Eugène-Louis Gillot et les Beaux-Arts de la mer

Transcription

Eugène-Louis Gillot et les Beaux-Arts de la mer
Patrick Jude et Catherine Carré-Mével
Eugène-Louis Gillot
et les Beaux-Arts de la mer
SOMMAIRE
Préface ............................................................ 4
Introduction.................................................... 9
De la naissance à la majorité........................ 12
De la majorité à l’Exposition de 1900........... 13
Les débuts...................................................................................... 13
Les techniques............................................................................... 15
De 1900 à la guerre de 1914-1918................... 20
Après la Grande Guerre................................. 91
Les États-Unis, 1919-1925............................................................... 92
La cinquième et dernière exposition personnelle, New York, 1922............94
Nouvelle mission, New York, 1923..........................................................95
L’exposition d’art français, San Francisco, 1924-1925...............................95
En France, 1919-1925..................................................................... 96
La quatrième exposition personnelle, Paris, 1920.....................................96
Gillot et l’aquarelle..................................................................................97
Gillot au music-hall................................................................................98
La Marine nationale,
la Société nationale des beaux-arts de la mer (SNBAM)...........................100
Travail et difficultés jusqu’à la mort........................................................103
En France....................................................................................... 22
Le cadre de vie de l’artiste.......................................................................22
Gillot, ses déplacements, l’attrait des ports..............................................22
Expositions, commandes, achats.............................................................27
Les industries fumantes, Saint-Étienne et Firminy..................................34
Quelques autres fumées..........................................................................37
Gillot et les sociétés artistiques................................................................40
À l’étranger..................................................................................... 54
Royaume-Uni, 1903-1914........................................................................54
États-Unis, 1904.....................................................................................67
Belgique, 1905-1911.................................................................................67
Italie, 1904-1911......................................................................................69
Allemagne, 1903-1909............................................................................71
Espagne, 1911.........................................................................................72
Pays-Bas (circa 1912)..............................................................................72
La Grande Guerre........................................... 75
Missions du musée de l’Armée...................................................... 75
Missions artistiques des Beaux-Arts............................................... 83
Les expositions pendant la Grande Guerre.................................... 88
Deux expositions personnelles.................................................................88
Expositions collectives............................................................................89
Expositions collectives aux États-Unis et au Canada...............................90
2
Après la mort de Gillot, ................................. 107
Le prix Gillot-Dard......................................................................... 107
Les salons de la Société nationale des beaux-arts de la mer......... 108
1927, le premier Salon, en France, enfin !...............................................109
Les Salons qui ont suivi..........................................................................111
Création du Salon de la Marine..................................................... 115
Le musée national de la Marine au palais de Chaillot................... 115
L’Académie française, l’Institut de France,
l’Académie de marine et les Beaux-Arts de la mer........................ 116
Les Beaux-Arts de la mer et l’Institut de France.......................................116
Les Beaux-Arts de la mer et l’Académie de marine...................................117
L’Association des peintres officiels de la Marine........................... 117
Conclusion...................................................... 118
Bibliographie.................................................................................. 118
Hommages et rétrospectives postérieurs à 1930........................... 120
Expositions..................................................................................... 120
Remerciements.............................................................................. 121
Crédits photographiques................................................................ 122
Notes.............................................................................................. 123
3
Préface
Les Anglo-Saxons amateurs d’art comparaient en son temps EugèneLouis Gillot à Turner, un hommage appuyé à la dimension d’une œuvre
intemporelle, impressionniste et lumineuse. L’admiration des peintres
pour le talent de cet ancien – qui n’occupe pas aujourd’hui sa juste
place dans l’histoire de l’art – s’attendrit d’une particulière affection. Il
a joué en effet un rôle déterminant au sein de trois institutions artistiques qui perdurent : La Société nationale des beaux-arts, les Peintres
officiels de la Marine et le Salon de la Marine. Parce qu’elles me sont
familières, il m’est particulièrement agréable de rappeler comment,
au-delà de sa créativité picturale inventive et sensible, Gillot s’est
généreusement engagé pour les artistes et pour la mer.
Dans la seconde moitié du xixe siècle, le renouveau des sciences, des
techniques et de la réflexion sur la société bouleversa tous les arts, de
la musique à la littérature et de l’opéra aux arts plastiques. Comme
l’expansion de la vapeur dans une machine, la formidable poussée
de la création en ébullition fit éclater ses codes. L’agitation bouscula
l’inébranlable Salon officiel. Sous la dictature de l’Académie des beauxarts, sa tradition remontait à l’exposition annuelle des membres de
l’Académie royale de peinture et de sculpture de Colbert. Le Salon
était la vitrine obligée des peintres et des sculpteurs. Là se faisaient
les réputations, se passaient les commandes officielles et s’imposaient les maîtres. L’enseignement et la mainmise de l’académisme
maintenaient fermement les règles intangibles d’un art pompeux
selon le modèle gréco-romain. Courbet avait été le premier à s’évader
du système. En 1861, le peintre et graveur Louis Martinet et Théophile
Gautier fondèrent la Société nationale des beaux-arts pour renverser la
tyrannie du Salon. Ils déclaraient vouloir « rendre l’art indépendant et
apprendre aux artistes à faire eux-mêmes leurs affaires ». L’initiative de
la Nationale était soutenue par de nombreux artistes, dont Delacroix,
4
Carpeaux, Corot, Gustave Doré, Bracquemond et Puvis de Chavannes.
Elle exposait boulevard des Italiens. Ingres y accrocha La Source. Très
ouverte, la société était liée aux sociétés d’Amis des arts en province,
et elle publiait un bimensuel Le Courrier artistique. Elle renonça à son
expérience au bout de cinq ans, ne parvenant pas à couvrir ses frais.
Deux ans après la fronde de la Nationale, le refus de plus de la moitié
des œuvres au Salon de 1863 conduisit Napoléon III à faire exposer
les exclus dans le palais de l’Industrie hérité de l’Exposition universelle de 1855. Ce fut le Salon des refusés, où Le Déjeuner sur l’herbe de
Manet fit scandale, car il laissait l’académie folâtrer dans la nature.
Un groupe d’artistes refusés au Salon de 1874, dont Cézanne, Degas, Monet, Pissaro et Renoir, organisèrent une exposition contestataire dans l’atelier du photographe Nadar. L’Impression soleil levant de
Claude Monet officialisa le nom du mouvement qui commençait à se
répandre, après l’article faussement bécasse de Louis Leroy dans Le
Charivari : « Impression, j’en étais sûr ! Je me disais aussi, puisque
je suis impressionné, il doit y avoir de l’impression là-dedans. » Le
tableau culte était une vue du Havre. Quelques décennies après Turner, des artistes français avaient découvert la mer à leur tour. Laissant
les académistes faire poser leurs pompiers, ils désertaient leurs ateliers
pour les plages de la Manche. L’art était alors un vaste chantier en désordre. Jules Ferry, président du Conseil des ministres et ministre de
l’Instruction publique et des Beaux-Arts, fonda la Société des artistes
français en 1881, quand s’ouvrait l’Exposition internationale d’électricité. Il confiait aux artistes ombrageux le soin de gérer le Salon. Au
moment où frémissaient les arts plastiques dans un environnement
politique et social instable, des querelles de principes, des brouilles
spectaculaires de personnalités promptes aux coups de sang, ont fondé
les grandes sociétés d’artistes que l’on appelle aujourd’hui les Salons
historiques. Issues par scissiparité d’un même tronc originel, elles
sont cousines bien que jalouse chacune de ses différences qui sont les
gages de la variété féconde de la création artistique contemporaine. En
1890, Meissonier, malmené lors d’une réunion relative au jury de la
nouvelle Exposition universelle, entraîna Puvis de Chavannes, Rodin,
Bracquemond et Carolus-Duran pour refonder la Société nationale des
beaux-arts, qui exposa cette année-là au palais du Champ-de-Mars.
Refusé par les Artistes français en 1893 et 1894, Gillot entra l’année
suivante à la Nationale où il se sentit bien, car il y appréciait la richesse du contact entre les peintres, les sculpteurs, les compositeurs
et les gens de lettres. Outre Rodin, Bourdelle, Sisley, Whistler, Boudin,
Rouault ou Maurice Denis, on y croisait Saint-Saëns, Vincent d’Indy et
Gabriel Fauré. Coopté comme associé en 1899, il en devint sociétaire
en 1901, exposa un vaste ensemble de toiles en 1902 et commença à y
exercer une influence de plus en plus grande.
5
Le voyage officiel du président Loubet à Londres en 1903 puis la revue
navale de Spithead célébrant le couronnement de George V en 1911
furent sans doute les premiers contacts d’Eugène-Louis Gillot avec les
armées navales. Déjà comblé de commandes officielles et lancé dans
la société parisienne, ils lui valurent une flatteuse notoriété en Angleterre et l’amitié réaffirmée des souverains britanniques lors de leur
visite en France en 1914. Peintre du musée de l’Armée engagé sur le
front, une mission dans l’armée navale en 1917 lui révéla l’escadre
sous la lumière de la Méditerranée. Cette découverte fut un catalyseur.
Par extrapolation de la Société nationale des beaux-arts, Gillot fonda
à la fin de 1919, au sortir de la guerre, la Société nationale des beauxarts de la mer avec le soutien enthousiaste de Georges Leygues, le légendaire ministre de la Marine de l’entre-deux-guerres. Passionné par
le fait maritime, il entreprenait d’« intéresser le public aux questions
maritimes et coloniales, encourager la jeunesse aux vocations navales,
en un mot aider par une constante diffusion au développement de
la marine française ». La volonté de Gillot de rassembler les artistes
envoyés en mission par la Marine pendant la guerre pour fonder une
dynamique navale sur la représentation du fait maritime était une initiative originale dans l’histoire de la peinture. Dépassant une simple
motivation de propagande, il pensait que ce mouvement artistique
enthousiaste devait s’intéresser aux orphelins des marins morts pour
la France. Il imaginait ainsi une communauté d’artistes de toutes disciplines, dans l’esprit de la Nationale, engagée avec passion au service
de la Marine et des gens de mer.
Au début de 1920, Gillot sollicita sa nomination au titre de peintre de la
Marine, en tirant argument de sa mission à Spithead et de la fondation
des Beaux-Arts de la mer. Le titre lui fut accordé en 1921 parmi une
large promotion de onze artistes, dont Gervèse et Mathurin Méheut.
La même année, la visite du prince héritier Hirohito l’envoya en mission au Havre, et la conférence de Washington le fit passer outre-Atlantique, au titre d’attaché artistique auprès de la délégation française à la
conférence sur la limitation des armements, sous la présidence d’Aristide Briand. Prolongeant ce reportage par une étude en profondeur
du port de New York, il sillonna l’Hudson et l’East River à bord d’un
remorqueur de l’US Navy. L’une des grandes cités marines posées sur
l’eau, comme Venise, Istanbul, Lisbonne, Hongkong ou Sydney, New
York est une ville éminemment inspiratrice. Immuable et chaleureuse
au niveau piétonnier de ses rues, elle éclate sur le front de mer triomphant de Manhattan où elle se régénère, s’épure, s’élève vers le ciel.
C’est bien ainsi que la vit Gillot, l’un des premiers parmi les peintres
de la Marine. Il retourna deux ans plus tard compléter son travail.
Eugène-Louis Gillot imaginait encore la fondation d’une école de
peintres de la Marine quand il mourut dans les derniers jours de 1925,
peu après le décès de son amie et bienfaitrice la baronne Dard, veuve
6
de son mécène. Il dotait par testament le prix Gillot-Dard pour la meilleure œuvre de composition. Quelques mois plus tard, après avoir été
retardé plusieurs années par des difficultés d’organisation, le premier
Salon national de la Marine s’ouvrait, en mai 1927, à la galerie René
Zivy sous la présidence de Charles Fouqueray. Soixante-cinq peintres
entrèrent au département de la Marine entre les deux guerres, donnant à la France une formidable capacité de promotion culturelle au
moment où Georges Leygues martelait aux parlementaires la nécessité d’une politique maritime déterminée : « Être sur mer ou renoncer
à son rang, tel est le dilemme qui se pose au pays. » La Société nationale des beaux-arts attribue chaque année lors de son salon au Carrousel du Louvre le prix Eugène-Louis Gillot à une œuvre marine. La
Marine nationale offre au lauréat un embarquement à la mer sur un de
ses bâtiments. Ainsi perdure la volonté d’un de nos grands anciens de
favoriser les vocations de futurs peintres de la Marine.
François Bellec
de l’Académie de marine
Président d’honneur de l’Association des peintres officiels de la Marine
Président de la Société nationale des beaux-arts
7
Introduction
à ma très chère femme, Maria, qui m’a bien aidé.
Patrick Jude.
Eugène-Louis Gillot (1867-1925) était un peintre impressionniste de genre
et de marine. Il a connu de son vivant une réelle célébrité non seulement
en France, mais encore en Angleterre et aux États-Unis. Sa participation
aux expositions internationales d’art est loin d’être rare : Barcelone, Liège,
Munich, Milan, Gand, Pittsburgh, Saint-Louis, Rome, Londres, Bruxelles,
San Francisco… En France, plusieurs musées prestigieux possèdent de ses
œuvres, mais on peut aussi en admirer en Angleterre et au Japon.
Aujourd’hui, le grand public ignore Gillot, quatre-vingt-cinq ans après sa
mort. Cependant, le musée national de la Marine, la galerie des Orfèvres
et la Société nationale des beaux-arts lui ont rendu des hommages et organisé plusieurs expositions rétrospectives.
Le musée national de la Marine reconnaît explicitement en Gillot l’initiateur du Salon de la Marine et de l’Association des peintres officiels de la
Marine que nous connaissons aujourd’hui.
Avertissement :
La SNBA, Société nationale des beaux-arts, est aussi nommée la « Nationale », habitude
admise.
De plus, afin de ne pas la confondre avec la SNBAM, Société nationale des beaux-arts de la
mer, nous désignerons cette dernière par « Beaux-Arts de la mer ».
Les citations de publications anciennes ont été modifiées pour respecter les règles
typographiques actuelles en usage à l’Imprimerie nationale.
Pour ce qui concerne la Marine nationale, nous abrégeons en Marine.
Le numéro des illustrations est indiqué entre crochets dans le texte [...]
8
La galerie des Orfèvres, créée à Paris par M. Marc Carré1�, a toujours rendu
hommage à Gillot en exposant ses œuvres. M. Carré avait été désigné
par Mme Jeanne Okolowicz, nièce de Gillot, pour authentifier les œuvres
du peintre et défendre son travail. Dans les années 1950, M. Carré avait
confié la rédaction d’une monographie sur Gillot à M. René Montigny,
projet qui n’a jamais abouti. En 1976, L’Art et la Mer avait publié un article
de M. Roland L. Higgins, neveu américain de Gillot2, qui avait bénéficié de
l’aide soutenue de Mme Marc Carré.
La Société nationale des beaux-arts, où Gillot exposait régulièrement
depuis 1895 (il deviendra membre de son comité), a reçu le legs de sa
fortune, et celle de Mme la baronne Dard dont le peintre était devenu le
légataire, pour fonder le très important prix Gillot-Dard aujourd’hui tombé
9
en désuétude. Mais il y a vingt ans, la Marine nationale a pris le relais en
créant le prix Louis Gillot.
En outre, il convient de noter le rôle du contre-amiral François Bellec,
peintre de la Marine et écrivain, membre de l’Académie de marine, actuel
président de la Nationale des beaux-arts, ancien directeur du musée national de la Marine. Le nom de Gillot apparaît à différentes reprises sous
sa plume, par exemple dans The Oxford Encyclopedia of maritime History,
récent ouvrage de référence où il cite quatre « artistes majeurs » devenus peintres de la Marine, Félix Ziem, Paul Signac, Eugène-Louis Gillot
et Albert Marquet, lesquels ont « plus ou moins » suivi le mouvement de
l’impressionnisme3.
La vie et l’œuvre de Gillot semblent marqués par la marine, par les BeauxArts de la mer, cette société par lui créée et dont l’importance justifie
le sous-titre de la présente monographie, mais n’en négligeons pas pour
autant la diversité de ses intérêts ! Ses vues de Paris abondent, celles de
Londres et de Venise aussi, les œuvres faites pendant la Grande Guerre
sont nombreuses et les industries fumantes ne sont pas rares. Mentionnons encore les portraits, les vues de Rotterdam, les représentations
théâtrales avec la Loïe Fuller sur scène… Par ailleurs, Gillot a aussi été
reconnu comme rénovateur de la peinture dite « officielle » par Henri
Frantz, homme de lettres et critique de la célèbre revue artistique anglaise
The Studio.
Outre les rétrospectives et les hommages, il convient de remarquer que
Gillot a été, et est parfois présent dans des expositions à thème en France
(Saint-Étienne en 2006, Villefranche-sur-Saône en 2009-2010), tout comme
à Londres, New York, Tokyo et Barcelone.
[1] Goélettes à quai.
Huile,
H. 76-L. 86.
Ces rétrospectives, hommages et expositions à thème ont pour l’instant
évité à Gillot et à son œuvre d’être totalement engloutis dans l’oubli, cette
immense mer invisible et silencieuse qui laisse parfois remonter à sa surface l’un ou l’autre artiste dont le nom est à nouveau prononcé avec admiration et respect.
Certes, mais un visiteur d’exposition dont la curiosité est éveillée par ces
Goélettes à quai [1] de Gillot et qui désire en savoir plus sur l’artiste ne peut
que se heurter à l’absence d’ouvrages, de « beaux livres » le concernant en
librairie. C’est ainsi qu’est née l’idée d’écrire la présente monographie qui
souhaite rendre justice à ce très bel artiste.
Gillot a beaucoup, véritablement beaucoup, travaillé et une présentation
rigoureusement chronologique de cette vie intense n’est pas parfaitement
adaptée pour suivre dans le temps le déroulement d’une activité particulière de l’artiste tant ses actions et intérêts sont divers et simultanés.
10
C’est la raison pour laquelle une stricte chronologie biographique n’est
pas toujours respectée, ceci uniquement au profit d’une présentation
complète d’une action particulière, par exemple son travail en Angleterre,
morcelé sur plusieurs années.
Notre présentation est fondée sur des recherches personnelles menées
pour « remonter aux sources primaires », recherches qui ont permis de
découvrir, dans les nombreuses archives et bibliothèques – ne conservant
chacune que quelques fragments concernant Gillot –, d’indiscutables et
nombreux éléments méconnus tout en permettant aussi de séparer le bon
grain de l’ivraie. Toutes les sources consultées et utilisées sont référencées dans les notes de fin d’ouvrage.
Une très sérieuse difficulté rencontrée dans nos recherches iconographiques est liée au succès connu par Gillot de son vivant. En effet, ce
peintre a fort bien vécu de la vente de ses œuvres qui, aujourd’hui, sont
largement dispersées dans le vaste monde des musées et, surtout, des
amateurs ou collectionneurs difficilement joignables.
11
De la naissance
à la majorité
Louis Gillot est né le 14 avril 1867
à Paris. Ses parents, Auguste Nicolas Gillot et Rose Malvina Henry,
s’étaient mariés à Paris en 1859.
Pour l’état civil, l’artiste porte le
seul prénom de Louis4, ce que l’on
constate encore dans les archives
concernant les Arts décoratifs, son
service militaire ou sa succession.
Architecte établi à son compte, le
père de Louis jouissait d’une belle
réputation. À l’âge de 14 ans, Auguste Nicolas Gillot était attaché
aux services de l’architecte chargé
des travaux de Perrache, à Lyon.
Au cours de sa carrière, il a élevé
tant des maisons de campagne
et des hôtels particuliers que des
habitations ouvrières. L’hygiène
de l’habitation et la prévention des
incendies dans les salles de spectacle faisaient partie de ses préoccupations5.
Quelques jours après son douzième
anniversaire, le 25 avril 1879 très
exactement, Louis Gillot s’inscrit
aux cours de jour des Arts décoratifs : père et fils signent le registre
d’inscription6. On peut avancer
12
que M. Depaz, élève architecte
travaillant dans le cabinet de Nicolas Gillot, pouvait accompagner le
bien jeune Louis, s’étant lui-même
inscrit quelques jours auparavant
aux cours de jour et du soir.
Les éléments concernant la vie
familiale et la jeunesse de Gillot
n’abondent pas. Il est certain qu’il
avait trois sœurs comme cela apparaît dans le règlement de sa
succession. Par ailleurs, l’état signalétique et des services concernant son service militaire de trois
années dans l’infanterie indique la
profession de graveur sur bois7. Ce
même document décrit un jeune
homme mesurant 1,72 m, aux
yeux gris, nez long, front haut et
sourcils châtains. L’on sait encore
que Gillot, « appelé à faire son service militaire, reçut un congé qui
lui permit de poursuivre ses études
et d’obtenir, en 1888, une médaille
de cette école8 ».
Que Gillot ait été l’élève de
MM. Edmond Lechevallier-Chevignard et Charles David aux Arts
décoratifs semble indiscutable9.
De la majorité
à l’Exposition de 1900
Les débuts
Une œuvre de jeunesse de Gillot,
une marine, probablement la
plus ancienne, est antérieure à la
dédicace « À mon ami Heillinger
18.4.1891 », figurant au dos de la
toile [2].
Après son service militaire, Gillot
est à Paris où il peint, par exemple,
Le Moulin-Rouge, La Rue des Tuileries et participe pour la première
fois à un Salon, celui de la Société
des artistes français, en 1892. Il y
expose un pastel, La Neige, place
Pigalle.
En cette fin de siècle, l’artiste
abandonne son seul prénom de
Louis et choisit de signer soit
Eugène-Louis Gillot, soit LouisEugène Gillot, comme le mentionne le catalogue des Artistes
français et un dessin au crayon
gras graphité, Chronique de
Bagatelle, probablement un frontispice10. Par la suite, d’une manière
générale, le peintre figurera sous
« Eugène-Louis Gillot » dans les
catalogues et signera ses œuvres
« E.-L. Gillot » ou encore, quelquefois, « E. Louis Gillot » et tout
à fait exceptionnellement des
trois seules initiales E.L.G. Notons
encore que, le temps passant, le
peintre ne datera et ne localisera
que très rarement ses œuvres.
L’année suivante, en 1893, il se voit
refusé aux Artistes français, ne se
décourage pas et continue à peindre
[3]. Bien que l’on ne sache quand
et dans quelles circonstances le
jeune peintre a fait la connaissance
du baron et de la baronne Dard –
dont il deviendra l’hôte au château
d’Osmoy en Seine-et-Oise – il est
certain que Gillot a peint chez eux
cette année-là, comme l’attestent
localisation et date d’un portrait au
pastel [4].
En 1894, Gillot, âgé de 27 ans, est
encore refusé aux Artistes français,
société à laquelle il ne s’adressera
plus… mais, chose remarquable,
il est accepté pour la seconde
13
[4] Portrait
d’un inconnu.
Pastel,
H. 39-L. 31,
daté et localisé
« Osmoy,
le 20 juin 93 ».
[5] Probable portrait
de Mme la baronne
Dard.
Huile,
H. 33.5-L. 25,2
Exposition générale des beaux-arts
de Barcelone11 où il fait l’envoi
d’une huile intitulée Une rue du village de Saint-Martin-des-Champs !
L’Espagne est ainsi le premier
pays étranger à avoir reconnu son
travail à un moment où il éprouvait des difficultés en France.
Le catalogue de cette exposition
de Barcelone, mentionnant le château d’Osmoy comme adresse de
Gillot, permet de savoir qu’il était
l’hôte du baron et de la baronne
Dard cette même année 1894. Il le
sera jusqu’à son installation à Paris,
en 1900. Cette rencontre est d’une
énorme importance dans la vie de
l’artiste, car le baron Dard sera son
mécène avant que sa notoriété ne
soit reconnue [5]. Après la mort de
son mari, la baronne Dard restera en
14
relation avec Gillot, lui offrira de
s’installer dans l’hôtel particulier
qu’elle habitait au 15, rue Théophile-Gautier12, et finalement lui
léguera sa fortune13.
[2] Bâtiments
au mouillage.
Huile,
H. 35-L. 55.
Au dos : « À mon
ami Jules Heillinger
L’année suivante, 1895, va marquer toute la vie de Gillot. En effet,
18.4.1891 ».
[3] Nature morte
au melon.
Huile,
H. 46-L. 55,
daté « 1893 ».
il expose pour la première fois à la
Société nationale des beaux-arts en
fournissant une Étude de neige regroupant quatre pastels, puis fera
des envois à tous ses salons jusqu’à
la fin de sa vie14.
Cette période de la vie de l’artiste
chez le baron Dard correspond à
un important travail en Seine-etOise, à Nice et à Cagnes, et enfin
à Villefranche-sur-Mer où il séjourne en 1898.
En 1898, l’exposition des Amis des
arts, à Reims, présente en particulier des marines, dont celles
de Charles Fromuth et Gillot15. Il
semble bien que ce soit la toute
première fois que l’artiste ait exposé des marines.
De 1898 à 1900, Gillot participe au
salon de la Société lyonnaise des
beaux-arts16, probablement sur le
conseil de la baronne Dard, originaire de la région lyonnaise17.
En 1900, il fait aussi un envoi au
Salon des beaux-arts de Dijon18.
Après 1900, nous retrouverons
Gillot exposant dans ces trois
villes; Reims, Dijon et Lyon.
Enfin, dans le cadre de l’Exposition universelle internationale de
Paris, Gillot expose deux pastels à
l’Exposition décennale des beauxarts : Le Port de Nice et Moisson en
Seine-et-Oise19. Une « mention honorable » récompense son travail.
Les techniques
En début de carrière, si Gillot a
fait de nombreux pastels [6], il
n’en a pas moins utilisé d’autres
techniques. Les œuvres peintes à
l’huile dans les années 1890 présentent un certain académisme,
telle cette toile représentant deux
cardeuses au travail avec un chien
15
[6] Page de
gauche
Côte rocheuse.
Pastel,
H. 54-L. 45,5.
[7] Cardeuses
au travail. Huile,
H. 33-L. 46,
daté « 92 ».
couché à leurs pieds [7]. Outre le
crayon gras au graphite dont nous
avons déjà parlé, Gillot utilise la
gouache, l’aquarelle et le fusain [8].
Dans sa production, un autre dessin est particulièrement intéressant, car il représente l’important
port Saint-Nicolas qui assurait
aussi une liaison avec Londres. Ce
port était situé entre le Pont-Neuf
et le pont Royal [9].
Gillot a aussi utilisé l’aquatinte,
technique complexe de gravure en
couleurs qui a été employée avec
succès par des artistes comme
Goya, Degas et Pissaro. Nous
connaissons une très intéressante
aquatinte, La Place au réverbère [10],
qui pourrait dater des années 1890.
Quant aux gravures, cas semble-t-il
unique, Gillot en expose trois à la
Nationale, en 1907, mais on ignore
de quel genre de gravure il s’agissait.
16
Les années passant, l’artiste se
consacrera à l’huile et à l’aquarelle,
ce qui lui vaudra d’être invité plusieurs fois par la Société internationale de peinture à l’eau. Mais il
ne s’interdira pas, par exemple, la
peinture à fresque, dont il expose
quatre œuvres en 1912 à la Nationale et parmi lesquelles on note
une Étude de M. Alfred Roll, président de cette société.
Gillot aimait aussi le monotype
parce que cette technique simple,
attribuée à Giovanni Benedetto
Castiglione (1616-1670), lui permettait des effets particuliers.
Avec de l’encre, ou de la peinture, l’artiste peint le sujet directement sur une surface plane
(métal ou verre), pose dessus une
feuille de papier et l’imprime à la
main ou sous une presse. Ce procédé ne permet l’obtention que
d’un unique exemplaire. Pour
17
son autoportrait d’homme mûr,
réalisé avec cette technique [11],
Gillot a travaillé avec de larges
traits et peu de couleurs. Avec
une sobriété de moyens, il suggère la scène dans son atelier :
il est présent devant son chevalet,
peint et fume.
Revenons au pastel, car Gillot a
non seulement utilisé cette technique, mais il aurait aussi travaillé pour en faciliter l’utilisation
sur toile. En effet, une publicité
des produits Lefranc mentionne
en 1907 le « système Louis Gillot,
artiste peintre. Breveté S.G.D.G. »,
concernant de « nouvelles clés
pour tendre sans choc les châssis
à clés tendus de toiles pour le pastel20 ».
[8] Temps
de pluie. Fusain,
estompe, encre
noire.
H. 42,5-L. 26,5.
Musée du Louvre.
Département des
arts graphiques,
inv. RF 39589.
[10] Animation
sur la place
au réverbère.
Aquatinte,
H. 29-L. 18,2.
[9] Les Quais
Fusain, estompe
18
H. 36,5-L.46,7.
[11] Autoportrait
Musée du Louvre.
de Gillot devant
Département des
son chevalet.
arts graphiques,
Monotype,
inv. RF 39590
H. 24-L. 30.
19

Documents pareils