!
Week end du 2 et 3 décembre 1972, en Haute Maurienne.
Dôme de l’Albaron, par le Grand Fond, départ à skis de Bessans,
avec un bivouac vers 2500 m dans une ruine à ciel ouvert. Nous
sommes quatre, il fait très beau, un peu de vent, mais surtout une
impression de froid intense, qui se confirmera dans notre trou à
rat : tout gèle, la nourriture, pain, saucisson, fromage, conserves,
… tout est dur comme la pierre … , le gaz ( à l’époque pas de
propane !! ), par chance, nous avions deux réchauds Bleuet que
nous superposions alternativement l’un sur l’autre, afin que la
petite flamme de celui de dessous dégèle la cartouche de celui de
dessus, etc.
La première et seule gamelle d’eau chaude teintée de potage
tomate que nous arrivons ainsi à produire échappe des moufles de
son porteur et se répand au sol ….
La mort dans l’âme et le ventre creux nous préférons aller nous
couche
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Sur le glacier de la Tribolazione, face sud du Grand Paradis
Oisans, Glacier Courbe
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Notre équipement est assez sommaire, rien à voir avec ce qu’on
aurait aujourd’hui, nous portons sur nous tout ce qui peut faire
fonction d’isolant thermique, puis décidons de dormir à deux dans
les duvets mis en double.
La nuit fut dure, et au petit matin, nous préférons partir
rapidement pour tenter de nous réchauffer, tandis que nos épouses
restent dans leur duvet.
Nous arrivons ainsi au sommet, le vent s’est levé en altitude, le
ressenti est atroce, l’impression de progresser non dans de l’air,
mais dans une masse liquide …
Retour aussi rapide que possible à Bessans, où le café chaud du
bistrot nous requinque les extrémités, il n’y a pas eu de gelures.
Le patron nous demande si on n’a pas eu un peu froid, car il a
enregistré ( -28 ° ) devant sa porte …
On n’a pas trop su quoi lui dire … combien pouvait il faire la
haut ??
A posteriori, je pense avoir pris dans cet épisode un risque
majeur !
Carl dans le couloir Davin
Quelle est cette rivière ??
Et où se trouve ce blockhaus ??
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Un week end de décembre, dans le Valais suisse, au dessus de Nax
Les conditions sont très mauvaises, mais puisqu’on est sur place
… et qu’on a réservé une sorte de chalet d’altitude, à la limite de
la forêt … tout beau tout propre, tellement que le propriétaire un
peu méfiant va monter le soir pour s’assurer de notre
comportement …
Au petit matin, c’est la tempête, nous sortons quand même et
atteignons un premier col.
Petite halte, de l’autre côté s’étend un vaste cirque, et notre
objectif est tout au fond.
Je ne me rappelle plus qui a chaussé les skis le premier, mais il
n’a pas fait 10 mètres !
Une fissure s’ouvre devant ses spatules, progresse le long des
rochers, à l’horizontale, et toute la montagne, peut être deux
kilomètres, part dans une gigantesque avalanche …
Autant dire qu’on est vite rentré se mettre à l’abri dans notre
refuge …
D’autres auront eu moins de chance ce jour là, vers les Dents du
Midi, un dramatique accident va endeuiller le groupe.
Des personnages hauts en couleurs :
L’inoubliable Sous Préfet,
Un vrai Sous Préfet en poste dans une vraie localité proche de la
frontière Suisse, - je tairais son nom et le lieu précis, paix à son
âme – qui à force de déserter les week ends, même lorsque un
chef lui rendait visite, ou qu’un imprévu aurait nécessité sa
présence officielle – avait fini par se faire déplacer d’office dans
la plus lointaine sous préfecture de Bretagne …
Le Sous Préfet avait comme particularité, outre une capacité
physique hors du commun, d’être adepte de partis politiques « à
la droite de l’extrême droite » : il ne pouvait s’empêcher de
chanter à tue tête les classiques de la dernière guerre, ce qui nous
posait parfois de sérieux problèmes relationnels, au point de
devoir l’isoler du groupe dès que nous n’étions plus seuls dans la
montagne …
Un jour en remontant à pieds le long d’une route d’un col suisse
ouverte à la circulation, il s’arrête, pose son sac, admire le
panorama en soulageant sa vessie dans la prairie pleine de petites
fleurs. Passe une voiture de police, qui s’arrête et lui signifie qu’il
est passible d’une amende de 20 FS pour pollution.
Mon jardin secret, Face Nord de la petite Ciamarella
« Venez, venez, les copains, profitez en aussi, c’est un forfait,
c’est moi qui offre «, nous lance t il.
Les flics n’ont pas du tout apprécié la plaisanterie, et il s’est
retrouvé en garde à vue, dont il a eu du mal à sortir avant 24
heures, malgré les interventions discrètes faites depuis la France.
Et le pote dont seul subsiste le sobriquet « Putaing Cong ».
Son travail de chef de poste à Tricastin lui permettait en se
spécialisant dans les heures de nuit, de récupérer un nombre
impressionnant de jours de congés, qu’il consacrait à la rando à
ski, très souvent en solitaire.
Doué d’une tchatche illimitée, et d’un accent méridional à faire
pâlir un marseillais de troisième génération - d’où son surnom – il
alimentait les journées de monologues interminables, que l’on
ranimait insidieusement en émettant un borborygme tous les quart
d’heure, ce qui suffisait à les rendre éternels.
Ses mauvaises habitudes de skieur solitaire, même en collective,
le conduisaient trop souvent à prendre des risques inconsidérés, si
bien qu’on a du se résoudre à prononcer une peine d’exclusion.
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Une pensée pour une autre figure, Michel Germaneau,
dit « la grand-mère », dont le surnom tenait non pas tant à son âge
réel qu’à celui qu’on pouvait lui attribuer au vu de son
apparence : dépourvu de cheveux avant l’heure, souffrant de
rhumatismes précoces, il avait trouvé la solution en se faisant
enlever toutes ses dents - en une seule fois, pour gagner du temps.
Son métier aussi un peu spécial, lui permettait de passer la moitié
de l’année dans les îles du Pacifique, du côté des atolls où la
France faisait péter la bombinette.
Il faut bien admettre que la pénibilité de son activité méritait
effectivement les 6 mois de congés payés annuels dont il
bénéficiait ensuite ....
La grand mère avait le cœur sur la main, et donnait aussi dans
l’humanitaire. Il a eu une fin tragique, il n’y a pas si longtemps,
en 2010, pris en otage par les premiers terroristes d’AQMI dans le
désert du Niger, il y a été exécuté et son corps n’a jamais été
retrouvé.
Le temps qui passe fait aussi son œuvre.
J’ai perdu le carnet manuscrit sur le quel je notais alors scrupuleusement mes courses, oublié dans la cabine téléphonique de La Grave, ce
qui me désolera pour toujours.
Peu de photos subsistent ( argentique ! ) , et encore moins reproductibles, ou conservées en bon état.
Les exploits de l’époque seraient aujourd’hui considérés comme plus ordinaires, quoi que … il n’y a pas à en rougir.
Les vénérables anciens, les précurseurs, les Jacques Rouillard, Daniel Duchesne, mon maître, ont progressivement laissé la place à la jeune
génération, dont la technique à skis est d’un autre temps ….
Certains de notre groupe nous ont quittés prématurément, amis chers disparus dans l’éblouissement de leur passion, ou qui n’ont pu
supporter l’usure physique et la dégradation de l’âge.
Nombreux ont du composer avec les obligations professionnelles, familiales, l’éloignement, les problèmes de santé.
Quelques uns ont traversé les épreuves jusqu’à ce jour …
Pour moi, dix années sans chausser les skis, entre les chantiers en Afrique, ceux dans le Cotentin, la Haute Normandie, et le Nord Pas de
Calais …
Une dure reprise après autant d’inactivité … qui se dilue maintenant avec le délabrement progressif de l’être humain …
Peut être écrirai je un jour une suite à ce deuxième épisode, qui sait ?
Jean Jacques Bianchi
Photos
JJB et Pierre Meunier

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