A la télévision, au cinéma, sur scène, en vidéo, en librairie

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A la télévision, au cinéma, sur scène, en vidéo, en librairie
A la télévision, au cinéma, sur scène, en vidéo, en librairie, les comiques sont omniprésents.
Les grandes chaînes de télévision les invitent sur tous leurs plateaux, les éditeurs vidéo
comme les producteurs de cinéma leur proposent des ponts d'or.
Ils disposent de médias spécialisés : la chaîne Comédie !, la station de radio Rire et Chansons
(1,7 million d'auditeurs cumulés par jour) du groupe NRJ, des collections de livres comme
"Le Sens de l'humour" des Editions du Cherche-Midi ou chez Hors Collection. Ce n'est pas un
hasard si l'anti-héros de La Possibilité d'une île (Fayard, 2005), le dernier roman de Michel
Houellebecq, exerce la profession d'humoriste à succès.
Et l'humour s'infiltre aussi bien dans la danse contemporaine - à l'instar des chorégraphies de
la compagnie néerlandaise Hans Hof Ensemble - que dans le théâtre, le nouveau cirque, le
théâtre de rue ou la chanson, avec le renouveau de la veine comique qu'illustrent Anaïs et son
Cheap Show, le groupe Acide Lyrique et les Soeurs Pélisson. Aujourd'hui, la popularité d'un
Franck Dubosc est comparable à celle d'une vedette de la chanson.
Jean-Marie Bigard a rempli, comme Johnny Hallyday, le Stade de France et vend sur son site
Internet des tee-shirts et des DVD. Dany Boon peut occuper l'Olympia pendant plusieurs
semaines. Tout comme Laurent Gerra, dont le spectacle Laurent Gerra flingue la télé,
actuellement au Théâtre Marigny, à Paris, totalisera bientôt les 310 000 spectateurs. Selon le
magazine Capital du 28 janvier 2005, les revenus de Jean-Marie Bigard, Jamel Debbouze et
Laurent Gerra sont estimés entre 3 et 5 millions d'euros par an.
Faire rire est devenu une machine à rêves et à fric. En 2005, d'après le Centre national de la
chanson, des variétés et du jazz, les spectacles d'humour en one-man-show ont représenté 21
% des entrées du spectacle vivant en France, et la troisième source de perception de recettes
après les concerts et les festivals. L'humour détient aussi la deuxième place du nombre de
spectacles par an.
Encore ces chiffres n'incluent-ils pas les pièces comiques comme Stationnement alterné, de
Ray Cooney, Toc Toc de Laurent Baffie, les gros succès parisiens de cette saison.
L'Emmerdeur avec Richard Berry et Patrick Timsit, qui a provoqué des crises d'hilarité mais
aussi quelques débordements - malaises, altercation entre deux spectateurs parce que l'un
d'entre eux riait trop fort - sera de nouveau à l'affiche en octobre. Comédie reprise plusieurs
fois depuis un an, Arrête de pleurer, Pénélope a attiré 300 000 spectateurs.
A l'explosion des vocations répond, depuis environ six ans, une multiplication des créations et
des registres d'humour (vachard, narratif, politique, sexuel, communautaire, comique
d'imitation, de transformation physique...). Il y aurait ainsi 300 spectacles comiques par soir à
Paris, des grands théâtres aux salles de café. Les difficultés budgétaires à monter des pièces à
décor et plusieurs personnages expliquent aussi la propagation du "seul-en-scène", forme
légère et économe qu'ont adoptée cette année pour la première fois des vieux briscards tels
que Jackie Berroyer et Daniel Prévost, emboîtant ainsi le pas à d'autres acteurs chevronnés,
Pierre Richard, André Dussolier ou Josiane Balasko.
Les têtes d'affiche s'arrachent. "Un humoriste qui vient avec son régisseur nous coûte autant
qu'un groupe de musiciens qui doivent transbahuter leur matériel et leurs instruments. Dany
Boon, par exemple, est trop cher pour nous. Il demande 30 000 euros de cachet hors taxes.
L'hébergement, la restauration, le transport, la technique et la publicité sont en plus à nos
frais", explique Stéphanie Schmitt, chargée du service culturel de la ville de Bitche (Moselle)
et de la programmation de son théâtre de 850 places.
Cette saison, elle a mis à l'affiche Les Nouveaux Magnifiques de Michel Boujenah pour 12
708 euros TTC la représentation. En 2004-2005, elle avait pu s'offrir le spectacle de
l'imitateur Nicolas Canteloup, pas encore rendu célèbre par sa place attitrée dans l'émission de
Michel Drucker "Vivement dimanche" sur France 2.
Cette prolifération est largement imputable à la télévision, pour laquelle les comiques
représentent de très bons clients. Un extrait de sketch, un gag, une vanne, un petit happening
en plateau, quelques bouffonneries servent à épicer les talk-shows. Si le phénomène n'est pas
neuf - bon nombre d'humoristes quadragénaires et quinquagénaires (Jean-Marie Bigard, Mimi
Mathy, Muriel Robin, Chevallier et Laspalès) ont été révélés par "Le Petit Théâtre de
Bouvard" et "La Classe" -, il s'est accentué.
Davantage que les divertissements réguliers comme "Les Grands du rire" (tous les samedis
sur France 3) ou des soirées spéciales, il s'agit d'une présence diffuse dans bon nombre
d'émissions, en qualité d'invité ou de chroniqueur, à l'image du portraituriste vachard
Stéphane Guillon dans "Vendredi pétantes" et "Samedi pétantes" (Canal+) ou de Christophe
Alévèque, l'un des piliers d'"On a tout essayé" (France 2).
"Le comique est un facteur d'audience. L'émission consacrée à Jean-Marie Bigard a constitué
le meilleur score de la série de deux cents entretiens du magazine "Recto Verso''", constate
Jacques Expert, directeur des programmes de Paris Première, qui a lancé, voilà trois ans, une
case dévolue à l'humour tous les vendredis soirs et multiplie les cartes blanches à des
comiques.
"Les rieurs de la télévision occupent naturellement les autres écrans. Ils écrivent des
scénarios de film, ils en réalisent, mais leur marque de fabrique ne s'efface jamais. (...) Issus
des Nuls, des Inconnus, des Robins des Bois, une ribambelle de comédiens à succès imposent
leur rythme, celui du rire télévisuel, au cinéma", observe Olivier Mongin, directeur de la
revue Esprit dans son essai De quoi rions-nous : notre société et ses comiques (Plon), paru en
mars. Dernier exemple en date : Shirley et Dino, héros du film Cabaret Paradis, sorti sur les
écrans français le 12 avril.
Le vivier qu'a représenté "Nulle part ailleurs" est à l'origine de ce mouvement généralisé du
petit au grand écran. Lancée en 1987, l'émission-phare de Canal+ vit défiler et éclore de
nombreux talents : Antoine de Caunes, José Garcia, Jamel Debbouze, Michel Müller, Kad et
O, Eric et Ramzy, Edouard Baer, Benoît Délépine, qui ont réalisé et/ou joué ensuite au
cinéma. Tout comme Michael Youn, l'ancien trublion du "Morning Live" de M6, qui a tenu la
vedette dans La Beuze, Les 11 Commandements, Incontrôlable, aujourd'hui classé parmi les
dix acteurs français les mieux payés en 2005, selon Le Figaro Economie, avec Jean Dujardin
et Gad Elmaleh.
Et le mouvement n'est pas près de s'arrêter. En 2005, 4,4 millions de spectateurs ont vu Brice
de Nice, 2,5 millions Iznogoud, 2,2 millions Palais-Royal, 1,8 million Espace détente. Ces
quatre comédies font partie des sept films français qui ont connu le plus gros succès en 2005.
Et 2006 connaît déjà d'autres cartons aux box-office : Les Bronzés 3, de la troupe reconstituée
du Splendid (plus de 10 millions d'entrées) ; La Doublure de Francis Veber, déjà un million
d'entrées.
Le marché de la vidéo épouse la même courbe ascendante pour les stars du rire : 170 000
DVD de la première compilation des sketchs de "Samantha", sitcom de France 2, ont été
vendus et 130 000 de "Caméra Café" (M6). Des scores cependant peu élevés, eu égard aux
225 000 exemplaires de "Kaamelott", programme court diffusé par M6, et aux 700 000 du
spectacle L'Autre c'est moi, de Gad Elmaleh, meilleure vente pendant les fêtes de Noël 2005.
Un carton comparable à la vidéo du spectacle de Jean-Marie Bigard au Stade de France (700
000 aussi).
Du coup, les éditeurs vidéo peuvent se positionner trois ans à l'avance pour obtenir les droits
d'un spectacle. Les plus grandes stars du rire ont pu percevoir 500 000 euros d'à-valoir pour la
captation et la commercialisation de leur spectacle. Certains éditeurs auraient laissé des
plumes dans cette surenchère.
Macha Séry
Article paru dans l'édition du 18.04.06