KRUM - National Arts Centre

Transcription

KRUM - National Arts Centre
DOSSIER D’ACCOMPAGNEMENT SCOLAIRE
KRUM
Texte de Hanokh Levin
Mise en scène de Krzysztof Warlikowski
HANOKH LEVIN
KRZYSZTOF WARLIKOWSKI
Emmanuel Bornstein, Sans titre 8 (détail), 2007. Photo Thibaut Baron.
DU 17 AU 21 FÉVRIER À 19 H 30 AU THÉÂTRE
Texte de HANOKH LEVIN Traduction de JACEK PONIEDZIAŁEK
Mise en scène de KRZYSZTOF WARLIKOWSKI Avec MAŁGORZATA RONIATOWSKA,
MAŁGORZATA HAJEWSKA-KRZYSZTOFIK, MIRON HAKENBECK, MAREK KALITA,
REDBAD KLIJNSTRA, PAWEŁ KRUSZELNICKI, ZYGMUNT MALANOWICZ, ADAM NAWOJCZYK,
MAGDALENA CIELECKA, JACEK PONIEDZIAŁEK, ANNA RADWAN-GANCARCZYK, DANUTA STENKA
Scénographie : MAŁGORZATA SZCZ NIAK Lumières : FELICE ROSS Musique : PAWEŁ MYKIETYN
Film : PAWEŁ ŁOZISKI Coproduction du TR WARSZAWA et STARY TEATR (Cracovie)
SPECTACLE PRÉSENTÉ EN POLONAIS AVEC SURTITRES FRANÇAIS ET ANGLAIS
THÉÂTRE FRANÇAIS
WAJ DI
DIRECTION
BUZZENDIRECT.CA
MOUAWAD
ARTISTIQUE
BILLETTERIE DU CNA
lundi-samedi 10 h à 21h
TARIFS DE GROUPE
613-947-7000 x384
Une coproduction de TR Warszawa (Varsovie) et Stary Teatr (Cracovie)
Présentée au Théâtre français du Centre national des Arts
du 17 au 21 février 2009
Emmanuel Bornstein, Sans titre 2 (détail), 2007. Photo : Thibaut Baron.
KRUM
Ce dossier d’accompagnement scolaire a été rédigé par Sophie Labelle
TABLE DES MATIÈRES
L’auteur Hanokh Levin................................................................p. 2
Le metteur en scène Krzysztof Warlikowski..........................p. 8
Krum, le spectacle ......................................................................p. 13
Le contexte : La Pologne et Israël...........................................p. 19
Pour en savoir plus….................................................................p. 20
Bibliographie................................................................................p. 21
Crédits de la production
KRUM
Texte : HANOKH LEVIN
Mise en scène : KRZYSZTOF WARLIKOWSKI
Distribution
Trouda la bougeotte : MAGDALENA CIELECKA
Doupa la godiche : MALGORZATA HAJEWSKA-KRZYSZTOFIK
Le docteur Schibeugen : MIRON HAKENBECK
Takhti le joyau : MAREK KALITA
Tougati l’affligé : REDBAD KLIJNSTRA
Shkitt le taciturne : PAWEL KRUSZELNICKI
Dulce : ZYGMUNT MALANOWICZ
Bertoldo : ADAM NAWOJCZYK
Krum : JACEK PONIEDZIALEK
Felicia : ANNA RADWAN-GANCARCZYK
La mère de Krum : MALGORZATA ROZNIATOWSKA
Kika : DANUTA STENKA
Scénographie : MALGORZATA SZCZESNIAK
Lumières : FELICE ROSS
Musique : PAWEL MYKIETYN
Film : PAWEL LOZINSKI
La Fiducie nationale pour la jeunesse et l’éducation
La Fiducie nationale pour la jeunesse et l’éducation est la principale source de financement des programmes jeunesse et des
activités éducatives du Centre national des Arts. Les personnes et les organisations qui soutiennent la Fiducie aident le CNA à
poursuivre, dans le domaine des arts d’interprétation, des initiatives prioritaires visant à nourrir et à cultiver les talents créateurs
des jeunes de partout au Canada.
1
L’AUTEUR HANOKH LEVIN
Hanokh Levin est un auteur dramatique né à Tel-Aviv en Israël en
1943 et mort prématurément d’un cancer en 1999, dans sa ville
natale. Auteur d’une cinquantaine de pièces, il a également écrit
des sketches, des chansons, de la poésie et de la prose. Il a été
l’un des hommes de théâtre les plus importants et les plus actifs
d’Israël. En plus de mettre en scène la plupart de ses pièces, il a
mis sur pied l’association des auteurs dramatiques d’Israël pour
protéger les droits des dramaturges et favoriser leur rayonnement
national et international.
Par sa voix discordante, il a incité son public à se voir tel qu’il est.
Il a ainsi souhaité contrer le relâchement et l’indifférence tellement
présents dans nos sociétés modernes. La guerre est omniprésente
dans son théâtre, sous toutes ses formes, et dans tous les genres
qu’il a pratiqués. Pour lui, le théâtre est un acte citoyen. Toute son
œuvre est teintée du contexte si particulier de son pays, Israël, et
du peuple juif auquel il appartient.
Son œuvre se décline en trois genres principaux, qui ont chacun leurs caractéristiques propres, mais qui
traduisent tous un sentiment d’incompétence de l’humanité, teinté d’une lucidité tragique et d’un sentiment
du dérisoire de l’existence.
LES SATIRES ET PIÈCES POLITIQUES
Hanokh Levin est un jeune adulte lorsqu’éclate la Guerre des Six-Jours en Israël, en 1967. Il écrit ses
premières œuvres en réaction à des événements réels, à des guerres spécifiques. Prenant la forme de
cabarets, ses courtes œuvres satiriques questionnent la logique de guerre dans laquelle plonge son pays.
Il souhaite ouvrir les yeux de ses compatriotes sur les réalités et les erreurs de l’occupation des territoires.
Il ira loin, provoquant cris et discussions pendant et après les spectacles, particulièrement pour Reine de la
salle de bain, un cabaret créé en 1970, grâce auquel il atteindra la notoriété, même si la pièce est interrompue
après dix-neuf représentations, sous la pression du public.
Il souhaite instaurer une relation entre lui et son public, lui ouvrir le cœur et l’aider à faire face à ce que les
Juifs font aux Arabes, au nom du judaïsme. Mais il ne pointe pas un gros doigt accusateur et ne cherche pas
à susciter de la culpabilité. Avec ironie et vivacité, il transmet un message humain, charitable et douloureux.
2
LETTRE D’UN SOLDAT À SON PÈRE
(chanson)
Cher papa
Quand tu seras debout au-dessus de ma tombe
Vieux fatigué solitaire
Que tu verras mon corps se recouvrir de terre
Toi en haut, papa, et moi dans la pénombre
N’essaie pas de prendre une posture inspirée
Tête haute regard fier
Profite bien, papa, de notre ultime chair à chair
Bientôt tu n’auras plus que tes yeux pour pleurer
Ne retiens pas tes larmes oublie la dignité
Ne joue pas les vainqueurs
Demande-toi plutôt, papa, si c’est à ton honneur
D’avoir soudain un fils étendu à tes pieds
Ne parle surtout pas de ton grand sacrifice
Le sacrifice c’est moi seul qui l’ai fait
Garde tes grands mots, papa, ils seront sans effet
Je n’entendrai plus rien au fond du précipice
Cher papa
Quand tu seras debout au-dessus de ma tombe
Vieux fatigué solitaire
Que tu verras mon corps se recouvrir de terre
Papa, demande-moi pardon
(Reine de la salle de bains, 1970)
3
LES COMÉDIES CRUES ET GRINÇANTES
Krum fait partie d’une série de pièces qui se situent sur la délicate frontière entre la comédie, la farce et le
drame. Le conflit s’intériorise, la guerre réelle devient la guerre des sexes et la guerre entre les générations.
Dans ces comédies caustiques, Levin dévoile la cruauté au quotidien. Il modernise des structures et des
thèmes abordés dans l’Antiquité par Aristophane et par Molière à la Renaissance. Parmi les thèmes abordés
dans ses premières comédies, on retrouve des jeunes filles en quête du mariage, auquel la famille,
particulièrement le père, fait obstacle. Il s’amuse à nous montrer combien le couple est une torture réciproque.
Il fait également souvent allusion au rapport particulier que les Juifs entretiennent avec l’argent, au fait que
tout se vend et s’achète. Les rapports entre les personnages sont souvent brutaux, le langage est cru, parfois
même obscène.
Voici un extrait d’une scène entre Sétcha, la mère, Shitz, le père et leur fille Shpratzi dans la pièce Shitz.
SÉTCHA - Qu’est-ce que tu attends pour te marier ?
Qu’est-ce que tu attends pour te marier ?
Tu es déjà toute desséchée,
Tu vas bientôt tomber en poussière.
Pourquoi crois-tu que je me suis mariée, moi ?
Parce que je j’en avais envie ? Besoin ?
Tu parles !
Non, si j’ai pris un mari, c’est pour pouvoir marier une fille.
Qu’est-ce que tu attends pour te marier ?
Qu’est-ce que tu attends pour te marier ?
SHPRATZI – Et toi, qu’est-ce que tu attends pour crever ?
SHITZ – Marie-toi et je crèverai.
SHPRATZI – Crève et je me marierai.
Tu crèves d’abord. Une fois que je serai libre, mes traits s’adouciront, mes yeux retrouveront leur éclat et
l’homme qui me verra pleurer sur une double pierre tombale me tendra enfin la main.
SÉTCHA – Mais tu ne vois pas que ton père et ta mère sont à l’agonie ?
La chanson de l’attente de l’homme
SHPRATZI –
Qu’il arrive déjà
Peu importe qui ce s’ra
Depuis l’temps que j’attends un homme
J’me contenterai du minimum
Ô mon Dieu, ô mon Dieu,
Faites qu’une ombre virile se pose sur ma peau
Glisse enfin le long de mon dos
Car d’année en année
Je suis plus fatiguée
Le cœur se ratatine
Et la chair dégouline
Le sourire se fane
Et le sang reste en panne
Et bientôt il faudra que je m’achète
Un toutou à frisettes.
4
De la maison, on passe ensuite au quartier, qui devient aussi un champ de bataille. Le quartier est une
métaphore du monde entier. Les personnages y vivent les grands moments de la vie, connus d’avance :
naissance, mariage, maladie, enterrement. Le lieu, indéfini, est un espace urbain, la ville et le pays sont en
arrière-plan. Levin oppose les quartiers misérables aux beaux quartiers, vers lesquels tous les personnages
voudraient migrer. Mais ses personnages sont pauvres non pas par manque d’argent mais par étroitesse
d’esprit. Ils reproduisent des comportements cycliques éternels, déçus par un quotidien qui ruine les grandes
promesses de la vie. Alors ils fantasment. Un peu comme chez le dramaturge russe Anton Tchekhov, les
personnages sont plus occupés à parler de ce qu’ils vont faire qu’à le faire. Ses pièces sont construites en
une succession de brefs tableaux, qui présentent des situations précises et soulignées, où l’on reconnaît des
agissements humains familiers. Cette familiarité et la combinaison entre le rire et la tristesse font des
comédies de Hanokh Levin un miroir grossissant qui donne à réfléchir.
Voici la dernière réplique de la pièce Yakich et Poupatchée, dans laquelle un jeune homme et une jeune fille
très laids finissent par se marier pour éviter la solitude.
POUPATCHÉE – (au public)
Voilà que nous en avons fini
Et comme toute fin celle-là aussi
A un petit goût acidulé
Et un petit goût désespéré
Tout autour rien que de la laideur
Pourtant ce n’est pas de gaîté d’cœur
Qu’on quitte la scène et nos malheurs
On était bien sous les projecteurs
Si ce n’est pas en demander trop
Souvenez-vous de nous en plus beau
Nous tirons là notre révérence
De vous dépendra notre existence
C’est vous qui
Nous donnerez
Vie
5
LES TRAGÉDIES
En parallèle avec ses comédies, Hanokh Levin écrit des tragédies ayant encore pour thème la guerre, plus
précisément la violence et la lutte pour la survie. Au départ, il s’inspire des grandes tragédies anciennes. Il
adapte des classiques, il travaille à partir des mythologies grecques, juives et chrétiennes. Il dialogue avec
les grands auteurs que sont Sophocle, Euripide, Shakespeare, Tchekhov, Beckett. Ensuite, il peaufine des
créations originales sur le mode tragique. Il utilise les attributs de la tragédie classique comme le chœur, pour
inventer une tragédie contemporaine, questionner la souffrance, la responsabilité de l’homme et celle de
Dieu.
Mesdames et messieurs, regardez,
un homme tombe du haut d’un toit.
Les bras écartés, il tournoie dans les airs,
son cri se brise et résonne.
Vous reculez d’un pas, de peur
que son sang vous éclabousse
mais, fascinés, vous suivez sa chute
et attendez, avec délectation et horreur,
l’instant fatal, l’instant unique
où son corps heurtera le sol.
N’y cherchez pas un sens ni une morale,
contentez-vous d’apprécier le spectacle : un homme tombe
et bientôt il sera mort.
(Les Souffrance de Job)
NOTORIÉTÉ
Hanokh Levin commence très tôt à mettre lui-même en scène ses propres pièces. Pour lui, l’écriture et la mise
en scène deviendront rapidement un seul processus. Il réfléchit sur le théâtre en le faisant et ne s’explique
pas autrement que par la pratique de son art. D’ailleurs, de son vivant, il ne donnait pas d’entrevue. La plupart
des metteurs en scène qui ont travaillé sur ses textes s’accordent pour dire que la simplicité est la plus
grande qualité de son écriture.
Pour lui la scène est un espace vide et il mise beaucoup sur le jeu des acteurs. Ses personnages sont
souvent superficiels, leur intériorité leur échappe, ils sont très typés. Ils disent des choses que normalement
personne ne dirait. Le jeu des acteurs est alors déréglé, mais aussi jubilatoire. Ses pièces sont un mélange
explosif de comique et de pathétique. Chez les spectateurs, elles provoquent un intéressant sentiment
d’attraction et de répulsion.
Son œuvre connaît un succès grandissant en Europe, et plusieurs de ses pièces ont été traduites et jouées
en Angleterre, France, Allemagne, Roumanie, Pologne, Espagne, Russie, Italie et même en Chine.
6
ACTIVITÉS PROPOSÉES
Autour de l’auteur Hanokh Levin
•
À partir des extraits présentés dans ce dossier, que pensez-vous du style de l’auteur?
o Trouvez-vous son langage cru?
o Est-il possible de faire dans la dentelle lorsqu’on veut dénoncer une situation?
•
Que pensez-vous de sa volonté de dénoncer la situation des Arabes dans les territoires occupés?
o Aurait-il dû plutôt faire preuve de patriotisme pour son pays?
Endosser à 100% les actions politiques de son gouvernement?
•
Que pensez-vous de l’utilisation du théâtre pour faire valoir ses idées?
o Pour défendre un point de vue, une pièce de théâtre vous semble-t-elle une solution efficace?
o Quelles seraient les autres possibilités?
Autour de La lettre d’un soldat à son père présentée dans ce dossier.
•
Est-ce que la fin de la lettre vous a surpris?
•
Pensez-vous que les aînés, qui sont souvent ceux qui prennent les décisions dans un pays,
sont responsables du sort des jeunes qu’ils envoient à la guerre?
•
Hanokh Levin transpose une situation collective en une situation intime.
Croyez-vous que c’est plus efficace? Que ça provoque plus d’effet chez le spectateur?
Jouer Hanokh Levin
On retrouve en français un volume comprenant plusieurs courtes œuvres de Levin, des chansons, des
monologues et des courtes scènes, issus de sa période « cabaret ». Ces œuvres sont amusantes,
intelligentes et peuvent représenter un beau terrain de jeu pour de jeunes acteurs. Si vous désirez tenter
l’expérience avec vos élèves, le livre est disponible par Internet sur Amazon, et votre libraire ou votre
bibliothèque peuvent sans doute le commander. Il s’intitule Que d’espoir! et a été publié aux Éditions
théâtrales en 2007.
http://www.editionstheatrales.fr/catalogue.php?num=476
7
LE METTEUR EN SCÈNE
KRZYSZTOF WARLIKOWSKI
Krzysztof Warlikowski est un metteur en scène
polonais, né en 1962 en Pologne. Jeune adulte, il
étudie la philosophie et l’histoire à l’université
Jagellonienne de Cracovie. Il quitte ensuite son pays
pour Paris, où il suit des cours d’histoire du théâtre,
de littérature et de philosophie à la Sorbonne. De
retour chez lui en 1989, il entreprend des études en
mise en scène. Il crée son premier spectacle, Nuit
blanche, à partir de la nouvelle de Dostoïevski, en
1992. Ensuite, il sera pour quelques spectacles
l’assistant de grands noms du théâtre européen,
comme Peter Brook et Krystian Lupa. Il acquiert une
notoriété chez lui et ensuite partout en Europe, où
depuis quelques années de grands théâtres et
festivals présentent ses spectacles en polonais ou le
convient à créer des spectacles et des opéras.
Très tôt dans son parcours, il s’intéresse à
Shakespeare, dont il a jusqu’à maintenant mis en
scène neuf textes. Voici son point de vue sur le grand
dramaturge anglais :
« C’est l’essence même du théâtre. C’est justement ainsi qu’agit la chimie des textes de Shakespeare : lus
de manière appropriée, dépouillés des masques de la convention, des costumes historiques et des stupides
mises en scène traditionnelles, ils deviennent des textes sur les gens d’aujourd’hui. Et il n’y a que ce
Shakespeare-là qui vaille la peine d’être joué, sinon il est impossible d’exprimer vraiment les significations
contenues dans ses pièces vraiment géniales.1 »
Tout Warlikowski est contenu dans ce paragraphe. Son admiration fondatrice pour Shakespeare, sa volonté
de sortir des sentiers battus, son anticonformisme et son désir de faire des spectacles ici et maintenant, pour
les gens d’aujourd’hui. Avec lui, nous sommes à mille lieues d’Hollywood, du connu, du rassurant. Assister
à un spectacle de Warlikowski, c’est accepter de prendre part à une aventure humaine déstabilisante. Le
metteur en scène s’intéresse à ce qui est caché au fond de nous, à nos angoisses, nos passions. Il cherche
à aller vers l’inconnu, l’insaisissable.
« Pourquoi devrions-nous accepter le mensonge bourgeois au théâtre? Le théâtre devrait nous faire sortir
du rythme quotidien de la vie et non le confirmer. Il n’y a pas de compromis. Le théâtre devrait être un
instrument de connaissance et non un instrument artistique. »
1 Toutes les citations de Krzysztof Warlikowski sont tirées du livre Théâtre écorché, un ouvrage conçu et réalisé
par Piotr Gruszczynski, paru chez Actes Sud en 2007.
8
THÈMES
Selon Hanna Krall, une journaliste et écrivaine polonaise, les quatre piliers du théâtre de Warlikowski sont
l’Antiquité, le Bible, l’Holocauste et Shakespeare. Ce ne sont pas nécessairement des thèmes, mais plutôt
des fondations sur lesquelles il s’appuie pour confronter les idées anciennes aux idées nouvelles. L’Antiquité
et la Bible, par exemple, lui permettent de réfléchir au penchant de l’homme à vouloir remettre sa vie entre
les mains de quelqu’un d’autre. Warlikowski considère que l’être humain a tendance à vouloir être le
spectateur de sa propre vie et non pas le héros.
« C’est dans la nature de l’homme de se chercher un destin face à l’absolue liberté dont il peut avoir peur.
Même l’invention des signes du zodiaque est une tentative de déterminer le sort. »
Parmi les thèmes qu’il tente de déterrer on retrouve l’identité sexuelle, l’homosexualité, la culpabilité et à la
vie banale. La question juive, à travers la perspective de l’Holocauste, l’accompagne depuis ses débuts. Il
faut savoir que Krzysztof Warlikowski s’est donné comme mission de montrer à ses compatriotes des
nouvelles réalités, après la chute du régime communiste dans son pays, en 1989.
« Je voulais que nous soyons exposés à ce que nous ne voyons pas dans la rue, ce que la société
occidentale voit quotidiennement, par exemple des hommes se tenant par la main et s’embrassant. En
Pologne, devant une telle vision, les gens cracheraient ou frapperaient. Je voulais ouvrir quelque chose pour
ceux qui vivent refoulés. »
Il s’attaque aussi à la religion. Pour lui, les adversaires sont essentiels au théâtre. La réflexion autour d’un sujet
apporte une vitalité qui elle-même provoque l’envie de lutter. Des problèmes nouveaux passent dans la sphère
publique grâce à ses spectacles. Son théâtre est politique, dans le sens de public et citoyen. Dans son
parcours, il a mis en scène différents spectacles touchant de près ou de loin à la question juive, comme
Krum, bien sûr, mais aussi Le Dibbouk, dans lequel il a superposé une pièce d’inspiration juive traditionnelle
à une pièce contemporaine. Lui-même n’est pas juif, quoique son grand-père, qui a été adopté, provenait sans
doute d’une famille juive. Lorsqu’on lui demande pourquoi il s’intéresse autant à cette problématique, voici
ce qu’il répond :
« Je suis polonais, cela suffit pour que cette thématique me soit proche en permanence. À Varsovie, j’ai
toujours l’impression de vivre dans un cimetière. »
« La prise de conscience de la vie et de l’anéantissement des Juifs en Pologne. C’est, selon moi, le chaînon
manquant de l’identité actuelle d’un Polonais. »
9
La Tempête | Texte de William Shakespeare
Shakespeare
Les mises en scène de Warlikowski des pièces de
Shakespeare ont dépoussiéré son œuvre et ont
complètement renversé la perspective qu’on pouvait avoir
sur celle-ci. Pour le metteur en scène, même les pièces
qui sont classées comme des comédies abordent des
sujets graves et ne peuvent se terminer par un « happy end
». Des pièces considérées politiques ou guerrières comme
Hamlet et Macbeth, il a souligné toute l’intensité et
l’intimité et les a transformées en drames familiaux.
Shakespeare est pour lui un miroir de l’humanité. C’est une
parole révolutionnaire, pas du tout figée.
Mise en scène de Krzysztof Warlikowski Création au TR Warszawa
Photo : Stefan Okolowicz
Shakespeare, pour lui, ne pouvait pas avoir écrit de
simples farces avec ses comédies amoureuses. Pour
Warlikowski, son théâtre est celui du grand bouleversement, du désordre, principalement au niveau de
l’identité sexuelle. L’ambiguïté sexuelle chez Shakespeare est une source d’inspiration pour Warlikowski, un
reflet très juste de notre monde contemporain. Il ne perd jamais de vue qu’à l’époque de Shakespeare, les
rôles féminins étaient tenus par de jeunes garçons, ce qui a dû provoquer, présume-t-il, des troubles de
l’identité et du désir, tant chez les spectateurs que chez les acteurs eux-mêmes. Selon lui à notre époque,
le féminisme et l’homosexualité ont changé nos rapports amoureux et sociaux. Il n’est plus nécessaire de s’en
tenir à des relations amoureuses traditionnelles. Il retrouve chez Shakespeare des personnages qui ont
expérimenté des changements de sexe, ou d’autres qui revendiquent un nouvel ordre des choses et qui
finissent par se soumettre, ou d’autres encore qui ont des relations ambiguës avec un de leur parent, père,
mère, frère ou sœur. Les ressources sont infinies chez Shakespeare, pour peu qu’on ne le traite pas comme
un vieil auteur poussiéreux. Le plus grand hommage qu’on peut faire à son génie est d’y plonger et d’explorer
les parallèles qu’on peut y faire avec notre vie et notre société d’aujourd’hui. Warlikowski, lorsqu’il décide de
mettre en scène un auteur de son époque, comme il l’a fait avec Krum de Hanokh Levin, essaie d’élever cet
auteur « au niveau de Shakespeare », c’est-à-dire d’en extraire le plus d’humanité et le plus de possibilités,
sans arrière-pensées, sans contraintes.
ESPACE DE RENCONTRES
Krzysztof Warlikowski a mis en scène près de cinquante spectacles de théâtre et d’opéra depuis 1992. Il
travaille depuis ses débuts presque toujours avec la même scénographe, Malgorzata Szczesniak, qui conçoit
des décors qui se fondent dans l’ensemble du travail du metteur en scène, afin de former un tout cohérent.
Les scénographies s’effacent, s’oublient au profit de la représentation et font écho à l’univers de la pièce. Il
crée souvent de grands espaces en hauteur, enrichis de quelques meubles, quelques objets. Pour lui, il est
important que l’objet soit vraiment l’objet, qu’une table soit une vraie table, qu’elle pèse le poids d’une table
et ne soit pas un accessoire de théâtre, plus léger. Mais parallèlement, il est difficile de situer ses espaces
scéniques temporellement ou géographiquement. Il ne s’impose aucune règle au niveau esthétique, et ne veut
se soumettre à aucune tradition. En rejetant les conventions, il essaie de parvenir à l’essence de ce qui parle
aux spectateurs d’aujourd’hui. Il tient à montrer des situations et des choix individuels et intimes, c’est
pourquoi les pièces qu’il choisit de monter sont souvent épurées de toutes leurs références géographiques,
religieuses, historiques. Il cherche à faire un théâtre pas trop propre, pas trop organisé, pour ne pas qu’il
perde de sa sincérité.
10
« En général, la scène dérange ; on voudrait en descendre et entrer dans la salle. Il faut l’oublier, en faire le
prolongement de notre conscience. Ce lieu est en fait le plus grand obstacle du théâtre. La scène crée la
distance, elle se trouve du côté saint, du côté de la convention, des attentes, au lieu d’être le lieu de
l’imagination. Le mieux serait qu’il n’y ait pas, au théâtre, de lieu défini pour le jeu, que nous échangions sans
cesse nos rôles, nous les spectateurs, vous les acteurs. »
Warlikowski travaille le plus souvent possible avec le même noyau d’acteurs, la plupart polonais mais certains
originaires de d’autres pays d’Europe. À chaque nouveau spectacle qu’il crée avec sa troupe, il a l’impression
de pouvoir compter sur ce qu’ils ont découvert au cours du travail sur le spectacle précédent. Il fait appel
au vécu le plus intime des acteurs, et lorsqu’ils sont en représentation, ces derniers travaillent à partir de leur
sphère privée. Ils ne font jamais semblant, ils ne jouent pas, ils ne démontrent pas les émotions ; ils les
ressentent. Ils se placent ainsi au même niveau que les spectateurs, qui reçoivent le spectacle dans leur vérité
la plus intime. C’est ainsi que les acteurs et le public peuvent se rejoindre. Cette rencontre autour de
sentiments humains est au cœur du travail de Warlikowski. Comment agir sur les spectateurs, comment leur
parler est sa principale préoccupation. Souvent, ses spectacles commencent et se finissent doucement. Il
cherche ainsi le plus possible à effacer la frontière entre la fiction et la réalité. Il souhaite que le spectateur
émerge tranquillement, et ressente profondément cette idée qui lui est chère : le théâtre est le miroir de la vie.
Si le metteur en scène est exigeant envers son équipe, c’est pour arriver à créer un objet théâtral dans lequel
les gens se reconnaissent, qui commente la condition actuelle du monde des humains. On est ici bien loin
du divertissement stérile, quoique son travail ne manque pas d’humour, un humour provoqué par l’effet de
miroir grossissant : on reconnaît nos absurdités et nos faiblesses dans les personnages. Mais Warlikowski
n’est pas qu’exigeant envers son équipe. Il l’est tout autant envers les spectateurs, comme il le confiait à Piotr
Gruszczynski lors d’un entretien.
« P.G. – Quelles obligations le spectateur a-t-il dans ton théâtre?
K.W. – Il n’a que des obligations. Il doit oublier son téléphone portable, écouter les textes et, après le
spectacle, penser.
P.G. - Y penser après?
K.W. – Oui. Qu’il reçoive et reçoive encore. Que cela prolifère, ensuite il en discutera! C’est une catastrophe
lorsqu’on sort après le spectacle, qu’on va au restaurant ou à une rencontre et qu’il ne reste que l’idée
« C’était chouette, ce spectacle ! »
Après la représentation, c’est donc au spectateur de jouer…
11
ACTIVITÉS PROPOSÉES
Autour des citations de Warlikowski
Que pensez-vous de cette affirmation :
« Pourquoi devrions-nous accepter le mensonge bourgeois au théâtre? Le théâtre devrait nous faire sortir
du rythme quotidien de la vie et non le confirmer. Il n’y a pas de compromis. Le théâtre devrait être un
instrument de connaissance et non un instrument artistique. »
• Qu’est-ce selon vous que le mensonge bourgeois au théâtre ?
• Lorsqu’il parle de connaissance, de quoi parle-t-il selon vous ?
• Quelles sont les différences entre un metteur en scène qui désire « faire joli » et un autre qui souhaite
explorer l’âme humaine dans ses spectacles ?
• Dans cette perspective de rejet des conventions et d’anticonformisme qui qualifie le travail de
Warlikowski, quelles sont vos attentes par rapport au spectacle Krum?
o Comment imaginez-vous le spectacle que vous allez voir ?
Sur les obligations du spectateur
• Que pensez-vous de l’idée qu’a Warlikowski de l’implication du spectateur durant et après un de ses
spectacles?
• Êtes-vous d’accord avec lui?
• Vous est-il déjà arrivé d’être habité par un spectacle après l’avoir vu?
o De quel spectacle s’agissait-il?
o En quoi vous a-t-il bouleversé?
o Y pensez-vous encore?
o Avez-vous l’impression qu’il a changé votre vie?
Autour de l’identité
Comme on a pu le constater, tant le travail de l’auteur Hanokh Levin que celui du metteur en scène Krzysztof
Warlikowski est teinté de leurs expériences personnelles, de ce qui les définit en tant qu’être humain, dans
l’espace, le temps et leurs rapports aux autres. Levin était un Juif israélien, issu d’une importante lignée de
rabbins. Il est venu au monde durant la Deuxième guerre mondiale et a vécu toute sa vie au milieu de conflits.
Warlikowski est Polonais, né sous le régime communiste, dont il a vécu la chute. Il est homosexuel dans un
pays où la religion catholique est très influente. Leur théâtre à chacun s’inscrit dans leur réalité.
• Quels sont les auteurs et metteurs en scène qui représentent le mieux selon vous la culture québécoise
ou canadienne ?
• Quels sont les éléments essentiels qui constituent l’identité québécoise ou canadienne ?
o Au niveau historique ?
o Géographique ?
o Social ?
12
KRUM
LE SPECTACLE
La pièce de Hanokh Levin est considérée comme une comédie,
mais le traitement que lui a accordé Warlikowski lui apporte une
épaisseur, la grandit en quelque sorte. Effectivement, cette pièce
aurait pu être montée comme une comédie un peu caricaturale,
sans qu’on n’y trouve rien à redire. Mais d’un texte qui prend
environ soixante-quinze minutes à lire, le metteur en scène a fait
un spectacle de deux heures quarante-cinq, qui n’ennuie pas
une seconde. Les temps, les silences sont essentiels au
spectacle. C’est grâce à eux qu’on mesure tout le dénuement
des personnages.
THÈMES
Krum traite essentiellement de l’impossibilité de vivre vraiment
Photo : Stefan Okolowicz
sa vie. Les personnages sont issus d’un quartier modeste, et au
cours du spectacle, on les voit prendre la pleine mesure de l’écart entre leurs aspirations et la réalité. On
découvre avec eux qu’il est plus facile de renoncer à ses rêves, qu’il est plus facile de rester que de partir.
Pour chacun d’entre eux, sous différentes formes, la révolte de la jeunesse fait place à la résignation de la
vieillesse. Leur insatisfaction généralisée prend en bonne partie sa source dans une absence d’amour. Et
s’ils ne peuvent pas aimer et être aimés, c’est parce qu’ils sont trop pris par leurs obsessions. Selon Piotr
Gruszczynski, « Leur vie est un mélange de tragique et de comique qu’engendre le caractère mortel de
l’homme ». Ils sont humains, ils se débattent avec les mêmes choses que nous : le désir d’une vie
meilleure, qui se traduit autant par le désir d’écrire un roman, de changer de quartier, de bien manger que
d’avoir un plus beau corps. Même si elle est sous-titrée « Pièce avec deux enterrements et deux mariages
», personne dans Krum ne pleure ni ne sait pleurer ; ni de joie, ni de tristesse. Ils sont angoissés, égoïstes,
déçus, menteurs, mais, surtout, plein de désirs inassouvis.
« Le conflictuel dialogue mère-fils, le difficile rapport homme-femme, l’angoisse de la maladie et de la
mort, les frustrations d’une vie subie plus que choisie, le désespoir devant un avenir sans projets, la
décomposition de la famille, sont pris en charge par des acteurs qui utilisent chaque mot, chaque geste,
chaque silence pour tisser un lien étroit avec les spectateurs et les emporter dans les tours et détours de
cette tragi-comédie humaine. » Extrait de la présentation du spectacle sur le site Internet du Festival
d’Avignon, où il a été présenté en 2005.
13
PERSONNAGES
En hébreu, les noms des personnages veulent dire quelque chose, comme par exemple en français le
prénom Constance. Le caractère de chacun est annoncé par son nom, ce qui était impossible à
reproduire en français. La traductrice a plutôt choisi de conserver les prénoms hébreux et de leur accoler
un surnom. Dès leur entrée en scène, grâce aux costumes, on saisit aussitôt l’essence du caractère des
personnages, comme dans une comédie.
KRUM – L’ECTOPLASME est le personnage-titre et celui dont on suit le parcours. Vêtu d’un costume de
cowboy au début de la pièce, il revient d’un voyage à un endroit indéterminé. Ce périple qui aurait dû être
pour lui l’occasion de changer de vie ne lui aura rien apporté. Il revient dans sa ville, dans son quartier,
dans la maison maternelle sans aucun changement. Il porte en lui le désir d’écrire un roman, mais ne s’y
met jamais. Il est beau, grand et charmant, mais ne remplit pas ses promesses. Sa relation avec sa mère
est une relation d’amour-haine. Elle a de grandes attentes à son sujet et est constamment déçue par lui.
KRUM : Apparemment, imaginer le départ me convient mieux que de partir vraiment. D’ailleurs, tu me
connais, je n’ai pas changé, j’en veux toujours autant et j’en fais toujours aussi peu. J’attends que mon
grand roman, le roman du siècle, s’écrive de lui-même. J’attends la superbe créature très riche que je
croiserai un jour dans la rue, par hasard bien sûr, et qui, subitement, ne voudra de personne d’autre que
moi, oui, moi.
LA MÈRE DE KRUM souhaite par-dessus tout qu’il se marie et fasse des enfants. En privé, elle l’accable
de reproches alors qu’en public, elle se montre très fière de lui. Sur scène, elle est très simplement vêtue
de noir. Elle est certaine que son fils préférerait la voir morte, c’est le classique personnage de la mère
juive.
LA MÈRE : J’irai dormir quand ça me chantera. Évidemment, lui, il préfère que je dorme. Comme ça, je ne
vois rien, je n’entends rien, je ne demande rien, j’ai juste le nez qui sifflote un peu.
TROUDA LA BOUGEOTTE est l’ancienne petite amie de Krum, qu’il va reconquérir puis de nouveau
abandonner après son retour. Elle l’aime et souhaite l’épouser, mais devra se contenter de Takhti. Sur
scène, elle est belle et sexy de façon désespérée.
TROUDA : Trouda. C’est comme ça que je m’appelle. Je ne peux pas nier que ces deux syllabes éveillent
en moi une certaine émotion quand j’entends quelqu’un en faire tout un opéra. Trouda. Je ne savais pas
qu’on pouvait y mettre autant de tristesse, autant de tendresse, qu’un jour, ce nom prendrait une telle
profondeur.
TOUGATI L’AFFLIGÉ est le meilleur ami de Krum. Totalement hypocondriaque, il est convaincu qu’il va
mourir incessamment. Il est obsédé par la question de savoir s’il est mieux de faire de la gymnastique le
matin ou le soir. Mais comme il ne peut y répondre, il ne fait aucun sport, ce qui lui donne une santé
fragile. C’est un personnage extrêmement particulier. C’est avec lui que Warlikowski aborde toute la
thématique de l’ambiguïté sexuelle. Il a les cheveux longs, et porte parfois des vêtements de femme.
TOUGATI : Krum, je veux guérir, je veux guérir ! Ce que j’ai connu jusqu’à présent, ça ne s’appelle pas
vivre. Je me suis juste préparé, je n’ai fait que des projets, non, ça ne s’appelle pas vivre, ça ne s’appelle
pas vivre ! Plus je vais mal, plus je m’accroche à cette misérable existence. Comme une mouche à son tas
de merde. Lamentable.
14
DOUPA LA GODICHE est une amie de Trouda qui épousera Tougati malgré elle car elle ne supporte plus
sa solitude. Sur scène elle est très frappante. Elle est vêtue d’une courte robe noire en latex qui se veut
sexy mais qui est surtout triste. Elle est usée par la vie.
DOUPA : Doupa la Godiche s’en va, mesdames et messieurs! Elle part à la conquête de la grande
distribution ! Mes rires tinteront en même temps que les pièces de monnaie. Un homme plein d’entrain
posera ses cigarettes américaines sur le tapis roulant, il m’arrachera à ma chaise de caissière et
m’emmènera droit à Acapulco!
TAKHTI LE JOYAU est amoureux fou de Trouda, mais il s’efface dès que Krum revient dans le paysage. Il
finira tout de même par l’épouser, non sans perdre en chemin son estime de soi, car il lui est totalement
soumis. À la fin de la pièce, il est habillé en travesti, ce qui symbolise sa soumission à Trouda et son
mépris de lui-même.
TAKHTI : As-tu déjà eu l’impression que ta vie n’était pas à l’intérieur de toi, mais à l’extérieur, sur ton dos,
comme une bosse ?
DULCÉ ET FELICIA sont des voisins qui se disputent sans cesse et qui courent les mariages et les
enterrements pour pouvoir manger gratuitement.
TSWITSA LA TOURTERELLE est une enfant du quartier qui a réussi à s’en sortir. Lorsqu’elle fait son
apparition dans la pièce avec son amant Bertholdo, elle ébranle totalement Krum qui s’apprêtait à épouser
Trouda. Il se met à la désirer par-dessus tout, ou plutôt à désirer la réussite sociale qu’elle représente.
Sur scène, elle ressemble à une poupée.
BERTHOLDO est l’amant italien de Tswitsa qui ne pense qu’à faire l’amour à sa belle. Il est très
caricatural.
SHKITT LE TACITURNE est un autre ami de Krum, qui lui va réellement quitter le quartier à la fin de la
pièce.
LE DOCTEUR SCHIBEUGNE est le médecin qui soigne Tougati à l’hôpital.
ESPACE
Le décor ressemble un peu à hall de gare, ou à une vieille taverne. On y retrouve un grand écran, au fond,
et des fauteuils de cinéma en avant, dos au public. Sur l’écran, Warlikowski projette parfois des gros plans
des personnages pendant qu’ils sont sur scène, et aussi des séquences qu’il a filmées lui-même de TelAviv, la nuit. Quelques meubles garnissent la scène, une table ronde, un canapé. Des ventilateurs au
plafond tournent lentement. Il y a des fenêtres sur les côtés, comme des vitrines, où se déroulent
certaines scènes, ce qui leur donne une force particulière, comme si on regardait des animaux dans un
zoo. La scène dégage une forte impression de nostalgie.
15
ACTION
L’action s’articule autour du retour de Krum, et des deux mariages et enterrements dont il est question
dans le titre. Les mariages sont ceux de Tougati et Doupa et de Takhti et Trouda, alors qu’on attendait
celui de Krum et Trouda. Les enterrements sont ceux de Tougati et de la mère de Krum. Warlikowski a
choisi de débuter le spectacle par la fin, soit par la mort de la mère de Krum. Au début du spectacle, dans
un monologue bouleversant retransmis en gros plan sur l’écran, on voit Krum écrasé de chagrin admettre
qu’il n’est pas capable de vivre sans sa mère, qu’il n’est pas capable de vivre point à la ligne. Ce n’est
qu’à la fin que l’on comprend que la fin était le début, et donc qu’il n’y arrivera jamais.
KRUM : Oui, un jour viendra – j’en suis convaincu – où je serai enfin frais et dispos. Prêt à commencer à
vivre.
Rien dans ce spectacle n’est habituel, mais pourtant on s’y reconnaît. L’auteur Hanokh Levin a choisi de
situer réalistement la pièce dans une ville et dans un quartier ordinaire mais Warlikowski a magnifié
certains éléments du texte et a ajouté des actions qui amplifient les émotions.
Photo : Stefan Okolowicz
Par exemple, pendant l’agonie de Tougati, ce dernier, Krum et le docteur sont installés à table, comme s’ils
jouaient aux cartes, et boivent du champagne. Durant l’enterrement de Tougati, Trouda met son bébé (une
poupée) sur la table en poussant l’urne du défunt, et imite les cris du bébé en lui changeant sa couche.
Lorsque Tswitsa et Bertholdo font leur apparition, ils sont installés de dos aux spectateurs et retransmis
sur l’écran, ce qui donne encore plus l’impression qu’ils sont des vedettes, des gens qui ont réussi. Ces
moments sont très forts et très troublants. Lorsque la pièce se termine, la vie de Krum s’est jouée devant
nous. Aucun événement brutal n’a eu lieu, tous se sont enfoncés encore plus profondément dans ce qui
est leur vie, en perdant en chemin ce qui leur restait de rêves et d’illusions.
Un petit mot en terminant sur la langue de
présentation du spectacle. La production est en
polonais, présentée avec surtitres anglais et
français, ce qui veut dire que le texte est projeté sur
l’écran dans le fond de la scène. S’il s’agit de votre
première expérience, cela peut agacer au début,
mais le réflexe s’acquiert très rapidement et la gêne
disparaît. Au fil du spectacle, on réalise aussi qu’on
peut suivre les événements sans lire nécessairement
tout le texte et qu’il faut aussi s’attarder au jeu des
acteurs, comme le conseille le metteur en scène.
« Dans les tournées, une distance se crée déjà par
le simple fait que nous sommes une troupe de
Pologne, jouant en polonais. Or, il s’agit toujours de prendre en charge et d’entraîner les spectateurs, de
leur donner le temps de s’interroger et de leur permettre d’oublier qu’ils lisent des surtitres. Nous exigeons
beaucoup d’eux, c’est-à-dire deux heures et demie d’une pleine attention et la lecture de surtitres. Notre
théâtre consiste pourtant en des nuances, des pauses et non dans un compte-rendu de formes et de
personnages solides et crédibles. Car alors rien n’en sort, à part un théâtre habile, sans doute même un
peu dépassé. »
16
ACTIVITÉS PROPOSÉES
Appréciation du spectacle
Dans un spectacle de Warlikowski, aucun élément n’est laissé au hasard.
• Comment avez vous trouvé l’espace scénique?
• Quelles sont vos impressions sur :
o
La musique?
o
L’éclairage?
o
Les projections vidéo?
o
Les costumes?
• Comment avez-vous trouvé le jeu des acteurs?
o
L’utilisation du corps?
o
La voix?
Autour des personnages
Pendant près de trois heures, des personnages se sont débattus devant nous avec leur vie.
• Que pensez-vous de Krum?
o
Est-il une ordure, comme il le dit lui même?
• Comment trouvez-vous le rapport des principaux personnages avec l’existence?
o
Pourraient-ils agir autrement?
o
Pensez-vous sincèrement qu’ils pourraient vivre mieux?
• Avez-vous de la compassion pour ces personnages?
• Vous reconnaissez-vous ou reconnaissez-vous des gens que vous connaissez en eux?
Par écrit, comment décririez-vous le rapport entre les personnages suivants :
• Krum et Trouda?
• Takhti et Trouda?
• Krum et sa mère?
• Dulcé et Felicia?
Il peut être intéressant de s’interroger et de faire un travail d’imagination sur certains événements et
certains personnages.
• À quoi ressemblera la vie du bébé de Trouda et de Takhti?
• Que se passera-t-il pour Krum après la mort de sa mère?
• Qu’arrivera-t-il à Tswitsa à Los Angeles? Sera-t-elle heureuse dans son mariage?
• Au début, Krum arrive de voyage. Où est-il allé?
• De quoi parlerait son roman s’il finissait par l’écrire?
17
SUR LE SUCCÈS DE LA PIÈCE
Depuis la création du spectacle en 2005, la troupe de Krum a visité une dizaine de pays, et a posé ses
pénates entre autres au prestigieux Festival d’Avignon. Partout où le spectacle est présenté, la critique est
élogieuse. Voici des extraits d’une critique de Fabienne Darge parue dans le journal français Le Monde
lors de la présentation du spectacle à Avignon.
« La mise en scène à la fois simple et stylisée de Warlikowski repose principalement sur le remarquable
travail des comédiens, qui investissent leurs personnages en profondeur, avec toute l’excellence de
l’école polonaise du jeu d’acteur. »
« La rencontre entre cet auteur-là et ce metteur en scène-là est passionnante, tant les deux hommes
partagent une même capacité à porter un regard critique sur leur pays et sur leur société ».
• Comment expliquez-vous le succès international de la pièce?
• Comment une pièce d’un auteur israélien montée par un metteur en scène polonais peut toucher
autant les gens?
• Qu’y a-t-il d’universel dans Krum?
SUR LES THÈMES
Comme on l’a vu, le thème principal de Krum s’articule autour de la fin des illusions et de l’incapacité de
vivre vraiment sa vie.
• À 15, 16, 17 ans, comment imagine-t-on l’avenir?
o
Où serez-vous à 40 ans?
• Vous semble-t-il possible de rater sa vie?
• Trouvez-vous les adultes malheureux autour de vous?
• Pensez-vous que vos parents, vos professeurs ont encore des rêves?
• Avez-vous déjà vécu de profondes déceptions?
o
Avez-vous l’impression d’en être marqué à vie?
18
LE CONTEXTE : POLOGNE ET ISRAËL
Pologne
La Pologne est un pays d’Europe centrale. Au début de la Seconde
guerre mondiale, elle est envahie par les nazis à l’Ouest et les
Soviétiques à l’Est. Ces derniers envoient des centaines de milliers de
Polonais dans les camps de travail en Sibérie, les goulags. Les
Allemands prennent rapidement la capitale, Varsovie, et instaurent un
régime de terreur. La Pologne sera le tombeau de millions de Juifs,
autant dans les ghettos que dans les camps de concentration. C’est à
Varsovie qu’on retrouve le plus grand ghetto, où sont entassés par les nazis tous les Juifs de la ville à
partir de 1939. En 1943, le ghetto sera complètement rasé et tous ses habitants tués ou déportés dans
les camps, après qu’ils eurent tenté de se révolter contre l’envahisseur. La communauté juive de Pologne
était la plus importante au monde, et 97 % d’entre eux périrent sous l’occupation, principalement dans les
camps d’extermination de Belzec, Sobibor, Treblinka, Maidanek, et surtout d’Auschwitz-Birkenau. Environ
trois millions de Polonais juifs moururent durant la guerre, et autant de catholiques. Les Juifs survivants ont
quitté le pays immédiatement après le conflit, inquiétés par l’antisémitisme qui y régnait toujours.
Après la guerre, le pays passe aux mains des Russes qui y instaurent un régime socialiste, jusqu’à la fin
des années 1980. Le retour de la démocratie se fera grâce aux luttes du syndicat indépendant
Solidarnosc (Solidarité) de Lech Walesa et de l’Église catholique, très influente en Pologne. La Pologne
est membre de L’Union européenne depuis 2004.
Israël
Israël est un pays du Proche-Orient, fondé en 1948. En 1947, les
Nations Unies votent pour un partage de la Palestine entre les Juifs et
les Arabes qui y vivent, légitimant ainsi les revendications ancestrales
du peuple juif sur ce territoire, la terre promise. À peine né, Israël se
retrouve en conflit avec ses voisins (Égypte, Syrie), dont les armées
envahissent le territoire palestinien pour le protéger. Du côté
palestinien, on refuse le partage, du côté juif, on accepte apparemment
les décisions de l’ONU, tout en ayant déjà décidé de tenter d’obtenir plus de terres par la force. Dès le
départ, la table était mise pour l’éclosion de tensions, qui durent maintenant depuis soixante ans.
Le bilan d’Israël peut sembler positif au premier coup d’œil, mais il est fortement marqué par le conflit
originel qui l’oppose aux Palestiniens et à l’ensemble du monde arabe. De 700 000 en 1948, la
population juive d’Israël est passée à 6,5 millions en 2002. Le produit national brut est passé de 1 milliard
en 1948 à 100 milliards en 2000. Israël a développé une expertise en aéronautique et électronique et
peut compter sur les investissements importants des Juifs qui vivent en-dehors du pays, principalement
aux États-Unis, dont le gouvernement a également versé une imposante aide financière depuis 1948
(autour de 100 milliards). Cependant la croissance du pays est stoppée par les échecs successifs des
processus de paix, les capitaux étrangers sont retirés, le tourisme diminue sans cesse et l’immigration
stagne, alors qu’Israël ne compte de 40% de l’ensemble de la population juive recensée dans le monde.
Les fondateurs de cet État neuf avaient témoigné au départ de leur volonté de se placer à l’avant-garde de
la civilisation contre la barbarie. De libérateur des Juifs, la nation s’est muée en occupante. Pacifique dans
ses intentions, elle est devenue guerrière. L’extermination des Juifs en Europe pèse sur la conscience de
l’Occident, qui a accordé majoritairement son soutien à l’État hébreu. Mais les populations arabes ne
peuvent être contredites lorsqu’elles affirment payer en lieu et place des Européens le crime commis ou
toléré contre les Juifs.
19
Quelques points de référence :
La Shoah : Mot hébreu signifiant « anéantissement » et désignant l’extermination de plus de cinq millions
de Juifs durant la Deuxième guerre mondiale.
Antisémitisme : Racisme dirigé contre les Juifs.
Sionisme : Doctrine et mouvement visant au rassemblement des Juifs en Palestine, dans leur État. Le
sionisme doit son nom au Mont Sion, colline sur laquelle fut bâtie Jérusalem. Le mouvement n’est pas né
après la Seconde guerre mondiale, mais au dix-neuvième siècle, à cause de la montée de l’antisémitisme
en Europe et des pogroms en Russie, ces massacres de populations juives dans les villages.
Aliya : Mot hébreu qui signifie littéralement « montée » des Juifs en Palestine. Ce sont les aliyot qui ont
permis de peupler le territoire. En 1835, environ 10 000 Juifs vivent en Palestine. Au début du vingtième
siècle, les Juifs qui débarquent en Palestine viennent principalement de Russie. La victoire du nazisme en
Allemagne va provoquer une autre montée. En 1939, les Juifs sont environ 430 000 en Palestine, ce qui
représente 28% de la population. Près de 200 000 autres les rejoindront après la Seconde guerre
mondiale, principalement des rescapés du génocide, portant la population du nouvel État d’Israël à 700
000 personnes, soit un tiers des habitants de la Palestine. Ce nombre va quintupler dans les vingt-cinq
années suivantes, grâce à l’apport de nombreuses et massives aliyot, provenant principalement d’Asie,
d’Afrique et d’URSS.
Pour en savoir plus…
Le théâtre choisi de Hanokh Levin est publié aux Éditions théâtrales, classé ainsi : Pièces mythologiques,
Comédies grinçantes, Comédies crues, Comédies, Pièces politiques et les sketches Que d’espoir !
www.editionstheatrales.fr
Pour se dépayser un peu, on peut consulter sur Internet le site du Cameri Theatre de Tel-Aviv auquel Levin
a été associé toute sa vie. Le site, en anglais ou en hébreu, présente le plus grand théâtre d’Israël et
contient quelques informations sur l’auteur.
www.cameri.co.il
Pour tout savoir sur Krzysztof Warlikowski, un ouvrage très intéressant a été utilisé pour la préparation de
ce dossier. Il s’agit d’une série d’entretiens avec le metteur en scène, dans lesquels il aborde différents
thèmes chers à son travail. Krzysztof Warlikowski – Théâtre écorché, ouvrage conçu et réalisé par Piotr
Gruszczynski, est paru chez Actes Sud en 2007.
Le Théâtre français du Centre national des arts a mis en ligne un micro-site autour de Krum, où vous
pourrez, entre autres, voir des photos du travail du metteur en scène et visionner des vidéos. Un must !
http://wajdimouawad.nac-cna.ca/spip.php?article188
Autour de la triste histoire des Juifs de Pologne, un livre et un
film font l’unanimité. Le Pianiste, est d’abord l’autobiographie de
Wladyslaw Szpilman, décédé en 2000, dont le cinéaste Roman
Polanski, d’origine polonaise, a fait un film magistral, lauréat de
la Palme d’or à Cannes en 2002. L’histoire est donc celle de
Szpilman, un célèbre pianiste juif polonais, qui échappe à la
déportation mais se retrouve parqué dans le ghetto de Varsovie
dont il partage les souffrances, les humiliations et les luttes
héroïques. Il parvient à s’en échapper et se réfugie dans les
ruines de la capitale. Un officier allemand, qui apprécie sa
musique, l’aide et lui permet de survivre.
20
BIBLIOGRAPHIE
•
•
•
•
•
•
Gresh, Alain et Vidal, Dominique, Les 100 clés du Proche-Orient, Hachette littérature, 2003.
Gruszczynski, Piotr, Krzysztof Warlikowski – Théâtre écorché, Actes Sud, 2007.
Levin, Hanokh, Théâtre choisi III – Pièces politiques, Éditions théâtrales, 2004.
Levin, Hanokh, Théâtre choisi V – Comédies crues, Éditions théâtrales, 2008.
Levin, Hanokh, Que d’espoir !, Éditions théâtrales, 2007.
Yaari, Nurit, Le théâtre de Hanokh Levin, Éditions théâtrales, 2008.
21

Documents pareils