Booklet-LL_BAT OK.indd - Louvre-Lens

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Booklet-LL_BAT OK.indd - Louvre-Lens
EXPOSITION / 28 MAI 2014 - 1ER JUIN 2015
30
ANS
D’ACQUISITIONS
EN NORD-PAS DE CALAIS
CARTE BLANCHE
AUX MUSÉES DE LA RÉGION
L’exposition
Liste des prêteurs
Commissariat
Philippe Gayot, Conservateur des musées de la Porte du Hainaut,
Président de l’Association des conservateurs des musées du
Nord-Pas de Calais
Luc Piralla-Heng Vong, Conservateur du patrimoine,
chef du service conservation du musée du Louvre-Lens
Arras, Musée des Beaux-Arts
Boulogne-sur-Mer, Musée
Calais, Cité internationale de la dentelle et de la mode
Denain, Musée municipal
Douai, Musée de la Chartreuse
Dunkerque, Musée des Beaux-Arts
Dunkerque, Musée portuaire
Gravelines, Musée du dessin et de l’estampe originale
Le Cateau-Cambrésis, Musée départemental Matisse
Lewarde, Centre historique minier
Lille, Musée d’histoire naturelle
Lille, Palais des Beaux-Arts
Roubaix, La Piscine – Musée d’art et d’industrie André Diligent
Saint-Amand-les-Eaux, Musée de la tour abbatiale
Saint-Omer, Musée de l’hôtel Sandelin
Valenciennes, Musée des Beaux-Arts
Villeneuve d’Ascq, LaM – Lille Métropole musée d’art moderne,
d’art contemporain et d’art brut
Assistés de Germain Hirselj, historien de l’art
Scénographie
[A]FL // Architecture Frédéric Lebard
En charge : Mathieu Naccarato
Musée du Louvre-Lens
Président : Jean-Luc Martinez
Directeur : Xavier Dectot
Administratrice générale : Catherine Ferrar
Chef du service conservation : Luc Piralla
Chargée de recherche et d’exposition : Anne-Sophie Haegeman
Médiation : Juliette Guépratte et son équipe
Délégué maîtrise d’ouvrage : Rémi Miquet
Cadre juridique : Audrey Cieniewski
Régie des oeuvres : Raphëlle Baume, Caroline Chenu
et Marie-Clélie Dubois
Mise en page et conception graphique du livret :
Charles-HilaireValentin
Iconographie : Élodie Couécou
Cette exposition bénéficie du soutien
de la Caisse d’Epargne Nord France Europe
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Liste des auteurs
Laetitia Barragué-Zouita, Conservateur du patrimoine, département du Moyen Âge et de la Renaissance au Palais des
Beaux-Arts de Lille
Fabien Dufoulon, Médiateur au musée du Louvre-Lens
Anne Esnault, Directrice du musée des Beaux-Arts d’Arras
Philippe Gayot, Conservateur des musées de la Porte du Hainaut, Président de l’Association des conservateurs des musées
du Nord-Pas de Calais
Sophie Henwood-Nivet, Responsable du service des collections à la Cité internationale de la dentelle et de la mode de Calais
Germain Hirselj, Historien de l’art
Judith Pargamin, Conservatrice du musée d’histoire naturelle
de Lille
Luc Piralla-Heng Vong, Conservateur du patrimoine, chef
du service conservation du musée du Louvre-Lens
Céline Ramio, Directrice du musée de Boulogne-sur-Mer
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Grand Mécène Bâtisseur Louvre-Lens, la Caisse d’Epargne
Nord France Europe parraine l’exposition « 30 ans d’acquisitions
en Nord-Pas de Calais ».
Fidèle à sa vocation de Banque régionale investie sur ses territoires, la Caisse d’Epargne s’associe à cet ambitieux projet qui
valorise le travail des musées de la région dans leurs recherches,
acquisitions et rénovations d’œuvres. En effet, ce travail de sélection des œuvres est primordial dans l’organisation et la cohérence des collections et des expositions d’un musée. La Caisse
d’Epargne accompagne cet important travail d’investissement
dans le prolongement de son partenariat des réserves visitables
du Musée.
Banque régionale coopérative, forte de 350 000 sociétaires, la
Caisse d’Epargne Nord France Europe, grâce à son réseau de
260 agences et de ses centres d’affaires, accompagne et finance
les clients particuliers et professionnels, les entreprises, les collectivités territoriales ainsi que les acteurs de l’économie sociale
et du logement social.
Philippe Lamblin
Le Nord-Pas de Calais est une région riche de ses musées, de
par leur densité mais surtout de par le nombre et la diversité de
leurs collections. Dès son ouverture, le Louvre-Lens a voulu en
témoigner notamment à travers les expositions du Pavillon de
verre ; une volonté aujourd’hui renforcée, cet espace étant désormais entièrement consacré à la mise en valeur du patrimoine
artistique et muséal régional.
Première exposition de cette nouvelle orientation, « Carte
blanche aux musées de la région » veut mettre l’accent sur un
aspect à la fois connu et souvent incompris de la vie des musées,
l’enrichissement des collections, en mettant en lumière trente ans
d’acquisitions. C’est l’occasion de souligner le dynamisme des
musées, soutenus par leurs collectivités, par l’État, par la Région
Nord-Pas de Calais et par de nombreux mécènes. Qu’elles représentent la richesse du territoire, un patrimoine national et international ou la fascination pour l’ailleurs, ces acquisitions sont venues
renforcer les musées de la région, souvent de chefs-d’œuvre
remarquables. Bien sûr, ces acquisitions étaient trop nombreuses
pour être toutes présentées ici, mais les commissaires, Philippe
Gayot et Luc Piralla, sont parvenus, à travers une sélection rigoureuse et fine, à en refléter toute la force.
Président du Conseil d’Orientation et de Surveillance
Alain Denizot
Président du Directoire
Et si les mécènes sont essentiels aux acquisitions des musées,
ils le sont aussi à l’organisation des expositions, et c’est aussi ici
l’occasion d’exprimer la reconnaissance du Louvre-Lens à la
Caisse d’Epargne Nord France Europe, partenaire fidèle du musée depuis l’époque de sa construction.
Xavier Dectot
Directeur du musée du Louvre-Lens
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Avant-propos
Les musées se définissent par les collections qu’ils conservent
et valorisent et qu’ils ont le devoir d’enrichir et de compléter. Pour
ce faire, ils peuvent bénéficier de dons, de legs ou acheter des
œuvres auprès de particuliers, de marchands ou directement en
vente publique. L’exposition présente dix-sept achats réalisés ces
trente dernières années particulièrement révélateurs du dynamisme, de la diversité et de la richesse des musées de la région.
L’entrée d’un bien dans les collections publiques a des conséquences importantes sur son statut, l’objet ne peut notamment
plus être vendu, il devient inaliénable. Dès lors, si un musée
souhaite acquérir une œuvre, il doit soumettre un dossier à une
commission scientifique qui valide ou non la pertinence de l’acquisition au regard de la cohérence des collections. L’exposition
souhaite montrer aux visiteurs comment s’articule cette cohérence scientifique dans les différentes collections régionales autour de trois thématiques constantes des politiques d’acquisition
muséales : le rapport immédiat au territoire, la tentation encyclopédique de toute collection et enfin l’attrait de l’autre, de l’ailleurs
et du lointain.
Chaque œuvre présentée est à la fois révélatrice de la collection qu’elle a enrichie mais permet surtout de constater que la
région est un formidable terreau d’artistes, de savants et de collectionneurs et que son histoire a passionné bien au-delà de son
territoire. Les collections régionales ne se limitent pourtant pas à
l’art, elles bénéficient aussi des techniques et savoir-faire qui s’y
sont épanouis et de l’ouverture sur le monde qui la caractérise.
Jehan de Bellegambe
Sainte Barbe (détail), vers 1509
Huile sur bois, 87 × 29 cm
Douai, musée de la Chartreuse
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Collections régionales :
collections locales ? Terreau d’identité, le musée rassemble prioritairement des collections en rapport avec son territoire et ses habitants. Il conserve
ainsi naturellement des œuvres des enfants du pays, soit parce
qu’ils y sont nés ou y ont un ancrage affirmé. Le Nord-Pas de Calais peut ainsi s’enorgueillir d’avoir vu naître de grands créateurs
comme Matisse, Carpeaux, Herbin ou Bellegambe.
Les artistes ne sont pas les seuls à rendre compte d’un territoire, les savoir-faire artisanaux ou industriels sont également
caractéristiques et trouvent aussi leur place dans les collections
muséales : Calais consacre ainsi une cité à la dentelle qui a fait sa
puissance.
Les collections mettent également en valeur l’histoire locale
grâce à des œuvres représentant le territoire ou des évènements
qui s’y sont produits par des artistes qui n’ont pas toujours de
liens avec lui : par exemple des œuvres remarquables sur l’histoire de la mine et de la sidérurgie.
P. 10 – Portrait du docteur Batailhé, Jean-Baptiste Carpeaux
P. 12 – Sainte Barbe, Jehan de Bellegambe
P. 14 – Femme à la Gandoura bleue, Henri Matisse
P. 16 – Union, Auguste Herbin
P. 18 – Intérieur aux barres de soleil, Henri Matisse
P. 20 – Robes du soir
P. 22 – La Remontée au jour des revenants de Courrières,
František Kupka
P. 24 – Allégories de la Mine et de la Sidérurgie, Lucien Jonas
P. 26 – Saint Pierre repentant, Gérard Seghers
Auguste Herbin
Union (détail), 1959
Huile sur toile, 146 × 114 cm
Le Cateau-Cambrésis, musée départemental Matisse
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Collections régionales : collections locales ?
Collections régionales : collections locales ?
Portait du docteur Batailhé Jean-Baptiste Carpeaux (1827-1875)
Vers 1874
Huile sur toile, 40 x 32 cm
Valenciennes, musée des Beaux-Arts, inv. 2011.4.1
Acquis en 2011 avec le soutien du FRAM
C
e petit tableau est l’œuvre de Jean-Baptiste Carpeaux. Il
témoigne des talents multiples du grand sculpteur valenciennois et de son rapport si particulier à la peinture. « Tu
aimes la peinture et moi je l’adore » écrivait-il à son ami peintre
Bruno Chérier (lettre du 30 septembre 1864). Carpeaux peignait
comme il modelait la terre, avec une vivacité et une spontanéité
inégalées. Brossé à grands traits vigoureux, dans une gamme
de tons terreux, le visage du docteur Batailhé semble surgir de
l’ombre pour mieux nous considérer, le front en avant, le regard
grave, comme suspendu dans un moment d’intimité.
De fait, la pratique de la peinture s’inscrit pour Carpeaux dans
le cercle des intimes. Comme le rappelle le catalogue de la rétrospective « Carpeaux peintre » présentée en 1999/2000 au musée
des Beaux-Arts de Valenciennes, les portraits, qui forment environ un tiers de son œuvre peint, représentaient essentiellement
les membres de sa famille ou ses amis proches. Ces œuvres, que
l’artiste réalisait pour lui-même, ne furent jamais exposées de son
vivant.
Le docteur Batailhé était le médecin et l’ami de Jean-Baptiste
Carpeaux. C’est lui qui le guérit d’une grave infection des yeux
en 1855, lui qui l’initia à la science de l’anatomie si chère au sculpteur, lui encore que Carpeaux agonisant appela à son secours en
1874. Le médecin vint depuis le Sud de la France jusqu’à Paris où
l’artiste résidait. C’est à cette occasion que Carpeaux peignit son
portrait, quelque dix ans après avoir sculpté son buste (ci-contre).
Au cours de la même année 1874, le médecin mourut, précédant
de quelques mois le départ du sculpteur. Le portrait passa alors
dans la collection du peintre Bruno Chérier, autre artiste valenciennois et grand ami de Carpeaux.
Germain Hirselj
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Jean-Baptiste Carpeaux
Le Docteur Batailhé
plâtre original, H. : 46,5 cm
Musée des Beaux-Arts de
Valenciennes, inv. S92-22
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Collections régionales : collections locales ?
Collections régionales : collections locales ?
Sainte Barbe Jehan Bellegambe (1470-1534)
Vers 1509
Huile sur bois, 87 × 29 cm
Douai, musée de la Chartreuse, inv. 2011.1.1
Acquis en 2011 avec le soutien du FRAM
L
es collections municipales de Douai, installées depuis 1958
dans l’ancien couvent des Chartreux, comprennent un certain nombre d’œuvres majeures du patrimoine local. C’est
notamment le cas de deux grands retables provenant d’abbayes
des environs de la ville. Le polyptyque de la Trinité est commandé
par Charles Coguin, abbé d’Anchin, à Jehan Bellegambe vers 1515.
Son exemple est suivi quelques décennies plus tard par Jacques
Coëne, abbé de Marchiennes ; il s’adresse à Jan Van Scorel qui
réalise un grand polyptyque des scènes de la vie de saint Jacques
et de saint Étienne vers 1540. Si le choix de ce peintre d’Utrecht
est relativement difficile à expliquer – on a songé à une recommandation de celui-ci par Georges d’Egmont, évêque d’Utrecht
et abbé de Saint-Amand – celui de Jehan Bellegambe paraît en
revanche beaucoup plus évident.
L’artiste est en effet né à Douai vers 1470. Fils d’un menuisier
de la ville, il complète sa formation dans l’un des foyers de l’art
flamand, Bruges ou Gand ; certains historiens ont envisagé également un passage dans l’atelier de Simon Marmion à Valenciennes.
On lui attribue aujourd’hui avec certitude une vingtaine d’œuvres,
provenant essentiellement de la région de Douai et Arras. Le
musée de la Chartreuse conservait déjà quatre d’entre elles.
Outre le polyptyque de la Trinité, entré dans les collections après
la Première Guerre mondiale, étaient présentés deux volets d’un
ensemble consacré à l’Immaculée Conception et deux panneaux
isolés. L’acquisition de Sainte Barbe par le musée en 2011 s’inscrit
donc dans une logique visant à mettre en avant la personnalité
de cet artiste local, au même titre que celle des Douaisiens Jean
Boulogne, Alexandre Descatoire ou Henri-Edmont Cross, dont le
musée expose plusieurs œuvres.
Le panneau porte les armoiries de Charles Coguin qui l’aurait
commandé après sa nomination à la tête de l’abbaye d’Anchin en
1508. Avec le triptyque du Bain mystique (Lille, Palais des BeauxArts) dont il serait contemporain, il atteste des liens entre l’abbé
et l’artiste avant même la commande du polyptyque de la Trinité.
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Le Portrait de l’abbé Charles Coguin en prière (New York, Metropolitan Museum of Art, inv. 32.100.125) est aujourd’hui considéré
comme le revers du panneau de Douai, qui semble bien être la
face externe du volet gauche d’un petit triptyque portatif.
Fermé, celui-ci était le support de deux figures en grisaille.
Sainte Barbe est reconnaissable à la palme de martyre et à la tour
percée de trois fenêtres – allusion à la Trinité – dans laquelle son
père l’avait enfermée. La sainte était particulièrement vénérée
dans la région. Elle devait faire face à un autre personnage, peutêtre sainte Catherine ou saint Étienne ; les trois saints sont en
effet rassemblés sur le volet intérieur droit du polyptyque de la
Trinité. L’utilisation de la grisaille montre l’intérêt du peintre pour
l’art des primitifs flamands, et notamment de Jan Van Eyck. C’est
seulement dans les décennies suivantes que l’influence du maniérisme anversois se fait plus nette, ce dont témoigne le Martyre de
sainte Barbe (inv. 989.4) peint par Jehan Bellegambe en 1528 et
acquis par le musée en 1989. Le rassemblement des deux œuvres
à Douai permet ainsi de mieux saisir, autour d’une même figure de
dévotion, son évolution stylistique.
Fabien Dufoulon
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Collections régionales : collections locales ?
Collections régionales : collections locales ?
Femme à la gandoura bleue
Henri Matisse (1869-1954)
1951
Huile sur toile, 81 x 65 cm
Le Cateau-Cambrésis, musée départemental Matisse, inv. 1992-9
© Succession H. Matisse
Acquis en 1992 avec le soutien du FRAM
Exposé du 27/01/15 au 08/06/15
P
einte en décembre 1951 à Nice, la Femme à la gandoura
bleue est l’ultime huile sur toile peinte par Matisse. Il a 82 ans
et cette œuvre intervient à une période où sa santé lui permet difficilement d’entreprendre une peinture. Il troque alors ses
pinceaux pour des ciseaux et retrouve le plaisir d’une nouvelle
pratique artistique à travers la découpe de papiers gouachés, harmonieusement assemblés, qu’il expérimente pour l’album Jazz et
pour la chapelle du Rosaire à Vence.
Quatre ans donc que Matisse n’avait pas repris les pinceaux, ses
dernières peintures – la série des « ateliers » – datant de 1947-1948.
L’artiste, dont on admirait le trait et la richesse des couleurs sur
la toile, s’est alors voué corps et âme à ses papiers gouachés, et
la Femme à la gandoura est le témoignage ultime de sa pratique
picturale à cette époque. C’est Katia, une Suissesse, qui servit
de modèle et qui posa pour la toile. Louis Aragon en témoigne :
« Depuis le mois d’octobre 50, de nouveaux modèles envahissent
l’œil matissien. L’un d’eux, on l’appelait d’abord "Carmen", puis le
peintre a préféré pour lui, pour elle, le nom de "Katia", parce qu’à
son goût cela va mieux à une femme blonde. Toute une série de
grandes femmes qui auraient pu être des "platanes", bien que,
seule, Katia-Carmen porte ce nom pour Matisse, "Le Platane" ». Il
peindra alors deux portraits de Katia ; ses deux dernières peintures. Aragon poursuit : « Un jour de l’an 51, parce que "Le Platane"
aura revêtu, à son tour ledit peignoir, nous apprendrons que c’était
à nouveau une gandoura, "la gandoura bleue" qui donnera son nom
au tableau où Katia-Carmen prend couleur. » Cinq ou six séances
suffirent à révéler sur la toile le visage épuré du jeune modèle. Les
formes y sont dessinées directement par la couleur, intense, et la
figure, brossée à grands coups de pinceau. Le geste pictural, vigoureux et spontané, apparaît ici totalement libéré. L’artiste, comme
souvent, a habillé son modèle d’une tunique empreinte d’exotisme
dont les motifs et les coloris animent la surface de la toile.
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Cette acquisition faisait suite à une série de dons, consentis
par la famille Matisse, qui avaient pour ambition d’enrichir le premier musée monographique consacré au peintre, qui demeurait
encore pauvre en peintures, pour être pleinement représentatif
de son œuvre. Son achat, tel un symbole fort, intervient en 1992,
l’année même où le musée se voit départementalisé. Réalisée
un an avant que Matisse ne décide de la création d’un musée,
à la demande des habitants de la ville où il a vu le jour, et qu’il
ne consente à le doter de 82 œuvres, la Femme à la gandoura
est venue enrichir un fonds qui n’a cessé de croître. La collection
était installée depuis 1982 dans le palais Fénelon, construit au 18e
siècle par les archevêques de Cambrai, avant que le lieu n’amorce
sa métamorphose et ne devienne un palais de la culture rénové,
agrandi et modernisé entre 1999 et 2002, qui offre aujourd’hui un
ensemble de référence dédié à l’une des figures majeures de l’art
du 20e siècle.
Germain Hirselj
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Collections régionales : collections locales ?
Collections régionales : collections locales ?
Union
Auguste Herbin (1882-1960)
1959
Huile sur toile, 146 × 114 cm
Le Cateau-Cambrésis, musée départemental Matisse, inv. 1994-1
Acquis en 1994 avec le soutien du FRAM
Exposé du 16/09/14 au 27/01/15
S
i le musée du Cateau-Cambrésis est devenu l’un des hautslieux de l’œuvre du peintre Henri Matisse, il compte parmi
les donations historiques celle consentie par Auguste
Herbin en 1956, qui comprenait vingt-quatre peintures, dessins
et sculptures. Le musée est à la tête depuis, du plus important
ensemble consacré au peintre conservé en France.
Natif de Quiévy, village proche du Cateau où il passa sa jeunesse, Herbin est considéré comme l’un des pères de l’abstraction
géométrique. Depuis ses débuts postimpressionnistes, en passant
par des toiles fauves, puis cubistes, Herbin rompit en 1926 avec la
figuration, dans une démarche libérée de toute référence à l’objet.
Remarquable par ses dimensions, Union est l’illustration parfaite de
l’alphabet plastique qu’Herbin met en place au début des années
1940. Il cherche en effet les grandes lois qui peuvent régir sa création, nourri des écrits de Goethe et du philosophe Rudolf Steiner.
La peinture, posée en aplat lisse couvrant des formes géométrisées, est créée à partir du mot qui la titre. Un jeu de correspondances s’établit alors entre formes géométriques et couleurs, notes
de musique et lettres de l’alphabet, qui composent la toile. Il atteint
cet Art non-objectif, non-figuratif – du nom du recueil publié en
1949 – qu’il a poursuivi sa vie durant, une recherche de la dimension
universelle de la peinture, avec la géométrie comme base de tout.
Depuis la donation originelle, le musée Matisse s’est donné
pour ambition d’enrichir la collection Herbin, en particulier à
l’égard des périodes de sa vie artistique, qui n’y sont que peu
ou pas représentées. En effet, à l’époque de l’achat de la toile
Union, le musée ne possédait aucune œuvre de la maturité de
l’artiste, généralement considérée comme l’aboutissement de son
travail. Il s’est depuis imposé comme le lieu de référence consacré à l’œuvre d’Auguste Herbin, y ayant en particulier consacré la
première rétrospective en 1994 et une exposition en 2012, la plus
importante jamais conçue.
Germain Hirselj
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Collections régionales : collections locales ?
Collections régionales : collections locales ?
Intérieur aux barres de soleil
Henri Matisse (1869-1954)
1942
Huile sur toile, 78 × 50 cm
Le Cateau-Cambrésis, musée départemental Matisse, inv. 1995-5
© Succession H. Matisse
Acquis en 1995 avec le soutien du FRAM
Exposé du 28/05/14 au 16/09/14
O
n connait l’attachement de Matisse à la ville de Nice. Depuis 1917, il y passe le plus clair de son temps, louant des
villas ou séjournant dans des hôtels en bord de mer. En
1938, il s’installe à l’Hôtel Régina. Il vient en effet d’acquérir deux
appartements au troisième étage de cet ancien palace. Situé sur
la colline de Cimiez, il avait été construit pour accueillir les riches
clients hivernants – la colonie anglaise et la Reine Victoria en particulier – sur la Riviera française. C’est désormais dans ce vaste atelier que l’artiste poursuivra son œuvre, entrecoupé d’aller-retours
à Vence, jusqu’à son décès en 1954, et qu’il y réalisera la plupart
de ses derniers chefs-d’œuvre. Pour Aragon, Matisse représente
pendant l’occupation et la tragédie de la guerre, « la liberté française qui n’est pareille à aucune autre ».
L’Intérieur aux barres de soleil représente cet appartement du
Régina. Tels les moucharabiehs marocains, les grands panneaux
rouges et blancs – des étoffes aux motifs de fleurs d’hibiscus, de
tiaré et de feuilles que l’artiste a rapportées de Tahiti – animent
l’œuvre par leur verticalité, comme l’animent tout autant les volets
des fenêtres. Le motif de la fenêtre traverse en effet l’œuvre de
Matisse de bout en bout, ici suggérée par les volets par lesquels
la lumière irradie littéralement la toile, loin de l’austère rigueur de
la Porte-fenêtre à Collioure de 1914. Elle rayonne sur le sol, sur
la sellette couronnée d’un vase de fleurs, et surtout sur la figure
féminine assise dans un fauteuil, le visage littéralement mangé par
le soleil méditerranéen. Matisse avait adressé une note à l’attention du propriétaire du tableau : « Je recommande aux futurs
possesseurs de ce tableau de ne jamais avoir l’idée de colorier le
personnage assis dans le fauteuil. Tel quel, il a sa couleur, voulue
par moi, suggérée par l’effet d’optique, résultant de l’ensemble des
couleurs du tableau. » La toile apparaît comme l’annonce de la
série des intérieurs rouges des années 1947-1948, série incandes18
cente qui sera exposée en 1949 au Musée national d’Art moderne.
Cette toile clôt une série de cinq tableaux sur le thème de jeunes
femmes assises dans un intérieur devant une fenêtre, peints en
1942. Elle se démarque des autres par un geste spontané et libéré,
et un cadrage sensiblement différent qui met en valeur le lieu luimême bien plus que le modèle. Aragon écrivit, dans son fameux
Roman, à propos de cette œuvre : « Ici, l’audace de la couleur
dépasse à mon sens les sœurs en question. Tout ce qui était ailleurs description devient ici simple rappel, indication des choses »,
ajoutant « Ce sont des toiles comme cela qui font comprendre
que les audaces ultérieures ne sont en rien des improvisations,
mais la suite naturelle de longues méditations sur la couleur et
la lumière, lesquelles remontent à l’époque fauve, et même audelà, aux premières recherches de l’auteur. »L’œuvre fut achetée à
Matisse en 1945 par Lydia Delectorskaya, auprès de qui le musée
l’a acquise. Rencontrée en 1932, elle accompagnera les dernières
années de l’artiste en tant que secrétaire, aide d’atelier et modèle.
Germain Hirselj
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Collections régionales : collections locales ?
Collections régionales : collections locales ?
Robes du soir
Calais
Robe du soir, vers 1926 (à gauche)
Dentelle Algues Marines, Fantaisie Moderne des établissements Merlen,
Bodart et Ball
Création du motif : Henry Ball-Carrier-Belleuse, esquisseur en dentelle
Dentelle mécanique Leavers en coton et fil lamé coloris noir et or, tulle
mécanique en soie coloris or
Calais, Cité internationale de la dentelle et de la mode, inv. 1998.116.4
Acquisition avec le soutien du FRAM en 1998
Exposée du 28/05/14 au 09/12/2014
Robe du soir, vers 1925 (à droite)
Dentelle mécanique Leavers en fibre synthétique (rayonne) coloris parme
et gris argenté, crêpe de soie coloris rose pâle
Calais, Cité internationale de la dentelle et de la mode, inv. 2006.4.5
Acquisition avec le soutien du FRAM en 2006
Exposée du 09/12/14 au 08/06/15
L
a dentelle mécanique est née de la volonté d’imiter la dentelle à la main, étoffe parmi les plus prisées depuis le 16e
siècle. Les premiers métiers à tulle, permettant de réaliser
un réseau uni et sans motif, sont mis au point en Angleterre dès
les premières années du 19e siècle. Calais, ville située sur le littoral
de la Manche, sera la principale destination de ces métiers introduits sur le continent dès 1816. Lorsqu’il devient possible, dans
les années 1830, de réaliser une dentelle présentant un décor,
l’industrie dentellière calaisienne connaît un formidable essor. Elle
façonne l’urbanisme et l’architecture d’une ville qui vit jour et nuit
au rythme des métiers et emploie jusqu’à 30 000 personnes. Aujourd’hui encore, quelques entreprises y perpétuent, grâce à des
machines centenaires, la fabrication d’une dentelle d’exception.
calaisienne alors à son apogée, donnait aux dentelliers la possibilité d’une créativité infinie, tant en ce qui concerne les motifs
que les couleurs, dont les nombreux échantillons conservés se
font l’écho.
Conservatoire du patrimoine industriel et artistique dentellier
ouvert en juin 2009, la Cité internationale de la dentelle et de la
mode retrace à l’aide de ses collections deux siècles d’histoire
de la mode, cette dernière étant rarement dissociable de celle
de la dentelle.
Sophie Henwood-Nivet
La première de ces robes est réalisée dans une dentelle créée
par Henry Ball, petit-fils du sculpteur Albert-Ernest Carrier-Belleuse et esquisseur calaisien parmi les plus renommés. Cette dentelle fait partie d’un ensemble plus vaste de recherches menées
par l’esquisseur autour du thème de la mer. Les fils métalliques,
qui caractérisent les robes du soir de cette période, forment ici
un décor d’algues stylisées sur fond de spirales. Le motif de fleurs
stylisées qui orne la seconde robe, est également représentatif
du style Art déco.
Dans le cadre de la présente exposition, deux robes sont
exposées successivement pour des raisons de conservation. En
se portant acquéreur de ces pièces datées des années 1920, le
musée a enrichit ses collections vestimentaires de témoins d’une
époque exceptionnelle pour la dentelle mécanique. La mode des
Années folles, l’un des principaux débouchés à la production
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Collections régionales : collections locales ?
Collections régionales : collections locales ?
La Remontée au jour des revenants
de Courrières
František Kupka (1871-1957)
1906, paru dans L’Illustration du 7 avril 1906
Lavis d’encre de Chine, crayon et gouache blanche sur papier, 55 × 79,2 cm
Lewarde, Centre historique minier, inv. 2002.11529
Acquisition avec le soutien du FRAM en 2005
Exposé du 28/05/14 au 09/12/14
I
nscrit au Patrimoine Mondial de l’Humanité par l’Unesco en
2012, le Centre historique minier est le plus important musée
minier de France. Fondé en 1984 par les Houillères du Bassin
du Nord et du Pas-de-Calais, il est installé sur une ancienne fosse,
la fosse Delloye, où l’extraction de la houille avait débuté en 1927
et s’était arrêtée dans les années 1970. Les collections du musée,
initialement constituées par le matériel d’extraction, les outils des
mineurs, le matériel ferroviaire, les bâtiments et d’importantes archives, ont été progressivement enrichies en fossiles houillers et
en objets du quotidien liés au monde minier. À partir des années
2000, l’agrandissement permit d’orienter aussi le musée vers les
œuvres d’art lié au monde minier. En effet, ce dernier a inspiré
les artistes depuis le milieu du 19e siècle tant par la réalisation de
toiles, de groupes sculptés et de décors peints que par le biais
des dessins publiés dans la presse.
Le dessin représente un des épisodes les plus dramatiques
de la « Catastrophe de Courrières » (10 mars 1906) qui avait tué
1099 mineurs et reste la plus meurtrière de l’histoire des mines
européennes. Trois jours après le coup de grisou et le coup de
poussier meurtriers (explosions de méthane puis de poussière de
charbon), la recherche des survivants avait été interrompue par la
direction des mines. Pourtant, vingt jours après l’explosion, treize
survivants étaient remontés du fond par leurs propres moyens
suscitant une émotion nationale et un mouvement de révolte du
monde ouvrier, indigné du traitement infligé aux mineurs au nom
du profit et réclamant des améliorations des conditions de travail
et de sécurité.
Avec son papier de qualité, ses illustrations en couleur et son
prix de vente élevé, L’Illustration, fondée en 1848, est le parent
luxueux et conservateur de la famille de la presse illustrée du
début du 20e siècle. Ses propriétaires n’hésitent pas à faire appel
22
aux meilleures plumes et aux plus grands dessinateurs de leur
temps. František Kupka s’est installé à Paris en 1896. S’il collabore
volontiers à la revue anarchisante L’Assiette au beurre, il n’hésite
pas à vendre ses dessins à la presse de droite qui sait reconnaître
son talent, d’autant plus qu’ici, le thème traité s’y prête. Kupka
s’est ici inspiré des croquis fait sur le vif par le correspondant local
du journal. Les survivants se détachent de leur environnement, et
apparaissent réellement comme des spectres. Ils se soutiennent
les uns les autres sous l’œil impavide des autres personnages.
Malgré son talent, Kupka n’est pas encore aussi célèbre qu’il le
sera plus tard en 1906 et ce dessin s’inscrit juste avant le tournant
non figuratif de sa carrière.
En 2005, les propriétaires du patrimoine de L’Illustration décident de vendre aux enchères les archives et les prestigieuses
collections de dessins du journal. Il était important que ce dessin
emblématique d’un grand artiste puisse intégrer les collections
du Centre historique minier.
Philippe Gayot
23
Collections régionales : collections locales ?
Collections régionales : collections locales ?
Allégories de la Mine
et de la Sidérurgie
Lucien Hector Jonas (1880-1947)
Vers 1925
Fusain et gouache sur papier
Denain, musée d’archéologie et d’histoire locale, inv. 2008.3.10 et 2008.3.11
Acquisition en 2009 par la Communauté d’Agglomération de La
Porte du Hainaut avec le soutien du FRAM
Exposé du 09/12/14 au 03/03/15 (gauche)
Exposé du 03/03/15 au 08/06/15 (droite)
L
e musée municipal de Denain (Nord) a été fondé en 1937 sur
un projet de valorisation des artistes locaux et de la présentation du passé historique et industriel du Valenciennois.
Denain, initialement village rural, est devenu à cette époque une
ville de 30 000 habitants implantée sur la mine et la sidérurgie.
Le projet du musée a évolué mais cet ancrage historique local lui
est resté. Cette industrie lourde, employeuse de masse, presque
disparue au milieu des années 1980, a laissé dans les esprits des
représentations d’un âge de fer, mais aussi d’un âge d’or. En outre,
les œuvres représentant des industries et des ouvriers, en plus
de leur aspect documentaire, révèlent la vision des artistes mais
aussi de leurs commanditaires.
Lucien Jonas, est un peintre né à Anzin. De formation académique aux Beaux-Arts de Valenciennes puis de Paris. Protégé par
Henri Harpignies (1819-1916), il gardera sa vie durant un style postimpressionniste loin des avant-gardes artistiques, très populaire,
mais aussi très apprécié de la bourgeoisie traditionnelle. Il exposa
au salon des artistes français dès 1901 et obtint un second prix de
Rome en 1905. Très vite, il est sollicité par les industriels du Valenciennois. Ces derniers lui ouvrent les portes des usines où, d’un
trait vif et sûr, il se constitue une formidable iconothèque de croquis, de machines et de portraits. Ces dessins lui serviront pour
produire de grands décors muraux mais aussi les toiles commandées par les industriels. Attentif aux ouvriers et aux petites gens,
ses dessins précis, bienveillants et humains, mettent en traits le
catholicisme social dont il était proche.
Les deux oeuvres présentées sont des études proposées pour
des décors muraux, elles mettent en scène les allégories de la
Mine et de la Sidérurgie. Pour la Sidérurgie (ci-dessus, à droite),
le personnage central est un puddler, ouvrier d’élite qui affinait
24
la fonte en acier. Un observateur et un loucheur contemplent
la scène. Héphaïstos, dieu forgeron et Athéna déesse de la
Sagesse sont représentés à l’arrière plan. Pour la Mine (ci-dessus, à gauche), des mineurs sculptent la statue d’une déesse qui
pourrait être Gaïa, la terre nourricière ou une représentation de
la Prospérité. Les représentations des divinités du panthéon gréco-romain sont régulièrement présentes dans ces décors, Valenciennes ayant été surnommée l’Athènes du Nord pour sa richesse
culturelle. Les pratiques représentées dans ces allégories sont
antérieures de vingt ans aux dates de réalisation des œuvres :
après les années 1920, le pic du mineur fut supplanté par le marteau pneumatique et le puddlage par le four Martin. Les ouvriers
des croquis du début du 20e siècle sont eux aussi devenus des
personnages mythologiques.
Ces deux œuvres font partie d’un ensemble de 80 dessins de
Lucien Jonas acquis en 2009. Pour la direction du musée, cet
ensemble important éclairant la genèse de nombreuses œuvres
majeures connues réalisées par un artiste local, déjà présent dans
les collections, était une nécessité scientifique et culturelle.
Philippe Gayot
25
Collections régionales : collections locales ?
Collections régionales : collections locales ?
Saint-Pierre repentant
Gérard Seghers (1591-1651)
Vers 1620
Huile sur toile, 135 x 107 cm
Arras, musée des Beaux-Arts, Inv 982.1.1
Achat en 1982 avec le soutien du FRAM
A
rras, qui fut tour à tour bourguignonne au 14e siècle puis espagnole au 16e siècle, n’intégra le royaume de France qu’en
1640. La capitale de l’Artois, qui demeura dans les Pays-Bas
du Sud – de confession catholique – appartient pleinement aux
Flandres historiques. Les tableaux des écoles du Nord, présents
dans les collections du musée d’Arras depuis sa fondation à la période Révolutionnaire, traduisent cette réalité historique et cette
présence artistique. Dès 1794, le peintre arrageois Dominique
Doncre, chargé de choisir des œuvres pour le Museum parmi les
biens saisis, sélectionna majoritairement des tableaux issus des
écoles du Nord. L’école flamande se trouva largement prépondérante. Citons parmi ces premières œuvres Les Trois anges chez
Abraham de Barent Fabritius et Mercure endormant Argus de
Van Bloemen.
Depuis la création du Fonds régional d’acquisitions pour les
musées en 1982, le musée des Beaux-Arts d’Arras a procédé à une
vingtaine d’achats. Les peintures des écoles du Nord constituent
environ un quart de ces acquisitions, juste après les paysagistes
de l’école d’Arras au 19e siècle, mais devant les artistes du 18e siècle
ou l’histoire locale. L’objectif visé est d’enrichir le fonds historique
tout en complétant avec d’autres artistes. La Marchande de fruits
du flamand Pieter van Boucle Bouillon, dépôt du musée du Louvre
en 1985, parachève la présentation de cet ensemble homogène.
Saint Pierre repentant de Gérard Seghers, acheté dès 1982, illustre pleinement cet axe de la politique d’acquisition. Le tableau
de ce caravagesque anversois est confronté au Saint François recevant les stigmates de Pierre Paul Rubens, véritable chef-d’œuvre,
commandé au maître d’Anvers pour le couvent des Récollets
d’Arras vers 1615. Ces représentations de saint, d’une égale force
plastique chez Seghers et Rubens, étaient appréciées par l’Église
désireuse d’encourager le culte des saints dans le cadre de la
Contre-Réforme catholique notamment dans les bastions septentrionaux.
Anne Esnault
26
Pierre Paul Rubens
Saint François recevant
les stigmates
Huile sur toile
Arras, musée des beaux-arts
27
Vers des collections
encyclopédiques Parce qu’un musée a vocation à faire le tour de tout un domaine
de connaissances défini par son projet scientifique et culturel
(PSC), il peut acquérir une nouvelle œuvre afin de combler une
lacune, de compléter ses collections et d’en permettre une meilleure compréhension.
Lorsque le musée des Beaux-Arts de Dunkerque, riche en peintures flamandes, acquiert un chef-d’œuvre de la peinture française, que le Palais des Beaux-Arts de Lille s’enrichit d’une plaque
de reliure limousine, ils sortent de leur région de prédilection
mais pas de leur projet encyclopédique.
L’achat de la céramique de Chagall illustre pleinement la vocation du musée de Roubaix de mettre en valeur les arts décoratifs,
pont entre l’art et les savoir-faire.
Lorsque le musée de Gravelines, dédié à l’estampe originale
achète la série Apocalypse de Dürer, que celui de Saint-Amand
s’enrichit d’une Vierge baroque, ou que Saint-Omer acquiert
un tableau de Boilly ayant appartenu à l’un des amateurs ayant
constitué ses collections, ces musées paraissent s’éloigner de
leurs principaux champs chronologiques, géographiques ou thématiques. Pourtant il est cohérent d’acquérir un chef-d’œuvre de
la Renaissance de la technique à laquelle le musée est dédié, de
mieux comprendre l’évolution d’un modèle iconographique déjà
présent dans les collections ou de rassembler des ensembles qui
font historiquement sens.
P. 30 – L’Apocalypse, Albrecht Dürer
P. 38 – Vierge à l’Enfant, anonyme
P. 40 – Crucifixion, Marc Chagall
P. 42 – Allégorie d’un Ministre parfait, Eustache Le Sueur
P. 44 – Ah ! ça ira, Louis Boilly
P. 46 – Plat de reliure de Dormeuil, anonyme
Marc Chagall
Crucifixion (détail de la reproduction p. 41), 1952
Pièce tournée en terre blanche, décor aux engobes et aux oxydes, gravée
au couteau et à la pointe sèche, émail partiel au pinceau, doublée de
couverte à l’intérieur, H. 45,8 cm
Roubaix, La Piscine, Musée d’art et d’industrie André Diligent
28
29
Vers des collections encyclopédiques
Vers des collections encyclopédiques
L’Apocalypse
Albrecht Dürer (1471-1528)
1498, édition de 1511
Série de 16 Xylographies sur papier vergé, 25 x 15 cm
Gravelines, Musée du Dessin et de l’Estampe originale
Acquisition avec le soutien du FRAM en 1991
L
e musée du Dessin et de l’Estampe originale de Gravelines est
né de la volonté des artistes du « Groupe de Gravelines », et
de leur président Charles Gadenne (1925-2012), de développer la présentation de ce médium au travers d’expositions présentant l’œuvre gravée des artistes aux côtés de leur œuvre peint ou
sculpté. Installé dans l’arsenal du 17e siècle construit par Vauban, il
ouvre ses portes en octobre 1982. Les collections du musée sont
initialement constituées autour de l’œuvre d’artistes modernes et
contemporains comme Émile Laboureur (1877-1943), Marcel Gromaire (1892-1971) ou Eugène Leroy (1910-2000). Cette politique d’acquisition est confortée par la publication de catalogues raisonnés
et valorisée par des expositions temporaires, parfois itinérantes1.
L’estampe est par essence multiple. La matrice gravée par l’artiste
ou selon son modèle permet d’effectuer de nombreux tirages. Son
« originalité » correspond pour les artistes modernes ou contemporains à la limitation volontaire du nombre d’exemplaires pour en
préserver la qualité ; mais aussi la rareté attestée par la justification
du tirage. Pour les périodes anciennes, les matrices peuvent être
utilisées plusieurs décennies durant, voire quelques siècles pour
les plus renommées, jusqu’à une usure quasi-complète. La xylographie consiste à graver dans un bois dur une image qui sera encrée.
Lors du passage à la presse, l’image sera imprimée sur le papier.
La technique s’est développée au 14e siècle en Europe dans le but
de fabriquer en série des images pieuses vendues par les colporteurs. Elle est donc considérée initialement comme un art mineur,
quoique beaucoup plus diffusé que les autres. À partir de 1470,
le développement des livres imprimés et illustrés lui donnera un
nouvel essor, mais les graveurs sont encore souvent des artisans
qui répondent aux commandes des libraires.
L’Apocalypse est différente. C’est une œuvre dont Albrecht
Dürer est le seul maître d’œuvre, où il réussit à saisir l’angoisse et l’es-
1. D’après Dominique Tonneau-Rychelinck in FRAM 1982-1992, 10 ans d’acquisitions
du F.R.A.M. de la région Nord-Pas-de-Calais, ACMNPC, 1992, p. 139-140.
30
pérance millénariste de cette fin de siècle troublée. Là où le texte
biblique imprimé au verso des feuillets glisse d’une image à une
autre, il organise le drame, fixant les scènes. Entre deux mondes,
l’absence de perspective mathématique unitaire rattache l’Apocalypse au gothique tardif ; la représentation de l’Homme, de ses
souffrances et de ses passions la fait entrer en Renaissance. L’œuvre
aura un immense succès et sera copiée très vite. En 1678, Malvasia,
critique d’art italien écrivait que « tous ces artistes fameux qui nous
paraissent si originaux ne seraient que des mendiants si, un jour, ils
se voyaient contraints de rendre à Dürer ce qu’ils lui ont volé2 ».
L’acquisition de L’Apocalypse par le musée du Dessin et de l’Estampe originale de Gravelines est une reconnaissance de la dette
des graveurs. Cette œuvre, premier livre conçu et publié par un
artiste, faisait entrer le support de prédilection du maître de Nuremberg dans les arts majeurs. D’autres acquisitions de maîtres
anciens viendront par la suite enrichir les collections du musée.
Philippe Gayot
2. D’après K.A. Knappe, in Dürer, Gravures, Œuvre Complet, Arts et Métier Graphiques, 1964.
31
Vers des collections encyclopédiques
Le Martyre de saint Jean l’Évangéliste (détail)
Cette planche qui suit le frontispice n’est pas une illustration du texte
biblique mais représente le martyre de saint Jean qui selon la tradition
aurait été jeté dans une cuve d’huile bouillante par l’empereur Domitien
à la Porte latine à Rome. Il aurait survécu puis été exilé à Patmos, une île
grecque dans la mer Égée où il rédigea l’Apocalypse. Il est important de
constater que Dürer représente l’action qui se déroule au 1er siècle de notre
ère avec des costumes contemporains de la publication des gravures.
Saint Jean appelé aux cieux
(détail)
« À l’instant, je tombai en extase.
Voici, un trône était dressé dans
le ciel, et, siégeant sur le trône,
Quelqu’un... [...] Vingt-quatre
sièges entourent le trône, sur
lesquels sont assis vingt-quatre
Vieillards vêtus de blanc, avec des
couronnes d’or sur leurs têtes. Du
trône partent des éclairs, des voix
et des tonnerres, et sept lampes
de feu brûlent devant lui, les sept
Esprits de Dieu. Devant le trône,
on dirait une mer, transparente
autant que du cristal. Au milieu du
trône et autour de lui, se tiennent
quatre Vivants, constellés d’yeux
par-devant et par-derrière. Le
premier Vivant est comme un lion ;
le deuxième Vivant est comme un
jeune taureau ; le troisième Vivant
a comme un visage d’homme ;
le quatrième Vivant est comme
un aigle en plein vol. [...] Ils ne
cessent de répéter jour et nuit :
"Saint, Saint, Saint Seigneur, Dieu
Maître-de-tout ; Il était, Il est et Il
vient." » Ap (4 : 2-8).
32
La Chute des étoiles (détail)
« Lorsqu’il ouvrit le sixième
sceau, alors il se fit un violent
tremblement de terre, et le
soleil devint noir comme une
étoffe de crin, et la lune devint
tout entière comme du sang,
et les astres du ciel s’abattirent sur la terre comme les
figures avortées que projette
un figuier tordu par la tempête,
et le ciel disparut comme un
livre qu’on roule, et les monts
et les îles s’arrachèrent de leur
place ; et les rois de la terre, et
les hauts personnages, et les
grands capitaines, et les gens
enrichis, et les gens influents,
et tous enfin, esclaves ou
libres, allèrent se terrer
dans les cavernes et parmi
les rochers des montagnes,
disant aux montagnes et aux
rochers : « Croulez sur nous
et cachez-nous loin de Celui qui siège sur le trône et loin de la colère de
l’Agneau. Car il est arrivé, le grand Jour de sa colère, et qui donc peut
tenir ? » Ap (6 : 12-17).
Les Quatre Anges de l’Euphrate (détail)
« Et le sixième Ange sonna... Alors j’entendis une voix venant des quatre
cornes de l’autel d’or placé devant Dieu ; elle dit au sixième Ange portant
trompette : "Relâche les quatre Anges enchaînés sur le grand fleuve Euphrate." Et l’on relâcha les quatre Anges qui se tenaient prêts pour l’heure
et le jour et le mois et l’année, afin d’exterminer le tiers des hommes.
Leur armée comptait deux cents millions de cavaliers : on m’en précisa le
nombre.Tels m’apparurent en vision les chevaux et leurs cavaliers [...]. »
Ap (9 : 13-17).
33
Vers des collections encyclopédiques
Vers des collections encyclopédiques
Le Dragon à sept têtes et la Bête à cornes d’agneau (détail)
« Alors je vis surgir de la mer une Bête ayant sept têtes et dix cornes, sur
ses cornes dix diadèmes, et sur ses têtes des titres blasphématoires. La
Bête que je vis ressemblait à une panthère, avec les pattes comme celles
d’un ours et la gueule comme une gueule de lion ; et le Dragon lui transmit
sa puissance et son trône et un pouvoir immense. L’une de ses têtes
paraissait blessée à mort, mais sa plaie mortelle fut guérie ; alors émerveillée, la terre entière suivit la Bête. On se prosterna devant le Dragon,
parce qu’il avait remis le pouvoir à la Bête ; et l’on se prosterna devant la
Bête en disant : "Qui égale la Bête, et qui peut lutter contre elle ?" ».
Ap (13 :1-4).
La Femme vêtue de soleil et le Dragon à sept têtes (détail)
« Un signe grandiose apparut au ciel : une Femme ! [... ] Puis un second
signe apparut au ciel : un énorme Dragon rouge feu, à sept têtes et dix
cornes, chaque tête surmontée d’un diadème. […] Le Dragon se lança
à la poursuite de la Femme, la mère de l’Enfant mâle. Mais elle reçut
les deux ailes du grand aigle pour voler au désert jusqu’au refuge où,
loin du Serpent, elle doit être nourrie un temps, deux temps et la moitié
d’un temps. Le Serpent vomit alors de sa gueule comme un fleuve d’eau
derrière la Femme pour l’entraîner dans ses flots. Mais la terre vint au
secours de la Femme : ouvrant la bouche, elle engloutit le fleuve vomi par
la gueule du Dragon. » Ap (12 : 1-16)
Saint Michel terrassant le Dragon
(détail)
« Alors, il y eut une bataille dans le ciel :
Michel et ses Anges combattirent le Dragon.
Et le Dragon riposta, avec ses Anges,
mais ils eurent le dessous et furent chassés
du ciel. On le jeta donc, l’énorme Dragon,
l’antique Serpent, le Diable ou le Satan,
comme on l’appelle, le séducteur du monde
entier, on le jeta sur la terre et ses Anges
furent jetés avec lui. Et j’entendis une voix
clamer dans le ciel : "Désormais, la victoire,
la puissance et la royauté sont acquises à
notre Dieu, et la domination à son Christ,
puisqu’on a jeté bas l’accusateur de nos
frères, celui qui les accusait jour et nuit devant notre Dieu. [...] Soyez donc dans la joie,
vous, les cieux et leurs habitants. Malheur
à vous, la terre et la mer, car le Diable est
descendu chez vous, frémissant de colère et
sachant que ses jours sont comptés." »
Ap (12 : 7-12).
34
La Grande Prostituée de Babylone (détail)
« Alors l’un des sept Anges aux sept coupes s’en vint me dire : "Viens,
que je te montre le jugement de la Prostituée fameuse, assise au bord des
grandes eaux ; c’est avec elle qu’ont forniqué les rois de la terre, et les
habitants de la terre se sont saoulés du vin de sa prostitution". Il me transporta au désert, en esprit. Et je vis une femme, assise sur une Bête écarlate couverte de titres blasphématoires et portant sept têtes et dix cornes.
La femme, vêtue de pourpre et d’écarlate, étincelait d’or, de pierres
précieuses et de perles ; elle tenait à la main une coupe en or, remplie
d’abominations et des souillures de sa prostitution. Sur son front, un nom
était inscrit - un mystère ! - : "Babylone la Grande, la mère des prostituées
et des abominations de la terre". Et sous mes yeux, la femme se saoulait
du sang des saints et du sang des martyrs de Jésus. Ap (17 : 1-6)
35
Vers des collections encyclopédiques
Vers des collections encyclopédiques
Exposées du 28/05/14 au 02/09/14
Exposées du 09/12/14 au 03/03/15
Le Martyre de saint Jean l’Evangéliste
G 991 001 (04)
La Chute des étoiles
G 991 001 (02)
Exposées du 02/09/14 au 09/12/14
Saint Jean appelé aux cieux
G 991 001 (08)
36
Les quatre anges de l’Euphrate
G 991 001 (05)
La Femme vêtue de soleil et le Dragon
à sept têtes
G 991 001 (12)
Saint Michel terrassant le Dragon
G 991 001 (13)
Exposées du 03/03/15 au 08/06/15
Le Dragon à sept têtes et la Bête à
cornes d’agneau
G 991 001 (14)
La Grande prostituée de Babylone
G 991 001 (15)
37
Vers des collections encyclopédiques
Vers des collections encyclopédiques
Vierge à L’enfant
Anonymes, Pays-bas du Sud
Premier quart du 17e siècle
Grès
Saint-Amand-les-Eaux, musée de la tour Abbatiale, inv. 983.8.1
Acquisition avec le soutien du FRAM en 1983
L
e musée de Saint-Amand-les-Eaux fut fondé en 1949 pour
abriter une importante collection de faïences amandinoises
acquises par la municipalité. Il est abrité dans la tour porche
de l’église abbatiale d’un grand monastère bénédictin presque
complètement détruit par la Révolution française. Les collections
sont donc à l’origine constituées de céramiques locales et de
quelques œuvres d’art (peintures et sculptures) ayant subsisté
malgré la tourmente révolutionnaire. En 1982, la création par l’État
du Fond régional d’acquisition pour les musées, fut un formidable
outil pour les compléter en développant une politique d’acquisition exceptionnelle bâtie sur deux axes, la céramique et les
œuvres d’art religieux des anciens Pays-Bas du sud du 16e au 18e
siècles. Le but étant de « mener le visiteur du Moyen Âge finissant
à l’aube du néoclassicisme » au travers de 8 sculptures de grande
qualité. En outre, elles correspondent historiquement à une période particulièrement faste pour l’ancienne abbaye bénédictine
reconstruite au début du 17e siècle (1636) dans le style maniériste
de la fin de la Renaissance flamande.
Cette Vierge à l’Enfant est caractéristique du style baroque de
la Contre-Réforme, il s’agissait pour les jésuites qui en furent les
principaux artisans de réaffirmer la primauté de l’Église catholique romaine face aux « hérésies » réformées et, pour ce faire,
rien n’était trop beau pour la plus grande gloire de Dieu. Le SaintEsprit est symbolisé par la tête d’angelot en diadème ; telle une
nouvelle Ève exempte du péché originel, elle piétine le serpent et
sa pomme et, posée sur le croissant de lune, est en même temps
la reine du ciel décrite dans l’Apocalypse de saint Jean. Mais l’artiste a su retenir les leçons d’humanisation de la divinité de la fin
du Moyen Âge et de la Renaissance. Sa vierge est aussi une jeune
femme radieuse aux gestes souples, élégants, aux vêtements au
modelé aérien. L’enfant Dieu regarde les fidèles de haut, avec sérieux. L’origine de cette vierge est incertaine, malgré les tentatives
d’attribution, l’auteur reste anonyme et la légende familiale des
38
Vierge à l’Enfant, premier tiers
du 16e siècle
École de Conrad Meit
Albâtre, 110 x 60 x 41 cm
Saint-Amand-les-Eaux,
musée de la tour Abbatiale, inv. D 985.25
anciens propriétaires la placerait sur un des murs extérieurs de
l’église Saint Charles Borromée d’Anvers mais rien n’est moins sûr1.
Dans le musée actuel, elle fait pendant à une Vierge à l’Enfant
de l’école de Conrad Meit (ci-dessus), en albâtre, antérieure d’un
siècle environ, qui appartenait aux collections de l’ancienne Abbaye. Caractéristique de la Renaissance, cette dernière est plus
une mère qui joue avec son enfant avec douceur, que la reine du
Ciel. La comparaison avec une vierge baroque resplendissante
renforce l’intérêt des deux œuvres de taille très proches qui
témoignent brillamment de deux visions artistiques de la divinité.
Philippe Gayot
1. D’après Geneviève Becquart in FRAM 1982-1992, 10 ans d’acquisitions du F.R.A.M.
de la région Nord-Pas-de-Calais, ACMNPC, 1992, p. 217-224.
39
Vers des collections encyclopédiques
Vers des collections encyclopédiques
Crucifixion
Marc Chagall (1887-1985)
1952
Pièce tournée en terre blanche, décor aux engobes et aux oxydes, gravée
au couteau et à la pointe sèche, émail partiel au pinceau, doublée de
couverte à l’intérieur, H. 45,8 cm
Roubaix, La Piscine, Musée d’art et d’industrie André Diligent,
inv. 2012.32.1
Acquis en 2012 avec le soutien d’un mécénat privé réuni par les
amis du musée, d’un partenariat avec la société Nortia, d’une
participation de l’association 14AA et d’une subvention du
Fonds régional d’acquisition pour les musées
I
nstallé depuis plusieurs mois à Vence, Marc Chagall aborde la
céramique en 1949, au retour de son exil aux États-Unis auquel
l’avaient contraint les lois antisémites de Vichy. S’il travaille d’abord
chez Madame Bonneau à Antibes, chez Serge Ramel à Antibes et
Vence, ou à la poterie « L’Hospied » à Golfe-Juan, c’est à Vallauris,
dans l’atelier Madoura si cher à Pablo Picasso, qu’il s’exerce à la
céramique auprès de Georges et Suzanne Ramié et qu’il réalise
ce vase. Se contentant d’abord de peindre directement sur les
pièces terminées, il éprouve rapidement le besoin d’expérimenter
par lui-même le modelage de la terre. Et bientôt, les formes utilitaires deviennent de vraies sculptures au point qu’elles susciteront chez lui l’envie de transposer dans la pierre ou dans le marbre
les sujets qui lui sont chers. À la différence de Picasso, l’œuvre
céramique de Chagall demeure longtemps méconnu. Pourtant
nombreuses, deux cent vingt pièces entre 1949 et 1972, elles n’ont
pas bénéficié du même écho que celles du malagais dont l’édition
permit la large diffusion, principe que Chagall refusait. Ce dernier décore les pièces façonnées à sa demande et y décline ses
thèmes privilégiés. De forme classique, le vase de la Crucifixion
date de 1952, année de son mariage avec Valentine et figure parmi
les premières productions de l’œuvre céramique de l’artiste. Son
thème renvoie assez directement au cycle du Message biblique
auquel l’artiste s’est consacré depuis son arrivée dans le sud – il
réalise dix-sept grandes toiles qui illustrent la Genèse et l’Exode,
40
les deux premiers livres de la Bible, et Le Cantique des Cantiques.
Sur le côté et à l’arrière du vase, la maternité et l’âne volant sont
des figures classiques de l’univers poétique chagallien, illustrant à
merveille son univers plastique et allégorique.
Le musée La Piscine de Roubaix s’est donné, entre autres, pour
mission, la mise en valeur des arts appliqués et des arts décoratifs,
développant de manière active une politique de dépôts – notamment consentis par le Centre national des arts plastiques – et
d’achats, en particulier à l’égard de la céramique d’artiste, faisant fi d’une prétendue hiérarchie des genres. Plusieurs expositions ont mis en valeur ce domaine à part entière en lien avec
les beaux-arts : « Picasso, peintre d’objets / objets de peintre » en
2004, « Édouard Pignon, Du rythme entre les choses » en 2005,
« Chagall et la céramique » en 2007 ou « Marc Chagall, L’épaisseur
des rêves » en 2012. Cette dernière fut ainsi l’occasion de traiter la
question du volume dans l’œuvre prolifique de Chagall. Avec le
vase à la Crucifixion, La Piscine devient la première collection publique française à posséder une pièce illustrant l’œuvre céramique
de Chagall, enrichissant ainsi sensiblement un fonds constitué ces
dix dernières années par des acquisitions de céramiques d’artistes
signées Raoul Dufy, Fernand Léger, Pablo Picasso, Édouard Pignon
ou André Fougeron.
Germain Hirselj
41
Vers des collections encyclopédiques
Vers des collections encyclopédiques
Allégorie d’un ministre parfait
Eustache Le Sueur (1616-1655)
1653
Huile sur toile, 84,5 × 71 cm (ovale)
Dunkerque, Musée des Beaux-Arts, inv. BA.1983.003.1
Acquis en 1983 avec le soutien du FRAM
F
ermé à la suite des bombardements de Dunkerque durant
la Seconde Guerre mondiale, le musée des Beaux-Arts de la
ville n’a rouvert ses portes au public qu’en 1973. Les travaux
de reconstruction s’accompagnent alors d’une politique d’enrichissement des collections. Si les acquisitions visent d’abord à étoffer
le premier fonds municipal constitué de tableaux hollandais, elles
s’orientent rapidement vers la peinture française du Grand Siècle.
L’acquisition de deux natures mortes de Nicolas de Largillierre en
1967 marque le coup d’envoi de cette politique destinée à combler les lacunes de la collection. Le début des années 1980 voit
entrer au musée l’Attaque des voyageurs et l’Extase de sainte
Madeleine de Sébastien Bourdon (1980), le Repas chez Simon de
Claude Vignon (1981), Dieu le Père de Charles de La Fosse (1981) et
surtout le Jeune Nègre tenant un arc de Hyacinthe Rigaud (1982)
et l’Allégorie du Ministre parfait d’Eustache Le Sueur (1983).
Le passage de cette dernière sur le marché de l’art londonien
est une aubaine. Eustache Le Sueur est en effet considéré comme
l’un des grands maîtres de l’école française. Signe de cet intérêt
ancien pour l’artiste, l’acquisition par Louis XVI en 1776 de deux
ensembles majeurs, le cycle de la vie de saint Bruno et les toiles
du Cabinet de l’Amour et du Cabinet des Muses de l’hôtel Lambert, s’inscrit dans l’ambitieux projet de création d’un Muséum au
Louvre.
Le tableau de Dunkerque est bien connu grâce à un mémoire
de Guillet de Saint-Georges de 1690. Il y mentionne un tableau
représentant le « Conseil, accompagné de la Sagesse, de la Prudence et du Silence » peint pour Planson en 1653. L’œuvre a été
interprétée par Nicolas-Henri Tardieu ; la lettre de la gravure a fixé
durablement le titre de l’œuvre (« Le Conseil et le Secret, la Valeur
et la Prudence, par leur douce intelligence, d’un ministère parfait
offrent ici le portrait »). Le tableau avait pour pendant un Marcus Curtius se précipitant dans le gouffre ; ils illustrent ensemble
les qualités attendues d’un serviteur de l’État, jusqu’au sens du
42
sacrifice. Planson, qui était proche de Mazarin, a pu vouloir rendre
hommage ici au ministre au sortir de la Fronde. Eustache Le Sueur
peint d’ailleurs l’année suivante une allégorie comparable pour la
cheminée de la chambre du roi au Louvre, la Monarchie française
triomphant de ses ennemis, connue aujourd’hui uniquement par
un dessin (Paris, musée du Louvre, inv. 30660).
Aux côtés du Conseil se tiennent Minerve – la Sagesse ou la Valeur – et la Prudence, reconnaissable à son miroir. Un dessin préparatoire (Paris, musée du Louvre, inv. 30659) montre bien le soin
avec lequel le peintre élabore sa composition. Comme il l’avait fait
dans le Cabinet des Muses, il regroupe les trois figures au pied
d’un bouquet d’arbres, créant ainsi une impression d’harmonie
renforcée par le format ovale de la toile. L’enfant posant un doigt
sur sa bouche dans l’ombre doit être le Silence ou le Secret. Le
classicisme élégant des visages et des drapés tend à confirmer la
date de la toile, caractéristique des dernières années du peintre.
Fabien Dufoulon
43
Vers des collections encyclopédiques
Vers des collections encyclopédiques
Ah ! ça ira
Louis Boilly (1761-1845)
Vers 1789
Huile sur toile, 60 x 49 cm
Saint-Omer, musée de l’hôtel Sandelin, inv. 982.091
Acquis en 1991 avec le soutien du FRAM
Ancienne appartenance : Vers 1789 ? achat par Calvet de Lapalun à l’artiste ; coll. Chaix d’Est-Ange ; galerie Charpentier
Paris, Coll. Comte de Bozas ; coll. Clarence Dillon, Far Hills,
Etats-Unis, Sotheby’s New York, 1980, Noortmann and Brod
Gallery, Londres, 1982, Rafael Valls, Londres.
L
’acquisition de cette œuvre de Louis Boilly par le musée de
l’hôtel Sandelin de Saint-Omer illustre parfaitement comment
un musée complète son fonds en rassemblant des collections un temps dispersées. C’est bien son historique, c’est-à-dire
la succession de ses différents propriétaires, qui rend l’acquisition
particulièrement pertinente. En effet cette grisaille a été commandée vers 1789 à l’artiste par un avocat et aristocrate avignonnais :
Antoine Joseph François Xavier Calvet de Lapalun (1736-1820).
Ce dernier a possédé d’autres œuvres peintes par Boilly dans les
années 1790, dont une série de neuf scènes de genre. Quatre de
ces œuvres (La Visite reçue, Le Concert improvisé, Ce qui allume
l’amour l’éteint, Le Vieillard jaloux) restent dans les mains de la
famille jusque dans les années 1840, puis passent dans la collection d’un autre avocat, homme politique et grand collectionneur :
Gustave Chaix d’Est-Ange (1800-1876), où elles sont rejointes par
au moins une autre œuvre de Boilly, un Portrait d’homme au verre
brisé, trompe-l’œil des années 1800.
Ce groupe d’œuvres sera partagé entre les deux petits-enfants,
Gustave (1863-1923) et Marie (1866-1933) Chaix d’Est-Ange. Cette
dernière épouse en 1890 le baron Joseph du Teil (1863-1918), avocat à la cour d’appel de Paris et érudit qui s’est particulièrement
intéressé à la région de Saint-Omer. C’est en souvenir de son
mari, mort au front pendant la Grande Guerre, que la baronne
donne en 1921 à la Ville de Saint-Omer sa collection d’œuvres d’art
dans laquelle on trouve la série Calvet de Lapalun et le Portrait
d’homme en trompe-l’œil. Ah ! ça ira est quant à lui attribué au
frère de la baronne qui le transmet à son fils adoptif le comte
Emmanuel du Bourg de Bozas (1894-1990). Le tableau est ensuite
acquis par un collectionneur américain avant de revenir en Angle44
terre chez plusieurs marchands dans les années 1980. On comprend mieux l’intérêt de cette acquisition qui vient compléter le
fonds Boilly par une œuvre du même commanditaire et qui a fait
partie de la collection Chaix d’Est-Ange, particulièrement importante dans l’histoire du musée.
Il s’agit d’une toile peinte à l’imitation de l’estampe, une catégorie de trompe-l’œil dans laquelle Louis Boilly s’est particulièrement illustré. L’artiste y démontre toute sa virtuosité en détaillant
tous les éléments attendus d’une gravure, que ce soit la scène
principale rendue dans un camaïeu de gris, ou la cuvette créée
par la plaque gravée au moment de l’impression et bien sûr la
lettre de la gravure, c’est-à-dire les inscriptions sous l’image.
La scène représente deux enfants jouant chacun avec un oiseau auprès de leur mère qui leur indique le chat aux aguets, une
évocation de l’innocence confrontée aux menaces de l’existence.
Ce motif issu des scènes de genre nordiques provient d’une composition peinte de Boilly. Bien que le rapport entre les armes des
Virieu, une grande famille du Dauphiné (département de l’Isère
actuel), le titre du chant révolutionnaire Ah ! ça ira et la scène
représentée reste encore mystérieux, l’œuvre n’en démontre pas
moins les qualités traditionnelles du peintre et notamment le
mœlleux de sa touche si sensible dans la robe de la mère.
Luc Piralla
45
Vers des collections encyclopédiques
Vers des collections encyclopédiques
Plat de reliure de Dormeuil
Anonyme, Limoges
Vers 1190-1200
Cuivre champlevé, émaillé, ciselé, gravé et doré ; ais de bois (moderne)
H. 26,7 cm ; l. 15,8 cm ; pr. 1,8 cm (ais moderne compris)
Lille, Palais des Beaux-Arts, inv. 2008.1.1.
Historique : collection du baron Guillaume de Crassier(t)
(Liège, 1725) ; coll. Boy ; vente Boy, 15-24 mai 1905 ; coll. George
Dormeuil et ses héritiers ; acquis par le Palais des Beaux-Arts
de Lille lors de la vente Dormeuil le 19 novembre 2007 (Paris,
Sotheby’s).
Acquise en vente publique par préemption en 2007.
L’acquisition a bénéficié du soutien du mécénat du Crédit du
Nord, du Fonds du patrimoine et du Fonds régional d’acquisition pour les musées.
C
ette acquisition présentait un intérêt à la fois esthétique
et historique. Du point de vue de l’histoire de l’art, l’œuvre
consiste en une plaque de cuivre champlevé et émaillé,
montée après 1905 sur un ais de bois orné d’une bordure couverte de lames de cuivre afin d’imiter un plat de reliure complet.
Originellement destinée à orner un livre religieux, elle est un
exemple remarquable de la production d’orfèvrerie limousine à
la fin du 12e siècle en raison de sa qualité d’exécution, notamment
du travail de ciselure des personnages. Le thème de la Crucifixion, fréquemment repris sur ce type d’objet, se démarque par
la présence des deux anges aux ailes dressées inscrits dans des
médaillons. Cette plaque permet de renforcer les collections
d’orfèvrerie du musée de Lille et notamment l’ensemble d’émaux
limousins médiévaux avec une pièce de premier plan. Les autres
objets représentant cette technique conservés au sein de l’établissement, plus tardifs, présentent en effet un intérêt moindre.
L’objet peut également être mis en relation avec d’autres émaux
de la collection, notamment le Reliquaire de la dent de saint Nicolas (inv. A 79), exécuté dans le Nord de la France, et la Plaque
figurant Gédéon et la Toison (inv. A 56) provenant de la région
mosane ; ce sont ainsi trois foyers de production d’émaux entre le
milieu du 12e siècle et le début du 13e siècle qui sont représentés
par des œuvres importantes.
De manière plus générale, l’achat de cette œuvre participe de
l’ambition encyclopédique des collections du Palais des BeauxArts de Lille et permet d’étoffer une collection médiévale déjà
46
riche. L’origine de la plaque de reliure mérite également d’être
mentionnée. Elle provient de la collection de George Dormeuil
(1846-1939), riche industriel spécialisé dans le textile. Grand amateur d’art, il réunit à partir de 1905 une collection de pastels du
18e siècle ainsi qu’un important ensemble d’objets d’art et de
sculptures du Moyen Âge ; il contribua à l’enrichissement des collections publiques françaises par des dons au musée du Louvre
et au musée Carnavalet. Une provenance plus ancienne a pu être
établie : l’objet a été identifié comme faisant partie d’une collection privée à Liège dès 1725. Le baron Crassier, son propriétaire,
en fournit une description et un dessin, aujourd’hui conservés à
la Bibliothèque nationale de France, au célèbre érudit Bernard
de Montfaucon. L’œuvre est donc un témoignage précoce du
collectionnisme et de l’étude des objets du Moyen Âge, ce qui
lui confère une valeur historique exceptionnelle justifiant d’autant
plus son acquisition pour une collection publique française.
Laetitia Barragué-Zouita
47
Vers de nouveaux horizons :
l’Autre et l’Ailleurs Les musées sont les descendants des cabinets de curiosités
de la Renaissance, qui conservaient des objets insolites des lieux
les plus reculés. Aujourd’hui encore, nombre d’entre eux continuent d’acquérir des pièces pour affiner la connaissance des civilisations lointaines, de l’Autre. Largement ouvert sur le monde, le
Nord-Pas de Calais recèle nombre de ces trésors qui sont autant
d’invitations à regarder vers d’autres horizons.
Ainsi, si l’Égypte ancienne est bien représentée à Boulogne-surMer, c’est grâce au grand égyptologue Auguste Mariette qui a fait
don à sa ville natale d’une partie de sa collection, que le musée
continue de compléter. Le costume-masque provenant d’Indonésie vient compléter la collection ethnographique du musée d’histoire naturelle de Lille dont la constitution remonte au milieu du
19e siècle.
Quant à la maquette d’embarcation chinoise acquise par le musée portuaire de Dunkerque, elle illustre là encore la cohérence
de l’achat par rapport à la collection d’une ville résolument tournée vers la mer.
Mais l’Autre et l’Ailleurs ne sont pas forcément lointains, ainsi
est exposée une grande toile d’Augustin Lesage, peintre spirite de
la région, pour rappeler que le voyage est aussi intérieur et que
l’exotisme est à notre porte.
P. 50 – Statuette d’Anubis, anonyme
P. 52 – Masque-Costume funéraire, anonyme
P. 54 – Jonque ou bateau-sel (Yen-Tchouan), anonyme
P. 56 – Sans titre, Augustin Lesage
Augustin Lesage
Sans titre (détail), 1925
Huile sur toile, 212 × 144 cm
Villeneuve-d’Ascq, LaM
49
Vers de nouveaux horizons : l’Autre et l’Ailleurs
Vers de nouveaux horizons : l’Autre et l’Ailleurs
Statuette d’Anubis
Anonyme, Égypte
665 av. J.-C. – 525 av. J.-C. (Basse Époque, XXVIe dynastie)
Bronze
Boulogne-sur-Mer, musée, inv. 2008.0.7
Acquisition réalisée avec le soutien du FRAM
C
ette statuette d’Anubis, dieu égyptien à tête de chacal,
a été préemptée par le musée de Boulogne-sur-Mer en
mars 2003, lors de la vente de l’ancienne collection Ambroise Baudry à l’Hôtel Drouot. Outre l’élégance et la qualité plastique de cette statuette qui venait renforcer de façon significative la collection égyptienne déjà existante au musée, l’intérêt de
cette acquisition venait surtout de l’historique de cette pièce. En
effet, elle faisait partie d’un lot de 120 objets qu’Auguste Mariette
avait offerts à cet important architecte du 19e siècle.
C’est en 1871, à son arrivée au Caire, qu’Ambroise Baudry (18381906) rencontra Mariette Pacha et que les deux hommes entamèrent une profonde amitié. Brillant architecte, frère du peintre
Paul Baudry, Ambroise Baudry obtint de nombreuses commandes
tant privées que royales et devint architecte en chef du Khédive
Ismâ’il entre 1875 et 1877.
Auguste Mariette (1821-1881), boulonnais d’origine, aimait à dire
qu’il était « entré dans l’Égypte par la momie du musée de Boulogne ». Employé au musée du Louvre, il fut envoyé en mission
en Égypte en 1850 où il découvrit le Serapeum de Memphis et
entama une brillante carrière d’égyptologue ponctuée de découvertes majeures (le scribe accroupi du Louvre ; le Cheikh-el-Beled
du Caire...). Il fut également à l’origine de la mise en place d’une
véritable législation sur la protection du patrimoine égyptien en
créant le Service des Antiquités Égyptiennes, ainsi que le premier
musée du Caire à Boulaq.
La collection égyptienne du musée de Boulogne est fondamentalement liée à la figure de Mariette, d’une part pour le rôle qu’elle
joua sur la vocation du jeune boulonnais, d’autre part en raison
des 150 objets dont il fit don à sa ville natale dans les années 1860.
50
L’acquisition de cette statuette apparaissait donc particulièrement cohérente et justifiée pour le musée. Son entrée dans les
collections au printemps 2003 offrait de plus un préambule à
l’important hommage rendu à l’égyptologue lors de l’exposition
« Des dieux, des tombeaux, un savant. En Égypte sur les pas
de Mariette Pacha », organisée au musée de Boulogne-sur-Mer
en partenariat avec le musée du Louvre en 2004 dans le cadre
de Boulogne 2004, autour de Lille 2004, capitale culturelle de
L’Europe.
Céline Ramio
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Vers de nouveaux horizons : l’Autre et l’Ailleurs
Vers de nouveaux horizons : l’Autre et l’Ailleurs
Masque-costume funéraire
Anonyme, Indonésie
20e siècle
Peuple asmat, Nouvelle-Guinée occidentale (Indonésie actuelle)
Bois, fibres, plumes de casoar et de cacatoès, coton, graines,
écorce de bambou
Lille, musée d’histoire naturelle, inv. 2003.3.1
Acquis en 2003
L
es collections ethnographiques de Lille trouvent leur origine
en 1851, dans le don fait à la commune par les héritiers d’un
collectionneur, Alphonse Moillet. Ces collections ont été exposées à partir de 1851 dans les salles du Palais Rihour. Plutôt que
la simple démarche d’un amateur de curiosités, les acquisitions
d’Alphonse Moillet témoignent d’un plan réfléchi, par grandes
séries thématiques et géographiques, probablement acquises
auprès de marchands. Ce fond initial sera enrichi au cours des
années, puis faute d’espace, ce musée ethnographique fermera
en 1890. Les très riches collections Moillet sont alors affectées au
Palais des Beaux-Arts où la plupart du temps, elles seront conservées en réserve. En 1990 dans le cadre de la rénovation du Palais
des Beaux-Arts, la commune prend la décision de transférer ces
œuvres au Musée d’histoire naturelle de Lille. En effet, historiquement ce type d’objets est conservé dans les musées scientifiques,
à l’instar du Musée de l’Homme de Paris, département du Muséum National d’Histoire Naturelle. L’autre raison de ce transfert
est la volonté de constituer au sein du Musée d’histoire naturelle
un ensemble cohérent de collections scientifiques témoignant du
rapport entre l’homme et son environnement : zoologie, géologie,
ethnographie, sciences et techniques.
C’est dans ce contexte que les acquisitions ont repris, 100 ans
après la fermeture du musée. Depuis presque 25 ans, le fond
de 6500 objets confiés au Musée d’histoire naturelle en 1990 a
presque été doublé par des acquisitions complétant les collections initiales et les élargissant à l’ensemble des cultures extraeuropéennes, disparues ou existantes.
Ce costume de danse asmat a été tissé en Nouvelle-Guinée
Occidentale, une des îles d’Indonésie. Le peuple asmat a vécu
isolé ou presque de l’influence occidentale jusqu’en 1938 avec
l’installation d’un comptoir décidée par le gouvernement colonial
néerlandais. À partir de 1953, les missionnaires catholique évangélisent les populations locales au détriment de leurs pratiques
52
religieuses traditionnelles. Cependant, la plupart les cérémonies
sociales des Asmats ont été intégrées à la liturgie catholique. Si
les 65000 Asmats sont encore relativement isolés, leurs contacts
avec le monde extérieur augmentent significativement avec le
risque de voir leurs pratiques culturelles se modifier.
Ce masque-costume figure les récents défunts du village.
Lorsqu’il était porté lors de danses, seulement par les hommes,
il permettait aux esprits des morts de revenir un jour et une nuit
dans leur village natal avant de quitter définitivement le monde
des vivants. Le masque devenait le passeur vers l’au-delà, comme
le Charon de la mythologie gréco-romaine, difficilement conciliable avec le culte catholique.
Ouverture et pont entre les civilisations, témoignage de cultures
en danger d’extinction, ce masque, avec une vingtaine d’autres
objets asmats, avait sa place dans les collections du Musée d’histoire naturelle.
Judith Pargamin
53
Vers de nouveaux horizons : l’Autre et l’Ailleurs
Vers de nouveaux horizons : l’Autre et l’Ailleurs
Jonque ou bateau-sel (Yen-Tchouan)
Anonyme, Chine
Vers 1920
Bois, chanvre et tissus, 160 × 160 × 43 cm
Dunkerque, musée portuaire, inv. 92.47
Acquis en 1991 avec le soutien du FRAM
A
u tournant des années 1980, la communauté professionnelle
des dockers est désireuse de préserver la mémoire historique et patrimoniale d’un métier en complète transformation. Les autres professions portuaires, la Chambre de commerce
et d’industrie et les pouvoirs publics dunkerquois ont fait leur
ce désir de « patrimonialisation » du port. Produit de cette dynamique, le musée portuaire de Dunkerque ouvre le 26 septembre
1992. Si au départ les collections étaient composées des outils traditionnels collectés par les dockers, elles s’enrichissent des dons
de toutes les entreprises portuaires mais aussi des dépôts de la
Chambre de commerce et d’industrie dont une riche collection
de maquettes de navires européens. La politique d’acquisition est
traditionnellement orientée vers l’histoire du port de Dunkerque
depuis ses origines, et les activités du port d’hier et d’aujourd’hui.
Cette maquette représente une jonque. Héritière de près de
15 siècles d’architecture navale chinoise presque immuable, elle a
été réalisée avec les mêmes méthodes que les modèles en taille
réelle ce qui en fait un objet technique remarquable. Gouvernail
d’étambot, coque sans quille renforcée de cloisons étanches,
etc…, développés indépendamment des autres civilisations
maritimes, les innovations technologiques datant du 5e siècle de
notre ère font de la jonque un des modèles les plus anciens de
bateaux encore en service. Elles furent reprises ensuite par les
navigateurs arabes et européens. À la fin du 19e siècle et jusqu’aux
années 1940, ces bâtiments de haute-mer sont destinés à transporter le sel depuis l’Annam (Vietnam actuel) jusqu’au port de
Fujiam (au sud-est de la Chine, situé en face de l’île de Taiwan).
Le modèle de Dunkerque a conservé ses peintures d’origine, ce
qui en fait aussi un témoignage ethnographique : les yeux ronds
de la proue sont sensés éloigner les mauvais esprits et la richesse
de l’ornementation attirer la protection des divinités marines sur
l’équipage et le chargement1.
1. D’après Pierre Combes, in FRAM 1982-1992, 10 ans d’acquisitions du F.R.A.M. de la
révgion Nord-Pas-de-Calais, ACMNPC 1992, p. 123-132.
54
La maquette a été acquise à Shanghai, au début du 20e siècle
par Roger Bouillon, de Paris, alors qu’il faisait son service militaire
dans la Marine nationale. Il l’a transmise à sa nièce en 1967 avant
que celle-ci ne la propose au musée portuaire. Elle est caractéristique des objets de port qu’achetaient les marins au long cours
pour les ramener en Europe comme objets de curiosités sachant
que le gréement, remonté par le marin à l’issue du voyage, a fait
l’objet de quelques erreurs d’interprétation révélatrices d’une
faible connaissance des techniques de construction navale
chinoise.
En faisant cette acquisition, à priori géographiquement éloignée
de sa terre d’élection, le musée portuaire de Dunkerque montre
l’universalité des problématiques traversant les univers portuaires
et maritimes et affirme que le musée, comme le port, « est une
porte ouverte à tous les échanges, à tous les rêves2 ».
Philippe Gayot
2. In Pierre Combes, op. cit.
55
Vers de nouveaux horizons : l’Autre et l’Ailleurs
Vers de nouveaux horizons : l’Autre et l’Ailleurs
Sans titre
Augustin Lesage (1876-1954)
1925
Huile sur toile, 212 × 144 cm
Villeneuve-d’Ascq, LaM, inv. 2000.5.7
Acquis en 2000 avec le soutien du FRAM
A
ugustin Lesage est ouvrier-mineur. Né en 1876 à SaintPierre-lez-Auchel, commune minière située à l’est de Béthune, son destin semble alors tracé. Il sera mineur comme
son père, comme son frère et comme tous ceux qui vivent dans
le même coron. Le certificat d’études en poche, il devient naturellement galibot dès quatorze ans. C’est dire si rien ne le prédestinait au métier d’artiste. Pourtant, vingt-deux ans plus tard, en 1912,
la vocation, irrésistiblement, s’impose à lui. Alors qu’il travaille au
fond de la mine, il entend une voix lui annoncer qu’il deviendra
peintre. Il a trente-cinq ans. S’adonnant à des séances de spiritisme, il y exécute ses premiers dessins automatiques. De mineur
de fond, Lesage devient peintre-médium. Il est alors « la main qui
exécute et non l’esprit qui conçoit ».
Issue de l’ancienne collection de l’Institut Métapsychique International, la toile acquise par le LaM, signée « Médium Lesage»,
appartient à la première manière de l’artiste, où le motif figuré est
quasiment absent de la toile. Son format monumental s’impose
au spectateur, tout autant que l’originalité de l’expression de l’artiste, la précision d’un geste répété à l’infini et l’aspect construit
et architecturé d’un ensemble à la rigoureuse symétrie. L’horreur
du vide, l’exubérance des formes qui envahissent la toile jusqu’à
créer une surcharge ornementale qui la sature, créant une grande
harmonie décorative, caractérisent l’œuvre et ce n’est qu’à partir
de 1930 qu’il introduira dans ses toiles tout un peuple de figures
mythologiques, l’Égypte antique s’imposant alors comme source
d’inspiration majeure mais non exclusive. Dans son village de Burbure, la pièce principale de sa maison de mineur lui servait d’atelier. L’artiste œuvrait, la toile fixée au mur, l’enroulant à mesure que
le travail avançait. Il structurait ainsi l’œuvre en registres horizontaux réguliers, sans jamais voir la composition globale et peignant
de manière rapide et constante, presque automatique.
L’artiste ne fit pas commerce de ses toiles. Tout juste étaientelles vendues au prix des fournitures auquel était ajouté le temps
passé à les peindre, calculé au taux du salaire horaire du mineur
56
qu’il était tout autant, quand il ne les offrait pas à ceux qu’il jugeait
digne de les recevoir. Pendant longtemps, rares furent les musées
à posséder ses œuvres. Aujourd’hui, le LaM conserve le fonds le
plus important consacré à Lesage. Figure légendaire de l’Art Brut,
célébrée par André Breton et Jean Dubuffet, il fallut attendre
l’année 1989 pour que soit organisée la première grande rétrospective consacrée à Augustin Lesage et mesurer pleinement
l’importance de son œuvre. La donation de plus de 3500 œuvres
d’Art Brut consentie en 1999 par l’Association L’Aracine justifiait
à elle seule l’agrandissement du musée de Villeneuve d’Ascq, le
LaM s’étant imposé depuis comme l’un des hauts-lieux de l’Art
Brut en France et en Europe auprès de la collection de l’Art Brut
à Lausanne.
Germain Hirselj
57
Bibliographie sommaire
Catalogues d’exposition
Acquisitions, dons et restaurations de 1967 à 1983, cat. exp., Dunkerque, musée des Beaux-Arts, 1983.
Augustin Lesage 1876-1954, Paris, Philippe Sers Éditeur, 1988.
Augustin Lesage – Elmar Trenkwalder, les Inspirés, Lyon, Fage
Éditions, 2008.
Carpeaux Peintre, Valenciennes, musée des Beaux-Arts, Paris,
musée du Luxembourg, Paris, RMN, 1999.
Fonds régional d’acquisition pour les musées, FRAM 10, 19821992 : dix ans d’acquisitions du FRAM de la région Nord-Pas de
Calais, Lille, Association des conservateurs de la région Nord-Pas
de Calais, 1994.
Éloge de la clarté. Un courant artistique au temps de Mazarin
1640-1660, cat. exp., Dijon, musée Magnin ; Le Mans, musée de
Tessé, 1998, notice n°51, p. 124.
Eustache Le Sueur, cat. exp., Paris, RMN, 2000, notice n°36, p. 123.
From Van Eyck to Bruegel, early Netherlandish painting in the
Metropolitan Museum of Art, cat. exp., New York, Metropolitan
Museum of Art, 1998, p. 184.
Grand Siècle, Peintures françaises du xviie siècle dans les collections publiques françaises, cat. exp., Montréal, musée des BeauxArts ; Rennes, musée des Beaux-Arts ; Montpellier, musée Fabre,
1993, notice n°82, p. 252-254.
Herbin, cat. exp., le Cateau Cambrésis, musée Matisse, Paris,
Bernard Chauveau Éditeur, 2012.
La Terre est si lumineuse, Chagall et la céramique, cat. exp.,
Roubaix, La Piscine, musée d’Art et d’Industrie André Diligent,
Paris, Gallimard, 2007.
Marc Chagall, L’épaisseur des rêves, cat. exp., Roubaix, La Piscine, musée d’Art et d’Industrie André Diligent, Paris, Gallimard,
2012.
Ouvrages de référence
Louis Aragon, Henri Matisse, roman, Gallimard, 1971.
Marie-Madeleine Gauthier, « Cabinets d’amateurs d’antiquités
médiévales au début du xviiie siècle à Liège et à Paris » in Bulletin
de la Société des Antiquaires de France, Paris-Klincksieck, 1972,
p. 181-192.
Robert Genaille, « L’Œuvre de Jean Bellegambe » in Gazette
des Beaux-Arts, janvier 1976, p. 9-21.
K. A. Knappe, Dürer, Gravures, Œuvre complet, Arts et Métiers
Graphiques, 1964.
58
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Musée du Louvre-Lens
99, rue Paul Bert, Lens
Ouvert tous les jours
de 10h à 18h
Fermé le mardi et le 1er mai
Réservations : 0 321 186 321 (groupes) /
0 321 186 262 (individuels)