La loi Macron valide le prêt interentreprises
Transcription
La loi Macron valide le prêt interentreprises
La loi Macron valide le prêt interentreprises par Dominique Legeais, Professeur à l’Université Paris Descartes, Sorbonne Paris Cité, Directeur du CEDAG Article paru dans la Revue trimestrielle de droit commercial et de droit économique de juillet-septembre 2015 Télécharger ICI le Livre Blanc complet © Éditions Dalloz 2015 11_Chron_Legeais_RTDCom 08/10/2015 11:13 Page 565 CHRONIQUES Crédit et titres de crédit Dominique Legeais Professeur à l’Université Paris Descartes, Sorbonne Paris Cité, Directeur du CEDAG Crédit interentreprises 1. La loi Macron valide le prêt interentreprises (Loi n° 2015-990 du 6 août 2015, JO 7 août 2015, p. 13537) Avec la loi Macron en date du 7 août 2015, c’est une nouvelle dérogation qui vient d’être apportée au monopole bancaire pour l’octroi des crédits et elle est d’importance. En effet, la loi modifie l’article L. 511-6 du code monétaire et financier en y ajoutant un alinéa permettant à certaines sociétés d’accorder un crédit rémunéré à des entreprises avec lesquelles elles sont en relation. Le crédit interentreprises est ainsi relancé alors que depuis plus de trente ans et un rapport resté célèbre, ce mode de financement était contesté car affublé de tous les maux 1. Il est vrai qu’il s’agissait d’un crédit gratuit et le plus souvent forcé prenant la forme de délai de paiement. Cette forme de crédits était contestée par les entreprises elles-mêmes (il y avait même eu création d’une association pour lutter contre le crédit interentreprises) pour plusieurs motifs. Ce n’est pas le rôle des entreprises de se substituer aux banques dont c’est la fonction première. D’une part, les capitaux disponibles sont mieux affectés à l’investisse- (1) ment. D’autre part, les entreprises n’ont pas l’expertise des établissements de crédit pour apprécier le risque pris. Il fallait ajouter que les délais de paiement sont aujourd’hui considérés comme l’un des principaux maux de notre économie, ce qui explique la sévérité du législateur et sa lutte constante pour les réduire, malgré l’article L. 511-7 qui en admet la validité. Rémunérés, les crédits interentreprises seraient-ils donc parés de toutes les vertus ? Il faut le croire, tout du moins à la lecture des travaux préparatoires de la loi Macron. Il existe ainsi plusieurs justifications au vote du texte à l’initiative des parlementaires (et non du Gouvernement qui y était hostile). La première est d’ordre général et part d’un constat : celui de l’insuffisance des crédits bancaires et de la pénurie de crédit et de financement qui en résulte. Il est vrai, que responsables en cas de crédit excessif, limités par les contraintes Rapport Mordacq sur le crédit interentreprises, Documentation française, 1979 ; D. Legeais, Les garanties conventionnelles sur créances, Economica, 1986, nos 570 s. RTDCom. - D - juillet-septembre 2015 565 11_Chron_Legeais_RTDCom 08/10/2015 11:13 Page 566 CHRONIQUES Crédit et titres de crédit prudentielles et le respect des ratios de solvabilité, les établissements de crédits sont devenus frileux dans la distribution de certains crédits. Il faut donc se tourner vers de nouveaux financements, tels les emprunts obligataires, ou favoriser les dérogations au monopole des établissements de crédit. Toutes ces voies sont aujourd’hui largement explorées. Il suffit de mentionner le développement de la finance participative. La seconde justification tient à l’intérêt des entreprises elles-mêmes, qu’il s’agisse de celles qui prêtent ou de celles qui empruntent. Les premières ont souvent des excès de trésorerie et le prêt peut s’avérer une opportunité, beaucoup d’autres placements étant soit trop risqués, soit de peu de rapport. Les entreprises emprunteuses peuvent ainsi être satisfaites d’avoir un crédit obtenu facilement auprès d’entreprises avec lesquelles elles sont en relation. 566 Ces avantages ne sauraient occulter les risques d’un trop grand libéralisme en la matière. Le prêt, quel que soit le prêteur, demeure toujours une opération à risque. On peut même penser que le risque est encore plus grand lorsque le prêteur n’est pas un professionnel. On comprend dès lors que la nouvelle dérogation soit introduite avec mesure et qu’il y ait mise en place de garde-fous. Même ainsi introduite, l’innovation nous paraît déceler des dangers potentiels assez similaires à ceux liés au développement de la finance participative. L’encadrement de cette nouvelle forme de crédit se traduit par quatre exigences : la première concerne les prêteurs, la seconde les emprunteurs, la troisième la relation contractuelle elle-même, la dernière le prêt lui-même. Le droit de prêter est réservé aux sociétés par actions ou aux sociétés à responsabilité limitée dont les comptes font l’objet d’une certification par un commissaire aux comptes. Il s’agit donc nécessairement d’entreprises importantes. Le prêt consenti doit être accessoire à l’activité principale. Cette exigence a été introduite dans un deuxième temps pour limiter les dérives possibles. Seuls les établissements de crédit peuvent avoir pour objet principal la fourniture de crédits. Cependant, l’appréciation du caractère accessoire pourra toujours être source de difficultés, par exemple, dans l’hypothèse de sociétés holdings n’ayant aucune activité industrielle et commerciale en elles-mêmes. Les emprunteurs sont nécessairement des microentreprises, des petites et moyennes entreprises ou des entreprises de taille intermédiaire avec lesquelles elles entretiennent des liens économiques le justifiant. La définition de ces différentes entreprises doit être trouvée dans un décret en date du 18 décembre 2008. La catégorie des microentreprises est constituée des entreprises qui : - d’une part, occupent moins de 10 personnes ; - d’autre part, ont un chiffre d’affaires annuel ou un total de bilan n’excédant pas 2 millions d’euros. La catégorie des petites et moyennes entreprises (PME) est constituée des entreprises qui : - d’une part, occupent moins de 250 personnes ; - d’autre part, ont un chiffre d’affaires annuel n’excédant pas 50 millions d’euros ou un total de bilan n’excédant pas 43 millions d’euros. La catégorie des entreprises de taille intermédiaire (ETI) est constituée des entreprises qui n’appartiennent pas à la catégorie des petites et moyennes entreprises, et qui : - d’une part, occupent moins de 5 000 personnes ; - d’autre part, ont un chiffre d’affaires annuel n’excédant pas 1,5 milliard d’eu- juillet-septembre 2015 - D - RTDCom. 11_Chron_Legeais_RTDCom 08/10/2015 11:13 Page 567 Crédit et titres de crédit ros ou un total de bilan n’excédant pas 2 milliards d’euros. La catégorie des grandes entreprises (GE) est constituée des entreprises qui ne sont pas classées dans les catégories précédentes. La troisième exigence concerne la relation contractuelle. Il doit exister des liens économiques justifiant le crédit. Quels peuvent-ils être ? Les travaux préparatoires invoquent des liens de sous-traitance. On peut aussi penser aux liens unissant fournisseurs et distributeurs. L’exigence d’un lien économique se justifie aussi par la volonté d’éviter des excès dans la liberté nouvellement reconnue. Il existe enfin des limitations qui tiennent au prêt lui-même. Tout d’abord, ce dernier doit être d’une durée maximum de deux ans. Ensuite, « l’octroi d’un prêt ne peut avoir pour effet d’imposer à un partenaire commercial des délais de paiement ne respectant pas les plafonds légaux définis aux articles L. 4416 et L. 443-1 du code de commerce. Un décret en Conseil d’État doit fixer les conditions et les limites dans lesquelles ces sociétés peuvent octroyer ces prêts ». Le législateur souhaite ainsi que le prêt ne puisse être un instrument de domination d’une société par une autre et puisse permettre de contourner des règles du droit de la concurrence ou de la distribution tentant de restaurer un certain équilibre entre partenaires. Cette limitation suffira-t-elle ? Le renforcement du lien contractuel ne peut qu’accentuer le phénomène de dépendance. Compte tenu de la spécificité de l’opération et de ces risques, il n’est pas surprenant de constater certaines exigences tenant au droit des sociétés lui-même. « Les prêts ainsi accordés sont formalisés dans un contrat de prêt, soumis, selon le cas, aux articles L. 225-38 à L. 225-40 ou aux articles L. 223-19 et L. 223-20 du code de commerce [dispositions relatives aux conventions réglementées]. Le montant CHRONIQUES des prêts consentis est communiqué dans le rapport de gestion et fait l’objet d’une attestation du commissaire aux comptes selon des modalités prévues par décret en Conseil d’État. » Comme en matière de garanties y aurat-il place pour un contrôle de l’intérêt social par le juge éventuellement saisi par un associé ? En cas de contrariété, la sanction serait-elle alors la nullité du prêt consenti ce qui imposerait une restitution immédiate ? Pour éviter toute spéculation : « Nonobstant toute disposition ou stipulation contraire, les créances détenues par le prêteur ne peuvent, à peine de nullité, être acquises par un organisme de titrisation mentionné à l’article L. 214-168 du présent code ou un fonds professionnel spécialisé mentionné à l’article L. 214154 ou faire l’objet de contrats constituant des instruments financiers à terme ou transférant des risques d’assurance à ces mêmes organismes ou fonds ». Malgré ces contraintes, il existe néanmoins une grande marge de liberté reconnue aux prêteurs. La principale concerne l’intérêt et sa fixation. Il est possible d’envisager un taux fixe ou variable, indexé ou non. C’est le droit commun du prêt, de l’intérêt et du TEG qui va s’appliquer. L’interdiction de l’usure ne s’applique pas. Entre entreprises, le contrat de prêt est nécessairement un contrat réel ce qui a des conséquences pour la formation. La remise des fonds est une condition de validité du contrat. Dans le silence des textes, il est permis de s’interroger quant à l’application d’autres règles. Le droit bancaire a fini par protéger complètement les emprunteurs. Qu’en sera-t-il en l’espèce ? Qu’en sera-t-il par exemple de la responsabilité pour rupture des pourparlers ou pour rupture de crédit. Le crédit consenti à une entreprise rencontrant des difficultés pourra également être source d’interrogations. Le prêteur pourra béné- RTDCom. - D - juillet-septembre 2015 567 11_Chron_Legeais_RTDCom 08/10/2015 11:13 Page 568 CHRONIQUES Crédit et titres de crédit ficier de l’exonération de responsabilité de l’article L. 650-1 du code commerce dans la mesure où la disposition s’applique au crédit interentreprises. De même, il faudra transposer au prêteur entreprise les règles applicables à un établissement de crédit (obligation de maintien des contrats en cours, privilège de paiement). Un droit nouveau reste enfin à construire, celui de la protection du prêteur non professionnel. La difficulté se posera également pour le prêteur ayant consenti un financement participatif. Que se passerat-il si le prêteur a été trompé sur la solvabilité de l’emprunteur ? Il est difficile d’envisager une protection spécifique dans la mesure où l’entreprise prêteuse est un professionnel même si ce n’est pas un professionnel du crédit. Le prêteur a assurément le droit de solliciter des garanties pour se protéger. Mais il ne peut bénéficier de la cession « Dailly » qui ne profite qu’aux professionnels établissements de crédit Il apparaît ainsi qu’un alinéa est peutêtre insuffisant pour régir cette nouvelle forme de crédit. En elle-même l’innovation ne se justifiait pas non plus avec la force de l’évidence. Il est permis de se demander si, s’agissant du monopole bancaire, sans réflexion d’ensemble préalable, notre droit ne passe pas d’un excès à un autre. Le monopole a pendant longtemps été conçu trop strictement ce qui a pénalisé nos établissements. Mais, pour autant, aujourd’hui convient-il d’encourager à ce point le financement parallèle et les modes de financement extrabancaires ? À quoi bon avoir introduit autant de règles protectrices s’il devient aussi facile de les contourner ?